Loxias | Loxias 19 Autour du programme d'agrégation 2008 |  Programme d'agrégation 

Michel Gribenski  : 

Vers impairs, ennéasyllabe et musique : variations sur un air (mé)connu.

Résumé

Recommandés pour leur musicalité par Verlaine, les vers impairs, en particulier ceux de 9 syllabes, avaient auparavant plus souvent été utilisés dans la poésie lyrique destinée au chant (chanson et opéra) que dans la poésie strictement littéraire. Plutôt que s’interroger directement sur leur problématique musicalité, on s’intéresse ici à leur musicabilité, c’est-à-dire à leur correspondance effective avec le chant. Cela implique de prendre en compte trois paradigmes musicaux, et par suite poético-musicaux, successifs : à un premier paradigme de la variété, prégnant du XVIe à la première moitié du XVIIIe siècles, s’est opposé, dans la seconde moitié du XVIIIe et au XIXe siècles, un paradigme fondé sur la symétrie, les vers lyriques devant, pour correspondre au chant, connaître un retour périodique jusque dans leur structure interne. La proposition et la pratique verlainiennes s’inscrivent ainsi dans un large mouvement, musical et poétique, de réaction à ce modèle symétrique, qui se manifeste musicalement par la contestation de la carrure périodique, le drame musical wagnérien et le drame lyrique français en prose, et poétiquement par l’apparition du poème en prose, du vers libéré et, à la fin du XIXe siècle, du vers libre. Sans aller jusqu’à l’apériodicité, l’impair verlainien, à la fois vers impair et asymétrie, consiste en une remise en cause interne du modèle métrique, fondée sur un jeu de discordances. Cette conception nouvelle de la musique, reprise par les symbolistes et les vers-libristes, n’est pas non plus sans affinités avec l’impressionnisme musical à venir d’un Debussy.

Abstract

Praised by Verlaine for their musicality, uneven metres, particularly nine-syllables lines had previously been used more often in lyric poetry conceived to be sung (in song or opera) than in strictly literary poetry. Instead of investigating the problem of their musicality itself, we chose to study their musicabilty, i.e. their suitability to sung melody. That perspective leads to consider three musical, and therefore three poetical-musical paradigms: a first paradigm of variety, flourishing from the 16th to the first half of the 18th century, was then replaced by another one, on the contrary based on symmetry, up to far in the 19th century, and demanding song-poetry to be regular and periodical, as regards external and internal patterns. Verlaine’s practice and conception are part of a large musical and poetical movement, which consists musically in a protest against square phrase, and in the development of Wagnerian musical drama, and of French lyric drama in prose, and poetically in prose poem, vers libéré, and vers libre (free verse) at the end of the 19th century. Obviously Verlaine did not want to go as far as to aperiodical forms, but the “Impair” (unevenness) he recommends and practices, means both uneven metres and asymmetry, and calls into question the metrical model through rhythmical-syntactical discrepancy. The spirit of his new conception of music is adopted at the end of the century by Symbolist and free-verse poets, also anticipating Debussy’s so-called musical impressionism.

Index

Mots-clés : ennéasyllabe , Impairs (Vers), métrique, poésie et musique, poésie lyrique, Verlaine

Keywords : lyric poetry , metrics, nine-syllables lines, poetry and music, uneven metres

Plan

Texte intégral

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair,
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

1Les premiers vers de l’« Art poétique1 » de Verlaine informent à ce point notre perception qu’ils parviennent à nous faire croire, par suggestion, que les vers impairs ont réellement quelque chose de plus « musical » que les vers pairs. À cette idée reçue, qui exerce son influence sur la plupart des commentateurs, le métricien Benoît de Cornulier2 a, l’un des premiers, résisté en remettant en cause, de façon radicale, la pertinence des notions de musicalité poétique et de mètre impair. Les deux objections se renforcent l’une l’autre : s’il n’existe pas de musicalité poétique, alors il ne saurait y avoir de musicalité des vers impairs ; s’il n’existe pas de mètre impair, alors celui-ci ne saurait avoir quelque qualité spécifique que ce soit. Bien éloignés de rejeter la critique pleine de bon sens de Cornulier, nous voudrions ici envisager le problème selon une perspective diachronique et poético-musicale, en prenant en compte l’idée d’une relation historique entre vers impairs et musique dans le chant, ainsi que celle d’une analogie, selon des paradigmes historiquement variables, entre poésie et musique.

2La présence de vers impairs dans les paroles de chant (chansons, poèmes d’opéra) est un fait : que faire de ce constat et comment l’interpréter ? Précisons d’emblée qu’il ne s’agit nullement d’identifier ici ce qu’on pourrait appeler la musicabilité des vers lyriques, c’est-à-dire le fait, pour ces derniers, d’être formellement adaptés au chant et, le cas échéant, écrits dans ce but, avec la question problématique de leur musicalité. Cette dernière notion peut être envisagée selon des perspectives variées et complémentaires : niveau phonématiques des chaînes sonores (assonances, allitérations, notions de mélodie fondée sur la variation et d’euphonie, sur la proscription de l’hiatus notamment) ; niveau suprasegmental de l’accentuation et du rythme, déterminé par l’organisation, périodique ou non, des proéminences accentuelles ; niveau métrique, enfin, qui concerne les régularités périodiques de ces différents aspects (récurrences phoniques, accentuelles et syllabiques). Musicabilité et musicalité constituent deux aspects distincts, qu’on semble confondre lorsqu’on affirme imprudemment que tels vers sont si « musicaux » qu’ils conviennent à la musique, ce qui expliquerait le fait qu’ils aient été mis en musique3 : on se concentrera ici sur le premier aspect pour tenter de comprendre le lien effectif qui peut unir vers impairs ennéasyllabiques et chant.  

3Quant à l’analogie entre poésie et musique – qui n’est ni identification ni métaphore, mais mise en relation à partir d’éléments communs ou comparables, en l’occurrence ceux de symétrie et d’asymétrie –, elle a une longue histoire4 et renvoie à des paradigme historiquement construits, variables d’une époque à l’autre. Plutôt que de dissocier les deux questions de la poétique des vers lyriques destinés au chant d’une part et de celle des modèles musicaux de l’autre, nous voudrions au contraire montrer ici qu’elles sont liées l’une à l’autre et que se succèdent historiquement, en schématisant, trois paradigmes musicaux et, par suite, poético-musicaux : à un paradigme de la variété (prégnant du XVIe à la première moitié du XVIIIe siècles) s’oppose, à partir du milieu du XVIIIe siècle, un paradigme de la symétrie, à son tour remis en cause, notamment à la fin du XIXe siècle mais aussi dès avant dans le siècle, par un paradigme de l’asymétrie. Par-delà l’établissement d’un panorama diachronique, la fin – terme et but – de cet article est de définir la place de Verlaine par rapport à ces paradigmes poético-musicaux.

4En effet, quand Verlaine renvoie à l’idée de musique comme asymétrie – ce qui est, avec celui de vers impair, l’un des sens de « l’Impair5 » – la chose ne va nullement de soi, ni en 18746 ni même en 1882 ou 1884. Cette invitation7 verlainienne n’a rien d’une évidence et relève au contraire d’un paradoxe, qu’on a fini par ne plus apercevoir tant le paradigme qu’elle a contribué à créer a fini par s’imposer à nous. Confusément, nous définissons la musique dont il est question dans « Art poétique » comme une musique de type debussyste, que nous concevons globalement elle-même comme une musique impressionniste, « [o]ù l’indécis au précis se joint8 », sans nous rendre compte qu’il s’agit là non de la musique, mais d’une musique et même d’une perception également construite, ni que nous commettons un anachronisme de dix ou vingt ans, la musique française de 1874 n’étant guère fondée sur l’asymétrie.

5On a choisi de se concentrer ici sur le vers de 9 syllabes ou ennéasyllabe9, à la fois parce que le fait d’être le vers d’« Art poétique » lui confère un caractère emblématique, mais aussi parce qu’il a été longtemps exclu des traités, enfin parce que la variété de ses scansions ou mètres possibles en a fait, plus que l’hendécasyllabe (vers de 11 syllabes) avec lequel il a pourtant partagé un ostracisme prolongé, un lieu privilégié des différents paradigmes poético-musicaux symétriques ou asymétriques. Mais pour commencer et afin de situer précisément la proposition verlainienne, il importe de mettre au jour quand et comment s’est construite, dans les traités, la notion de vers ou mètre impair.

6Bien que des vers impairs aient été utilisés dans la poésie lyrique dès le Moyen Âge et la Renaissance et qu’à ce titre, ils figurent dès les premiers traités de poétique, la notion théorique de « vers impair » ou de « mètre impair » en est restée longtemps absente, comme d’ailleurs des dictionnaires de langue10. Cette apparition tardive s’explique peut-être, notamment, par le fait que, pendant longtemps, les vers féminins ont été considérés comme l’impair des vers masculins pairs correspondants. Ainsi, pour Ronsard11, comme pour tous ses contemporains et ses successeurs du XVIIe et même du XVIIIe siècles, un alexandrin est un vers de 12 ou 13 syllabes, un décasyllabe, un vers de 10 ou 11 syllabes, etc. : l’impair est, par le féminin, structurellement présent dans le pair, donc dans tout poème depuis l’établissement de la règle d’alternance des rimes féminines et masculines, c’est-à-dire depuis le milieu du XVIe siècle12.

7La notion de vers impair semble apparaître vers le milieu du XIXe siècle, en 1844 précisément, dans un important ouvrage de Wilhelm Ténint13, trente ans avant l’« Art poétique » de Verlaine, avant d’être reprise en 1880 par Louis Becq de Fouquières14 et à partir de 1908 par Maurice Grammont15. Seul ce dernier fonde cependant sa typologie des vers sur l’opposition entre « les parisyllabiques » et « les imparisyllabiques16 ». En effet, ni Ténint ni Becq de Fouquières ne font de l’impair un critère typologique : comme dans les traités précédents, ils distinguent entre vers longs à césure (alexandrin et décasyllabe, mais aussi ennéasyllabe) et vers courts sans césure (de 8 syllabes et moins)17.

