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Frédéric Aribit  : 

André Breton et Georges Bataille : Querelles matérialistes et incidences picturales en 1929

Résumé

En 1929, Georges Bataille et André Breton se livrent, à coups d’articles interposés, un duel violent qui annonce le pamphlet imminent du Cadavre. Pour comprendre les enjeux de la polémique, il importe de revenir sur le « matérialisme agressif » que Bataille élabore dans sa revue Documents, contre les conceptions philosophiques défendues alors par Breton. Cette opposition affecte certes le champ littéraire en ce qu’elle conduit à comparer la « ressemblance informe » de l’un avec l’analogie surréaliste défendue par l’autre. Mais c’est sur le plan pictural que la querelle va prendre une tournure particulièrement saillante, le premier s’évertuant à attirer de son côté des peintres « dévoyés » du côté du second. Arrive alors au même moment à Paris un personnage truculent, Salvador Dalí, son tableau Le Jeu lugubre sous le bras. Sur fond de dispute philosophique et de précellence opportuniste, l’accueil réservé à ce tableau par Breton et par Bataille va cristalliser les enjeux du débat en présence, et indéniablement marquer l’histoire de la réception critique de la peinture surréaliste.

Index

Mots-clés : Breton (André) , Georges Bataille , Matérialisme, Salvador Dalí , Surréalisme 

Texte intégral

1Le premier numéro de la revue Documents voit le jour le 15 avril 1929, quelques mois à peine avant le dernier numéro de La Révolution surréaliste (décembre 1929). Revue éphémère, revue hétéroclite, aussitôt tiraillée entre deux tendances1. C’est là pourtant que, lui refusant toute vocation esthétique, Georges Bataille intronise le « document » comme moyen d’observation chirurgicale du réel, c’est-à-dire d’extraction directe des aspects les plus sordides du réel, aux antipodes de l’imaginaire exalté au même moment par la revue de Breton2. Un certain art occidental, mais plus encore l’ethnographie, les arts primitifs, le jazz… vont devenir autant de révélateurs d’une basse, d’une juste réalité de la matière humaine trop souvent fardée par le cosmétique social, moral, esthétique, religieux… Monstrueux sera donc ici ce dont Breton veut faire de son côté l’instrument du merveilleux, mais d’un nouveau merveilleux qui aurait précisément rompu avec ces mêmes catégories : il ne fait en effet aucun doute que pour les tenants de l’ordre social, moral, esthétique, religieux…, bien « horribles » sont eux-mêmes les produits dégénérés que le surréalisme propose3. Bataille feint de l’ignorer. Il feint d’ignorer à quel point en un sens sa démarche ne fait qu’accompagner un large mouvement qui n’a pas commencé avec lui (ni même, bien sûr, avec Breton), mais qu’il prétend porter, seul, à son paroxysme. Et c’est précisément au moment où cette polémique fait rage que Salvador Dalí arrive à Paris, son tableau Le Jeu lugubre sous le bras. Sur fond de dispute philosophique (le matérialisme) et de précellence opportuniste, l’accueil réservé à ce tableau par Breton et par Bataille, qui ferraillent alors à coups d’articles interposés, va cristalliser les enjeux du débat en présence, et indéniablement marquer l’histoire de la réception critique de la peinture surréaliste.

2 Pour y voir plus clair, commençons par revenir sur ce matérialisme « agressif » que Bataille élabore dans sa revue, article après article.

3 Contre toute une prétention idéaliste à la « liberté », dont Breton s’est selon lui fait le chantre, le matérialisme de Bataille s’annonce d’emblée comme une « contrainte » : contrainte de la matière vivante à l’égard de sa propre configuration atomique et de son inéluctable devenir, qui inscrit le déterminisme au cœur même de l’être. Cette question pose la nécessité de repenser le rapport de la « forme » et de l’« informe », qui polarise l’ensemble de l’investigation phénoménologique de Bataille : règnes végétal, animal et humain ; histoire ; pensée ; politique ; science ; art ; religion…, c’est toute une lecture analogique qui, aux antipodes de l’analogie poétique surréaliste, ramène la totalité de ses objets sous une même dynamique de la matière, chacun n’exprimant jamais que le « symptôme4 » de la vérité générale. Forme, donc, tout ce qui donne « une redingote à ce qui est, une redingote mathématique5 » : celle de l’académisme ou du classicisme esthétique, de la civilisation gréco-romaine (sa « constante faculté d’organisation6 »), de l’architecture et de toute autre velléité de composition (« la physionomie, le costume ou la peinture7 ») qu’emblématise le beau « cheval » grec8 ou la fleur9, la ferme verticalité rigide des plantes… Informe, au contraire : l’art infantile ou primitif10, le style baroque ou encore, « depuis plus d’un demi-siècle […] la transformation progressive de la peinture, jusque-là caractérisée par une sorte de squelette architectural dissimulé11 », l’envahisseur barbare ou gaulois (ses « incursions incohérentes et inutiles », « l’instabilité et l’excitation sans issue » qui sont les siennes12), le pachyderme ou le singe ou l’araignée ou l’hippopotame ou le chameau (celui-ci « révèle, en même temps que l’absurdité profonde de la nature animale, le caractère de cataclysme et d’effondrement de cette absurdité et de l’idiotie13 »), les racines proliférantes (« contrepartie parfaite des parties visibles de la plante14 »), le corps morcelé, ramené à ses débris les plus dérisoires (« Le gros orteil »15) ou à ses avatars les plus monstrueux (« Les écarts de la nature »16) …

Les choses se passent, en effet, comme si les formes du corps aussi bien que les formes sociales ou les formes de la pensée tendaient vers une sorte de perfection idéale de laquelle toute valeur procèderait17 .

4Or contre cette première dynamique de la forme, une dynamique, opposée, de l’informe :

s’il faut donner une valeur objective aux deux termes ainsi opposés, la nature, procédant constamment en opposition violente par rapport à l’un d’entre eux, devrait être représentée en constante révolte avec elle-même : tantôt l’effroi de ce qui est informe et indécis aboutissant aux précisions de l’animal humain ou du cheval ; tantôt, dans un tumulte profond, les formes les plus baroques et les plus écœurantes se succédant. Tous les renversements qui paraissent appartenir en propre à la vie humaine ne seraient qu’un des aspects de cette révolte alternée, oscillation rigoureuse se soulevant avec des mouvements de colère18.

5Cet antagonisme entre forme et informe, antagonisme fondateur du matérialisme dualiste de Bataille, renvoie finalement à un antagonisme moral qu’il dispose selon un axe vertical. Par exemple :

Bien qu’à l’intérieur du corps le sang ruisselle en égale quantité de haut en bas et de bas en haut, le parti est pris pour ce qui s’élève et la vie humaine est erronément regardée comme une élévation. La division de l’univers en enfer souterrain et en ciel parfaitement pur est une conception indélébile, la boue et les ténèbres étant les principes du mal comme la lumière et l’espace céleste sont les principes du bien : les pieds dans la boue mais la tête à peu près dans la lumière, les hommes imaginent obstinément un flux qui les élèverait sans retour dans l’espace pur19.

