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Olimpia Gargano :
Le voyage en Albanie d’Isadora Duncan, entre autobiographie et fiction romanesque
Résumé
En 1913, Isadora Duncan visita l’Albanie. C’était l’un des moments les plus durs dans la vie de la célèbre danseuse : quelques semaines avant, à Paris, elle avait perdu ses deux enfants, noyés suite à un accident dans lequel la voiture où ils voyageaient était tombée dans la Seine. Son voyage avait été narré par elle-même dans son autobiographie, My Life (1927), publiée peu après sa mort à Nice, le 14 septembre du même an. De nos jours, l’écrivain Luan Rama a dédié au séjour d’Isadora Duncan en Albanie son roman Santa Quaranta (Tirana, 2005), pas encore traduit de l’albanais.
Il avait été seulement au tout début du XIXe siècle, sous l’effet de la vogue du « Grand Tour », que des voyageurs européens avaient commencé à considérer l’Albanie comme une destination qu’il convenait de visiter expressément. Entre les premiers témoignages littéraires qui lui furent expressément dédiés, se signalèrent celles de François Pouqueville et de Lord Byron.
À partir de l’épisode qui concerne le voyage d’Isadora Duncan en Albanie, cet article se propose de mettre en contraste le récit autobiographique et la réélaboration romanesque du même sujet, sur la toile de fond du profil de la perception culturelle de l’Albanie entre les siècles XIXe-XXe
Abstract
In 1913, Isadora Duncan travelled to Albania. She was having a very hard time in her life, as some weeks before, in Paris, both her children had died after drowning in the Seine because of a car accident. She told about her travel in the autobiography My Life (1927), published after her death in Nice, on September 14 of the same year. In a novel published in 2005, the Albanian writer Luan Rama dedicated to the Duncan’s travel his novel Santa Quaranta, not yet translated from the Albanian language.
It was only at the very beginning of 19th century, during the « Grand Tour » era, that some European travelers started to consider Albania as a place which was worth visiting in its own right. Among the first literary evidences dedicated to the country, the most remarkable were the works of François Pouqueville and Lord Byron.
Starting from the episode regarding Isadora Duncan, this article intends to point out a comparison between the autobiographic account and the fictional working-out of the same topic, on the background of the cultural depiction of Albania in the 19th- 20th centuries.
Index
Mots-clés : Albanie , autobiographie, Isadora Duncan, Luan Rama, mise en abyme
Keywords : Albania , autobiography, Isadora Duncan, Luan Rama, mirror text
Géographique : Albanie
Chronologique : XXe
Plan
- La dernière terra incognita d’Europe
- Le début de la représentation littéraire de l’Albanie : le Voyage de François Pouqueville (1805) et Le Pèlerinage de Childe Harold de Lord Byron (1818)
- Echos byroniens dans l’Albanie vue par Isadora Duncan
- My life : le « pacte autobiographique »
- La réélaboration romanesque: Santa Quaranta de Luan Rama (2005)
- La mise en abyme du récit littéraire
Texte intégral
En 1913, Isadora Duncan voyagea en Albanie. C’était l’un des moments les plus difficiles dans la vie de la célèbre danseuse : quelques semaines auparavant, à Paris, elle avait perdu ses deux enfants dans un accident de voiture.
Née en 1877 à San Francisco, de mère irlandaise et de père écossais, Isadora Duncan avait grandi entre la musique et l’art classique. Sa mère, musicienne, soutenait ses quatre enfants en donnant des leçons de piano, après avoir été abandonnée par son mari, le banquier Charles Duncan.
Depuis sa première enfance Isadora jouait du piano, et bientôt elle et sa sœur Elizabeth donnèrent des leçons de danse pour aider à la subsistance familiale. Sa formation culturelle fut riche et variée. Elle lisait les classiques de la littérature européenne, et développait une sensibilité particulière pour l’art grec. Dès que sa famille se déplaça en Europe, Isadora, Elizabeth, et leurs frères, Augustin et Raymond, passaient des journées entières dans les salles des principaux musées en copiant les modèles de poterie de la Grèce ancienne.
D’un naturel passionné, elle eut une vie sentimentale tumultueuse. En 1906, de sa relation avec l’acteur et metteur en scène britannique Edward Gordon Craig, naquit sa première fille, Deirdre (en irlandais, « aimée de l’Irlande »). Quatre ans plus tard, naquit Patrick, fils de Paris Singer, l’un des enfants du fabricant de machines à coudre, Isaac Singer.
Lorsqu’elle partit en Albanie, sa célébrité était à son apogée. Son portrait avait été gravé par le sculpteur Antoine Bourdelle dans le bas-relief qui surmontait l’entrée du Théâtre des Champs Elysées. Elle avait révolutionné le monde de la danse en y apportant son style tout à fait personnel, fondé sur sa passion pour la mythologie et l’art grec. Vêtue d’une simple tunique, pieds nus, recourant à des mouvements expressifs qui valorisaient les émotions, elle brisait les règles de la danse moderne, dont la codification lui semblait rigide et contre nature, comme les traditionnels tutus et pointes utilisés jusqu’à ce moment-là.1
Le 18 avril 1913, après une demi-journée passée avec leur mère et Paris Singer, Deirdre et Patrick, accompagnés par leur nourrice, se trouvaient en voiture sur le chemin de retour. Le chauffeur, ayant eu à descendre un instant du véhicule, oublia d’actionner le frein à main ! La voiture se mit à dévaler le long de la rue descendant vers la Seine : les deux enfants et la nourrice, bloqués à l’intérieur, moururent noyés.
Cette tragédie faillit faire perdre la raison à Isadora. Son frère Raymond, qui dans cette période-là était en Albanie avec son épouse grecque, Pénélope, l’invita à les rejoindre à Saranda, une petite ville à la frontière avec la Grèce.
