Loxias | 54 Doctoriales XIII | I. Doctoriales 

Raphael Luiz de Araújo  : 

Albert Camus et la poétique de Némésis

Résumé

Après les cycles de l’absurde et la révolte, ayant Sisyphe et Prométhée comme mythes centraux, Albert Camus avait le projet d’écrire un cycle sur l’amour autour du mythe de Némésis. Dans ce contexte, l’amitié avec René Char se fait lieu fécond pour la redécouverte d’une poésie nourrie par un amour fraternel, des affinités philosophiques communes et par les paysages de la Provence, ce que l’on trouve surtout dans La Postérité du soleil, dans quelques notes des Carnets, dans l’essai « L’exil d’Hélène » et dans le chapitre « La pensée de midi », de L’Homme révolté. Par la lecture de ces textes, cet article a donc pour finalité de présenter la manière dont se construit une « Poétique de Némésis » dans la maturité de Camus.

Abstract

After the cycles of the absurd and of the revolt, with Sisyphus and Prometheus as central myths, Albert Camus planned to write a cycle about love, around the myth of Nemesis. In this context, his friendship with René Char became a fecund place for the rediscovery of a poetry nurtured by fraternal love, philosophical affinities and Provence’s landscape. We can see its results in works like The posterity of the sun, his last Notebooks, the essay “Helen’s exile” and in the last chapter of The Rebel. Through an analysis of these writings, this article aims to present the construction of a “Nemesis’ Poetics” in Camus’ maturity.

Index

Mots-clés : Camus (Albert) , Char (René), Némésis, Poésie

Géographique : France

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

1. Création et liberté

1Dans sa maturité, Albert Camus s’approche de la poésie en tant qu’expression possible pour ses nouvelles aspirations créatives. Il avait fait quelques tentatives timides auparavant, tels les poèmes de jeunesse « L’horizon fuit… » (1931), « Méditerranée » (1933) et « La Maison devant le monde » (1935). Et en tant que lecteur, il avait publié quelques critiques positives à propos de Paul Verlaine, Claude Fréminville, Jean Rictus, René Leynaud et Blanche Balain1, pourtant, il déclare : « Les poètes du jour que tout le monde admire, m’ennuient la plupart du temps. Sauf le grand René Char2 ». Cette exception va lui devenir progressivement une source d’inspiration. Suite à son amitié avec René Char, en 1946, et à la fin de son deuxième cycle d’œuvres, autour du thème de la révolte, l’auteur commence à revenir vers la poésie. La conclusion de L’Homme révolté lui procurera alors l’occasion de composer avec un langage moins systématique, comme il le note dans son septième cahier le 7 mars 1951 : « Terminé la première rédaction de l’Homme révolté. Avec ce livre s’achèvent les deux premiers cycles. 37 ans. Et maintenant, la création peut-elle être libre ?3 »

2Durant l’écriture de cet essai moins « libre », Camus a dû dialoguer avec une tradition philosophique rationaliste allemande à laquelle appartiennent Hegel et Marx. Le risque de faire une si longue critique de l’Union soviétique en pleine Guerre Froide l’a obligé à rédiger un texte argumentatif censé convaincre, qui s’oppose parfois aux notes de ses cahiers qui sont pour lui des expressions de sa liberté et de sa « joie profonde4 » d’écrire5. Cette création libre ne va peut-être se concrétiser que dans le processus d’écriture de Le Premier Homme surtout en ce qui concerne son désir d’avoir un contact « direct » avec ses origines, de donner de la voix à ceux qui ont été effacés par l’histoire et de faire revivre l’expérience du passé au moyen des flux narratifs qui récupèrent les sensations de l’enfance telles qu’évoquées par la mémoire. Mais il semble que la forme brève l’attire dans la mesure où une expression synthétique peut faire face au discours philosophique rationaliste. Il note donc dans son septième cahier : « Après L’Homme révolté. Le refus agressif, obstiné du système. L’aphorisme désormais6 ». Quelques années plus tard, il a pu essayer d’une façon ironique les effets que l’aphorisme pouvait avoir avec les déclarations cyniques de Jean-Baptiste Clamence, le protagoniste prolixe de La Chute, qui joue le rôle de guide dans les cercles concentriques d’Amsterdam, en révélant au lecteur la dualité humaine7. Et, d’une façon un peu moins théâtrale, ce recours trouve également son inspiration dans les poèmes de Char, tels ceux qui se trouvent dans Feuillets d’hypnos, que Camus publie dans la collection « Espoir » chez Gallimard en 1946.

