Loxias | 55 (déc. 2016). Autour des programmes de concours 2017 | I. Autour des programmes de concours 2017 

Sylvain Leroy  : 

Sénèque ou la force de l’euidentia dans les livres I et II des Lettres à Lucilius

Résumé

Dans les Lettres à Lucilius, œuvre parénétique par excellence, Sénèque doit trouver un moyen pour concilier rhétorique et philosophie alors précisément que les principes vétéro-stoïciens rejettent les artifices de l’ars rhetorica. Il a recours, pour ce faire, à la complexe notion d’euidentia qui lui permet de faire le lien entre docere, mouere et delectare. Sénèque réhabilite en effet l’image dans une rhétorique du regard qui fait de l’œil son principal destinataire et use de l’euidentia dans toute son étendue pour susciter l’assentiment du disciple. Grâce à elle, il peut montrer le stoïcisme sous un jour agréable, donner à voir les concepts de la doctrine et surtout placer sous les yeux un imaginaire rassurant et des images motivantes qui vont provoquer chez le lecteur la volonté de s’engager sur la voie de la sagesse.

Abstract

In Letters to Lucilius, work of moral improvement above all else, Seneca has to find a way to conciliate rhetoric and philosophy, whereas Old Stoicism principles precisely reject the ars rhetorica artifices. To do so, he resorts to the complex notion of euidentia which allows him to connect docere, mouere and delectare. Seneca rehabilitates indeed the image within a rhetoric of the look which mainly appeals to the eye and uses euidentia to its whole extent, leading to the disciple’s adhesion. Thanks to euidentia, he can show stoicism in a pleasant manner, let the doctrine’s concepts to be seen, and especially place under the eyes a reassuring mental universe and motivating images which trigger the reader’s will to commit to the wisdom path.

Index

Mots-clés : évidence , rhétorique, Sénèque, stoïcisme

Chronologique : Antiquité romaine , Ier siècle ap. J.-C.

Plan

Texte intégral

« Rien n’est plus convainquant que la vérité1. » Cette sentence attribuée au philosophe Diogène de Babylone montre que, pour les Stoïciens, la seule force de l’idée claire doit convaincre et que la vérité n’a nul besoin de recourir aux artes de la rhétorique. Sénèque, considérant dans la lettre 94 des Lettres à Lucilius que « la vérité luit d’elle-même2 », se montre fidèle à la tradition stoïcienne qui s’oppose, du moins dans ses principes, à l’usage de la rhétorique et qui recommande « le degré zéro du style ». Selon Diogène-Laërce, Zénon, le fondateur du portique, louait les avantages d’un discours minimaliste et comparait les paroles du vrai philosophe aux vieux tétradrachmes antiques, frappés de rugueuse façon mais pesant plus que les belles pièces à l’effigie d’Alexandre3. Dans une optique similaire, Sénèque rappelle que « le malade ne se met pas en quête d’un médecin doué d’éloquence4 ». La parole du sage est comparable au traitement radical et douloureux d’un mal épidémique et, dans un tel état d’urgence, le choix des mots n’a guère d’importance5. Naturellement, ces principes se sont rapidement heurtés aux exigences du réel et les doxographies antiques mettent en avant des distorsions sensibles entre pratique et théorie, montrant que, dans l’action, Zénon, Chrysippe ou encore Caton ne renonçaient pas toujours aux bienfaits de l’ornatus6. Cela étant, dans la tradition antique, les Stoïciens, lorsqu’ils sont fidèles à leurs principes rigoureux, apparaissent comme de piètres orateurs. Cicéron, dans le Brutus7, affirme que la parole du stoïcien Quintus Aélius Tubéron ressemblait à sa vie et qu’elle était donc « rude, sans art, inculte8 ». Laideur du discours, qui, et c’est bien là le plus grave, entraîne une complète inefficacité de la parole. Le De oratore évoque à titre d’exemple le procès de Rutilius Rufus, accusé de concussion en 92 avant notre ère9. Ce dernier considérait qu’il était indigne d’avoir recours au mouere pour infléchir les juges et il « ne permit pas même qu’on employât pour sa défense d’autre preuve que la justice, d’autre éloquence que la vérité10. » Nobles principes, sans aucun doute, mais qui ne lui permirent pas d’échapper à l’exil ! De même, dans le De finibus11, l’orateur romain se moque des conclusions courtes et vives des maîtres stoïciens qui ne contribuent aucunement à mieux supporter la douleur : nihilo firmior ad dolorem ferendum. Le comparatif précédé ici de l’adverbe nihilo semble précisément nier toute possibilité de progression, ce qui est en contradiction même avec le projet des Lettres à Lucilius qui ont pour finalité de rendre le disciple melior12. Il faut donc trouver pour Sénèque une solution permettant d’allier vérité nue et efficacité. Ce dernier ne peut renoncer à l’une (sans quoi il ne respecte plus les principes du Stoïcisme) et ne veut renoncer à l’autre, dès lors qu’un ouvrage parénétique se définit précisément par sa pragmatique. Cette conciliation, Sénèque n’est certes pas le premier à l’imaginer et l’on sait par un certain nombre de témoignages que les Vétéro-Stoïciens ne s’étaient pas murés dans le quasi silence de leurs syllogismes. Mais cette tentative de synthèse s’avère particulièrement visible dans les Lettres à Lucilius, ouvrage dont le genre même rend la tension entre les deux pôles précités particulièrement vive. En outre, il semble bien que notre philosophe soit parvenu de façon habile à résoudre cette difficulté grâce à l’utilisation d’une rhétorique du regard qui n’est pas en contradiction avec l’orthodoxie stoïcienne.

Sénèque théoricien : pour une rhétorique du regard au service de la philosophie

Préférer les yeux aux oreilles

Pour ce faire, Sénèque doit d’abord mettre à distance les formes de la rhétorique qu’il condamne. Il dénonce tout d’abord et sans surprise les raffinements excessifs du langage :

Tantôt ce sont des termes antiques et surannés (antiqua uerba atque exoleta) qu’elle [l’âme] fait revivre et met en honneur ; tantôt même elle crée des néologismes ou des acceptions nouvelles (modo fingit et ignota ac deflescit) ; tantôt – mode répandue depuis peu – on regarde comme une élégance l’audace et l’accumulation des métaphores (audax translatio ac frequens)13.