8D’ailleurs, le caractère principal des vers impairs, pour ces métriciens qui le reconnaissent comme catégorie, n’est nullement leur musicalité, notion qui est associée, sous les termes d’« harmonie » et de « cadence », à celle de symétrie, ainsi qu’à celle d’euphonie. Au contraire, leur « perpétuelle instabilité rythmique18 » est, aux yeux de Becq de Fouquières, leur défaut principal :

Tous les vers impairs manquent d’un centre fixe, et par là blessent le sentiment naturel de la symétrie qui est en nous. Ils nous causent une sorte d’angoisse, qui ne s’apaise que lorsque notre esprit trouve un point de repos, soit à la fin des strophes, soit après de longues césures. C’est aussi cette angoisse intérieure qui nous indique le caractère d’enthousiasme ou d’agitation morale que présentent tous les vers impairs, et dont un poète peut tirer heureusement parti quand il les applique à peindre des sentiments fougueux, instables eux-mêmes, protées de l’âme qui revêtent les formes perpétuellement changeantes de ces protées rythmiques19.

9Paradoxalement, on voit ici que c’est cette instabilité même qui rendrait les vers impairs propres à l’expression lyrique, au sens d’expression des sentiments, des émotions ou mouvements du cœur, mais non au sens musical du terme. L’impair est du côté de l’expression, irrégulière, non de l’harmonie, régulière.

10Si Ténint, quant à lui, rattache bien les vers impairs à la musique, ce n’est cependant pas pour leur musicalité poétique, mais pour les prétendues nécessités des paroles de musique, c’est-à-dire pour leur musicabilité :

La musique réclame impérieusement cette espèce de vers20.

11Et le métricien de donner l’exemple la version française, due à Castil-Blaze21, du Don Giovanni de Mozart et de Da Ponte, posant donc, sans le dire, un problème tout à fait spécifique, celui de la traduction ou de l’adaptation française :

Certains opéras, celui de Don Juan, par exemple, sont faits uniquement en vers de cinq, de sept et de neuf pieds. Nous trouvons déjà le vers de neuf pieds employé par Quinault, avec ses deux césures [sur la 3e et la 6e syllabes]22.

12En quoi et pourquoi les vers impairs conviendraient-ils particulièrement à la musique ? C’est ce que nous voudrions à présent étudier, en envisageant les trois paradigmes poético-musicaux qui se sont succédé historiquement.

13S’il contribue certes à leur donner leurs lettres de noblesse poétique, Verlaine n’est, on l’a dit, pas le premier à faire usage des vers impairs. On en trouve, en effet, des exemples dans la poésie lyrique de toutes les époques, dès le Moyen-Âge et la Renaissance, notamment dans les chansons et les odes. Parmi ces vers lyriques brefs figurent ainsi des vers impairs, de 7, de 5 ou de 3 (voire de 123) syllabes – et même de 9 et de 11 syllabes au Moyen Âge ou dans les chansons et airs de cour du XVIIe siècle, le plus souvent dans des strophes hétérométriques, rarement isométriques24. Dans les traités de la Renaissance25, les « vers lyriques » sont par définition des vers plus brefs que l’alexandrin (ou « grand vers », ou « vers héroïque ») et que le décasyllabe (« vers commun26 »), lesquels sont utilisés dans les grands genres (tragique, épique) : ce sont des vers de 8 syllabes et moins27 ou de moins de 8 syllabes (le vers de 9 syllabes n’étant, comme on le verra plus loin, d’abord pas pris en considération dans les traités).

14Cependant, aucune relation explicite n’est alors établie entre les différents vers impairs et la musique, ce qui s’explique notamment par l’absence de notion spécifique de « vers impair » avant le XIXe siècle. En revanche, la brièveté et la variété des mètres, soit à l’intérieur d’un même poème (polymétrie, alias hétérométrie strophique), soit d’un poème à l’autre sont justifiées par le lien des vers lyriques – chantés ou, au moins en principe, destinés au chant – avec la musique. Ainsi, pour Thomas Sébillet (1548) :

Le Chant lyrique, ou Ode (car autant vaut à dire) se façonne ne plus ne moins que le Cantique, c’est-à-dire autant variablement et inconstamment : sauf que les plus courts et petits vers y sont plus souvent usités, et mieus séans à cause du Luth ou autre instrument semblable sur lequel l’Ode se doit chanter28.

15Ronsard souligne également le lien entretenu par les vers courts et variés avec la musique :

[…] les autres [types de vers, distincts de l’alexandrin et du décasyllabe] marchent d’un pas licencieux, et se contentent seulement d’un certain nombre que tu pourras faire à plaisir, selon ta volonté, tantôt de sept à huit syllabes, tantôt de six à sept, tantôt de cinq à six, tantôt de quatre à trois, les masculins étant quelquefois les plus longs, quelquefois les féminins, selon que le caprice te prendra. Tels vers sont merveilleusement propres pour la Musique, la lyre et autre instruments : et pour ce, quand tu les appelleras lyriques, tu ne leur feras point de tort, tantôt les allongeant, tantôt les accourcissant, et après un grand vers un petit, ou deux petits, au choix de ton oreille, gardant toujours le plus que tu pourras une bonne cadence de vers propres (comme je l’ai dit auparavant) pour la Musique, la lyre et autres instruments29.

16La notion de « caprice » (qui reprend « à plaisir ») est ici intéressante, puisqu’elle renvoie à une liberté du poète, cependant régie par la double nécessité de variété et d’unité. La règle d’alternance entre rimes féminines et masculines, dont le lien avec la musique, affirmé par Ronsard, est si problématique30, repose sur cette notion de variété, encadrée précisément par l’alternance et, dans l’ode « mesurée à la lyre31 », par la régularité strophique.

17L’argument de la nécessaire variété des vers lyriques en raison de celle, supposée essentielle, de la musique sera repris dans la seconde moitié du XVIIe siècle, au moment de la création du théâtre lyrique (ou opéra) français ; mais la variété des vers destinés au chant lyrico-dramatique ira alors jusqu’à la liberté des vers mêlés, ou « vers irréguliers », ou vers libres classiques. Ainsi, le poète Pierre Perrin, qui joue un rôle pionnier dans le domaine des « comedies [sic] en musique32 » (pastorale, comédie et tragédie en musique), est également le premier à avoir fait le choix, déterminant et en partie inspiré des premiers opéras italiens, des vers mêlés. Sa référence aux « vers lyriques » n’est cependant pas dénuée d’ambiguïté :

Ce que j’ay ajouté du mien, est que j’ay composé la pièce de vers Lyriques & non pas Alexandrins, parce que les vers courts & remplis de césures & de rimes sont plus propres au chant & plus commode à la voix qui reprend son haleine plus souvent et plus aisément. J’ajoute à cela qu’étant plus variez, ils s’accommodent mieux aux variations continuelles que demande la belle Musique, ce qui comme vous sçavez, a esté observé devant moy et prattiqué par les Grecs, & par les Latins33.

18Curieusement, Perrin, toujours prompt à se prévaloir, même indûment, de ses innovations, ne revendique pas ce qui constitue la principale originalité formelle de son choix : celui, non seulement de « vers lyriques » courts et variés, mais de vers mêlés et non plus périodiques et strophiques. La référence aux Grecs et aux Latins inscrit sa pratique dans la tradition prestigieuse de la poésie lyrique, mais sans renvoyer à ce qui fait sa spécificité. Au moment de sa seconde pastorale en musique, Pomone (1671), le poète sera plus précis en indiquant, témoignant d’une conscience générique très nette, que ses choix poétiques correspondent à la recherche d’une « Poësie Lyrique et Dramatique tout ensemble34 », c’est-à-dire destinée à la fois au chant et au théâtre, au théâtre lyrique et non pas à un chant purement lyrique de type air de cour ou chanson et, à ce titre, strophique (avec ou sans refrain).

19Tout en élaborant une poétique des « paroles de musique » lyrico-dramatiques à certains égards distincte de la poésie littéraire qui, même lyrique, ne serait pas spécifiquement destinée au chant, Perrin indique cependant qu’il a exclu les vers de 9 syllabes, à l’instar des traités habituels :

Pour l’etendüe du vers Lyrique. Je l’ay tenüe depuis une jusqu’à treize syllabes a l’ordre, evitant toutesfois le vers masculin de neuf ou d’onze syllabes et le feminin de dix ou de douze et coupant en ce cas plutost le vers en deux35.

20Conformément à la terminologie issue de la Renaissance, le vers « feminin de dix ou de douze » syllabes désigne ici les vers de 9 ou 11 syllabes métriques. On voit que, loin d’associer les vers impairs au chant, le poète et théoricien en exclut deux représentants caractéristiques par leur asymétrie, nécessaire dans le 11 syllabes, possible dans le 9 syllabes. De fait, Perrin, ainsi que son contemporain – et successeur dans le domaine du poème d’opéra – Philippe Quinault, font très nettement prédominer les vers pairs de 8, 10 et 12, plus rarement 6 syllabes dans leurs vers mêlés, tout comme, vers la même époque, La Fontaine dans ses Fables (à partir de 1668), Corneille dans sa tragédie d’Agésilas (1666) ou encore Molière dans sa comédie d’Amphitryon (1668).

21On voit qu’il faut bien distinguer, parmi les vers impairs, les « vers lyriques » courts (de 7, 5 et 3 syllabes), non césurés, et les vers longs, en principe césurés, de 9, 11 ou 13 syllabes : ces derniers ne sont d’abord pas pris en considération et demeurent longtemps exclus, sinon dans la pratique des vers lyriques, du moins dans les traités.

22Le corpus36, non exhaustif mais significatif, des vers de 9 syllabes, établi notamment d’après les exemples cités par les traités37, montre que ceux-ci, d’emploi rare avant la fin du XIXe siècle, apparaissent presque exclusivement dans la poésie lyrique, destinée au chant ou supposée l’être, ou bien associée38 à lui, qu’il s’agisse de la chanson ou de l’opéra. Le genre léger de la chanson n’est pas le seul concerné ; on le trouve aussi, outre dans une ode de Ronsard39, dans quelques airs d’opéras sérieux (tragédies en musique de Quinault et Lully, puis de Voltaire et La Borde, grand opéra de Scribe et Meyerbeer). Il semble que Verlaine soit l’un des tout premiers à l’utiliser sans lien direct avec le chant.