3Aussi comme dans le rapport de l’écrivain avec les poèmes de Fréminville pendant sa jeunesse, la poésie réapparaît, pour lui, dans sa maturité comme une façon singulière d’écouter la voix d’un ami. Elle lui arrive parfois avec ses lettres, dans lesquelles Char raconte ses nouvelles, discute leurs projets et attend son avis à propos de ses écrits. Ainsi Camus lui écrit-il le 18 mai 1956 : « Avant de vous connaître, je me passais de la poésie. Rien de ce qui paraissait ne me concernait. Depuis dix ans, au contraire, j’ai en moi une place vide, un creux, que je ne remplis qu’en vous lisant8. » Quelques années auparavant, en août 1949, dans une interview accordée au journal « Diário de São Paulo », il avait déjà déclaré que Char « élève le plus haut son chant et communique la plus grande richesse humaine. Et quand on parle de poésie, on est près de l’amour, cette grande force que l’on ne peut remplacer par l’argent qui est vil, ni par cette malheureuse chose qu’on appelle la morale9 ».

4Cet amour fraternel qui ne peut pas se passer de la notion de révolte présente dans La Peste et dans L’Homme révolté fait aussi partie du thème central du troisième cycle d’œuvres que Camus envisage à partir d’août-septembre 1946. Après l’absurde et la révolte, l’amour est mis en évidence en tant que force motrice de la recherche de la réconciliation, lorsqu’il écrit : « Ainsi, parti de l’absurde, il n’est pas possible de vivre la révolte sans aboutir en quelque point que ce soit à une expérience de l’amour qui reste à définir10 ». Et ce thème, si vaste, ne peut se passer pourtant d’un rapport avec la mesure. Si l’absurde exigeait la modération pour que l’homme, conscient de sa condition éphémère, évite le suicide et si le révolté ne pouvait se passer des limites pour de ne pas aboutir à la légitimation du meurtre, l’amour suit ce développement et se pose aussi une question sur sa mesure. Elle est symbolisée par le mythe de Némésis, chargée de punir l’hybris et de rendre l’ordre au cosmos11, figurant dans l’essai « L’exil d’Hélène » et à la fin de L’Homme révolté, dans le chapitre « La pensée de midi » :

Le monde n’est pas dans une pure fixité ; mais il n’est pas seulement mouvement. Il est mouvement et fixité. La dialectique historique, par exemple, ne fuit pas indéfiniment vers une valeur ignorée. Elle tourne autour de la limite, première valeur. Héraclite, inventeur du devenir, donnait cependant une borne à cet écoulement perpétuel. Cette limite était symbolisée par Némésis, déesse de la mesure, fatale aux démesurés. Une réflexion qui voudrait tenir compte des contradictions contemporaines de la révolte devrait demander à cette déesse son inspiration12.

5À la différence d’une logique qui justifie la fin par les moyens, le retour d’une pensée classique a pour finalités de souligner la mesure comme essentielle à la pensée historique. En ce sens, la philosophie d’Héraclite d’Ephèse est l’un des points de départ de l’écrivain, elle présente le monde dans un éternel devenir où les contraires se combinent13, où le cycle de la nature rapproche les éléments opposés en continuelle transformation et en mouvement. L’Ephésien choisit le feu comme élément qui constitue le monde dans la mesure où il est l’image d’un mouvement qui ne cesse de se transformer, mais qui conserve toutefois son unité naturelle : « Les transformations du feu : d’abord mer, de la mer une moitié terre, une moitié souffle brûlant. La terre se dissout en mer et se trouve mesurée selon la même proportion qu’elle possédait avant qu’elle ne devînt terre14 ». Ce jeu fait de contraires est présent dans les extraits poétiques de Camus et, surtout, dans la poésie de Char, ayant lui-même rédigé la préface de la traduction d’Yves Battistini des Fragments en 1948. Cette même année, en juillet-août, Camus séjourne à l’Isle-sur-la-Sorgue avec Char15 et publie « L’exil d’Hélène », texte dans lequel la notion de mesure figure à côté de la beauté pour reprocher à la pensée européenne contemporaine d’avoir abandonné cette notion au nom d’un rationalisme orgueilleux :

Nous avons exilé la beauté, les Grecs ont pris les armes pour elle. Première différence, mais qui vient de loin. La pensée grecque s’est toujours retranchée sur l’idée de limite. Elle n’a rien poussé à bout, ni le sacré, ni la raison. Elle a fait la part de tout, équilibrant l’ombre par la lumière. Notre Europe, au contraire, lancée à la conquête de la totalité, est fille de la démesure. Elle nie la beauté, comme elle nie tout ce qu’elle n’exalte pas. Et, quoique diversement, elle n’exalte qu’une seule chose qui est l’empire futur de la raison. Elle recule dans sa folie les limites éternelles et, à l’instant, d’obscures Érinyes s’abattent sur elle et la déchirent. Némésis veille, déesse de la mesure, non de la vengeance. Tous ceux qui dépassent la limite sont, par elle, impitoyablement châtiés16.