Aîné de trois ans d’Isadora, Raymond Duncan était un intellectuel dans le sens plus complet du terme. Artiste, poète, danseur, philosophe, il avait conçu une théorie dénommée kinematic, selon laquelle la vraie valeur du travail devait viser à l’épanouissement des ouvriers, et non à la production ou au profit. Avec son épouse Pénélope et leur enfant, ils vivaient dans une villa près d’Athènes, dont l’ameublement, la poterie et la tapisserie avaient été dessinés et fabriqués par Raymond lui-même d’après des modèles grecs anciens.
À Saranda, Raymond Duncan s’était porté au secours de la population albanaise écrasée par la guerre qui avait ravagé la région balkanique. Un an auparavant, l’Albanie avait déclaré son indépendance, après plus de 400 ans de domination ottomane. En octobre 1912, avait éclaté la guerre entre la Ligue Balkanique (Grèce, Monténégro, Serbie et Bulgarie) et l’Empire Ottoman. À la suite de la victoire de la Ligue, l’Albanie avait été envahie pas ses voisins, au nord par les Serbes et au Sud par les Grecs, qui ne voulaient pas reconnaître son indépendance.
Ce fut donc dans une Albanie épuisée par la guerre qu’Isadora Duncan passa six mois. En mai 1913, elle partit de Paris et rencontra sa sœur Elizabeth à Milan, d’où elles se rendirent à Brindisi. De là, avec leur frère Augustin, venu des Etats-Unis, ils prirent le paquebot pour Corfou, où Raymond attendait Isadora pour la conduire à Saranda.
Le séjour dans la petite ville albanaise fut raconté par Isadora Duncan dans son autobiographie, My life2, publiée en 1927. De nos jours, l’écrivain Luan Rama, ancien ambassadeur d’Albanie à Paris, a dédié à cet épisode de la vie de la célèbre danseuse son roman Santa Quaranta (2005)3, non encore traduit de l’albanais.
L’objet de cet article sera donc d’examiner ce récit autobiographique et sa réélaboration romanesque, sur la toile de fond de la perception culturelle de l’Albanie au début du XXe siècle dans l’imaginaire européen.
La dernière terra incognita d’Europe
Au début du XXe siècle, l’Albanie demeurait l’un des pays européens les plus méconnus. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les voyageurs qui l’avaient traversée étaient pour la plupart des marchands ou des diplomates en route vers Constantinople sur le parcours de la via Egnatia, l’ancienne voie de communication qui avait été construite par les Romains pendant le IIesiècle avant J.C. Conçue comme le prolongement idéal de la via Appia, qui menait de Rome à Brindisi, la via Egnatia conduisait de Durrës, situé sur la côte adriatique de l’Albanie, jusqu’à Constantinople, en traversant l’Albanie, la Macédoine, la Bulgarie et la Turquie. Ce fut seulement au tout début du XIXe siècle, sous l’effet de la vogue du « Grand Tour », que des voyageurs européens commençaient à considérer l’Albanie comme une destination qu’il convenait de visiter expressément.
Toutefois, même si, à la suite de cet engouement, de nombreux récits de voyage lui furent consacrés, si l’on en juge selon les appréciations les plus utilisées on pourrait affirmer que, encore aujourd’hui, l’Albanie demeure l’un des pays les moins connus d’Europe. Un récit de voyage en langue française, paru précisément en 1913, l’année du voyage d’Isadora Duncan, définissait l’Albanie comme étant « inconnue à l’Europe, inconnue à ses plus proches voisins, on pourrait dire inconnue à elle-même4 ». Il s’intitulait, évidemment, L’Albanie inconnue.
Jusqu’en 2000, lors d’un colloque international consacré à la littérature de voyage, tenu à Limoges, on peut encore affirmer :
L’Albanie est bien la dernière terra incognita d’Europe. Mais, au cours des années qui ont précédé la première guerre mondiale, et en cela qu’elle paraissait aussi vierge que la neige qui couvrait ses montagnes, l’Albanie a fini par faire l’objet d’un étrange paradoxe : elle ne cessait d’être explorée pour la première fois5.
On comprend mieux, dans ce contexte, en quoi il est tout à fait vraisemblable, que la première question qu’Isadora pose avec méfiance à son frère dans le roman Santa Quaranta, lorsque Raymond l’invite à le rejoindre en Albanie, soit : « Où se trouve-t-il, ce lieu inconnu?6 ».
Le début de la représentation littéraire de l’Albanie : le Voyage de François Pouqueville (1805) et Le Pèlerinage de Childe Harold de Lord Byron (1818)
À partir des premières années du XIXe siècle, les témoignages littéraires les plus connues au sujet du petit pays balkanique furent le Voyage en Morée et à Constantinople, en Albanie, et dans plusieurs autres parties de l’Empire Ottomande François Pouqueville7, et Le pèlerinage de Childe Haroldde George Byron8.