23On note, par ailleurs, une grande diversité structurelle ou métrique des vers de 9 syllabes, soulignée par les traités : aux ennéasyllabes sans césure fixe (ex. Ronsard) s’opposent ceux qui ont une césure à la 3e syllabe, 3-6 (ex. Verlaine, « Ariette » II), ceux qui ont une césure médiane coupant le vers en deux parties inégales, 4-5 (ex. Verlaine, « Art poétique ») ou 5-4 (ex. Banville, « Le Poëte40 »), ou encore ceux qui possèdent deux césures, à la 3e et à la 6e syllabes, 3-3-3 (ex. Meyerbeer41, Le Prophète, II, 8) ; les ennéasyllabes sans césure fixe peuvent être considérés comme un mélange de ces différents mètres. Verlaine utilise les mètres 3-6 et 4-5, tous deux asymétriques, non le 3-3-3 régulier, symétrique, sur lequel nous reviendrons ci-dessous.

24Bien qu’ils aient été utilisés dans la poésie lyrique médiévale et qu’ils le soient dans plusieurs chansons du XVIIe siècle42, les vers de 9, comme de 11 syllabes sont purement et simplement ignorés des traités respectifs de Thomas Sébillet, de Jacques Peletier, de Ronsard43 ou encore, au XVIIe siècle, de Claude Lancelot (1650)44. Si Deimier45 (1610) mentionne les « vers masculins à neuf syllabes, et [l]es autres [féminins] à dix » (autrement dit les vers de 9 syllabes métriques), c’est pour les exclure aussitôt – sauf pour la « chanson » – parce qu’ils « ressemblent trop à la cadence des [vers] latins46 ».

25Le point de vue de Pierre Richelet47 (1671 [1666]) sur la question des vers de 9 syllabes (mais aussi de 11, de 13 et de 14) est plus complexe que celui de ses prédécesseurs. S’opposant explicitement à Lancelot, celui-ci considère, en effet, qu’il y a en français, non plus cinq, mais « dix sortes de vers » : non seulement de 12, 10, 8, 7 et 6, mais aussi de 5, 4, 3, 2 et 1 syllabes. S’il exclut d’abord les vers de 9 et de 11 syllabes, il les mentionne cependant comme « Vers à chanter », tout en précisant qu’ils approchent selon lui de la prose :  

J’entens par les Vers à chanter, les Vers qui ne sont reçeus que dans les Chansons, soit parce qu’ils ont un nombre de sillabes diferent de celui des Vers reguliers, ou qu’à proprement parler n’ont rien de la Poësie que la rime. Les Vers à chanter sont donc, des Vers masculins de neuf, d’onze, & de treize sillabes ; ou des feminins, de dix, de douze, de quatorze, & mesme de quinze. […] Ces sortes de Vers, aussi bien que tous les autres Vers à chanter, se meslent dans les Chansons avec des Vers reguliers & ordinaires ; & ils ne sont presque distinguez de la Prose que par la rime48.

26Mais le point le plus original de la présentation de Richelet est l’explication qu’il donne de l’existence de vers de 9, de 11 ou de 13 syllabes, celle de la parodie musicale.

27Entendue dans son sens musical, la notion de parodie a un sens tout à fait distinct de celui qu’elle possède en littérature et ne relève pas d’une intention ironique, satirique ou burlesque ; c’est une technique poétique qui consiste à ajouter des paroles à un air instrumental, notamment de danse, ou bien à substituer des paroles à d’autres. Fréquente dans l’air et le ballet de cour et les divertissements du théâtre lyrique (tragédie en musique, opéra-comique), la pratique49 de la parodie musicale donne lieu à des vers présentant d’importantes et nombreuses irrégularités au regard des règles  Affirmant tenir son information du poète et compositeur Louis de Mollier50, Richelet indique :

Ces Vers [à chanter] […] ne se composent que sur des Airs faits ; comme Menuets, Bourrées, Airs de Ballets, & autres semblables ; & alors il n’y a absolument point de regle à suivre. Pour faire cette sorte de vers, on s’attache entierement à l’Air ; & on leur donne selon cet air le nombre de sillabes qu’ils doivent avoir ; soit que ce nombre soit regulier ou non51.

28Donnant des exemples des poètes Charleval (1612-1693), Segrais (1624-1701), Scarron (1610-1660), Voiture (1597-1648) et Madame de La Suze (1618-1673), Richelet cite en effet des vers de 9, 11 ou 13 syllabes qui, sans la parodie, ne trouveraient guère d’explication52. C’est également ainsi que s’explique les irrégularités remarquables de la chanson, citée par la plupart des traités, de François Malherbe (« Sus debout, la merveille des belles53… »), d’autant plus significatives qu’elles sont le fait d’un poète considéré par Boileau comme l’un des principaux réformateurs de la versification (« Enfin Malherbe vint… »). Sans la parodie musicale, la succession, dans chaque quatrain, de deux ennéasyllabes (3-6) et de deux décasyllabes (4-6), c’est-à-dire de deux vers distincts d’une syllabe seulement et dont l’un est considéré comme irrégulier, de surcroît tous féminins au mépris de la règle d’alternance, serait difficilement justifiable au regard des règles ; se contenter d’indiquer qu’il s’agirait d’une liberté attachée au genre léger de la chanson est insuffisant et ne rend pas compte de la spécificité du phénomène, commun à de nombreux airs de cour, chansons à boire et divertissements d’opéra.

29La parodie musicale est ainsi, après la variété polymétrique attachée aux vers lyriques, la deuxième raison pour laquelle on trouve des vers impairs dans les paroles de chant, singulièrement des vers de 9, ou encore de 11 ou de 13 syllabes. Curieusement, il ne semble pas qu’on s’en soit jusqu’ici avisé et les traités qui mentionnent ces mètres font abstraction de cette réalité pourtant déterminante dans leur constitution54. En présentant comme « de la Prose cadencée, ou des manières de Vers libres » les vers, parfois non rimés et contenant des 9 et des 11 syllabes, du « petit opéra impromptu » improvisé par Cléante et Angélique dans Le Malade imaginaire (1673, acte II, sc. 5), Molière raille la poétique approximative d’un genre dont il conteste la légitimité55.

30Cependant, au paradigme musical et poético-musical de la variété va succéder, à partir du milieu du XVIIIe, un autre paradigme, fondé au contraire sur la symétrie et la régularité périodique. Les vers impairs, en particulier le vers de 9 syllabes, ne vont pas disparaître, mais leur structure va se régulariser, en relation avec l’idée qu’on se fait de la musique.

31À la différence de leurs aînés, les auteurs de traités des XIXe et XXe siècles se mettent à prendre en considération le vers de 9 syllabes, pour la poésie lyrique et volontiers pour les paroles de musique. Ainsi Ténint le juge « très-harmonieux »56 lorsqu’il se scande 3-3-3, déplorant au contraire les scansions asymétriques 4-5 ou 5-4, jugées disharmonieuses car :

« […] un hémistiche pair ne s’harmonise que rarement avec un hémistiche impair57.

32Cette conception symétrique de la musique et, par suite, de l’« harmonie » métrique du vers est, on le voit, aux antipodes de ce que sera la conception asymétrique de l’« Impair » verlainien, l’auteur d’« Art poétique » préférant toujours les mètres 4-5 ou 3-6 au 3-3-3 régulier.

33Le métricien Jean-Michel Gouvard indique que, contrairement à ce que prétendent « certains manuels58 », il n’existe, à sa connaissance, « aucun poème composé exclusivement sur une mesure 3-3-359 », preuve que « le 3-3-3 n’est pas un mètre60 » ; et de citer des poèmes – notamment l’« Ariette » ii de Romances sans paroles et la chanson de Malherbe – utilisant le mètre 3-6, dans lesquels le sous-vers de 6 syllabes reçoit une coupe mobile.

34En réalité – et même si Verlaine ne l’utilise pas – il existe bien des poèmes écrits dans ce mètre 3-3-3, à commencer par « La Chanson d’autrefois » du poète belge André Van Hasselt, citée par l’auteur de Romances sans paroles dans une lettre à Émile Blémont du 25 juin 187361. Dans ses études rhythmiques62 [sic] de 1862 et 1867, Van Hasselt propose ce qu’on peut considérer comme un nouvel avatar de la versification à l’antique, mais différant de celle de Baïf en ce qu’elle cherche, non pas à introduire de douteuses quantités (brèves et longues) en français, mais à transposer, sur un modèle anglais ou allemand, le système quantitatif en un système accentuel. Certes, le poème cité par Verlaine n’est pas écrit « entièrement » dans le mètre 3-3-3, puisqu’il est composé de quatrains faits sur le modèle de trois trimètres dactyliques (–uu) suivis d’un iambe (u–) et d’un ultime dactyle, ce qui donne syllabiquement une strophe polymétrique de 9.9.9.5 : mais on trouve, dans le même recueil, d’autres poèmes63 entièrement écrits dans ce mètre. Plus profondément et de façon moins anecdotique, ces études rhythmiques [sic] s’inscrivent elles-mêmes, comme l’indique d’ailleurs la préface64, dans toute une histoire associant étroitement la poésie et la musique65, dont nous voudrions ici retracer rapidement les grandes lignes afin de montrer que, dans ce deuxième paradigme, musique rime résolument avec symétrie.