Dans cette énumération, l’auteur des Lettres à Lucilius condamne trois tropes, c’est-à-dire trois figures qui portent sur les mots isolés et qui sont habituellement associées dans les traités rhétoriques : l’archaïsme, le néologisme et la métaphore perçue comme un procédé de substitution. On voit cependant ici que la translatio n’est pas condamnée en tant que telle mais par son audace, son accumulation et son association aux autres tropes (l’archaïsme et le néologisme), l’ensemble constituant une forme de style artiste (ou artificiel) particulièrement raffiné dont il faut se détourner. Dans une perspective un peu différente, Sénèque dénonce les rhéteurs qui sont à la recherche des applaudissements et qui s’adressent aux oreilles des auditeurs : Aliud propositum est declamantibus et adsensionem coronae captantibus ; aliud his, qui iuuenum et otiosorum aures disputatione uaria aut uolubili detinent14. En réalité, de tels déclamateurs, à l’image des sirènes, charment les oreilles des jeunes oisifs par leur discours fluide. L’adjectif uolubilis suggère la facilité mais aussi une forme d’écoulement qui berce et qui caresse, qui retient prisonnier mais qui ne fait rien retenir. Bref, à cette déclamation qui s’adresse aux oreilles dans le charme d’un style qui coule, il faudrait opposer une rhétorique qui place devant les yeux et qui fixe dans l’esprit la vérité par des images. C’est ce qu’affirme Sénèque de façon très claire dans un passage particulièrement important de la lettre 59 :

Je trouve chez toi, il est vrai, des métaphores (translationes uerborum) qui, sans offrir rien de trop hardi, ont couru bravement leur chance. Je trouve aussi des comparaisons (imagines). Veut-on nous les interdire, comme un privilège concédé seulement aux poètes ? Ce serait avouer qu’on n’a lu aucun des maîtres anciens, qui étaient d’un temps où l’on ne se piquait pas encore d’une éloquence à grand frais. Ils s’énonçaient simplement, avec l’unique ambition de se faire comprendre (demonstrandae rei causa) ; et pourtant ils fourmillent de rapprochements imagés (parabolis). Or, j’estime que nous avons besoin de l’image, non pour les mêmes raisons que les poètes, mais afin qu’elle serve de point d’appui (adminicula) à l’humaine faiblesse (imbecillitatis nostrae) et mette l’orateur comme l’auditeur en contact avec la réalité (in rem praesentem)15.

Sénèque réhabilite ici les translationes en les rapprochant cette fois-ci non pas des figures de mots mais de la comparaison, qui elle appartient à la catégorie des figures de style dans les traités rhétoriques. La métaphore n’est plus simplement un travail de substitution un peu gratuit, mais s’apparente désormais à l’imago dans son objectif de saisir l’analogie entre deux éléments éloignés. On notera également que les termes imagines et translationes sont repris dans cet extrait par la forme d’origine grecque parabolis qui désigne chez Aristote la comparaison didactique et explicative par opposition à l’εἰκών qui elle s’avère ornementale et poétique. En outre, les différentes images sont employées dans le but de montrer, et non d’orner, comme l’indique l’expression demonstrandae rei causa16 dont la profondeur sémantique mérite d’être signalée. Monstrare, en effet, c’est à la fois montrer et démontrer, c’est faire connaître en faisant voir, c’est rendre les choses évidentes pour l’œil et la pensée simultanément. Or, à cause de la faiblesse de l’esprit humain qui a besoin d’un soutien (adminiculum) pour ne pas tomber, démontrer ne peut se faire sans montrer. À la rhétorique qui flatte l’oreille dans la vacuité du bercement s’oppose une rhétorique qui fixe dans la clarté et qui s’adresse aux yeux, lieu d’enjeux majeurs dans la pensée sénéquienne.

L’œil. Lieu de l’enjeu

L’œil semble être chez Sénèque le sens le plus perçant, le plus sensible et le plus impressionnable au sens étymologique. Il est facilement et intensément frappé par un objet et par conséquent il fait naître des représentations souvent fantaisistes auxquelles le sot donne son assentiment, à l’inverse du sage. On le voit en particulier dans la lettre 14 dans laquelle Sénèque expose que la force au service d’autrui fait naître la crainte bien plus que la maladie ou l’indigence17. Selon notre philosophe, l’homme ne craint pas tant la douleur que la représentation de la douleur. Le bourreau, en étalant ses objets de torture, triomphe en réalité par la vue18. C’est donc à travers les yeux que l’homme imagine les pires supplices et se perd dans des représentations en partie erronées considérant que la maladie ou l’indigence, parce qu’elles se faufilent discrètement, ne sont pas objets de crainte alors même qu’elles s’avèrent tout aussi dangereuses que le spectacle de la force. Il en va de même dans la lettre 12 dans laquelle Sénèque loue le bonheur de la vieillesse. Il cite néanmoins une objection de Lucilius : « Il est pénible (molestum), dis-tu, d’avoir la mort devant les yeux (ante oculos)19. » Du regard naissent à nouveau le souci et la crainte, l’adjectif molestum traduisant l’idée d’une charge pesante qui entrave l’homme par opposition à la doctrine stoïcienne qui a pour finalité la libération. Comme on peut s’y attendre, Sénèque précise aussitôt qu’il ne faut pas donner son assentiment à de telles représentations délirantes mais il est remarquable que cette correction passe précisément par l’utilisation d’une comparaison. En effet, le vieillard ne doit pas avoir peur de la mort plus que le jeune homme puisque l’appel ne se fait pas selon le cens. Ce processus par laquelle une vision juste vient remplacer une vision fantaisiste semble être précisément évoqué par Sénèque dans la lettre 24 :

Ce que tu vois arriver aux enfants, nous l’éprouvons, nous autres, grands enfants que nous sommes. Les personnes qu’ils aiment, auxquelles ils sont habitués, avec lesquelles ils jouent, si elles se présentent avec un masque, les font trembler de peur. Ce n’est pas seulement aux hommes, c’est aux choses qu’on doit ôter le masque (rebus persona demenda est), les obligeant à reprendre leur vrai visage (facies sua)20.