Médecin, voyageur et écrivain, Pouqueville avait pris part à l’expédition en Egypte de Napoléon Bonaparte. Nommé Consul Général de France dans la ville albanaise de Janina (aujourd’hui Ioannina, en Grèce) auprès du puissant Ali Tepelena9, qui gouverna la région pour le compte de l’Empire Ottoman, il en parcourut les villes et les ruines archéologiques, et en décrivit mœurs, lieux et personnages. Il visita Saranda, la ville dans laquelle Isadora Duncan séjourna six mois. Pouqueville la désigne du nom grec de Agio-Saranta (c’est-à-dire « les Quarante Saints », comme elle avait été nommée en hommage aux Quarante Martyrs de la ville arménienne de Sébaste qui, dans l’an 324, avaient été torturés pour avoir refusé de renier la foi chrétienne). En décrivant les lieux de l’alentour, il les représenta comme « pauvres et mal cultivés, comme presque toute cette partie d’Albanie qui avoisine la mer10 ».Quant à la population, Pouqueville la décrivait ainsi :
Les Albanais, qu’on pourrait nommer les Scythes de l’empire d’Orient, ne connaissent que peu de besoins. Ils habitent, en général, des maisons qui n’ont qu’un rez-de-chaussée, et couchent sur des nattes ou sur les épaisses capotes, qui les mettent à couvert des injures de l’air. Peu sensibles aux variations de l’atmosphère, ils mènent une vie également laborieuse dans les différentes saisons de l’année ; contents de peu, ils se nourrissent de lait, de fromage, d’olives, de végétaux, de viande mais en petite quantité, de poissons et d’œufs, enfin des poissons salés ; tantôt ils font usage de pain, tantôt ils se contentent de blé bouilli ou de maïs11.
Cette modalité de description demeure l’une des plus diffuses dans les récits de voyage des siècles suivants. À ce propos, on peut remarquer, dans le roman Santa Quaranta, l’étonnement d’Isadora lorsque, sur le bateau entre Saranda et Corfou, elle vit des passagers albanais
habillés à l’occidentale, avec des chaussures cirées. Ça lui fit plaisir, parce que souvent les Albanais étaient représentés comme des paysans et des montagnards qui se tenaient à distance des étrangers12.
Du côté anglais, la « découverte » de l’Albanie dans la littérature moderne est due à Lord Byron. À l’automne 1809, pendant son itinéraire dans les pays de la Méditerranée, le poète anglais – qui était l’un des auteurs préférés d’Isadora Duncan, comme on peut constater par les nombreuses références à son œuvre dans My life – visita l’Albanie. Dans ses notes de voyage, il écrivit :
En parlant de l’Albanie, Gibbon13 remarque que cette contrée, à la vue des côtes de l’Italie, est moins connue que l’Amérique14.
Pour souligner le caractère pionnier de son voyage, il ajouta :
à l’exception du major Leake15, alors résident officiel de l’Angleterre à Janina, aucun autre Anglais n’a jamais été plus loin dans l’intérieur que cette capitale16.
Ses impressions de voyage laissèrent des traces dans le chant deuxième du Pèlerinage de Childe Harold. Voilà comme l’auteur nous présente son jeune héros à son arrive dans le pays :
C’est là qu’Harold se sentit enfin seul, et dit un long adieu aux langues des nations chrétiennes. Il s’aventure dans une contrée inconnue que tous les voyageurs citent avec admiration, mais que la plupart n’osent visiter17.
Echos byroniens dans l’Albanie vue par Isadora Duncan
L’écho des vers de Byron se répand partout dans l’autobiographie de Duncan. La passion que la danseuse portait à la culture de l’ancienne Grèce trouvait dans le poète anglais son interprète idéal. En outre, le fait qu’il mourut à Missolonghi en se dédiant à la cause de l’indépendance grecque contre la domination turque, avait contribué à en faire la figure idéale du philhellénisme de l’âge romantique.
Plusieurs années avant de s’y rendre pour prêter secours aux refugiées, Isadora avait déjà visité les côtes de l’Albanie pendant un voyage en Grèce avec son frère Raymond18. Partis en vapeur de Brindisi, ils avaient fait escale à Santa Maura, une petite ville sur le littoral grec de la mer Adriatique,
pour voirl’emplacement de l’ancienne Ithaque et le rocher d’où Sapho se jeta de désespoir dans la mer. Même aujourd’hui, quand je refais en pensée ce voyage, je me rappelle les vers de Byron qui chantèrent alors à mon oreille : « Iles de Grèce, Iles de Grèce,/Où l’ardente Sapho aima et chanta,/Où grandirent les arts de la guerre et de la paix,/Où Délos s’éleva, et d’où jaillit Phoebus/Un éternel été vous dore encore,/Mais, à part votre soleil, tout est maintenant mort19. »
Durant son premier séjour dans la région balkanique, Isadora avait fait étape à Préveza, petite ville albanaise sur la mer Ionienne, qui fut conquise par la Grèce au cours de la premièreguerre balkanique. Dans son autobiographie, elle rappelait ainsi son premier contact avec l’Albanie:
[à Préveza] nous achetâmes des provisions, un grand fromage de chèvre, d’importantes réserves d’olives noires et de poissons secs. Comme il n’y avait aucun endroit, sur le bateau, pour mettre nos vivres à l’abri, je n’oublierai jamais, tant que je vivrai, l’odeur de ce fromage et de ce poisson, exposés tout le jour au soleil implacable, et cela d’autant moins que notre petit voilier avait un doux mais puissant roulis qui n’appartenait qu’à lui seul. Souvent la brise cessait et nous étions obligés de prendre les rames20.
C’était justement de Préveza que, le 12 novembre 1809, George Byron avait adressé à sa mère une lettre dans laquelle il décrivait avec enthousiasme le costume traditionnel des Albanais, qu’il endossa lui même en plusieurs occasions :
le plus magnifique du monde, fait d’un long kilt blanc, un manteau brodé de fils d’or, corselet et gilet cramoisi de velours ourlés en or, poignards et pistolets montés en argent.
En post-scriptum, il l’informa avoir acheté
de magnifiques costumes albanais, le seul article coûteux dans ce Pays. Ils coûtent 50 guinées chacun, et ils ont tant d’or qu’ils en auraient coûté 200 en Angleterre21.
My life : le « pacte autobiographique »
Dans la préface de son œuvre, Isadora Duncan exprime ses doutes sur la possibilité de direle vrai à propos de soi-même.
