Loxias | Loxias 36 Littérature et communauté II | I. Littérature et communauté 

Jean-Pierre Bobillot  : 

L’anté-tradition futuro-lettriste de René Ghil. Instrumentation verbale et Poésie scientifique

Résumé

Aujourd’hui bien oublié, il connut en 1885-86 des débuts précoces et glorieux, une notoriété ambi­guë et discutée, puis une mise à l’écart quasiment unanime, malgré de solides admirations. Son influence, majoritairement souterraine, fut large et durable : sa poésie comme ses théories linguistiques et poétiques ont frappé plusieurs générations d’auteurs jusqu’à nos jours. Fondateur dès 1887-88 du premier groupe d’avant-garde en Europe, adversaire de Mallarmé et du Symbolisme, sa Poésie scientifique s’inscrit dans une lignée menant de la « poésie objective » de Rimbaud à celles, radicalement anti-« poétiques », de Francis Ponge ou de Bernard Heidsieck…   

Index

Mots-clés : archives de la parole , avant-garde, Darwin, Diderot, Ghil (René), Helmholtz, instrumentation verbale, Mallarmé, médiopoétique, poésie scientifique

Plan

Texte intégral

1.L’état de la question

1Présentant Gustave Kahn et René Ghil* à ses lecteurs, Jules Huret1 qualifiait le premier de « théoricien subtil et fécond », et le donnait comme « l’une des têtes des jeunes générations littéraires ». Quant au second, si le journaliste prend visiblement quelque distance en le donnant, d’emblée, comme « le chef d’une école dite : évolutive-instrumentiste, qui professe à la fois une philosophie et une théorie d’art », – lui-même, à lire sa réponse, paraît pleinement assuré et de sa notoriété présente et, pour les siècles à venir, de la place qui lui revient, de droit, au Panthéon des gloires poétiques…

2Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Où est la gloire de Kahn – si tranchant en toute chose, si sûr d’avoir raison ? Où est la gloire de Ghil – non moins tranchant –, selon qui Mallarmé ou Verlaine n’avaient, pour tout argument, qu’un « mince bagage2 » à présenter au tribunal de l’Histoire littéraire !

3Cependant, après tant d’honneurs, méritent-ils tant d’indignité ? Lorsque d’aventure le nom de Ghil est mentionné, c’est – par quelque ironie de la postérité – pour se voir accolé à celui de Kahn, ce frère ennemi : comme disciples de Mallarmé (ce qu’il ne fut pas longtemps…), comme symbolistes mineurs (lui qui se déclara d’emblée l’adversaire le plus irréductible du Symbolisme !), voire comme prosélytes du vers-librisme (qu’il rejeta dédaigneusement…) Ou bien, c’est comme auteur de l’unique et hermétique Traité du Verbe, qui n’aurait d’autre valeur que d’avoir été préfacé par l’illustre et infaillible Mallarmé (innocenté, du coup, de tout soupçon d’hermétisme). Ou enfin, comme l’inventeur d’une doctrine absconse et ridicule, appelée « Instrumentation verbale », qui érigerait en système les « Correspondances » de Baudelaire et surtout, celles (ou supposées telles) du « Sonnet des Voyelles » de Rimbaud…

4À sa mort, Florian-Parmentier le déplorait déjà :

Tout est cruauté, injustice, égoïsme, en ces “temps d’après-guerre”. Et nous avons vu paraître une Anthologie de la Nouvelle Poésie Française où les plus jeunes revendiquent Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud, Laforgue, Lautréamont, Germain Nouveau, Apollinaire, Maeterlinck, Gide, Claudel, Jammes, Valéry, voire Montesquiou-Fezensac et Raymond Roussel, et font sur René Ghil un sépulcral silence.
Pourtant il n’est que d’ouvrir les yeux pour voir la répercussion des idées ghiliennes sur toute notre époque. Verhaeren ne se cachait pas d’avoir subi l’entraînement de l’auteur du Vœu de Vivre, – où se trouve déjà développé le sujet des Villes Tentaculaires et des Villages Hallucinés. Les autres contemporains de René Ghil : Louis Le Cardonnel, Stuart Merrill, Albert Mockel, Retté, Saint-Paul, Fontainas, Rambosson, chacun pour son propre compte, remuaient les théories encore confuses, émanées du Traité du Verbe, sur l’audition colorée, les concordances vocales, les acoustiques, la phonalité imitative, les raisons organiques de l’incantation verbale, et ils en tiraient des ressources nouvelles pour leur expression poétique. Gustave Kahn et Francis Vielé-Griffin, tout en combat­tant la “Poésie scientifique”, n’ont pas été non plus insensibles à la gamme des valeurs harmoniques établie par René Ghil. Saint-Pol Roux, le grand créateur d’images, le précieux métaphoriste, n’eût peut-être pas, sans l’exemple ghilien, conçu l’ambition de « magnifier » la vie universelle […].
Le « Synthétisme » de Jean de la Hire, l’« Intégralisme » d’Adolphe Lacuzon, le « Futurisme » de Marinetti, le « Cubisme » d’Apollinaire, le « Simultanéisme » de Barzun, le « Dynamisme » de Guilbeaux et Gossez ont, de toute évidence, des points de contact avec le « de l’Humain à l’Universel », le « rythme évoluant », le « plus-d’effort vers le mieux-être », les “lois physiques du langage”, l’« instrumentation verbale », le « dessin graphique » et l’« émotion moderne » dont l’œuvre de Ghil illustre les concepts3.

5Bref, et sans oublier l’« Impulsionnisme » de Florian-Parmentier lui-même, le « Synchronisme » de Marcello-Fabri, le « Paroxysme » de Nicolas Beauduin4, ni surtout, l’« Unanimisme » de Jules Romains5 ou, d’un point de vue strictement formel, maintes « nouveautés métriques » du même Romains et de Georges Chennevière6. Florian-Parmentier, encore :

L’instrumentation verbale a marqué de son empreinte toute une période littéraire. La pensée, sinon la forme, de la “poésie scientifique”, après avoir exercé une influence latente, s’est propagée jusqu’à la diffusion7.

6Apollinaire enfin, dix ans avant Alcools, ne voyait-il pas en René Ghil « le précurseur de la littérature humainement mondiale qui s’élabore actuellement » ? Et, passant outre à une réserve concernant « sa syntaxe un peu décevante », il concluait :

Il chante plus grandiosement qu’Hésiode les travaux et les jours, et la vie, la vie admirable que n’interrompt même pas la mort8.

7*

8En aval, c’est tout un foisonnement de poésies et de poétiques, généralement qualifiées de « phonétiques » ou, plus largement et a posteriori, de « sonores », qui pourraient bien se rattacher aussi bien à ses spéculations théoriques qu’à ses expérimentations poétiques : que la dette ou la filiation fût, par les uns et les autres, avouée9 ou tue ; qu’elle fût, même, consciente ou insue. Parmi eux, Jean-Louis Brau en 1965, récusant la pertinence « du label lettriste », voire « de tout qualificatif » visant à subsumer une vive diversité de pratiques novatrices, ajoutait cependant :

Mais au fur et à mesure que nos enregistrements sont diffusés […], nous nous voyons contraints de choisir un nom définissant au plus près la nature de nos œuvres […]. Ces diverses considérations m’ont amené à proposer de reprendre la notion de l’Instrumentation Verbale.
Je sais qu’il est gênant d’employer une expression créée par un autre, mais sans chercher des précurseurs, ni vouloir amoindrir l’importance de Verlaine et de Mallarmé, je considère René Ghil comme le premier grand théoricien de la poésie moderne, le plus conscient des nécessités formelles. Peut-être a-t-il souffert de la sècheresse qui est le lot des théoriciens, peut-être a-t-il trop effrayé les auteurs de manuels, scandalisés de voir un poète s’intéresser aux théories modernes de la structure sonore du langage ou se mettre à écrire à la fin de sa vie des poèmes en javanais.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’en 1886, René Ghil créa le terme d’instrumentation verbale dans le « Traité du Verbe », ses préoccupations – toutes les proportions étant gardées – ressemblaient fort aux nôtres […]. Tout rapport avec Ghil s’arrête ici : l’emprunt d’un nom et un clin d’œil au passage10.