6L’axiologie chrétienne sous-jacente devient évidente : la noria d’équivalences « formelles »/« informelles » ne cesse de signifier à sa façon la piété religieuse qui sous-tend selon Bataille toute aspiration vers « le haut », envers laquelle toute son entreprise personnelle représenterait la juste, la nécessaire, l’inévitable compensation vers « le bas ». Dans sa stratégie argumentative, l’aplatissement des termes à une seule bipolarité atteint alors son comble, car c’est alors toujours le bien (idéaliste, platonicien, chrétien, transcendant, éternel, essentiel, c’est tout un) qui s’affronte au mal (matérialiste, dionysiaque, luciférien, immanent, immédiat, existentiel, c’est tout un autre), dans une lutte entre valeurs célestes et valeurs terrestres. Se revendiquer de l’un des termes du système, c’est forcément être passible de tous les autres : c’est donc manifester, fût-ce à son insu (ce qui n’en serait pas moins grave), un choix polaire au sein de cette seule et unique alternative dans laquelle Bataille emprisonne la pensée. C’est ainsi que s’affichant toujours délibérément comme le pôle négatif de cette alternative, il n’aura de cesse de repousser Breton à l’autre extrémité, du côté d’un pôle positif composite dont Breton était loin et d’en mériter, et d’en justifier la totalité des termes.

7 Il devient alors assez évident d’observer ce matérialisme en travail au cœur même du langage. On sait que tel que Bataille le conçoit, un mot n’est pas restrictible à son seul et unique sens lexical, mais qu’il travaille le réel dans la langue même, par les « effets » qu’il produit, qui y deviennent de véritables « faits » passibles d’une observation sociologique. C’est ce qu’il appelle « les besognes des mots20 ». Bataille construit alors dans la revue un nouveau « dictionnaire » qui, terme après terme, durcit les effets du langage dans la sphère psychologique et sociale jusqu’à pouvoir observer ceux-ci comme de véritables faits. Jusqu’à les voir systématiquement partager le champ du réel en deux : entre ce qu’ils disent, et partant, ce qu’ils font dans le réel, et ce qu’ordinairement on ne leur fait pas dire et qui contribue néanmoins à leur travail21. Cette opération de morcellement du corps « idéalement » constitué du langage s’accomplit à rebours de l’activité poétique telle que la conçoit le surréalisme : elle ne présuppose aucune homogénéité analogique du monde, qu’elle considère comme la recherche finale d’une immuabilité illusoire, mais au contraire, exhibe la profonde et mouvante hétérogénéité du langage en soulignant « l'ensemble des processus de répulsion ou de séduction suscités par le mot indépendamment de son sens22 ». Observée en regard du surréalisme de Breton, cette question de l’analogie voit ressurgir la problématique initiale forme/informe. Chez Bataille, en effet, et pour reprendre les termes de l’analyse iconographique magistrale qu’en a donnée Georges-Didi Hubermann, il y a bien une « ressemblance informe »23. L’analogie qui régit l’univers entier est chez lui cette ultime profession de foi en une matière corpusculaire qui écrit l’histoire de la vie au fur et à mesure de sa « mise en forme » puis de son inévitable « décomposition ». Pour le dire autrement, la « ressemblance informe » est celle qui ouvre une analogie horrible, insoutenable, entre la « forme » (humaine, animale, etc.) précaire de la matière, et l’« informe » qui en exprime le mouvement. L’être est toujours l’instant fragile d’une putréfaction invisible mais en travail en lui. Je ne suis rien d’autre que ce qui me déforme, que ce qui me défait. Le travail de la « ressemblance » chez Bataille consiste toujours à pousser la « chose » vers le terme qui lui est le plus opposé, le plus extrême dans le sens de cette décomposition. Cette ressemblance ne travaille en effet que de rapprocher jusqu’à les faire se toucher les antagonismes les plus éloignés, dont la séduction extrême survient alors lorsque les deux mouvements semblent comme se disputer la forme, travailler simultanément l’un contre l’autre ― c’est le cas de la « Bouche »24, bouche de la parole / bouche du cri ; bouche de la langue / bouche des dents.

Bataille ne fut pas seulement attentif au « va-et-vient » des valeurs, nobles ou ignobles, qu'un même organe est susceptible d'évoquer dans l'imagination de ceux qui le considèrent ou l'utilisent, d'une façon ou d'une autre. Sensible d'abord aux « aspects frappants » comme il le disait lui-même, Bataille devait réfléchir longtemps encore à l'adhérence matérielle, au contact qui supporte, qui incarne, pourrait-on dire, le contraste lui-même. Car c'est bien en une même chair que se produisent ici les ressemblances déchirantes25.

8La ressemblance déchire l’objet, se déchire elle-même : elle s’exerce toujours comme une cruauté. Et Georges Didi-Hubermann inscrit cette opération comme participant chez Bataille de sa stratégie anti-idéaliste puisque la forme et la ressemblance sont d’abord d’essence mythologique, et singulièrement chrétienne ― les hommes à l’image de Dieu, les fils à l’image de leurs pères, et jamais l’inverse : il y a toujours un sens de la ressemblance26 ―.

9C’est peut-être sur cette question alors que son entreprise anti-Breton atteint à la fois le paroxysme de sa mauvaise foi, et le point culminant de sa différence avec lui. On a dit comment Bataille s’ingéniait à aplatir tous les domaines concernés à une simple bipolarité manichéenne qui confondait délibérément les divers angles d’attaque anti-surréaliste pour, au final, récuser la vérité subversive du surréalisme et exacerber la polémique avec Breton au mépris de toute rigueur critique. Confronter cette question de la « ressemblance informe » chez Bataille avec l’analogie surréaliste telle que Breton la prône explicitement depuis 1924 au moins offre l’angle le plus saillant quant à leur opposition philosophique de ces années 1929-1930. Quelle « ressemblance » en effet dans l’analogie surréaliste, dont, s’en souvient-on, la valeur est « fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs27 » ? Quelle « ressemblance » si « Sur le pont la rosée à tête de chatte se berçait28 » ? Dans l’analogie surréaliste de Breton, il n’y a pas de monde et de contre-monde, pas de forme et d’informe : rien de cette dialectique dualiste, donc tronquée, à l’œuvre chez Bataille, qui oppose un état précaire de la matière avec son terme « pourri », entrechoque un « endroit » des apparences idéales et un « envers » sordide, insoutenable au regard. Chez Breton, la matière du monde se donne dans sa large diversité objective, et le regard est débarrassé de toute axiologie (anti)chrétienne. Il n’y a pas les objets du bien et ceux du mal, il y a le monde objectif, infiniment varié, largement ouvert, et l’appréhension que peut en avoir telle ou telle sensibilité. La question de l’analogie est chez lui celle d’une saisie immédiate du monde par le biais du langage, elle met en contact par le langage des objets que la raison éloigne, et dont le rapprochement soudain s’avère déclencheur de l’étincelle poétique parce que tout s’y oppose raisonnablement. De la sorte, le cheval chez lui n’est pas la forme « idéaliste » de l’hippopotame, il galope « sur une tomate29 ». La fixité de la « forme » matérielle est démentie par sa ductilité métaphorique et les virtualités métamorphiques du langage au mépris de tout « ordre du monde », fût-il rationnel, esthétique ou… moral : chrétien comme antichrétien, c’est toujours un « ordre » qui se cherche et que la transgression poétique récuse furieusement.