Comment peut-on écrire la vérité sur soi même? La connaît-on seulement ? Il y a l’image que vos amis se font de vous, l’image que nous nous faisons de nous-mêmes, et celle que notre amant se fait de nous. Il y a aussi l’image que nos ennemis se font de nous – et toutes ces images sont différentes. [...] Un homme ou une femme qui écrirait la vérité de sa vie écrirait une grande œuvre. Mais personne n’a osé écrire la vérité de sa vie. [...] Aucune femme n’a jamais dit la vérité de sa vie. Les autobiographies de la plupart des femmes célèbres sont une série de relations de leur existence extérieure, de détails et d’anecdotes futiles, qui ne donnent aucune idée de leur vie véritable. Quant aux grands moments de joie et de détresse, elles gardent à leur égard un étrange silence. Mon art est précisément un effort pour exprimer en gestes et en mouvements la vérité de mon être. Il m’a fallu des longues années pour trouver le moindre mouvement absolument vrai. Les mots ont un sens différents22.
On pourrait dire que, au moins au niveau formel, les instances de véridicité ont été respectées, puisqu’on y retrouve dès le tout début l’un des éléments de ce que Philippe Lejeune appelle le « pacte autobiographique », c’est-à-dire l’identité « entre l’auteur dont le nom figure sur la couverture, et le personnage dont l’histoire est racontée dans le texte23 ».
Quant à la possibilité d’écrire la vérité sur soi-même, c’est encore Lejeune qui affirme qu’il est
impossible d’atteindre la vérité, en particulier celle d’une vie humaine, mais le désir de l’atteindre définit un champ de discours, et des actes de connaissance, un certain type de relations humaines, qui n’ont rien d’illusoire. L’autobiographie s’inscrit dans le champ de la connaissance historique (désir de savoir et de comprendre) et dans le champ de l’action (promesse d’offrir cette vérité aux autres) autant que dans le champ de la création artistique24.
Il faut aussi tenir en compte que l’histoire éditoriale complexe de My life, les mauvaises circonstances économiques, ses problèmes de santé et la manipulation dont elle fut l’objet par son entourage, qui affectèrent l’artiste pendant le processus d’écriture, purent contribuer à altérer la vérité de la représentation autobiographique25.
Du côté psychologique, l’acte de « raconter soi-même » pourrait être lu comme un moyen de travail thérapeutique sur son propre deuil, ce qui, avec une clé de lecture psychologique, serait l’une des finalités de l’acte autobiographique26.
Ce fut justement pour la soustraire à son chagrin que, quelques semaines après l’accident dans lequel ses enfants périrent, Raymond Duncan invita Isadora à le rejoindre à Saranda. Pour la convaincre, il lui dit que des milliers d’enfants étaient dans le besoin.
« Le pays tout entier est en pleine détresse. Les villages sont dévastés ; les enfants meurent de faim. Comment peux-tu rester ici dans ce chagrin égoïste? Viens nous aider à nourrir les enfants, à donner du courage aux femmes. » Son plaidoyer fut efficace. Je remis ma tunique grecque et mes sandales et je suivis Raymond en Albanie27.
À son arrivée à Saranda, Isadora voit de ses propres yeux les milliers des réfugiés, surtout des femmes et des enfants.
Je fus témoin de bien de scènes tragiques. Une mère, assise sous un arbre avec son bébé dans les bras et trois ou quatre petits enfants grimpant sur elle, tous affamés et sans asile. Leur maison brûlée, le père et les frères [sic] tués par les Turcs, les troupeaux volés, les récoltes détruites, et la pauvre mère était là avec les enfants que lui restaient. C’est à des tels malheureux que Raymond distribuait ses sacs de pomme de terre28.
Isadora parle avec admiration de son frère, qui « avait conçu une façon fort originale d’organiser un camp de secours pour les réfugiés albanais29 ». Le projet imaginé par Raymond Duncan s’accordait pleinement avec ses idéaux philanthropiques en matière d’économie. Il consista à établir à Saranda un atelier de tissage où les femmes filaient la laine brute que Raymond allait acheter au marché de Corfou et en tissaient des couvertures qui étaient vendues à Londres avec un bénéfice de 50 pour cent. Les dessins de ces couvertures, inspirés de ceux des anciens vases grecs, firent leur succès.
Bientôt, il y eut toute une rangée de femmes qui travaillaient près de la mer, et il leur apprit à chanter suivant la cadence de leur métier30.
Avec le profit de la vente, Raymond fonda une boulangerie, et bientôt les moyens furent suffisants pour créer un village dans lequel abriter les réfugiés.
Nous vivions sous une tente au bord de la mer. Chaque matin, au réveil du soleil, nous plongions et nous nagions.[...] L’Albanie était un pays étrange et tragique. Il y avait là le premier autel dédié à Jupiter tonnant, qui fut appelé ainsi parce que, dans ce pays, hiver comme été, il y a de continuels orages et de pluies violentes31.
Après plusieurs semaines de travail pour soulager les souffrances des refugiés albanais, elle sentit revenir les forces qui l’avaient quittée lors de la perte tragique de ses enfants. Un jour, Isadora se coupa les cheveux32.
C’est à Santa Quaranta où il n’y avait pas de coiffeur, que je coupais mes cheveux pour la première fois : je les jetai à la mer. Quand ma santé et mes forces revinrent, cette vie parmi les réfugiés me devint impossible. Il y a une grande différence entre la vie d’un artiste et celle d’un saint. Ma vie d’artiste se réveillait en moi. Il était impossible, je le sentais, avec mes moyens limités, d’arrêter ce flot de misère que représentaient les refugiés albanais33.