9Ses théories concernant le langage en général et le langage poétique en particulier, et ses pratiques en la matière, ont frappé en effet plusieurs générations d’auteurs, non seulement en France, mais à travers toute l’Europe – y compris les Futuristes russes et italiens ; et, parmi ceux-ci, Luigi Russolo, l’auteur de L’Art des Bruits et, plus particulièrement, du chapitre VI : « Les bruits du langage11 ».

10Y compris, également, André Breton, qu’avait impressionné12 le « volume musical » avec lequel « les poèmes de Ghil déferlaient sur une salle », mais que retenaient, sur la voie de l’admirative adhésion, « certaines préoccupations pseudo-scientifiques de l’auteur » ; et Louis Aragon, plus durablement admiratif, qui le louait – « mon bel oublié » –comme l’un des représentants les plus exemplaires de ce « chant à travers les siècles variable, mais toujours étrange » (pensée et syntaxe –toutes ghiliennes) qu’il appelle bel canto et qui en définitive, sous les formes les plus diverses, n’est autre que « la poésie, quand elle se met à chanter » et que, par là-même, elle « se distingue de cette poésie sans voix à laquelle on voudrait nous confiner13. »

11*

12Plus globalement, sa « Poésie scientifique » s’inscrit sur cette ligne de crête matérialiste menant de la « poésie objective » de Rimbaud – le « philomathe » – à celles, radicalement anti-« poétiques », de Francis Ponge ou de Bernard Heidsieck : pour tout cela, elle mérite d’être aujourd’hui redécouverte, et réévaluée…

2. Celui qui a dit non à Mallarmé

13Né en 1862, il publie d’abord coup sur coup Légende d’Âmes et de Sangs, recueil de « poèmes en essai » étrangement placé sous la double invocation, polémique autant que programmatique, de Zola et de Mallarmé – qui lui témoigne son enthousiasme (1885) –, et le premier état du Traité du Verbe, enté d’un « Avant-dire », resté célèbre, du même Mallarmé – dont il est vite devenu l’un des « mardistes » les plus assidus, et les plus en vue (1886). Mais, dès 1888, il rompt avec le maître de la rue de Rome et de la génération symboliste, sur la question cruciale : celle de l’Idéalisme, qu’il rejette, avec autant de virulence que la poésie « égotiste ».

14Bien plus tard, racontant l’événement14, il ne manque pas de l’inscrire dans une perspective historique qui l’institue, dès lors, comme le moment clé, fondateur autant que révélateur, de la lutte qui opposa, durant toutes ces années, « Symbolisme et Poésie-scientifique » :

D’ailleurs, cette rupture – qui n’était que la visibilité des deux Mouvements d’une époque poétique dont l’antagonisme latent dès le principe devait nécessairement surgir à mesure que chacun d’eux s’incorporait ses éléments distincts, – Mallarmé lui-même en prononça le mot. Un mardi d’avril il me semble, discourant de l’Idée comme seule représentative de la vérité du Monde, il se tourna vers moi, et, avec quelque tristesse peut-être, mais une intention très nette, il me dit :
– Non, Ghil, l’on ne peut se passer d’Éden !
Je répondis doucement, mais nettement aussi :
Je crois que si, cher Maître…

15L’année précédente, il avait fondé la revue Les Écrits pour l’Art, émanation du groupe « Symbolique et Instrumentiste » (1887), puis organe de l’école « Philosophique-Instrumentiste » (1888), rebaptisée ensuite « Évolutive-Instrumentiste » (1891), dont il est l’initiateur, le théoricien et, à son tour, le « maître », point incontesté. Groupe constitué autour d’un leader, d’une revue, de manifestes ; théorie esthétique articulée à un système philosophique et à des positions politiques et morales, non sans dogmatisme, polémiques et exclusions ; constant souci d’auto-légitimation : ne reconnaît-on pas là tous les ingrédients qui font de Ghil, historiquement, pour le meilleur et pour le pire, le fondateur de la première avant-garde poétique, identifiable comme telle, en France et, selon toute vraisemblance, en Europe ?

16On ne saurait en effet, à cette aune, considérer tel « cénacle » romantique ou tel « cercle » bohême, l’hétéroclite ensemble des auteurs du Parnasse contemporain ou la nébuleuse « symboliste », comme relevant en quelque manière de la notion, un tant soit peu stricte, d’« avant-garde » : pas même les Vilains Bonshommes ou les Zutistes de 1871, et moins encore la revue d’Émile Blémont, La Renaissance littéraire et artistique.

17C’est, pourtant, ce que fait Pierre Bourdieu qui, s’il fustige « tant d’auteurs qui mettent dans le même sac Proust, Marinetti, Joyce, Tzara, Woolf, Breton et Beckett », n’hésite pas, pour sa part, à mettre dans le même sac censément « avant-gardiste » décadents, symbolistes ou impressionnistes, autant que futuristes, cubistes ou surréalistes, et qui ignore bien sûr, en cette affaire, le rôle éminent de Ghil, ravalé au même plan qu’Ajalbert ! – Il est vrai qu’il n’avance, à de tels amalgames, nulle espèce de critère sinon qu’il se refuse à constituer « en essence transhistorique […] une notion qui comme celle d’avant-garde est essentiellement relationnelle (au même titre que celle de conservatisme ou de progressisme) et définissable seulement à l’échelle d’un champ à un moment déterminé15. »

18C’est qu’en vertu du dogme de l’autonomisation des champs (et de son corollaire, celui de la course aux profits symboliques et économiques dans le champ de la création artistique), le « pôle “autonome” » a été assimilé à celui de « l’art “pur” », réputé étranger aux questions politiques ou sociales, tandis que le « pôle “hétéronome” l’a été à celui de « l’art “bourgeois” ou “commercial” », alors qu’il pouvait très bien l’être à l’art qui se saisit des questions politiques et sociales, y compris à l’art subversif ou révolutionnaire : fût-il, dans le même temps, le lieu d’innovations et d’expérimentations spécifiques.