35La généalogie musicale du mètre 3-3-3, comme celle d’autres mètres à scansion interne régulière, remonte à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Au chant non périodique (voire non mesuré dans le cas du récitatif) de la tragédie en musique, ainsi qu’aux vers mêlés lui servant de support depuis Perrin et Quinault66, les partisans de l’opéra italien ont voulu substituer, après la Querelle des Bouffons de 1752-1753 et autour de celle des Gluckistes et des Piccinnistes ente 1776 et 1779, la « période » mélodique. Or, à cette dernière doit correspondre une période poétique, c’est-à-dire des suites de vers présentant des symétries et des périodicités non seulement externes, mais internes. En effet, le but recherché est une meilleure adéquation prosodique entre paroles et chant : le problème ne se posait pas à un tel degré dans le récitatif, où le chant suit les vers, mais il est devenu aigu dans la mélodie périodique qui se développe, à l’instar d’un modèle instrumental, selon des lois de symétrie et de carrure qui lui sont propres, indépendamment des paroles. C’est ainsi que Chastellux67, puis Framery68 établissent un paradigme de versification lyrique régulière, sur le modèle explicite de la poésie lyrique et surtout lyrico-dramatique (ou opératique) italienne, très ponctuellement mis en pratique par Framery lui-même, par Marmontel et par Scribe notamment.

36Dans cette lignée à la fois italienne et musicale, l’abbé Antonio Scoppa, considéré comme l’introducteur de la description accentuelle du vers français69, même s’il s’inspire notamment de Framery, propose, le premier peut-être sur le plan théorique, l’utilisation en français du mètre 3-3-3, calqué sur le decasillabo italien70. Mais la pratique avait légèrement précédé la théorie : déjà, en 1796, le librettiste François-Benoît Hoffman, reprenant peut-être lui aussi des principes tout récemment exposés par Framery, avait composé des 3-3-3 réguliers dans son opéra-comique en un acte Le Secret71, souvent cités par la suite par les défenseurs d’une versification lyrique hypermétrique72.

37Dans les années 1820-1850, le théoricien et librettiste Castil-Blaze fait de ce principe de régularité métrique interne des vers destinés au chant la condition sine qua non des vers lyriques, faute de quoi ceux-ci tombent dans la « prose rimée73 ». Concernant le vers de 9 syllabes en particulier, l’auteur de L’Art des vers lyriques de 1857 est tout à fait catégorique :

Le meilleur de tous nos vers lyriques est celui de neuf syllabes, mais il faut absolument qu’il soit coupé de trois en trois. Sa mesure est alors si bien accentuée, que le poète est forcé de marcher au pas, en suivant une toute flanquée de garde-fous74.

38Parlant alors des « cadences énergiquement décisives de ce vers anapestique forcé »75, il ajoute par la suite, après avoir cité la romance du Secret de Hoffman et sans hésiter à surenchérir sur l’idée de régularité, jusqu’à la caricature :

Avec les vers de neuf syllabes, dont la cadence est charmante, il faut nécessairement aller au pas, suivre le rail ; si l’une des trois césures vient à manquer, tout l’édifice ébranlé s’écroule. Voilà pourquoi nos parolier n’usent point de ce rhythme [sic] élégant et lyrique par excellence76.

39Dans le domaine purement poétique, indépendamment de paroles de musique – mais en poésie « lyrique », donc fictivement au moins destiné au chant – le métricien Jean-Ambroise Ducondut77 écrit, dès 1856, avant même Van Hasselt, des vers sur le patron métrique 3-3-3, en se fondant sur le même principe de transposition des quantités en accents et sur une conception musicale périodique : il propose ainsi des « vers ennéasyllabes » sur des péons premiers ou sur des anapestes78.

40De Scoppa à Becq de Fouquières, en passant notamment par Quicherat et par Ducondut, on observe ainsi, durant tout le XIXe siècle, concernant la poésie lyrique, une référence constante des métriciens à un paradigme musical fondé, non sur la variété ou sur l’asymétrie, mais sur la symétrie et la régularité périodique. Contrairement à ce qu’indique Gouvard, il existe donc bien un mètre 3-3-3, d’emploi rare, voire confidentiel et son origine musicale explique qu’il soit essentiellement employé dans la poésie destinée au chant, mais parfois aussi dans la poésie lyrique littéraire associée, par le lyrisme même, à la musique et au chant. On le retrouve notamment chez les poètes Marc Monnier79, Jean Richepin80 et Fernand Gregh81.

41Ainsi, le paradigme poético-musical symétrique n’exclut pas les vers impairs, mais leur impose une symétrie, garante de leur « harmonie ». Les mètres ennéasyllabiques 4-5, 5-4 et même 3-6 y sont, à l’inverse, rejetés comme boiteux et dénués d’harmonie. Dans ce contexte, comment Verlaine en vient-il à associer musique et asymétrie ?

42La proportion de vers impairs est importante dans Romances sans paroles (1874), dont le titre, emprunté à Mendelssohn et paradoxal s’agissant d’une œuvre littéraire, signale d’emblée le caractère musical : outre de nombreux vers impairs courts, en contexte monométrique ou polymétrique, on y relève deux poèmes écrits en vers de 9 syllabes, l’« Ariette » II et « Bruxelles. Chevaux de bois » (respectivement scandés 3-6 et 4-5), ainsi qu’un poème en vers hendécasyllabiques, l’« Ariette » IV (5-6) ; « L’Art poétique » de 1874 utilise lui aussi le mètre 4-5, qui devient de ce fait l’emblème de « l’Impair ». Il faut y ajouter « Au lecteur », au seuil de Cellulairement, ainsi que « Vendanges » dans Jadis et naguère (précédemment « Almanach pour l’année dernière » III dans Cellulairement) et les strophes II et IV de « Je ne sais pourquoi… », dans Sagesse, III, vii (précédemment « Sur les eaux » dans Cellulairement). Si l’« Ariette » II, « Vendanges » et « Je ne sais pourquoi… » relèvent explicitement de la chanson, il n’en va pas de même d’« Art poétique » qui, même si Verlaine voulait n’y voir qu’« une chanson », possède une visée en partie didactique82, tout comme le poème liminaire et prologal de Cellulairement : ces emplois non purement lyriques de l’ennéasyllabe constituent une nouveauté.

43Mais l’utilisation de vers d’un nombre impair de syllabes n’est pas la seule manifestation de « l’Impair » verlainien : celui-ci concerne également l’asymétrie propre aux mètres mentionnés (à l’exclusion, donc, du 3-3-3 régulier non utilisé par Verlaine) et sans doute faut-il ajouter à cette notion polysémique les nombreuses discordances entre mètre et syntaxe qui, depuis les Poëmes saturniens (1866), participent d’une stratégie de brouillage métrique. En ayant placé des syllabes atones à la césure ou en ayant fait passer celle-ci à l’intérieur d’un mot83, Verlaine a fortement contribué au développement du vers dit libéré, dans lequel l’égalité 6-6 de l’alexandrin ou l’inégalité 4-6 consacrée par la tradition du décasyllabe se trouvent menacées.

44Cependant, associer musique et « Impair » au sens d’asymétrie ne va nullement de soi en 1874, puisqu’on a vu qu’au contraire, c’est l’idée de symétrie qui est alors associée à la musique. À l’époque même des Romances sans paroles et de « L’Art poétique », le Petit Traité de poésie française (1872) de Théodore de Banville et surtout le Traité général de versification française (1879) de Louis Becq de Fouquières proposent des théories du vers qui, identifiant la poésie lyrique avec le chant, n’en reposent pas moins sur une définition du rythme comme symétrie. Ainsi, Becq de Fouquières propose une notation musicale du rythme des vers reposant entièrement sur l’isochronie de leurs mesures84.

45La généalogie de la conception poético-musicale de Verlaine paraît fort problématique. Il est tout d’abord probable que Le Spleen de Paris (ou Petits Poëmes en prose) de Baudelaire, publié de façon posthume en 1869, et en particulier la lettre-dédicace à Arsène Houssaye parue, elle, dès 1862, a joué ici un rôle important : en faisant référence au « miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience », Baudelaire, tout en donnant ses lettres de noblesse au poème en prose, a fortement contribué à créer un paradigme de l’asymétrie musicale et poétique ; la notion de « prose musicale », apparue dès la fin du XVIIIe siècle pour critiquer le récitatif par opposition à la « période » mélodique, était jusqu’alors dépréciative. De là, on est tenté de mettre en relation cette construction baudelairienne, puis verlainienne, avec la mélodie infinie (unendliche Melodie), non symétrique, du drame musical (Musikdrama) wagnérien. Wagner, en effet, a joué un rôle considérable dans l’évolution du paradigme poético-musical, en remettant radicalement en cause, après 1850, la mélodie carrée à l’italienne au profit d’une mélodie infinie orchestrale et d’un chant souvent proche d’un récitatif mélodique ou arioso, non périodique ; sur le plan poétique, ce chant repose désormais sur des vers allitératifs (Stabreime) à nombre variable de syllabes accentuées et non plus sur les vers iambiques réguliers traditionnels, à nombre d’ictus (ou accents d’intensité) fixe. Cependant, il faut se garder de tout anachronisme, car les drames musicaux de Wagner, c’est-à-dire ses ouvrages lyriques composés après Lohengrin (1850) et ses premiers « opéras romantiques », à partir du Ring des Nibelungen [L’Anneau du Nibelung] et de Tristan und Isolde, n’ont été connus en France que dans les années 1880. Ni le Baudelaire de 1862 (un an après la création parisienne de Tannhäuser, saluée par le poète), ni le Verlaine de 1874 ne peuvent donc fonder une pensée de paradigme musical apériodique (la « prose musicale » baudelairienne) ou asymétrique (« l’Impair » verlainien) sur la poétique et l’esthétique du second Wagner. En revanche, on peut associer la conception verlainienne à la remise en cause de la métrique musicale et poétique, dont Baudelaire est l’un des jalons essentiels.

46À partir des années 1830, la carrure classique s’est vue contestée par des compositeurs romantiques comme Berlioz, Schumann, Chopin, puis Liszt, Brahms et, donc, Wagner. Sur le plan des paroles d’opéra français se pose la question de la mise en musique de la prose. Si ce n’est qu’à la toute fin du XIXe siècle, avec les créations de Messidor (1897) d’Alfred Bruneau et Émile Zola, de Louise (1900) de Gustave Charpentier et de Pelléas et Mélisande (1902) de Claude Debussy et Maurice Maeterlinck, que celle-ci triomphe et avec elle un chant relevant de la « déclamation », du récitatif mélodique et non plus de la mélodie périodique ou carrée, le problème s’est cependant posé depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, à la fois sur le plan théorique et à travers des expérimentations et des gageures, qui jalonnent l’histoire de l’opéra sur plus d’un siècle85.