10 Ainsi observées les profondes disparités conceptuelles, on peut maintenant en repérer l’incidence sur le plan esthétique. Si à aucun moment, Bataille n’a pris la peine de réinscrire sa philosophie dans une certaine modernité dont, avec le surréalisme, elle participe assurément, il admet cependant à plusieurs reprises, mais seulement comme à mots couverts, la proximité de son matérialisme avec un surréalisme ni théorique ni poétique (où Breton l’embarrasse) mais plutôt pictural30. C’est ainsi qu’il faut lire, semble-t-il, dans cette série d’articles, plusieurs allusions qui contredisent ouvertement la lecture surréaliste de la peinture que Breton vient de donner de son côté, pour en proposer une appréciation théorique prétendument plus juste, qui serait susceptible en retour de rallier à sa cause ces mêmes peintres « dévoyés » avec Breton. Ainsi, dans Le surréalisme et la peinture, Breton a-t-il commencé, après avoir présenté l’émotion comme seul critère surréaliste à proprement parler, par distinguer une peinture réaliste, entièrement et uniquement soumise au seul modèle extérieur, et une peinture entièrement tournée vers un modèle purement intérieur, qui exalte les capacités d’imagination du peintre, braque sur ses pinceaux la lumière la plus subjective, révèle de sidérants rapports entre les objets qu’elle rapproche, et fait lever, soudainement, cette « merveilleuse surréalité » :

Tout ce que j’aime, tout ce que je pense et ressens, m’incline à une sorte de philosophie particulière de l’immanence d’après laquelle la surréalité serait contenue dans la réalité même, et ne lui serait ni supérieure ni extérieure. Et réciproquement, car le contenant serait aussi le contenu. […] C’est dire si je repousse de toutes mes forces les tentatives qui, dans l’ordre de la peinture comme de l’écriture, pourraient avoir étroitement pour conséquence de soustraire la pensée de la vie, aussi bien que de placer la vie sous l’égide de la pensée31.

11La peinture surréaliste est celle qui, réconciliant (dialectiquement) dans l’émotion le monde intérieur du peintre et le monde extérieur de la réalité, procure à qui la regarde l’éblouissement même dont elle est née. L’affirmation initiale et l’alternative finale lorgnent bien vers l’étau philosophique qui nous intéresse : elle n’est ni matérialiste au sens d’une matière qui échappe à l’entendement (ce qu’elle est pour Bataille, la pensée se présentant toujours pour lui comme une sorte d’excroissance de matière, la « cervelle », dont la tâche impossible est justement de rendre compte de ce qui par définition lui échappe), ni idéaliste au sens d’un « supra » ou d’un « extra »-monde (religieux, ésotérique, hégélien…) qu’elle révèlerait, ou d’un entendement qui s’arrogerait une autorité critique sur ce que cette peinture lui montre et fait éprouver au corps. Bataille de son côté a beau admettre que « [toute] une activité terrestre actuellement, et sans doute la plus brillante dans l’ordre intellectuel, tend [dans le sens qu’il indique], dénonçant l’insuffisance de la prédominance humaine : ainsi, pour étrange que cela puisse sembler quand il s’agit d’une créature aussi élégante que l’être humain, une voie s’ouvre ― indiquée par les peintres ― vers la monstruosité bestiale32 » : il ne peut faire moins pour dégager la peinture surréaliste de l’emprise théorique de Breton.

12C’est ainsi qu’il observe par exemple « L’art primitif » : suspicieux quant à la théorie selon laquelle « l’ontogenèse répète la phylogenèse »33, il place néanmoins l’art des enfants et l’art des peuples primitifs sous le même signe de « l’altération » des formes (et singulièrement des formes humaines, contrairement aux formes animales). Ainsi « [l’]art, puisque art il y a incontestablement, procède […] par destructions successives » (du support, d’un dessin antérieur…). Or c’est exactement le mouvement qui selon lui anime les tendances des peintres les plus modernes, qui « ont présenté assez brusquement un processus de décomposition et de destruction qui n’a pas été beaucoup moins pénible à beaucoup de gens que ne le serait la vue de la décomposition et de la destruction du cadavre34 ». Tel est précisément le mouvement que Bataille va s’attacher à révéler chez les peintres qu’il admire et qu’il entend libérer ainsi de la mainmise de Breton, signe même selon lui d’une modernité qui renoue avec les pulsions les plus sauvages.

13Picasso, par exemple :

la peinture académique correspondait à peu près à une élévation d’esprit sans excès. Dans la peinture actuelle au contraire, la recherche d’une rupture de l’élévation portée à son comble, et d’un éclat à prétention aveuglante a une part dans l’élaboration, ou dans la décomposition des formes, mais cela n’est sensible, à la rigueur, que dans la peinture de Picasso35.

14Or n’est-ce pas le même Picasso que Breton place en tout premier dans la série des peintres susceptibles de montrer la voie au surréalisme pictural ? N’est-ce pas son Homme à la clarinette (1912) qui « subsiste comme preuve tangible de ce que nous continuons à avancer, à savoir que l’esprit nous entretient obstinément d’un continent futur et que chacun est en mesure d’accompagner une toujours plus belle Alice au pays des merveilles36 » ? Lui, toujours, qui a « laissé pendre une échelle de corde, voire une échelle faite avec les draps de [son] lit, et il est probable que […] nous ne cherchons qu’à descendre, qu’à monter de notre sommeil37 » ?

15Miró, aussi :

parti d’une représentation des objets si minutieuse qu’elle mettait jusqu’à un certain point la réalité en poussière, […] la décomposition [étant ensuite] poussée à tel point qu’il ne resta plus que quelques taches informes sur le couvercle (ou sur la pierre tombale, si l’on veut) de la boîte à malices38.

16Miró, que Breton observe de son côté comme le plus engagé dans « ce pur automatisme auquel je n’ai, pour ma part, jamais cessé de faire appel », à tel point « qu’il peut passer pour le plus “surréaliste” de nous tous. […] Nul n’est près d’associer comme lui l’inassociable, de rompre indifféremment ce que nous n’osons souhaiter voir rompu39 ».

17On voit dans la perspective d’un matérialisme « appliqué » à la peinture comment ces lectures se croisent, Bataille avançant l’idée que l’altération figurée par ces peintres n’est que la « forme » de la décomposition de la matière vivante en plein travail, Breton au contraire les louant d’avoir donné forme à l’informe onirique et pulsionnel, d’avoir su capter cette incommunicable part d’obscurité intérieure de l’être pour la jeter vigoureusement sur la toile et y peindre la beauté nouvelle. Toujours ce même rapport de catastrophe au lendemain chez l’un, d’espoir éperdu chez l’autre…

18Mais il faut faire ici un sort particulier à un peintre particulièrement révélateur des incompatibilités entre Bataille et Breton, peintre qui joua un rôle de premier plan dans la guerre larvée qui se déchaîne alors entre eux : c’est Salvador Dalí. Depuis plusieurs mois déjà, à Barcelone, Dalí n’a pas manqué de montrer un vif intérêt à l’égard du surréalisme (dont il a commencé à rencontrer certains membres), et spécifiquement à l’égard des écrits de Breton. Ainsi a-t-il proclamé un « Manifeste antiartistique » dit « Manifeste jaune » dès mars 1928, où il se réclame « DES GRANDS ARTISTES D’AUJOURDHUI DE TENDANCES ET CATÉGORIES LES PLUS DIVERSES » parmi lesquels figurent Reverdy, Tzara, Éluard, Aragon, Desnos et Breton40… Lorsque Dalí arrive à Paris, au milieu de l’année 1929, Bataille ne manque pas de dire son admiration à l’égard du peintre catalan à l’occasion de la projection du Chien andalou, film coréalisé avec Buñuel41. De fait, lors de la réalisation du film, à Paris, Dalí a écrit pour La Publicitat une série d’articles sous le titre « Documentaire ― Paris 1929 », titre qui en un sens semble s’apparenter à l’orientation générale choisie par la revue de Bataille. Son intervention réalise pourtant, et semble-t-il de manière assez consciente, une jonction assez étonnante entre le réalisme « agressif » de Bataille et le surréalisme de Breton :