2. Les oxymores de Némésis

6Alex Lager, dans « Les Carnets ou la tentation du poétique », remarque que le renvoi à la poésie s’accroît dans le dernier Camus17. Ces rapports apparaissent surtout dans la correspondance avec Char, dans ses considérations sur Baudelaire, Rimbaud et Lautréamont présentes dans L’Homme révolté, dans les poèmes en prose de La Postérité du soleil et dans les notes de ses cahiers. En juillet 1953, parmi les notes rédigées sur l’essai concernant Némésis de son septième cahier, nous constatons que l’une d’entre elles faisait partie d’une lettre adressée au poète martiniquais Emmanuel-Flavia Léopold18. Camus y qualifie la poésie d’« éternel aliment » et dit qu’« il faut lui confier la garde de ses secrets ». Néanmoins, le rapport poétique le plus significatif à propos de Némésis est daté de décembre 1959. Il s’agit d’un poème qui apparaît dans le dernier cahier après un fragment autour d’un cheval domestique du Lubéron qui s’échappe et vit en liberté. Un homme qui apprend ce qui s’est passé avec cet animal le suit et « est converti à la vie libre19 ». Camus y écrit le mot « Nouvelle ? », en ouvrant la possibilité de le ranger dans ce genre littéraire mais, par la suite, il finit par écrire un poème dont les premières lignes sont les suivantes :

Pour Némésis (à Lourmarin décembre 59)
Cheval noir, cheval blanc, une seule main d’homme maîtrise les deux fureurs. À tombeau ouvert, joyeuse est la course. La vérité ment, la franchise dissimule. Cache-toi dans la lumière.
Le monde t’emplit et tu es vide : plénitude20.

7L’extrait est composé d’une chaîne d’antithèses dont les figures centrales sont les chevaux noir et blanc et l’homme qui tente de les maîtriser. Lager affirme que les chevaux pourraient représenter un symbole polysémique qui mettrait en évidence le rapport du poète au monde, à soi-même et à son œuvre, qui échappe à son contrôle. La phrase « cache-toi dans la lumière » était, elle aussi, dans l’une des notes précédentes lorsque Camus réfléchissait à propos des calmars des profondeurs, qui émettent un nuage lumineux pour se cacher, constituant encore une image paradoxale. Face à ces contradictions, l’homme prend la place de l’artiste qui essaie de dompter sa création. Ensuite, il écrit :

Celui qui refuse se choisit, qui convoite se préfère. Ne demande ni ne refuse. Accepte pour renoncer.
Les flammes de la glace couronnent les jours ; dors dans l’immobile incendie21.

8Le mode verbal impératif présent dans « demande », « refuse », « accepte » et « dors » sont des ordres qui partent de la personne « je » à celle de « tu » et lui imposent le besoin d’une cohabitation entre le repos et la fureur, le rapport entre la raison créatrice et les passions, comme dans la formule « les flammes de la glace », qui concentre la froideur impassible de « l’immobile incendie », semblable au feu du logos héraclitien, dans lequel le monde est en mouvement, mais reste stable. Pourtant ces « métamorphoses du feu » qui rassemblent les éléments opposés conservent quelque chose d’énigmatique. Lors de sa conférence, donnée à Lourmarin en octobre 2015, « Camus fin 1959 : entre les Carnets et la seconde partie du Premier Homme22 », Agnès Spiquel souligne que l’expression poétique camusienne n’a pas la prétention de présenter une vérité dogmatique, mais de la déconstruire. Elle fait partie d’un mouvement de reconnaissance de l’auteur à l’égard de sa propre obscurité. Le poème se soutient par l’équilibre des paradoxes entre soleil et ténèbres, entre la sagesse et l’ignorance que l’écrivain possède face au monde et à soi-même.

9« Cheval noir, cheval blanc » peut avoir aussi un effet didactique à l’exemple du poème « Commune présence », de Char, dans lequel le poète apprend au lecteur le consentement à sa condition mortelle, constituée par un mouvement de mort et de renaissance continues : « si tu veux rire/offre ta soumission » […] « modifie-toi, disparais/sans regret au gré de la rigueur suave […] essaime la poussière/nul ne décèlera votre union23 ». Mais il s’agit d’un apprentissage qui ne finit pas. Les hommes dorment dans l’immobile incendie qui réunit en un même cycle la vie et la mort, mais la vie demeure la plus grande valeur et le poète contemplatif chante la nature, le printemps, la mer, les rivières comme il chante le nouveau monde qui naît. Cette conscience face à la joie du moment fugace et circonstanciel est un élément commun aux fragments poétiques de Char, à l’exemple de Feuillet d’Hypnos et de plusieurs notes des Carnets de Camus. La transformation de l’existence en durée, la justification de l’écriture par « la saisie du caractère éphémère de l’événement », en intégrant les moments dans un devenir, une temporalité commune24, est au centre du rapport que les deux écrivains ont avec le temps. Ainsi, à la fin du poème de Camus, le temps est-il le sujet des oxymores :

Dans le jour bref qui t’est donné, réchauffe et illumine,
sans dévier de ta course.
Des millions d’autres soleils viendront pour ton repos.
Sous la dalle de la joie, le premier sommeil.
Semé par le vent, moissonné par le vent, et cependant créateur, tel est l’homme, à travers les siècles, et fier de vivre un seul instant25.