Le sage est celui qui ôte le masque et qui fait voir le vrai visage des choses : derrière les terribles instruments du bourreau se cache la simple douleur que tout un chacun est en mesure de supporter21. L’œil s’avère donc bien le point central d’une progression possible, lui qui se laisse piéger par la persona des choses mais qui est susceptible de voir leur véritable facies.

Mais l’œil est aussi le levier de la conversion. À la fin de la lettre 6, notre philosophe précise qu’il enverra des ouvrages à Lucilius mais qu’il est préférable que ce dernier vienne sur place puisque les hommes font plus confiance à leurs yeux qu’à leurs oreilles (quia homines amplius oculis quam auribus credunt22). C’est en voyant le sapiens quotidiennement que l’on peut avancer sur la voie de la sapientia : Cléanthe a pu faire revivre Zénon parce qu’il le voyait tous les jours23. Il faut donc s’adresser à l’œil pour pouvoir gagner l’assentiment et convertir le disciple.

Mais, si l’on suit Sénèque jusqu’au bout, il semble inutile ou du moins peu efficace d’écrire un ouvrage comme les lettres à Lucilius. Il serait bien préférable de fréquenter directement les sages plutôt que de lire et relire les paroles du maître. Naturellement, cet idéal se heurte à des difficultés que l’écriture prétend pouvoir pallier. En premier lieu, si l’on peut dire, on n’a pas toujours un sage sous la main, ou plus exactement sous les yeux. Sénèque et Lucilius sont éloignés géographiquement et, par ailleurs, l’auteur romain n’est pas forcément aussi avancé sur la voie de la sagesse que ses glorieux prédécesseurs. Le langage permet donc de donner à voir le sage, malgré son absence. Il faut donc que le disciple imagine avoir un sage sous les yeux, ce que dit d’ailleurs explicitement Sénèque dans la lettre 11 en citant Épicure24. Or, les lettres aident précisément le lecteur à avoir ce sage sous les yeux en ayant recours aux exempla25. Cela étant, le langage s’avère nécessaire pour une raison plus essentielle. À cause de la nature humaine, l’homme ne peut voir directement la philosophie, l’âme du sage ou les pensées du philosophe. Il a fondamentalement besoin de la médiation du langage. Dans la lettre 75, Sénèque évoque l’idéal de la transparence en utilisant l’irréel du passé, signe d’une regrettable impossibilité : Si fieri posset, quid sentiam ostendere quam loqui mallem26. L’œil est donc bien l’enjeu de la conversion, mais l’œil a besoin d’un langage qui soit capable de s’adresser à lui : c’est précisément le rôle de la rhétorique de l’euidentia.

L’euidentia

Ce terme, souvent employé par Quintilien, recouvre une notion particulièrement complexe, fort bien définie par Juliette Dross27. Nous nous bornons ici à reprendre les grandes lignes de son analyse. L’auteur des Institutions oratoires, bien qu’écrivant quelques années après Sénèque, se révèle fort utile pour appréhender la rhétorique de Sénèque. Il est en effet vraisemblable que Quintilien propose, dans ses Institutions, une synthèse des conceptions de la rhétorique au premier siècle de l’Empire. En outre, si Sénèque n’utilise pas le terme technique d’euidentia, il apparaît clairement que sa rhétorique s’inscrit dans ce cadre conceptuel, ce que l’on voit, entre autres, par la fréquence de l’expression ante oculos dans son œuvre. Quintilien évoque la notion concernée dans différents livres de ses Institutions, ce qui montre à quel point elle apparaît comme un concept « carrefour », permettant précisément à Sénèque de concilier parénèse et philosophie. On trouve ce terme au livre VIII lorsqu’il est question des ornements ; Quintilien oppose ici euidentia à perspicuitas dans la mesure où la « seconde se laisse voir (patet) tandis que la première se donne à voir (ostendit)28 ». Il est également question du principe de l’euidentia au livre IV dévolu aux principes de la narration :

L’évidence (euidentia) dans la narration, pour autant que je comprenne ce que c’est, est assurément une grande vertu lorsqu’il s’agit non pas de dire, mais pour ainsi dire de quelque chose de vrai (quid ueri […] ostendendum est)29.

Cet extrait montre clairement comment l’euidentia assure la jonction entre la puissance du discours (uirtus) et la vérité (quid ueri), même s’il ne s’agit ici pour Quintilien que de la vérité des faits dans le cadre de la narratio. Dans le livre VI, l’évidence est cette fois-ci associée aux passions et aux affects. Elle est définie comme cette faculté chez l’orateur de donner à voir la scène et ainsi faire naître des émotions aussi intenses que celles que pourraient éprouver les personnes ayant vécu ce moment, ce qui bien sûr rend le discours particulièrement persuasif30. Enfin, dans le livre IX31 qui porte sur les figures, Quintilien considère l’euidentia comme synonyme de l’expression sub oculos subiectio désignant ici la figure de l’hypotypose. Il s’agit présentement du sens strict du terme par opposition aux autres occurrences relevées dans lesquelles l’euidentia au sens large regroupe une multitude de figures (la métaphore et la comparaison en premier chef) et se caractérise d’abord par ses effets : faire voir pour orner (delectare), faire voir pour dire le vrai (docere), faire voir pour émouvoir (mouere). On comprend dès lors l’usage que peut en faire un philosophe dans un ouvrage parénétique. C’est d’autant plus vrai que le terme euidentia traduit presque systématiquement chez Quintilien le grec ἐνάργεια, notion rhétorique mais aussi concept philosophique en particulier dans la tradition stoïcienne. En effet, les Stoïciens distinguent la représentation issue d’un objet réel et les représentations qui naissent du rêve, de l’imagination, de la folie ou de ce qu’on pourrait appeler la surinterprétation32. Or, parmi les représentations qui se fondent sur un objet réel, les Stoïciens incluent « la représentation cataleptique », la seule qui ouvre une voie d’accès à la connaissance et à la science et qui possède précisément l’ἐνάργεια. Sans entrer ici dans les questions que pose un tel concept33, précisons simplement que pour Chrysippe, ainsi que le rapporte Sextus Empiricus, la représentation cataleptique « évidente (ἐναργὴς) et frappante nous tire par les cheveux vers l’assentiment34 ». Bien sûr, il existe des différences entre l’euidentia qui se donne d’elle-même et l’euidentia construite par le discours rhétorique. On remarque néanmoins que toutes deux ont un pouvoir quasi irrésistible. En outre, le fait qu’un même mot renvoie à ces deux notions confirme le lien possible entre évidence philosophique et évidence rhétorique tout en légitimant l’utilisation de l’une au service de l’autre. C’est précisément sur l’usage concret que fait Sénèque d’un tel outil dans les deux premiers livres des Lettres à Lucilius qu’il convient désormais de s’attarder.