19*

20Ainsi, aura-t-il été le plus soudainement célèbre, le plus admiré, le plus discuté, le plus violemment haï, puis le plus injustement oublié des auteurs de la génération symboliste : précisément parce qu’il s’avéra, très tôt et durablement, l’adversaire le plus irréductible du Symbolisme…

21On imagine mal aujourd’hui le mépris, les injures que soulevèrent les œuvres, les idées, la personne même de Ghil, et sa revue16. Or ce qui devrait nous inciter à y regarder d’un peu plus près, n’est autre que la raison, pas toujours avouée, de cet ostracisme (et les prétextes invoqués), à savoir : son matérialisme, et son goût de la théorie (volontiers confondus avec quelque naïve ou dangereuse idolâtrie de la Science, ou tacitement fustigés à travers un prétendu hermétisme, qu’on ne s’est pas privé de dénoncer, ou de ridiculiser17). À un petit siècle de distance, ce sont bien les mêmes ingrédients – les mêmes termes, quelquefois – qui servent, et réussissent si bien, à dénigrer, voire à liquider tout ce qui, dans l’innovation littéraire et artistique, refuse, hautement et lucidement, de se borner à « l’emphase des redites traditionnelles18 », de s’en laisser conter par les conformismes et les intégrismes de tout poil…

22Mentionnons-le, seulement, pour le piquant de la chose. À propos des Complaintes de Laforgue, rigoureusement contemporaines des fracassants débuts littéraires de Ghil (1885), on peut lire, parmi d’autres semblables récriminations, celle-ci, due à la plume fougueuse d’Edmond Haraucourt :

Si ça continue, il suffira dans six ans : 1° de n’avoir rien à dire ; 2° de le dire en mauvais vers et en vers faux ; 3° d’écrire comme un javanais : pour être un poète de génie19.

23Gageons qu’un peu plus de six ans après (1902), la lecture du Pantoun des Pantoun, sous-titré « poème Javanais », eût gravement confirmé ses craintes !…

3. Le Poète à l’Œuvre

24En 1889, paraît le volume inaugural de ce qui sera l’Œuvre de toute sa vie, divisée (selon un plan maintes fois annoncé, maintes fois remanié, dès la Légende) en trois grandes parties : – Dire du Mieux, qu’il aura le temps d’achever une première fois (1897) et de reprendre entièrement (1905-1909) ; – Dire des Sangs, qu’il mènera plus difficilement à son terme (1898-1901, puis 1912-1926, le dernier tome ayant paru à titre posthume) ; – Dire de la Loi dont, à ce qu’il semble, seulement trois poèmes ont été écrits (1913, 1919, 1920). Précédé d’une version entièrement renouvelée du Traité du Verbe, réintitulé En Méthode à l’Œuvre (1891, 1904), l’ensemble se présente comme une vaste épopée de la Matière en marche vers son « plus-de-Conscience » – le « Mieux » – à travers l’Évolution des êtres vivants et l’histoire de l’humanité, depuis les origines de l’univers.

25Voulant dépasser « la vieille et longue querelle occidentale entre le Matérialisme et le Spiritualisme », sa « Métaphysique émue » relève autant de la tradition du matérialisme atomiste antique, tel que l’avait formulé Lucrèce, que de celui des Lumières, notamment de Diderot, du transformisme darwinien que de la conception non dualiste du Cosmos, telle qu’il la trouvait dans le bouddhisme, récemment introduit en France :

En notre pensée les deux termes s’unissent et l’antinomie se résout : car le spiritualisme, c’est-à-dire pour moi, le plus de conscience prise du Tout, sort perpétuellement de la Matière évoluante. Cet idéalisme nouveau est rationnel et immane [sic] à la matière même de l’univers.

26Mais sur un point crucial, elle diverge également du modèle darwinien, d’où partiellement elle procède ; car la matière n’y est soumise en aveugle, ni aux hasards de la reproduction, ni à la loi de « lutte pour la vie » qui préside à la « sélection naturelle » :

Donc, c’est d’une puissance d’Amour-procréateur, et procréateur du Mieux, dont est pénétrée et mue la Matière, puisqu’elle tend à savoir et par là à sa conscience, – d’où, au plus d’existence-harmonique.
L’Amour, sa Force-immanente (c’est-à-dire la propension à l’harmonie de tous les éléments et toutes propriétés), l’Amour meut la Matière.

27Transposition, laïque et matérialiste, de la très-chrétienne Providence ? Sans doute, malgré l’immense ressentiment que lui inspire un multiséculaire et irréductible anti-humanisme chrétien, dont il dénonce la haine implacable de toute chair et de ce qui, secrètement et obstinément, s’y trame.

28Acclimatation, surtout, d’une pensée orientale, principalement hindouiste, où s’alimentent de plus en plus profondément sa réflexion et sa vision du monde. Supplantant celle de Maya et la théorie de l’Illusion (exotique sœur, déjà adoptée par Leconte de Lisle, de la notion schopenhauerienne de « monde comme représentation », à quoi l’assimilèrent Laforgue et les Décadents), la figure de Shiva – « la roue de Vie » – y tient un rôle majeur, comme un mythique épitomé de philosophie évolutive…

29Or les voies du Mieux – celles qui mènent en fin de compte au « plus-de-Conscience » –, si elles ne sont (grâce à la science et à l’immémoriale mémoire de la matière) impénétrables, ne sont vierges ni d’embûches, ni d’intentions mauvaises et d’inventions menant au pire :

Mais disions-nous, le phénomène de l’Évolution n’est pas égal et continu.
Fatalement, et par périodes qui ont leurs normes et leurs rythmes, – l’Ellipse, par attraction, par pesanteur, retourne et se raccourcit au dessin originel. L’évolution n’est pas en “expansion” continue, – mais […] quand elle se restreint aux degrés où le Moins l’emporte sur le Plus sont les périodes de décours et de décadence, dans la nature et les êtres.

30Transposition, non moins, des méandres de ladite Providence, qui font quelquefois douter le croyant – et fournirent un argument de poids au rationalisme des Lumières, dans sa lutte contre le dogme et la foi. Les Usines et la Bourse, introduites au seuil du Vœu de Vivre – en fait, dès La Preuve égoïste (1890) : plusieurs années, donc, avant Les Villes tentaculaires de Verhaeren (1895) –, métonymisent le double essor (industriel et spéculatif) d’un Capital déshumanisé, emportant la raison technique en sa dérive irrationnelle, exponentielle et destructrice, confisquant à son exclusif Profit l’universelle poussée qui œuvre obscurément au cœur de tout ce qui vit :

Le mouvement sur lui-même pourrit : les Hommes
ont dévié le Vœu-de-vivre.

31Pour cela, réduisant l’homme au Prolétaire et la femme à la Prostituée, semant partout la haine et l’esprit de sécession, gangrénant, de ce mal monté des entrailles urbaines, jusqu’aux Petites Villes et, de là, au creux même des ruraux sillons, il n’aura aucun scrupule à précipiter l’Europe dans une Guerre totale, d’une barbarie sans précédent, dont nul belligérant ne sortira vainqueur20 :

Il n’était de vainqueurs – il n’était que des morts.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et s’entassaient les millions d’hommes au terroir
putride des millions d’hommes ! et, envahies
envahissantes, les patries – d’un seul soir
dont se tord le trépas d’humanités haïes
cendre et tumulte, étaient la même gloire :
quand !
comme si sur soi-même s’était la Nature
retournée en sa Matrice, – l’ample navrure
eut du talent sursaut d’animal ! or, aux têtes
montant, l’universel tressaillement vainquant
des atomes humains qui hurlent à la Vie !
tous, à la Vie de son germe inassouvie
et vaste et rauque ainsi que l’aire des tempêtes !

…Et les peuples sortirent du guet-apens, – ivres !

32Le vœu de Vivre s’est inversé en vœu de Mort. La charge d’émancipation et d’espoir que portait, pour les peuples d’Europe, le mot « patrie », s’est inversée en rage d’asservissement et de désolation. Ce qu’ont pour rôle de souligner d’inhabituels détournements, effectués à partir de différents passages, alors sur toutes les lèvres, de l’hymne devenu trop étroitement national, revanchard, et tragiquement oublieux des valeurs qu’il mobilisa :

Aux armes ! cités d’Europe…
le soir de deuil
est arrivé !

