Loxias | Loxias 37. Arts et Littératures des Mascareignes | I. Arts et littératures des Mascareignes 

Jean-Pierre Zubiate  : 

Poétique de l’inclusion dans L’Île Equinoxe de Jean Fanchette

Résumé

Grande méconnue, l’œuvre poétique de Jean Fanchette aborde la question de l’exil au travers d’un imaginaire de l’inclusion et de l’émancipation appliqué au paysage et aux éléments naturels. Interrogeant la mémoire des lieux et le rapport à la collectivité, elle observe les lois de la rémanence et de la latence dans le monde physique et mental, qui l’amènent à une réflexion globale sur la présence de l’ensemble dans le détail et la révélation de la partie par le tout. A partir de ce constat ontologique, qui touche à la fois la psychologie et la morale, elle définit une poétique située à mi-chemin du cratylisme et du dogme de l’arbitraire du signe, où la densité se veut irradiante, et où le déplacement sémantique fait prendre figure au potentiel de sens en germe dans la réalité.

Texte intégral

Faire paraître un florilège de ses œuvres au cours ou à l’issue d’un parcours de poésie n’est jamais hasardeux. Outre le souci d’y présenter un autoportrait épuré et vigoureux, on y pressent un rapport supposé d’inclusion de l’ensemble dans le détail et de révélation de la partie par le tout dont la portée philosophique questionne aussitôt. Dans le cas de L’Île équinoxe de Jean Fanchette, anthologie préparée par ses soins et parue, peu après sa mort, en 1993, un tel lien ne manque pas d’ouvrir un abîme de réflexions. L’auteur a en effet quitté Maurice à dix-huit ans pour faire ses études à Londres puis à Paris, où il s’installe comme neuropsychiatre en 1971. Mais l’exil, la mémoire et l’émancipation, le paysage îlien et l’offuscation de la nature par l’Histoire, personnelle ou collective n’ont cessé de le poursuivre dans son œuvre littéraire, au point que le lecteur qui la parcourt est immédiatement transporté du côté des Mascareignes, et entraîné dans une méditation sur l’identité qui recouvre une ontologie et une poétique derrière la psychologie.

Tout commence par un imaginaire. Quelques pages suffisent pour que s’impose un monde obsessionnel, que dominent les rapports de contenant à contenu, d’appartenance et d’émancipation, d’inclusion et d’exclusion, d’insertion et de désintégration. Non seulement les thèmes et les motifs principaux, mais également les qualités distinctives et caractérisations, les fonctions attribuées ou les événements retenus soulignent ces relations, insistant ici sur la propriété ou l’appropriation, là sur la fuite ou le morcellement de contenus en voie de redéfinition, d’indéfinition ou d’illimitation.

Les titres des recueils retenus, Osmoses pour le premier, Archipels ou Mémoire de la saxifrage pour le dernier, en disent déjà long à cet égard, et leur propos respectif, tel qu’il transparaît dans les quelques poèmes retenus, confirme cet intérêt pour la totalisation et la dissémination. Réduit à cinq textes, Osmoses se clôt sur le vers « Tout dans l’éclair d’une seconde1 » ; cerné par une géographie aux multiples cercles concentriques, le locuteur d’Archipels se souvient de lui-même comme d’un « Archange prisonnier d’un paradis de banlieue2 » qui attend des « îles en partance3 ». Identité provisoire commence par un poème en quatre volets intitulé « Les quatre éléments » et se clôt sur un tombeau qui affiche la logique contradictoire de l’agonie et de l’expansion de la nature :

Cependant étranger que la petite musique de ta vie se défait
[…]
La rumeur océane emplit la vastitude de ce ciel4

Emplissage, absorption, dissolution et division, d’une part, complétude et privation de l’autre : sur le mode dynamique ou sous les apparences d’une statique comparative, l’homme est bien convié à une dramaturgie de l’environnement et du monde élémentaire en rapport d’inclusion, et c’est de ses divers actes que le poète se fait le témoin.

Dans ce contexte, les motifs géologiques et climatologiques font naturellement retour avec constance, et les références à la germination les suivent de près. La terre, la mer et le ciel environnants, les concrétions minérales élémentaires, les végétaux communs, les variations thermiques ou lumineuses et les manifestations météorologiques apparaissent comme les réceptacles d’un monde immémorial ou comme les composantes d’un cycle global dont ils constituent des réalisations autant que des relais. Plein d’une force intérieure, « L’arbre se souvient de l’amande,/ De la nuit lente des racines5 » comme « Le charbon se souvient/ Des forêts, de l’enfance du feu6 ». On accueille ici « La neige immémoriale/ Qui tremble au cœur du monde7 » et les « miracles anciens que la pierre éternise8 » ailleurs. Quand s’en mêlent les milieux informes (l’air, l’eau, la nuit, la lumière changeante de l’aube au crépuscule, les saisons), une dilution obstinée et intrusive rappelle la perméabilité des êtres :

La nuit j’ai rendez-vous avec la Lumière dans un no man’s land lourd de possible impossible
Et je parle à mes fantômes9

peut alors confesser le locuteur. Et il en est de même avec la mer, le vent, les nuages, la lave, les fleuves, tous semblables contenants ou contenus expansifs susceptibles de témoigner ou d’annoncer un avenir en s’étendant et en brouillant les divisions. Sur « le chemin de halage », par exemple, où « le vent efface inlassablement/ L’écriture des genêts », « ruine/ Le temps et les branches » et « emplit cette bouche » (celle du poète ?) « Des ténèbres de sable10 ». Ou quelque part dans une chambre où le moribond « ne sait plus ce qu’est mourir/ Ouvert au vent qui vient d’ailleurs,/ Qui sent la terre et les eaux calmes11 ». A chaque fois, on assiste à une effraction de l’intégrité par une force massive elle-même plus ou moins fissile, qui aboutit à une pluralisation de ce qui était un et indique que l’indistinction gagne du terrain.

