Loxias | 64. De seuil en seuil: Paul Celan entre les langues et entre les arts | I. De seuil en seuil: Paul Celan entre les langues et entre les arts
Françoise Salvan-Renucci :
« en remontant le fleuve vers cette éternité » : présence de Paul Celan dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine
Résumé
Les vers « ein Weisensteinchen, flussaufwärts, die Zeichen zuschanden gedeutet » que place H.F. Thiéfaine en exergue de « en remontant le fleuve » sont l’indice du dialogue qui s’établit dans le corpus des chansons avec les poèmes de Celan que Thiéfaine aborde dans l’original, comme il le fait de façon générale avec la littérature de langue allemande. La recréation des vers de Celan qui s’opère au plan implicite du discours multivoque dépasse le simple renvoi plus ou moins littéral pour devenir le vecteur d’un infléchissement symbolique de la dynamique discursive, qui incorpore désormais tant l’énoncé celanien que son contexte original au halo associatif aux multiples composantes qui vient nimber l’écriture thiéfainienne. Qu’il sous-tende la quasi-totalité du discours d’une chanson – comme c’est le cas pour « en remontant le fleuve » ou pour l’écho à la Todesfuge apporté par « les ombres du soir » –, ou qu’il résonne plus ponctuellement au détour de telle ou telle formulation énigmatique, l’écho récurrent que trouve la création de Celan dans celle de Thiéfaine vient substituer à la constatation « niemand zeugt für den Zeugen » l’évidence indéniable quoique sous-jacente d’un témoignage qui se propose de redonner voix et corps tant à l’œuvre qu’à la personne de Celan en tant que prototype du « martyr » au sens étymologique du terme, les autres témoins – comme Anna Akhmatova ou Ossip Mandelstam – convoqués dans le discours des chansons se rattachant d’ailleurs eux-mêmes à la constellation existentielle et historique qui a été celle de Celan.
Index
Mots-clés : H.F. Thiéfaine , mémoire, nazisme, Paul Celan, réappropriation
Texte intégral
1C’est sous le signe manifeste de la référence à Paul Celan que H.F. Thiéfaine choisit de placer le texte de « en remontant le fleuve1 », puisqu’il fait figurer en exergue de celui-ci les vers « ein Weisensteinchen, flussaufwärts, die Zeichen zuschanden gedeutet2 » accompagnés du nom du poète et de leur traduction « infime caillou philosophal, en remontant le fleuve, / les signes interprétés à mort, à néant…3 ». Au-delà de son évidence immédiate, la correspondance entre le « flussaufwärts » de Celan et le « en remontant le fleuve » qui donne son titre à la chanson apparaît du fait même de sa littéralité dotée d’un potentiel suggestif qui autorise à y voir l’« indice » initial de l’un des « jeux de piste » que Thiéfaine propose de façon répétée à l’auditeur-lecteur dans le but avoué de le « faire travailler un peu4 » – et donc le point de départ adéquat pour l’investigation du dialogue mené avec Celan au sein du discours thiéfainien. Un tel examen se révèle particulièrement fructueux dans la mesure où il permet d’établir que loin de se limiter au seul cas de « en remontant le fleuve » – où le caractère explicite du renvoi pourrait limiter d’emblée la portée de l’entrelacement intertextuel alors même qu’il en démontre la pertinence pour le texte concerné –, le dialogue avec Celan compte effectivement au nombre des constituants de la strate implicite du discours énigmatique ainsi qu’on va en faire état dans le présent article, étant entendu toutefois qu’un inventaire exhaustif des séquences relevant spécifiquement de ce processus de réaccentuation ne saurait être entrepris dans le cadre de celui-ci. Les exemples présentés dans ces lignes devraient toutefois suffire – on l’espère du moins – à mettre en lumière la dynamique de recréation dont les vers de Celan sont l’objet dans le corpus des chansons où l’écho répété qui leur est apporté au plan cryptique du discours multivoque est le signe de leur double intégration à la fois dans la « continuité de la poésie5 » revendiquée explicitement par Thiéfaine et dans la mise en perspective du devenir historique, telle qu’elle est réalisée avec une insistance marquée dans une œuvre qui s’attache depuis ses débuts à évoquer – fût-ce de façon délibérément détournée et provocatrice – les vicissitudes inhérentes à « l’histoire assassine6 ». Apportant un démenti implicite mais significatif à la conclusion sans appel formulée par Celan « Niemand zeugt für den Zeugen7 », Thiéfaine se révèle ainsi comme celui qui « témoigne pour le témoin » du seul fait qu’il incorpore délibérément la parole de ce dernier à son propre processus créateur, dans lequel Celan rejoint Anna Akhmatova8, Marina Tsvetaïaeva9 ou Ossip Mandelstam10 – soit précisément les figures auxquelles échoit dans son œuvre le rôle de « témoin » qu’il revendique pour lui-même. Un tel voisinage symbolique souligne aussi bien l’ampleur que la cohérence de la démarche de réappropriation réservée dans le corpus thiéfainien aux poètes « martyrs11 » – soit « témoins » selon l’acception première du terme μαρτυρος –, auxquels il faudrait encore adjoindre l’autre référence celanienne qu’est César Vallejo dont le Piedra negra sobre una piedra bianca sous-tend précisément le discours de « autoroutes jeudi d’automne12 ». La focalisation sur la réécriture des vers de Celan prend de ce fait – outre la pertinence intrinsèque de l’entreprise et les aperçus qui se dégagent de la superposition des séquences de Celan aux vers de Thiéfaine qui leur apportent un écho aussi subtil que nettement perceptible – une valeur exemplaire en tant que réponse sans appel aux visées d’occultation de la parole poétique – et/ou de liquidation de ceux qui la portent –, telles que les résume le mot d’ordre « fusillez les poètes13 » qui constitue le refrain de « demain les kids ». En œuvrant à la transmission certes indirecte et cryptée, mais néanmoins parfaitement identifiable du legs celanien, l’auteur de « en remontant le fleuve » souscrit de surcroît à une intention explicitement revendiquée de réhabilitation de la langue allemande et de l’héritage culturel véhiculé par celle-ci : Celan voisine alors avec Goethe, Schiller, Hölderlin ou Heine dans la volonté de restitution d’une « âme » à laquelle son authenticité voire sa légitimité poétique se voit déniée « à cause de la guerre » et de l’automatisme d’association – « on pense toujours aux nazis14 » – découlant du souvenir de celle-ci. Le processus de recréation se nourrit enfin de l’affinité de principe décelable entre les projets artistiques des deux poètes : le postulat celanien « Dieser Sprache geht es, bei aller unabdingbaren Vielstelligkeit des Ausdrucks, um Präzision15 » (« cette langue, malgré la multivocité [ou la permutabilité] aussi indispensable qu’indéniable de son expression, vise à la précision ») traduit la même approche de la création poétique que les déclarations de Thiéfaine insistant sur l’impossibilité de « changer un seul mot16 » au « puzzle » de ses textes, tandis que l’intention délibérée de « parler au quatorzième degré17 » commande les modalités d’élaboration du discours multivoque.
2C’est avec une évidence aussi spontanée qu’architecturalement contraignante que la dynamique de recomposition initiée par le discours de « en remontant le fleuve » – ou plus exactement par les processus associatifs qui s’accomplissent au plan implicite de celui-ci – intègre des séquences issues d’autres textes de Celan qui se retrouvent mises en réseau avec les amorces apportées par Warum aus dem Ungeschöpften, au premier rang desquelles on trouve comme on l’a précédemment signalé la formule initiale « en remontant le fleuve » et son écho direct au « flussaufwärts » présent à la fois dans le texte de Celan et dans l’épigraphe de celui de Thiéfaine. Tout aussi aisément repérable est l’identification du second hémistiche « au-delà des rapides » en tant que rappel des « Schwermutsschnellen18 » (rapides de la mélancolie) dont la mention ouvre un poème de Atemwende. Loin de se lire comme un clin d’œil supplémentaire qui aurait pour unique vocation de complexifier encore la dynamique de l’intertextualité dans son ensemble et non de la seule composante celanienne de celle-ci – notons à ce propos que le motif des « rapides » est également présent dans les deux romans qui structurent pour l’essentiel le réseau intertextuel à plusieurs étages déployé dans « en remontant le fleuve », à savoir Water Music de T.C. Boyle et Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad19 –, la recréation de la formule celanienne s’effectue à travers la redéfinition de l’intégralité de ses paramètres, dont seule subsiste inchangée la mention des « rapides » en tant que lien tangible entre les descriptions parallèles. La modification des corollaires énonciatifs dont sont dotés les « rapides » dans le texte allemand intervient en effet sur le double mode du surpassement – déductible de la substitution de « au-delà » au « à travers » représenté par le « hindurch » – et de l’occultation temporaire de la dimension mélancolique prédominante dans le composé créé par Celan, mais qui se voit déplacée vers les évocations de la seconde moitié du texte de la chanson. L’anticipation du motif amenée par l’infinitif « pleurer » de la troisième strophe – « où les dieux s’encanaillent en nous voyant pleurer20 » – est suivie de son plein déploiement dans le dernier couplet dont le second vers « au-delà des remous, de nos sanglots stupides21 » offre une nouvelle variation sur le thème des pleurs, tandis que la formule finale évoquant « la somptueuse noirceur de nos âmes en souffrance22 » intègre un rappel du sens premier d’« état d’âme » propre au vocable « Mut » à partir duquel est formé le composé « Schwermut ». La fin du texte de Thiéfaine inclut ainsi une déclinaison adéquate du terme programmatique placé par Celan en tête de son poème, les « âmes en souffrance » apparaissant victimes de la sensation même que le texte allemand définit comme « Schwermut » – même si l’on ne saurait réduire à cette seule élucidation la palette des offres sémantico-symboliques véhiculées par l’expression « en souffrance ».
3Apportant un contrepoint suggestif à la pertinence des résonances directes, la dynamique d’inversion familière aux réécritures thiéfainiennes – telle qu’elle commande dans le cas qui nous occupe la transformation du mouvement descendant du Bateau ivre en la progression vers l’amont qui sous-tend l’intégralité de « en remontant le fleuve » – figure également au nombre des paramètres de la recréation de Warum aus dem Ungeschöpften : alors que le poème de Celan esquisse avec la formulation « aus dem Ungeschöpften […] wieder hinausstehn » la possibilité d’une « sortie » d’un « incréé » pour mieux la démentir par l’incise « da’s dich erwartet, am Ende » (puisque cela t’attend, à la fin) affirmant l’inéluctabilité de la confrontation avec celui-ci, le « chaos » mentionné dans la deuxième strophe de « en remontant le fleuve » est présenté d’emblée comme le point d’aboutissement de l’itinéraire symbolique, ainsi que le détermine le vers « nous conduisons nos âmes aux frontières du chaos23 ». Signe manifeste de la précision de la réappropriation mise en œuvre par le discours énigmatique, il n’est enfin pas jusqu’au « glänzenden Spiegel der Wunde » (brillant miroir de la blessure) issu de la même séquence de Celan qui ne trouve sa place dans la constellation finale de la chanson où ce sont précisément de « furieux miroirs » qui autorisent la saisissante vision des « âmes en souffrance », resserrant encore la coïncidence de la déclinaison des composantes verbales et thématiques en dépit ou peut-être précisément en raison du décalage de présentation dicté par l’agencement spécifique du discours thiéfainien en tant que compendium en raccourci d’une série de réminiscences celaniennes, qui se voient alors prises dans une dynamique de repositionnement incessant. Le triple reflet intertextuel déclenché par l’apparition des « furieux miroirs » – qui embrasse dans un même élan discursif les uomicidiali specchi pétrarquiens, le miroir paulinien dont l’action est décrite dans la Première Épître aux Corinthiens (I, 13)24 et le Spiegel celanien – transmute ainsi la présentation réalisée au plan explicite du processus énonciatif en un corollaire symbolique de l’entrelacement intertextuel présent au niveau implicite des strates discursives, soulignant l’application littérale des prescriptions alchimiques formulées dans le texte de Celan. La « noirceur » attribuée par le texte de la chanson aux « âmes en souffrance » devient du même coup assimilable au résultat du processus de l’« œuvre au noir » dont la séquence celanienne retrace avec précision les étapes successives, l’assimilation de la « noirceur » à la dynamique de putréfaction trouvant de surcroît une double confirmation interne qui en établit pleinement la validité : si l’importance dévolue au discours de l’alchimie et la lecture jungienne de celui-ci dans le corpus des chansons ressort des fréquentes occurrences des termes spécialisés propre à cette discipline – que l’on résumera par le rappel programmatique de la sentence de Nicolas Flamel « si tu ne veux pas noircir, tu ne blanchiras pas25 » opéré dans « annihilation » –, la progression thématique et discursive de « en remontant le fleuve » est également jalonnée de vocables à forte résonance alchimique, dont le vers de la troisième strophe « jusqu’à l’extrême arcane, jusqu’à l’ultime peur26 » offre un exemple significatif. La présence des deux derniers éléments de la triade « Metallwuchs, Seelenwuchs, Nichtswuchs27 » (croissance de métal, croissance d’âme, croissance de néant) est repérable avec la même prégnance au plan implicite de la dynamique discursive, dont la première étape se termine par l’entrée des « âmes » dans une dimension équivalente à celle du néant – « nous conduisons nos âmes aux frontières du chaos / vers la clarté confuse de notre ultime écho » – tandis que la focalisation finale sur « la somptueuse noirceur de nos âmes en souffrance » apporte avec sa mise en lumière du plein déploiement auquel parviennent les « âmes » un écho direct à la polysémie de l’allemand « Wuchs », évocateur à la fois du processus de croissance et du résultat de celui-ci tel qu’il se matérialise dans la taille ou la stature atteintes.
4Un retour sur la situation initiale des protagonistes de « en remontant le fleuve » permet d’opérer un rapprochement éclairant avec la section du recueil Von Schwelle zu Schwelle (De seuil en seuil) intitulée Inselhin (Vers les îles) et plus spécifiquement avec le poème de même titre, dont la constellation préfigure celle du texte de Thiéfaine tant par le cadre de l’évocation que dans ses implications symboliques – remarquons à ce propos que la transposition de celles-ci peut aussi bien s’opérer d’entrée qu’être réservée aux endroits des séquences ultérieures s’avérant les plus propices à leur incorporation dans le continuum discursif : « Inselhin, neben den Toten, / dem Einbaum waldher vermählt, / von Himmeln umgeiert die Arme, / die Seelen saturnisch beringt ; / so rudern die Fremden und Freien, / die Meister von Eis und vom Stein : / umläutet von sinkenden Bojen, / umbellt von der haiblauen See28 » (vers l’île, aux côtés des morts, / épousant la pirogue depuis la forêt, / les bras entourés de ciels comme ils le seraient de vautours, / les âmes ornées d’anneaux de Saturne : / ainsi rament les étrangers et les hommes libres, / les maîtres de la glace et de la pierre : / entourés du signal sonore des bouées qui sombrent, / des aboiements de la mer au bleu de requin.) Au-delà du dénominateur commun que constitue la progression obstinée vers un but inatteignable – processus dont la réécriture thiéfainienne s’abstient logiquement de mentionner les modalités techniques puisque celles-ci sont propres au seul schéma celanien et ne concernent pas les deux voire trois autres hypotextes principaux –, la présence des morts aux côtés des personnages du poème allemand est à la fois occultée et intensifiée dans le contexte de la chanson par le fait que leur élimination apparente – le terme de « mort » étant absent du lexique du texte – est largement compensée voire annulée par le glissement progressif du « nous » vers la sphère de la mort. À partir d’un état initial « où sales & fatigués, sous les ombres englouties » les personnages prennent d’entrée de jeu acte de l’affaiblissement de leur énergie vitale ainsi que de leur entrée dans un univers au rayonnement mortifère, l’étape suivante « où nos corps épuisés sous la mousse espagnole / ressemblent aux marbres usés, brisés des nécropoles » voit s’accomplir l’assimilation symbolique avec les morts représentés par les statues des « nécropoles » – dépassant ainsi le seul voisinage rencontré dans les vers de Celan – avant que s’accomplisse le télescopage final de la naissance et de la mort dans le distique « jusqu’au berceau final sous les vanilles en fleur / jusqu’à l’extrême arcane jusqu’à l’ultime peur » : outre le renouvellement déjà mentionné de l’accentuation alchimique, c’est vers la séquence celanienne « wiegt ihn, wiegt ihn [den Schmerz] / das neugeborene / Nichts29 » (le néant / nouveau-né / la berce, la berce [la douleur]) que pointe la culmination oxymorique de la recréation thiéfainienne, qui transfère sur l’image même du berceau devenu lieu de la mort l’opposition établie en allemand entre le néant et le nouveau-né tandis que la douleur – ou son équivalent la « souffrance », le terme Schmerz acceptant les deux traductions en français – resurgit à la toute fin du texte en tant qu’attribut des « âmes », refermant ainsi le cercle symbolique des réminiscences celaniennes articulées autour du « voyage initiatique30 ». Si les dénominations « étrangers » et « libres » ne possèdent pas d’équivalence littérale dans le discours de « en remontant le fleuve » – dont on peut noter qu’il évite par principe toute fixation sémantique, sauf si elle peut être démentie dans le même temps par un contrepoint immédiat dont la présence conduit ipso facto à l’émergence d’un oxymore –, la pertinence de leur application aux acteurs de la chanson prend un caractère d’évidence initiale pour la première, alors que l’opportunité de la seconde se révèle essentiellement à travers le triomphe paradoxal qui se réalise dans la dernière strophe, et sur les modalités duquel on reviendra dans la suite immédiate du présent développement.