Il était temps de partir. Isadora tenta de convaincre Raymond de s’en aller aussi :
Je fis de mon mieux pour persuader Raymond et Pénélope de quitter ce triste pays d’Albanie et de revenir avec moi en Europe. Je leur amenais le docteur du bord, comptant sur son influence, mais Raymond refusa de quitter ses réfugiés et son village, et Pénélope ne voulait pas l’abandonner. Je fus donc forcée de les laisser sur ce rocher désolé avec une petite tente pout tout abri, sur laquelle soufflait un véritable ouragan34.
La réélaboration romanesque: Santa Quaranta de Luan Rama (2005)
Dans l’avant-propos de son roman, l’auteur se demande et nous demande : comment pourrait-on décrire le séjour d’Isadora Duncan à Saranda,
lorsque tout ce qu’il se passait cependant advint il y a un siècle ? Il n’y a plus de témoins oculaires vivants. En 1913, l’Albanie vivait dans le délire et le désordre le plus grand. L’indépendance venait d’être déclarée, et la liberté était une fois de plus en péril. Sur les côtes de l’Adriatique et de la mer Ionienne, l’horizon était assombri de navires de guerre. L’on commençait à déchirer le corps de cette nation. [...] Personne n’avait le temps d’écrire à propos d’une danseuse franco-américaine arrivée dans un coin perdu de l’Albanie. Voilà pourquoi ce voyage est souvent imaginaire, fondé sur des chroniques générales, des données historiques de cette région et surtout sur les souvenirs personnels d’Isadora Duncan dans le livre My life, publié après la mort de la célèbre danseuse. De temps en temps, des morceaux de souvenir reviennent dans les pages de ce roman, pour dire, par la voix même d’Isadora, que cette histoire est vraie quoiqu’elle soit romanesque, surprenante et inhabituelle. En brisant les règles du récit littéraire classique, le vrai et la création fantastique s’y mêlent pour nous conduire dans une époque lointaine, il y a presque un siècle, et pour revivre les parcours d’une vie artistique qui cherchait d’apporter dans la modernité de son temps les merveilles de la scène antique, pour nous conduire là où des braises éparpillées de la tragédie ancienne couvent encore sous la cendre35.
En soulignant l’absence d’autres témoignages documentaires du séjour d’Isadora Duncan en dehors de ceux fournis par elle-même, l’auteur se sert du topos de l’« excusatio propter infirmitatem », avec lequel, par convention littéraire, on fait déclaration de modestie36. En qualité de auctor in fabula, il nous donne les coordonnées de sa réélaboration fictionnelle en affirmant avoir mêlé « le vrai » et la « création fantastique », c’est-à-dire le récit autobiographique et sa recréation romanesque.
La mise en abyme du récit littéraire
Isadora, ici entendue comme le personnage fictionnel du roman, perçoit gens et lieux à travers ce qu’en avaient dit les autres voyageurs étrangers. Lorsqu’il trace l’arrière-plan culturel sur lequel se déroule le séjour albanais de la protagoniste, le roman introduit des éléments qui ne sont pas présents dans le récit autobiographique, et qui, toutefois, lui sont liés sur le plan du contenu.
C’est un jeu de miroirs qui crée l’effet de la « mise en abyme37 », à travers lequel le roman explique, illustre et intègre les informations contenues dans le récit autobiographique.
En amplifiant ce qui est sa source première, Santa Quaranta devint ainsi le récit-cadre ou « fabula principale » qui contourne le récit secondaire ou « fabula enchâssée ». C’est le genre de relation dont parle Mieke Bal en Narratology, à travers laquelle les deux textes « peuvent être paraphrasés de façon que les deux paraphrases aient un ou deux éléments en commun38. »
Parmi les nombreuses références littéraires dont le roman est parsemé, l’auteur recense les éléments de la description de l’Albanie d’après les pages des écrivains qui l’avaient visitée à partir du XIXe siècle jusqu’en 1913. L’une des plus célèbres entre eux est l’Anglaise Edith Durham (1863 -1944) : écrivaine, artiste, voyageuse, elle fut une visiteuse habituelle de l’Albanie pendant vingt ans. Ses récits de voyages sont jusqu’à nos jours l’une des sources les plus importantes pour la connaissance de la société et des traditions albanaises. Dans Santa Quaranta, Raymond dit avoir rencontré la « reine des montagnes39 », comme l’écrivaine anglaise était appelée par les Albanais, qui étaient étonnés de voir cette voyageuse solitaire dans des petits villages rocheux, et qui l’aimaient pour avoir soutenu la cause de l’indépendance nationale.
Un autre des personnages rappelés dans le roman c’est Pouqueville, lorsque Raymond emprunta à Isadora une copie de son Voyage, en lui disant :
« Prends-le, tu ferais bien de le lire. C’est le meilleur livre que l’on pouvait écrire à propos de ce Pays. » Isadora le prit dans ses mains, en lisant le nom de l’auteur : François Pouqueville. Voyage en Morée, à Constantinople, en Albanie... « Où l’as-tu trouvé ? » « Je l’ai acheté à Paris, avant de descendre en Epire. Pouqueville fut consul de Napoléon à Janine40.»
Un autre écrivain-voyageur est ensuite rappelé qui, comme Byron, avait été fasciné par les vêtements populaires : Pierre Loti41, dont on lit que, « habillé en coutume albanais, il allait dans un harem de Salonique pour rencontrer sa bien-aimée Aziyadé 42». Et, évidemment, il y a Byron lui-même. Isadora et son frère visitent le lieu où l’auteur du Pèlerinage de Childe Harold était décédé :
Isadora s’était obstinée à visiter à tout prix l’endroit mythique où avait rendu l’âme l’illustre poète, lord Byron, grand ami des Grecs et des Albanais43.