Quoi d’étonnant, alors, si le poète préfère les périodes intermédiaires, où les choses se préparent, se développent, se configurent progressivement et se modulent ? L’usage majoritaire des aspects inaccompli, duratif, progressif, inchoatif ou terminatif des temps grammaticaux, et des verbes imperfectifs en fixe les conditions : le temps est épreuve. Aucune de ses modalités n’est appréhendée comme définitive. Ce n’est pas une étendue sans âge aux allures d’infini ; plutôt un temps qui passe en diffusant, qui se meut dans les zones troubles de l’indifférenciation. L’hiver et l’été sont donc peu courus, le printemps un peu plus, et une saison est élue entre toutes, parce qu’elle déborde volontiers sur ses voisines, se ramifie et s’excède du fait de sa capacité à se soustraire aux contrastes : l’automne. S’étirant jusqu’à d’étonnants confins, de septembre en décembre, il illustre, comme époque de l’immixtion réciproque de toutes les variations climatologiques, la puissance de l’interpénétration ; en saisir les moindres manifestations, c’est constater qu’on ne l’a jamais quitté :

Dans mon cœur sans rumeur
Les automnes sommeillent12

dit « L’âge d’homme ». Quant au cycle plus restreint de la journée, rien ne le sectionne non plus. Les heures de la journée et les moments privilégiés ont beau évoquer l’idée de seuil, l’instant de la séparation est indécidable. Le petit matin, notamment, émerge de la mer ou de la nuit avec un tel flou qu’on ne sait jamais exactement s’il est bien là ni depuis quand. Il dit l’ouverture mais avec une telle résistance de la nuit que celle-ci semble rester. Et l’aube brouillée d’aurore de ne pouvoir être qu’imaginée dans l’a posteriori d’une connaissance analytique. Et la soirée, de la même manière, de commencer plus tôt qu’il semble, d’avoir déjà commencé quand on la constate :

De quelle mémoire jailli ce ciel cuivré
Là-bas au finisterre d’enfance
Il est toujours six heures du soir
Dans cette ville côtière
Prise aux feux du dernier soleil13

Il n’est pas jusqu’à cet autre seuil, pourtant symbolique, qu’est le midi de l’océan indien (aux résonances claudéliennes), qui ne se pluralise et s’écoule en Midis du sang. Rien qui tranche, décidément. Plutôt un arrachement dégouttant aux filaments multiples qui prouvent bien que tout est dans tout et n’existe que comme mouvement d’extraction ou processus d’imprégnation indatable, disqualifiant tout supputation de séparation définitive ou d’apparition subite.

Parce que latence et rémanence mènent le bal ? Parce que la nuit des temps déborde et que l’intemporel ne se manifeste jamais que dans la relativité de son passage ? La narrativité problématique des poèmes divisés en volets le laisse entendre. Nombreux, ils affichent une continuité par leur composition, mais les repères temporels n’y ont de sens que relativement, les uns par rapport aux autres, et la chronologie y est bousculée par les anticipations et les souvenirs. Les époques se comprennent, s’apprennent et se prennent pour se graver toujours plus hors d’elles-mêmes, dans des moments ultérieurs ou antérieurs qui les accueillent :

Parmi les gestes d’eau, naître, vivre et mourir
S’entrelacent ici

dit « Archipels14 ». Si unique soit-il, chaque moment est infusé de tout un passé archétypique, primordial et fondateur. Il est « Cette porte qui s’ouvre et qui refoule/ Toute une histoire d’absence et de refus/ Cette porte qui efface la nuit15 ». Seuil passager, il fait éclater le cadre parce qu’il a intériorisé un potentiel, parce qu’une énergie encore agissante ou une virtualité le travaille – et qu’il la rediffuse. Ainsi les indéterminations disent-elles que la matière faite temps s’invite, que l’espace lointain cristallise. Elles signifient la fossilisation à l’œuvre dans la nature ou la puissance de pulvérisation du milieu physique sur laquelle débouche, en fin de compte, toute existence.

Une latence et une rémanence généralisées, oui. Mais plus encore une irradiation de l’identité :

Ce ne sera pas plus difficile
Ainsi penché sur Demain étonné
De chercher dans le mascaret boueux des jours
Ce visage qui fut défait.16

Ramené à l’échelle des individus et des réalités particulières, le mouvement qui va de l’inclusion à l’indifférenciation, dit qu’aucun être ne tient dans sa définition ou dans les distinctions qu’on lui attribue. Avec lui, on voit que les singularités résultent de l’expansion et de la rétraction incessantes de forces qui le dépassent – que chaque chose s’affranchit de sa réduction à elle-même par la réserve d’énergie globale qui se terre en elle :

Le corps éparpillé saura pourvoir sa propre lumière
Étincelles extrêmes dans la chambre extrême du possible17

C’est dire que les personnes connues ou aimées, le poète lui-même, ne se rencontrent et n’agissent qu’en laissant se bousculer en eux et avec eux le dynamique informelle de leurs appartenances. Et bien sûr, cette logique a son prolongement dans la mise au jour d’une permanence. Le même s’y démultiplie et se retrouve partout. Dans l’innommable de « Collioure », par exemple,

Celle qui, voix perdue, voix ancienne,
Se fond dans la voix
Toujours renouvelée de la mer battant cette crique catalane

où elle « a inscrit son rire18 ». Le rayonnement par quoi tout se déborde se perpétue là en prenant corps et figure dans des réalités diverses qui l’orientent, le forment et le reforment.