5Les notations relatives au paysage portent une empreinte celanienne tout aussi marquée qui renvoie d’abord au motif de la forêt que le « waldher » assigne dans Inselhin comme lieu d’origine au groupe des protagonistes, tandis que le renvoi au décor naturel accède dans le discours thiéfainien à la dimension d’une célébration panthéistico-cosmique « où la faune & la flore jouent avec les langueurs / de la nuit qui s’étale ivre de sa moiteur » : la dimension végétale participe à égalité avec son corollaire animal au processus d’union dont la connotation sexuelle et féminine ramène au tableau d’une « origine du monde31 » incarnée dans la pose d’odalisque dévolue à la figure de la « nuit », tandis que l’image de la sortie de la sphère sylvestre suggérée par la formulation de Celan s’inverse en celle d’une progression insistante au plus profond de celle-ci. Recréant dans un raccourci inversé l’enchaînement des poèmes du recueil Lichtzwang (Contrainte de lumière), l’étape suivante de l’itinéraire « où nautoniers des brumes, dans l’odeur sulfureuse / des moisissures d’épaves aigres & marécageuses / nous conduisons nos âmes aux frontières du chaos32 » infléchit la double évocation nocturne rencontrée dans Wetterfühlige Hand (main sensible aux variations météorologiques) – « die Moorlache weist ihr den Weg, / nachts, durch den Bruchwald. / Lumineszenz.33 » (la flaque du marais lui indique le chemin, / la nuit, à travers la forêt marécageuse. / Luminescence) – vers des aspects encore assombris – notamment du fait de l’occultation de la « luminescence » dont on aura l’occasion de repérer l’action à d’autres endroits du texte – et délibérément « délétères34 », renouvelant le traitement réservé au motif de la « brume des marais35 » déjà présent dans « les fastes de la solitude », où il apparaît significativement à la suite du rappel de la gravure de Dürer « le chevalier, la mort & le diable ». Alors que la connotation mortifère devient ici directement palpable à travers l’évidence du rappel homérique – qui place le parcours symbolique sous les auspices mêmes de la νεκυια d’Ulysse telle que la rapporte le chant XI de L’Odyssée – les termes « nautoniers des brumes » entrent également en résonance frappante avec le terme archaïque de « Ferge » retenu par Celan pour évoquer dans son poème Von Dunkel zu Dunkel (D’obscurité en obscurité) l’accomplissement d’une traversée précaire : « Wes Licht folgt auf dem Fusse mir, / dass sich ein Ferge fand ?36 » (De qui est la lumière qui me suit, / pour qu’un nautonier se trouvât ?). S’agissant précisément de la question de l’éclairage dispensé à la scène nocturne, c’est la même antinomie entre une « lumière » aléatoire et la dominance quasiment sans partage de l’« obscurité » qui commande l’organisation des polarités dans le discours de « en remontant le fleuve ». On peut ainsi remarquer que les notations celaniennes dotant les figures de « Augen, weltblind, im Sterbegeklüft37 » (Yeux, aveugles au monde, / dans les crevasses de la mort), situant leur avancée « bei verschollenem / Erdlicht38 » (sous l’évanouie / lumière de la terre), ou orientant vers « les dernières lueurs du jours39 » la direction d’un regard en quête d’un point de repère – « komentenhaft / schwirrte ein Aug / auf Erloschenes zu, in den Schluchten, / da, wo’s verglühte40 » (comme une comète, un œil fila / vers ce qui était éteint, dans les gorges, / là où mourait l’éclat) – sont embrassées dans leur totalité de leur spectre suggestif par le constat initial « où sales & fatigués sous les ombres englouties / nous fixons les lueurs d’un faux jour qui s’enfuit41 », qui renforce notablement – y compris par le parallélisme supplémentaire qui se fait jour entre les « falaises » thiéfainiennes et les « gorges » ou « crevasses » mentionnées chez Celan – la cohérence de l’ancrage référentiel établi sur le mode signalétique par le premier vers. Le même rapport de proximité suggestive avec les vers du poète allemand s’établit pour ce qui concerne la dimension de l’éveil ou de la révélation finale, telle qu’elle apparaît prise chez Celan dans un entrelacement indéfectible avec celle de la mort elle-même corrélée à celle de la perte de la lumière. Le renversement de situation qui est au cœur des vers « Wer / sagt, dass uns alles erstarb, / da uns das Auge brach ? / Alles erwachte, alles hob an.42 » (Qui / dit que tout mourut pour nous / quand notre œil s’obscurcit ? / Tout s’éveilla, tout commença.) trouve un parallèle dans la culmination à caractère doublement antinomique « nous fuyons les brouillards gris de notre impuissance / vers les feux de nos doutes, jusqu’au dernier mensonge » où l’émergence hors de la zone de perdition associée aux « brouillards » – eux-mêmes apparentés aux « brumes » de la séquence d’inspiration homérique évoquée précédemment – s’effectue sur le mode oxymoral d’une valorisation des « doutes » incarnant de fait le seul repère tangible et fiable rencontré tout au long du texte, ce dont témoigne la substitution aux « lueurs43 » de la première phase du voyage des « feux » de la séquence finale – élément visuel dont on notera par ailleurs la parfaite adéquation au domaine de la navigation. À l’inverse, la mise en exergue de la composante temporelle dans les vers de Celan, qu’il s’agisse de l’amorce paradoxale de localisation « Tief / in der Zeitenschrunde44 » (au fond / de la crevasse des temps) ou bien de la personnification allégorique du temps dotée de l’attribut symbolique de la balance – « später als früh : früher / hält die Zeit sich die jähe / rebellische Waage45 » (plus tard que tôt : plus tôt / le temps s’offre son abrupte / balance rebelle) –, se voit opposer dans le distique de Thiéfaine « en remontant le fleuve vers cette éternité / où les dieux s’encanaillent en nous voyant pleurer » l’image d’une accession – certes précaire et entachée d’une ambivalence qu’on s’abstient de détailler ici – à la dimension de l’« éternité » en tant qu’achèvement ultime et contrepoint au « berceau final ». Le déplacement de la notion de rébellion vers celle des « répugnances » lues dans leur sens primitif renvoyant au latin repugnare va de pair avec la réinterprétation de la « balance » celanienne en tant que dynamique même d’un balancement « où de furieux miroirs nous balancent en cadence / la somptueuse noirceur de nos âmes en souffrance » : le fait que la séquence finale se révèle en outre comme une nouvelle déclinaison de l’énoncé « j’endors mes cadences en instance et me balance à ta planète46 » rencontré dans « exit to chatagoune-goune » permet de prendre la mesure de la cohérence organisationnelle propre au discours thiéfainien dans lequel se révèle une concordance absolue entre le processus de mise en œuvre des éléments relevant du halo intertextuel et la dynamique de permutation qui préside à l’agencement – que l’on pourrait qualifier de spontané voire de quasi organique tant est grande l’évidence avec laquelle il s’instaure – du réseau de correspondances qui irrigue la totalité du corpus de l’auteur.
6De même que le discours de « en remontant le fleuve » surimpose la grille de lecture de provenance celanienne – dont on vient de détailler les modalités de constitution – aux schémas herméneutiques issus respectivement de Conrad, T.C. Boyle ou Rimbaud, les réaccentuations de nature plus ponctuelle sont également caractérisées par l’intégration des rappels celaniens dans un maillage intertextuel à plusieurs niveaux, dans lequel une même formulation poético-énigmatique réunit les références sollicitées tout en opérant ipso facto leur mise en perspective implicite. C’est à un décryptage à double voire triple entente – entendu qu’une telle appréciation se borne à l’appréhension de la seule dynamique de réappropriation et laisse ici de côté tous les autres constituants de l’expression multivoque – qu’invite l’intitulé « infinitives voiles » et le développement qu’il connaît au début de chacune des strophes avec le vers « infinitives voiles qui hantez mes doux rêves47 ». S’agissant d’un des rares cas où l’on dispose de précisions de première main relatives à la genèse d’une chanson, on commencera par remarquer que le récit de Thiéfaine souligne à la fois le caractère indéniablement onirique de son inspiration – « c’était le titre, ce qui rejaillissait dans le rêve tout le temps48 » – que la part prise dans celle-ci par la réapparition de « tout ce que je vois, que j’entends, que je lis49 » – « je prends des notes et à des moments j’ai des chansons qui viennent50 » –. Indépendamment de la validation qu’elle peut ainsi trouver dans les propos de l’auteur, la même conclusion s’impose de façon indéniable si l’on met en parallèle avec le vers de Thiéfaine deux séquences de Celan dont il importe de noter au préalable que malgré leur appartenance à deux poèmes différents, elles figurent cependant à la suite – voire selon les éditions exactement en regard – l’une de l’autre dans le recueil Mohn und Gedächtnis (Pavot et mémoire). L’adresse aux « infinitives voiles » renvoie en effet tout d’abord à la formule conclusive « im Endlichen wehen die Schleier51 » (dans le fini flottent les voiles) dont la réécriture s’effectue sur un mode aussi complexe que doté d’une évidence de perception immédiate, et assimilable de ce fait à la logique de l’inconscient telle qu’elle prévaut dans les créations du rêve : tandis que la dimension de l’infini se substitue au fini celanien tout en revêtant un aspect davantage évocateur d’« un monde de grammairien52 » aux propres dires de Thiéfaine, l’exploitation de l’équivoque qui s’attache en français au terme « voile » selon le genre qui lui est attribué autorise tout naturellement la redéfinition du cadre de référence au profit des « voiles » appréhendées au sens maritime et non plus vestimentaire du terme, la réécriture ainsi opérée apparaissant d’autant plus légitime que « voiles » – certes au masculin – est en soi la seule traduction possible du vocable allemand Schleier. Un complément significatif au halo celanien est par ailleurs apporté par le distique « unverhüllt an den Toren des Traumes / streitet ein einsames Aug53 » (non voilé aux portes du rêve / combat un œil solitaire) qui repose sur la même confusion délibérée entre la lecture masculine et féminine du vocable « voile » et confère sa pleine dimension au motif du rêve, tel qu’il domine la présentation récurrente des « infinitives voiles » en tant que figures « qui hantez mes doux rêves ». Le « combat » mené chez Celan par l’« œil solitaire » offre en outre une correspondance frappante avec le début du texte de Thiéfaine où le « je » se perçoit « dans le cadre inversé d’un combat sans espoir54 » – dénomination qui renvoie de façon tout aussi directe au tableau Sans espoir de Frida Kahlo avec lequel le texte de la chanson partage le décor hospitalier et l’impératif d’inversion dicté visuellement par l’attribut du miroir. Complétant l’inventaire des éléments que le processus de recomposition intègre dans la dynamique du discours thiéfainien, la notation « am östlichen Fenster55 » (à la fenêtre donnant sur l’est), dont le potentiel suggestif confère au « combat » celanien une tonalité évocatrice d’espoir – et ce malgré l’ambivalence foncière du motif de la lune qui constitue le déclencheur initial de l’évocation –, trouve un reflet dans les vers « laissez-moi décharger mes cargos migrateurs / et m’envoler là-bas vers les premières lueurs56 » par lesquels se poursuit la supplique adressée aux « infinitives voiles ».
7C’est paradoxalement une fois arrivée à son terme – et alors qu’elle semble avoir permis de retracer de façon aussi exhaustive que convaincante l’agencement de la strate intertextuelle – que la reconstitution de l’empreinte celanienne s’avère pourtant insuffisante à rendre compte de la totalité des implications signalétiques véhiculées par la formule « infinitives voiles ». La pleine appréhension de cette dernière passe en effet par l’inclusion dans le schéma exégétique de la séquence de Mallarmé évoquant au début de Un coup de dés « l’ombre enfouie dans la profondeur par cette voile alternative57 », qui apparaît au même titre que le modèle celanien comme une préfiguration de l’expression thiéfainienne. Les « infinitives voiles » voient en effet se rencontrer dans une double redéfinition le « fini » qui constitue chez Celan le domaine d’existence des « voiles » – on ne revient pas sur le basculement de la traduction vers la seconde acception française du terme – et le procédé de dérivation-suffixation qui régit la construction de l’adjectif utilisé par Mallarmé, la réaccentuation inversée de l’élément sémantique issu du texte de Celan se combinant avec le profil acoustico-verbal de l’épithète mallarméenne. Notons au passage que Thiéfaine se réfère expressément à Mallarmé en tant que « bel exemple » de la « densité » ou du « concentré » qu’il recherche lui-même dans l’expression poétique, que ce soit en tant que « grand amateur de poésie » dont « [l’]éventail de lecture est large » ou en tant qu’auteur de textes où « chaque mot doit avoir sa réserve d’images58 ». Outre la confirmation indirecte apportée par ces propos au postulat d’une double résonance intertextuelle, ce dernier trouve une validation directe dans le processus même de reformulation qui s’effectue dans les deux cas de façon similaire, dans la mesure où le rappel mallarméen présente la même double articulation que son corollaire celanien et prend part au même titre que celui-ci à la dynamique d’élaboration du texte de Thiéfaine. Comme c’est déjà le cas pour le rôle de pivot que revêt dans la réécriture des séquences de Celan l’équivoque inhérente au vocable « voile », c’est en effet la confusion homophonique suscitée par le vers « retrouver l’équation de mon ombre inconnue59 » – qui s’entend tout aussi légitimement comme « retrouver l’équation de mon nombre inconnu » compte tenu de la priorité qui revient ici à l’appréhension par l’oreille – qui laisse transparaître la superposition – ou plus exactement l’entrelacement polyphonique – de la mention initiale de « l’ombre » et du vers « l’unique Nombre qui ne peut pas / être un autre60 » : dans la mesure où elle consiste en la réunion de deux amorces a priori étrangères l’une à l’autre – n’était leur parenté acoustique évidente et le fait qu’elles figurent à peu de distance l’une de l’autre dans le texte d’un même poème –, la seconde « signature » mallarméenne repérable dans « infinitives voiles » témoigne de façon éloquente – et ce d’autant plus qu’elle est entièrement cryptique – de la différence de principe entre la poésie du Coup de dés dont l’architecture se déploie de façon privilégiée dans le cadre spécifique de la « page blanche » et la création du « poète de scène61 » qui comporte une large part d’indifférenciation sémantico-grammaticale en dépit de la fixation apportée a posteriori par la version écrite du texte – cette dernière restant d’ailleurs modifiable en fonction des possibilités de « mutabilité et permutation » régulièrement prises en compte par l’auteur. La dynamique de l’intertextualité se charge ici d’une connotation poétologique qui enrichit à son tour le plan sous-jacent du discours, où Thiéfaine – en manière de corollaire à sa réfutation implicite de l’exigence de transparence absolue caractéristique de l’écriture de Mallarmé – rejoint à nouveau Celan par sa pratique d’une parole « schizoïde et bifide62 », qui reflète idéalement l’impératif « Sprich – / doch scheide das Nein nicht vom Ja. / Gib deinem Spruch auch den Sinn : / gib ihm den Schatten.63 » (Parle – / Mais ne sépare pas le non du oui. / Donne aussi le sens aux paroles que tu prononces : / donne-leur l’ombre.) énoncé dans Von Schwelle zu Schwelle (De seuil en seuil). Au-delà de l’évidence de son adhésion au postulat de l’expression multivoque – caractéristique qu’il partage avec la totalité du corpus thiéfainien et qui n’est bien évidemment pas imputable à la seule relecture de Celan –, le texte de « infinitives voiles » renforce et spécifie encore la résonance celanienne dans la mesure où il fait précisément de la mention de « l’ombre » le vecteur privilégié du brouillage sémantique. « l’équation de mon ombre inconnue » se voit ainsi élevée au niveau d’un véritable pré-requis poétologique, dans lequel la conception jungienne de « l’ombre » en tant que part inconsciente de la psyché – soit le complément archétypique et inversé du « je » que ce dernier définit à juste titre comme son « double ivre & blasphémateur64 » – se rencontre avec l’injonction celanienne appelant à l’union de « l’ombre » et du « sens » au sein du processus de verbalisation poétique.
8À côté des exemples que l’on vient d’évoquer ici et qui témoignent de la continuité de l’empreinte celanienne telle qu’elle se manifeste tout au long d’un texte de Thiéfaine – donnant naissance à un discours parallèle et doté d’une quasi-autonomie référentielle dont il s’agit alors de retracer le déroulement –, une seule formule au profil évocateur suffit fréquemment à établir la présence du substrat celanien ainsi que la densité suggestive du rapport qui s’instaure au plan cryptique entre celui-ci et sa réaccentuation thiéfainienne. Un exemple marquant d’une telle réappropriation à l’échelle microcosmique est fourni par le quatrain « scandale mélancolique / sentiments discordants / le parme des colchiques / rend le ciel aveuglant65 » sur lequel s’ouvre la chanson « scandale mélancolique », qui donne elle-même son titre à l’album sur lequel elle figure. S’il va de soi que la mention des « colchiques » et le renvoi ultérieur à « la galeuse féerie / des crépuscules d’automne » orientent d’abord la description du réseau intertextuel vers la chanson populaire Colchique dans les prés et surtout vers la réécriture à l’ambiguïté troublante qu’en offrent les Colchiques d’Apollinaire – dont le début « Le pré est vénéneux / mais joli en automne / les vaches en y paissant / lentement s’empoisonnent66 » est doté de la même aura à la fois séductrice et mortelle dans la restitution en raccourci qu’en réalise le parcours thiéfainien conduisant « de vénéneux parfums / en chimériques errances67 » –, il est toutefois patent que la référence aux Colchiques – qu’il s’agisse de la spontanéité naïve de l’expression populaire ou de l’élégance morbide qui émane de la variation d’Alcools – n’épuise nullement la complexité de l’entrelacement cryptique, puisque l’inventaire des constituants de « la beauté destructive68 » ne parvient à un niveau acceptable d’exhaustivité – sans oublier cependant qu’une réminiscence supplémentaire de provenance encore inexplorée ou inaperçue est toujours susceptible de venir s’y adjoindre – qu’à condition d’y inclure la réécriture virtuose – et impressionnante d’intensité poétique – que réserve le discours thiéfainien au premier vers de Erinnerung an Frankreich (Souvenir de France) « der Himmel von Paris, die grosse Herbstzeitlose…69 » (le ciel de Paris, le grand colchique d’automne). En éliminant l’amorce de comparaison impliquée chez Celan par la structure appositionnelle, la formulation thiéfainienne « le parme des colchiques / rend le ciel aveuglant » confère aux « colchiques » – et de fait moins à ceux-ci qu’à leur couleur qui se voit directement susbtantialisée par le processus énonciatif – une dominance absolue qui se déploie tout autant au plan terrestre que céleste, ravalant ainsi le « ciel aveuglant » au rang d’un phénomène dérivé appréhendé comme un simple reflet de l’éblouissement initial. Le clin d’œil à Celan est par ailleurs intégré au même titre que le rappel apollinairien dans le spectre du « scandale mélancolique » qui embrasse la totalité du texte, et dont la variété des constituants – qu’on s’abstient bien évidemment d’énumérer ici – est ramenée dans l’intitulé énigmatique à un dénominateur commun à valeur programmatique, dont la double accentuation philosophique fixe l’orientation tant de la chanson elle-même que de l’album à laquelle elle donne aussi son nom. On se contentera de signaler à ce propos que la sollicitation de la référence mélancolique s’inscrit dans le prolongement assumé de l’archétype fondateur de toute réflexion sur le sujet qu’est le XXXe Problème d’Aristote70 – dont l’exploration du rapport d’affinité qui existe entre mélancolie et génie forme dans la suite de l’album la matrice des « confessions d’un never been » – tandis que la dénonciation du « suprême scandale » qui réside dans la finitude d’une existence condamnée d’emblée à la « mort » renouvelle – avec une immédiateté saisissante si l’on prête l’oreille à l’intensité expressive qui régit la déclamation du refrain – la conception camusienne de la « révolte » qui « crie » et « veut que cesse et que se fixe enfin ce qui jusqu’ici s’écrivait sans trêve sur la mer71 ».
