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Les « fictions ingénieuses » de Voiture : des modèles exemplaires du style galant

L’œuvre de Voiture, publiée deux ans après la mort de l’auteur, en 1650, connut un immense succès au XVIIe siècle : la première édition est épuisée dans l’année et onze rééditions se succèdent dans la décennie qui suit. Précédée d’une préface rédigée par un de ses neveux qui constitue la première théorie de l’esthétique galante, elle fait de Voiture le principal promoteur de cette esthétique. Pour le père Bouhours, qui rédige par la suite plusieurs ouvrages théoriques consacrés à la galanterie, Voiture apparaît en effet comme un modèle et, les “ fictions ingénieuses ” introduites dans certaines de ses lettres, sont des illustrations exemplaires de ce qu’il nomme le style “ agréable ”. Ces “ fictions ” constituent donc à la fois un terrain privilégié pour observer les traits distinctifs de l’esthétique galante et pour découvrir l’originalité du style de Voiture.Voiture introduit dans certaines de ses lettres familières de singulières fictions fondées sur une alliance de genres, de registres, de tonalités et de styles différents. Il pastiche le genre du conte dans une lettre écrite à mademoiselle de Bourbon encore enfant, les romans de chevalerie dans les lettres adressées à ses amis à la guerre ou les romans d’aventure galants dans celles qu’il destine à ses maîtresses. Tandis que le discours déborde le cadre de l’épistolaire pour s’adapter à la personnalité du destinataire, l’alliance des genres débouche sur une imbrication du réel et de la fiction. Voiture charge Roland ou Amadis de transmettre ses hommages, ou en arrive, en pleine guerre de Trente Ans, à réécrire dans le style du roman courtois l’histoire qui est en train de se jouer. Ces fictions surprennent le destinataire et le décontenancent même parfois en affichant des allures irrévérencieuses. Voiture transgresse les codes de l’échange avec les Grands et avec les dames en transposant le monde de la cour et des salons dans celui des animaux. Il assimile le duc d’Enghien ayant fait traverser le Rhin à son armée à un brochet, et son amie Angélique Paulet à une lionne pour railler sa “ cruauté ”. Le discours dérive vers le burlesque, mais le burlesque de Voiture demeure galant car la raillerie procède toujours d’un jeu et ne se change jamais en sarcasme.Enfin, pour charmer ses lecteurs, Voiture rapproche le discours épistolaire du genre poétique. En recourant à la rhétorique pétrarquiste, il s’amuse à sublimer les femmes de son entourage et à transfigurer les menus événements du quotidien. Il offre ainsi une image de l’esprit qui régnait à l’hôtel de Rambouillet où la fine fleur de l’aristocratie cultivait une certaine désinvolture en faisant de sa culture littéraire une source de divertissement.Comme le signale le père Bouhours, les “ fictions ingénieuses ” de Voiture proposent une image significative de l’esthétique galante. Tout en reflétant l’allant, la variété et la gaieté que recherchaient les familiers des salons du XVIIe siècle, elles représentent un véritable renouveau de la création. Avec ces lettres privées d’un nouveau style, Voiture abat les cloisons entre les genres, récuse les normes traditionnelles du discours et séduit en s’arrogeant des libertés dont ses successeurs tireront avantage.

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