Il ressort d’un tel jeu que l’immensité de l’univers et l’infime particulier sont coextensifs, comme le temps et l’espace, et se travaillent réciproquement, à l’instar de « l’arbre enfant » qui prend la parole et du temps qu’il incarne :

Les pulsations d’un paysage
Vibrant dans les veines de l’arbre,
Le rocher frère et ses présages
Furent appris en ce matin
Porté vers moi du fond des âges.19

Rémanence et latence, interpénétration… La genèse n’a jamais mieux signifié qu’elle s’active dans la moindre créature, ni l’origine dans l’actualité, le temps passé et virtuel dans le présent ou la totalité de l’espace dans les moindres lieux. A chaque page, les paysages volontiers étendus et circulatoires touchent à un infini qu’ils mettent en relation avec des réalités précises de l’environnement immédiat. Les « lieux-dits », identifiables et distincts, qui font l’objet de deux poèmes sériels20 n’arrêtent le passage que pour pointer l’au-delà et l’en-deçà incommensurables qui les irradient. Et les moindres déterminations, vu le contexte, prennent de même un sens intégratif – la « voix de colchiques et de feuilles mortes21 », par exemple, ou « le ciel […] habité de mouettes »22, typique de la métamorphose des rapports spatiaux en liens d’inclusion.

On comprend pourquoi Jean Fanchette a publié dans sa revue Two cities des poètes parmi les plus représentatifs de la modernité poétique conçue à la lumière de l’horizon phénoménologique23 : Yves Bonnefoy, Michel Deguy ou André du Bouchet.Comme eux, il a vécu dans l’expérience poétique une sensibilisation à la double polarisation, centrifuge et centripète, du présent. Comme eux, il en a perçu la coexistence dans ce qui forme le sentiment complexe de la présence. Comme eux, surtout, il a en vu le sens existentiel – et conçu une exigence pour sa pratique de la poésie.

Les prolongements ontologiques d’un tel imaginaire ouvrent en effet sur une psychologie. Difficile de ne pas y voir les projections d’une personnalité en proie à ses tensions, qui cherche tant bien que mal à les comprendre et les exorciser.

Que penser du choix de « l’Île » comme foyer et point de ralliement de tous les poèmes ? Autant il serait restrictif de donner dans un biographisme strict, autant on s’aveuglerait en la réduisant à un symbole. Le paysage de Jean Fanchette est indissociable de l’être pensant et sensible qui en parle. L’île, c’est d’abord Maurice, le lieu de l’enfance et des émotions structurantes, avec les vagues de nostalgie attendues. C’est l’île de l’origine et des appartenances, qui unit à une collectivité avec laquelle on fait corps et qui offre la première définition d’une identité, permettant au « chant » d’être « le grand chœur des uns et des autres, de celui d’ici et de ceux de là-bas24 ». « Je te porte mes millénaires d’histoire25 », y affirme le poète, qui scande son « poème de l’arbre enfant » avec le mot « mémoire ».

Mais par là même, c’est le point de départ des désirs et des appareillages que désigne « Ambivalence du lieu », et qui fait faire « allégeance » au « vent »26. Ouverte sur la mer et le ciel, elle met l’horizon à portée de sens et pousse à voir ailleurs.

De là à dire que l’imaginaire qui tourne autour d’elle se nourrit de hantises et d’appels contradictoires, il n’y a qu’un pas. L’attrait d’un centre perdu où le temps serait ramassé explique bien des élans. Néanmoins, le pouvoir de la mémoire et le foyer qui attire sont ambigus. Ils unissent autant qu’ils enchaînent, emmurent autant qu’ils libèrent. Ils donnent des gages au mythe de l’identité originelle, dont ils font croire qu’elle est une donnée irréductible quand sa figure se transforme au fil du temps. Semblablement, morcellements et disséminations séduisent ou repoussent indépendamment de l’état matériel (solide, liquide ou gazeux) sous lequel ils apparaissent. Comme variantes de la poussière, les archipels, les nuages, l’écume et les pollens rappellent l’errance et en dupliquent l’effet. D’« Archipels » à « Exils », la succession est logique et l’écho phonique presque naturel. D’autres fois, le « pays morcelé » fait barrière et devient « cette closerie du temps/ désaffecté27 » qui empêche de partir. Mais comme moment d’un cycle universel, l’éclatement pluriel de la matière contient une harmonie à venir :

Après était déjà commencé dans le désordre des laves açoréennes28

Comme l’affirme l’avant-propos, le pays « ne cess[e] de se réverbérer dans les échos de l’exil29 », alors même que les paysages sont « définis en dehors du lieu30 ». On ne saurait mieux avouer que possession et dépossession d’un centre éclaté se partagent l’inspiration poétique. On ne saurait mieux confesser une oscillation entre aimantation et rejet de l’origine.