Sénèque praticien : mettre sous les yeux pour convertir

Placer devant les yeux une philosophie qui ne soit pas repoussante

L’objectif des Lettres à Lucilius, on l’a dit, est essentiellement parénétique. Mais cette conversion, si elle est totale et définitive, mérite néanmoins d’être soigneusement préparée. Par conséquent, le disciple, c’est la moindre des choses, doit avoir en premier lieu une image du Stoïcisme qui ne soit pas repoussante. De ce point de vue, les comparaisons peuvent avoir (mais ce n’est bien sûr pas là leur seul rôle) une simple fonction d’ornatus, pour que le lecteur ne fuie pas devant le style horridus des lettres et qu’il ne fasse pas la même expérience que Saint Jérôme devant la Bible. Cette volonté semble être évoquée dans la cinquième lettre, où il n’est certes pas question du style d’écriture mais du style de vie du philosophe. Ce dernier ne doit pas avoir une mise grossière ni une toge crasseuse, il ne doit pas se nourrir d’aliments répugnants (horridis) ni refuser les commodités les plus accessibles (faciles munditiae)35. De toute évidence, Sénèque prend ici ses distances avec le cynisme36, mais il nous semble également que l’auteur de la lettre propose dans ce passage un style de vie qui n’est pas sans rapport avec un style d’écriture, ces deux aspects étant d’ailleurs souvent rapprochés dans la culture romaine. Dans l’extrait du Brutus cité précédemment, Cicéron évoquait conjointement la uita et l’oratio de Quintus Aelius Tubéro. Dans la lettre 114, Sénèque, pour sa part, rappelle le proverbe d’origine grec : talis oratio, talis uita37. Du reste, notre philosophe, pour désigner l’âme du sage, emploie l’expression mens composita38, utilisant précisément un terme de l’art oratoire, puisque l’adjectif compositus renvoie à l’ordonnance stylistique de la phrase. Les termes que l’on retrouve dans la lettre 5 (horridus, munditia) appartiennent également au vocabulaire de la rhétorique. Quant aux faciles munditiae, ces commodités basiques dont il est absurde de se priver, elles semblent directement renvoyer aux principes qui régissent le choix des images sénéquiennes. En effet, comme nous l’avons déjà précisé, ce que Sénèque réprouve, c’est l’usage des raffinements artificiels, des métaphores nombreuses et audacieuses39. À l’inverse, les images de Sénèque ne semblent pas hardies ou obscures et reprennent bien souvent des comparaisons traditionnelles telles qu’on peut les trouver chez les Stoïciens, ce qui ne l’empêche pas de leur donner un souffle nouveau40. Bref, ces images que toute une tradition philosophique et rhétorique a transmises, images très utiles par bien des aspects, pourquoi ne pas s’en servir dès lors qu’elles se présentent pour ainsi dire d’elles-mêmes, dès lors qu’on les a sous la main ? Sénèque n’affirme pas autre chose dans sa lettre 75 :

Si toutefois l’éloquence vient sans que l’on s’en mette en peine, si elle s’offre d’elle-même ou coûte peu (si aut parata est aut paruo constat), admettons-la et qu’elle s’attache à de très belles choses41.

On retrouve ici l’idée d’une éloquence qui n’est pas recherchée et qui coûte peu. Les termes utilisés dans la citation sont très proches de ceux qui apparaissent dans la lettre 5 : ita usitatas et non magno parabiles fugere dementia est42. Aussi, donner une image qui n’est pas repoussante de la philosophie par un usage modéré de l’ornatus, voilà le premier degré de l’objectif parénétique. Mais la route vers la conversion est encore longue.

Placer devant les yeux les concepts clairs de la doctrine

Cet usage raisonnable des figures se légitime d’autant mieux que la comparaison poursuit avant toute chose la clarté. C’est précisément ce qu’indique l’un des passages de la Rhétorique à Hérennius.

La comparaison (simile) sera employée pour donner plus de clarté à l’expression (apertius dicendi causa) – la forme est celle d’un rapprochement rapide (dicitur per breuitatem)43.

Sénèque lui aussi fait usage de ces comparaisons brèves et structurées qui clarifient son propos en rendant sensible sa thèse afin de pallier la faiblesse humaine. On trouve, à titre d’exemple, ce procédé dans la lettre 4. Sénèque montre ici que ceux qui s’attachent à la vie sont ballotés entre la douleur et l’inquiétude, propos illustré par une brève similitudo :

Hoc cotidie meditare, ut possis aequo animo uitam relinquere, quam multi sic conplectuntur et tenent, quomodo qui aqua torrente rapiuntur, spinas et aspera44.

Cette similitude, aussi brève qu’efficace, met sous les yeux la douleur et l’absurdité de s’attacher excessivement à la santé du corps dès lors que la partie semble perdue d’avance. Le surgissement de la comparaison donne à voir avec clarté que la préservation de la vie ne saurait être le but de l’existence ce qui n’est pas évident à admettre, loin s’en faut. L’utilisation de la comparaison brève peut s’avérer d’autant plus utile lorsqu’il s’agit de voir les rapports abstraits entre les concepts. Ainsi, Sénèque, pour mettre sous les yeux ce qui est a priori peu intelligible, à savoir l’analogie entre la crainte et l’espoir qui sont pourtant deux sentiments contraires, a recours à une autre simile per breuitatem :

Quemadmodum eadem catena et custodiam et militem copulat, sic ista, quae tam dissimilia sunt, pariter incedunt.

Réfléchis journellement aux moyens d’abandonner paisiblement cette vie à laquelle bien des hommes s’attachent et se retiennent, comme ceux qu’un torrent emporte s’accrochent aux ronces et aux rocailles45.