47Parallèlement à la remise en cause de la carrure musicale et du développement de l’idée de prose en musique, s’est développée, dans le domaine poétique (dramatique et lyrique) une critique de la césure et de l’accent métrique de fin de vers, avec la multiplication (au théâtre, notamment depuis Hernani en 1830) de phénomènes de discordance (enjambements, rejets et contre-rejets internes et externes), mais aussi avec le développement, déjà évoqué, du poème en prose et, à la fin du XIXe siècle, avec l’invention du vers libre.

48La grande évolution métrique de la fin du XIXe siècle en termes d’asymétrie est sans aucun doute celle du vers libre, que Mallarmé rapproche explicitement de l’évolution de la musique, se gardant pourtant d’indiquer un sens dans l’influence entre poésie et musique :

D'ailleurs, en musique, la même transformation s'est produite : aux mélodies d'autrefois très dessinées succède une infinité de mélodies brisées qui enrichissent le tissu sans qu'on sente la cadence aussi fortement marquée86.

49À la cadence solennelle de l’alexandrin, Mallarmé oppose les rythmes brisés personnels du lyrisme individuel permis par le vers libre, « chaque âme [étant] un nœud rythmique ». Quant à une relation plus précise entre cette « crise de vers87 » et la vogue du wagnérisme en France à la fin XIXe siècle, elle est établie de façon largement rétrospective par les poètes et, par là même, sujette à caution. Ainsi, en 1922, Édouard Dujardin affirme :

Très tôt, je m’étais dit qu’à la forme musique libre de Wagner devait correspondre une forme poésie libre ; autrement dit, puisque la phrase musicale avait conquis la liberté de son rythme, il fallait conquérir pour le vers une liberté rythmique analogue88.

50L’auteur des Lauriers sont coupés établit également un lien entre la mélodie infinie et le monologue intérieur dont il est l’inventeur :

La plupart des critiques ont comparé le monologue intérieur à toutes sortes de choses, film, T.S.F., radiographie, cloche à plongeur ; ils n’ont pas, au moins à ma connaissance, signalé l’analogie, disons la parenté que présentent ces petites phrases successives avec les motifs musicaux tels, par exemple, que les a employés Richard Wagner89.

51De son côté, le poète Albert Mockel établit, en 1920, une analogie entre la structure métrique de l’alexandrin traditionnel et celle de la carrure musicale :

C’est en 1886 que j’ai fait mes premières tentatives. J’avoue qu’à cette époque j’ignorais Arthur Rimbaud et n’avais lu encore que peu de vers de Verlaine et de Mallarmé. Quant à Laforgue, c’est votre admirable Revue Indépendante qui me l’a révélé en publiant Pan et Syrinx. C’est donc tout naïvement que j’ai cherché à renouveler musicalement le vers, – écœuré que j’étais du ronron lourd et monotone de l’alexandrin. Bach et son inépuisable éclosion rythmique, Chopin par sa libre fantaisie, Beethoven et son récitatif, Richard Wagner m’avaient sans doute influencé. L’alexandrin qui rampe sur ses douze pattes et s’articule en hémistiche, comment n’en pas comparer la structure avec celle de la vieille « phrase » des musiciens, – membrée de huit mesures et segmentée en incises, – cette phrase que le génie de Wagner avait à jamais rompue ?90

52Ainsi, on assiste dans la seconde moitié du XIXe siècle à l’émergence d’un nouveau paradigme – musical, poétique et poético-musical – critique à l’égard de la symétrie, enclin à l’asymétrie. Jusqu’alors largement identifié au mètre, le rythme s’en dégage, devenant au contraire ce qui vient perturber, voire annuler le cadre métrique régulier. Dans cette mutation, Verlaine joue un rôle important, sans aller cependant jusqu’à l’apériodicité totale du vers libre et de la prose, mais en jouant au contraire des tensions provoquées par l’asymétrie à l’intérieur du système métrique.

53L’« Impair » verlainien s’inscrit donc dans toute une histoire, celle de l’emploi des vers impairs dans la poésie lyrique, en relation avec une évolution du paradigme musical et poético-musical qui va de la variété à la symétrie, puis à l’asymétrie, sans oublier la technique très particulière de la parodie musicale. Parler de musicalité des vers impairs en soi, indépendamment d’un paradigme musical de référence, n’a somme toute guère de sens. La réussite de la conception verlainienne, assurée notamment par les symbolistes et les vers-libristes, qui la reprennent à leur compte tant sur le plan théorique que dans leurs réalisations poétiques91, se manifeste surtout, jusqu’aujourd’hui, dans l’influence que cette conception exerce, par suggestion, sur notre perception historiquement informée des vers impairs. Un certain mystère demeure quant à l’origine de la conception verlainienne de la musique comme asymétrie, influencée probablement par l’analogie baudelairienne, mais aussi par les ariettes et romances – souvent parodiées « sur l’air de… » – des comédies mêlées d’ariettes et opéras-comiques du XVIIIe siècle, de Favart ou de Sedaine. Ainsi, ce n’est pas le moindre charme de « l’Impair » que celui-ci s’inscrive dans la parodie musicale, entendue à la fois dans son sens musical technique et dans son sens littéraire stylistique de réécriture ironique. En dernière analyse, « l’Impair » que vante l’« Art poétique » est à rechercher beaucoup plus dans l’esprit que dans la lettre, même s’il importait ici d’en bien établir la lettre pour en saisir l’esprit, sans tomber dans les facilités et les approximations, oserons-nous dire sans commettre l’impair d’un impair qui serait en soi musical.