À travers toutes les références littéraires enchâssées dans le récit romanesque, le lecteur est renseigné sur les témoignages fournis par les voyageurs qui avaient visité l’Albanie, et donc sur son image dans la culture européenne au début du XXe siècle.
Notes de bas de page numériques
1 L’image de spontanéité que Duncan aimait donner à son art a été déconstruite par Ann Daly, Done into Dance : Isadora Duncan in America, Wesleyan University Press, 2002. Selon Daly, le concept de corps « naturel » serait une « invention artistique ainsi qu’une stratégie rhétorique, un code conceptuel qui embrassa les Grecs et refusa les 'sauvages Africains' », p. 89, trad. personnelle.
2 Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927 http://www.zayix.com/GameLibrary/E-books/Non-Fiction/Autobiography/Isadora_Duncan_-_My_Life_v1.0/Isadora_Duncan_-_My_Life_v1.0.rtf Pour les citations en français, nous utiliserons l’édition suivante : Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary. http://www.archive.org/details/mavie00dunc
3 Luan Rama, Santa Quaranta: gërsheti i prerë i Isadora Dunkanit. Roman historik, Tirana, Argeta, 2005.
4 Gabriel-Louis Jaray, L’Albanie inconnue, Paris, Hachette, 1913, p. V.
5 Bertrand Westphal, « Et l’Albanie se réveilla au petit matin du reportage », in Myriam Boucharenc, Joëlle Deluche, Littérature et Reportage, Limoges, PULIM, 2001, p. 239.
6 Luan Rama, Santa Quaranta : gërsheti i prerë i i Isadora Dunkanit. Roman historik, Tirana, Argeta, 2005. « Ku bie ky vënd i panjohur?-i kishte thënë ajo me mosbesim », p. 23. (Traduction personnelle).
7 F.C.H.L. Pouqueville, Voyage en Morée, à Constantinople, en Albanie, et dans plusieurs autres parties de l’Empire Othoman pendant les années 1798, 1799, 1800 et 1801, Paris, Gabon, 1805, vol. III. http://books.google.com/books?id=ml4UAAAAQAAJ&hl=it&source=gbs_navlinks_s
8 George Gordon Byron, The works of Lord Byron including the suppressed poems, Boston, Phillips, Sampson and Company, 1854. Pour les citations en français, nous utiliserons l’édition suivante : George Gordon Byron, Œuvres complètes de Lord Byron, avec notes et commentaires, comprenant ses mémoires publiées par Thomas Moore, trad. par M. Pauline Paris, Paris, Dondey-Duprés père et fils, 1830, tome IIIe. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k201083j.r=.langEN.swf
9 D’origine albanaise, le pacha Ali Tepelena gouverna la région pour le compte de l’Empire Ottoman. Il avait fait de Janina le siège de son pouvoir personnel. Devenu un interlocuteur important pour les Etats occidentaux, il voulut acquérir un pouvoir indépendant. Il hébergea les plus célèbres voyageurs occidentaux, parmi lesquels figurent Byron et Pouqueville. En 1822, il fut assassiné à la suite d’un piège organisé par les Ottomans.
10 F.C.H.L. Pouqueville, Voyage en Morée, à Constantinople, en Albanie, et dans plusieurs autres parties de l’Empire Othoman pendant les années 1798, 1799, 1800 et 1801, Paris, Gabon, 1805, vol. III, p. 36.
11 F.C.H.L. Pouqueville, Voyage en Morée, à Constantinople, en Albanie, et dans plusieurs autres parties de l’Empire Othoman pendant les années 1798, 1799, 1800 et 1801, Paris, Gabon, 1805, vol. III, p. 149.
12 Luan Rama, Santa Quaranta : gërsheti i prerë i i Isadora Dunkanit. Roman historik, Tirana, Argeta, 2005, p. 11 : « Ishin veshur në mënyrë perëndimore dhe me këpucë që u shkëlqenin, dhe kjo Isadoras i pëlqeu, pasi shpesh herë shqiptarët i kishin cilësuar si fshatarë e malësorë, që u qëndronin larg të huajve ». (Traduction personnelle).
13 Edward Gibbon (1737-1794), auteur de l’Histoire de la décadence et chute de l’Empire Romain, 1776.
14 George Gordon Byron, Œuvres complètes de Lord Byron, avec notes et commentaires, comprenant ses mémoires publiées par Thomas Moore, trad. par M. Pauline Paris, Paris, Dondey-Duprés père et fils, 1830, tome IIIe, p. 104. George Gordon Byron,The works of Lord Byron including the suppressed poems, Boston, Phillips, Sampson and Company, 1854, p. 88 : « Of Albania Gibbon remarks, that a country "within sight of Italy is less known that the interior of America" ».
15 William Martin Leake (1777-1860), antiquaire et topographe britannique, décrivit l’Albanie archéologique dans son livre Travels in the Morea (1830).
16 George Gordon Byron, Œuvres complètes de Lord Byron, avec notes et commentaires, comprenant ses mémoires publiées par Thomas Moore, trad. par M. Pauline Paris, Paris, Dondey-Duprés père et fils, 1830, tome IIIe, pp. 104-105. George Gordon Byron, The works of Lord Byron including the suppressed poems, Boston, Phillips, Sampson and Company, 1854, p. 88 : « with the exception of Major Leake, then officially resident at Joannina, no other Englishmen have ever advanced beyond the capital into the interior ».
17 George Gordon Byron, Œuvres complètes de Lord Byron, avec notes et commentaires, comprenant ses mémoires publiées par Thomas Moore, trad. par M. Pauline Paris, Paris, Dondey-Duprés père et fils, 1830, tome IIIe, p. 73.