[…]
car, n’entendez-vous pas :
        il passe des Bruits sourds
il passe des hans d’hommes dans les alentours…

[…]

Haine immortelle de nos Aïeux
tressaille dans nos artères, et
sonne !
      contre nous, teint de tous lieux
l’étendard sanglant se lève ! – aux armes !
et sonne dans l’horizon muet
du heurt en nos poitrines d’alarmes
du heurt ardent de notre sang, et
bats !…

 […]
ô toi ! que nos veines ont nourrie !
oui, mène aux meurtres et mène aux viols
ta géniture où hurle l’élan
et sur les peuples d’âme tarie
tiens notre étendard teint de tous lieux !
Haine immortelle de nos Aïeux !…

Et les peuples entrèrent au guet-apens…

33Belle lucidité : près de vingt ans (1897) avant que n’éclate la Première Guerre Mondiale, « les hommes des Banques du sang et de l’or » sont clairement désignés comme les cyniques fauteurs de cette (in)évitable conflagration, dictant leur loi illégitime « à tous États, de rois et de parlements ». Le capitalisme en pleine crise de croissance et de confiance ne reculera, certes pas, devant la pire abjection pour se sauver lui-même de la catastrophe et échapper à la vindicte attendue de ses innombrables victimes :

“[…]
et, las de nous et d’eux, les peuples aux poings tors
de toute part partis nous poussent leur haleine :
que l’emplisse leur mort !
 Ils gardent la hantise
cruante des mots qui mentent ! patrie, en eux
retentira au sens de meurtres, et haineux
le vent haut-soulevant des trompettes, attise
le sang des Races ! – Ils ont le goût du sang, et
du heurt vers n’importe le néant, tas muet
ils entreront dans les poitrails les uns des autres
ainsi qu’ils entreraient tragiques, dans les nôtres :
ô rois et pseudo-rois ! l’heure des Banqueroutes
de tout sonne ! et d’aller entreprendre les routes.”…

34Mais le christianisme lui-même n’est pas épargné, qui a également inversé ou, du moins, laissé inverser en appel à « la haine des peuples » ce qui fut l’originel message évangélique21 :

Venez et mangez donc ! – Voilà, ô troupe vite !
la dernière tuerie où l’Homme vous invite 

35Telle, la pensée : telles, les images. Le Train, de ses lampes et de son sifflet trouant la nuit, allégorise, insolite, l’inéluctable venue, depuis le cœur de la matière et la nuit des Origines, de l’imprescriptible dynamique du Vivant, où s’abîme et se retrempe tout ce qui est. Par une propice ambivalence, figurant d’une fondamentale synecdoque l’intime et interminable affrontement du Plus et du Moins, il métonymise également la Grande Ville et avec elle le monde mécanisé, l’univers technique et marchand étendant inéluctablement son emprise sur l’ensemble des territoires et des popu­lat­ions, et saccageant impitoyablement modes de vie et modes de pensée immémoriaux22 :

Sous les hauts dômes végétants
les eaux sont noires, des étangs :
tandis que là, – entends rouler l’erreur d’airain
et de pierraille en l’horizon souterrain, où
houle un Train !…

     Ainsi qu’un songe qui prévalut
et qui prend vie, un Train qui longtemps stoppa – mut
le stagnant ordre du métal où l’âme existe
tintamarrant en le départ loin alarmiste
de ses deux phares exagérant et la nuit
et le temps !
        Et entends, et vois ! droit vers la gare
où tu vas, que sourdonnante et stridente, luit
sa durée de Visages en l’ample éparre
des vitres d’or, – qui d’une hâte inassouvie
regardent leur venir l’emprise de la Vie !…

36Ambitieuse élaboration poétique, qui n’en trouve pas moins son humble et familière source perceptive dans le bruyant et odorant spectacle qu’offrait à l’auteur, régulièrement, depuis son cabinet de travail, l’activité de la ligne de chemin de fer Niort-Ruffec bordant en contre-bas la propriété du « Sublet » (le sifflet), à Melle, en Poitou. N’arguait-il pas, depuis sa prime entrée en littérature, reprenant à son propre compte la formule clé héritée du sensualisme des Lumières23 :

je ne comprends pas le Corps sans le milieu ; l’Âme sans le Corps, c’est-à-dire, l’Idée sans la Sensation : – “nihil in intellectu quod non prius in sensu.”

37De même, la toute voisine et récente distillerie Cail, fondée en 1872, s’élève-t-elle à l’« Ouverture » de la « Deuxième partie » du « Tome deuxième » du Vœu, aux dimensions symboliques d’un phénomène quasi surnaturel24 :

[…] ils virent luire l’immense Fixité
de l’électrique-Feu :
       claire de quoi, à pleins
charrois d’aurore à nuit, des Betteraves, – crie
la mise en train de la rauque Distillerie
vaste et lisse au transport de mutisme entêté
de ses Bielles – muant, en suant de luisure
le mouvement moussant des pulpes, qu’il triture…

Et de latente explosïon, rais inéteints
de ronds soleils à ras d’horizon, aux halos
des Brumes, – sourd l’être énorme du Métal-rouge
tenant les impatientes atmosphères, aux
cornues de serpentant silence
        d’où, goutte
à goutte paraît, à heurts instants ! s’émouvoir
parmi le mauvais songe des hérédités
une onde retentie en les nervosités –
qui parcourt,
         du génie, au mal de ne pouvoir
créer son rêve, de la Démence,
          la toute
horreur de l’être errant en vain d’identités !…

38Avant-poste de la menaçante urbanisation des campagnes et de l’imminente industrialisation d’un monde rural bientôt déboussolé et dévasté, elle cristallise en effet un bouleversement des mentalités tellement inouï qu’il touche au tréfonds des consciences et notamment à la perception et à la conception traditionnelles du temps chez ces populations installées de toujours et, croyaient-elles, pour toujours dans la certitude tranquille et laborieuse des grands rythmes saisonniers, imperturbablement cycliques :

Donc, ils virent que des temps ne vont plus
continus, ainsi qu’au pas des Bêtes le vert
pousser des plantes sous, des mêmes lunaisons
la lenteur d’arc, – croissant à deux orients ouvert
en quoi tiennent tous leurs espoirs et leurs saisons !

39*

40Composé en marge de l’Œuvre, en souvenir d’une jeune danseuse javanaise rencontrée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900, Le Pantoun des Pantoun (1902) est un long poème d’un lyrisme à la fois complexe et délicat, où l’exotisme oriental et insulaire se mêle à l’évocation de la rêverie amoureuse, et de nombreux mots javanais à une langue française traitée – voire maltraitée –, ici comme dans les Dires, suivant les principes de « l’instrumentation-Verbale ».

