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Sébastien Paré  : 

Les avatars du Littéraire chez Jean Lorrain

Résumé

A travers les nombreuses représentations que propose Jean Lorrain du monde des lettres à la Belle Epoque, l’article interroge leurs rapports ambigus. L’étude des critiques parus dans les quotidiens de l’époque, l’analyse de l’œuvre fictionnelle, mais aussi divers épitextes mettent au jour les tensions paradoxales qui travaillent l’écriture lorrainienne. Outre une évocation particulièrement haute en couleur de ses contemporains, le foisonnement des mises en abyme et des doublons romanesques permet d’une part de dessiner certains principes esthétiques, mais aussi d’élaborer une image romanesque de lui-même.

Index

Mots-clés : correspondance , décadence, fin de siècle, Jean Lorrain, mise en abyme, Montesquiou, Proust

Texte intégral

Jean Lorrain (1854-1906), chantre de la décadence grâce à Monsieur de Phocas, jouit désormais d’une renommée grandissante et suscite de nombreuses études sur l’originalité de son œuvre littéraire, tout autant que sur l’impact de ses écrits critiques publiés dans les plus grands journaux de l’époque. S’il n’est guère niable que Jean Lorrain fut l’observateur particulièrement perspicace de ses contemporains, il reste également au cœur des polémiques les plus subversives, et ses « pall-mall » occasionnaient moult débats chez les lecteurs de son temps. S’ensuit ainsi la question des rapports qu’entretient Lorrain avec l’actualité littéraire de la Belle Epoque d’une part, ainsi que celle de l’articulation entre le travail journalistique et l’ambition de l’œuvre fictionnelle qu’il ambitionne de créer. Le « fanfaron des vices », comme il aimait se désigner, propose également une vision du monde littéraire qu’il fréquente, non seulement dans ses écrits critiques, mais aussi dans l’œuvre fictionnelle. Tel écrivain se reconnaît sous tel portrait, plus ou moins masqué et outrancier, dont Lorrain est coutumier dans ses romans à clef. L’interférence des prétentions littéraires, et les exigences des pages à donner aux journaux mérite l’intérêt car elle pose la question du positionnement original d’un écrivain par rapport à ses pairs, qu’il côtoie, critique ou caricature. Enfin, Lorrain met en scène l’entreprise littéraire grâce aux nombreuses mises en abyme de sa propre activité créatrice. Que ce soit Bougrelon, Phocas ou Noronsoff, les doubles romanesques de Lorrain abondent, et tout se passe comme s’il entendait ainsi construire sa propre légende littéraire, aidé en cela par l’entregent que lui vaut sa notoriété de journaliste. Outre l’élaboration romanesque d’une certaine image de lui-même, Lorrain recourt encore aux éléments périphériques, paratextuels (couverture), épitextuels (correspondances), pour entretenir la confusion entre l’auteur et ses héros. A travers ces multiples représentations du littéraire, en tant que critique, en tant que romancier mettant en scène les pratiques de ses contemporains, ou encore construisant, de manière réflexive, une certaine image de lui-même, sourdent certains enjeux et prises de position esthétiques que l’entrelacs et les tensions entre les différents textes de Lorrain mettent au jour.

A bien des égards, Jean Lorrain est un témoin privilégié du paysage littéraire de son époque. Cette personnalité haute en couleur, particulièrement en vue dans le Paris 1900, commença à occuper le devant de la scène grâce à la multitude des articles qu’il fit paraître dans les plus grands journaux de sa génération. En soi, l’intérêt de ces multiples écrits mériteraient une analyse exhaustive, que les limites de notre étude, autant que l’éparpillement des textes de Lorrain, rendent difficilement réalisables ici. Une représentation cohérente du milieu littéraire fin de siècle transparaît néanmoins au travers des articles critiques de Jean Lorrain, d’autant plus que les récentes publications1 de sa correspondance, ainsi que sa récente biographie2, mettent au jour le véritable travail de l’écrivain, en prise avec ses difficultés, ses enjeux, ses inimitiés, ses inéluctables prises de position. Il faut dire que Jean Lorrain était renommé pour l’acuité de ses jugements de valeur, et la virulence des charges avec laquelle il s’attaquait aux « gendelettres » et autres littérateurs. Les plumitifs qui ne trouvaient pas grâce à ses yeux étaient bien vite « éreintés » pour reprendre une expression qui lui était chère. On attendait ses « pall-mall », tout autant qu’on redoutait d’en être la cible. Sous les pseudonymes les plus divers, Mimosa, Arlequine, Bruscambille, Stendhalette, La Botte, Francine, Raitif… Jean Lorrain joue de tous les travestissements pour se poser en arbitre des prétentions artistiques de son temps. Bien vite, il s’en prend à « cette vieille blonde » de Catulle Mendès, à Mallarmé, « ce roi pétaud de l’amphigouri », ou encore à Edmond Rostand, comme en témoigne sa chronique « Joie de Paris », publiée le 19 octobre 1901 dans Le Journal. « Piètre styliste, poète pitoyable, truqueur habile et réclamier de première force, M. Edmond Rostand n’en restera pas moins le grand favori de Mme Sarah Bernhardt et le grand homme de Cabotinville. Tous les comédiens l’adorent : il est des leurs par toutes les qualités mêmes qui nous le rendent odieux3 ».