18 Ce voyage en Grèce est raconté aussi par Alberto Savinio dans Narrate, uomini, la vostra storia, Milano, Bompiani, 1942, récolte de quatorze biographies imaginaires parmi lesquelles celle d’Isadora Duncan, la seule biographie féminine parmi d’autres qui avaient comme protagonistes des personnages tels que Guillaume Apollinaire, Jules Verne, Giuseppe Verdi.
19 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, pp. 126-127. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p. 79 : « because the site of the ancient Ithaca was there, and there also was the rock from which Sappho had thrown herself in despair into the sea. Even now when I take this trip in my memory I recall those lines from Byron which came to me then: "The Isles of Greece,/The isles of Greece,/Where burning Sappho loved and sung,/Where grew the arts of war and peace,/Where Delos rose and Phebus sprung/Eternal summer gilds them yet,/But all, except their sun, is set" ».
20 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p. 128. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p. 80 : « We stopped at the little Turkish town of Prevesa and bought provisions, a huge goat-cheese and quantities of ripe olives and dried fish. As there was no shelter on the sailing boat, I shall never forget, to my dying day, the smell of that cheese and fish, exposed all day to a blazing sun, especially as the little boat had a gentle but potent rolling gait of its own. Often the breeze ceased, and we were obliged to take to the oars ».
21 George Gordon Byron, Œuvres complètes de Lord Byron, avec notes et commentaires, comprenant ses mémoires publiées par Thomas Moore,trad. par M. Pauline Paris, Paris, Dondey-Duprés père et fils, 1830, tome IXe, p.337. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k201089t.r=byron.langEN.swf. George Gordon Byron, The Works Of Lord Byron, Letters and Journals, London, Rowland E. Prothero, 1898, vol. I, p.193 : « the most magnificent in the world, consisting of a long white kilt, gold-worked cloak, crimson velvet, gold-laced jacket and waistcoat, silver-mounted pistols and daggers ».P. 195 : « I have some very "magnifiques" Albanian dresses, the only expensive articles in this country. They cost fifty guineas each, and have so much gold, they would cost in England two hundred » http://www.scribd.com/doc/2356418/The-Works-of-Lord-Byron-Letters-and-Journals-Volume-1-by-Byron-George-Gordon-Byron-Baron-17881824
22 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, pp.8-10. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, pp.4-5 : « How can we write the truth about ourselves ? Do we even know it? There is the vision our friends have of us ; the vision we have of ourselves, and the vision our lover has of us. Also the vision our enemies have of us-and all these visions are different.[...] Any woman or man who would write the truth of their lives would write a great work. But no one has dared to write the truth of their lives. [...] No woman has ever told the whole truth of her life. The autobiographies of most famous women are a series of accounts of the outward existence, of petty details and anecdotes which give no realization of their real life. For the great moments of joy or agony they remain strangely silent. My Art is just an effort to express the truth of my Being in gesture and movement. It has taken me long years to find even one absolutely true movement. Words have a different meaning ».
23 Philippe Lejeune, Signes de vie. Le Pacte autobiographique 2, Paris, Seuil, 2005, p.32.
24 Philippe Lejeune, Signes de vie. Le Pacte autobiographique 2, Paris, Seuil, 2005, p. 38.
25 Un intense portrait artistique, ainsi qu’une biographie détaillée, ont été tracés dans Isadora Duncan, L’arte della danza, a cura di E. B. Nomellini, P. Veroli, L’Epos, Palermo, 2007.
26 C’est l’analyse de l’écriture autobiographique comme « soin de son propre deuil » exposée en : Duccio Demetrio, « Raccontarsi. L’autobiografia come cura di sé », Milano, Cortina, 1996.
27 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p. 294. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p.187 : « "The whole country is in need. The villages devastated; the children starving. How can you stay here in your selfish grief? Come and help to feed the children - comfort the women." His pleading was effective. Again I put on my Greek tunic and sandals and followed Raymond to Albania. »
28 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p. 296. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p.188 : « I saw many tragic sights. A mother sitting under a tree with her baby in her arms and three or four small children clinging to her-all hungry and without a home; their house burnt, the husband and father killed by the Turks, the flocks stolen, the crops destroyed. There sat the poor mother with her remaining children. To such as these Raymond distributed many sacks of potatoes ».
29 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p. 294. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p. 187 : « He had the most original methods of organizing a camp for the succour of the Albanian refugees ».
30 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p. 295. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p. 188 : « Soon he had a line of weaving women by the sea and he taught them to sing in unison with their weaving ».
31 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p. 295. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p. 188 : « We lived in a tent by the sea. Each morning at sunrise we dipped in the sea and swam.[...] Albania is a strange, tragic country. There was the first altar to Zeus the Thunderer. He was called Zeus the Thunderer because in this country-winter and summer-are continual thunder storms and violent rains ».
32 Erjon Gjatolli, Doris Dafa, « Santa Quaranta. La treccia tagliata di Isadora Duncan », in Atti del II Convegno Internazionale Letteratura Adriatica. Le donne e la scrittura di viaggio. Edizioni Digitali del CISVA 2010, pp. 202-207. Dans cette contribution, la coupe des cheveux de la part d’Isadora est interprétée comme un geste symbolisant sa volonté de tourner une page douloureuse de sa vie.
33 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p.296. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, p. 189 : « It was in Santi [sic] Quaranta, where there were no coiffeurs, that I first cut off my hair and threw it into the sea. When my health and strength came back, this life among the refugees became impossible for me. No doubt there is a great difference between the life of the artist and that of the Saint. My artist life awoke within me. It was quite impossible, I felt, with my limited means, to stop the flood of misery represented by the Albanian refugees ».