On voit dans la composition du discours la dimension proprement explicative de l’euidentia. La thèse en partie obscure a été énoncée juste avant l’extrait (tu cesseras de craindre quand tu auras cessé d’espérer), puis l’auteur explicite son propos grâce à la similitudo clairement structurée par le système corrélatif. Sénèque commence par le comparant (quemadmodum) puis revient à la notion abstraite (ita) en employant néanmoins le verbe incendunt qui garde une trace de la dimension sensible de l’image et qui rend visible l’union abstraite entre les concepts. On pourrait multiplier les exemples de ce type tout en gardant à l’esprit que l’adhésion au Stoïcisme n’est jamais purement intellectuelle.

Placer devant les yeux un imaginaire rassurant et des images motivantes

Comme l’affirme M. Armisen-Marchetti46, la conversion philosophique à l’école du Portique ne peut se faire qu’avec la conversion de l’imaginaire. Au-delà ou en deçà des enjeux purement rationnels, l’objectif est alors de « substituer à un imaginaire dualiste et douloureux, un imaginaire ‘dramatique’, qui intègre le temps et lève l’angoisse existentielle47 ». Ainsi, dans les livres I et II, les images évoquent la vie des hommes tantôt selon l’imaginaire des stulti, tantôt selon l’imaginaire stoïcien et une telle opposition amène naturellement le lecteur à préférer la sérénité au désordre. D’un côté, on trouve en effet l’image de la chute vertigineuse associée à celle de la tempête : « Vous courez pour arriver droit aux abîmes48. » Sénèque, dans la lettre 8, représente de façon frappante l’aboutissement désastreux d’une vie qui se laisse prendre aux séductions de l’espoir et de la fortune. À l’inverse, le philosophe chemine sans danger sur le droit chemin (rectum iter)49. Mais les images liées au temps sont encore plus révélatrices. On les voit apparaître dès le début de la première lettre :

Ita fac, mi Lucili, uindica te tibi, et tempus quod adhuc aut auferebatur aut subripiebatur aut excidebat , collige et serua. Persuade tibi hoc sic esse, ut scribo : quaedam tempora eripiuntur nobis, quaedam subducuntur, quaedam effluunt.

Oui, tu feras bien, cher Lucilius : entreprends de te libérer toi-même. Jusqu’ici on t’arrachait ton temps ou on te le dérobait, ou encore tu l’égarais. Réunis ce capital et ne le laisse plus se perdre. Dis-toi que c’est vrai à la lettre : il est des instants qu’on nous arrache, il en est qu’on nous escamote, il en est aussi qui nous filent entre les doigts50.

Le début de l’ouvrage donne en effet à voir l’image d’un homme spolié. La forme verbale subducuntur met en lumière cette dépossession furtive et invisible marquée par le préfixe sub et l’absence de complément d’agent. L’homme est ainsi la proie angoissée de forces qui le traversent et il n’est pas anodin que l’œuvre s’ouvre sur une série de formes passives : auferebatur, subripiebatur, eripiuntur, subducuntur. L’existence des stulti se donne à voir comme incohérente et incompréhensible ; le temps et l’espace sont perçus comme des forces hostiles qui égarent et brisent l’être humain. Mais à cet imaginaire tragique, Sénèque oppose dès les premières lignes la possibilité d’une reconquête par l’impératif uindica te sibi. Le verbe employé fait référence à l’action en justice de la rei uindicatio, c’est-à-dire au fait d’aller au tribunal pour revendiquer ses droits sur sa propriété lorsqu’un tiers la menace. En ayant recours à une image tirée du droit romain particulièrement apte à parler à l’imaginaire du lecteur, Sénèque substitue à la représentation anxiogène l’espoir d’une maîtrise retrouvée. La comparaison entre le sage qui se fait des amis et la statue de Phidias nous semble aussi particulièrement signifiante51 : de même que Phidias s’il brise sa statue en fera de nouveau une autre, de même, le sage, nommé ici artifex, pourra aisément se refaire un ami. Le sapiens, on le voit, maîtrise la construction de sa propre existence et devient, si l’on accepte l’anachronisme, le romancier de sa propre vie. R. Barthes dans Le degré zéro de l’écriture affirme en effet que le roman « fait de la vie un destin, du souvenir un acte utile, et de la durée un temps dirigé et significatif52 ». Pour Barthes, comme d’ailleurs pour Camus dans L’Homme révolté53, le genre romanesque corrige l’incohérence de l’existence et lui donne précisément une direction. Chez Sénèque, une transformation analogue a lieu mais elle porte sur la vie même et non sur un objet esthétique ; plus exactement, la vie humaine elle-même devient objet esthétique. Il s’agit alors de transformer la disharmonie en harmonie, processus par lequel l’âme du sage devient composita à l’instar d’une phrase bien construite ou d’un ouvrage artistiquement composé. Il est bien difficile de savoir si cette transformation de l’imaginaire précède ou suit l’assentiment par la compréhension rationnelle. Cela étant, poser la question en ces termes n’a guère de sens : la conversion de l’imaginaire double, accompagne, rend sensible les relations logiques du système dont la compréhension purement abstraite ne serait pas suffisante pour convertir l’auditeur. Mais encore faut-il que ce dernier ait la volonté de renoncer à sa vie précédente. Et c’est là que Sénèque utilise ce que nous pourrions appeler des images motivantes.

Le verbe « motiver » provient de l’adjectif motiuus signifiant « qui met en mouvement ». Il faut donc trouver des images susceptibles d’arracher le jeune disciple à ce qui le retient afin qu’il se lance dans ce nouvel itinéraire. Mais, « mettre en mouvement », c’est aussi émouvoir et l’on a vu avec Quintilien que l’euidentia appartenait à la rhétorique des passions. Se pose ici un problème de fond. Comment une philosophie qui souhaite précisément éradiquer les passions peut-elle précisément s’appuyer sur des images qui émeuvent ? Sans entrer dans les détails de cet apparent paradoxe54, rappelons que Sénèque reconnaît un pouvoir au mouere dans la parénèse philosophique, ce qu’il dit très clairement dans la lettre 10855. La vérité doit avoir un avocat digne d’elle, lui qui sait ébranler les âmes et allumer en elle l’étincelle de la vertu, ce qui passe entre autres par l’usage de maximes versifiées qui frappent instantanément l’auditoire. On trouve au reste dans la lettre 109 l’expression mouere rationaliciter56, oxymore évoquant la possibilité d’une émotion légitime qui se fonde en particulier sur la théorie des pré-passions. En effet, dans le De ira57, Sénèque utilise l’expression principia proludentia adfectibus (les principes préludant aux passions) qu’il convient de distinguer des passions elles-mêmes qui révèlent les dysfonctionnements de la raison. On en trouve un exemple dans la lettre 11, lorsque Sénèque précise que la rougeur n’est pas due à une défaillance intellectuelle58. Non seulement de telles émotions ne sont pas des dysfonctionnements de la raison, mais elles peuvent aussi conduire à l’amour de la philosophie et de la sagesse. À l’inverse, l’aridité du syllogisme peut s’avérer particulièrement inefficace59. La parénèse s’appuie donc sur des images motivantes qui consistent souvent en la figuration de la beauté de la philosophie ou de l’harmonie de l’âme du philosophe.