Certains peuvent considérer comme antagonique le documentaire objectif et les textes surréalistes. Cependant, les deux activités sont explorées avec la même passion pour la nouvelle sensibilité. En effet, le documentaire et le texte surréaliste coïncident dès le départ dans leur processus essentiellement antiartistique et particulièrement antilittéraire, puisque n’interviennent pas dans ce processus les moindres intentions esthétique, émotionnelle, sentimentale, etc., caractéristiques essentielles du phénomène artistique. Le documentaire note antilittérairement les choses dites du monde objectif. Le texte surréaliste transcrit avec la même rigueur et aussi antilittérairement que le documentaire, le fonctionnement RÉEL, libéré, de la pensée, des histoires qui se passent en réalité dans notre esprit, grâce à l’automatisme psychique et autres états passifs (inspiration) 42.

19Comme on voit, Dalí ne verse pas dans l’amalgame manichéen de Bataille, et refuse pour l’instant de choisir, conservant à chaque démarche sa singularité et surtout sa nature subversive à l’égard des normes « idéalistes » de la société et de l’art. Conviction véritable de sa part, ou prudence stratégique pour se concilier simultanément les deux portes d’entrée les plus séduisantes dans la modernité artistique43 ? Quoi qu’il en soit, Dalí va faire l’objet d’un échange sans concession entre Breton et Bataille à coups d’articles interposés.

20C’est Breton qui préface le catalogue de sa première exposition à Paris, à la Galerie Goemans (20 novembre au 5 décembre 1929), marquant ainsi l’entrée du peintre dans le mouvement surréaliste. Et ― alors que depuis plusieurs numéros de Documents, les articles de Bataille se font de plus en plus virulents à son égard et qu’il est privé de tribune par les problèmes de publication de La Révolution surréaliste, dont le dernier numéro, le 11, date déjà du 15 mars 1928 et que le numéro 12 tarde à sortir44 ― le texte qu’il écrit lui offre enfin l’occasion d’une première riposte. Il assigne ainsi lucidement à Dalí une place intermédiaire entre lui-même et Bataille : Dalí, en effet, « se place, sans mot dire, dans un système d’interférences45 ». Le sous-entendu est clair, d’autant que l’article lui-même s’organise en deux parties qui observent chacune un « côté » de Dalí après l’autre. « D’un côté46 », donc (comprendre : celui de Bataille) : les mites (celles des vêtements que Dalí arbore fièrement), mites symboliques d’une dévoration en marche de l’art et de la critique, à l’instar de cette vermine, « reine du pavé dans notre cher pays et dans sa capitale en friche47 », l’écrasement définitif des surréalistes, « gueuleurs professionnels48 », sous les coups de talons d’une nouvelle normalité ironiquement conservatrice (« et puis n’est-ce pas, vous n’espérez pas changer le monde ?49 ») et confortablement installée dans le conformisme social et artistique (le journalisme, la mode, le cinéma, etc.50)… À l’accusation d’« idéalisme » portée par Bataille, Breton répond ainsi par celle de « conservatisme » réaliste. « De l’autre côté, il y a l’espoir : l’espoir que tout ne sombrera pas quand même51 ». L’espoir que Dalí contribuera à l’instruction du procès de la réalité que le surréalisme a intenté, sur la base de l’anti-esthétisme, de l’anti-nationalisme et de l’anti-capitalisme. Le pouvoir hallucinatoire de sa peinture « mentale » est d’ordre divinatoire, elle offre de pénétrer dans « un paysage second, de seconde zone, que tout nous fait justement pressentir52 ». On voit alors comment Breton conçoit de son côté la querelle : l’observation « documentaire » du réel dont se prévaut Bataille est une grave abdication de l’homme devant un ordre insupportable sur tous les plans (intellectuel, politique, esthétique, etc.). Il s’agit alors pour lui, au détriment de la fascination ostensible envers la putréfaction de la matière organique qui le rapproche de Bataille, de tirer Dalí vers l’imaginaire qu’il s’avère capable de déployer dans sa peinture, et de placer celle-ci dans un mouvement historique qui la fait participer de cette marche en avant, contre la réalité qu’« observe » Bataille dans une simple morale de constat ― morale coupable, à s’en tenir là, de ne faire qu’aggraver l’ordre du monde qu’elle exhibe ― vers une « imminence » surréelle :

Des êtres absolument nouveaux, visiblement mal intentionnés, viennent de se mettre en marche. C’est une joie sombre de voir comme rien n’a plus lieu sur leur passage qu’eux-mêmes et de reconnaître, à leur façon de se multiplier et de fondre, que ce sont des êtres de proie53.

Le désespoir intellectuel n’aboutit ni à la veulerie ni au rêve, mais à la violence. Ainsi, il est hors de question d’abandonner certaines investigations. Il s’agit seulement de savoir comment on peut exercer sa rage ; si on veut seulement tournoyer comme des fous autour des prisons, ou bien les renverser54.

21Bataille a mesuré avec exactitude le dilemme dans lequel Breton cherche à placer Dalí, et sa réponse, immédiate, porte d’emblée sur les deux aspects du problème : il réaffirme son projet « documentaire », placé explicitement dans une perspective scientifique (le terme « investigations »55) ; il réfute le pseudo-conservatisme dont le taxe Breton, en proclamant l’efficacité d’une « violence » négative, destructrice, qui cible chez Breton son orientation ostensiblement marxiste et sa conception révolutionnaire d’une violence constructive et positive. La « révolte » de l’un achoppe en somme sur la « révolution » de l’autre.

22Et c’est alors un tableau en particulier qui va focaliser les éléments de la discorde : le Jeu lugubre. Visité à Cadaquès durant l’été 1929 par le marchand Goemans, Buñuel, les époux Magritte et le couple Éluard avec leur fille Cécile, Dalí rencontre pour la première fois Gala, que Paul Éluard a épousée en 1917. Les mœurs conjugales du couple n’ont pas toujours recueilli l’approbation morale du groupe, particulièrement de Breton, scandalisé lorsque Max Ernst les a rejoints dans les années 1922 pour faire ménage à trois. Avec Dalí, Gala trouve soudain quelqu’un qui la dépasse en excentricités56, et c’est sous son influence érotique qu’il peint le tableau.

À Cadaquès, durant cet été 1929, Dalí semble s’être trouvé dans un état aigu d’hystérie sexuelle qui s’exprimait en accès prolongés de fou rire et dans l’importance qu’il donna à la masturbation dans son tableau Le Jeu lugubre commencé dès son retour à Paris. Le séjour de Gala Éluard à Cadaquès et l’attirance que Dalí éprouvait pour elle et qu’il dissimulait accroissaient la frustration émotionnelle et sexuelle du peintre57.