Par incapacité à sortir de soi, serait-on tenté de dire. Sauf que cette inscription du subjectif n’est pas installation dans la subjectivité. En prendre prétexte pour crier à l’offuscation du monde reviendrait à appliquer une grille objectiviste où elle n’a que faire. En l’occurrence, la représentation isolée de l’objet est mythique : « chaque miracle n’est que le long passage/ Qui relie à vos yeux les ors des paysages31 ». La réalité est d’emblée système de relations ; l’humain est dedans, et non devant ; elle ne peut se manifester qu’à un sujet qui y prend part et constate la façon dont elle s’engage en lui et l’engage. La projection subjective, à ce stade, est une condition de manifestation de la réalité. Elle fait écran, mais donne à appréhender cela même qu’elle occulte par la figure qu’elle en offre. Plus exactement, elle accomplit, comme figure, ce retour sur elle-même, ce pli interne, qu’est toujours la manifestation de la réalité pour un sujet existant.

Des contradictions que le poète vit intérieurement, il faut dire, dès lors, que, non seulement elles ne sont pas incompatibles avec une conscience du monde, mais qu’elles témoignent de sa qualité, de son refus de s’abstraire et de créer un univers de substitution.

En premier lieu, elles ont une fonction réflexive, elles constituent la réfraction psychologique de la dynamique paradoxale inhérente à la réalité sous tous ses aspects. Partout, les élans centrifuges supposent l’existence d’un centre, et les réalités qu’ils concernent ne se maintiennent qu’à une condition : que, plus le magnétisme est grand, plus la force centrifuge s’affirme ; de même, les univers centripètes ne se maintiennent que moyennant la fission des particules qu’ils attirent. Retrouver des tensions contradictoires dans un imaginaire poétique de l’inclusion, c’est retrouver cette mobilité paradoxale qui fait dire :

L’odeur du vent de mer traverse l’espace salé de la lagune
qui habite en moi
qui bat dans mon sang vagabond d’hémisphères.
[…]
Je ne suis pas d’ici. Je ne suis plus d’ailleurs.
Je me coule dans la verticalité de mon corps.
Je me love dans l’horizontalité de mes ans.32

En second lieu, comme projections réflexives d’une sensibilité, les oscillations contradictoires répondent à un souci éthique : juger des leurres de l’émancipation et établir des responsabilités. C’est qu’il en est de la réflexivité comme du pli de la réalité existante et du retour sur soi de toute chose : elle peut être effacement, substitution d’une forme à une autre, ou bien ressaisissement. Projetant des figures qui deviennent elles-mêmes des objets du monde, elle n’est pas neutre, elle est co-autrice de sa configuration historique. Les modalités du mouvement réflexif et leur mise en cause ne sont donc dues qu’à une chose : au prix dont il estime sa figure par rapport à la réalité qu’elle crée, au jugement que, par son action même, il rend sur le pouvoir qu’il impose au monde. Trois possibilités existent, en l’occurrence : soit la réalité est filtrée par une subjectivité qui s’absolutise ; soit elle affiche un idéal abstrait, supposé objectif ; soit ses contours se dessinent au gré d’une dynamique conflictuelle de subjectivation et d’objectivation. Mais seule la dernière permet d’échapper au leurre des images réifiées, des restrictions symboliques et des schématisations, qui jouent l’identification de la réalité contre sa figure, autrement dit contre le dédoublement même qui leur permet de l’identifier. Ainsi, appréhendé selon le modèle de la phénoménologie existentielle, le monde s’offre au travers d’un sensualisme élémentaire doublé de sentiments, d’imaginations, d’intuitions et de réflexions ; l’espace mental et la réalité physique s’y interpénètrent. L’individuation n’est que l’illusion de la perception hypostasiée – dont il suffit de pointer l’altérité native pour que la sensibilité, troublée, touche à la véritable expérience du monde.

D’une telle représentation du monde il suit que les tensions liées à la problématique de l’appartenance chez Jean Fanchette répondent surtout à une axiologie dans laquelle la conscience des rapports entre image et réalité est essentielle, et où, à ce titre, la circulation est la valeur structurante. Ici, les leurres tiennent à la fixation des représentations en symboles repérables, aux distinctions et différences formelles accusées par les rapports perceptifs habituels, fondés sur l’opposition sujet/objet : « l’exil est la dislocation entre le temps qui n’est plus temps/ et le lieu qui n’est plus lieu33 ». Embrasser le magnétisme nucléaireet se fondre dans le lieu commun, c’est idolâtrer le passé fossilisé, transformer en clôture fatale l’aventure humaine, se vouer au mouvement régressif de la « parole qui berce le voyageur étonné de la nuit utérine34 ». Mais s’exclure et se fermer à cet attrait, c’est s’engouffrer dans le déni qui lui donne un pouvoir tout aussi totalitaire. Formé à l’école du corps confronté, le monde intérieur (émotion, intellection et capacité mnésique à les mobiliser) se lie, s’investit et s’enfonce dans le réel en s’adaptant à lui.

La projection d’une subjectivité clivée a beau être en jeu, il faut donc se garder de dramatiser complètement son action et tenir compte du degré de conscience d’être au monde dont elle témoigne, ainsi que des valeurs, afférentes à ce degré de conscience, qu’elle met en œuvre. Le choix de clore L’Île Equinoxe par un clin d’œil à Rimbaud en est déjà l’illustration. Il affirme la méfiance envers les engagements et les retraits définitifs. Intitulé « Roman », le dernier texte rappelle le célèbre poème de même titre où Rimbaud jugeait les rêves adolescents d’émancipation amoureuse autant que les préjugés sociaux qui en négligent le sérieux. Souvenons-nous : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans »… Mais l’amoureux à qui « l’adorée » a écrit revient « au café tapageur » superbe comme un homme… ou comme un mouton au bercail ! Jean Fanchette, porte-parole d’un « nous » à peine plus libre, déclare ici :

arpenteurs du vide, nous prenons la mesure du désert
ou bien chiens esquimaux au mufle peint, guerriers
revenus de tout,
nous rampons de nouveau sur la banquise…35

La prise de champ est claire : tous les mythes d’émancipation, exil erratique, retour à l’Origine (celui du Bateau ivre) ou absolu poétique, sont à estimer en fonction de l’inscription au monde qu’ils servent.