Cependant, dans les deux premiers livres des Lettres à Lucilius, les images motivantes ne reposent pas véritablement sur la contemplation (sans doute parce que le disciple n’est pas encore assez avancé dans son cheminement) mais représentent bien plutôt la possibilité du sursaut. Nous le voyons en particulier dans la partie extrêmement visuelle de la lettre 13, dans laquelle la lutte contre la fortune est comparée au combat de l’athlète. 

Non potest athleta magnos spiritus ad certamen adferre, qui numquam sugillatus est : ille, qui sanguinem suum uidit, cuius dentes crepuere sub pugno, ille, qui subplantatus aduersarium toto tulit corpore nec proiecit animum proiectus, qui quotiens cecidit, contumacior resurrexit, cum magna spe descendit ad pugnam. Ergo, ut similitudinem istam prosequar, saepe iam fortuna supra te fuit, nec tamen tradidisti te, sed subsiluisti et acrior constitisti.

Il ne se peut que l’athlète apporte à la lutte un grand et enthousiaste élan, s’il n’a jamais reçu de bleus. Mais celui qui a vu son sang, dont les dents ont craqué sous les coups de poings ; celui qui recevant un croc-en-jambe, a eu à porter tout le poids de l’adversaire, qui, abattu, n’a pas vu s’abattre son courage qui, à chaque chute, s’est relevé, plus opiniâtre, celui-là se présente avec grand espoir au combat. Eh bien ! donc, pour suivre la comparaison, souvent déjà la Fortune a eu le dessus avec toi ; loin de te rendre, tu as rebondi, tu t’es campé debout, plus ardent : la vertu se donne bel accroît sous les assauts60.

Sur onze lignes, Sénèque figure le comparant (seul l’athlète qui a déjà reçu des coups peut l’emporter et retourner la situation), avant d’en venir au comparé (de même, la fortune a eu le dessus sur toi mais tu t’es relevé). L’auteur de la lettre précise qu’il développe une similitude (ut similitudinem prosequar) et, de fait, le résultat s’apparente à ce que la Rhétorique à Hérennius appelle similitudo per conlationem61 (un parallélisme détaillé). Or, le traité en question affirme que ce type de comparaison sert principalement à mettre sous les yeux (ante oculos ponendi). Le parallèle détaillé permet de développer le comparant et de lui donner toute sa puissance visuelle. Dans la lettre 13, on assiste véritablement au spectacle de la parole qui essaie de rivaliser avec le spectacle donné par l’athlète. Remarquons en l’occurrence la multiplicité des notations concrètes (dentes, sanguinem), l’anaphore du ille très laudatif, l’harmonie imitative produite par les sonorités de l’expression dentes crepuere, la majesté de la période oratoire qui se conclut sur l’espoir de la victoire. Loin de la concision prônée en théorie par les Vétéro-Stoïciens, Sénèque montre ici son goût pour le développement. Or, la similitudo met ici en scène la possibilité de reprendre le dessus sur la fortune malgré les meurtrissures qu’elle inflige et ce dans un mouvement comparable à celui qui s’esquisse dans l’impératif liminaire de la première lettre : uindica te tibi. L’efficacité de l’image s’avère alors particulièrement saisissante : d’une part, elle montre que le rebond est toujours possible, d’autre part elle invite le lecteur à chercher des armes pour se prémunir contre cette force si agressive, ce qui sera l’objet de la suite de la lettre. En réalité, c’est l’euidentia rhétorique qui donne ici un dernier coup et provoque l’adhésion définitivement du disciple.

Comme le dit Chrysippe que nous avons cité précédemment, la représentation cataleptique évidente et frappante nous tire par les cheveux vers l’assentiment. Dans les Lettres à Lucilius, ce sont toutes les potentialités de l’euidentia rhétorique au service du projet philosophique qui provoquent l’assentiment et qui permettent de résoudre l’opposition relevée dans notre introduction entre discours philosophique et discours parénétique. Cela étant, pour un lecteur du XXIe siècle, et ce malgré tout le talent de Sénèque, les principes du stoïcisme nous semblent extrêmement arides. Il n’empêche que la force de l’euidentia de notre philosophe nous tire malgré tout par les cheveux et nous amène, sinon à nous engager dans la voie austère du stoïcisme, du moins à lire et relire l’évidente beauté des Lettres à Lucilius.

Notes de bas de page numériques

1 Cette citation est rapportée par Philodème. Voir Philodème, Rhetorica, éd. S. Sudhaus, Leipzig, Teubner, 1892, vol. I, p. 343.

2 Adeo etiam sine ratione ipsa ueritas lucet. Sénèque, Lettres à Lucilius, 94, 13.

3 Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, VII, 18.

4 Sénèque, Lettres à Lucilius, 75, 5, traduction de Henri Noblot revue par Paul Veyne in Entretiens. Lettres à Lucilius, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993, p. 808.

5 Sénèque, Lettres à Lucilius, 75, 7.

6 Sur le rejet théorique de la rhétorique par les Stoïciens et sur les concessions nécessaires dans leur pratique, voir Juliette Dross, Voir la philosophie, Paris, Les Belles Lettres, 2010, pp. 12-13 et pp. 108-118 et Mireille Armisen-Marchetti, Sapientiae facies : étude sur les images de Sénèque, Paris, Les Belles Lettres, 1989, pp. 37-39.

7 Cicéron, Brutus, 31, texte établi et traduit par J. Martha, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1960.

8 durus, incultus, horridus.