23Le tableau montre une influence notable de la froideur des paysages de Tanguy (voire de Chirico), mais loin d’être déserté comme souvent les siens, l’espace ici (des marches d’escalier qui montent vers la droite, à gauche une statue sur son socle…) est formidablement animé par des personnages (comprenant plusieurs autoportraits), des animaux (un lion) et diverses formes organiques (viscères, têtes, bras, doigts…) ou pas (chapeau, parapluie…) prises comme dans un mouvement général de métamorphose. La composition, d’une touche méticuleusement travaillée, plonge son secret dans des visions personnelles où se mêlent fantasmes de pénétration et complexe de castration. Délires scatologiques, aussi : en bas, à droite du tableau, une forme humaine à la tête de mannequin de bois (Chirico, encore ?) semble comme éplorée, pendue au cou d’un personnage souriant en qui l’on reconnaît Dalí lui-même, le caleçon maculé d’excréments58. L’analyse freudienne que Bataille va proposer dans la revue ignore complètement les circonstances immédiates de sa création (la relation avec Gala)59, et préfère expliquer le tableau tout entier par le « complexe d’infériorité » dont, représentant alors « la genèse de l’émasculation et les réactions contradictoires qu’elle entraîne60 », il procèderait. Bataille assigne ainsi un sens de lecture à la circularité du tableau, ce que confirme un schéma en face de l’article qui, motif après motif, en décortique les étapes successives : émasculation (du personnage statufié) / fantasmes de virilité (la ronde organique et ses motifs sexuels masculins et féminins : doigt, parapluie, chapeau) / traumatisme d’une culpabilité infantile refoulée (emblématisée par le personnage souillé) / auto-satisfaction vis-à-vis de l’ensemble du processus (retour à la statue, qui se cache les yeux), qui « trahit un besoin peu viril d’amplification poétique du jeu61 ». Cette analyse reproduit le mécanisme d’observation objective / fantasmatique à l’œuvre dans l’ensemble des articles de Bataille, dont les propres traumatismes font indéniablement retour (impotence physique, impuissance sexuelle, et incontinence fécale du père). Elle est immédiatement suivie d’une charge à peine voilée contre Breton, où Bataille cite sans le nommer les mots de son adversaire :

Ceci permet de demander sérieusement où en sont ceux qui voient s’ouvrir ici pour la première fois les fenêtres mentales toutes grandes, qui placent une complaisance poétique émasculée là où n’apparaît que la nécessité criante d’un recours à l’ignominie62.

24La même bipolarité manichéenne s’exprime encore dans ces attaques, et poursuit sa stratégie d’amalgame : onirisme poétique, impuissance, complaisance lâche / lucidité prosaïque, virilité, « colère noire et même […] indiscutable bestialité63 ». L’article se place ainsi à nouveau sur le terrain de l’« idée » à combattre, parce qu’il n’y a d’idée qu’« idéaliste », que tout essor de la pensée, toute manifestation intellectuelle est pareillement ravalée sous cette même étiquette « détestable » qui prétend ériger là où rien n’existe que le pourrissement :

les rasoirs de Dalí taillent à même nos visages des grimaces d’horreur qui probablement risquent de nous faire vomir comme des ivrognes cette noblesse servile, cet idéalisme idiot qui nous laissent sous le charme de quelques comiques gardes-chiourme64.

25Bataille dès lors se refuse à tronquer son vocabulaire comme il accuse implicitement Breton de le faire : les peintures de Dalí « sont d’une laideur effroyable65 ». Et il n’a de cesse d’accuser cette « laideur » fascinante à proportion que Breton, lui, en vante la « merveilleuse terre de trésors66 ». L’expression est insoutenable pour lui, et il ne se fait pas faute de la retourner à Breton :

il est devenu impossible dorénavant de reculer et de s’abriter dans les « terres de trésor » de la Poésie sans être publiquement traité de lâche67.

26Constat performatif, même si le nom de celui qui est visé reste allusif. On voit combien la querelle, si elle trouve son fondement dans les divergences philosophiques qu’on a détaillées, passe aussi par l’emploi d’un vocabulaire auquel Bataille se refuse catégoriquement, et dont l’usage est pour lui le signe irréfutable d’une illusion anti-matérialiste. En un sens, le refus de « nommer » Breton mime ce « domaine du beau » auquel Bataille refuse non de « se salir », mais plutôt de « se laver », et cet évitement participe de l’immense travail de dénigrement en cours. Il est alors tout à fait remarquable de voir comment Bataille semble chercher, fût-ce par l’ironie, à exacerber la violence envers Breton comme seul mode paradoxal d’exister à ses yeux :

M’étant laissé prendre au jeu, j’ai la chance d’avoir parlé d’un homme qui prendra nécessairement cet article pour une provocation et non comme une flagornerie traditionnelle, qui me haïra, j’y compte bien, comme un provocateur68.

27Jamais pourtant sa charge ne consent à prendre en compte (à ouvrir les yeux sur) le jeu plus large d’un « idéalisme » conformiste (moral, religieux, esthétique) contre lequel son rival s’inscrit pourtant tout aussi violemment en faux, mais alors en cherchant à lui imposer, par le scandale d’une réappropriation d’un vocabulaire qu’il aurait ignoblement usurpé, ses propres codes inacceptables.

28Dalí ne reste pas longtemps dans cette intenable place médiane qui, sans aucun doute, et parce que la violence atteint le point de non-retour qu’on voit, loin de lui ouvrir simultanément les deux portes, risque bien de les lui fermer toutes deux. Son choix, stratégique ou sincère, le porte vite vers Breton. Alors qu’il a, semble-t-il, autorisé Bataille à reproduire trois de ses tableaux dans le numéro de septembre, comme on l’a dit, il s’empresse d’écrire à Charles de Noailles, propriétaire du Jeu lugubre, avant que le numéro de décembre paraisse, où doit figurer l’article que Bataille lui consacre :

Mon ami Paul Éluard me dit que vous devez donner les photos de mes tableaux à Documents. Je vous aurais beaucoup de reconnaissance de ne pas le faire, car les idées de cette revue et surtout celles de Georges Bataille sont exactement à l’opposé des miennes69.

29Bataille souligne ce revers, qu’il impute implicitement à une manœuvre de Breton :

Pour des raisons que, par égard pour lui, je retarde d’expliquer, Dalí s’est refusé à la reproduction de ses tableaux dans cet article, me faisant ainsi un honneur auquel je ne m’attendais pas, mais qu’après tout je puis croire avoir cherché obstinément.

30Et il ajoute en note :

Je dois dire qu’il ne s’agit nullement de ce qu’il est convenu de déclarer louche, mais certaines histoires genre milieux artistiques et littéraires pourraient aussi bien provoquer d’intraitables dégoûts70.

31Fin de (première) partie. Dalí entre résolument dans le mouvement surréaliste aux côtés de Breton, et incarne pour quelque temps, par son excentricité et son humour71, un contrepoids imposant qui garantit au surréalisme la libre poursuite de sa recherche intérieure, en marge d’un activitisme politique de plus en plus affirmé. Avec le Second manifeste du surréalisme et surtout le pamphlet Un Cadavre, la guerre Breton-Bataille continuera très bientôt sur un nouveau terrain, et avec une violence redoublée.