4. Le Poète scientifique

41C’est en 1909 qu’il publie De la Poésie Scientifique (suivi en 1920 de La Tradition de Poésie-Scientifique), accouplant dans cet apparent oxymore les deux termes d’une autre vieille antinomie, également à dépasser : si les différentes éditions du Traité etde l’En Méthode ont fait l’objet d’innombrables commentaires, certes point toujours amènes, ses ouvrages plus tardifs, consacrés à la « Poésie scientifique », ont fait beaucoup moins de bruit et sont restés largement ignorés ; ils représentent pourtant les états les plus aboutis, et les plus personnels, d’une pensée aussi intransigeante que singulière, parvenue à une ferme maturité. Pour toutes ces raisons, ils devraient aujourd’hui être lus, et, en dehors des clichés tenaces, contribuer pleinement aux débats actuels sur la poésie, dans ses rapports avec la connaissance et la chose publique…

42La même année, prenait fin son abondante et combative collaboration, poétique et surtout critique, à la revue moscovite Viessy (« la Balance »), qui avait commencé, dès les tout premiers numéros, en 1904 : sa mystique matérialiste du langage ne fut pas sans effets sur les lecteurs de la revue – parmi lesquels, peut-on penser, non seulement les tenants et autres épigones du Symbolisme russe, mais aussi bien, les imminents créateurs d’un Futurisme ouvertement hostile à leurs prédécesseurs symbolistes…

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44Ses conceptions en matière de poésie reposent sur des théories linguistiques qui dérivent de celles de Rousseau : s’il incombe au Poète, enfin, de penser « par des mots redoués de leur sens originel et total, par les mots-musique d’une langue-musique25 », c’est qu’il y va, pour lui, de retrouver « le caractère originel de la parole », du langage restitué « en organisme intégral, sous la double valeur phonétique et idéographique », à savoir : « l’émotivité et le mouvement même de la sensation traduite primordialement par le cri. » Caractère originel, précise-t-il, de longtemps enfoui, « dénaturé » sous l’effet cumulé des exigences de l’action et de la communication quotidiennes (où l’on reconnaît, de Mallarmé, « l’universel reportage ») et de l’irrémédiable dissociation qui éloigna les « idéogrammes » (signifié ? signifiant graphique ?) de « leurs phonétismes correspondants » (signifiant phonique ?) Cette constante recherche d’une primitivité perdue à travers une élaboration formalisée à l’extrême est sans doute la caractéristique la plus frappante de sa poétique : elle n’est pas sans avenir.

45Et, sans reprendre nécessairement à leur compte le pessimisme métaphysique et anthropologique qui s’attache, chez Rousseau, à cette notion – ou à cette fiction – d’une chute ontologique et d’une inéluctable dégradation du langage dans les usages sociaux développés à travers l’Histoire (et dont la généalogie se confond avec celle de « l’inégalité parmi les hommes »), il est manifeste au-delà de leurs divergences d’approche ou d’appréciation que Rimbaud, Laforgue et après eux Apollinaire, les Surréalistes, voire les inventeurs de la Poésie sonore et tous ceux qui, à l’instar de Ghil ou de Mallarmé, ont attribué pour mission à la poésie de restituer au langage quelque chose de son authenticité, de sa plénitude, de sa vitalité perdues – en un mot, de « rémunérer le défaut des langues » –, ont en partage une vision globalement rousseauiste du langage comme de la poésie (et de la musique). Même si, au bout du compte, cette vision les amène à des positions et à des pratiques quelquefois fort éloignées de celles qu’eût approuvées le philosophe genevois…

46C’est, en tout cas, le fondement philosophique de l’Instrumentation verbale, dont l’élaboration s’appuie notamment sur la Théorie physiologique de la Musique de Hermann von Helmholtz (traduite en français en 1868) – au prix, cette fois d’une torsion décisive, et paradoxale, de la pensée de Rousseau : la musique (et donc, la « langue-musique ») y étant considérée comme un « corps sonore », à la manière de Rameau, réinterprété à travers les développements récents de l’acoustique ! Chaque timbre de la langue est censé correspondre à celui d’un instrument de musique ainsi qu’à une nuance psychologique et, par syncrétisme, à une couleur (contrairement à une idée reçue, et tenace, selon laquelle toute la théorie ghilienne se résumerait à l’« audition colorée ») ; et c’est à l’aide de ces timbres, combinés entre eux mais également au sémantisme des mots où ils apparaissent, que le poète, comme le musicien avec les notes de la gamme, doit composer : on mesure l’énormité de la tâche.

47Ce mode de composition sémio-acoustique se combine avec une conception originale du « Rythme-évoluant » qui, s’il conserve le syllabisme, ignore en principe les données de la métrique traditionnelle au profit de modes de scansion visant à créer harmonies et discordances, et à figurer, à rendre sensible à la lecture le Rythme même de l’univers – de cette Matière en perpétuelle et elliptique Évolution, dont le poème comme le poète eux-mêmes participent, par la matérialité phonique du langage qu’ils mobilisent ainsi, à plein : « idéal ondulement de la pensée et de la parole [participant] des ondes de l’univers ». Continuum dynamique et cosmique, universelle vie-bration, par quoi le Poète – comme chacun mais à un niveau supérieur, le sachant, et y appliquant tout son « effort » – participe de « la Vie-totale », de « l’Être-total du monde ».

48Ou, comme il le formule, synthétiquement, dans En Méthode :

Or, le son, le cri d’émoi, originairement, est l’équivalent d’un geste, avons-nous dit, une détente vibratoire de plus ou moins d’intensité et de durée. Sous les puissances expansives de l’Idée qui s’exprime émotivement par la suite dramatique des timbres-vocaux, le Rythme se marque donc et se mesure donc essentiellement en leurs valeurs vibratoires, en un dessin continu et variable d’ondes sonores de toutes longueurs et de toutes intensités.

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50Quant à une synthèse de l’art et de la science et même, à quelque chose comme une Poésie-scientifique, en réaction au Romantisme, à sa métaphysique et à la satiété que suscitèrent bientôt, assez largement, « le thème personnel et ses variations trop répétées », la tentation, voire la tentative, n’est pas absolument nouvelle, ainsi qu’en témoigne – en des termes que ne renierait pas, à quelques nuances près, l’intraitable auteur de l’En Méthode – la préface des Poèmes antiques de Leconte de Lisle (1852) :

L’art et la science, longtemps séparés par suite des efforts divergents de l’intelligence, doivent donc tendre à s’unir étroitement, si ce n’est à se confondre. L’un a été la révélation primitive de l’idéal contenu dans la nature extérieure ; l’autre en a été l’étude raisonnée et l’exposition lumineuse. Mais l’art a perdu cette spontanéité intuitive, ou plutôt il l’a épuisée ; c’est à la science de lui rappeler le sens de ses traditions, qu’il fera revivre dans les formes qui lui sont propres26.

51Or, quelques décennies plus tard, le contexte a changé. D’un côté : – dégoût du Naturalisme associé (un peu vite) au Positivisme et à une naïve ou dangereuse croyance dans le Progrès, et volontiers réduit à quelque penchant coupable pour le bas et le sale, – triomphe du Symbolisme, de l’Idée, floraison de Mages et mysticismes en tous genres ; de l’autre :

Comme le rappelait Léon Blum en 1913, la fin du XIXe siècle est une période où la littérature a marqué sa fascination pour les sciences en développement. Or le contexte scientifique s’avère alors déterminant en ce qu’il met lui-même l’accent sur le pluriel, s’employant à traiter du général plutôt que du particulier. Les études que Gustave Le Bon mène sur la “psychologie des foules” (1895), la sociologie de Durkheim qui déploie le thème de la conscience collective, favorisent l’émergence dans la littérature de textes consacrés aux mouvements généraux27.