9C’est à un double décryptage tout aussi fascinant – et dont on a déjà détaillé un des aspects dans un précédent article de LOXIAS72 – qu’invite le rappel du siège de Sarajevo contenu dans « crépuscule – transfert » – qui « aurait pu s’appeler Sarajevo – transfert73 » et dont le contexte d’écriture est à nouveau relaté avec précision dans les concerts de la tournée anniversaire de l’automne 201874. La conclusion en forme d’adresse au personnage principal culmine dans une question rhétorique au fort impact énigmatico-suggestif, dont l’élucidation passe tout d’abord par l’identification des connotations associatives qui s’en dégagent : « à quoi peut ressembler ton spleen / ton désespoir et ton chagrin / vus d’une des étoiles anonymes / de la constellation du chien ?75 » Le recours à la signification symbolique attribuée à la « constellation du Chien » par Romain Gary s’impose ici – outre le rôle central de « bon pédagogue » qui revient à l’écrivain dans le parcours de Thiéfaine du propre aveu de celui-ci76 – dans la mesure où la mention de la constellation en question correspond dans le texte de La Tête coupable à un raccourci imagé résumant toutes les tendances au mal et à la destruction inhérentes à l’espère humaine, tout déroulement historique s’accomplissant ainsi « pendant que la constellation du Chien continuait son règne imperturbable77 », soit dans l’attente sans cesse déçue « que s’éteignît dans le ciel la constellation du Chien et que finît le règne de sa loi sur terre78 ». La validité intrinsèque de l’éclairage apporté à la formulation thiéfainienne par la référence à Gary est d’ailleurs renforcée par le rapprochement du refrain de la chanson « enfant de la haine, que ta joie demeure79 » avec la remarque émise à propos des « chiens » dans la suite du passage cité de La Tête coupable « ils crucifiaient à droite et à gauche, pourvu que leur joie demeurât80 ».
10Tout aussi saisissant – et d’importance également déterminante pour l’agencement de la « céramique81 » du discours énigmatique – s’avère l’écho apporté par l’évocation thiéfainienne de la « constellation du chien » aux vers « Vom / Sternbild des Hundes, vom / Hellstern darin und der Zwerg- / leuchte, die mitwebt / an erdwärts gespiegelten Wegen82 » (à propos de / la constellation du chien, de l’ / étoile claire qui s’y trouve et du flambeau / nain, qui tisse lui aussi / la trame des chemins reflétés vers la terre) par lesquels débute chez Celan le long poème Und mit dem Buch aus Tarussa (Et avec le livre de Tarussa). Alors même que l’exergue empruntée à Marina Tsvetaïeva « Tous les poètes sont des youtres » témoigne de la barbarie commune aux deux totalitarismes nazi et stalinien – thème qui est aussi celui développé par Gary et qui est présent de façon récurrente chez Thiéfaine, de « 113e cigarette sans dormir » paru en 1981aux créations récentes que sont « Karaganda (Camp 99) » ou « le temps des tachyons » –, le recours à ce passage de Celan dans le contexte historique propre à « crépuscule – transfert » rend tangible la permanence des idéologies destructrices en dépit des transformations de leur habillage de surface. Loin de se limiter à la seule recréation de la « constellation du chien », le filigrane aux ramifications multiples qui transparaît derrière le texte de la chanson intègre dans sa structure référentielle d’autres éléments de l’énumération celanienne, à commencer par celui qui présente le poème comme traitant « von Südlichem, fremd / und nachtfasernah83 » (à propos de ce qui vient du Sud, étranger / et proche par fibre nocturne) : la séquence est en effet porteuse d’un quadruple parallèle avec le texte de Thiéfaine que sa localisation « sur des ruines en Bosnie84 » – pour reprendre les termes utilisés dans une chanson possédant la même accentuation thématique – rattache par définition aussi bien au « Sud » de l’Europe – dimension présente jusque dans le nom même de l’ex-Yougoslavie en tant que pays des « Slaves du Sud » – qu’à l’« étranger », tandis que la « fibre nocturne » évocatrice du souvenir, de la mélancolie ou de la mort est à l’origine de la proximité et de l’empathie avec la victime de « l’histoire assassine85 » apostrophée en tant que « tu ». La généalogie problématique « mit / der auf der Hyänenspur rückwärts, / aufwärts verfolgbaren / Ahnen- / reihe86 » (avec la lignée / des ancêtres / que l’on peut remonter, / suivre à reculons sur la trace de la hyène) dévoilée dans la suite des vers de Celan est enfin l’occasion d’une réaccentuation qui plonge également dans les ténèbres d’un passé archétypique, mais dont l’ambivalence aussi inattendue qu’irréductible aggrave encore le verdict d’irréparabilité déjà suggéré par le texte allemand : « dans les dédales vertigineux / et séculaires de ta mémoire / tu froisses un vieux cahier poisseux / plein de formules d’algèbre noire ». La persistance de la focalisation sur le « tu » – présenté jusqu’ici dans une position « d’impuissance87 » et dont se dévoile in extremis le lien immémorial avec une alchimie meurtrière – finit par remettre en question l’apparente évidence de la constellation initiale et l’intangibilité de la répartition des rôles entre bourreaux et victimes qu’elle suggère : le legs commun constitué par la participation à l’élaboration des processus destructeurs fait de chaque être humain un « enfant de la haine » ou un « enfant de la peur88 », et ce quelle que soit la position d’oppresseur ou d’opprimé dans laquelle il se retrouve à un moment donné de l’histoire. En passant de la fonction d’incipit qui est la sienne chez Celan à celle de conclusion cinglante que lui réserve la chanson – dont l’agencement resserré et profilé à l’extrême contraste avec l’enchaînement rhapsodique qui prévaut dans le poème allemand –, la « constellation du chien » voit sa dominance confirmée de façon définitive, le décalage subtil de présentation l’élevant au rang de véritable quintessence du texte de Thiéfaine. Notons à ce propos que la répétition finale du refrain est supprimée dans les concerts de la tournée En solitaire de 2004-2005 ainsi que lors de la tournée anniversaire de 2018-201989, laissant réellement le dernier mot à « la constellation du chien ». Par le fait même qu’ils suscitent un au-delà de l’hypotexte celanien qui se voit ainsi aboli au sens hegelien du terme, le double ancrage herméneutique de la formule-clé – lisible avec une égale légitimité en tant que rappel garyen ou que réappropriation celanienne – et l’inversion inopinée des polarités d’appréciation qui se révèlent soumises à une fluctuation incessante accomplissent à la lettre le postulat d’une « Unlesbarkeit dieser / Welt. Alles doppelt90 » (illisibilité de ce / monde. Tout est double) tout en l’infléchissant vers la réalisation assumée d’une lisibilité multiple, dont la nature de « kaléidoscope91 » équivaut à un transcendement permanent de la duplicité signalée par Celan.
11En adéquation avec le postulat sous-jacent d’une multivocité permanente et applicable à tous les niveaux du processus énonciatif, la technique de réappropriation qui commande la réalisation de la « céramique » évoquée plus haut – ou de la « menuiserie92 » sollicitée dans un autre entretien – opère régulièrement non pas par le biais d’une réécriture linéaire embrassant de bout en bout l’intégralité d’une séquence – celle-ci fût-elle de dimensions limitées –, mais bien plutôt à l’échelle réduite du fragment de vers ou de la formulation extraite de son contexte, renouvelant sur un mode aussi accompli que jubilatoire le procédé d’élaboration propre au centon de l’Antiquité tardive93. La réaccentuation s’effectue alors par le biais de la réunion des amorces fragmentaires issues du morcellement des séquences d’origine, permettant à celles-ci de se répondre dans un entrelacement inédit qui en révèle des aspects insoupçonnés. L’image des secrets intimes que les fenêtres renvoient « ins gallertäugige Drüben94 » (« vers l’Autre-côté aux yeux de gélatine ») se combine ainsi avec la déclaration d’intention « Ich lotse dich hinter die Welt, / da bist du bei dir95 » (Je te pilote jusque derrière le monde, / là tu es avec toi) pour donner naissance à l’apostrophe « pilote aux yeux de gélatine96 » adressée au personnage de la « sweet amanite phalloïde queen » dépeinte dans la chanson de même titre. Alors même qu’elle n’apporte à première vue aucune modification au contenu sémantique évoqué par les deux auteurs, la substitution de la formulation nominale « pilote » à la forme conjuguée « je pilote » utilisé par Celan apparaît comme le principal moteur de la dynamique de réécriture, ouvrant la voie à la sollicitation « à rebours97 » du sensus etymologicus utilisé dans sa fonction récurrente de constituant privilégié du discours thiéfainien : c’est en effet par la transposition au français de l’équivoque induite par le terme grec ηγεμονεια – dont les deux acceptions de « pilote » (ou « conductrice ») et de « maîtresse » se superposent quand il est appliqué à la déesse Artémis – que s’élucide l’application du terme de « pilote » à la figure féminine. Signalons en passant que l’aura divine qui vient par ce biais nimber cette dernière trouve un parallèle dans la reproduction sur le mode « phalloïde » et botanico-sexuel de la constellation biblique issue du Livre des Rois et dont les protagonistes sont Jézabel – soit la « sweet amanite queen » en tant que reine des Ammanites ou du pays d’Amman – et Achab – soit le « cap’tain Macchab’98 » ainsi que se désigne lui-même le protagoniste, dans lequel se réincarne aussi le capitaine Achab du Moby Dick de Melville –99.
12Il faut remarquer ici que la transformation en profondeur du schéma celanien, telle qu’elle se profile derrière l’apostrophe « pilote aux yeux de gélatine », va manifestement de pair avec la quasi-littéralité des renvois aux séquences allemandes, dont la réaccentuation radicale résulte de la seule redéfinition de leur cadre référentiel. Une fois accomplie la substantivation du terme « pilote » en tant que modification d’ordre purement grammatical, l’élimination des fenêtres – qui conditionne la fusion des deux amorces celaniennes et l’intégration du « pilote » dans le nouvel énoncé – laisse intacts les « yeux de gélatine », que leur seule réattribution à la figure féminine suffit cependant à doter d’un spectre associatif extrêmement différent de celui suggéré par le texte allemand. Dans la mesure où il souligne la parenté de la « gélatine » avec l’adjectif latin gelidus, le recours au sensus etymologicus établit la pertinence de la lecture « au regard gelé » ou « glacé » dont la suite du texte révèle la totale adéquation avec la figure de « la reine aux désirs écarlates100 » et sa prédilection pour « la séance de torture101 », renforçant ainsi la transformation du « pilote » en « maîtresse » et de façon générale la plausibilité d’une lecture sado-masochiste de la chanson. Un contrepoint décisif à cette possibilité de fixation sémantique est cependant déductible de la connotation macabre de la « gelée » ou de la « gélatine » en tant que résultat du processus de décomposition – dimension qui affleure dans le « gallertäugig » de Celan en tant que citation indirecte du vers « dein Aug da starrt mich an und seins ist Gallert102 » (ton œil me fixe et le sien est de la gélatine) de l’Elektra de Hofmannsthal et Richard Strauss, où l’image est utilisée par l’héroïne convaincue de la mort d’Oreste pour reprocher au porteur de cette nouvelle d’être encore en vie alors que son frère n’est plus. Les « yeux de gélatine » de la figure féminine apparaissent alors tout naturellement susceptibles d’exercer une attraction irrésistible sur le « cap’tain Macchab » dont le nom suggère une affinité directe avec la mort – abstraction faite de la possibilité alternative de réinterprétation sous l’angle sexuel qui transforme la scène en rencontre du « mac » et de la figure placée à la tête du « vieux satellite-usine103 », dont le premier couplet de la chanson décrit – au plan latent du discours s’entend –le mode de fonctionnement avec une précision sans faille.
13Le fait que l’acception macabre des « yeux de gélatine » invite au rapprochement avec les « yeux de momie104 » de la « reine noire » invoquée dans « retour vers la lune noire » sert ici de point de départ à l’exploration de l’empreinte celanienne propre à ce dernier texte, et dont la richesse et la diversité frappent d’autant plus que le processus de recomposition intègre dans sa dynamique intrinsèque la totalité des accentuations apportées par les différentes amorces, révélant par là même les rapports sous-jacents entre celles-ci qui préexistent dans le corpus celanien à la mise en réseau sous forme comprimée – et faisant totalement abstraction de leur contexte d’origine – à laquelle elles donnent lieu dans la recréation thiéfainienne. Tout aussi décisif pour la technique de réécriture apparaît cependant l’aspect opposé à la tendance ainsi décrite, soit la déconstruction implicite d’une séquence allemande donnée dont les constituants se voient répartis sur plusieurs endroits du texte de la chanson. C’est d’ailleurs par ce dernier cas de figure que va débuter l’investigation des réminiscences réunies au plan sous-jacent de « retour vers la lune noire » : en adéquation avec l’accentuation dionysiaque qui prédomine tout au long du texte, la séquence « Dein Uhrengesicht, / von Blaufeuern über- / lagert, / verschenkt seine Ziffern105 » (ton visage d’horloge, / recouvert de flammes bleues, / fait don de ses chiffres) – dans laquelle on est tenté d’appréhender la matrice des strophes de Thiéfaine et sur laquelle on aura donc l’occasion de revenir dans la suite immédiate des présentes lignes – fait l’objet d’un démembrement radical qui laisse subsister d’un côté l’image isolée des chiffres désormais explicitement associés aux yeux de la figure féminine – « dans tes yeux cramoisis aux chiffres mentholés / j’aperçois le killer de tes amours vaudou106 » –, et de l’autre la mention de l’horloge à la fois intensifiée par sa multiplication et annihilée par la dynamique de destruction générale qui se déploie précisément « sous les horloges en flammes aux aiguilles torpillées107 » – dont la mention dans le prolongement direct des « souvenirs-damnation dans tes yeux de momie108 » réitère indirectement l’affirmation du lien entre le motif des yeux et celui de l’horloge, laissant à nouveau de côté la notion de visage privilégiée par Celan. À la différence de ce qui se produit dans le texte allemand où les « chiffres » apparaissent davantage comme un élément flottant de l’évocation du visage, la focalisation sur le motif des yeux opérée dans la strophe de Thiéfaine entraîne le rattachement explicite à ces derniers des « chiffres mentholés » dont la coloration verdâtre vient à point nommé compléter la constellation lunaire et féline, telle que Baudelaire en fixe définitivement les contours dans son poème en prose Les Bienfaits de la lune109. On remarquera ici que si la dimension « féline » reste latente ou plus exactement cantonnée au seul niveau de l’un des hypotextes de « retour vers la lune noire », elle accède en revanche à une littéralité de plein droit dans l’une des déclinaisons suivantes du Bonheur de la tentation, à savoir dans « bouton de rose » où la figure féminine se voit décerner les attributs « clean / si fine / féline / féminine110 ». Anticipant – et concentrant à nouveau sur la sphère oculaire – les indicateurs de destruction et de meurtre développés ensuite dans la mention du « killer », le qualificatif « cramoisis » appliqué aux « yeux » fait resurgir l’image saisissante de la « Halbe Nacht » (moitié de la nuit) se présentant « Mit den Dolchen des Traumes geheftet in sprühende Augen111 » (Avec les poignards du rêve plantés dans des yeux étincelants) : si l’occultation passagère de la dimension du « rêve » est largement compensée dans la suite de la chanson – où sa mise en lumière s’effectue comme on va le voir à travers une nouvelle série de rappels celaniens –, la connotation sanglante dévolue aux yeux se double de l’intériorisation du geste meurtrier désormais lisible dans les yeux du personnage et non plus survenant du dehors, et dont la reconstitution confère leur pleine visibilité tant au « killer » en action qu’à ses supposées victimes, les yeux devenant eux-mêmes le « théâtre de la cruauté112 » au lieu d’en être la cible. Le changement de perspective au profit de la perception en reflet régulièrement sollicitée par Thiéfaine – « reflets de flammes en fleurs dans les yeux du cheval113 » – apparaît ici comme un facteur capital dans la réorientation de la stratégie discursive, dans la mesure où il réalise d’emblée l’introduction latente de la thématique des miroirs dont on va ultérieurement constater l’importance essentielle – y compris sous l’aspect de la mobilisation des rappels celaniens lors de son exposition –, tout en offrant en sous-main une élucidation a priori – et risquant de ce fait de se voir quasi automatiquement rejetée par l’auditeur de par son évidence même – de la formulation « dans tes miroirs114 » répétée dans le refrain.
14Loin de se voir éliminé de l’arsenal discursif, le motif du rêve dont on vient de constater l’absence dans la présentation de la figure centrale se déploie pleinement dans la séquence de la deuxième strophe « ivresse des tambours fous, rêves creusés dans tes draps / de magnolias froissés au soleil noir flambant115 ». Le « soleil noir » de provenance nervalienne – qu’on songe ici au rôle central dévolu au personnage de « nerval116 » dans « le jeu de la folie » – et également revendiqué par Celan via sa traduction des vers de Mandelstam « Sonnen, schwarz, die sich entfachen / vor Jerusalem117 » (Soleils, noirs, qui s’allument / devant Jérusalem) apparaît dans la propre création du poète de langue allemande dans une variante dont le contexte évocateur d’un pogrom retient l’attention par sa proximité tangible avec l’atmosphère des « nuits guet-apens118 » – le terme étant pris dans son seul sens premier à l’exclusion des options exégétiques alternatives qu’on ne peut détailler ici – qui règne dans les vers de Thiéfaine : la séquence « O Eis von unirdischer Röte – es watet ihr Hetman mit allem / Tross in die finsternden Sonnen119 » (O glace à la rougeur qui n’est pas de cette terre – leur hetman patauge avec toute sa / suite en direction des soleils qui s’assombrissent) allie à la peinture de l’assombrissement des soleils le tempo d’une poursuite effrénée aux conséquences sanglantes, telles qu’elles sont impliquées mutatis mutandis par la « santeria-guérilla120 » mentionnée au début de la même strophe de la chanson. L’infléchissement du rêve vers la dimension du cauchemar, telle qu’elle découle de l’omniprésence d’une « ivresse » dionysiaque – et ne présente cependant qu’une seule des faces antagonistes du phénomène onirique dont on va ultérieurement compléter la description – est à nouveau sous-tendue dans son déroulement par la succession des séquences celaniennes ou plus exactement de leur déclinaison fragmentaire. Le distique « Aber der Haldengott / rührt seine dumpfeste Trommel121 » (Mais le dieu du crassier / bat son tambour le plus sourd) trouve un écho significatif dans l’arrière-plan sonore des « tambours fous » où seule change la divinité tutélaire – qui reste invisible dans le texte de Thiéfaine, où les tambours et de façon générale tous les constituants du discours semblent doués d’une vie propre qui rend superflu le recours à un verbe, l’accumulation des formules nominales suffisant à rendre compte de la violence de l’impact traumatique. Le souvenir de la métamorphose animale revêtue par le rêve dans les vers « in Gestalt eines Ebers / stampft dein Traum durch die Wälder am Rande des Abends / […] und erfüllt das Gehölz mit grunzendem Schicksal122 » (sous la forme d’un sanglier / ton rêve piétine à travers les forêts à l’orée du soir / […] et remplit les fourrés d’un destin qui grogne) affleure à travers l’image multivoque des « rêves creusés dans tes draps123 » ainsi que dans la sauvagerie imputable à la « santeria-guérilla » citée plus haut. La série des rappels celaniens axés sur le motif du rêve inclut enfin la sentence « Aus fernem, aus traumgeschwärztem / Hain weht uns an das Verhauchte, / und das Versäumte geht um, gross wie die Schemen der Zukunft.124 » (Venu du bois lointain / noirci par le rêve, l’exhalé nous envoie son souffle, / et l’omis hante la place, grand comme les spectres de l’avenir) et la double réappropriation qui lui échoit dans le discours thiéfainien : le « vent d’hôpital-fantôme dans tes nuits guet-apens125 » fait plus spécifiquement resurgir tant l’évocation du souffle qui parcourt le paysage que la présence « fantôme » décelée par le texte allemand, tandis que l’ensemble de la strophe – pour ne pas dire de la chanson – semble faire sienne la qualification de « traumgeschwärzt » dont le rayon d’action explicite se limite chez Celan au seul bosquet. Les notations relatives au déroulement temporel et notamment l’opposition entre le passé et l’avenir autour desquelles s’articule la séquence celanienne restent par contre exclues du processus de réaccentuation dont la logique de sélection se focalise sur les seuls éléments en rapport direct avec la thématique de la « lune noire » et l’aura associative qui s’y rattache, et dont ne saurait relever le cas échéant qu’une vision cyclique du temps et non pas l’appréhension linéaire de celui-ci déductible de la séquence allemande.