10L’extension du temps s’oppose dans « jour bref », « millions d’autres soleils », « à travers les siècles » et « un seul instant », ce qui fait écho à la fameuse phrase de Char dans la préface allemande de Feuillet d’Hypnos : « Si nous habitons un éclair, il est au cœur de l’éternel26 ». Les impératifs se poursuivent à l’égard de ce « tu » qui ne doit pas oublier qu’il appartient à une condition digne de fierté, comme c’est le cas de l’interlocuteur de « Commune présence ». Et, lorsqu’on consulte des annexes de la correspondance entretenue entre Char et Camus, on peut lire un extrait daté du 19 décembre 1959 dont le contenu est très semblable aux dernières phrases de ce poème, tout comme la poésie est sujet dans l’extrait adressé à Emmanuel-Flavia Léopold, ce qui nous apprend que la lettre est également un lieu où communication et poésie se rencontrent : « À René Char/Dans le jour bref qui lui est donné. Il réchauffe et illumine, sans dévier de sa course mortelle. Semé par le vent, moissonné par le vent, graine éphémère et cependant soleil créateur, tel est l’homme, à travers les siècles, fier de vivre un seul instant27 ». La présence du poème en ces deux lieux révèle que si d’un côté Camus est l’un des lecteurs de Char, sa réception étant l’une des finalités de l’acte d’écrire la poésie, Char est l’un des points de départ de Camus : dès sa naissance, la poésie est, d’une certaine manière, adressée à celui qu’il appelle son « frère28 ».

3. L’éclair et le flash

11Cette caractéristique commune concernant le style, le temps et l’amitié est également au centre de La Postérité du soleil, comme l’on verra dans les trois premiers poèmes du livre. C’est Char qui a proposé à Camus d’écrire quelques extraits poétiques et de les publier, assortis de photographies réalisées par Henriette Grindat. C’est lui encore qui a assuré la publication de cette œuvre posthume chez Edwin Engleberts, en 1965. Les poèmes en prose que l’on y relève esquissent un paysage face au regard des êtres qui s’approchent d’une conciliation avec le monde et qui ont « l’audace de mourir contents29 ». Si dans son rapport au décor, l’homme camusien garde normalement les marques de la nature – la chaleur du soleil, le goût de l’absinthe, l’eau de la mer –, dans La Postérité, le paysage est aussi contaminé par des traits humains : le platane a des muscles lisses, les soleils sont ivres, l’eau glacée respire. La nature et l’être humain présentent chacun son image, mais préservent un côté mystérieux. Dans le poème d’ouverture écrit par Char, la question concernant ce mystère est posée : « Quels arbres et quels amis sont vivants derrière l’horizon de ces pierres, dans le lointain miracle de la chaleur ?30 », à laquelle la voix de Camus « répond » à la page suivante :

Ici veille, sous des boucliers d’argile tiède, un peuple de rois. L’herbe pousse entre les douces tuiles rondes. L’ennemi est le vent ; l’allié, la pierre31.

12Au cœur du pays, sous l’argile, l’homme se fait roi et se tient fermement à côté des pierres. Les maisons réunies enferment un espace carré et se placent comme les murs d’une cité fermée contre l’attaque du vent. Le cliché ne nous permet de voir ni le vent ni les rois, c’est le poète qui les évoque et nous invite à les imaginer, ce qui donne une certaine ouverture à chaque image. En effet, il y a toujours quelque chose qui dépasse ce que l’on voit, quelque chose qui reste ouvert à la compréhension. Ce mouvement est constitutif de l’histoire que les photographies racontent – celle du passage de l’homme dans le monde :

La pierre résiste au vent impérieux, mais cède au pied patient. L’escalier, pourtant désert, parle de son ami au pas lourd, à l’épaule blanchie par le crépi du mur. Tous les soirs, depuis des années, il monte vers un festin de soupe32.

13Il y a un échange entre le décor et le corps de l’homme qui le traverse. Son alliée, la pierre, apparaît souvent dans les poèmes de La Postérité comme un élément qui rappelle la force, la persistance, le dévouement, la sérénité. Ce sont des vertus qui composent également la mesure de Némésis, proposées aussi par les impératifs de « Cheval noir, cheval blanc… ». Le rapport entre la rigidité et la souplesse entre l’homme et le mur, le vent et la pierre, renvoie à la recherche d’une réconciliation des contraires composée par la permanence et le changement des choses dans la durée :

Le taureau enfonce ses quatre pattes dans le sable de l’arène. L’église du Thor ne bouge plus, force de pierre. Mais qu’elle se mire dans la Sorgue claire, la force s’épure et devient intelligence. Elle encorne le ciel en même temps qu’elle s’enfonce dans un lit de cailloux, vers le ventre de la terre. Sur le pont du Thor, j’ai senti parfois le goût vert et fugitif du bonheur immérité. Ciel et terre étaient alors réconciliés33.