Notes de bas de page numériques

1 « L’Art poétique », que Cellulairement date de « Mons, avril 1874 », prend le titre d’« Art poétique » (sans article) à partir de 1881, dans un lettre à Léon Valade, puis dans ses publications successives en revue (Paris moderne, 1882) et en recueil (Jadis et naguère, section « Jadis », 1884).
2 Voir Benoît de Cornulier, Art Poëtique. Notions et problèmes de métrique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1995, § 2.7.1. Voir aussi, notamment, Steve Murphy, « Postface » de son édition critique de Paul Verlaine, Romances sans paroles, Paris, Champion, 2003, pp. 249-256 (« Le vers impair ») et pp. 266-270 (« Vers de 11 et de 9 syllabes »).
3 En 1911, répondant à une enquête de la revue Musica sur la quaestion : « Sous la musique, que faut-il mettre ? De beaux vers, de mauvais, des vers libres, de la prose », Debussy répond ironiquement par une question : « Et puis, en musique, dites-moi, à quoi ça sert, les vers ? À quoi ? » ((Musica, mars 1911, reproduit dans Claude Debussy, Monsieur Croche et autres écrits, éd. François Lesure, Paris, Gallimard, nouv. éd. rev. et augm., 1987, pp. 206-207).
4 Sans même parler de nombreuses références antiques et pour s’en tenir au domaine français, on indiquera que que le poète et théoricien de la poésie Eustache Deschamps oppose, dès la fin du XIVe siècle, la « musique naturelle » de la poésie à la « musique artificielle » des instruments. Sur le paradigme musical de la poésie, voir György M. Vajda, « Ut pictura poesis, ut musica poesis », Neohelicon, n° 22 (2), septembre 1995, pp. 269-295.
5 La majuscule d’« Impair » suggère un sens plus large que celui de seul vers impair, tandis que la minuscule de « musique » invite à entendre le mot au sens propre. (Les variantes indiquent que la majuscule surcharge une minuscule dans le manuscrit de Jadis et naguère et que la lettre à Léon Valade de 1881 est le seul texte où le mot commence par une minuscule. Le mot « musique » commence par une minuscule dans Jadis et naguère et par une majuscule uniquement dans le Paris moderne du 10 novembre 1882.)
6 Cf. les précisions chronologique de la note 1.
7 Parler d’impératif serait par trop kantien et trahirait l’esprit d’« Art poétique », même si le mode impératif fait effectivement partie des outils de la modalité injonctive utilisés ici par Verlaine.
8 Paul Verlaine, « Art poétique », vers 8. Sur la notion d’impressionnisme en musique, voir Michel Fleury, L’Impressionnisme et la musique, Paris, Fayard, 1996, rééd. 1999.
9 Curieusement, le mot « ennéasyllabe » n’est attesté ni par le Robert, ni par le Larousse, même dans leurs éditions les plus récentes. À notre connaissance, l’un des premiers à employer ce mot est Jean-Ambroise Ducondut, dans le « Manuel lyrique » de son Essai de rythmique française. introduction théorique, manuel lyrique et prélude, Paris, Lévy, 1856.
10 Ni les éditions successives du Dictionnaire de l’Académie française (de la première en 1694 à la sixième en 1932-5), ni ceux de Richelet (Dictionnaire françois, 1681), de Furetière (Dictionnaire universel, 1690), de Littré (1870) ou encore de Hatzfeld et Darmesteter (1890-3) ne mentionnent le sens poétique d’« impair ». Dans les dictionnaires de langue, celui-ci apparaît, semble-t-il, dans Le Robert (1951). Le Dictionnaire historique de la langue française, qui ne date pas précisément l’apparition de ce sens, se réfère à l’« Art poétique » de Verlaine.
11 Pierre de Ronsard, Abrégé de l’Art poétique français, in Francis Goyet (éd.), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, Paris, Librairie générale française, « Classiques de poche », 2001 [« Le livre de poche », 1990], pp. 441-443.
12 Sur l’histoire des débuts de cette règle qui fait partie des règles essentielles de la poésie française du XVIe à la fin du XIXe siècle, voir notamment Léon Émile Kastner, « L’alternance des rimes depuis Octavien de Saint-Gelais jusqu’à Ronsard », Revue des langues romanes, t. 47, pp. 336-347. L’historien du vers montre que l’alternance, encouragée par certains dès le Moyen Âge, a été pratiquée par quelques poètes dès la première moitié XVIe siècle, avant de l’être de façon systématique par Ronsard, qui en fait une règle essentielle, en l’associant à la musique, point sur lequel on reviendra plus bas.
13 Wilhelm Ténint, Prosodie de l’école moderne, 1844.
14 Louis Becq de Fouquières, Traité élémentaire de prosodie française, Paris, Delagrave, 1880. Sauf erreur, la notion n’apparaît pas dans le Traité général de versification française (Paris, Charpentier, 1879) du même Becq de Fouquières. De son côté, Louis Quicherat (Traité de versification française, 2e éd. rév. et augm., Paris, Hachette, 1850 ; 1ère éd. [1838 ?] introuvable) ne parle d’impair qu’à propos du nombre de vers dans une strophe ou une « stance » (comme le faisait déjà Richelet dans son Dictionnaire françois de 1681 (entrée « Stance »). En revanche, la notion proposée par Ténint est reprise en 1855 par Bernard Jullien dans Thèses de grammaire (Paris, Hachette, p. 304).
15 Maurice Grammont, Petit Traité de versification française, 1ère éd. 1908 (dern. rééd. Colin, coll. « U », 1989). La notion n’apparaît pas, en revanche, dans Le Vers français. Ses moyens d’expression, son harmonie, Paris, Champion, 1913.
16 Ce terme peut prêter à confusion en raison de son emploi différent en grammaire latine, à propos de la 3e déclinaison ; peut-être est-il préférable d’employer celui d’imparité, utilisé par Jean Mazaleyrat et Georges Molinier dans leur Dictionnaire de stylistique, Paris, PUF, 1989, entrée « Ennéasyllabe », p. 127.
17 Becq de Fouquières raffine en distinguant les « vers sans césure obligatoire » (ou petits vers de une à cinq syllabes), les « vers à césure mobile » (de six à huit syllabes) et les « vers à césure fixe » (de neuf à douze syllabes, ainsi que de treize à dix-sept syllabes). Il semble préférable de s’en tenir à une distinction duelle entre vers césurés et vers non césurés.
18 Louis Becq de Fouquières, Traité élémentaire de prosodie française, p. 61. De même, à propos du vers de sept syllabes, il indique : « Il appartient à la classe des vers impairs, et comme tel il est voué à l’instabilité : il n’a pas de centre rythmique naturel » (ibid., p. 64).
19 Louis Becq de Fouquières, Traité élémentaire de prosodie française, p. 61.
20 Wilhelm Ténint, Prosodie de l’école moderne, p. 47.
21 Castil-Blaze, Don Juan, ou Le Festin de Pierre, « opéra en quatre actes d’après Molière et le drame allemand [sic], paroles ajustées sur la musique de Mozart », Paris, Vente, 1821.
22 Wilhelm Ténint, Prosodie de l’école moderne, p. 47. La référence exclusive aux vers de cinq, sept et neuf syllabes est exagérée : on ne trouve, dans le Don Juan de Castil-Blaze, quasi aucun vers de neuf syllabes, tandis que les nombreux vers de sept et cinq syllabes sont associés notamment à des vers de huit, de dix, parfois de douze syllabes. Becq (1880) indique, de son côté, que la question des vers impairs concerne également les traductions musicales, qui posent des problèmes proches de ceux de la parodie.
23 L’historien du vers Georges Lote a indiqué que les vers de une syllabe, qui figuraient dans les traités médiévaux, disparaissent de ceux de la Renaissance (Georges Lote, Histoire du vers français, t. 5 : Le XVIe et le XVIIe siècles, « Le vers et les idées littéraires ; les jeux des mètres et des rimes », texte revu par Joëlle Gardes-Tamine et Lucien Victor, Aix-en-Provence, Université de Provence, 1990, p. 197). Ils réapparaîtront, au XVIIe siècle, dans les traités de Richelet (1671 [1666]) et de Phérotée de La Croix (1694) [voir ci-dessous], puis au XIXe siècle.
24 Mais on trouve des odes de Ronsard ou de Malherbe entièrement écrites en vers de sept syllabes ou heptasyllabes.
25 Notamment Thomas Sébillet, Art poétique français (1548), Jacques Peletier, Art poétique (1555) et Pierre de Ronsard, Abrégé de l’Art poétique français (1565), dans Francis Goyet (éd.), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance.
26 C’est l’expression retenue par Ronsard (Abrégé de l’Art poétique français, dans Francis Goyet (éd.), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, p. 442) ; auparavant, les « vers héroïques » étaient les décasyllabes ; pour D’Aubignac, dans La Pratique du théâtre (1657, livre III, ch. 10, « Des stances »), les « vers communs », dans la tragédie, seront les alexandrins.
27 Respectivement pour Ronsard et pour Sébillet ; l’évolution montre la perte de prestige de l’octosyllabe au profit du décasylabe et surtout de l’alexandrin (voir Georges Lote, Histoire du vers français, t. 5, pp. 199 et suiv.).
28 Thomas Sébillet, Art poétique français, dans Francis Goyet (éd.), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, p. 121.
29 Pierre de Ronsard, Abrégé de l’Art poétique français, dans Francis Goyet (éd.), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, p. 443.
30 « Si de fortune tu as composé  les deux premiers vers masculins, tu feras les deux autres foeminins, et paracheveras de mesme mesure le reste de ton Elegie ou chanson, afin que les musiciens les puissent plus facilement accorder. » (Ronsard, Abrégé de l’Art poétique français, dans Francis Goyet (éd.), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, pp. 433-434). Voir, sur cette question complexe, l’article très éclairant de François Mouret, « Art poétique et musication : de l’alternance des rimes », in À haute voix : diction et prononciation aux XVIe et XVIIe siècles, actes du colloque de Rennes (juin 1996), Paris, Klincksieck, 1998, pp. 103-117. Proposant une lecture critique de cette formule notamment, l’auteur y voit une « commodité » plus qu’une « nécessité » (article cité, pp. 110 et suiv.).
31 Ambroise de La Porte, « Advertissement au Lecteur », dans Pierre de Ronsard, Œuvres complètes, t. 4, Les Amours (1552), éd. crit. de Paul Laumonier, revue par Raymond Lebègue, Paris, Nizet, « Société des textes français modernes », 1982 [1932].
32 « Comedie en musique » signifie ici œuvre dramatique chantée de bout en bout, autrement dit opéra. Quoiqu’elle revendique le titre de « premiere comedie en musique », la Pastorale d’Issy (1659) de Pierre Perrin, mise en musique par Robert Cambert, est en réalité la deuxième, la première étant Le Triomphe de l’Amour, sur des bergers, & bergeres (1654 ou 1655), pastorale de Charles de Beys mise en musique par Michel de La Guerre. Quant aux Amours d’Apollon et de Daphné, pastorale D’Assoucy mise en musique par lui-même, en dépit de son sous-titre de « comedie en musique », ce n’est pas une œuvre chantée de bout en bout. Perrin a précédé Quinault qui, avec Lully, a donné ses lettres de noblesse au genre du théâtre lyrique, en particulier à la tragédie en musique (illustrée entre 1661 et 1666 par La Mort d’Adonis de Perrin et le compositeur Jean-Baptiste Boësset).