9 Cicéron, De oratore, I, 228-229, texte établi et traduit par E. Courbaud, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1962.

10 Cicéron, De oratore, I, 229, p. 82.

11 Cicéron, De finibus bonorum et malorum, IV, 19, 52 ; Des termes extrêmes des biens et des maux, texte établi et traduit par J. Martha, « C.U.F. », 1989.

12 Dans le livre I, le comparatif melior se retrouve à quatre reprises (5, 1 ; 5, 3 ; 7, 8). Le philosophe stoïcien est celui qui peut devenir meilleur et qui peut rendre les autres meilleurs.

13 Lettres à Lucilius, 114, 10, traduction de H. Noblot revue par P. Veyne, Sénèque. Entretiens. Lettres à Lucilius, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993, p. 1041.

14 Lettres à Lucilius, 20, 2 in Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 648 : « Ils ont un autre dessein, les déclamateurs, attentifs à capter l’assentiment de leur cercle, les disputeurs qui retiennent l’oreille des jeunes gens et des oisifs par la variété des thèses ou le coulant du débit. »

15 Lettres à Lucilius, 59, 6 in Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 744.

16 Sénèque emploie cette même expression dans le De beneficiis, IV, 12, 1, lorsqu’il explique ce qu’est un bienfait par la métaphore du crédit (creditum). Le passage du De beneficiis est commenté par M. Armisen-Marchetti, « La métaphore et l’abstraction dans l’œuvre de Sénèque », in P. Grimal (dir.), Sénèque et la prose latine, Genève, Fondation Hardt, 1991, « Entretiens sur l’antiquité Classique », tome XXVI, pp. 109-111. Sur l’emploi chez Sénèque de l’image pour démontrer, voir J. Dross, Voir la philosophie, pp. 46-48.

17 Lettres à Lucilius, 14, 4.

18 Lettres à Lucilius, 14, 6, Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 632 : « De même que le succès du bourreau augmente à mesure qu’il étale plus d’instruments de torture (la simple vue triomphe de qui eût été torturé sans fléchir). »

19 Lettres à Lucilius, 12, 6 in Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 626.

20 Lettres à Lucilius, 24, 13 in Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 661.

21 Lettres à Lucilius, 24, 14.

22 Lettres à Lucilius, 6, 5.

23 Lettres à Lucilius, 6, 6.

24 Lettres à Lucilius, 11, 8 : Aliquis uir bonus nobis diligendus est ac semper ante oculos habendus.

25 L’exemplum de Stilbon passant superbement dans la ville en ruine est ici particulièrement impressionnant dans tous les sens du terme (Lettres à Lucilius, 9, 18-19).

26 « S’il était possible, je préférerais te mettre mes pensées sous les yeux plutôt que les traduire par le langage. », Lettre à Lucilius, 75, 2 in Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 808. Ce passage est commenté par J. Dross, Voir la philosophie, pp. 118-119 et par M. Armisen-Marchetti, Sapientiae facies, p. 42.

27 J. Dross, Voir la philosophie, pp. 27-29.

28 Quintilien, Institutions oratoires, VIII, 3, 61, texte établi et traduit par J. Cousin, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1978, p. 77.

29 Quintilien, Institutions oratoires, IV, 2, 64, traduction de J. Dross, Voir la philosophie, p. 28.

30 Quintilien, Institutions oratoires, VI, 2, 29-32.

31 Quintilien, Institutions oratoires, IX, 2, 40-41.

32 Voir à ce sujet l’exemple de l’homme qui, sur un bateau, s’imagine faire naufrage et avoir à boire toute l’eau de la mer alors qu’une quantité bien moindre d’eau suffirait à le suffoquer. Épictète, Entretiens, II, XVI.

33 Si l’on en croit Sextus Empiricus (Contre les professeurs, VII, 258), la représentation cataleptique doit provenir de ce qui est, être scellée et imprimée en conformité exacte avec ce qui est et être telle qu’elle ne saurait provenir de ce qui n’est pas. Une telle définition ne résout pas tous les problèmes. Comment discerner la représentation cataleptique des autres représentations ? Voir à ce sujet É. Bréhier, Chrysippe et l’ancien stoïcisme, Paris, Édition des Archives Contemporaines, 1971 (troisième édition), réimpression de 2005, pp. 86-98.

34 Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VII, 257. Ce passage est cité par J. Dross, Voir la philosophie, p. 88.

35 Sénèque, Lettres à Lucilius, 5, 2-5.

36 Voir en particulier M. Billerbeck, « La réception du cynisme à Rome », L’Antiquité classique, 51, 1982, pp. 151-173.

37 Sénèque, Lettres à Lucilius, 114, 1.

38 Sénèque, Lettres à Lucilius, 2, 1.

39 Sénèque, Lettres à Lucilius, 114, 10 : translationes audaces et frequentes.

40 Lorsque ce n’est pas le cas, c’est que Sénèque s’inspire des réalités bien connues de son lecteur : le droit romain ou la gladiature pour citer les exemples les plus fameux. Voir à ce sujet M. Armisen-Marchetti, Sapientiae facies, pp. 223-234.

41 Sénèque, Lettres à Lucilius, 75, 5, Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 808.

42 Sénèque, Lettres à Lucilius, 5, 5.

43 Rhétorique à Hérennius, IV, 60, texte établi et traduit par G. Achard, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1989, p. 209.

44 Sénèque, Lettres à Lucilius, 4, 5.

45 Sénèque, Lettres à Lucilius, 5, 7, Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 610.

46 M. Armisen-Marchetti, Sapientiae facies, pp. 272-276.

47 M. Armisen-Marchetti, Sapientiae facies, p. 274.

48 Sénèque, Lettres à Lucilius, 8, 4 in Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 615.

49 Sénèque, Lettres à Lucilius, 8, 3.

50 Sénèque, Lettre à Lucilius, 1, 1 in Entretiens. Lettres à Lucilius, p. 603.

51 Sénèque, Lettres à Lucilius, 9, 5 : Quomodo si perdiderit Phidias statuam, protinus alteram faciet, sic hic faciendarum amicitiarum artifex substituet alium in locum amissi.