15Malgré le caractère nettement plus diffus de la résonance qu’elle éveille dans le discours thiéfainien, on se doit d’ajouter au nombre des matériaux celaniens détectables dans le discours de « retour vers la lune noire » la strophe « Die Doggen der Wortnacht, die Doggen / schlagen nun an / mitten in dir : / sie feiern den wilderen Durst, / den wilderen Hunger… / Ein letzter Mond springt dir bei : einen langen silbernen Knochen / – nackt wie der Weg, den du kamst – / wirft er unter die Meute, / doch rettets dich nicht126 » (les dogues de la nuit des mots, les dogues / ils aboient maintenant / au beau milieu de toi-même : / ils célèbrent la soif plus sauvage, / la faim plus sauvage… / Une dernière lune te vient en aide : / un os long, argenté / – nu comme le chemin par lequel tu es venu – / elle le jette dans la meute, / mais cela ne suffit pas à te sauver). C’est désormais le sens étymologique du « guet-apens » en tant que désignation d’une « pensée sur le qui-vive » qui place directement les « nuits guet-apens » aux côtés de la « Wortnacht » celanienne, tout en substituant l’image d’une méditation nocturne et marquée par l’insomnie à la dimension verbale soulignée dans le terme composé allemand. Ce dernier aspect rencontre toutefois un écho direct dans « annihilation » – qui met en scène les « diet-nazis » en tant que successeurs actuels de leur modèle hitlérien – où le refrain « qui donc pourra faire taire les grondements de bête / les hurlements furieux de la nuit dans nos têtes / qui donc pourra faire taire les grondements de bête ?127 » redéfinit l’assaut de la meute déchaînée des dogues128 dans les termes d’une dynamique d’intériorisation davantage appropriée à la situation du « je » saisi dans la solitude de ses « vigiles129 » et cultivant sa « schizo130 ». La présence de la « dernière lune » suffit par ailleurs à établir l’appartenance des vers cités au halo associatif de la chanson ainsi que la pertinence de sa « sélection » dans le processus d’écriture, étant entendu que le caractère conscient/intentionnel ou non de la réminiscence reste étranger aux préoccupations de l’analyste du discours pour peu que puisse être tenue pour acquise – comme c’est à l’évidence le cas ici – une connaissance directe de l’œuvre qui apparaît faire l’objet de la recréation. Une proximité analogue se dessine ainsi entre la culmination de la strophe finale « sous les ogives en fleurs de tes soirs-halloween131 » et les vers de Celan évoquant « die fastnachtsäugige Brut / der Mardersterne im Abgrund132 » (l’engeance aux yeux de carnaval / des étoiles-martres dans l’abîme) : alors que l’une au moins des acceptions des « ogives » est directement assimilable aux émanations de l’abîme – le vers cité ici déclinant sous forme de variation poético-musicale la précédente localisation de la scène « sous les horloges en flammes aux aiguilles torpillées133 » dont il conserve le profil discursif –, l’équivalence sous-jacente qui réunit – à travers l’alliance paradoxale d’une mort et d’une résurrection symboliques – les deux festivités respectivement mentionnées par Thiéfaine et Celan reçoit en outre une confirmation explicite dans le vers de « la nuit de la samain » présentant Halloween comme un « carnaval souterrain134 » dont il s’agirait idéalement de détailler les implications sous-jacentes, mais dont on peut cependant noter a minima qu’il rejoint l’abîme celanien par le biais de l’adjectif épithète – à la fois constituant récurrent du lexique thiéfainien et élément essentiel d’une réécriture en cut-up qui embrasse dans un rapprochement oxymorique le « carnaval » et « l’abîme » encore disjoints chez Celan.
16S’ajoutant aux aspects mortifères de l’exaltation dionysiaque qu’on a soulignés jusqu’ici, la « beauté destructive135 » émanant de la séquence « ivresse des tambours fous, rêves creusés dans tes draps / de magnolias froissés au soleil noir flambant136 » exhale une attractivité érotico-sexuelle dont les principaux constituants – soit la couleur noire, les magnolias et l’accentuation lunaire – dessinent une constellation dont on remarque la préfiguration dans les vers de Celan célébrant « die dir zugewinkte / Stille von hinterm / Schritt einer Schwarzen. / Ihr zur Seite / die / magnolienstündige Halbuhr / vor einem Rot, / das auch anderswo Sinn sucht – / oder auch nirgends.137 » (le silence qui t’est demandé par un signe / par le pas derrière toi / d’une Noire. / À ses côtés / la / demi-horloge aux heures de magnolias / devant un rouge / qui cherche ailleurs aussi du sens / ou nulle part aussi). Signalons avant d’aller plus avant dans l’analyse de la réécriture que la triade des renvois celaniens est sollicitée dans le discours de la chanson d’abord en tant que système de repères verbaux ou « balises138 » de la nouvelle disposition qui s’établit à partir du matériau verbal allemand et non sur le plan du contenu propre de l’évocation d’origine, qui peut être laissé de côté dans la mesure où il ne nourrit aucunement la dynamique de recomposition essentiellement basée sur l’aura propre aux seuls « mots139 ». L’aura de séduction qui se dégage chez Celan de la figure féminine dont seul est perçu le pas se voit entièrement transposée chez Thiéfaine aux « draps » dont la mention suffit à anticiper l’accomplissement sexuel, et qui constituent désormais le centre de gravité de la scène puisqu’ils attirent à eux les « magnolias » pour lesquels la qualification de « froissés » – dont l’appartenance aux « draps » fait carrément apparaître comme un fait accompli la promesse de rapprochement physique. Il importe de remarquer à ce propos que les « rêves creusés dans tes draps » se chargent alors d’une signification opposée à celle que fait surgir l’analogie avec la chasse ou la poursuite dont on a décrit plus haut la provenance, du moins pour ce qui est de sa dimension celanienne. Ainsi se confirme la permanence de l’oscillation sémantico-symbolique décelable jusqu’au cœur du « jeu » intertextuel – le terme étant pris au sens que lui donne Roland Barthes dans Le Plaisir du texte140 –, et qui trouve un aliment de choix dans la multiplicité des accentuations présentes dans la sélection opérée dans le corpus celanien. On signale à ce propos que la pertinence et la densité de celle-ci – qui se joue avec une faculté de resserrement virtuose des divergences et des antagonismes inhérents aux différentes séquences intégrées dans la dynamique de recréation – incitent à la considérer comme ciblée quelles qu’aient pu être les circonstances de son élaboration, l’éventualité d’une restitution-reconstitution inconsciente n’obérant en rien la cohérence absolue de la redisposition.
17Le dénominateur commun constitué par la couleur noire constitue enfin le point de départ de la métamorphose de la « Noire » présente dans le poème allemand en « reine noire » qui incorpore à l’incarnation de la féminité celle de la dimension lunaire, réunissant ainsi les deux accentuations réparties chez Celan entre la figure féminine et la « demi-horloge » – notons que la « lune noire » de Thiéfaine ne saurait être que pleine, délaissant l’apparence tronquée dévolue ici à la lune pour rejoindre le « visage-horloge » évoqué plus haut. L’élévation de la figure au rang de « reine noire » s’effectue sur le modèle du nigra sum sed formosa du Cantiques des cantiques, prolongeant symboliquement les références à la judéité introduites par Celan dans ses poèmes à travers la recréation en filigrane de la constellation biblique qui réunit Salomon et la reine de Saba141.
18Les mêmes « balises » celaniennes dont on vient de préciser le fonctionnement jalonnent le discours de « your terraplane is ready Mister Bob ! » dont le protagoniste se remémore les étapes antérieures de sa vie amoureuse : « déjà les filles du silence / aux magnolias en fleurs / se jouaient de ma patience / en me moissonnant le cœur142 ». La réminiscence qui s’articule autour de la pluralité des figures féminines et de son association immédiate aux magnolias est dotée d’un potentiel érotico-sexuel triplement étayé par la référence sous-jacente aux Jeunes filles en fleur de Marcel Proust et par le traitement linguistique des « magnolias en fleurs » directement assimilés à un attribut physique des « filles du silence », ce dernier terme assumant régulièrement dans le discours thiéfainien le rôle de désignation cryptique du rapprochement sexuel143. Le seul décalage tant avec les vers de Celan qu’avec la relecture de ceux-ci réalisée dans « retour vers la lune noire » consiste dans le déplacement de la couleur noire attribuée à la femme – ainsi qu’à ses avatars thiéfainiens représentés par la « reine » et la « lune » – sur le « je » masculin en tant qu’incarnation du bluesman noir Robert Johnson – le « mister Bob » apostrophé dans le titre de la chanson –, dont Thiéfaine rappelle également la légende dans « comment j’ai usiné ma treizième défloration144 ». Il importe de signaler que la suite du texte « j’ai jamais bien supporté / les vieilles polkas nazies / & me voilà planté / dans ce trou du missouri145 » invite de façon impérative au rapprochement avec une autre séquence celanienne, qui apporte une élucidation particulièrement pertinente de la formule énigmatique relative aux « vieilles polkas nazies » : « Hörreste, Sehreste, im / Schlafsaal eintausendeins, / tagnächtlich / die Bären-Polka : / sie schulen dich um, / du wirst wieder / er.146 » (Restes auditifs, restes visuels, dans / le dortoir mille et un, / chaque jour et chaque nuit, / la polka des ours : / ils te rééduquent, / tu redeviens / lui). La « polka des ours » localisée dans le décor concentrationnaire d’un camp de rééducation revit dans les « vieilles polkas nazies147 » dont Robert Johnson (mort assassiné en 1938) est historiquement le contemporain exact, et dont la mention au cœur de la réécriture celanienne ancre explicitement cette dernière dans son propre contexte d’origine, la formulation de Thiéfaine prenant ainsi la valeur d’une double dénonciation des persécutions racistes qui ont concerné à des titres différents aussi bien Johnson que Celan. Par le biais de la redéfinition opérée dans le nouveau cadre référentiel, l’extermination des Juifs remémorée dans le corpus celanien trouve un équivalent symbolique – et tout aussi sanglant même s’il n’atteint pas les mêmes dimensions sur le plan quantitatif – dans les exactions résultant du racisme ségrégationniste pratiqué dans le Sud des USA, tandis que son rappel apparemment hors de propos au sein du monologue de « mister Bob » s’inscrit au contraire de façon éclatante dans la démarche délibérée d’un « témoignage pour le témoin » évoquée au début du présent article. L’examen du processus de réécriture concernant la séquence dédiée à la « polka des ours » demande enfin à être complété par le renvoi à « une idylle / des mille et une / nuits148 » telle qu’on la rencontre dans le texte de « bouton de rose », dont on a déjà pu noter qu’il inclut une autre réminiscence celanienne faisant pendant aux retranscriptions décelables dans « retour vers la lune noire ». Les composantes de la même séquence allemande apparaissent réparties sur trois chansons dont deux au moins sont prises elles-mêmes dans une dynamique de variation intensifiée par la communauté de la référence intertextuelle, chacun des trois textes devenant à sa manière un élément constitutif du dialogue mené par Thiéfaine avec Celan.
19Aussi détaillée – voire minutieuse à l’excès – qu’ait pu paraître jusqu’ici l’analyse des réaccentuations apportées aux vers de Celan dans le discours poétique de « retour vers la lune noire », celle-ci ne saurait pourtant prétendre à l’exhaustivité si elle n’incluait pas l’examen des résonances celaniennes qui imprègnent avec une densité encore accrue le refrain du même texte. Tout en conservant sa propre cohérence discursive et son rapport étroit avec les strophes qu’elle vient couronner en manière de « coda149 » spectaculaire, la séquence « tes amants sans mémoire / sans rêves et sans espoirs / défilent dans tes miroirs / reine noire / tes amants transitoires / transis & dérisoires / se traînent sur tes trottoirs / reine noire150 » se révèle sous-tendue par une série de rappels celaniens dont la prise en compte est porteuse de nouvelles offres d’élucidation susceptibles de faire ressortir la cohérence profonde des formulations thiéfainiennes, dont la perception est délibérément occultée par les modalités d’énonciation du discours énigmatique. En dépit de l’absence de toute connotation lunaire, la séquence de Celan « Strahlengang, immer, die / Spiegel, nachtweit, stehn / gegeneinander, ich bin, / hingestossen zu dir, eines / Sinnes mit diesem / Vorbei.151 » (Défilé des rayons, toujours, les / miroirs, aussi loin que la nuit, se tiennent / face à face, je suis / poussé vers toi, en / accord avec ce passage) instaure l’association étroite entre le « défilé » et les « miroirs » que les vers de Thiéfaine déclinent sous la forme d’un défilé ininterrompu non plus de « rayons » traversant les « miroirs », mais d’« amants » succombant au charme de la « reine noire » et que la réécriture comprimée « défilent dans tes miroirs » place au cœur de la vision onirique, tandis que la conservation de l’atmosphère nocturne qui imprègne la séquence allemande favorise sa transposition au cadre de la célébration de la « lune noire ». L’élargissement – davantage encore que l’éloignement – de la sphère de la perception impliqué par le « weit » allemand trouve un corollaire fascinant d’exactitude dans l’accession au plan d’une généralisation sans limites de la formule « poussé vers toi » en tant qu’indicateur d’une attirance d’ordre érotico-sexuel, puisque ce sont désormais non plus les seuls « je » et « tu » du poème allemand, mais bien l’ensemble des « amants » mis en scène par Thiéfaine qui se voient pris dans un processus d’attraction irrésistible. Alors qu’elle transcende par son amplitude quasi cosmique la dynamique de rapprochement suggérée par les vers de Celan, la réorientation qui s’opère dans le discours de la chanson débouche essentiellement sur la mise en lumière de l’inanité radicale de l’impulsion décrite, telle qu’elle résulte du déséquilibre indépassable entre la figure inaccessible et fantasmée de la « reine noire » et la foule de ses adorateurs, dont il importe de noter qu’ils sont définis exclusivement par des désignations privatives – dans la première moitié du refrain – ou dépréciatives – dans la seconde où la réaccentuation alternative suivant le sensus etymologicus rend en outre les personnages présentés comme « transis » particulièrement propres à souhaiter rejoindre l’univers de la figure aux « yeux de momie » –.
20L’alternance – elle-même créatrice d’un effet de miroir entre les deux parties symétriques du refrain – des énoncés « défilent dans tes miroirs » et « se traînent sur tes trottoirs » auxquels se résume l’activité des « amants » prend enfin un nouveau relief si on la considère sous l’angle de la correspondance qu’elle présente avec le vers de Celan « Blank sind die Klingen : wer säumte im Tod nicht vor Spiegeln ?152 » (les lames nues étincellent : qui dans la mort ne traînerait pas devant des miroirs ?). La présence palpable de la mort à l’arrière-plan du refrain de « retour vers la lune noire » – dont on vient précisément de trouver la confirmation dans la lecture étymologique de « transis » – apparaît comme la transposition au plan latent du discours de la chanson de la mention explicite qui en est faite dans le texte allemand où la mort apparaît de surcroît en lien direct avec l’auto-contemplation « devant les miroirs », la dimension proprement meurtrière étant incarnée par les « lames » qui restent exclues de la retranscription thiéfainienne. L’intégration de la séquence celanienne dans le processus de recréation s’opère de fait par la concentration sur les deux seuls éléments des « miroirs » redéfinis opportunément en tant que « tes miroirs » – soit ceux que tend la « reine noire » à ses « amants » en tant que surface de projection illimitée de leurs aspirations – et du verbe « traîner ». La réécriture quasi littérale qu’aurait apportée la formulation « se traînent devant tes miroirs » se voit toutefois écartée au profit de l’introduction des « trottoirs » et de l’effet allitératif qu’ils génèrent, ouvrant la voie à la symétrie précédemment évoquée à propos de laquelle il faut cependant remarquer que l’élimination apparente des « miroirs » n’obère en rien la dominance du motif symbolique, dans la mesure où le rapport de variation qui s’installe entre la première et la seconde séquence conserve sa primeur à l’énoncé initial. Signalons enfin que la réunion de la « lune noire » et du « trottoir » renvoie explicitement au texte de « chambre 2023 (et des poussières…) » où les vers « et les filles des banshees m’entraînaient dans la brume / et me faisaient ramper devant la lune noire / enivré de pollens et de parfums-bitume / j’ai vu ta dépanneuse garée sur mon trottoir153 » préfigurent in nuce – quoique indépendamment de toute résonance celanienne – la constellation de « retour vers la lune noire », et ce jusque dans le détail de l’équivalence qui s’établit entre les formes verbales « entraînaient » et « se traînent ». Le plein développement de ces amorces – qui ne constituent originellement qu’un des repères référentiels mis en jeu de façon successive dans le système associatif complexe de « chambre 2023 (et des poussières…) » – s’effectue désormais à travers leur association d’une part avec les séquences issues du corpus celanien et de l’autre avec la composante celtique initiée par le renvoi aux « banshees » et que le texte de « retour vers la lune noire » continue à solliciter au plan sous-jacent du discours154. Comme on a déjà pu le constater dans les cas d’entrelacement intertextuel étudiés dans ce qui précède, le dialogue avec Celan se retrouve à nouveau partie prenante dans le processus d’intégration des références multiples, sans perdre pour autant la spécificité de son apport telle qu’elle s’établit de façon incontestable sur le double plan thématique et lexical : loin de brouiller les contours des renvois de provenance diverse et d’effacer ainsi les oppositions d’accentuations, le discours thiéfainien renforce encore la force et la vérité des différentes signatures qu’il convoque et dont se nourrit in fine sa propre authenticité, fondant du même coup la pleine légitimité du dialogue en continu qu’il entretient avec chacune d’entre elles.