Ce n’est là que le premier moment de la réflexion circulatoire mise en place. Le moment du magnétisme assumé. Mais il est capital, car il entraîne une réévaluation des lieux et époques désolés. Tenté par ces ailleurs et ces autrefois dont l’ombre portée est le néant, Jean Fanchette livre en effet son lot de « terre vaine » qui ranime le « waste land » de T. S. Eliot et les grands Déserts mythiques. Mais sans s’illusionner, il voit l’espace privatif s’ouvrir à quelque lumière, riche de futur ambigu, prenant corps et figure en dépit d’une perte :

Passées les terres gastes, c’est l’aube
Barrée de l’eau-forte des sauges.36

La tension est pathétique, car il y a dépassement et frontière. Autrement dit, plutôt que rupture, déchirement concomitant à tout rattachement au monde. Si réel qu’il soit, l’exil retrouve ainsi le sens philosophique et spirituel de l’errance odysséenne ; il porte la conscience de l’écart creusé, de l’éloignement devenu espace-temps de l’indétermination hagarde et finalement faille, pour mieux assumer la vacance qui en ressort, transformer le vide en réserve d’énergie, en lieu de ressourcement dans lequel rejoindre la totalité. « Je ne marche plus que dans l’évidement, le vacant/ Où l’écho de mes pas résonne comme une salve »37, dit l’homme pris entre deux feux – mais le deuxième est le sien !

Une nouvelle étape de la réflexion circulatoire est dès lors imaginable. Elle consiste à jouer avec la puissance ondulatoire et irradiante qui explique sa force, seul moyen de ne pas s’abandonner ou résister vainement au courant. « Identité provisoire » donne la clef d’un tel déplacement. Puisque être au monde suppose de fuir les symboles figés, il s’agit de jouer le jeu de la figuration compensatoire, de passer par des états certes synonymes d’itinérance identitaire mais aussi d’entrée dans le cycle des métamorphoses de l’Un. La poésie de Jean Fanchette est friande de traversée des apparences. Elle célèbre « les gisants millénaires qui sont plus vivants que les vivants38 », et cherche « la nuit […]/qui n’est pas la nuit/ Plus loin que cette voix qui tremble et qui se brise39 ». Mais il lui faut, à cette fin, se rompre sur des figures comme une vague sur des récifs. Sur un « visage pluriel », selon le titre d’un poème sériel ponctué de courtes strophes qualifiées de « repères ».

Car c’est bien cela, le terme de cette conscience portée par l’imaginaire subjectif. Son œuvre d’îlien exilé dépasse l’opposition des « littératures d’enracinement […] nourries par le repli sur soi » et des « courants à dérive exotique et aliénante40 ». La conscience de faire partie y est plus large que celle qui se nourrit du sentiment d’appartenance ou de marginalité. L’inclusion éclatée et de l’émancipation pulsatile montrent que la participation n’est d’abord enracinée que pour se faire plurielle, moins communautaire que solidaire d’une multitude sans visage appelée à se déployer à l’infini. L’expression Identité provisoire utilisée pour l’affirmer transforme la donnée d’origine en choix. Elle signifie l’adhésion, qui consiste à « ne rien perdre des appartenances à travers lesquelles on a forgé son identité », et à « faire coïncider des diversités41 ». Toute l’histoire de la revue bilingue fondée avec Anaïs Nin en 1959, puisque Two Cities se voulait explicitement lieu de reconnaissance par les tiraillements linguistiques. Toute l’histoire aussi de la démarche créatrice de Jean Fanchette : poétique, elle est indissociable de l’engagement du thérapeute à l’écoute des voix des profondeurs ; le souci de comprendre et de (se) rasséréner y est aussi puissant que le refus de dissimuler l’inquiétude native ; la réflexion sur le devenir des figures, surtout, y conditionne un rapport d’appartenance et d’émancipation réciproques de l’homme et de son environnement, qui donne toute sa place à une esthétique de la mesure.

L’apport le plus significatif de L’Île équinoxe à la question de l’étrangeté de l’homme et de ses mondes, c’est en effet qu’elle répond à un projet global d’intégration assomptive et régénératrice de la réalité par l’affirmation des pouvoirs d’élucidation de la poésie.

Au départ, il y a l’impact de l’interdépendance de la perception et des représentations sur le langage. Dire que la première s’enrichit et se construit avec les secondes, c’est impliquer les usages langagiers, signaler qu’ils ne sont pas extérieurs aux rapports inclusifs ou exclusifs entretenus avec l’environnement historique ou géographique, et déclarer qu’ils contribuent à leur élaboration. Autant dire que le langage qui prétend se calquer sur les distinctions sensibles, et le Verbe qui prétend au sens synthétique sont renvoyés dos à dos comme actes d’expropriation et d’appropriation du réel. Une notion qui se croit ab-straite (littéralement), une image qui se veut com-préhensive (tout aussi littéralement) témoignent d’une même défense devant la réification fantasmatique inhérente à leur exercice – d’une idolâtrie de l’absence. A ce niveau, pas de différence entre l’abstraction conceptuelle, l’imitation réaliste et l’allégorie : elles se pensent en fonction d’une extériorité des mots et des choses, qu’elles croient vaincre. Derrière se cache un souci de contrôler l’échappée belle en enfermant l’expérience dans une topique symbolique.