14Selon Frank Planeille, cet extrait peut avoir pour inspiration le poème de Char « Le taureau », dans Les Matinaux, auquel Camus fait mention dans une lettre du 7 juin 1950 : « […] le poème sur le taureau me tient compagnie épinglé à la tête de mon lit, depuis un mois34 ». Il s’agit dans ce poème de la rencontre du taureau, « fauve d’amour », avec l’épée du torero ou, si l’on veut, la rencontre de l’amour et de la mort. Le « couple » se poignarde, le taureau connaît une mort à la fois « cerné[e] de cris de ténèbres » et sous un « soleil aux deux pointes semblables35 ».

15Dans le poème de La Postérité, cet échange mutuel entre des éléments opposés est présent dans la transformation de l’ancienne église du Thor, lieu de paix et de transcendance, en taureau, un animal vorace et terrestre. Elle est à la fois « force de pierre » et « Intelligence », capable de concentrer le ciel et la terre. Le sommet de l’église et la lumière du cliché occupent la partie inférieure de la photographie tandis qu’en-haut on retrouve l’obscurité sous le pont et la couleur noire de l’arbre. Ces inversions mettent en relief que, outre le renvoi à une écoute spécifique habituellement connectée au langage poétique, le cliché étale sa dimension visuelle, la photo se fait reflet du poème et vice versa.

16En ce sens, il faut souligner la notion d’« éclair poétique », qui est chère à René Char. Elle trouve son inspiration dans la peinture de Georges de La Tour, qui se sert de l’effet chiaroscuro, au moyen duquel la scène est illuminée par une seule source de lumière36. Dans La Postérité, si la présence de l’image s’impose à la lecture du texte, l’extrait de son côté y ajoute une lecture métaphorique. C’est comme si l’éclair de la poésie se confondait avec le pouvoir du flash de l’appareil photographique pour illuminer le monde deux fois et nous offrir une manière d’avancer dans l’énigme – à la condition de ne pas se faire éblouir.

17Cette notion de lumière, ici, remonte à la pensée d’Héraclite dont il a été précédemment question. La métaphore du midi grec évoquée par Camus et de l’éclair de Char revendique une tradition optique de la pensée selon laquelle la réflexion est de l’ordre du regard et le savoir de la vision pour point de départ. Michel Faucheux qualifie cela de « poétique de la lumière37 » face à cet homme moderne qui vit dans les ténèbres et s’est éloigné des mythes de la lucidité, comme ceux d’Œdipe et de Prométhée. Il s’agit donc de nous renvoyer « vers ce commencement où poème et pensée sont indistincts et où la métaphore lumineuse donne à la pensée la vigueur de l’évidence38 » :

Précisément, tout l’effort de Camus et de Char est d’agir, de penser et d’écrire au-delà de cet échec et de cette nuit de l’Histoire et donc du nihilisme. Il s’agit pour eux de susciter dans l’action et les mots une lueur, une déclinaison particulière de la lumière solaire qui inspire à nouveau l’Histoire tout en s’inspirant elle-même de l’exemple grec. Il s’agit de bâtir une poétique de la parole qui sache accueillir la lumière et la délivrance de la vérité et la beauté39.

18En ce sens, cette poétique de la lumière, chez René Char, préserve une certaine obscurité propre au langage de l’oracle40, qui exerce une provocation sur le besoin d’explication de l’homme, en lui donnant la solution à un problème précis, mais qui reste ouverte à l’erreur humaine. Les mots de Camus sont un peu moins obscurs que ceux de Char, même chez Némésis, il n’en reste pas moins vrai, cependant, que la déesse a pour rôle d’apporter une solution au problème de l’hybris moderne et acquiert également un langage poétique qui évoque la mesure camusienne.

Transformation de la poésie

19Ainsi, ce rapport de Camus à la poésie fait-il partie d’un projet qui rapproche les caractéristiques de la pensée méditerranéenne de celle de l’Europe, la beauté d’Hélène de la raison de Faust41, la nature de la ville moderne, le temps cyclique des Grecs classiques du temps linéaire de l’historicité. Néanmoins, bien que les sujets de ce texte soient la « Poétique de Némésis », la poésie comme lieu fraternel et le rôle de René Char en tant que modèle pour Camus, il ne s’agit pas de réduire la création poétique de l’écrivain à son projet philosophique ni à un culte de la poésie en tant que moyen privilégié pour la recherche de la vérité. En ce sens, Henri Meschonnic42 souligne les risques que peut comporter l’analyse d’un poème à partir de son ingestion par la philosophie et par la tradition poétique, d’un modèle idéal et adoré : « Car le sujet qui adore la poésie n’est pas le sujet du poème. Lui ne sait pas, ou plutôt ne sait plus, ce qu’est la poésie. C’est le sujet philosophique, conscient-unitaire-volontaire, qui connaît, et qui adore la poésie43 ». Il est vrai que ce « flirt » avec une idée de poésie chez Camus doit beaucoup à son modèle chez René Char et à leurs affinités philosophiques, mais à part « l’amour de la poésie », j’ai eu l’intention de souligner aussi la contribution de Char à un déplacement dans la création camusienne face à son œuvre dans la mesure où le poète affirme que « En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps44 ».