21A contrario, il suffit cependant parfois d’une correspondance à l’évidence incontestable pour percevoir pleinement la voix de Celan à un instant donné d’un discours qui s’articule pour le reste autour de priorités référentielles d’ordre différent – quoique n’excluant nullement voire pouvant faire apparaître incontournable à certains égards la mobilisation de l’apport celanien – dont la mise en retrait temporaire laisse toute latitude à l’écho de la référence allemande pour déployer le spectre de ses harmoniques. La résonance des vers « droben, im Weltgestänge, / sterngleich, / das Rot zweier Münder155 » (là-haut, dans les armatures du monde, / sidéral / le rouge de deux bouches) est ainsi immédiatement perceptible derrière le vers de « lorelei sébasto cha » évoquant « le rouge de nos viandes sur le noir sidéral156 », étant entendu que la réécriture thiéfainienne s’effectue comme à l’habitude sur le double mode de la confirmation – voire du renforcement – et de la réaccentuation critique. Les modifications résident en premier lieu dans la substitution de « nos viandes » aux « deux bouches », qui dépouille la formulation tant de toute dimension affective et/ou sentimentale que de sa touche anthropomorphisante en décalage radical avec la tonalité cosmique de la séquence. Tout aussi déterminante se révèle l’élimination des « armatures », qui gomme la connotation technique évoquant un décor de théâtre au profit d’un soulignement implicite de l’immensité de l’univers. La réattribution au « noir » du cosmos de l’adjectif « sidéral » qui caractérise chez Celan les « deux bouches » parachève l’entreprise de redéfinition en accroissant la disproportion entre l’immensité cosmique et l’insignifiance des deux personnages déjà dépréciés par leur réduction à leurs « viandes », alors que l’accession des « deux bouches » au niveau « sidéral » – ou plus exactement leur assimilation à des étoiles telle que la suggère l’adjectif composé allemand – relève à l’inverse d’une valorisation au moins potentielle. L’infléchissement métaphysique à tonalité pascalienne qui caractérise la réécriture thiéfainienne possède de toute évidence sa propre cohérence intrinsèque, qui commande une réappropriation partielle et sélective de la séquence allemande aux fins de son intégration au contexte d’ensemble de la strophe. L’allusion à l’univers du théâtre suggérée par la mention des « armatures » devient superflue et peut donc être laissée de côté dans la mesure où elle est déjà anticipée – et ce de surcroît à un niveau d’évocation davantage approprié à l’orientation discursive conférée à la séquence – par le vers précédent « dans ce drame un peu triste où meurent tous les Shakespeare157 », qui réinterprète dans une optique explicitement théâtrale – et qui s’enrichit au passage d’une accentuation poétologique dont on peut saluer la pertinence – l’allusion indirecte qui affleure dans la formulation de Celan : dans la plus pure tradition de l’emblématique baroque, le nom de Shakespeare devient la marque de fabrique d’une sentence au profil authentiquement shakespearien, dans laquelle la déclinaison-variation du fameux vers « the whole word is a stage158 » (le monde entier est une scène) se voit symboliquement élargie à l’auteur même de celui-ci qui en incarne ici le protagoniste involontaire, élevé au rang d’un « type » au sens jungien du terme ainsi que le souligne l’appellation « tous les Shakespeare »159. Le « rouge » qui ne figure qu’une seule fois dans la séquence de Celan réapparaît dans le vers suivant « le rouge de nos désirs sur l’envers de nos cuirs160 » où les « cuirs » constituent à la fois l’équivalent fonctionnel du « noir sidéral » dans la disposition symétrique des oppositions et le complément des « viandes » dans l’entreprise de réduction des protagonistes à leur seule anatomie d’« écorchés »161.
22Il est révélateur du rôle de « témoin » privilégié dévolu à Celan dans le corpus thiéfainien que le texte emblématique que sont « les dingues et les paumés » – dont il faut cependant noter qu’il est aujourd’hui concurrencé du propre aveu de son auteur par les « confessions d’un never been » et « en remontant le fleuve », tout en conservant son aura de repère « historique » – fasse une place de choix aux rappels celaniens dont la densité énigmatique du texte semble rendre l’identification malaisée au premier abord, tant le défilement kaléïdoscopique des fulgurations énonciatives peut faire apparaître superflue toute tentative de fixation référentielle, qu’elle ait pour objet Celan dont on va explorer l’apport dans ce qui suit ou – pour citer un exemple choisi de façon purement arbitraire parmi la masse des possibilités qui s’offrent à l’exégète – le mythe de Minos éjaculant des scorpions tel qu’il transparaît dans le distique « et quand leurs monstres crient trop près de la sortie / ils accouchent des scorpions et pleurent des mandragores162 » – où les scorpions se combinent tant avec la mandragore à laquelle Iago dénie toute efficacité pour soigner les insomnies d’Othello ainsi qu’avec les « alten Alraunenfluren163 » (vieux champs de mandragores) évoqués par Celan.
23Le parcours qui conduit « les dingues et les paumés »164 à travers la succession de ses étapes symboliques croise la route de Celan de façon quasi explicite par l’intermédiaire de celle de Hölderlin auquel Celan consacre le poème Tübingen, Jänner (Tübingen, janvier) évoquant la folie dans laquelle a sombré Hölderlin à la fin de sa vie, l’onomatopée finale « Pallaksch, Pallaksch165 » étant précisément celle par laquelle Hölderlin avait remplacé tout langage articulé à la fin de sa vie. Il importe de souligner au passage que le vers de Thiéfaine « ils croient voir venir dieu, ils relisent hölderlin166 » établit de façon incontestable – témoignant du même coup du caractère totalement organisé du discours thiéfainien jusque dans la sollicitation de l’élément intertextuel – non seulement la qualité de lecteurs de Hölderlin revendiquée par les personnages éponymes de la chanson, mais désigne avec précision leur texte de prédilection dans l’œuvre du poète allemand, à savoir l’élégie Brot und Wein (Pain et Vin) dont la troisième strophe évoque « der kommende Gott167 » (le dieu qui vient). La présentation dans l’ordre inversé retenue par Thiéfaine – le spectacle supposé de la venue de dieu précédant la mention du poème qui suscite l’impression ressentie par les personnages – confirme inversement la logique déployée contre toute attente par « les dingues et les paumés », qui « relisent » leur auteur favori – ainsi que le spécifie la précision du discours thiéfainien – afin d’avoir confirmation de leur vision que l’agencement discursif suffit cependant à invalider en la ramenant à une croyance dénuée de fondement. La présence de Celan induite par la mention de Hölderlin – ainsi que par la mention des « mandragores » dont on a esquissé sous une forme abrégée le halo intertextuel –se manifeste également avec une évidence palpable dans la même strophe du texte, où les vers « les dingues et les paumés se cherchent sous la pluie / et se font boire le sang de leurs visions perdues168 » révèlent à nouveau la densité d’un entrelacement intertextuel inattendu qui réunit le rappel à la fois direct et subtilement réaccentué du vers de Léo Ferré « l’autre qu’on adorait qu’on cherchait sous la pluie169 » – dans lequel l’élimination de « l’autre » joint à l’occultation apparente de la composante affective suffisent à témoigner de l’enfermement solipsistique qui caractérise les personnages – et la réécriture comprimée d’une séquence celanienne à la tonalité sanglante : en attribuant aux « visions perdues » elles-mêmes le « sang » bu par « les dingues et les paumés », la formulation de Thiéfaine présente de fait un resserrement marqué – ainsi qu’une objectivation dictée par l’orientation générale de la dynamique énonciative – de la confession « Wir haben getrunken, Herr. Das Blut und das Bild, das im Blut war, Herr.170 » (nous avons bu, Seigneur. Le sang et l’image qui était dans le sang, Seigneur). Alors que la reformulation fait logiquement abstraction de la confrontation avec l’antagoniste divin dont la fin de la strophe établira comme on l’a vu la nature illusoire – notons par ailleurs le rapport suggestif de correspondance établi entre les deux vers par l’emploi respectif de « visions » puis de « voir » –, l’émancipation des « visions » accédant au statut de figures autonomes et douées d’une existence réelle – au lieu de la nature de simple « image » évoquée par le texte allemand, la séquence de Thiéfaine laissant en outre totalement de côté l’allusion à la transsubstantiation contenue dans les vers de Celan – leur confère une substantialité qui se voit a contrario déniée à la figure divine, et que confirme pleinement la suite de la strophe « et dans leurs yeux mescal masquant leur nostalgie / ils voient se refléter la fin d’une inconnue171 » – on remarquera à nouveau que la réapparition du verbe « voir » scelle ici le jeu d’échos qui s’établit entre les trois vers, opposant la vision supposée et dénuée de consistance au caractère quasi tangible dévolu aux « vision » remémorées et prises dans l’ambivalence multivoque de leur définition comme « perdues ». On se doit également de signaler que la même séquence de Celan qui commande l’appréhension de la formule « wo ist das blut ? ich habe durst…172 » (où est le sang ? j’ai soif…) qui conclut le texte de « photographie-tendresse ». Si le passage à l’allemand possède sa pertinence intrinsèque dans la mesure où il appose une signature symbolique à l’énumération télégraphique associant – ainsi que le résume dans son exemplarité programmatique la séquence finale « lunettes-noires-pyjama-rayé173 » – des attributs évocateurs de l’histoire du IIIème Reich et/ou de la Seconde Guerre Mondiale et des notations apparemment dépourvues d’un référentiel à l’évidence immédiate, il se prête idéalement à la réappropriation de la formule de Celan à laquelle il est ainsi donné d’évoluer dans le même code linguistique, dont le discours thiéfainien exploite pleinement les possibilités d’associations suggestives. Approfondissant la convergence sémantico-énonciative des deux séquences – dont la teneur se ramène tant dans la formulation de Celan que dans sa déclinaison thiéfainienne au motif de l’absorption délibérée et assumée du sang –, la recréation de la confession collective opérée dans le vers final de « photographie-tendresse » double la substitution du « je » au « nous » d’une mise en perspective historico-culturelle qui résulte de la sollicitation d’un registre linguistique spécifique, dont la formulation lapidaire recrée les effets acoustiques propres à travers le jeu d’assonances entre « blut » (sang) et « durst » (soif) qui régit la succession des deux hémistiches. La réécriture du contenu celanien s’effectue de fait sur le mode parfaitement reconnaissable – et également utilisé dans le refrain en forme de comptine « fais-moi une place dans ton linceul / quand y’en a pour un y’en a pour deux174 » que la version studio fait justement interpréter par des voix d’enfant – de la cruauté enfantine propre au langage des contes de Grimm, transformant le « je » en une authentique figure d’ogre qui s’exprime non plus au passé ainsi que le fait le « nous » celanien, mais bien dans un présent annonciateur d’un futur proche, porteur du déchaînement sanglant appelé de ses vœux par l’archétype destructeur. Le geste de remémoration mis en scène dans les vers de Celan s’inverse en une menace d’actualisation toujours présente et véhiculée précisément par le travestissement mythologico-symbolique qui vient relayer la réminiscence historique : la formule celanienne de « l’image qui était dans le sang » fait ainsi l’objet d’une dissociation qui fait d’un côté éclater « l’image » en une série d’instantanés en provenance du passé et assigne de l’autre à la soif de sang la double fonction d’une conclusion logique de la récapitulation par fragments et d’une annonce d’un accomplissement sacrificiel encore à venir, auquel la seule reproduction de la diction des contes confère avant même sa réalisation une portée universelle et sans limites. On constatera pour clore ces remarques que la démarche de recréation adoptée par Thiéfaine s’inscrit dans le prolongement direct des réflexions de C.G. Jung sur l’histoire, telles qu’elles soulignent – et ce notamment à propos de la montée du nazisme – l’inéluctabilité d’un surgissement irrépressible des forces inconscientes lorsque celles-ci sont dépréciées par un rationalisme triomphant et reléguées dans des profondeurs d’où elles resurgissent avec toute leur force d’anéantissement.
24La poursuite de l’examen de l’entrelacement celanien mis en place dans « les dingues et les paumés » permet également d’associer à l’assimilation des figures centrales à des « joueurs décapités » – telle qu’elle ressort du distique « et sont comme les joueurs courant décapités / ramasser leurs jetons chez les dealers du coin175 » – une élucidation combinant intertextualité et lecture plurilingue, et dont l’évidence immédiate supporte cependant aisément – ou mieux suppose carrément – la coexistence avec d’autres offres exégétiques que l’on doit renoncer à détailler ici176. L’hexamètre celanien « vor jedem der wehenden Tore blaut dein enthaupteter Spielmann177 » (devant chacune des portes battantes bleuit ton joueur de musique décapité) réunit ici les constituants mêmes de la formulation thiéfainienne pour peu que le terme allemand de « Spielmann » – habituellement rendu en français par « troubadour » ou « ménestrel » puisse être perçu d’après son sens premier d’un « homme qui joue (d’un instrument) ». Les « joueurs de musique décapités » qui constituent ici une possibilité d’incarnation pour « les dingues et les paumés » – dont on se rappelle en effet qu’ils « se cherchent sous la pluie » – sont d’autant plus à leur place dans le contexte du discours thiéfainien que le motif du poète décapité compte au nombre des références mobilisées par l’auteur dans les déclarations à l’ambivalence suggestive – et dotées au plan sous-jacent d’un fort impact poétologique dans la mesure où elles offrent une définition exacte de sa propre technique d’écriture – dans lesquelles il revient en concert sur la tendance des poètes à « se vendre en pièces détachées178 ». Au-delà de l’évidence du choix d’André Chénier en tant qu’exemple de « poète décapité » – et en ce sens prédécesseur de Celan sur la liste des « poètes martyrs » –, il importe de prendre conscience du fait que son évocation ne relève pas uniquement d’une mise en exergue du thème du « poète estropié179 » tel que l’expose « syndrome albatros », mais se retrouve bel et bien incluse dans la trame même du jeu poétique à multiples facettes mis en scène dans « le jeu de la folie ». Dans la définition de ce dernier telle que la donne le refrain « le jeu de la folie est un sport de l’extrême / qui se pratique souvent au bord des précipices180 » est en effet compris le renvoi littéral au distique de Chénier « Ainsi le jeune amant, seul, loin de ses délices, / S’assied sous un mélèze au bord des précipices181 », dont l’identification débouche en outre sur la perception du lien indissociable entre la première partie du refrain et l’alternative développée dans la seconde « ou dans les yeux des filles au bout des couloirs blêmes / des labyrinthes obscurs aux fumeux artifices182 ». C’est à travers la référence implicite à Chénier que se révèle la nature de l’amour comme autre forme du « jeu de la folie » – et constituant en tant que telle le corollaire de la version plus « sportive » de celui-ci présentée en premier lieu –, dont la localisation dans « les labyrinthes » renvoie alors de façon quasiment transparente à la rencontre d’Ariane et Thésée en tant que prototype originel de la déclinaison érotico-sexuelle du phénomène – tout en incarnant également son association programmatique avec les « précipices » à travers le renvoi latent au récit légendaire de la fin de Thésée tel que le transmet Plutarque.
25Alors que la mention énigmatique des « joueurs courant décapités » se décrypte au moins pour ce qui est de ses processus énonciatifs en tant qu’écho à une formulation celanienne isolée que son insertion dans le réseau associativo-intertextuel sollicité par le discours de la chanson dote d’un élargissement sensible de son potentiel connotatif , l’inversion des modalités usuelles de perception qui se fait jour dans l’image décalée des figures « essayant d’accrocher un regard à leur khôl183 » – et dont il faut aussi noter au préalable qu’elle rapproche « les dingues et les paumés » du personnage central de « narcisse 81 » dépeint « te maquillant le bout des yeux / d’un nouveau regard anonyme184 » – reflète par le biais de leur mise en perspective réciproque différentes séquences de Celan auxquelles la réécriture thiéfainienne – qui ne concerne qu’une fraction restreinte de l’énoncé allemand dont elle oblitère complètement les constituants qui ne cadrent pas avec l’orientation de sa propre dynamique discursive – apporte un dénominateur commun transcendant l’hétérogénéité de leur contexte d’origine. La réappropriation du vers « vom Blau, das noch sein Auge sucht, trink ich als erster185 » (le bleu qui cherche encore son œil, j’en bois le premier) présente ainsi un caractère de sélectivité affirmé dans la mesure où elle retient uniquement la présentation inversée du rapport entre l’attribut du « bleu » et l’œil auquel il est censé appartenir, tout en occultant complètement la métaphore centrale axée sur la transformation de l’œil en un liquide que le « je » se propose d’absorber : la priorité exclusive accordée à une seule des deux fonctions attribuées à l’œil par la formulation allemande induit la réaccentuation du « bleu » celanien, qui est désormais dépouillé de sa possible interprétation en tant que couleur de l’œil au profit de la seule lecture l’assimilant à un élément du maquillage, tel qu’il se retrouve tant dans le « khôl » adopté par « les dingues et les paumés » que dans le « regard » utilisé « à rebours » par Narcisse. Bien que le mètre utilisé par Celan ne soit jamais reproduit en tant que tel dans les réécritures thiéfainiennes – ce qui tient essentiellement à l’incompatibilité de principe entre les métriques française et allemande –, il est intéressant de remarquer que le second vers qui trouve une résonance directe tant dans « les dingues et les paumés » que dans « narcisse 81 » soit à nouveau un hexamètre, la similitude rythmique des deux séquences soulignant ainsi d’emblée la pertinence de leur sollicitation conjointe au sein du processus de recréation. Tandis que l’apparent retour à la normalité prescrit par le vers « So binde die Maske dir vor und färbe die Wimpern dir grün186 » (mets ton masque et colore-toi les cils en vert) fixe à nouveau les contours du geste effectué par les personnages de Thiéfaine – pour lequel la couleur du fard se révèle indifférente puisque le « vert » est tout autant éliminé du processus de réappropriation que le « bleu » mentionné dans la séquence précédemment citée –, l’apparition de l’attribut supplémentaire qu’est le « masque » trouve un écho direct dans « narcisse 81 » dont le protagoniste évolue précisément « dans ces couloirs où tu te grimes187 », le texte entier pouvant de surcroît se lire comme un retour symbolique sur la problématique de l’acteur telle qu’elle est exposée chez Truffaut dans Le dernier métro – dont le discours thiéfainien incorpore le titre sous la forme cryptée mais aisément reconnaissable du « dernier mélo188 » que le personnage tente de « prendre ». Ainsi s’effectue au plan implicite une mise en rapport étroite des deux principaux éléments constitutifs du discours de la strophe en dépit de l’hérérogénéité apparente du matériau référentiel – dont on ne saurait en outre oublier que la matrice principale est issue des Métamorphoses d’Ovide –, puisque le rappel celanien se retrouve inséré dans la constellation historique même autour de laquelle s’articule en totalité la démarche créatrice du poète. L’absence apparente d’une mention explicite du « masque » dans « les dingues et les paumés » s’avère ici toute relative compte tenu de la proximité linguistique des termes « masque » et « maquillage » – que l’allemand peut rendre tous deux par « Maske » sauf à recourir pour le second à l’anglicisme make-up – : outre le fait que le « khôl » auxquelles recourent les figures centrales est essentiellement appréhendé dans sa fonction de « masque », son apparition dans le texte s’accompagne d’un renvoi aussi précis qu’inattendu à l’univers de Narcisse, puisque que les personnages se présentent en effet « suivis d’un vieil écho jouant du rock’n’roll189 ». La complémentarité voire l’interdépendance des deux textes est ainsi établie de façon immédiatement perceptible par la permutabilité qui est celle des constituants de l’intertextualité non seulement sur le plan de leur apport sémantico-suggestif, mais aussi et surtout en tant qu’éléments d’une dynamique discursive dont l’élan transcende les frontières entre les différents textes, soulignant ou plutôt réalisant la construction en « pyramide190 » – à ce titre bien davantage qu’en « labyrinthe » caractéristique du corpus thiéfainien.