A ces usages du langage Jean Fanchette oppose un cratylisme imperfectif et un conventionnalisme relativisé. A l’horizon de sa quête, il voit une parole pulsatile dont les rapports entre ses composantes reproduiraient, comme autant de stations, la réalité toujours-déjà altérée qu’elle co-organise – parole dont les formes relaieraient le mouvement de l’existence qui les rend possibles.

Tentation cratylienne en effet, que la rêverie récurrente sur ce que le nom contient de réalité, et qui culmine dans l’association du vide et de l’absence de nom. Mais les figures qui l’entourent, en particulier, (la « nébuleuse exilée en son nom42 » ou l’oiseau pris « aux rets de son nom/ Voyageur43 ») soulignent la vacance indéterminée inhérente à la motivation cratylienne et son impérialisme asservissant : une absurdité logique ! Elles plaident, contre le fantasme de motivation nominale, pour le nom que l’on attribue et qui remodèle le donné – tel le prénom de l’enfant :

Je dis Frédérique. […]
Contre la nuit, je pense ton nom, ses voyelles mangées de vent
Et le mois de mai des mots éclate sur la page blanche
[…]
La musique soudain de la source au plain-chant de l’estuaire44

Surtout, cette rêverie prend sens par l’intérêt pour le « signe », qui lui fait pendant. Autre motif récurrent, le signe pourfend l’homogénéité, transforme la réalité compacte, indifférente et oublieuse en conquête de l’éternité :

Chaque signe perdu est un monde oublié
Là où le feu de l’homme a jailli dans la pierre
La pierre ne sera jamais plus sans visage45

La victoire sur l’espace-temps est flagrante, mais le feu prend dans un lieu et une époque. Plus que de signe, il faut alors parler de signal. D’un signe qui actualise une propriété concrète de l’objet. Ailleurs, il est questions de « glyphes » et d’« hiéroglyphes qui apprivoisent/ La mort »46. C’est la même chose : un pouvoir intrusif émoussé par son objet, plus insinuant que susceptible de le remplacer en le pénétrant.

Au rebours de l’arbitraire du signe, qui justifie le concept, des formes réalistes de la mimésis, qui relèvent d’un trompe-l’œil, et de la mystique incantatoire du cratylisme, pour qui le Nom possède les qualités de son objet, le nom et le signe tels que les pense Jean Fanchette désignent ainsi les qualités de la parole soucieuse de réintégration du monde émancipatrice. Il lui faut prolonger et accomplir dans son ordre le pli et le creusement de la réalité vécue, faire ressortir le potentiel dispersif dont elle est l’émanation et augmenter les profondeurs indéterminées du monde qui l’expliquent. Nom devenu surnom et signe devenu glyphe s’additionnent, en somme, pour faire de la parole poétique un acte de désincarcération et de réinsertion, où la personne et le mystère de l’incarnation du monde prennent figure. Plus question de mimologie ou de pouvoir des conventions. Le temps est au rayonnement :

L’envergure d’un mot fait éclater
Les parenthèses du monde et allume
Ce qu’il nous reste à nommer de clarté47

L’appel est lancé à la puissance créatrice des associations de mots, à l’efficience des champs sémantiques densifiés.

Et c’est au cadrage qu’il revient de leur offrir un lieu d’exploitation. Aux noms qui rêvent d’être l’émanation de ce qu’ils désignent, Fanchette oppose des figures choisies, dont le caractère arbitraire et aléatoire est assumé. Là est la condition pour que le mot passe du statut d’objet à celui de chose du monde, ayant partie liée avec son existence et lui donnant nouveau visage :

Ces lignes
Qui ne cernent aucune forme
Situent l’origine et son pouvoir obscur48

Borner, prendre date, situer : rien n’est plus nécessaire. La rhétorique propositionnelle, les sentences imagées et les vérités générales qui orientent maints poèmes vers le discours méditatif et parabolique d’un sujet historique suivront logiquement. Au-delà des propositions, le cadrage passera encore par le jeu – et trouvera son illustration exemplaire dans l’intérêt porté aux chiasmes ouverts et autres parallélismes avec hyperbate. Lisons un peu :

Rouge un arbre m’interrompt
Et solitaire habite le jour d’ambre49.

La double construction de ces vers est frappante. Le parallélisme des épithètes détachées initiales est concurrencé par la construction chiasmatique de la phrase (à l’ordre sujet/ verbe dans la première indépendante s’oppose l’ordre inverse dans la deuxième), elle-même renforcée par la caractérisation lexicale des sujets et par la paronomase « rouge un arbre »/ « le jour d’ambre ». Il en ressort une phrase cernée par deux adjectifs de couleur, dont les syntagmes liminaires se miroitent phonétiquement de part et d’autre de la rime, mais à la circularité imparfaite, puisque le rouge symbolise plutôt la rupture et l’ambre la diffusion du ton automnal, confirmée par le substantif jour. Dans la deuxième strophe du « tombeau d’Agamemnon », il en est de même :

Alors que les hautes fleurs de la mort se dépliaient
Il fallut refuser l’ange noir et ses paysages inverses
Lutter contre la ville noire […]
Alors que sur l’air dévastée de ton exil toute fuite devenait dérisoire 
Alors te fut donnée la réalité de Mycènes50

La proposition principale, qui se développe sur deux vers centraux avec infinitifs compléments, est entourée de deux circonstancielles de temps réparties chacune sur un vers de part et d’autre de l’axe, mais l’hyperbate finale rompt la belle circularité chiasmatique. Des choix techniques de cet ordre, suggérant une intégration partielle, une clôture impossible, reviennent volontiers chez Jean Fanchette, et ils indiquent à quel jeu avec la nécessité est obligé le poète qui se refuse aux claustrations fatales.