Notes de bas de page numériques

1 S’y opposent en effet d’emblée, les « scientifiques » (Babelon, d’Espézel…) et les « artistes », Bataille entraînant dans cette seconde faction avec lui les premiers transfuges du surréalisme (Leiris, Limbour, Desnos, Vitrac…).
2 En ce sens, le « document » est effectivement « agressivement anti-métaphorique », comme le souligne Denis Hollier. Il dit, comme par synecdoque, de quoi le réel est fait. Voir Denis Hollier, « La valeur d’usage de l’impossible », Les Dépossédés, coll. « Critique », Paris, Éditions de Minuit, 1993, p. 174.
3 Ceci est un point extrêmement important. Thirion, par exemple, souligne combien « la société française se montrait de plus en plus hostile aux surréalistes depuis leur passage sur des positions anti-impérialistes. Dans le monde des lettres et des arts, les gens en place, pour la plupart très médiocres, aujourd’hui définitivement oubliés, représentants d’esthétiques mort-nées, défendaient leurs rentes avec beaucoup d’énergie et d’esprit de suite. […] L’opposition à l’académisme et à l’art officiel s’incarnait dans une gauche fortunée et de bonne compagnie, aussi effrayée que les vieillards du quai de Conti par le surréalisme, encore gênée en 1930 par le cubisme et toutes les mises en cause des vingt dernières années », André Thirion, Révolutionnaires sans révolution (Paris, Robert Laffont, 1972), Actes Sud, 1999, pp. 344-345.
4 Le terme, qui place cette dynamique générale dans une lecture pathologique empruntant à Freud sa méthode, voire son vocabulaire, et plus encore à Nietzsche son sens de la décadence, apparaît à plusieurs reprises dans les articles : par exemple, deux fois dans « Le cheval académique » (Documents n°1, avril 1929). Voir Georges Bataille, OC I, Paris, Gallimard, 1970, p. 160 et 163. On ne pourra assez souligner ici tout ce que le matérialisme de Bataille doit à la philosophie nietzschéenne. C’est aussi assurément grâce à Nietzsche que Bataille en vient à Freud.
5 Georges Bataille, « Informe » (Documents n°7, décembre 1929), OC I, op. cit., p. 217.
6 Georges Bataille, « Le cheval académique » (Documents n°1, avril 1929), OC I, op. cit., p. 160.
7 Georges Bataille, « Architecture » (Documents n°2, mai 1929), OC I, op. cit., p. 171.
8 « [Le] cheval, situé par une curieuse coïncidence, aux origines d’Athènes, est l’une des expressions les plus accomplies de l’idée », Georges Bataille, « Le cheval académique » (Documents n°1, avril 1929), OC I, op. cit., p. 160.
9 « [Si] l’on dit que les fleurs sont belles, c’est qu’elles paraissent conformes à ce qui doit être, c’est-à-dire qu’elles représentent, pour ce qu’elles sont, l’idéal humain », Georges Bataille, « Le langage des fleurs » (Documents n°3, juin 1929), OC I, op. cit., p. 176.
10 Georges Bataille, « L’art primitif » (Documents n°7, deuxième année, 1930), OC I, op. cit., p. 247.
11 Georges Bataille, « Architecture » (Documents n°2, mai 1929), OC I, op. cit., p. 172. Ainsi écrit-il, décrivant la première illustration figurant en tête du manuscrit de « L’Apocalypse de Saint-Sever » : « Bien que les deux personnages soient inscrits dans un cadre, il n’y a rien d’architectural dans cette composition », Georges Bataille, « L’Apocalypse de Saint-Sever » (Documents n°2, mai 1929), OC I, op. cit., p. 167.
12 Georges Bataille, « Le cheval académique », (Documents n°1, avril 1929), OC I, op. cit., p. 160.
13 Georges Bataille, « Chameau » (Documents n°5, octobre 1929), OC I, op. cit., p. 194. Signalons que le motif du « chameau » a peut-être été suggéré à Bataille par Zarathoustra : il est en effet l’une des trois métamorphoses, la première avant le lion et enfin l’enfant, de l’esprit. Voir Friedrich Nietzsche, « Des trois métamorphoses », Ainsi parlait Zarathoustra, Folio essais, Paris, Gallimard, 1971, p. 35-sq. Le chameau est l’emblème du dépérissement, de l’agenouillement de l’homme, croulant sous le fardeau de ses obligations.
14 Georges Bataille, « Le langage des fleurs » (Documents n°3, juin 1929), OC I, op. cit., p. 177.
15 « Aveugle, tranquille cependant et méprisant étrangement son obscure bassesse, un personnage quelconque prêt à évoquer en son esprit les grandeurs de l’histoire humaine, par exemple quand son regard se porte sur un monument témoignant de la grandeur de son pays, est arrêté dans son élan par une atroce douleur à l’orteil parce que, le plus noble des animaux, il a cependant des cors aux pieds, c’est-à-dire qu’il a des pieds et que ces pieds mènent, indépendamment de lui, une existence ignoble », Georges Bataille, « Le gros orteil » (Documents n°6, novembre 1929), OC I, op. cit., pp. 202-203.
16 Georges Bataille, « Les écarts de la nature » (Documents n°2, 1930), OC I, op. cit., p. 228. Bataille y présente les « monstres de foire » comme symptomatiques à l’extrême de la monstruosité de chaque individu par opposition à la forme idéale de l’homme « vitruvien » (dont Léonard de Vinci a représenté les justes proportions).
17 Georges Bataille, « Le cheval académique », (Documents n°1, avril 1929), OC I, Paris, Gallimard, 1970, p. 161.
18 Ibid., p. 163.
19 Georges Bataille, « Le gros orteil » (Documents n°6, novembre 1929), OC I, op. cit., p. 200.
20 Georges Bataille, « Informe » (Documents n°7, décembre 1929), OC I, op. cit., p. 217.
21 L’article « Cheminée d’usine » est à cet égard parfaitement clair : la définition donnée dans le dictionnaire d’une « cheminée d’usine » ignore la terreur du petit garçon face à la réalité de ces mêmes cheminées d’usine. Le signifiant linguistique est un fait de langue qui ne sait pas dire les effets du signifié ni du référent sur le sujet parlant ou sur son auditoire. Il n’y a guère que pour Freud que ces effets sont des faits bruts, dignes d’une observation analytique.
22 Denis Hollier, La Prise de la Concorde (1974), Paris, Gallimard, 1993, p. 64. Ainsi donc chez Bataille par exemple des mots « Architecture », « Matérialisme », « Œil », « Chameau », « Malheur », « Poussière », etc.
23 Georges Didi-Hubermann, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, Paris, Macula, 1995. L’auteur, à l’instar de la « besogne des mots », parle d’une véritable « besogne de l’image » née de cette manipulation iconographique extraordinaire qu’est Documents, et précise : «  la forme et la transgression se doivent l'une à l'autre la densité de leur être. [...] Il faut dire non seulement que la transgression est liée à la forme ou à la limite qu'elle transgresse, mais encore que la forme constitue peut-être moins l'objet de la transgression ― au sens trivial, selon lequel transgresser la forme serait la refuser purement et simplement, ce que Bataille, à mon sens, n'a jamais voulu faire ― qu'elle n'en constituerait le lieu fondamental. La transgression n'est pas un refus, mais l'ouverture d'une mêlée, d'une ruée critique, au lieu même de ce qui se trouvera, dans un tel choc, transgressé », p. 20. Ainsi, analyse-t-il dans l’iconographie de la revue les moyens techniques de cette opération de ressemblance informe particulièrement agressive envers l’anthropomorphisme et l’anthropocentrisme : la dérision, le gros plan, la contre-plongée, la rotation ou le renversement à 180°, le floutage, le recadrage, le prélèvement… Aborder la question de la comparaison de l’iconographie de La Révolution surréaliste et de Documents déborde notre propos. Georges Didi-Hubermann donne pour sa part quelques pistes intéressantes de réflexion, en mettant en avant comment la revue de Bataille pastiche en un sens celle de Breton. De son côté, Gaëtan Picon a décrit la revue surréaliste, avec sa typographie sans recherche, son impression sur papier glacé en deux colonnes, sa présentation austère qui tranche avec les revues littéraires de l’époque, comme elle-même inspirée de la revue La Nature, revue de vulgarisation scientifique en vogue. Voir Gaëtan Picon, Journal du surréalisme 1919-1939, Paris, Skira, 1976.
24 Georges Bataille, « Bouche » (Documents n°5, deuxième année, 1930), OC I, op. cit., p. 237.  
25 Georges Didi-Hubermann, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, op. cit., p. 179.
26 Saint Thomas d'Aquin : « On peut dire que la créature ressemble à Dieu en quelque manière ; mais on ne doit pas dire que Dieu soit semblable à la créature », cité d’après Georges Didi-Hubermann, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, op. cit., p. 26.
27 André Breton, Manifeste du surréalisme (1924), OC I, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1988, p. 338.
28 Ibid., p. 339. Le vers, extrait du poème « Au-regard des divinités » (juillet 1923) publié dans Clair de terre (1923), est (partiellement) cité dans le Manifeste comme exemple, avec d’autres (Lautréamont, Soupault, Desnos, Aragon, Vitrac, Morise), de l’image surréaliste la plus accomplie.
29 André Breton, « Exposition X…, Y… » (avril 1929), OC II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1992, p. 301. Certes, la critique a montré la récurrence de l’oxymore et de l’antithèse dans la poétique de Breton. Il faudrait insister sur ce qui les différencie de leur usage par Bataille. Chez celui-ci, l’oxymore agit à l’extrême comme figure de la division dualiste, gangrénant la forme vers son informe. Chez Breton, il agit au contraire comme figure du rapprochement le moins rationnel. Voir par exemple les analyses du couple « cristal » / « corail » chez Breton dans Michel Ballabriga, Sémiotique du surréalisme. André Breton ou la cohérence, coll. « Champs du signe », Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1995. Ballabriga indique ainsi que chez Breton, « ce n'est pas la différence à proprement parler qui est niée, mais le fait que cette différence se durcisse en séparation », et ajoute que « ce n'est pas parce que des objets se ressemblent qu'on les rapproche, c'est parce qu'on les rapproche qu'ils se “ressemblent”, ou plutôt leur rapprochement crée une unité nouvelle aux composants indissociables », respectivement p. 116 et p. 126.