52Réfutant, pour sa part, la dichotomie matérialisme / spiritualisme (ou idéalisme), mais aussi bien, la schize moi / monde ; ténor et tenant d’« une unité philosophique qui dégageât son émotion […], tout en exprimant sa complexité sensitive entre-pénétrée : Analyse et Synthèse » – bref, d’une « Métaphysique émue28 » qui réalisât enfin, à rebours de tous les dualismes, le diderotien29 souci d’unité de la matière : de l’apparemment « inerte » à la « sensible » et jusqu’à la « pensante » –, Ghil, de cette légitimation, répondant à une préoccupation d’ordre anthropologique, donnait d’avance une formulation, plus globale encore, en liaison avec ses propres préalables théoriques :

Et qu’est donc l’Intuition, tout d’abord, sinon le point d’une synthèse si rapide que l’esprit n’a pu en saisir les immédiats termes analytiques […].
Mais, plus avant encore, nous dirons maintenant que l’énergie, de plus en plus tendue et motrice, de notre pensée consciente, a pénétré en cette énorme partie d’ombre prolongeant notre Moi réalisé, qu’est le Sub-conscient. Et soudain il aura mis en co-vibration les potentielles accumulations d’obscures perceptions qui, de proche en proche, selon le heurt déterminant, s’ordonneront en une aperception à large et surprenante commotion […]…
D’abord (et en voici la partie le plus voisine de notre moi aggloméré), parmi toutes les sensations qui continuement nous assaillent, toutes celles qui depuis notre venue à la vie individuelle nous ont pénétrés et nous relient harmonieusement à l’univers qui nous couve, – n’est-elle point précaire, toute criblée de lacunes, la part que nous percevons, qui est devenue consciente en nous ?
Cependant […], en notre cerveau, de l’Inconscient au Conscient, par association tout se tient et se continue… Donc, à l’instant de pensée intense où toute la sensibilité et tout l’intellectualisé de l’être concourent, toute idée (produite de sensations perçues et réflé­chies) peut, par simple mécanisme d’associations, éveiller les éléments de même ordre que nous ignorons exister et évoluer aux prolongements obscurs de notre Moi, et nous révéler davantage de ce Moi. Et, comme il est, tout entier, et conscient et inconscient, en communion avec le Tout, davantage du Tout sera donc en même temps porté à notre connaissance.
Mais, – d’une part plus ténébreuse, quoique plus vertigineusement vitale et universelle, notre Sub-conscient est encore la survie d’hérédités et d’atavismes, la somme d’innombrables “moi” dont le peuple obscur, résistant, descend animalement à l’origine instinctive […] : notre Moi est une unité-qui-devient. Or, notre énergie “intuitive”, de vibrations en vibrations en la texture de nos présents et des passés qui nous habitent obscurément, peut énormément rapporter de la certitude de l’Instinct – certitude devenue hautement cérébrale, d’avoir touché tout à coup à quelque point de l’être essentiel des choses.
Mais […], l’Intuition ne nous peut cependant contenter, ainsi, en ses aperceptions soudaines et espacées. Car, si elle éclate à un cri éperdu de possession, elle ne peut ainsi posséder la vérité essentielle de l’univers que par Fragments, seulement. Or, la mission que nous avons voulu assigner à la Poésie, est de re-créer consciemment une harmonie émue de cet univers. Et c’est ici que nous avons demandé l’intervention, l’aide nécessaire et épanouissante de la Science30.

53Saisissante vision matérialiste de la psyché, sur fond lamarcko-darwinien mâtiné de bouddhisme et de bergsonisme ( ?), combinant ontogénèse et phylogénèse, topique et dynamique, qui est en même temps une théorie de la connaissance – au point que, passant outre aux propres dénégations de Ghil31, l’on est légitimement tenté d’y lire une conception pré-freudienne de l’Inconscient, soit : à mi-chemin entre Hartmann (celui de Laforgue, également contaminé de bouddhisme) et Freud (celui de Breton) – point totalement étrangère, donc, aux spéculations et à certaines expérimentations surréalistes en la matière…

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55En 1919, Paul et Georges Jamati avaient fondé Rythme et Synthèse, revue de la « Poésie cosmique », consacrée à la divulgation et à la propagation de la pensée et de la poésie de René Ghil, et qui dura jusqu’au numéro d’hommage qu’elle lui consacra, en 1926, aux lendemains de sa mort survenue, brusquement, l’année précédente. Il avait eu le temps de faire paraître, en 1923, Les Dates et les Œuvres, volume de souvenirs à forte teneur – et saveur – polémique et auto-justificatrice, où il citait largement ce passage, extrait de De la Poésie scientifique.

56Enfin, les 14, 15 et 16 février 1925, Le Pantoun des pantoun fit l’objet au « Grenier jaune », salle attitrée du « laboratoire Art et action » des Autant-Lara, d’un spectacle de marionnettes javano-malaises, dû à Akakia-Viala et Louise Lara : c’est que l’auteur du Pantoun, le théoricien surtout de l’« instrumentation-Verbale », au même titre que Henri Martin Barzun, auteur de L’Ère du Drame et théoricien de l’« instrumentation vocale de la rythmique simultanée32 », avait été dès l’origine – et était demeuré – l’un des principaux inspirateurs, l’une des références majeures d’« Art et action », qui lui témoignait ainsi en retour son amical et admiratif attachement…

5. Le Poète en son Chant

57Il est une histoire officielle, qui n’a pour fonction que de maintenir, au statut d’évidence à jamais inquestionnée, la suprématie, si peu discutée, de la conception idéaliste du poème et du poétique – c’est-à-dire : de l’homme, du langage et du monde – sur la conception matérialiste, indéfectiblement minorée : comme le furent Démocrite, Épicure, face au prestige de Platon, Lucrèce dont le clinamen eut à subir la risée des siècles, Rimbaud même, que l’on n’en finit pas d’affubler des changeantes défroques du « mystique à l’état sauvage » !...

58Dans cette histoire officielle, Ghil, préalablement réduit au seul « théoricien de l’instrumentation du verbe33 » (sic), se voit donc expédié, sans trop de ménagements, parmi l’obscure plèbe des suiveurs, coupables d’avoir appliqué sans le comprendre, et de façon strictement formelle, le « mot d’ordre » (re-sic) de Mallarmé, selon lequel « il convient à la poésie de “reprendre” à la musique son “bien” ».

59Or, dans cette histoire officielle, un événement, que tout semble pourtant désigner comme majeur, n’a jamais été pris en compte (s’il a seulement été, occasionnellement, mentionné) : en décembre 1913, Verhaeren, Ghil, Apollinaire et quelques autres, dont Kahn et Fontainas, ont l’occasion d’enregistrer un ou plusieurs de leurs poèmes au phonographe, sous la houlette de Ferdinand Brunot, à la Sorbonne, dans le cadre des Archives de la Parole, nouvellement créées. Un peu plus tard, le 27 mai 1914 à 17 heures, un auditoire qu’Apollinaire34 qualifie de « nombreux » assiste, toujours en Sorbonne, à la diffusion publique de « ces premières pages de livres auditifs dont c’était à la fois la première édition et la première audition ».

60Rendant compte aussitôt de cette double expérience inouïe, le poète-lecteur du « Pont Mirabeau » et de « Marie » n’hésite pas à confesser un regret :

comme je fais mes poèmes en les chantant sur des rythmes qu’a notés mon ami Max Jacob, j’aurais dû les chanter comme fit René Ghil, qui fut avec Verhaeren le véritable triomphateur de cette séance.