En complément, le glyphe n’efface pas la réalité qu’il vient inciser. Son mouvement s’adapte à elle, accueille ses propriétés, affiche combien elle le conditionne. Contre la licence langagière, contre la dissémination sémantique qu’elle entraîne, sous forme de défi à la compréhension ou d’ésotérisme initiatique, Fanchette choisit la structuration relativisée du propos. Ses compléments de lieu, notamment, ont une tendance à préciser successivement la localisation, l’origine, et la provenance pour signaler une inscription dans l’espace total. De même, la caractérisation joue des retouches, affinements, autocorrections et expansions, et il ressort une impression de poursuite d’un objet incommensurable, d’adaptation du propos à sa fuite :

Comme ta voix rauque autrefois mon amour
ta voix de colchiques et de feuilles mortes
qui a encore le goût des raisins volés
de l’enfance au cœur serré… 51

D’abord entendue, la voix métaphorisée se retrouve détentrice de tout un rapport sensoriel et organique au monde qui conditionne son appréhension même et dont la parole poétique ne peut transmettre qu’une part : d’où le mot « serré » à la fin et les points de suspension, aveux d’une situation inextricable.

Indétermination et détermination mêlées : le mouvement poétique de ressaisie émancipatrice se comprend finalement comme accouchement d’une latence et régénération du rémanent. « Je vendange votre prescience » dit le poète aux « Montagnes de [la] mémoire52 ». Refusant de gérer le capital du classicisme désabusé et son « Tout est dit », renchérissant sur le « Tout n’est pas dit » de Philippe Jaccottet53, il déclare que « Tout est à dire », n’hésitant pas à qualifier ce programme d’« Evangile de la terre germeuse54 ». Il s’en remet pour cela à deux principes : la continuité disruptive et les associations d’images.

« Dans l’ombre vieille ensemble nous épellerons/ les dures syllabes de mourir55 », déclare-t-il d’abord, dans une phrase où se dit la fois l’inéluctabilité d’un destin prédéfini dans lequel les mots même sont déjà inclus et le pouvoir de les décomposer pour se soustraire à son écrasement. Une écriture pulsatile est revendiquée. Elle rappelle la composition fuguée dont j’ai déjà parlé, avec sa continuité narrative criblée de haltes. Et elle prend toute sa dimension avec le choix majoritaire d’une prosodie régulière mais assouplie, de parallélismes étroits mais parfois rompus entre mètre et syntaxe, de tous les jeux rythmiques qui dessinent un itinéraire faits de stations et d’élans, d’aimantations et de résistances.

Mais l’écho ne se répercute que si les ondes sont libérées. Et c’est ici l’imagination associative qui joue un rôle déterminant. La poésie de Jean Fanchette laisse battre les mots pour en saisir les résonances intérieures, sur un modèle repris des libres associations en psychanalyse. Ainsi, l’anglophone ne peut pas ne pas entendre la tristesse dans le nom du marquis célèbre :

Sade (Sad pour moi)56

Mais le jeu est sérieux. Il accuse, pour mieux saisir une intériorité cachée, la pétrification dont témoigne le château de La Coste devenu lieu touristique aux vestiges trompeurs, « calque » qui remplace la « présence » du marquis en « ombre oblique sur une dalle »57. Chargées de sens, les associations imaginaires remplacent la logique distinctive des rapports perceptifs recomposés par le savoir abstrait. Contre la patrimonialisation, elles donnent ses lettres de noblesse au ressenti réflexif. Elles font surtout apparaître a posteriori que la réalité est toujours en attente d’un support sensoriel qui la libère, comme à Mycènes, où le geste inaugural de l’homme du paléolithique est donné à voir grâce à synesthésie :

Cri de la pierre affleurant qui refuse sa gangue
Trille s’éteignant dans la gorge de l’oiseau
Ô fleur éternellement repliée de la lumière58

Sade, Mycènes, ailleurs Agamemnon… L’écoute des réserves suggestives de la langue mène à un déplacement de l’horizon mythique. Maurice, c’est pour l’imaginaire collectif, le paradis perdu de Paul et Virginie, la liquéfaction de l’aventure dans le roman de jeunesse. Avec Fanchette, c’est une figure démultipliée, dans laquelle les mythes de fondation ou d’aventure erratique, réappropriés, s’imbriquent pour mieux signifier la puissance libératrice de l’imaginaire en sommeil, comme dans le titre d’un des recueils fournisseur de l’anthologie : Je m’appelle sommeil.