30 Est-ce d’ailleurs dans ce sens qu’il faut entendre ce que note Michel Leiris cette même année 1929 au sujet de Bataille, qu’il juge « trop “esthétiquement” matérialiste » ?, Michel Leiris, Journal cité d’après Georges Bataille, Michel Leiris. Échanges et correspondances, « Les inédits de Doucet », Paris, Gallimard, 2004, p. 206.
31 André Breton, Le surréalisme et la peinture (1928), nouvelle édition revue et corrigée (1928-1965), Folio essais, Paris, Gallimard, 2002, p. 69.
32 Georges Bataille, « Architecture » (Documents n°2, mai 1929), OC I, op. cit., p. 172.
33 La théorie, d’inspiration darwinienne, est répandue par le biologiste Ernst Heinrich Haeckel (1834-1919). Supposant un développement « harmonieux », « ordonnancé » de l’histoire, elle ne pouvait qu’irriter Bataille, qui la cite à partir de l’ouvrage de Luquet, L’Art primitif, dont son article est le commentaire.
34 Georges Bataille, « L’art primitif » (Documents n°7, deuxième année, 1930), OC I, op. cit., p. 253.
35 Georges Bataille, « Soleil pourri » (Documents n°3, deuxième année, 1930), OC I, op. cit., p. 232.
36 André Breton, Le surréalisme et la peinture (1928), op. cit., p. 17. Breton prend soin cependant de ne pas inconsidérément annexer Picasso au surréalisme, étiquette « absurdement restrictive » le concernant.
37 Ibid., p. 18.
38 Georges Bataille, « Joan Miró : Peintures récentes », (Documents n°7, deuxième année, 1930), OC I, op. cit., p. 255.
39 André Breton, Le surréalisme et la peinture (1928), op. cit., pp. 61-62. Le passage consacré à Miró ne manque pas d’évoquer les dissensions notamment politiques qui le séparent de Breton.
40 Mais aussi Cocteau, Le Corbusier, Stravinsky… La liste est volontairement disparate, Voir Salvador Dalí, « Manifeste antiartistique » (mars 1928), Oui (Denoël / Gonthier, 1971), Paris, Denoël, 2004, p. 74. Rappelons que le surréalisme, par la présence de nombreux peintres espagnols dans ses rangs, avait aisément pénétré en Espagne.  
41 Notamment admirable, la célèbre scène où « un rasoir tranche à vif l’œil d’une femme jeune et charmante », Georges Bataille, « Œil » (Documents n°4, septembre 1929), OC I, op. cit., p. 187. Sont reproduits dans ce même numéro trois tableaux de Dalí : Le sang est plus doux que le miel, Baigneuses et un Nu féminin, Voir Documents, volume 1 (année 1929), Paris, Éditions Jean-Michel Place, 1991, pp. 217 et 229.
42 Salvador Dalí, « Documentaire ― Paris 1929 ― I » (26 avril 1929), Oui, op. cit., p. 124.
43 « La démarche de Dalí […] n'est pas […] dépourvue d'arrière-pensées : le Journal d'un génie le montre occupé à “étudier consciencieusement, en les décortiquant jusqu'au plus petit osselet, les mots d'ordre et les thèmes” surréalistes, décidé à devenir le “surréaliste intégral” et éventuellement à prendre ensuite la tête du mouvement ; outre cette ambition, son entrée dans le groupe lui permet de s'affirmer rapidement sur la scène parisienne », signale ainsi Guitemie Maldonado, Article « Dalí », Encyclopædia Universalis.
44 Il paraîtra le 15 décembre 1929, soit plus d’un an et demi après le précédent, avec notamment la première version du Second manifeste du surréalisme.
45 André Breton, « Première exposition Dalí » (décembre 1929), OC II, op. cit., p. 307. « Sans mot dire » ? Soit sans « prendre parti » aussi vite qu’il le voudrait ?...
46 Ibidem.
47 Ibidem. L’article porte en exergue le verbe « Stériliser » : l’identité de cette « vermine » prioritairement visée par la stérilisation ne fait aucun doute.
48 Ibidem.
49 Ibidem.
50 Outre Bataille, principalement visé, les attaques ciblent ses comparses, et notamment Vitrac ou Desnos.
51 André Breton, « Première exposition Dalí » (décembre 1929), OC II, op. cit., p. 308.
52 Ibidem.
53 André Breton, « Première exposition Dalí » (décembre 1929), OC II, op. cit., p. 309.
54 Georges Bataille, « Le “Jeu lugubre” » (Documents n°7, décembre 1929), OC I, op. cit., p. 211. On trouvera également une première ébauche de l’article, intitulée « Dalí hurle avec Sade » dans OC II, Paris, Gallimard, 1970, p. 113-sq.
55 Polysémique, le terme choisi par Bataille répond à Breton en déplaçant le champ sémantique depuis l’investigation policière vers l’investigation scientifique : Breton accusait en effet les « documentaristes » d’être en quelque sorte les « flics du réel », « flics rétablis dans leurs prérogatives au moins de très honnêtes gens », André Breton, « Première exposition Dalí » (décembre 1929), OC II, op. cit., p. 307.
56 « Je veux que vous me fassiez crever ! », aurait-elle ainsi lancé à Dalí dès leur premier baiser, cité d’après Éric Shanes, Dalí, Paris, Fernand Hazan, 1991, p. 12.
57 Ibidem.
58 Le détail, scabreux, a son importance : il choqua tellement Breton que celui-ci se serait fait confirmer par le peintre qu’il ne s’agissait que d’un simulacre. C’est en tout cas ce qu’affirme Dalí lui-même dans son autobiographie La Vie secrète de Salvador Dalí, et que reprennent pour l’accréditer notamment Denis Hollier (La Prise de la Concorde (1974), op. cit., p. 201) ou Mark Polizzotti (André Breton, Biographies, Paris, Gallimard, 1999, p. 377). De son côté, Xavière Gauthier (Surréalisme et sexualité, préface de J.-B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1971, p. 216) suggère une invention de Dalí. Observons que l’anecdote paraît grotesque, ne fût-ce que pour diverses raisons « sensibles » qu’on comprendra.
59 En un sens, on verrait exactement le même processus analytique « partiel » chez lui dans les « Coïncidences » qui terminent Histoire de l’œil. Voir à ce sujet Frédéric Aribit, « Nadja, Histoire de l’œil : poétiques de l’ineffable », Syn-Thèses, Revue Annuelle du Département de Langue et de Littérature Françaises, Université Aristote de Thessalonique, Grèce, 2008.
60 Georges Bataille, « Le “Jeu lugubre” » (Documents n°7, décembre 1929), OC I, op. cit., p. 211.
61 Ibid., p. 212. C’est précisément parce qu’elle se « cache les yeux » que la statue est susceptible d’être interprétée selon Bataille comme représentant la satisfaction poétique de Dalí, en pleine contemplation narcissique, au lieu d’ouvrir « virilement » les yeux.  
62 Ibid. Breton, dans sa préface au catalogue, avait écrit : « C’est peut-être, avec Dalí, la première fois que s’ouvrent toutes grandes les fenêtres mentales », Voir André Breton, « Première exposition Dalí » (décembre 1929), OC II, op. cit., p. 308. On sait combien chez Breton le motif de la fenêtre est fortement associé à l’impulsion automatique. On le retrouve ici, comme dans plusieurs autres textes, s’agissant de la peinture.
63 Georges Bataille, « Le “Jeu lugubre” » (Documents n°7, décembre 1929), OC I, op. cit., p. 212. On mesure la surenchère verbale dans laquelle Bataille s’engage et se vautre intentionnellement : « il est impossible de s’agiter autrement que comme un porc quand il bâfre dans le fumier et dans la boue en arrachant tout avec le groin et que rien ne peut arrêter une répugnante voracité. […] Je tiens ici uniquement ― dussé-je, portant de cette façon l’hilarité bestiale à son comble, soulever le cœur de Dalí ― à pousser moi-même des cris de porc devant ses toiles ».
64 Ibid., p. 214. On reconnaît bien entendu l’image issue du Chien andalou.
65 Ibid., p. 213. De même, puisque « quand Picasso peint, la dislocation des formes entraîne celle de la pensée, c’est-à-dire que le mouvement intellectuel immédiat, qui dans d’autres cas aboutit à l’idée, avorte », celles de Picasso « sont hideuses ».
66 André Breton, « Première exposition Dalí » (décembre 1929), OC II, op. cit., p. 308.
67 Georges Bataille, « Le “Jeu lugubre” » (Documents n°7, décembre 1929), OC I, op. cit., p. 216.
68 Ibid., p. 215. Grammaticalement, la phrase pourrait en contexte viser Dalí. Il nous semble que Bataille joue là encore sur un certain amalgame, entre Dalí et Breton cette fois, d’autant que la phrase est immédiatement suivie, comme un glissement de l’un vers l’autre, d’une citation empruntée à Breton, les fameuses « terres de trésor ».
69 Cité d’après André Breton. La Beauté convulsive, catalogue de l’exposition du 25 avril au 26 août 1991, Musée national d’art moderne, Paris, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1991, p. 190. Dalí en outre coupe court à toute équivoque dès sa première participation à la nouvelle revue surréaliste, Le Surréalisme au service de la révolution, en juillet 1930, où il se démarque publiquement et explicitement de Georges Bataille. Voir Salvador Dalí, « L’Âne pourri » (juillet 1930), Oui, op. cit., p. 153.
70 Georges Bataille, « Le “Jeu lugubre” » (Documents n°7, décembre 1929), OC I, op. cit., p. 215. C’est ce refus qui obligea Bataille à schématiser le tableau.
71 A-t-on jamais vu Dalí rire ? Les frasques qu’on lui connaît, réalisées avec ce visage quasiment impassible que, par des photos ou des films, la postérité lui conserve, semblent davantage le tirer du côté de l’humour (et d’un humour pendable, indépassable, formidablement iconoclaste) que du côté du rire : c’est aussi ce qui peut l’apparenter davantage à Breton qu’à Bataille.