26Au-delà de l’écho immédiat qu’elle trouve aussi bien dans « narcisse 81 » que dans « les dingues et les paumée », l’injonction « binde die Maske dir vor » a vocation de par sa résonance programmatique à se voir élevée au rang d’indicateur privilégié du statut du poète, le renvoi à Celan étant ici susceptible de se combiner avec d’autres valorisations de la nécessité du masque à laquelle l’analyse menée ici ne saurait hélas s’intéresser. La transposition du motif à l’arsenal le plus contemporain des possibilités de dissimulation est par exemple décelable dans « québec november hotel » dont le protagoniste entame « les yeux masqués sous mes Ray-Ban191 » son « voyage initiatique192 » qui décline au niveau explicite du discours les étapes d’un vol à bord d’un « Dornier » apparemment détaillées dans le strict respect de la terminologie aéronautique, tandis que le récit oscille au plan latent entre l’exploration de la féminité – dans laquelle le « fox » saisi dans son sens figuré de « jolie fille » modifie subrepticement le QNH interrogeant par le biais de l’alphabet aéronautique les conditions de pression atmosphérique, tandis que la mention d’« al capone » forme un contrepoint suggestif avec la promesse de la « chaconne » anticipant l’accomplissement sexuel – et la révélation eschatologique résultant de l’expérience de mort incarnée par l’« approche finale193 », lors de laquelle le vol « direction Saint Pierre & Miquelon194 » se dévoile comme rencontre avec les gardiens du paradis chrétien que sont Saint Pierre et Saint Michel. Alors que l’écho celanien se limite ici à remplir la fonction d’un exergue signalétique dotant le protagoniste de sa « carte d’identité195 » en tant que poète et par là même de l’« autorisation de délirer196 » à l’origine de son incursion « dans les nuages197 », il inaugure dans « syndrome albatros » la série des « balises198 » issues du corpus de Celan qui ponctuent le déroulement discursif, déployant un faisceau de repères où l’accentuation poétologique se double de réminiscences historiques susceptibles d’en redéfinir l’orientation – il va par ailleurs de soi que les lignes qui suivent se consacrent à l’élucidation de la seule aura celanienne, indépendamment de la surimposition de celle-ci aux autres référentiels également sollicités dans le discours de la chanson. L’activation simultanée des deux registres que l’on vient de mentionner intervient de fait dès la présentation initiale du protagoniste en tant que « clown masqué décryptant les arcanes de la nuit / dans les eaux troubles et noires des amours-commando199 », lors de laquelle les notations signalétiques établissant l’appartenance du personnage à la sphère poétique apparaissent prises dans un rapport de modification réciproque avant même que soit réalisée l’introduction de la composante évocatrice du IIIème Reich. Installant dès l’abord l’évocation du personnage dans la conformité à l’exigence énoncée par Celan, l’attribut du masque dont on a précédemment dévoilé l’arrière-plan symbolique se charge d’une complexité nouvelle par le biais de son association avec la figure du « clown », cette dernière constituant de surcroît un paradigme central du « paysage intime » de Thiéfaine ainsi qu’on peut par exemple le constater dans le refrain des « confessions d’un never been » contenant l’exclamation « j’ai volé mon âme à un clown200 ». Il est à cet égard révélateur que le « clown » évoqué par Thiéfaine – et dont un précédent article de LOXIAS nous a déjà fourni l’occasion d’esquisser la généalogie poétique, dans laquelle Henry Miller avec The Smile at the Foot of the Ladder et Romain Gary avec Les Clowns lyriques jouent un rôle de premier plan201 – se situe également au cœur de la définition celanienne du poète dépeint comme « allmählich clowngesichtig, / nichtsgespiegelt, / die Schminke Wahrheit blaugefrorn / im Winkelmund202 » (avec un visage devenant peu à peu celui d’un clown, / reflété par le néant, / le fard de la vérité gelé à en devenir bleu / dans la bouche réduite à ses commissures) : les deux indicateurs de dépréciation que constituent l’assimilation à un clown et l’irruption du néant devenu le support paradoxal du processus de réflexion optique sont réinterprétés dans le discours thiéfainien par le biais de l’introduction de l’« âme », qui incorpore à elle seule l’idée du néant dans la mesure où elle est d’emblée déniée au protagoniste apparaissant réduit à la voler plutôt que de la vendre – comme l’imposeraient les termes habituels du « contrat203 » dont elle est l’enjeu. En outre, le fait qu’une telle âme d’emprunt provienne d’un « clown » en tant que figure vide et en ce sens totalement réductible à son masque parachève la dynamique de dévalorisation du « je » en portant à son comble la perte de substance diagnostiquée tout au long des « confessions ». Alors qu’elle n’entre pas – ou en relève tout au plus à la marge – dans la dynamique de recréation instaurée sur la base du motif du « clown masqué » tant dans « syndrome albatros » que dans les « confessions d’un never been », l’association à caractère oxymorique qui fait du fard le révélateur de la vérité au lieu d’un moyen de travestissement de celle-ci trouve naturellement sa place – à l’instar des séquences relatives au maquillage du regard exposant la même évidence de l’inversion des polarités habituelles – dans la série matricielle de provenance celanienne dont la déclinaison commande la dynamique discursive aussi bien dans « les dingues et les paumés » que dans « narcisse 81 », à ceci près toutefois que le terme de « vérité » se révèle impropre à l’intégration dans le discours thiéfainien de par sa nature de fixation éthico-sémantique, qui incarne en tant que telle l’exact opposé des constantes oscillations polysémiques inhérentes à l’écriture des chansons.
27Témoignant de la sollicitation répétée des repères celaniens dans l’élaboration du discours de « syndrome albatros », la désignation programmatique de « poète estropié204 » appliquée au personnage central du texte invite à l’évidence au rapprochement avec la séquence « ihr meine mit mir ver- / krüppelnden Worte, ihr / meine geraden205 » (Vous mes paroles qui vous estropiez / avec moi, vous / mes paroles droites) dans laquelle le verdict de dégradation physique frappe aussi bien le poète que les paroles qu’il prononce, ces dernières perdant ainsi peu à peu leur caractère de droiture – soulignons à ce propos que le terme allemand « gerade » renvoie aussi bien à une qualité de rectitude morale qu’à la justesse sans faille des appréciations véhiculées au moyen des paroles en question, élément qu’il importe de prendre en compte dans l’analyse de la réécriture thiéfainienne. La similitude frappante tant du contenu de l’appréciation portée sur la condition problématique du poète que des modalités de sa fomulation faisant appel dans les deux cas à l’image saisissante de l’infirmité corporelle ne saurait en effet occulter le fait que le vers « fier de ton déshonneur de poète estropié206 » instaure en fait une double modification des priorités énonciatives repérables chez Celan : l’aggravation sensible de la dépréciation du poète, telle qu’elle résulte de l’association avec le complément « déshonneur » fourni par le Déshonneur des poètes de Benjamin Péret, est contrebalancée par la valorisation spectaculaire de la parole poétique statuée par le constat final « t’inventes un labyrinthe aux couleurs d’arc-en-ciel207 », sans qu’intervienne à aucun moment une évolution conduisant à la perte de ses qualités initiales. L’équation définie par « syndrome albatros » oppose ainsi le caractère intact de la parole poétique – restant inébranlablement « droite » pour s’exprimer dans les termes de Celan – aux déficiences rédhibitoires dont est affligé son auteur, qui assume voire revendique délibérément ses propres manques – ainsi que le souligne la note provocatrice qui résonne dans l’adjectif « fier » – et les transcende « comme un phénix208 » – soit non véritablement en tant que tel – pour aboutir à la culmination d’une création totalement achevée. Il est à noter ici que la forme verbale « t’inventes » vient définitivement sceller la plénitude de l’accomplissement artistique à travers le renvoi implicite à la hiérarchie établie par Henry Miller, qui oppose à dessein « l’imagination » du dilettante en quête de réalisations à « l’invention209 » qui distingue l’authentique artiste, seul à même de poser un acte créateur.
28Davantage qu’au portrait du poète tel qu’il se dessine dans « syndrome albatros », c’est à la constellation historique dans laquelle celui-ci se retrouve plongé – fût-ce par procuration comme c’est le cas pour la recréation thiéfainienne des vers de Celan – que renvoie l’apport celanien perceptible dans le distique « tu croises des regards alourdis par l’oubli / et des ombres affolées sous la terreur des mots210 » dans la mesure où la séquence en question se dévoile pour une part essentielle comme une réécriture à la fois précise et différenciée de la formulation allemande localisée « mitten in meiner / dich Schatten beschwerenden / Rede211 » (au milieu de ma / parole qui t’alourdit, / ombre). Notons au prélable qu’outre le jeu objectivement repérable des résonances intertextuelles que l’on va détailler dans les lignes suivantes, l’association des vers cités avec l’époque dans laquelle s’enracine le corpus celanien voit son évidence confirmée par la suite de la séquence où le vers « toi qui voulais baiser la terre dans son ghetto212 » rappelle au plan explicite du discours la visite du pape Jean-Paul II sur le site du ghetto de Varsovie, ancrant ainsi l’ensemble de la strophe dans un univers placé sous le signe des exactions du IIIème Reich. Comparée au résultat du processus de réaccentuation mis en œuvre dans « syndrome albatros », la formulation de Celan représente ici une manière de stade premier voire « brut » des éléments sollicités dans le discours de la chanson et que vient modifier de façon décisive la double dynamique de réaccentuation sémantique et de recomposition structurelle : alors que c’est l’« ombre » qui apparaît chez Celan « alourdie » par la « parole », l’oxymore thiéfainien redéfinit l’ensemble des paramètres concernés par le phénomène d’alourdissement qui conserve son rôle de pivot de la séquence, mais s’applique désormais aux « regards » – en soi tout aussi peu susceptibles de gagner en poids que l’« ombre » celanienne – et émane de « l’oubli » et non plus de la parole poétique, telle que le « je » celanien se l’approprie sans équivoque à travers l’adjectif possessif « ma ». À l’inverse, l’absence de fixation tant de « l’oubli » que déjà des « regards » – que le discours poétique installe au contraire dans une équivoque persistante quant à leur appartenance ou leur attribution à telle ou telle figure ou groupe de figures – élargit le cadre référentiel à l’ensemble de l’humanité qu’elle ait ou non fait l’objet de la « violence » évoquée dans la strophe, autorisant ainsi la superposition de plusieurs offres de lectures variant en fonction de l’identification des porteurs des « regards » et du sens que peut revêtir pour eux « l’oubli ». À la différence de « l’oubli » dont la mention est absente de la séquence de Celan alors qu’il se substitue dans le discours thiéfainien à la dimension de la « parole » significativement éliminée de l’ensemble de la strophe – le mutisme devenant de fait à ce stade de la progression du discours la seule réponse à envisager face à l’inconcevable –, les « ombres affolées » évoquées dans le second vers du distique sont le corollaire exact de « l’ombre » celanienne à ceci près que c’est à cet endroit même du texte de Thiéfaine que se dévoile à proprement parler la pleine dimension de la référence historique, suggérant de façon impérative l’assimilation des « ombres affolées sous la terreur des mots213 » aux victimes du nazisme à la merci de leurs bourreaux telles que Celan les évoque notamment dans Todesfuge – texte sur lequel on reviendra en conclusion du présent article aux fins de préciser les modalités de la spectaculaire réappropriation qui lui est réservée dans le corpus thiéfainien.
29On ne saurait toutefois passer sous silence le fait que l’évocation des « ombres » réalisée dans le texte de « syndrome albatros » englobe également – soit en manière de surimposition à l’écho celanien dont on vient tout juste de noter l’apport déterminant – la déclinaison d’une séquence d’où se dégage une « violence » d’intensité comparable à celle dépeinte par Celan, et dans laquelle la correspondance littérale des « ombres affolées » apparaît dans un contexte remarquablement adéquat à celui qui imprègne les réminiscences celaniennes : « Voici que des ombres affolées se déversaient de la porte du baraquement. À l’intérieur, une voix d’une extrême brutalité aboyait des imprécations.214 » Que le passage cité soit issu du Grand Santini de Pat Conroy – auteur que Thiéfaine inclut expressément dans la « cartographie215 » détaillée qu’il dresse du paysage littéraire américain de l’époque contemporaine216 – et ait pour objet non pas la dénonciation de la barbarie nazie à l’instar des vers de Celan, mais le rappel de la brutalité de l’éducation militaire reçue par l’auteur, n’invalide ni ne relativise le rappel celanien mais le dote au contraire d’un prolongement aux implications suggestives, qui dénonce au plan sous-jacent la permanence des logiques comportementales basées sur la terreur et l’humiliation de ceux sur lesquels elles s’exercent. La même technique d’un rapprochement indirect autorisant l’assimilation aux nazis de certaines incarnations de l’Amérique actuelle est mise en œuvre dans « annihilation » où la situation présente « où les diet-nazis s’installent au Pentagone217 » prend une acuité inattendue à travers le dévoilement implicite du rôle soudain assigné – entre autres fonctions qu’on laisse inexplorées ici – aux « poupées Barbie218 » devenues le substitut prétendument inoffensif – et néanmoins à l’efficacité mondiale surpassant de loin celle de leur modèle – du nazi Klaus Barbie.
30Le discours de « je suis partout » – titre écrit précisément à l’époque du procès Barbie et dont Thiéfaine commente le choix dans les termes évocateurs « non seulement ça sonnait bien, mais en plus ça détournait quelque chose219 » – réalise le postulat ambivalent de l’omniprésence du « je » au cœur même d’une situation extrême, qui véhicule à l’évidence des réminiscences de l’époque de l’Occupation ou plus exactement de la fin de celle-ci : « je suis partout / dans la fille tondue qu’on trimballe / à poil devant les cannibales220 ». L’appréhension de la séquence de Thiéfaine s’approfondit notablement par la prise en compte de l’écho direct qu’elle apporte aux vers de Celan « Die Welt, Welt, / in allen Furzen gerecht, / ich, ich, / bei dir, dir, Kahl- / geschorne221 » (le monde, monde, / à l’aise dans tous les pets, / moi, moi, / auprès de toi, toi, tondue), dans lesquels l’évocation de la femme tondue rappelle le sort réservé aux déportés des camps d’extermination tel que le résume le vers de la Todesfuge (fugue de mort) « dein aschenes Haar Sulamith222 » (ta chevelure de cendres Sulamith). Alors même que le texte de Thiéfaine voit l’ubiquité du « je » se manifester également jusque « dans le train paris-gare d’auschwitz / entre les corps des amants juifs223 », l’élargissement délibéré – quoique se chargeant au plan sous-jacent du discours d’une toute autre signification qu’on s’abstient de décrypter ici – des « inventaires224 » de la cruauté à l’humiliation infligée à la femme soupçonnée ou convaincue de « collaboration horizontale » vient doter le constat celanien d’un complément inversé qui en amplifie la portée au-delà même de son cadre référentiel d’origine voire en opposition apparente avec ce dernier, tout en amenant le dialogue celanien du « je » et du « tu » à l’impersonnalité cosmico-métaphysique qui est l’apanage du « je universel225 » – et qui conduit comme telle à l’accomplissement de la formule programmatique « Eros über alles » dont on signale en passant – outre le détournement subtil du slogan Deutschland über alles – le double ancrage référentiel réunissant le De rerum natura de Lucrèce et le Second Faust de Goethe226.
31À côté du texte dont l’intitulé de « je suis partout » suffit à établir le référencement historique et par là même la pertinence – encore qu’il ne s’agisse en aucun cas d’une exclusivité herméneutique – d’un examen sous l’angle des réappropriations celaniennes, l’inventaire des réécritures se rattachant plus étroitement au paysage historique qui est celui des vers de Celan inclut contre toute attente un texte dont le contexte énonciatif semble pourtant exclure a priori toute proximité avec les préoccupations qui dominent l’œuvre du poète à jamais marqué par la tragédie de l’extermination des Juifs. C’est en effet sur une homophonie analogue à celle décrite plus haut à propos de la réappropriation mallarméenne réalisée dans « infinitives voiles » que repose l’enchaînement implicite des rappels celaniens qui rythment le discours de « l’étranger dans la glace » en dépit du fait que celui-ci s’articule au plan explicite autour de l’évocation de la maladie d’Alzheimer, ainsi que le souligne l’auteur lui-même dans l’appel destiné à soutenir les activités de l’Institut Pasteur de Lille227. Dans la mesure cependant où l’intitulé « l’étranger dans la glace » intègre un rappel littéral de la formule camusienne réservant à « l’étranger qui, à certaines secondes, vient à notre rencontre dans une glace228 » une place privilégiée dans le processus de révélation de l’absurde, la grille de lecture axée sur l’évocation de la maladie telle qu’elle est suggérée par le discours explicite a manifestement vocation à être complétée par une offre herméneutique d’inspiration existentielle, que vient de surcroît davantage approfondir qu’infirmer l’option alternative reposant sur la prise au pied de la lettre de l’indication « dans la glace ». Tant la confrontation avec l’absurde que le diagnostic d’une congélation symbolique convergent vers le constat d’une déréliction métaphysique dont la déclinaison se prête par ailleurs idéalement à l’intégration de la référence celanienne, dont il s’agit maintenant de préciser les contours et les modalités de réaccentuation.
32Sous l’effet de la substitution de « des cendres » à « descendre », telle qu’elle s’opère – voire s’impose – aisément à l’audition du texte mis en musique, l’incipit « descendre dans la soufflerie / où se terre le mystère inquiet / des ondes et de l’asymétrie / des paramètres au cœur violet229 » s’infléchit en effet immédiatement vers l’évocation du mécanisme de destruction totale mis en œuvre dans les fours crématoires, la strophe de Thiéfaine s’inscrivant alors dans la lignée de la célébration-déploration développée par Celan méditant sur une paradoxale – et linguistiquement ambivalente – « Aschenglorie230 » (gloire des / de cendres). Il est d’ailleurs révélateur de la profonde cohérence de la dynamique de recréation qu’alors que la menace de mort est présentée sous l’aspect d’un mouvement ascendant dans les paroles du bourreau de Todesfuge (fugue de mort) « dann steigt ihr als Rauch in die Luft231 » (alors vous monterez en fumée dans les airs), le texte de Thiéfaine ou plus précisément la part de celui-ci relevant du discours explicite avec la lecture « descendre » soit centré à l’inverse sur le processus de descente dans les abîmes de l’horreur tel qu’il incombe en propre au témoin. La permutation opérée au profit de l’évocation « des cendres » génère une lecture alternative à la fois légitime dans son principe et consistante jusque dans le détail d’écriture, dans la mesure où ses étapes successives sont marquées par un rapport de corrélation directe avec des formulations celaniennes. Appréhendée en tant que réponse à l’apparition soudaine de « ein Gefühl, / vom Eiswind herübergeweht232 » (sentiment, apporté par le vent glacé), la notation « le vent glacé sur mon sourire / laisse une traînée de buée233 » adjoint à la focalisation sur le vécu individuel du protagoniste frappé par la maladie la perspective élargie renvoyant au souvenir douloureux de la tragédie collective. Alors qu’un rapport d’équivalence directe s’établit ici entre le vers de Celan et sa recréation thiéfainienne, la strophe « Der von den ungeschriebenen / Blättern / abgelesene Brief, / der Totstell-Reflexe / grausilberne Kette darauf, / gefolgt von drei silbernen / Takten234 » (la lettre lue sur les feuilles / vierges, / sur elle / la chaîne gris argenté des réflexes de mort simulée, / suivie par trois mesures argentées) réapparaît dans le discours de la chanson par le biais de deux transpositions successives embrassant chacune une portion bien définie de la séquence allemande. Dans la séquence « sur les pages moisies de l’histoire / où je traîne ma frise argentée235 », la dominance de la couleur argentée jointe à son association à un terme que son ambivalence permet aussi bien de rattacher à la chevelure – motif dont on a pu noter le caractère d’ostinato qu’il revêt dans le corpus celanien – qu’à un ornement esthétique tel qu’il peut figurer sur un papier à lettres va de pair avec la transformation-détérioration radicale des feuilles vierges – on fait ici abstraction de la lecture alternative déductible du sens premier de l’adjectif « moisi » –, les deux vers apportant ainsi un écho aussi perceptible que délibérément déformé au constat énoncé par Celan. L’idée d’un enchaînement et la mention des trois mesures sont recréées sous une forme aussi pertinente que comprimée dans le renvoi aux « triolets » dont il faut noter la double acception musicale et poétique – « la brume adoucit les contours / des ratures sur mes triolets236 » –, particulièrement apte de ce fait à traduire la multiplicité connotative de l’énoncé allemand. Quant au verdict final « ma mémoire s’efface237 », il possède de nombreuses préfigurations chez Celan où c’est précisément la « mémoire » qui s’oppose au pavot en tant que symbole traditionnel de l’oubli dans le titre du recueil Mohn und Gedächtnis (Pavot et mémoire). S’agissant d’un rapport plus spécifique avec la constellation de « l’étranger dans la glace », la sensation paradoxale d’un « Heimgeführt ins Vergessen238 » (ramené à la maison dans l’oubli) se reflète avec une acuité remarquable dans la séquence « les matins bleus de ma jeunesse / s’irisent en flou multicolore239 », où l’oubli échange provisoirement sa valeur de menace pour l’intégrité du « je » contre celle d’un refuge familier et rassurant.