20J’ai donc essayé de présenter une pensée poétique capable de « réinventer la poésie », étant cette réinvention elle-même une transformation du rapport de la vie avec le langage, chez Camus, un déplacement de l’écrivain dans le dialogue avec les polémiques de son époque et à la critique de la notion de mesure en tant qu’abstraite et inefficace. La création poétique est vue ici surtout comme « [l]’invention d’un rapport à soi, aux autres, et au monde45 », après la polémique de L’Homme révolté, après les conflits avec le champ existentialiste et communiste parisien et à partir de son nouveau lien avec le paysage de la Provence stimulé par l’amitié avec René Char. Elle se fait lieu révélateur de l’intelligibilité du présent éthique et politique de l’écrivain.

21Ayant un ancrage philosophique commun et une passion commune46, la relation entre Camus et Char exalte le geste d’écrire en tant qu’acte qui doit être confirmé par la lecture d’un ami. Si l’amitié est capable de nourrir l’œuvre, l’œuvre de son côté nourrit l’amitié, comme dans une lettre de septembre 1950 dans laquelle Camus demande à Char, alors malade, de se « soigner rudement » : « Ce n’est pas un simple vœu, un souhait vague. L’envie d’écrire des poèmes ne s’accomplit que dans la mesure précise où ils sont pensés et sentis à travers de très rares compagnons47 ». Créer relève d’une expression artistique amicale, c’est la construction d’un espace pour être ensemble. Quelques jours avant de partir à Paris, en janvier 1960, durant le voyage en voiture qui lui ôterait la vie, Camus dit à son ami, en faisant mention à La Postérité du soleil : « René, quoi qu’il arrive, faites que notre livre existe48 ». Et bien que l’œuvre n’ait été publiée que quelques années plus tard, elle a immortalisé ce rapport entre la poésie, l’amitié et le paysage, étant capable même de surmonter la séparation des deux amis par la mort49.

22Les notes des Carnets et le livre La Postérité du soleil se font lieux de la recherche de ce nouveau langage chez Camus, qui puise sa vigueur et sa fécondité dans la métaphore, mais sans passer à une réflexion linéaire et argumentative à partir de l’image. La mesure de Némésis, dans le cycle de l’amour, trouve sa voix dans une expression poétique qui ne se définit ni de manière transparente ni morale. Ses mots ne sont pas figés ou appuyés sur une vérité. Si sa « méthode est la sincérité50 », il s’agit là d’une sincérité modeste qui n’a pas la prétention de recouvrir le monde avec une explication absolue et idéologique, mais qui part à la recherche d’un équilibre51. Et, bien que Némésis renvoie à une conception philosophique, à des modèles de poésie, c’est une manière pour Camus de refonder son espace d’énonciation et aussi de se redéfinir à partir d’un nouveau chemin dans son œuvre, selon la logique d’une création cyclique dont la rupture est aussi l’affirmation d’une continuité.

23La poésie lui est donc « éternel aliment » dans la mesure où elle permet un constant recommencement, une correction continue de la création. Face à l’explication du monde par l’historicité ou par une prophétie nihilo-marxiste, la création libre est celle qui se permet de se resituer dans le monde de plusieurs manières différentes et de se refonder sans cesse52.

Notes de bas de page numériques

1 Cf. Albert Camus. “Un nouveau Verlaine”. Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, pp. 514-517. « “Le poète de la misère”, Jehan Rictus », Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, pp. 517-522. « Claude de Fréminville : “Adolescence”. Cinq sonates pour saluer la vie », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, pp. 550-552. « “Temps lointain”, de Blanche Balain », Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, pp. 697-699. Introduction aux “poésies posthumes”, de René Leynaud, Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, pp. 704-711.

2 Albert Camus, « “Temps lointain”, de Blanche Balain », Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p. 697.

3 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1105.

4 Albert Camus, Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, 2006, p. 833.

5 Dans L’Homme révolté, les métaphores n’abondent pas comme dans les essais de Noces ou de L’été. Néanmoins, on y trouve quelques images, à l’exemple de l’arc et la flèche à la fin du livre : « L’arc se tord, le bois crie. Au sommet de la plus haute tension va jaillir l’élan d’une droite flèche, du trait le plus dur et le plus libre ». L’arc et la flèche peuvent d’ailleurs être interprétés à leur tour comme l’une des manifestations de ce « début de liberté » qui débute avec l’achèvement du cycle de la révolte – d’autant plus que cet extrait se trouve parmi ses notes pour le projet d’essai Le Mythe de Némésis, réunies dans le dossier « Némésis. Notes. Éléments », archivées dans le Fonds Albert Camus (CMS2. Atl-01.04). Je remercie Catherine Camus de m’avoir autorisé à consulter ces manuscrits.

6 Albert Camus, Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p. 1104.

7 « L’homme est ainsi, cher monsieur, il a deux faces : il ne peut pas aimer sans s’aimer », Albert Camus, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 711.

