détournement dans Loxias


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Loxias | 49. | I.

Charlot poète de l’asyndète et maître épileptique du cinématographe
Dadas et surréalistes face à la poétique chaplinesque du détournement de l’objet

Résumé : Charlot semble à la fois libre devant les objets et, bien souvent, un être mécanique ou risquant de devoir se rendre à la mécanique des objets. Or les dadaïstes et les surréalistes analysent ce paradoxe en associant le caractère mécanique de Charlot à une attitude de liberté, dont témoignent notamment ses détournements de l’usage habituel des objets. L’article entend donc évaluer l’hypothèse que ce paradoxe repose sur des enjeux rhétoriques, corporels et visuels qui expriment peut-être moins la liberté de Charlot que l’affirmation, à travers lui, de la figure de l’artiste. Trois perspectives permettent d’explorer ce paradoxe qui nourrit les poétiques chaplinesque et surréaliste. D’une part, le détournement d’objet, source d’émotion, permet de créer un effet poétique qui fait rire ou pleurer. D’autre part, Charlot tente d’échapper au cannibalisme de l’objet et à l’emprise du monde du déchet. Ce mouvement, tour à tour émancipateur et tyrannique, met au jour le motif du désir qui donne une place nouvelle au personnage. Enfin, Charlot expose la tentative, toujours fragile et réitérée, de s’affirmer comme un magicien du réel le plus humble. Ainsi le vagabond, sans s’affranchir de l’objet lui-même, qui demeure impérieux et toujours utile dans la voie d’un affermissement de soi, opère une ponctuelle, fébrile et pulsative émancipation par l’objet. Aussi la poétique du détournement de l’objet permet-elle de dessiner les contours d’un personnage hors du commun : Charlot, en poète de l’asyndète et artiste épileptique, maître du cinématographe lui-même.

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Loxias | 77. | I.

Détruire, disent-elles. Détournements du mythe de la pomme croquée avec Chytilova et Wittig

Dans une des premières scènes du long-métrage de Vera Chytilova Les Petites Marguerites (1966), Marie 1 et Marie 2 dansent joyeusement dans un champ autour d’un pommier. La blonde cueille un fruit, la brune la regarde et l’interroge : « Qu’est-ce que tu as ? ». Jumpcut à l’effet absurde, les deux jeunes femmes se retrouvent dans une chambre sur un lit, la brune continue d’interroger la blonde d’un air effronté : « Qu’est-ce que tu suces ? » et se jette sur elle pour lui extraire ce qu’elle a dans la bouche, la blonde recrache un noyau de pêche. Ici, la référence à la scène biblique est évidente, mais quelle perspective narrative émerge du détournement de ce mythe fondateur ? Pour rappel, dans la Genèse, Eve choisit de croquer la pomme afin d’accéder au savoir et partage sa découverte avec Adam contre la volonté de Dieu, elle se voit ainsi condamnée à souffrir et à vivre sous l’autorité de l’homme. Au début du film de Chytilova une tout autre trajectoire dramatique s’annonce : ni Dieu, ni homme, mais un enchainement de scènes de consommation à outrance et de gâchis menées par les protagonistes.Dans l’épopée littéraire de Monique Wittig Les Guérillères (1969), le mythe du fruit croqué apparait parmi d’autres : « Dès qu’elle aura mangé le fruit, sa taille se développera, elle grandira, ses pieds ne quitteront pas le sol tandis que son front touchera les étoiles. (…) Sophie Ménade dit que la femme du verger aura la vraie connaissance du mythe solaire que tous les textes ont à dessein obscurci ». Ici, la réappropriation mythologique invite la figure féminine primordiale à accomplir une conquête, celle de réécrire son histoire et d’inventer son destin. L’autrice dévoile un nouvel ordre du monde où elle déconstruit la chaine de consommation des corps, certains ne sont plus l’objet d’un désir de prédation, d’autres anciennement dévorés deviennent dévorants : « Elles disent qu’elles ne pourraient pas manger du lièvre du veau ou de l’oiseau, elles disent que des animaux elles ne pourraient pas en manger, mais que de l’homme oui, elles peuvent. » (Wittig, Les Guérillères).Appropriation, détournement, déconstruction du mythe de la pomme croquée, nous étudierons tout d’abord au sein de la diégèse de chacune des œuvres comment ces stratégies artistiques esquissent de nouvelles figures féminines à partir de l’acte de manger. Puis, nous nous appuierons sur les contextes de création de ces œuvres, périodes de luttes sociales et culturelles (respectivement le Printemps de Prague pour Les Petites Marguerites, Mai 68 pour Les Guérillères), et ce afin de révéler les liens entre ces manières de consommer et certaines théories politiques issues de l’anarchisme, de l’écologie et du féminisme.

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