33C’est également sur fond de réminiscences de l’époque nazie que se dessine le décor de l’action dans « les ombres du soir », tel que le fixent les vers « là-bas plus loin coule une rivière / qui nous sert de démarcation / enfin j’veux dire pendant les guerres / quand on a une occupation240 ». Le refrain dont le premier vers est légèrement modifié au fil des cinq strophes, et dont on cite ici la version finale « d’aucuns en cherchent la sortie / depuis des siècles & ma mémoire / au fil des brouillards & des nuits / se perd dans les ombres du soir241 » complète le rappel historique par la reproduction inversée de la tristement célèbre appellation de code « nuit et brouillard » (Nacht und Nebel en allemand) qui confère d’emblée son évidence – pour ne pas dire son urgence – à la sollicitation du legs celanien. Remarquons au préalable que l’association de la « nuit » et du « brouillard » est récurrente dans le corpus thiéfainien où elle signe toujours une possible actualisation de la référence au souvenir des camps d’extermination, nonobstant l’association tout aussi régulière de celle-ci avec des connotations de nature très différente qui varient au fil des contextes discursifs242. Il est par ailleurs significatif que Thiéfaine interprète précisément Nuit et brouillard dans l’album collectif de 2015 Des airs de liberté réalisé en hommage à Jean Ferrat, soulignant ainsi l’importance centrale qu’a pour lui le rappel de cette « mémoire » qu’il s’agit de ne pas laisser « s’efface[r]243 ».
34L’identification du texte dont « les ombres du soir » développent une réécriture implicite est rendue possible par la formulation du distique d’ouverture « elle dort au milieu des serpents / sous la tonnelle, près des marais244 » et surtout par la modification qu’il subit lors de sa répétition au début de la cinquième et dernière strophe « hm… elle joue avec ses serpents / sous la tonnelle, près des marais245 ». La figure féminine inspirée du propre aveu de Thiéfaine par la Vouivre de Marcel Aymé et dans laquelle se retrouvent aussi les traits de la déesse hindoue Kali appréhendée sous sa forme destructrice de Chamunda – pour ne rien dire de la préfiguration visuelle du texte de la chanson qu’offre La charmeuse de serpents du Douanier Rousseau246 – est en effet saisie dans la pose même qui caractérise le bourreau de la Todesfuge dans les vers « ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen247 » (Un homme habite dans la maison il joue avec les serpents ), ainsi que dans leur reprise « er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister aus Deutschland248 » (il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne). À travers la littéralité frappante du renvoi au portrait tracé par Celan, le souvenir du tortionnaire régnant sur l’univers concentrationnaire du poème allemand imprègne de façon discrète mais néanmoins « indélébile249 » la célébration du féminin destructeur et porteur de mort, dont l’incarnation privilégiée dans le discours thiéfainien – dont on a analysé plus haut la fascination pour la « lune noire250 » – est aussi bien Lilith que l’avatar énigmatique de cette dernière incarné par les « alligators 427251 ». La féminisation délibérée – et conforme aux orientations déterminantes du discours poétique de l’auteur – des dimensions « troubles et noires252 » héritées de la Todesfuge inclut ici jusqu’à l’attribut du violon dont l’omniprésence rythme chez Celan le déroulement du processus de mort, tel que l’orchestre implacablement le personnage masculin : « er ruft spielt süsser den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland / er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch in die Luft253 » (il crie jouez la mort avec plus de douceur la mort est un maître d’Allemagne). C’est en effet dans la bouche de la femme que le texte des « ombres du soir » place la mention du violon dont il amplifie encore la résonance maléfique, puisque la présentation énigmatique qui en est faite en souligne le rôle traditionnel d’instrument diabolique : « elle dit : c’est pas Saint Augustin / qui joue du violon dans les bois / & Paganini encore moins / ça semble étrange, mais je la crois254 ». Malgré le démenti immédiat qui lui est apporté dans le cadre énonciatif de sa formulation, l’hypothèse de l’intervention de Paganini – auquel ses contemporains littéralement épouvantés par la virtuosité de son jeu attribuaient pour père un incube –, ainsi que de celle de Saint Augustin – présent dans sa double fonction d’expert en démonologie ainsi que d’auteur de la première véritable réflexion sur la mémoire, telle que la développe le livre X des Confessions – confirme non seulement la nature démoniaque de la femme qui « joue avec ses serpents255 » dans le cadre de la constellation de la chanson, mais inclut a posteriori – et ce par l’intermédiaire du dialogue intertextuel qui s’établit au plan implicite – dans cette appréciation sans appel l’« homme » qui s’adonne dans la Todesfuge à la même occupation symbolique. La réappropriation thiéfainienne devient ainsi le support d’une continuation authentique de la démarche celanienne, démontrant par l’éclairage supplémentaire qu’elle apporte au texte de la Todesfuge – comme aux autres poèmes de Celan que l’on a rencontrés tout au long du présent parcours – la réalité d’une parole effectivement à même de « témoigner pour le témoin » et de conserver la « mémoire », luttant sans répit pour infirmer le constat qu’elle « se perd dans les ombres du soir256 ».
Notes de bas de page numériques
1 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony/Columbia, 2014.
2 Paul Celan, « Warum aus dem Ungeschöpften », in Schneepart [1971], Gesammelte Werke in sieben Bänden, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp Verlag, 1983, II, 364. C’est d’après cette édition que sont cités les vers de Celan dans ces lignes, conformément à l’option de traduction précisée dans la note suivante.
3 Notons d’emblée que la version française proposée par Thiéfaine porte bien la marque de sa propre signature, dans la mesure où elle ne correspond à aucune de celles parues en français même si elle se rapproche le plus de celle de Jean-Pierre Lefebvre [Paul Celan, Partie de neige, Traduit de l’allemand et annoté par Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Éditions du Seuil, 2007, coll. « Points »]. En raison de la familiarité de Thiéfaine avec l’allemand – aspect dont il sera question dans la suite de ces lignes – et de notre propre parcours qui nous a fait jadis parvenir à un quasi-bilinguisme, nous avons choisi de traduire nous-même les vers de Celan cités dans le présent article, dans le but de mettre en lumière les correspondances avec ses propres visées d’écriture qu’a pu y déceler Thiéfaine, et qui donnent lieu à la réappropriation en forme de dialogue cryptique mené au plan sous-jacent du discours.
4 https://quebec.huffingtonpost.ca/2013/05/29/hubert-felix-thiefaine-supplements-dame-entrevue_n_3353960.html
5 Interview « Hubert-Félix Thiéfaine au Cabaret Vert, 23.08.2015 », https://www.dailymotion.com/video/x330tb4
6 H.F. Thiéfaine, « Karaganda. Camp 99 », in Stratégie de l’inespoir.
7 Paul Celan, « Aschenglorie » (Gloire des / de cendres), in Atemwende (Tournant du souffle), Gesammelte Werke II, p. 72.
8 H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony/Columbia, 2011.
9 H.F. Thiéfaine, préface à François Bombard, Territoires rock. Un voyage en Amérique. Paris, Camion Blanc, 2013.
10 H.F. Thiéfaine, « le temps des tachyons », in Grand Corps Malade, Il nous restera ça, Paris, Believe, 2015.
11 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988 ; « les fastes de la solitude », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.
12 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne. mathématiques souterraines n° 2 », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982. Notons ici que le début du poème est d’ailleurs déclamé par Thiéfaine avant l’interprétation de la chanson en concert, ainsi par exemple dans les concerts du VIXI Tour XVII dont
13 H.F. Thiéfaine, « demain les kids », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990. L’énoncé complet du refrain « sacrifiez les enfants, fusillez les poètes » constitue lui-même un rappel direct du titre du roman de Kenzaburo Oe Arrachez les bourgeons, tirez sur les enfants [1958], paru en français en 1996 et publié en anglais en 1985 sous le titre Nip the Buds, Shoot the Kids. Thiéfaine a choisi d’interpréter cette chanson lors du concert d’hommage à Lounès Matoub organisé en 2008, prolongeant ainsi la liste des « témoins » dont il souhaite faire garder la mémoire.
14 Thiéfaine détaille les implications de son rapport à la culture allemande et ses efforts pour la dégager du souvenir du IIIe Reich dans l’interview parue dans le Journal L’Alsace / Le Pays, 21/05/2001, ainsi que dans la section Romantisme de la biographie de Jean Théfaine, Hubert Félix Thiéfaine. Jours d’orage, Paris, Fayard, deuxième édition revue et augmentée 2011, pp. 356-357.
15 Paul Celan, Antwort auf eine Umfrage der Librairie Flinker, Paris (1958) [Réponse à un questionnaire de la Librairie Flinker, Paris (1958)], Gesammelte Werke III, p. 167.
16 https://www.dhnet.be/medias/musique/hubert-felix-thiefaine-le-renouveau-d-un-survivant-51b78647e4b0de6db97fd41d.
17 H.F. Thiéfaine, interview pour French Radio London, 18.06.2013 (transcription inédite réalisée par la rédactrice de ces lignes).
18 Paul Celan, Atemwende, G W II, p. 16.
19 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “en remontant le fleuve” : autour de la réécriture de Au cœur des ténèbres dans une chanson de H.F. Thiéfaine », http://revel.unice.fr/loxias/?id=8856
20 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
21 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
22 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
23 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
24 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “en remontant le fleuve” : autour de la réécriture de Au cœur des ténèbres dans une chanson de H.F. Thiéfaine », http://revel.unice.fr/loxias/?id=8856
25 H.F. Thiéfaine, « annihilation », in Séquelles [édition collector], Paris, Sony, 2009.
26 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
27 Paul Celan, Gesammelte Werke, II, p. 164.
28 Paul Celan, Gesammelte Werke, II, p. 141.
29 Paul Celan, Lichtzwang, Gesammelte Werke II, p. 321.
30 H.F. Thiéfaine, « terrien, t’es rien », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.
31 L’amateur et connaisseur de Courbet qu’est Thiéfaine se révèle comme un commentateur pertinent de Un enterrement à Ornans dans le reportage réalisé dans le cadre de l’émission Thé ou café du 9 janvier 2012, https://www.youtube.com/watch ?v =XBunmugHvRo.
32 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
33 Paul Celan, Lichtzwang, GW II, p. 309.
34 H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert », in Stratégie de l’inespoir.
35 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude », in Défloration 13.
36 Paul Celan, Von Schwelle zu Schwelle, GW I, p. 97.
37 Paul Celan, Sprachgitter, GW I, p. 168.
38 Paul Celan, Zeitgehöft, GW III, p. 98.
39 H.F. Thiéfaine, « guichet 102 », in Défloration 13.
40 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 217.
41 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
42 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 221.
43 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve ».
44 Paul Celan, Atemwende, GW II, p. 31.
45 Paul Celan, Schneepart, GW II, p. 372.
46 H.F. Thiéfaine, « exit to chatagoune-goune », in Soleil cherche futur.
47 H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles », in Suppléments de mensonge.
48 https://leilamarchand.wordpress.com/2011/03/07/thiefaine-tu-as-la-splendeur-dun-enterrement-de-premiere-classe/
49 https://leilamarchand.wordpress.com/2011/03/07/thiefaine-tu-as-la-splendeur-dun-enterrement-de-premiere-classe/
50 https://leilamarchand.wordpress.com/2011/03/07/thiefaine-tu-as-la-splendeur-dun-enterrement-de-premiere-classe/
51 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 27.
52 https://leilamarchand.wordpress.com/2011/03/07/thiefaine-tu-as-la-splendeur-dun-enterrement-de-premiere-classe/
53 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 26.
54 H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles ».
55 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 26.
56 H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles ».
57 Stéphane Mallarmé, Un coup de dés, Œuvres complètes, texte établi et annoté par Henri Mondor et G. Jean-Aubry, Paris, Gallimard, 1951, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 461.
58 https://putsch.media/20130121/culture/musique/thiefaine-rencontre-avec-un-poete-du-rock/
59 H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles ».
60 Stéphane Mallarmé, Un coup de dés, Œuvres complètes, pp. 462-463.
61 HUBERT - FELIX THIEFAINE - Poète de scène, https://www.youtube.com/watch ?v =Vq6E5CF2K0Q
62 H.F. Thiéfaine, « droïde song », in Eros über alles.
63 Paul Celan, Von Schwelle zu Schwelle, GW I, p. 135.
64 H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles ».
65 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.
66 Guillaume Apollinaire, Colchiques, Œuvres complètes, édition réalisée par avec une préface et des notes de, Paris, Gallimard, 2002, tome I, p. 342.
67 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique ».
68 H.F. Thiéfaine, « alligators 427 », in Autorisation de délirer, Paris, Sterne, 1979.
69 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 28.
70 https://www.lepopulaire.fr/limoges-87000/loisirs/hubert-felix-thiefaine-samedi-au-zenith-avec-son-nouvel-album-strategie-de-linespoir_11657144/
71 Albert Camus, L’Homme révolté [1951], Œuvres complètes, III, 1949-1956, Édition publiée sous la direction de Raymond Gay-Crosier, Paris, Gallimard, 2008, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 64.
72 Françoise Salvan-Renucci, « "adieu gary cooper adieu che guevara" : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743.
73 H.F. Thiéfaine, Paris-Zénith 95, Paris, Sony, 1995.
74 H.F. Thiéfaine, 40 ans de chansons sur scène, Paris, Sony/Columbia, 2019.
75 H.F. Thiéfaine, « crépuscule – transfert », in Fragments d’hébétude.
76 cf. Françoise Salvan-Renucci, « "adieu gary cooper adieu che guevara" : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine ».
77 Romain Gary, La Tête coupable, p. 150.
78 Romain Gary, La Tête coupable, Paris, Gallimard, 1968/1980, coll. « Folio », p. 149.
79 H.F. Thiéfaine, « crépuscule – transfert ».
80 Romain Gary, La Tête coupable, p. 150. Bien que son investigation s’impose dans toute exégèse approfondie de « crépuscule – transfert », la référence commune à Bach puis à Giono ne saurait trouver sa place dans le champ de réflexion du présent article.
81 https://www.lepopulaire.fr/limoges-87000/loisirs/hubert-felix-thiefaine-samedi-au-zenith-avec-son-nouvel-album-strategie-de-linespoir_11657144/ (« Je cherche des mots qui correspondent à des images, des mots avec de belles sonorités et je fais de la céramique avec. »)
82 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 287.
83 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 287.
84 H.F. Thiéfaine, « critique du chapitre 3 », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 2016.
85 H.F. Thiéfaine, « Karaganda (Camp 99).
86 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, pp. 287-288.
87 H.F. Thiéfaine, « crépuscule – transfert ».
88 H.F. Thiéfaine, « crépuscule – transfert ».
89 cf. H.F. Thiéfaine, 40 ans de chansons sur scène.
90 Paul Celan, Schneepart, GW II, p. 338.
91 HF. Thiéfaine, « la môme kaléidoscope », in Autorisation de délirer.
92 http://www.sortiedesecours.info/homo-plebis-ultimae-entretien-avec-thiefaine-2934 « mais en plus, j’adore les mots : je vais les chercher, je les choisis, je les mets dans un ordre bien précis… Je fais de la menuiserie, je passe le rabot, je les vernis à la fin… Il y a tout un travail, et ça c’est passionnant, c’est comme la peinture. »
93 cf. Françoise Salvan-Renucci, « je me revois, rêveur errant » : figures de l’errance dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 15, Toulouse, 15.11. 2018, https://www.youtube.com/watch ?v =QhOL-S2KS_0
94 Paul Celan, Schneepart, GW II, p. 386.
95 Paul Celan, Zeitgehöft, GW III, p. 89.
96 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen », in Meteo für nada, Paris, Sterne, 1986.
97 H.F. Thiéfaine, « exil sur planète-fantôme », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.
98 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
99 La réécriture de la constellation biblique est détaillée dans Françoise Salvan-Renucci, « ne vous retournez pas la facture est salée » : la relecture des textes sacrés (Bible, Coran) dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence à l’Université d’Angers, 29.02.2016, https://www.youtube.com/watch ?v =uiwLjFUbz4w. On notera enfin que la possibilité d’inversion de l’« amanite » en « ammanite » entraîne ipso facto la mention de l’« amok » et sa référence sous-jacente à Stefan Zweig, tandis que la qualification de « prima belladonna » renvoie à la nouvelle Prima Belladonna de J.G. Ballard, dont le titre – de même que celui du recueil Vermilion Sands dont elle est issue – est conservé dans la traduction française.
100 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
101 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
102 Richard Strauss, Elektra [1909], Tragödie in einem Aufzug von Hugo von Hofmannsthal, cité d’après l’édition en ligne http://opera.stanford.edu/Strauss/Elektra/libretto.html
103 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ». On se contentera de rappeler que le sens latin de satelles – soit garde du corps ou escorte – se prête idéalement à l’assimilation avec une « escorte » au sens de escort-girl – terme qui renvoie de son côté au scortum latin en tant que désignation d’une prostituée.
104 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998. Faute de place pour développer cet aspect essentiel du texte, on se contente de souligner ici l’analogie saisissante et détaillable point par point entre la figure de la « reine noire » et la conception hindouiste mais surtout tantrique de la « grande destructrice » Kali dont les représentations présentent une ressemblance frappante avec la description élaborée par Thiéfaine.
105 Paul Celan, Zeitgehöft, GW III, p. 88.
106 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
107 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
108 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
109 Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, Œuvres complètes, préface et annotations de Claude Roy, Paris, Robert Laffont, 1987, coll. « Bouquins », p. 123.
110 H.F. Thiéfaine, « bouton de rose », in Le Bonheur de la tentation.
111 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 17.