33 Pierre Perrin, « Lettre écrite à Monseigneur l’Archevêque de Turin » datée « De Paris, ce 30. Avril 1659 », in Œuvres de poésie, Paris, Etienne Loyson, 1661, pp. 273-290 (extrait cité pp. 287-288).
34 Pierre Perrin, Pomone, pastorale mise en musique par Robert Cambert, Paris, Ballard, 1671, « Avant-propos », p. 5.
35 Pierre Perrin, « Avant-propos » au Recueil de paroles de musique (1666), publié dans Louis Auld, The Lyric Art of Pierre Perrin, Founder of French Opera, Henryville, Ottawa et Binningen, Institute of Medieval Music, Institut de Musique Médiévale et Institut für mittelalterliche Musikforschung, t. 3, 1983.
36 Voir l’annexe ci-dessous.
37 Voir notamment Wilhelm Ténint, Prosodie de l’école moderne, pp. 47-49, Louis Quicherat, Traité de versification française, pp. 185-186 et 533-534, Louis Becq de Fouquières, Traité élémentaire de prosodie française, pp. 70-73, Clair Tisseur, Modestes observations sur l’art de versifier, pp. 116-122, Léon Émile Kastner, A History of French Versification, Oxford, Clarendon Press, 1903, pp. 103-104 et 155-156, Wilhelm Theodor Elwert, Traité de versification française des origines à nos jours, Paris, Klincksieck, 1965, § 163, pp. 124-125 et, tout récemment, Jean-Michel Gouvard, La Versification, Paris, PUF, « Premier cycle », 1999, pp. 140-145.
38 Cette nuance est introduite pour les cas de parodie musicale, qui, comme on l’a vu, ne sont pas des mises en musique, mais des mises en mots à partir d’une musique donnée.
39 « Brune Vesper… » de Ronsard, dans le Quatrième Livre des Odes.
40 Différents traités vont répétant, se recopiant probablement les uns les autres, que Banville a fait usage du vers de 9 syllabe et qu’il est l’introducteur de la césure asymétrique mineure 5-4 ; Kastner va même jusqu’à renvoyer au recueil des Cariatides (1839-1842). En réalité, ce mètre occupe une place à la fois marginale et singulière chez Banville, qui ne l’utilise, à ma connaissance, dans aucun de ses recueils, mais seulement dans un poème composé ad hoc à la toute dernière page de son Petit Traité de poésie française (Paris, Le Claire, « L’Écho de la Sorbonne », 1872, rééd. Plan-de-La-Tour, « Les Introuvables », 1978). Alors qu’il n’avait, dans son chapitre I, admis que le 3-3-3, donnant l’exemple du Prophète de Scribe, il exprime in fine un curieux repentir : « […] je viens de m’apercevoir à ce même instant qu’on peut faire un excellent vers de neuf syllabes, avec une seule césure après la cinquième syllabe ! comme en voici l’exemple qui eût gagné à être mis en œuvre par un ouvrier plus habile que je ne le suis. » (p. 276). L’incipit de ce poème est le suivant : « En proie à l’enfer – plein de fureur » [scansion de Banville]. Curieusement, ce poème n’a, sauf erreur, pas été repris par Peter J. Edwards et Peter S. Hambly dans l’édition critique, publiée sous la direction du premier, des Œuvres poétiques complètes de Banville, dont le tome VIII est notamment consacré aux « Poèmes non recueillis et inédits ». Il n’apapraît pas davantage, logiquement, dans la base électronique interactive dûs à ces derniers (http://www.mta.ca/banville/index.html ). Il en va de même du poème en hendécasyllabes (vers de 11 syllabes) commençant par « Les Sylphes légers – s’en vont dans la nuit brune » (scansion 5-6 de Banville), cité dans le ch. I du Petit Traité. En revanche, le poème en vers de 13 syllabes (« Le chant de l’Orgie – avec ses cris au loin proclame… », scansion 5-8 de Banville), qui figure également au ch. I du Petit Traité, est paru en 1846 dans Les Stalactites, deuxième recueil du poète.
41 Dans ses « Observations rhythmiques [sic] » manuscrites adressées à Scribe, Meyerbeer recommande au parolier des paroles rythmées régulièrement, y compris 3-3-3 : « Tous les rhythmes [sic] sont bons, si les repos intérieurs sont réguliers. Pour que les repos soient bien réguliers, il faut non seulement que le repos tombe dans le second vers après le même nombre de sillabes [sic] qu’au premier vers, mais il faut aussi que la sillabe de la désinence soit longue si elle a été longue au premier vers, ou brève, si elle a été brève au premier vers » (Giacomo Meyerbeer, « Observations rhythmiques », in Papiers de Eug. Scribe, n°25 : « Opéras. Ballets. IV », IIIe série : « Opéras. Ballets » « lettre de Meyerbeer »,, feuillets 38 et 39 [N.a.fr. 22504]. Plus loin, le compositeur indique : « Vers de 9 ; le repos après la 3e et 6e sillabe longue : bon pour des stressta [sic] & agitato », citant en exemple : L’insensé / croit dompter / la puissance// lui ravit / le repos / l’espérance.// Rien ne peut / egaler / sa souffrance// et le Ciel / or [sic] te rend / au malheur. » Cette citation est extraite, avec variante pour le dernier vers, du Siège de Corinthe (1826), tragédie lyrique en trois actes d’Alexandre Soumet, musique de Rossini (acte I, sc. 9).
42 Clair Tisseur cite même une chanson anonyme du 16e siècle, précisément de 1571, Modestes observations sur l’art de versifier, p. 118.
43 Celui-ci a cependant utilisé les premiers dans le 4e livre de ses Odes, comme on l’a indiqué ci-dessus.
44 Pour Sébillet comme pour Peletier, il y a en français neuf sortes de vers, de deux à douze syllabes à l’exception des vers de neuf et de onze, dont des vers de sept, de cinq et de trois syllabes ; leur nombre passe à six pour Lancelot, qui refuse de voir des vers dans les groupes de moins de six syllabes comme dans ceux de neuf ou de onze, tout en précisant qu’il parle là de la « poésie ordinaire » (non des chansons).
45 Pierre de Deimier, L'Académie de l'art poétique, où par amples raisons, démonstrations, nouvelles recherches, examinations et authoritez d'exemples sont vivement esclaircis et deduicts les moyens par où l'on peut parvenir à la vraye et parfaicte connoissance de la poésie françoise, Paris, J. de Bordeaulx, 1610.
46 Pierre de Deimier, L'Académie de l'art poétique…, Paris, J. de Bordeaulx, 1610, p. 27. Cet argument intéressant ne sera, à notre connaissance, pas repris après lui.
47 Pierre Richelet, La Versification Françoise, ou L’Art de bien faire et de bien tourner les vers, Paris, Estienne Loyson, 1671 (mais privilège de 1666). Consultable sur bnf.fr, cote NUMM-50929), rééd. 1672, réimpr. (fac-sim. de la 2e éd.) Genève, Slatkine, 1972.
48 Pierre Richelet, La Versification Françoise…, pp. 77-79.
49 La parodie musicale n’a pas de Sur cette question, voir notamment Herbert Schneider, « Canevas als Terminus der lyrischen Dichtung“, Archiv für Musikwissenschaft, n°42/2, 1985, pp. 87-101.
50 Louis de Mollier (1615-1688), en dépit des flottements orthographiques de son nom, ne doit pas être confondu pas avec Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.
51 Pierre Richelet, La Versification Françoise..., Paris, Estienne Loyson, 1671, pp. 81-82.
52 Voir aussi, sur l’explication des vers de 9 et de 11 syllabes par la parodie musicale, A. Phérotée de La Croix, L’Art de la Poësie Françoise et Latine…, Lyon, Amaulry, 2e éd. 1694, réimpr. Genève, Slatkine, 1973, pp. 327 et suiv. La première édition (1675) ne mentionnait pas cette question ; Phérotée de La Croix démarque (c’est-à-dire reprend) visiblement Richelet.
53 François de Malherbe, Poésies, éd. Antoine Adam, Paris, Gallimard, « Poésie », pp. 139-140.
54 Jean-Michel Gouvard, si rigoureux, mentionne le phénomène (sans le nommer), mais à faux : il l’applique à l’ode de Ronsard, dont on n’a aucune raison de penser qu’elle ait été parodiée sur un air déjà fait ; tandis qu’il en fait abstraction pour la chanson de Malherbe ou pour les exemples tirés de Molière ((La Versfication, PUF, « Premier cycle », 1999, p. 145).
55 Philippe Beaussant a montré que la brouille de Molière et de Lully était plus la conséquence que la cause de l’opposition de Molière au nouveau genre (« Molière et l’opéra », Europe, nov.-déc. 1972, pp. 155-168, cité par Charles Mazouer, Molière et ses comédies-ballets, nouv éd. revue et augm, Paris, Champion, 2006, p 127.
56 Wilhelm Ténint, Prosodie de l’école moderne, p. 47.
57 Wilhelm Ténint, Prosodie de l’école moderne, p. 48.
58 Il faut ici entendre notamment les traités cités, de Ténint, de Quicherat et de Becq de Fouquières.
59 Jean-Michel Gouvard, La Versification, pp. 143-145 ; italiques siennes. Les exemples qu’utilise Gouvard montrent que celui-ci s’inspire essentiellement des Modestes observations sur l’art de versifier de Clair Tisseur (1893) : le fait que celui-ci soit réduit à citer un exemple composé ad hoc de poème ennéasyllabique sur le mètre 3-3-3 lui apparaît comme un argument en faveur de l’inexistence de fait de ce mètre.
60 Jean-Michel Gouvard, La Versification, p. 143.
61 Cette lettre est partiellement reproduite dans Paul Verlaine, Œuvres poétiques complètes, éd. d’Yves-Gérard Le Dantec (1938), et reprise dans la rééd. révisée et complétée par Jacques Borel (1962).
62 André Van Hasselt, Poèmes, paraboles et études rhythmiques, Bruxelles, Office de publicité et Paris, Goubaud, 1862 et Les Quatre incarnations du Christ, poème, suivi de soixante-sept nouvelles études rythmiques, Bruxelles, Office de publicité, 1867
63 Par exemple, « Fleur de mystère », 4e des études rhythmiques, daté de juin 1858, formé de cinq quatrains d’ennéasyllabes (9+.9.9+.9), sur le modèle anapestique : uu-uu-uu-(u). Ou encore le dernier poème du recueil, « L’Art », de novembre 1862 (pp. 278-279).
64 Dans une autre division de ce recueil, on trouvera une nouvelle suite de compositions rhythmiques d’après des formules musicales. Plus que jamais convaincu, – et encouragé, d’ailleurs, dans cette conviction par un homme aussi compétent que M. Fétis, le savant directeur de notre Conservatoire royal de musique, – convaincu, disons-nous, de l’impérieuse nécessité d’une réforme radicale dans le vers lyrique, c’est-à-dire dans le vers destiné à être chanté, l’auteur a continué ses études sur cette partie de l’art, si négligée encore, mais depuis si longtemps recommandée à l’attention des poëtes par les hommes qui ne comprennent pas l’accentuation musicale sans l’accentuation correspondante de la parole. Parmi ces hommes se distingua un des premiers l’auguste père de l’empereur actuel des Français. Une foule de travaux postérieurs, notamment ceux de l’abbé Scoppa, de Paul Ackermann, de M. Lurin, de M. Ducondut, de M. Boscaven et de Castil-Blaze, ont posé nettement la question et l’ont discutée, mais sans la résoudre d’une manière complète. L’auteur de ce volume y réussira-t-il mieux ? Il l’ignore. Mais, à l’inverse du procédé suivi par ses devanciers, il a voulu commencer par la pratique du vers lyrique ; et c’est seulement, après avoir établi toutes les formules et toutes les combinaisons dont le vers est susceptible d’après l’emploi et la disposition de ses articulations élémentaires, qu’il pourra produire un essai de théorie », op. cit., « Préface » (datée de « Bruxelles, le 16 déc. 1862 »), pp. 3-4.