8 Albert Camus, René Char, Correspondance, Paris, Gallimard, 2007, p. 144.

9 Albert Camus, Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 867.

10 Albert Camus, Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p. 1068.

11 « Tous ceux qui ont dépassé la mesure seront impitoyablement détruits », in Albert Camus, Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, p. 1082. Ainsi, comme les premiers cycles, cette série comprendrait un roman, Le Premier Homme, une pièce de théâtre, Don Faust, et un essai, Le mythe de Némésis.

12 Albert Camus, L’homme révolté, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 315.

13 Comme on le constate dans ses fragments, « les choses froides se réchauffent, le chaud se refroidit, l’humide s’assèche, le sec s’humidifie ». Héraclite, Fragments, trad. Jean-François Pradeau, Paris, Flammarion, 2002, pp. 133-134.

14 Héraclite, Fragments, trad. Jean-François Pradeau, Paris, Flammarion, 2002, p. 130.

15 Voir la notice de Franck Planeille pour le texte. Albert Camus, Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1327.

16 Albert Camus, Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 597.

17 « La parole poétique semble être le mode d’expression du dernier Camus. C’est elle que l’on retrouve dans son dernier cycle, à peine ébauché, celui de Némésis », Alex Lager, « Les Carnets ou la tentation du poétique », in Anne Prouteau, Agnès Spiquel, Lire les carnets d’Albert Camus, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2012, p. 97.

18 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1161. Dans les Carnets publiés cette information n’est pas présente. Il s’agit, en fait, d’un tapuscrit que Camus a ajouté aux cahiers, ayant biffé les informations de son correspondant et ajouté le mot « Némésis » avec un stylo, comme l’on voit dans les archives Camus : CMS2. Af3.01.01.

19 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1304.

20 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1304.

21 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1304.

22 Agnès Spiquel, « Camus fin 1959 : entre les Carnets et la seconde partie du Premier Homme » (conférence), Journées de Lourmarin, Octobre 2015, mise en ligne le 24 octobre 2015 : https://www.youtube.com/watch ?v =Xkyr7C_yucQ .

23 René Char, « Commune présence », Paris, Gallimard, 1978, p. 7.

24 Comme le dit Anne Amiot : « Au-delà d’un goût pour l’archaïque, le minéral, la nudité, bref, l’Arte povera, il semblerait donc que la parenté, confusément ressentie par le lecteur, entre les œuvres de Char et de Camus, s’origine dans un même rapport au temps – et à ce qu’il entraîne. En effet, il établit, en profondeur, la connivence esthétique des deux écrivains qui, par cet ancrage philosophique commun, non seulement surmontent leurs différences, mais les apprécient à leur juste valeur », p. 20. Anne-Marie Amiot, « Albert Camus et René Char, écrivains de l’instantanéité chronique », in En commune présence : Albert Camus & René Char. Rencontres méditerranéennes, Bédée, Éditions Folle Avoine, 2003.

25 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1304.

26 Cité aussi par Anne-Marie Amiot, « Albert Camus et René Char, écrivains de l’instantanéité chronique », in En commune présence : Albert Camus & René Char. Rencontres méditerranéennes, Bédée, Éditions Folle Avoine, 2003, p. 15.

27 Albert Camus, René Char, Correspondance, Paris, Gallimard, 2007, p. 214.

28 Olivier Todd, Albert Camus. Une vie, Paris, Gallimard, 1996, p. 669.

29 Albert Camus, La postérité du soleil, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 733.

30 René Char, « De moment en moment », in Albert Camus, Œuvres complètes, t. III, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 671.

31 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, pp. 672-673. La photo d’Henriette Grindat, « Les toits des maisons à Isle-sur-la-Sorgue » (1951), est reproduite dans Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 733 (© Fotostiftung Schweiz).

32 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 674. La photo d’Henriette Grindat : « Escalier d’une ferme sur la colline de Lagnes » (1951) est reproduite dans Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 674 (© Fotostiftung Schweiz).

33 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, 2008, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 676. La photo d’Henriette Grindat : « Le Thor » (1951) in Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 676 (© Fotostiftung Schweiz).

34 Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1508.

35 René Char, « Le Taureau », in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1983, p. 353.

36 On relève des allusions directes et indirectes à ce recours dans quelques poèmes à l’exemple de « À Deux mérites », « Contre une maison sèche », « Justesse de Georges de La Tour » ou encore « Madeleine à la veilleuse ».

37 Michel Facheux, « ’Jour levant d’une amitié’. Albert Camus et René Char », in En commune présence : Albert Camus & René Char. Rencontres méditerranéennes, Bédée, Éditions Folle Avoine, 2003, pp. 29-42. Après avoir montré que le mot « idée » (eidos) avait pour origine le verbe eidenai (« avoir vu »), il cite le philosophe L’homme spéculaire, de Richard Rorty : « La notion de contemplation, autrement dit la connaissance des vérités ou des concepts universaux en tant que ‘theoria’ fait de l’œil de l’esprit le modèle incontournable de toute connaissance », p. 42.