112 Outre sa pertinence intrinsèque, le clin d’œil à Antonin Artaud renvoie à la place centrale prise par ce dernier dans l’élaboration du projet artistique de Thiéfaine, et dont témoignent directement tant le reflet inversé constitué par les « cruautés / du théâtre » de « septembre rose » [in Eros über alles] que l’extrait de l’enregistrement de Pour en finir avec le jugement de dieu placé en tête de « quand la banlieue descendra sur la ville » [in Défloration 13].
113 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been », in Scandale mélancolique.
114 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
115 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
116 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie », in Scandale mélancolique.
117 Paul Celan, Übertragungen II, GW V, p. 95.
118 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
119 Paul Celan, Der Sand aus den Urnen, GW III, p. 25.
120 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
121 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 53.
122 Paul Celan, Von Schwelle zu Schwelle, GW I, p. 98.
123 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
124 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 57.
125 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
126 Paul Celan, Von Schwelle zu Schwelle, GW I, p. 117.
127 H.F. Thiéfaine, « annihilation », in Séquelles. Édition collector, Paris, Sony, 2009.
128 Il n’a pas pu échapper au connaisseur averti de Wagner qu’est Thiéfaine que la séquence de Celan paraphrase directement la tirade hallucinée de Sieglinde au deuxième acte de La Walkyrie, dans laquelle elle avertit son frère et amant Siegmund de l’approche de la meute des poursuivants et lui suggère de jeter son épée – représentée par l’os chez Celan – face à cet assaut synonyme d’une mort inéluctable.
129 H.F. Thiéfaine, « annihilation ». Il va de soi qu’il ne s’agit là que d’une possibilité d’exégèse – suggérée voire dictée par leur sens étymologique et l’usage qu’en fait encore la liturgie catholique – des « vigiles » que l’on peut aussi bien appréhender au sens actuel du terme, « l’écran » qui leur est associé pouvant ainsi passer de son acception technologique à la perception métaphorique d’une surface de projection des méditations du protagoniste.
130 On s’abstient là aussi de rentrer dans le détail du sens cryptique de la « schizo » en tant que référence à la zone génitale féminine, la réaccentuation érotico-sexuelle pouvant s’effectuer point par point pour la totalité de la strophe concernée ainsi que d’au moins de la précédente. S’agissant d’une dimension étrangère à la réappropriation des vers de Celan, sa démonstration ne saurait bien évidemment trouver place dans le présent article.
131 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
132 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 281.
133 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
134 H.F. Thiéfaine, « la nuit de la samain », in Scandale mélancolique.
135 H.F. Thiéfaine, « alligators 427 ».
136 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
137 Paul Celan, Schneepart, GW II, p. 365.
138 H.F. Thiéfaine, « québec november hotel », in Suppléments de mensonge. Signalons aussi le titre d’album Dernières balises (avant mutation) et à l’intérieur de celui-ci l’invite « narcisse ! balise ta piste ! » adressée à la figure centrale de « narcisse 81 ».
139 cf. entre autres l’interview accordée à Tele Paese (23/07/2019), https://www.telepaese.corsica/journal-dinformation/nutiziale/les-nuits-de-la-guitare-vibrent-pour-hubert-felix-thiefaine où Thiéfaine insiste justement sur l’importance prépondérante que revêtent pour lui les « mots » et leur choix.
140 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “quand humpty dumpty jongle avec nos mots sans noms” : prolégomènes à l’analyse du discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8996
141 On remarquera que la déclinaison des références bibliques se poursuit chez Thiéfaine jusqu’à la toute fin de la chanson où le « no te me tangues black queen » inverse en un détournement parodico-blasphématoire le noli me tangere adressé par Jésus à Marie-Madeleine lors de leur rencontre après la résurrection.
142 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready Mister Bob », in Amicalement blues, Paris, RCA/Sony, 2007.
143 La place manque pour discuter de la redéfinition sexuelle du « silence » ou des « vibrations » opérée de façon récurrente au plan implicite du discours thiéfainien. Remarquons toutefois qu’elle témoigne à nouveau (cf. la note 101) d’une connaissance approfondie des concepts tantriques, dont les textes de « alligators 427 » ou de « loin des temples en marbre de lune » constituent des exemples achevés qu’on regrette de ne pouvoir explorer ici.
144 H.F. Thiéfaine, « comment j’ai usiné ma treizième défloration », Lilith Érotica, CD-Rom, in Défloration 13.
145 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready Mister Bob ».
146 Paul Celan, Lichtzwang, GW II, p. 233.
147 La lecture exposée ici se double d’une réaccentuation sexuelle basée sur le sens originel du terme « polka » dans lequel on reconnaît le diminutif slave -ka accolé au prénom correspondant au français Paul(e), les « vieilles polkas nazies » devenant alors de « vieilles Paulettes nazes » objet de tout temps de la détestation du protagoniste, qui leur oppose sa situation actuelle dans laquelle le participe « planté » renvoie à une activité sexuelle pratiquée dans un lieu que la lecture homophonique dévoile comme le « trou d’une miss houri ». La superposition des deux lectures sans exclusion réciproque est une caractéristique essentielle du discours thiéfainien dont il faut à nouveau noter ici la cohérence sans défaut et la précision extrême apportée à la mise au point des strates antagonistes.
148 H.F. Thiéfaine, « bouton de rose ».
149 H.F. Thiéfaine, « 113e cigarette sans dormir ». Remarquons ici que le terme « coda » – outre sa fonction de vocable technique en musique et l’évidence de sa réaccentuation sexuelle – constitue un clin d’œil symbolique à la Coda sur laquelle se clôt Tropique du Capricorne.
150 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
151 Paul Celan, Sprachgitter, GW I, p. 182.
152 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 21.
153 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières…) », in Alambic – sortie sud, Paris, Sterne, 1984.
154 Dans l’impossibilité où l’on se trouve ici de détailler la nature de cet entrelacement et donc la place qu’y tient la dimension celtique, on se contente de renvoyer à Françoise Salvan-Renucci, « “les bretons ont des chapeaux ronds” : présence de la tradition et de la littérature celtiques dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence à l’université Rennes 2, 11/10/2018, https://www.youtube.com/watch ?v =wEjUbE_-ctQ&t =4s
155 Paul Celan, Sprachgitter, GW I, p. 170.
156 H.F. Thiéfaine, « lorelei sébasto cha », in Soleil cherche futur. Le halo référentiel de « lorelei sébasto cha » – dont la mouvance conduit de Heine à Benjamin Péret en passant par Céline et Shakespeare – est décrit (hors l’apport celanien) dans Françoise Salvan-Renucci, « “dans une alchimie romantique” : l’empreinte du romantisme européen dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence à Belfort, Centre Culturel La Pépinière, 30/06/2017, https://www.youtube.com/watch ?v =R0IGjb2LVZY&t =8s
157 H.F. Thiéfaine, « lorelei sébasto cha ».
158 William Shakespeare, As you like it (Comme il vous plaira) [1623], V, 1245, The complete Oxford Shakespeare, II. Comedies, Oxford, Oxford University Press, 1987, p. 701.
159 Signalons que l’ambivalence thiéfainienne ne fait cependant pas défaut à la formule citée puisqu’elle se lit avec une égale légitimité comme un calembour tautologique d’inspiration debordienne, que l’on peut retranscrire sous la forme « où meurent tous les j’expire ». On reconnaît ici un clin d’œil – ou plus précisément un détournement fructueux – de l’hypothèse un temps évoquée selon laquelle Shakespeare aurait été en réalité un Français qui aurait pris pour pseudonyme la transcription anglicisée de « j’expire », en référence au nombre particulièrement élevé de morts dans le drame shakespearien.
160 H.F. Thiéfaine, « lorelei sébasto cha ».
161 On passe ici sur le sens grammatico-linguistique des « cuirs » en tant que fautes de grammaire ou lapsus, tel qu’il est fréquemment employé par Proust – pour se limiter à un auteur abondamment fréquenté par Thiéfaine et régulièrement sollicité par celui-ci en tant que partenaire de ses dialogues intertextuels – et qu’il relève ici de la strate poétotologique du discours, particulièrement développée dans « lorelei sébasto cha » où elle est également représentée par les réflexions développées par Céline dans Entretiens avec le professeur Y à propos de l’écriture comparée à un métro lancé à pleine vitesse et que seuls ses rails profilés empêchent de dérailler, éclairant ainsi autrement que par sa seule métaphorique sexuelle le « train qui déraille » du protagoniste masculin. Que l’accident de tramway évoqué dans la suite du texte survienne précisément boulevard Sébastopol souligne encore l’ancrage célinien du texte, la référence étant cependant partagée avec Benjamin Péret dont le vers d’Émigrant des mille milles « boulevard Sébastopol ou Wilhelmstrasse / nos sœurs sont deux putains » [Œuvres complètes, tome I, Paris, Le Terrain vague, 1969, p. 28], commande la réaccentuation sur le mode des amours tarifées dont la Lorelei de Heine en tant que matrice du texte fait l’objet dans la chanson.
162 H.F. Thiéfaine, « les dingues et les paumés », in Soleil cherche futur.
163 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 276.
164 Concernant les dénominations de « dingues » et de « paumés » qui participent au premier chef à l’aura suggestive du texte, on choisit de n’en retenir ici que le seul sens explicite, la réaccentuation sexuelle qui sous-tend l’ensemble du déroulement discursif par une oscillation entre une activité sexuelle effrénée – suggérée par l’image du membre « dinguant » d’un(e) partenaire à l’autre selon le sens premier du verbe « dinguer » – et la masturbation – celui qui la pratique se retrouvant « paumé » au sens étymologique de « pris dans la main », tel le « paumé à la sortie des gares » rencontré dans « also sprach winnie l’ourson » [in Défloration 13] – s’avérant sans utilité directe pour le repérage et l’exploitation des constituants celaniens qui entrent dans la composition du discours énigmatique.
165 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 226.
166 H.F. Thiéfaine, « les dingues et les paumés ».
167 Friedrich Hölderlin, Brot und Wein [1884], Gedichte, hrsg. und mit Erläuterungen versehen von Jochen Schmidt, Francfort sur le Main, Insel-Verlag, 1969, p. 224.
168 H.F. Thiéfaine, « les dingues et les paumés ».
169 Léo Ferré, « avec le temps », Les chants de la fureur, Paris, Gallimard / La Mémoire et la Mer, 2013, p. 123. La réappropriation thiéfainienne des textes de Ferré est analysée dans Françoise Salvan-Renucci : « “tout de suite, les mots de Léo m’ont embarqué” : quelques exemples de la présence de Léo Ferré dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », in Joël July / Pascal Pistone (éd.), Ferré, vos papiers !, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2018.
170 Paul Celan, Sprachgitter, GW I, p. 163.
171 H.F. Thiéfaine, « les dingues et les paumés ». On n’entre pas ici dans les détails de la dynamique de composition de ces deux vers, dans la mesure où ils ne comportent pas de renvoi direct à Celan.
172 H.F. Thiéfaine, « photographie-tendresse », in Dernières balises (avant mutation).
173 H.F. Thiéfaine, « photographie-tendresse ».
174 H.F. Thiéfaine, « scènes de panique tranquille », in Dernières balises (avant mutation).
175 H.F. Thiéfaine, « les dingues et les paumés ».
176 On signalera cependant à titre d’exemple la redéfinition implicite du participe « décapités » auquel vient se substituer la création « décapotés » qui constitue elle-même le prélude naturel à l’apparition de « rejetons », le vers se lisant alors sur le modèle du « on vient tous d’une capote usée » de « loin des temples en marbre de lune » [in Scandale mélancolique] ou du « les assassins défilent en levant leurs képis » de « une fille au rhésus négatif » [in Dernières balises (avant mutation)]. La déclinaison variée des modalités linguistico-énonciatives et leur insertion dans des contextes extrêmement divers témoignent de la cohérence marquée du discours implicite ou plus exactement de sa strate érotico-sexuelle, dans laquelle la réappropriation des conceptions lacaniennes se combine régulièrement avec l’accentuation tantrique. cf. Françoise Salvan-Renucci, « “quand humpty dumpty jongle avec nos mots sans noms” : prolégomènes à l’analyse du discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».
177 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 22.
178 H.F. Thiéfaine, Routes 88, Paris, Sterne, 1988 ; 40 ans de chansons sur scène, Paris, Sony/Columbia, 2019. Les poètes et artistes nommés en tant qu’ayant été frappés de la perte d’une partie de leur corps sont en 1988 Chénier, Rimbaud, Van Gogh et Cendrars, auxquels s’ajoute en 2019 John Fante « qui finit aveugle et cul-de-jatte ».
179 H.F. Thiéfaine, « symdrome albatros ».
180 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ».
181 André Chénier, Œuvres poétiques, texte établi par Louis Moland, Paris, Garnier, 1889, volume I, p. 281.
182 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ».
183 H.F. Thiéfaine, « les dingues et les paumés ».
184 H.F. Thiéfaine, « narcisse 81 », in Dernières balises (avant mutation).
185 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 48.
186 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 23.
187 H.F. Thiéfaine, « narcisse 81 ».
188 H.F. Thiéfaine, « narcisse 81 ».
189 H.F. Thiéfaine, « les dingues et les paumés ».
190 Guitares et claviers n° 85, 01/05/1988.
191 H.F. Thiéfaine, « québec november hotel », in Suppléments de mensonge. L’itinéraire à triple entente réservé au protagoniste de la chanson est reconstitué dans Françoise Salvan-Renucci, « “chanteur de rock” et “poète illusoire” : le projet artistique de H.F. Thiéfaine et sa traduction dans le discours poétique et musical de ses chansons », conférence à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, campus de Dijon, 25/10/2018, https://www.youtube.com/watch ?v =3T1XdGA9V1U&t =10s.
192 H.F. Thiéfaine, « terrien, t’es rien », in Fragments d’hébétude.
193 H.F. Thiéfaine, « québec november hotel ».
194 H.F. Thiéfaine, « québec november hotel ».
195 H.F. Thiéfaine, « solexine et ganja », in Soleil cherche futur.
196 H.F. Thiéfaine, « autorisation de délirer », in Autorisation de délirer.
197 H.F. Thiéfaine, « la fille du coupeur de joints », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.
198 H.F. Thiéfaine, « narcisse 81 », « québec november hotel ».
199 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
200 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been ».
201 cf. Françoise Salvan-Renucci, « "adieu gary cooper adieu che guevara" : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743.
202 Paul Celan, Lichtzwang, GW II, p. 313.
203 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready Mister Bob! ».
204 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
205 Paul Celan, Die Niemandsrose, GW I, p. 237.
206 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
207 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
208 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
209 Henry Miller, Sexus [1949], texte définitif, traduction de Georges Belmont, Paris, Le Livre de Poche, 1987, p. 281.
210 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
211 Paul Celan, Schneepart, GW II, p. 343.
212 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
213 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
214 Pat Conroy, Le Grand Santini [1976, première parution en traduction française 1979], traduit de l’américain par Éric Chedaille, Paris, Pocket, 2009, p. 278.
215 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
216 https://www.humanite.fr/hubert-felix-thiefaine-lartiste-met-de-lordre-dans-le-chaos-du-monde
217 H.F. Thiéfaine, « annihilation ».
218 H.F. Thiéfaine, « annihilation ».
219 Guitares et claviers n° 85, 1988.
220 H.F. Thiéfaine, « je suis partout », in Eros über alles.
221 Paul Celan, Zeitgehöft, GW III, p. 119.
222 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 42.
223 H.F. Thiéfaine, « je suis partout ». Notons que la mention du « train paris-gare d’auschwitz » contient un renvoi direct à l’œuvre de Charlotte Delbo dans laquelle la gare d’Auschwitz constitue le centre symbolique de l’univers concentrationnaire.
224 H.F. Thiéfaine, « annihilation ».
225 H.F. Thiéfaine, « je suis partout ».
226 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “dans le tumultueux chaos des particules” : l’empreinte du De rerum natura dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », Lectures de Lucrèce, textes réunis et présentés par Sylvie Ballestra-Puech, Genève, Droz, 2019, p. 211-234.
227 https://www.thiefaine.com/journee-mondiale-contre-alzheimer/
228 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe [1942], Œuvres complètes, I, 1931-1944, Édition publiée sous la direction de Jacqueline Lévi-Valensi, Paris, Gallimard, 2006, « Bibliothèque de La Pléiade », p. 254.
229 H.F. Thiéfaine, « l’étranger dans la glace », in Scandale mélancolique.
230 Paul Celan, Atemwende, GW II, p. 72.
231 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 42.
232 Paul Celan, Sprachgitter, GW I, p. 156.
233 H.F. Thiéfaine, « l’étranger dans la glace ».
234 Paul Celan, Lichtzwang, GW II, p. 272
235 H.F. Thiéfaine, « l’étranger dans la glace ».
236 H.F. Thiéfaine, « l’étranger dans la glace ».
237 H.F. Thiéfaine, « l’étranger dans la glace ».
238 Paul Celan, Sprachgitter, GW I, p. 157.
239 H.F. Thiéfaine, « l’étranger dans la glace ».
240 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir », in Suppléments de mensonge.
241 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir », in Suppléments de mensonge.
242 On se contentera de citer ici les vers de Misty dog in love [in Chroniques bluesymentales] « je te veux dans ma nuit / je te veux dans mon brouillard », où l’érotisation de la référence historique n’en efface nullement l’impact signalétique, qui s’enrichit au contraire – notamment via le vers « je te veux fauve et captive / écartelée dans ma geôle » – du rappel des « amours-commando » évoqués plus haut à propos de « syndrome albatros » et dont le film Portier de nuit de Liliana Cavani constitue une des principales références cinématographiques.
243 H.F. Thiéfaine, « l’étranger dans la glace ».
244 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
245 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
246 On rappelle ici qu’outre le vers de « was ist das rock’n’roll ? » [in Eros über alles] où le protagoniste se présente « tel un douanier rousseau du graffiti vocal », l’importance du Douanier Rousseau en tant que modèle artistique de Thiéfaine est reconnue explicitement par ce dernier : « Sincèrement j’ai hésité entre le Douanier Rousseau et le Facteur Cheval. C’est-à-dire entre deux personnages en dehors des modes qui ont créé leur monde, un univers de naïveté complètement à côté des normes d’une époque, presque un monde d’enfant. » (Guitares et claviers n° 85, 1988). cf. Françoise Salvan-Renucci, « “quand humpty dumpty jongle avec nos mots sans noms” : prolégomènes à l’analyse du discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».
247 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 41.
248 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 42.
249 H.F. Thiéfaine, « je ne sais plus quoi faire pour te décevoir », in Eros über alles.
250 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières…) », in Alambic / sortie sud ; « retour vers la lune noire », in Le bonheur de la tentation.
251 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “est-ce ta première fin de millénaire ?” : “fin de partie” et “fin programmée” dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8976
252 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
253 Paul Celan, Mohn und Gedächtnis, GW I, p. 42.
254 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
255 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
256 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
Pour citer cet article
Françoise Salvan-Renucci, « « en remontant le fleuve vers cette éternité » : présence de Paul Celan dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », paru dans Loxias, 64., mis en ligne le 21 novembre 2019, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=9258.
Auteurs
Aix-Marseille Université / Université Côte d’Azur, CTEL