61Qu’est-ce à dire sinon qu’il se reproche, après-coup, de n’avoir pas su tenir compte de la spécificité de la technique et du support auxquels il se trouvait soudain confronté, et qui (il n’eut de cesse, dès lors, de le répéter à qui ne pouvait guère l’entendre) se substituerait bientôt – ainsi que la pellicule cinématographique – à la page imprimée ? Lucidité médiologique, et plus spécifiquement médiopoétique, qu’il reconnaît aussitôt à Ghil pour sa lecture de « Chant dans l’Espace », dont il entame alors un éloge aussi lyrique que dithyrambique, assez surprenant dans ce contexte plutôt journalistique :

Le chant vertigineux de René Ghil, on eût dit des harpes éoliennes vibrant dans un jardin d’Italie, ou encore que l’Aurore touchait la statue de Memnon et surtout l’hymne télégraphique que les fils et les poteaux ne cessent d’entonner sur les grandes routes.

62Nul doute, que les préalables spéculations de Ghil, touchant au langage en général et, plus particulièrement, à l’instrumentation verbale, l’aient mieux que tout autre préparé à ce périlleux exercice : à ce qu’il suppose de lucidité – et de sens de l’expérimentation – dans le compte tenu de la matérialité, tant de la parole elle-même que de l’appareillage qui en rendait possibles, soudain, la conservation et la restitution. Qu’il n’ait pas attendu cette circonstance exceptionnelle et, à bien des égards, inespérée, pour étonner – et enchanter – ses visiteurs par sa diction et la scansion qu’il imprimait à ses vers en les lisant, c’est ce qu’attestent plusieurs témoignages ; et c’est assurément ce qu’il faut entendre dans ce paragraphe, conclusif d’un long développement consacré au Vers, de l’En Méthode35 – et notamment, dans le double sens qu’y revêt, in cauda, le verbe « interpréter » :

Il sied de n’éteindre de lueurs de la diaprure phonétique, et nulle vague douce de la mer entière des durées harmonieuses. Et, que s’en souvienne la voix savante, savante instrumentalement du Lecteur, – qui, lui qui sait vraiment lire, tout haut et en toutes les valeurs sonores et idéales que nous aurons voulues, interprètera l’Œuvre.

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64Que, malgré l’âge et l’ancrage dans le siècle révolu (le XIXe), cette expérience du phonographe n’ait en rien été étrangère, en aval pas plus qu’en amont, à ses plus constantes préoccupations, c’est ce que révèle, non moins, le récit que devait faire Arthur Pétronio de son unique visite à René Ghil – et notamment, la stupéfiante déclaration par laquelle il annonce, en écho aux prédictions d’Apollinaire et trente ans avant les toutes premières compositions au magnétophone de Henri Chopin ou de Bernard Heidsieck, ce qui sera l’une des voies majeures de l’innovation et de l’expérimentation en poésie dans le siècle qui s’annonçait (le XXe) :

“Faites donc sonner le verbe par la voie aérienne, si telle est votre intention, et surtout n’oubliez pas que la poésie est le verbe, c’est-à-dire la pensée traduite, mais suggérée aussi, la conscience et l‘intuition. Qu’elle est à la fois philosophie et musique, science et technique. DANS CINQUANTE ANS LE POÈTE SERA CELUI QUI COMMANDERA À DES MACHINES PHONÉTIQUES. LA POÉSIE SERA UNE SCIENCE OU NE SERA PLUS.”
René Ghil se leva, l’air rêveur, alla s’asseoir à sa table de travail, sortit un livre d’un tiroir, y traça quelques mots, prit un buvard et les sécha, et me remit l’ouvrage(*). Avant de nous quitter et en me serrant la main il me dit encore :
“Je ne sais encore où nous mènera le Futurisme, mais ce dont je suis sûr, c’est que mes théories sur l’instrumentation verbale et la poésie scientifique subiront d’importantes mutations et que les poètes se­ront appelés un jour à revaloriser le poème. Mais comment ?… Ainsi bonne chance, continuez votre idée et vos expériences, en MÉTHODE À L’ŒUVRE cher Ami, vous subirez moins que moi la huée car le monde est en transformation.”36

65Sa poignée de main fut la dernière et je ne le revis plus. (René Ghil devait mourir peu de temps plus tard, en 1925.)

Notes de bas de page numériques

1  Enquête sur l’évolution littéraire, L’écho de Paris (1891), José Corti, 1999, p. 377, 143 sq.

2 Ghil, Enquête sur l’évolution littéraire, p. 145.  

3  « René Ghil et son influence », Rythme et Synthèse, n° spécial « Hommage à René Ghil », Paris, 1926 : section « Aspects » p. 105-108. Michel Décaudin, à propos du groupe de l’Abbaye, estimait « surprenant que, parmi tous les maîtres qu’on lui a découverts […], René Ghil soit si rarement cité » : La crise des valeurs symbolistes, Toulouse, Privat, 1960, rééd. Genève/Paris, Slatkine, 1981, p. 235. Plus récemment, Bernard Girard, à propos cette fois du Lettrisme et, en particulier, de différents auteurs qui avaient contesté la nouveauté absolue à laquelle prétendait Isidore Isou, s’étonnait aussi : « Aucun, bizarrement, ne cite René Ghil, qui avait l’ambition d’écrire de la poésie comme une partition », etc. ; mais sa connaissance de Ghil paraît elle-même bien limitée, voire erronée : Lettrisme – L’ultime avant-garde, Dijon, Les Presses du réel, 2010, p. 96-97.

4  Même si celui-ci tint à renier cette filiation et la notion même de « poésie scientifique » : Léon Somville, Devanciers du Surréalisme, Genève, Droz, 1971, p. 95.

5  Liste, à laquelle il faudrait ajouter en premier lieu le « Musicisme » de Jean Royère qui, s’il devait de toute évidence beaucoup à Mallarmé, « fut aussi un admirateur passionné de René Ghil » : Robert Montal, René Ghil : du Symbolisme à la Poésie cosmique, Bruxelles, Labor, 1962, p. 210. Répliquant à « la grosse et lourde apologie de Verhaeren par l’Allemand Zweig, traduite en français », Royère précisait dans La Phalange (mai 1910) : « La seule pensée de M. Zweig est que Verhaeren est le poète de la vie, de l’énergie moderne. Il en fait le créateur d’un art tout nouveau, d’une poésie fondée sur la Science. Or, il oublie de citer René Ghil, qui a pourtant plus de droit qu’Émile Verhaeren au titre de poète scientifique. » (Cité par Ghil, Les Dates et les Œuvres, Paris, Crès, 1923, p. 273-275.)

6  Petit traité de versification, Paris, NRF, 1923.

7  Histoire contemporaine des Lettres françaises, de 1885 à 1914, Paris, Figuière, 1914, cité par lui-même, op. cit. p. 105.

8  « “Onze journées en force” par Sadia Lévy et Robert Randau » (avril 1903), Œuvres en prose complètes, t. II, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 1080.

9  Et même plus que cela, dans le cas de François Dufrêne, l’inventeur des « Crirythmes » qualifiés d’« ultra-lettristes », ou d’Arthur Pétronio, le créateur de la « Verbophonie », qui publia Ghil dans sa Revue du Feu, fondée en 1919.

10  Texte inédit cité par Dufrêne, « Le lettrisme est toujours pendant », Opus international n°40/41, Paris, 1973, p. 43 ; repris dans Archi-Made, École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris, 2005, p. 333-334.

11  Difficile, en effet, de ne pas y voir une des nombreuses manifestations – la plus exemplaire, peut-être – de la fécondité, fût-elle souterraine, des théories de Ghil, dont il ne reprend pas seulement la dichotomie sons / bruits = voyelles / consonnes, mais la triple correspondance langue / musique / psychisme = timbres des phonèmes / timbres des instruments / sentiments ou idées, aussi bien que le primitivisme associé à une constante référence aux données les plus récentes en matière de phonétique expérimentale : « Dans les mots en liberté futuristes, la consonne qui représente le bruit est finalement utilisée pour elle-même et sert, comme une musique, à multiplier les éléments de l’expression et de l’émotion. » (L’Art des bruits [1916], Lausanne, L’Âge d’homme [1975], 2001, p. 73.) Sur lesdites théories, voir ci-après.