38 Michel Facheux, « ’Jour levant d’une amitié’. Albert Camus et René Char », in En commune présence : Albert Camus & René Char. Rencontres méditerranéennes, Bédée, Éditions Folle Avoine, 2003, p. 36.

39 Michel Facheux, « ’Jour levant d’une amitié’. Albert Camus et René Char », in En commune présence : Albert Camus & René Char. Rencontres méditerranéennes, Bédée, Éditions Folle Avoine, 2003, p. 33.

40 Horst Wernicke, « Dans le lointain miracle de la chaleur. En route pour Albert Camus et René Char », in En commune présence : Albert Camus & René Char. Rencontres méditerranéennes, Bédée, Éditions Folle Avoine, 2003, p. 78.

41 Ce qui donnerait naissance à Euphorion, ainsi que Camus l’écrit dans son texte posthume « Défense de L’homme révolté ». Selon Hélène Rufat, « Ce ‘nouveau’ personnage assume la réconciliation des contraires (puisqu’il est le fruit de l’union entre le stéréotype de la masculinité – d’après Goethe – et celui de la féminité), et Camus l’associe en plus à une structure cyclique de renaissance. […] C’est aussi en ce sens qu’Euphorion serait un représentant de la coïncidence des opposés (coincidentia oppositorum) ». Hélène Rufat, « En Méditerranée : trajet mythique camusien », in Eduardo Castillo (org.), Pourquoi Camus ?, Paris, Éditions Philippe Rey, 2013, p. 177.

42 Dans son œuvre à titre ironique Célébration de la poésie, Lagrasse, Éditions Verdier, 2001.

43 Henri Meschonnic. Célébration de la poésie, Lagrasse, Éditions Verdier, 2001. p. 234.

44 René Char, Recherche de la base et du sommet, Paris, Gallimard, 1971, p. 104.

45 Henri Meschonnic, Célébration de la poésie, Lagrasse, Éditions Verdier, 2001, p. 44.

46 Comme l’affirme Camus dans l’exemplaire du texte « L’Exil d’Hélène » offert à Char.

47 Henri Meschonnic, Célébration de la poésie, Lagrasse, Éditions Verdier, 2001, p. 75.

48 Frank Planeille, « Consentir à l’énigme », in Albert Camus La postérité du soleil, Paris, Gallimard, 2009, p. 79.

49 Frank Planeille, « Consentir à l’énigme », in Albert Camus La postérité du soleil, Paris, Gallimard, 2009, p. 79.

50 « Le troisième étage, c’est l’amour : le Premier Homme, Don Faust. Le mythe de Némésis. La méthode est la sincérité », Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade » 2008, p. 1245.

51 Comme le souligne Christy Lawrence : « Bien qu’elle représente le côté sombre et punitif de la justice divine, elle signifie pour Camus l’intégration simultanée de la lumière et de l’obscurité ». « Le Premier homme. L’aube de Némésis », in Cahiers Camus. Le Premier homme en perspective, Caen, Lettres modernes Minard, 2004, pp. 36-37.

52 Dans ce texte, j’ai choisi de souligner la lumière de Némésis à partir d’un amour dans sa conception filiale (du grec philia) mais, pour avancer sur le thème, il faut réfléchir aussi à son obscurité qui traverse la conception d’amour plutôt tragique – Némésis étant elle-même née de Nix, la nuit, renvoie à une image obscure. Cette conception d’amour est présente dans les figures féminines des annexes de Le Premier homme, comme le montre Agnès Spiquel dans son texte : « Qui aurait été l’histoire d’amour dans la suite du Premier Homme », in Lectures d’Albert Camus. Les rencontres méditerranéennes Albert Camus, Avignon, Éditions Barthélemy, 2010. Et les notes des derniers Carnets dans lesquels le thème de l’amour acquiert une épaisseur tragique. « L’amour tragique et cela seulement. Bonheur tragique. Et quand il cesse d’être tragique c’est autre chose et l’être se jette à nouveau à la recherche du tragique ». Albert Camus, Œuvres complètes, t. IV, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, p. 1253.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Raphael Luiz de Araújo, « Albert Camus et la poétique de Némésis », paru dans Loxias, 54, mis en ligne le 16 septembre 2016, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=8451.


Auteurs

Raphael Luiz de Araújo

Étudiant de doctorat au Département de Lettres modernes de l’Université de São Paulo sous la direction de Claudia Pino. Boursier du Fond d’appui à la recherche de l’État de São Paulo. Membre du groupe éditorial de la revue Criação & Crítica de l’Université de São Paulo, traducteur des œuvres de Pierre Lemaître, Antoine de Saint-Exupéry et Albert Camus vers le portugais brésilien. L’auteur a également publié quelques articles sur Camus au Brésil concernant surtout l’intertextualité de son œuvre et a contribué à l’organisation de l’exposition « Na terra da desmedida : A visita de Albert Camus ao Brasil » (Dans la terre de la démesure : la visite d’Albert Camus au Brésil).