65 Van Hasselt est d’ailleurs l’auteur, avec Jean-Baptiste Rongé, de traductions d’opéras, en particulier du Fidelio de Beethoven (Paris, Litolff, s. d.). Ce même Rongé développe, dans un article, les théories métriques de Van Hasselt (Jean-Baptiste Rongé, « De la poésie lyrique », Revue et Gazette musicale de Paris, n°24, 14 juin 1863, pp. 188-189).
66 Même si l’on peut trouver ici ou là, chez Quinault, comme d’ailleurs chez Molière, des suites périodiques, voire, exceptionnellement, des suites de vers à scansion interne régulière, correspondant à des airs de divertissement ou « airs de mouvement », sur le modèle de la chanson, cette régularité demeure exceptionnelle et souvent partielle. Ténint donne ainsi un exemple de Quinault extrait de Thésée (Prosodie de l’école moderne, pp. 47-48) ; Tisseur, un exemple de Molière extrait de La Pastorale comique (Modestes observations sur l’art de versifier, p. 122).
67 François-Jean de Chastellux, Essai sur l’union de la Poësie et de la Musique, La Haye et Paris, Merlin, 1765.
68 Nicolas-Etienne Framery, Avis aux poëtes lyriques, ou la nécessité du rhythme et de la césure dans les hymnes ou odes destinées à la musique, Paris, Imprimerie de la République, Brumaire, an IV [oct.-nov. 1795].
69 Voir de Jean-Michel Gouvard, « Le vers français : de la syllabe à l’accent », Poétique, n°106, avril 1996, pp. 223-247.
70 Antonio Scoppa (abbé), Traité de la poésie italienne, rapportée à la poésie française « dans lequel on fait voir la parfaite analogie entre ces deux langues, et leur versification très-ressemblante : on y découvre la source de l’harmonie des vers français, qui est l’accent prosodique ; et la langue française y est garantie de toutes les imputations injustes, faites par J.-J. Rousseau, dans sa lettre sur la Musique », Paris, Vve Devaux, Sallior et Renouard, 1803, pp. 61-62, §§ 65-66. De trois decasillabi italiens, indépendants l’un de l’autre : « Dalla razza d’une uome fidele », « La ragione s’oscura all’istante » et « Del cannon risuono accent grave lo spavento », il donne les traductions françaises suivantes, en précisant, par des chiffres suscrits, une scansion 3-6-9 (ou 3-3-3) : « De la race d’un homme fidèle », « La raison s’obscurcit à l’instant » et « Du canon retentit la frayeur, etc. ». (p. 62, § 66). Voir aussi Les Vrais Principes de la versification développés par un examen comparatif entre la langue italienne et la française […], 3 vol., Paris, Courcier, 1811-1814, notamment t. 1, pp. 367 et suiv. (§ 389 et suiv.) et t. 2, pp. 226 et suiv. (§ 826).
71 Le Secret, opéra-comique en un acte mis en musique par Soulié, Opéra-Comique, salle Favart, 21 avril 1796. La romance, qui commence par « Je te perds, fugitive espérance… », maintient tout du long la scansion 3-3-3.
72 Ce terme, que nous avons retenu pour désigner des vers à structure interne périodique, est traditionnellement utilisé pour désigner
73 Cette expression, prodiguée par Castil-Blaze pour déigner tous les vers successifs ne présentant pas la même structure métrique interne, avait déjà été employée en ce sens par Scoppa, dans Les Vrais Principes de la versification, t. 1, p. 342.
74 Castil-Blaze, L’Art des vers lyriques, Paris, chez l’auteur, 1857, p. 35.
75 Castil-Blaze, L’Art des vers lyriques, p. 35.
76 Ibid., p. 228.
77 Jean-Ambroise Ducondut, Essai de rythmique française. introduction théorique, manuel lyrique et prélude, Paris, Lévy, 1856, en particulier les exemples concernés du « Manuel lyrique », pp. 93 et suiv.
78 Voici, à titre d’exemple, la première strophe d’un poème de Ducondut composé sur une suite de trimètres anapestiques (uu– uu– uu–), auxquels correspondent des ennéasyllabes masculins de mètre régulier 3.3.3 (op. cit., section « Manuel lyrique », p. 98) : « On ne cueille en été la moisson, / Qu’en semant dans la bonne saison. / Cultivez, mes enfants, votre esprit, / L’âge mûr en aura le profit ; / Qui, tout jeune, utilise son temps, / Change en fruits chaque fleur du Printemps. »
79 Marc Monnier, « Valse à trois temps » dans la section « Musiques » de ses Poésies (2e éd. 1878 ; dans la 1ère éd. de 1872, le titre était « Valse »). On remarque, dans la section « Musiques » uniquement, une disposition typographique originale des vers comme en stichomythie : 9.(6.3).9.(6.3) : « C’est par vous, chère enfant aux doux yeux,/ Que mon âme en tous lieux/ Est suivie. / C’est de vous, au moment du réveil, / Que me vient le soleil / Et la vie. »
80 Jean Richepin utilise, à notre connaissance, les vers de 9 syllabes à huit reprises, dont sept en monométrie, et selon des scansions variées : sans césure fixe, 5-4, 3-3-3, mais aussi 6-3, mètre qu’il est, à ma connaissance, le premier et le seul à utiliser (dans « Le Bateau noir », Les Caresses, section « Brumire », n°XXXIII, Paris, Dreyfus, 1877, pp. 212-213).
81 Dans « La Musique » (La Maison de l’Enfance, 9e section, « Musique », Paris, Calmann Lévy, 1897, p. 145-147) ; dans « Berceuse » (ibid., 2e section, « Pleurs », pp. 47-49), il a recours à la scansion 5-4, inventée à titre expérimental par Banville dans son Petit Traité de poésie française (1872) et repris par Jean Richepin.
82 Certes, « Art poétique » ne saurait être considéré comme un poème didactique au même titre que L’Art poétique de Boileau, dont il prend sur plusieurs point le contrepied. Mais il serait égalemenbt dommageable de faire inversement abstraction de toute visée didactique ; celle-ci s’est trouvée renforcée par sa réception auprès des Symbolistes des décennies 1880 et 1890.
83 Voir le vers « Et la tigresse épouvantable d’Hyrcanie » (Fêtes galantes, « Dans la grotte », v. 3), dont le caractère novateur est relevé par Rimbaud dans sa lettre à Georges Izambard du 25 août 1870 (citée par Olivier dans son édition des Fêtes galantes, Librairie générale française, « Le livre de poche classique », 2000, p. 74).
84 Voir Louis Becq de Fouquières, Traité général de versification française, ch. 9, pp. 181-200.
85 En 1730, dans La Tragédie en prose, en pleine querelle du vers ou de la prose au théâtre, le divertissement final consacre parodiquement le « Triomphe de la prose ». Si Rameau se vante, dès 1760, de pouvoir mettre en musique jusqu’à La Gazette de Hollande,  La Borde met en effet en musique, à la même époque, le texte du Privilège du Roy, tandis que Stanislas Champein compose avec Électre, en 1813, le premier opéra sur un texte en prose, non representé, tout comme le George Dandin de Gounod, composé en 1874-5 sur le texte de Molière. Messidor, drame lyrique naturaliste, déclenche une violente polémique entre Zola et Louis de Fourcaud, critique musical au Gaulois, notamment sur la question de la prose en musique.
86 Stéphane Mallarmé, « Sur l’évolution littéraire », réponse à l’enquête de Jules Huret, L’Écho de Paris, 14 mars 1891, Paris, Charpentier, 1891, rééd. dans Stéphane Mallarmé, Igitur. Divagations. Un coup de dés, Gallimard, coll. « Poésie », 1976, p. 390. De façon plus radicale, Mallarmé remet en cause, dans ce texte, le partage traditionnel entre vers et prose, au profit d’une extension du domaine du vers à l’ensemble de la « littérature » et d’un rétrécissement de celui de la prose, réduite au domaine prosaïque de « l’universel reportage » : « Le vers est partout dans la langue où il y a rythme, partout, excepté dans les affiches et à la quatrième page des journaux. Dans le genre appelé prose, il y a des vers, quelquefois admirables, de tous rythmes. Mais, en vérité, il n'y a pas de prose : il y a l'alphabet, et puis des vers plus ou moins serrés, plus ou moins diffus. Toutes les fois qu'il y a effort au style, il y a versification. » (ibid., p. 389).
87 Dans « Crise de vers », publié en 1897 et reprenant partiellement plusieurs textes antérieurs, Mallarmé définit la poésie comme « l’art d’achever la tranposition, au Livre, de la symphonie ou uniment de reprendre notre bien » (Stéphane Mallarmé, Poésies et autres textes, éd. de Jean-Luc Steinmetz, Paris, Librairie générale française, « Le livre de poche classique », 2005, p. 359). Cette dernière formule définit selon Paul Valéry le mouvement symboliste : « Ce qui fut baptisé : le Symbolisme se résume très simplement dans l’intention commune à plusieurs familles de poètes (d’ailleurs ennemies entre elles) de reprendre à la musique leur bien » (« Préface » à La Connaissance de la Déesse de Lucien Fabre, repris dans Paul Valéry, Variété I, Gallimard, « Idées », p. 87).
88 Édouard  Dujardin, Les Premiers poètes du vers libre, Paris, Mercure de France, 1922, p. 63.
89 Edouard Dujardin, Le Monologue intérieur, in Les Lauriers sont coupés, suivi de : Le Monologue intérieur, éd. Carmen Licari, Rome, Bulzoni, 1977, p. 226 (édition originale : Le Monologue intérieur. Son apparition, ses origines, sa place dans l’œuvre de James Joyce, Paris, Albert Messein, 1931).
90 Albert Mockel, lettre à Édouard Dujardin du 2 septembre 1920, citée par ce dernier dans Les Premiers poètes du vers libre, p. 61.
91 Ainsi, par exemple, les Petits Poèmes d’automne (Paris, Vanier, 1895) de Stuart Merrill comptent douze poèmes en ennéasyllabes sur vingt-sept, soit près de la moitié, le plus souvent sans césure fixe, mais aussi de formes 5-4 ou 3-6.

Annexes

Exemples d’emploi de vers de 9 syllabes

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Pour citer cet article

Michel Gribenski, « Vers impairs, ennéasyllabe et musique : variations sur un air (mé)connu. », paru dans Loxias, Loxias 19, mis en ligne le 06 décembre 2007, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=1988.


Auteurs

Michel Gribenski

Michel Gribenski, ATER en littérature comparée à l’Université de Nice, est doctorant à l’Université Paris IV Sorbonne. Sa thèse de doctorat, dirigée par Jean-Louis Backès, porte sur « La question de la prose dans l’opéra français, au regard des opéras italien et allemand, de ses débuts à l’aube du XXe siècle (1659-1902) ». Dernières publications : « “Chanter comme des personnes naturelles”. Apocope de l’e caduc et synérèse chez Debussy et quelques-uns de ses contemporains », Cahiers Debussy, n°31, 2007, pp. 5-57. A paraître (chez Klincksieck) : « La question des vers et de la prose dans le livret d’opéra français du tournant des XIXe et XXe siècles, au miroir des débats de la seconde moitié du XVIIIe siècle », Actes des Quatrièmes Rencontres interartistiques de l’Observatoire musical français (OMF), Université Paris IV, 18-20 mars 2007.