34 Isadora Duncan, Ma vie, Paris, Librairie Gallimard, 1928, trad. par Jean Allary, p. 304. Isadora Duncan, My life, New York, Boni and Liveright, 1927, pp. 194-195 : « I did my best to persuade Raymond and Penelope to leave this gloomy land of Albania and come back with me to Europe. I brought the ship's doctor to use his influence, but Raymond refused to leave his refugees or his village, and Penelope would not, of course, leave him. So I was forced to leave them on that desolate rock, with only a little tent to protect them, over which a perfect hurricane was blowing ».
35 Luan Rama, Santa Quaranta : gërsheti i prerë i Isadora Dunkanit Isadora Dunkanit. Roman historik, Tirana, Argeta, 2005, pp. 10-11 : « kur gjithçka ka ndodhur pothuajse një shekull më parë? Dëshmitarët okularë kanë vdekur pothuaj të gjithë. Shqipëria e vitit 1913 jetonte në jerm dhe në një kaos të madh. Pavarësia sapo ishte shpallur dhe liria kërcënohej sërrish. Në brigjet e Adriatikut e Jonit, horizonti nxinte nga anijet e luftës. Trupi i këtij kombi kishte filluar të gjymtohej. [...] Askush nuk kishte kohë të shkruante për balerinën franko-amerikane të ardhur në një cep të humbur të Shqipërisë. Ja pse ky udhëtim shpesh është imagjinar, duke shfrytëzuar kronikat e përgjithshme, të dhënat historike të asaj zone, dhe mbi të gjitha kujtimet e vetë Isadora Dunkan në librin e saj Jeta ime, botuar pas vdekjes së balerinës së famshme. Shpesh, copëza kujtimesh rivijnë në faqet e këtij romani, për të thënë me zërin e Isadoras që kjo histori është e vërtetë, edhe pse romaneske, e habitshme dhe jo e zakontë. Duke thyer rregullat e rrëfimit klasik letrar, e vërteta dhe krijimi imagjinar pleksen së bashku për të na çuar në kohëra të largëta, gati një shekull më parë dhe rijetuar bashkë me të itineraret e një jete artistike që kërkonin të sillnin në modernitetin e kohës, mrekullinë e skenës antike. Për të na çuar atje ku në prushin e tragjedive antike thëngjij të rrallë kanë mbetur ende. » (Traduction personnelle).
36 Pour la définition du topos de ľ« excusatio propter infirmitatem » on fait référence à Roland Barthes, « L’ancienne rhétorique », in : Communications, 16, 1970, p. 208, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_16_1_1236
37 Pour la définition de la mise en abyme en narratologie, on fait référence à : Chloé Conant, MISE EN ABYME/Mirror text. Dictionnaire international des termes littéraires, 2005.
38 « When the primary fabula and the embedded fabula can be paraphrased in such a manner that both paraphrases have one or more elements in common, the subtext is a sign of the primarytext ».« Lorsque la fabula principale et la fabula enchâssée peuvent être paraphrasées de façon que les deux paraphrases aient un ou deux éléments en commune, le sous-texte est un signe du texte principal ». (Traduction personnelle) Mieke Bal, Narratology. Introduction to the Theory of Narrative, University of Toronto Press, 1997, p. 58.
39 Luan Rama, Santa Quaranta : gërsheti i prerë i Isadora Dunkanit. Roman historik, Tirana, Argeta, 2005, p. 138: « mbreteresha e maleve » (traduction personnelle).
40 Luan Rama, Santa Quaranta : gërsheti i prerë i Isadora Dunkanit. Roman historik, Tirana, Argeta, 2005, p. 35 : « "Merre, bën mirë ta lexosh. Ky është libri më i mirë që mund të jetë shkruar për këtë vënd". Isadora e mori në duar, duke lexuar emrin e autorit : François Pouqueville. Udhëtim nëpër Greqi, Moré dhe Shqipëri…"Ku e ke gjetur ?" "E bleva në Paris para se të zbrisja në Epir. Pouqueville ka qënë konsull i Napoleonit në Janinë." » (Traduction personnelle).
41 L’épisode narré dans Santa Quaranta fait référence au roman Aziyadé de Pierre Loti, inspiré de ses voyages en Turquie : « J’étais vêtu à peine, les épaules seulement couvertes d’une chemise d’Albanais en mousseline légère. Je cherchais ma veste dorée ; elle était restée dans la barque d’Aziyadé ». Pierre Loti, Aziyadé, in Œuvres Complètes de Pierre Loti, chap. XXI, Paris, Calmann-Lévy, 1893-1911, p. 313.
42 Luan Rama, Santa Quaranta : gërsheti i prerë i Isadora Dunkanit. Roman historik, Tirana, Argeta, 2005, p. 113 : « Pierre Lotin, që i veshur me një kostum shqiptar, në Selanik, shkonte në një harem të takonte të dashurën e tij Aziade ». (Traduction personnelle).
43 Luan Rama, Santa Quaranta : gërsheti i prerë i Isadora Dunkanit. Roman historik,Tirana, Argeta, 2005, p. 114. « Isadora kishte këmbëngulur që të shkonin patjetër në vëndin mitik ku kishte dhënë shpirt poeti i madh, lordi Bajron, miku i madh i grekëve dhe shqiptarëve » (Traduction personnelle).
Pour citer cet article
Olimpia Gargano, « Le voyage en Albanie d’Isadora Duncan, entre autobiographie et fiction romanesque », paru dans Loxias, Loxias 34, mis en ligne le 15 septembre 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=6864.
Auteurs
Doctorant en Littérature Comparée avec une thèse sur l’image de l’Albanie dans la littérature européenne des siècles XIXe-XXe, sous la direction d’Odile Gannier. Après une maîtrise en Lettres Classiques, elle a obtenu la Spécialisation en Linguistique Italienne à l’Université de Rome « La Sapienza » sous la direction de Raffaele Simone. Enseignante d’Italien et Latin dans les lycées italiens.