12  Entretiens, Gallimard « Idées », [1952] 1969, p.22.  

13  « Mai 1946 », Chroniques du Bel canto, Paris, Skira, 1947, p. 87-88, 90, 91.

14  Les Dates et les Œuvres, chap. VIII.

15  Les Règles de l’art, Paris, Seuil, 1992, 1998, p. 411-412: il souligne. C’est, également, ce que laisse encore entendre Yoan Vérilhac dans son ouvrage, La Jeune Critique des petites revues symbolistes, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2010, affirmant sans autre justification que cette « critique périodique […] imposa une certaine conception de l’avant-garde » (p. 18-19) ; c’est, non moins, ce que font Lionel Cuillé et Michael Pakenham dans leurs contributions respectives à La Poésie jubilatoire [Seth Whidden], Paris, Classiques Garnier, 2011 : la Renaissance, « revue d’avant-garde » (p. 13), et : les zutistes, « artistes d’avant-garde » (p. 92-94). Il est vrai qu’ils n’avancent aucun critère à l’appui d’une telle caractérisation, qui reste largement empirique et se ramène au sentiment assez vague que tel groupement d’artistes, plus ou moins en rupture avec la société bourgeoise, s’avère plus ou moins propice à l’innovation : plutôt plus que moins, certes, s’agissant des zutistes – plus que Ghil et ses amis, peut-être : mais tel n’est pas le critère…

16  « M. René Ghil a l’air d’être sur une pente funeste, au bas de laquelle il y a des appareils de douches et des camisoles de force. » La France, 24 oct. 1886 (cité par Ghil, Les Dates et les Œuvres,p. 63).

17  « Est-ce du Français ? Est-ce du volapuk ? On ne saurait trop le dire. » Le Temps, 20 sept. 1886 (cité par Ghil, Les Dates et les Œuvres,p. 62) ; « Trombonisme (ça, c’est la religion de M. Ghil, une petite religion d’arrière-boutique) » : Charles Vignier dans Huret, Enquête, p. 132-133 ; etc.  

18  Les Dates et les Œuvres, p. 12.

19  Lutèce, mars 1885 ; cité par Jean-Louis Debauve, Laforgue en son temps, À la Baconnière, Neuchâtel, 1972, p. 198.

20  « Dans les Temps » (« Finale » de L’Ordre altruiste, livre IV et dernier de Dire du Mieux). Cas typique d’« hétéronomie » à forte composante d’expérimentation spécifique…

21  « Dans les Temps » III.

22  Le Geste ingénu, « finale ».

23  « Mes Idées », préface à Légende d’Âmes et de Sangs, rééd. Plein Chant, Bassac, 1995, p. 8.

24  Le Vœu de Vivre, t.IIe, 2e partie, « ouverture ».

25  En Méthode à l’Œuvre : je souligne.

26  Que Ghil, non sans précautions et réserves, mentionne, parmi les précurseurs, dans De la Poésie Scientifique, p. 7, n. 1 : cf. La Tradition de Poésie-Scientifique, p. 69-72.

27  Marie-Hélène Boblet-Viart / Dominique Viart, « Esthétiques de la Simultanéité » dans D. Viart, Jules Romains et les écritures de la Simultanéité, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, p. 33 : mais, pas plus que chez Zweig à propos de Verhaeren, nulle mention de Ghil dans cette archéologie de l’Unanimisme. L’article de Blum auquel il est fait allusion est : « La prochaine génération littéraire », La Revue de Paris, 1913.

28  De la Poésie Scientifique, p. 14.

29  Voir, principalement, Le Rêve de D’Alembert et Entretien entre D’Alembert et Diderot.

30  De la Poésie Scientifique, p. 37-39.

31  Ainsi, condamnant l’usage fait par les Symbolistes et, en particulier, par Gourmont, de la notion de « Sub-conscient », fustige-t-il hâtivement « les plus que contestables théories de Freud récemment vulgarisées en France » (Les Dates et les Œuvres, p. 315). Qu’on y songe : le premier Manifeste du Surréalisme est de 1924 ; les Complaintes de Laforgue, de 1885 : l’année où meurt Hugo, l’année même où le futur inventeur de la Psychanalyse arrive à Paris pour y suivre l’enseignement de Charcot ; entre ces bornes, se conçoit et se construit l’œuvre poétique et théorique de Ghil : durant la même période, se conçoit et se construit l’essentiel de l’œuvre clinique et théorique de Freud, dont la première traduction française est de 1921.

32  Barzun, Poème et Drame, vol. IV, 1913, p. 32.

33  Aude Locatelli, Littérature et musique au XXe siècle, Paris, P.U.F., « Que sais-je ? », 2001, p. 15 : ce n’est, bien entendu, qu’un exemple parmi d’autres…

34  Apollinaire, « Aux Archives de la Parole » [art. inédit], Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. III, p. 1493 ; puis : « Les Archives de la Parole » [art. repris dans] Anecdotiques [1926], Gallimard, 1955, p. 182-183.

35  En Méthode, p.66.

36  « Ouvertures. Au cœur des langages », Cinquième Saison n°19, 1963, p. 12-13. Rappelons que Chopin était le responsable de cette revue, qui allait ensuite devenir Ou, soit : la toute première revue-disque, et l’un des principaux lieux d’élaboration de la poésie sonore.

Notes de bas de page astérisques

*  Voir mes éditions de : René Ghil, Le Vœu de Vivre & autres Poèmes, Presses Universitaires de Rennes, 2004 ; De la Poésie-Scientifique & autres écrits, Grenoble, Ellug, 2008 ; Les Dates & les Œuvres, Grenoble, Ellug, à paraître, 2012. Pour les deux traités de Ghil, « De la Poésie scientifique » et « La Tradition de Poésie-scientifique », les [chiffres entre crochets] renvoient aux n°s de pages des éditions originales, indiquées [entre crochets] dans le texte courant de la réédition.

Pour citer cet article

Jean-Pierre Bobillot, « L’anté-tradition futuro-lettriste de René Ghil. Instrumentation verbale et Poésie scientifique », paru dans Loxias, Loxias 36, mis en ligne le 15 mars 2012, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=7029.


Auteurs

Jean-Pierre Bobillot

Professeur à l’Université Stendhal Grenoble-III, il a publié de nombreux articles sur la poésie française de 1865 à 1925 et sur les avant-gardes du XXe siècle, notamment les poésies visuelle et sonore. En volumes : Bernard Heid­sieck Poésie Action (Jean-Michel Place, 1996) ; Trois essais sur la Poésie littérale (Al Dante, 2003) ; Rimbaud : le meurtre d’Orphée (Champion, 2004) ; Poésie sonore. Éléments de typologie historique (Le Clou dans le fer, 2009). Il se consacre également à la réédition et à la réévaluation de l’œuvre de René Ghil : Le Vœu de Vivre (PUR, 2004) ; De la Poésie-Scientifique (Ellug, 2008) ; Les Dates & les Œuvres (Ellug, à paraître). Il a en outre signé plusieurs volumes et disques de poésie, dont dernièrement : Prose des Rats (L’Atelier de l’Agneau, 2009) ; News from the POetic front (Le Clou dans le fer, 2011).