Bibliographie

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André Breton. La Beauté convulsive, catalogue de l’exposition du 25 avril au 26 août 1991, Musée national d’art moderne, Paris, Éditions du Centre Georges Pompidou, 1991

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DIDI-HUBERMANN Georges, La ressemblance informe, ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille, Paris, Macula, 1995

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THIRION André, Révolutionnaires sans révolution (Paris, Robert Laffont, 1972), Actes Sud, 1999

Pour citer cet article

Frédéric Aribit, « André Breton et Georges Bataille : Querelles matérialistes et incidences picturales en 1929 », paru dans Loxias, Loxias 22, mis en ligne le 15 septembre 2008, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=2441.


Auteurs

Frédéric Aribit

Docteur ès-Lettres, Frédéric Aribit a soutenu fin 2006 une thèse sur la question de la confrontation entre André Breton et Georges Bataille au Centre de Recherches Poétiques et d’Histoire Littéraire de l’Université de Pau. Après un travail sur Annie Le Brun, également entrepris sous la direction de Jean-Yves Pouilloux, il continue à interroger le surréalisme dans ses dimensions historiques, philosophiques, politiques et esthétiques, ainsi que les formes de sa survivance contemporaine. Chargé de cours puis professeur ATER à l’Université de Pau, il enseigne actuellement à l’EABJM (Paris). Il a publié plusieurs articles sur Georges Bataille, André Breton et Annie Le Brun, à l’étranger (Roumanie, Grèce) et en France.