52 R. Barthes, Le degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil, 1972, p. 32.

53 A. Camus, L’Homme révolté, in Essais, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, pp. 665-666 : « La vie… est sans style. Elle n’est qu’un mouvement qui court après sa forme sans la trouver jamais ». Cet extrait est cité par M. Armisen-Marchetti, Sapientiae facies, p. 273.

54 Voir en particulier à ce sujet Armisen-Marchetti, Sapientiae facies, pp. 46-52.

55 Sénèque, Lettres à Lucilius, 108, 1-12.

56 Sénèque, Lettres à Lucilius, 109, 3.

57 Sénèque, De ira, II, 2, 3-4.

58 Sénèque, Lettres à Lucilius, 11, 4 : non accidit hoc ab infirmitate mentis.

59 Dans la lettre 83, Sénèque montre en quoi le syllogisme de Zénon contre l’ivresse est à la fois discutable et inutile. Pour lutter contre ce vice, notre philosophe préfère la force de l’euidentia et décrit au paragraphe 21 l’hébétude de l’homme ivre dans une belle hypotypose.

60 Sénèque, Lettres à Lucilius, 13, 2-3 in Entretiens. Lettres à Lucilius, pp. 628-629.

61 Rhétorique à Hérennius, IV, 60, pp. 210-211 : « Pour mettre le fait sous les yeux (ante oculos ponendi) la comparaison (similitudo) sera employée ainsi – on l’exprimera sous la forme d’un parallélisme (dicetur per conlationem). »

Bibliographie

Éditions des Lettres à Lucilius

Sénèque, Lettres à Lucilius, Livre I à IV, texte établi par François Préchac et traduit par Henri Noblot, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 2009

Sénèque, Entretiens, Lettres à Lucilius, éditions et traductions de René Waltz, Abel Bourgery, François Préchac et Henri Noblot, revues et annotées par Paul Veyne, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993

Textes antiques

Cicéron, Brutus, texte établi et traduit par Jules Martha, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1960

Cicéron, De l’orateur, texte établi et traduit par Edmond Courbaud, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1962, 3 volumes

Cicéron, Des termes extrêmes des biens et des maux, texte établi et traduit par Jules Martha, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1989-90, 7 volumes

Diogène Laërce, Vie et doctrine des philosophes illustres, traduit sous la direction de Marie-Odile Goulet-Cazé, Paris, Librairie Générale Française, 1999

Épictète, Entretiens, texte établi et traduit par Joseph Souilhé, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1943-65, 4 volumes

Philodème, Rhetorica, éd. Siegfried. Sudhaus, Leipzig, Teubner, 1892, 2 volumes

Quintilien, Institutions oratoires, texte établi et traduit par Jean Cousin, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1975-80, 7 volumes

Sénèque, Des bienfaits, texte établi et traduit par François Préchac, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 2003

Sénèque, De la colère, texte établi et traduit par Abel. Bourgery, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1922

Sextus Empiricus, Contre les professeurs, introduction, glossaire et index de Pierre Pellegrin, traduction de Catherine Dalimier, Daniel Delattre, Joëlle Delattre et Brigitte Pérez, Paris, Le Seuil, 2002

Rhétorique à Hérennius, texte établi et traduit par Guy Achard, Paris, Les Belles Lettres, « C.U.F. », 1989

Études

Armisen-Marchetti Mireille, « La métaphore et l’abstraction dans l’œuvre de Sénèque », in Pierre Grimal (dir.), Sénèque et la prose latine, Genève, Fondation Hardt, 1991, « Entretiens sur l’Antiquité Classique », tome XXVI, pp. 99-139

Armisen-Marchetti Mireille, Sapientiae facies : étude sur les images de Sénèque, Paris, Les Belles Lettres, 1989

Barthes Roland, Le degré zéro de l’écriture, Paris, Le Seuil, 1972

Billerbeck Margarethe, « La réception du cynisme à Rome », L’Antiquité classique, 51, 1982, p. 151-173

Bréhier Émile, Chrysippe et l’ancien stoïcisme, Paris, Édition des Archives Contemporaines, 1971 (troisième édition), réimpression de 2005

Dross Juliette, Voir la philosophie. Les représentations de la philosophie à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 2010

Notes de la rédaction

Cette contribution a été prononcée dans le cadre d’une journée de préparation à l’agrégation de lettres classiques, organisée par Sabine Luciani (département des Sciences de l’Antiquité de l’université d’Aix-Marseille et le Centre Paul-Albert Février : UMR 7297, AMU, CNRS), le 16 novembre 2016. Voir http://www.compitum.fr/evenements/details/4761-journee-de-preparation-a-lagregation-de-lettres-classiques

Pour citer cet article

Sylvain Leroy, « Sénèque ou la force de l’euidentia dans les livres I et II des Lettres à Lucilius », paru dans Loxias, 55 (déc. 2016)., mis en ligne le 12 janvier 2017, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=8583.

Auteurs

Sylvain Leroy

Sylvain Leroy enseigne en classe de Lettres supérieures (Hypokhâgne) au Lycée Paul Cézanne à Aix-en-Provence. Il est membre associé du Centre Paul-Albert Février (Aix-Marseille Université). Il a soutenu en novembre 2011 une thèse de doctorat sous la direction de J.-L. Charlet : Le liber prefigurationum Christi et Ecclesie et son auteur. Il s’intéresse en particulier à la littérature monastique du XIe et du XIIe siècle et à ses pratiques de lecture. Il a publié plusieurs articles dans ce domaine : - « Présence et mise à distance de la tradition épique dans Le liber Prefigurationum Christi et Ecclesie », in A. Estèves et J. Meyers (dir.), Tradition et innovation dans l’épopée latine, de l’Antiquité au Moyen Age, Bordeaux, Ausonius, « Scripta Receptoria », 2014 ; - « Représentation et usage des cinq sens dans le Livre des Similitudes attribué à Anselme de Cantorbéry », in F. Bouchet et A.-H. Klinger-Dollé (dir.), Penser les cinq sens au Moyen Age, Paris, Classiques Garnier, 2015 ; - « La récriture des Noces de Cana dans le De Gratia Noui Testamenti (XIe s.) : de la métamorphose de l’eau à la mutation d’un genre », in G. Herbert de la Portbarré-Viard et A. Stoehr-Monjour (dir.), Studium in libris. Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Charlet, Paris, Brepols, 2016, « Études Augustiniennes ».