Dans sa postface aux Poèmes et proses de la folie de John Clare, au détour d’une remarque sur le « souffle » poétique, Jean Fanchette distingue les « notations poétiques fragmentaires (quoique jamais pulvérisées) » et « l’organisation interne d’un poème »59. Rédigeant L’Île équinoxe en 1992, il montre comment il entend cette organisation : moins comme une opposition absolue de la loi et des contingences que comme la relecture de monuments déjà pétrifiés, les recueils, qui, tronqués, reprennent une densité en dessinant un parcours. En neuropsychiatre, il sait que l’usage de la langue est une façon de se perdre ou de se ressaisir. Centrant sa parole sur les rapports de la géographie et de la mémoire figurées, rusant avec les charmes et les incitations du retour, il emploie ce savoir à trouver le point d’équilibre entre appartenance et liberté, attaches et désengagements. Résolument éthique, sa poésie s’investit, du coup, comme souci de contribuer à la renaissance toujours recommencée d’une puissance vitale globale. Elle cherche à élargir tout ce qui menace de se figer en images ; elle assume l’existence comme histoire d’émancipations ; et pour que respirent le moi et le monde, jugeant le sentiment à l’aune de l’émotion qui unit, elle déplace l’affection vers la relation à distance, ses manques et son rayonnement.

Notes de bas de page numériques

1  Jean Fanchette, « Le poème de l’arbre enfant », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 30.

2  Jean Fanchette, « La liturgie d’écume », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 51.

3  Jean Fanchette, « Exils », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 62.

4  Jean Fanchette, « Le tombeau d’Agamemnon », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 112.

5  Jean Fanchette, « Le poème de l’arbre enfant », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 28.

6  Jean Fanchette, « Le poème de l’arbre enfant », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 30.

7  Jean Fanchette, « L’aventure de la mémoire », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p.35.

8  Jean Fanchette, « Printemps », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 45.

9  Jean Fanchette, « Cantique du grand cycle », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 41.

10  Jean Fanchette, « Le chemin de halage », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, pp. 103, 104 et 105.

11  Jean Fanchette, « Refus de l’instinct de mort », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 79.

12  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 48.

13  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 100.

14  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 58.

15  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 154.

16  Jean Fanchette, « Visage pluriel », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 124.

17  Jean Fanchette, « Le chemin de halage », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 101.

18  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 184.

19  Jean Fanchette, « Le poème de l’arbre enfant », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 27.

20  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, pp. 127-130 et 179-184.

21  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 37.

22  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 30.

23  Sur ce point, voir Michel Collot, La poésie moderne ou la structure d’horizon, Paris, PUF, 1989.

24  Christine Spianti, « L’inquiétude des migrants », La Quinzaine littéraire, n° 1010, 1er-15 mars 2010.

25  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 140.

26  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 100.

27  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 102.

28 Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 148.

29 Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 19.

30 Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 29.

31  Jean Fanchette, « Le cantique d’avril », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 43.

32  Jean Fanchette, « Poème en novembre », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, pp. 168-169.

33  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 168.

34  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 133.

35  Jean Fanchette, « Roman », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 195.

36  Jean Fanchette, « Itinéraires », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 80.

37  Jean Fanchette, « Poème en novembre », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 169.

38  Jean Fanchette,« Le tombeau d’Agamemnon », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 112.

39  Jean Fanchette, « Hier la transparence », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 91.

40  Kumari R. Issur et Vinesh Y. Hookoomsing, « Introduction » à Kumari R. Issur et Vineh Y. Hookoomsing, L’Océan indien dans les littératures francophones, Paris, Editions Karthala et Presses de l’Université de Maurice, 2001, p. 5.

41  Jean-Louis Joubert, Littératures de l’océan indien, Vanves, Edicef, 1991, p. 176.

42  Jean Fanchette,Archipels, II, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 59.

43  Jean Fanchette, « Mémorial », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 57.

44  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 188.

45  Jean Fanchette,« Le tombeau d’Agamemnon », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 110.

46  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 124.

47  Jean Fanchette,« Les quatre éléments », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 68.

48  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 90.

49  Jean Fanchette, « Mémorial », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 57.

50  Jean Fanchette, « Le tombeau d’Agamemnon », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 108.

51  Jean Fanchette, « Automne », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 37.

52  « Le poème de l’arbre enfant », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 30.

53  Titre d’un billet paru dans la feuille suisse La Béroche entre 1956 et 1964, et repris comme titre générique du recueil paru en 1994 aux éditions Le Temps qu’il fait.

54  Jean Fanchette, « L’aventure du poème », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993,

55  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 93.

56  Jean Fanchette, L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 126.

57  Jean Fanchette, « Sade à La Coste », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 126.

58  Jean Fanchette, « Le tombeau d’Agamemnon », L’Île Equinoxe, Paris, Stock, 1993, p. 109.

59  Jean Fanchette, in John Clare, Poèmes et proses de la folie de John Clare, Mercure de France, 1969, p. 145.

Pour citer cet article

Jean-Pierre Zubiate, « Poétique de l’inclusion dans L’Île Equinoxe de Jean Fanchette », paru dans Loxias, Loxias 37., mis en ligne le 12 juin 2012, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=7091.

Auteurs

Jean-Pierre Zubiate

Jean-Pierre Zubiate est Maître de conférences en littérature française à l’Université de Toulouse II. Spécialiste de poésie et de proses poétiques du XXe siècle, il a soutenu en 2001 une thèse sur La Quête du sens dans la poésie moderne (Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Philippe Jaccottet) et publié plus d’une trentaine d’articles, essentiellement sur la poésie et la littérature modernes et contemporaines. D’inspiration phénoménologique, son travail interroge le rapport entre esthétique, éthique et sens, ce qui l’a mené à s’intéresser à l’inter-culturalité (avec notamment la co-traduction de littérature coréenne), à la traduction et au dialogue entre diverses pratiques artistiques, poésie, chanson et musique en particulier.