Les deux accusations à savoir le maniérisme stylistique, et le recours aux réclames les plus outrancières pour placer ses œuvres, sont celles qui reviennent le plus souvent sous sa plume noire. Distillant d’acides gouttes d’ironie, il arrive à Jean Lorrain d’aller jusqu’à pasticher le style de tel ou tel des ses congénères pour mieux en montrer le ridicule. Dans L’Echo de Paris daté du 1er octobre 1892, c’est au tour d’André Theuriet, surnommé « Monsieur Chèvre-feuille », de recevoir les foudres de Lorrain, particulièrement prompt à fustiger son inspiration champêtre, héritée de George Sand :

Dans un style de conservateur des eaux et forêts, écrit-il, en homme pénétré par son sujet et sûr de ses paysages, il s’applique à décrire tour à tour des âmes de coccinelles et de violettes des bois ; encore un peu, ce serait un bas-bleu, tant ses romans sont enguirlandés de viornes… 

Il va de soi que l’acharnement, parfois féroce, avec lequel Jean Lorrain éreinte ses compatriotes a des répercussions directes sur la diffusion et la fortune des livres attaqués. L’on se souvient, en ce sens, du duel qui l’opposa à Proust4. Il adopte alors une posture apparemment inconfortable, puisqu’il est à la fois l’instigateur de cette querelle littéraire, mais qu’il s’en fait également le rapporteur privilégié. Car ce sont bien les articles venimeux contre Les Plaisirs et les Jours qui lui valent de se battre en duel contre Marcel Proust le 7 février 1897. Quelques jours auparavant, Lorrain avait ainsi entrepris, sous le pseudonyme de Raitif de la Bretonne, le travail de sape dont il est coutumier, à l’encontre de « l’amateurisme des gens du monde ». « On trouve aussi, dans ces Plaisirs et ces Jours, un chapitre intitulé : Mélancolique villégiature de Mme de Bresve, grève, rêve, oh ! la douceur parisienne de ce Bresve ! et trois héroïnes s’y ornent des noms charmants d’Helmonde, Aldegise et Hercole [sic], et ce sont trois Parisiennes du pur, du noble faubourg5». Lorrain n’en était d’ailleurs pas à sa première charge contre Proust, dont il avait déjà fustigé les manigances pour s’octroyer de belles réclames. Anatole France est ainsi « bien coupable » de fournir « des préfaces complaisantes à de jolis petits jeunes gens du monde en mal de littérature et de succès de salons ». « Nous devons à M. Anatole France ce succédané de M. Fezensac6 jusqu’alors unique en son genre ; le jeune et charmant Proust. Proust et Brou !7 ».  Malgré les rancœurs, légitimes, l’attitude de Proust à l’égard de Lorrain ne manque pas d’ambiguïtés, mêlant répulsion et fascination. Ainsi Proust s’inspirera, dans une large mesure, de la personnalité de Lorrain – ou pour le moins de l’aura légendaire qui l’entoure – pour créer le personnage de Charlus dans A la Recherche du temps perdu.

Les anecdotes abondent et pourraient être longuement développées ici. Il appert avant tout que de son activité  journalistique de critique paraît bien difficilement conciliable avec sa propre sérénité d’artiste, l’obligeant à tenir des propos quelque peu schizophréniques – ce dont le brouillage ostentatoire des différentes identités auctoriales, par la multiplication des pseudonymes, rend assez bien compte. Ainsi, Lorrain remet en cause l’entreprise critique, à laquelle paradoxalement il se livre, et qui constitue la majeure partie de ses ressources : « c’est loin des larves de la critique, confie-t-il à Jules Bois, des emprises des premières et des vampires en rupture de cimetière romantique qui tel XXX (ne le nommons pas) s’obstine [sic] à trouver du génie à Rostand8 ». Un autre courrier, adressé à Louis Vauxcelles met en exergue les travers de toutes activités critiques :

Tout ce que je lis, écrit-il, de mes confrères interviewés, me semble un tissu de prétentieuses niaiseries et de petites chinoiseries de mondains sans intérêt, hors des intéressés : tous s’y piédestalisent avec une modestie expressément feinte ou y dénigrent férocement les autres, selon leur facile ou pénible digestion, mais pareils en cela aux grues arrivées, les écrivains roublards ne se donnent pas pour rien, voilà pourquoi le mariage national [sic.] d’un homme de lettres m’a toujours semblé celui avec une fille… plus ou moins de théâtre9.

Voilà l’écriture lorrainienne tiraillée, juge et partie, dénonçant des pratiques auxquelles elle participe. De fait, les contradictions qui sont à l’œuvre dans la démarche de Jean Lorrain ne peuvent lui échapper : « les écrivains, lance-t-il, sont des hystériques littéraires10 ». Pour autant ces tensions qui innervent tous ses écrits n’empêchent pas de mettre au jour un certain nombre de principes esthétiques tangents. Refusé à l’Académie, écarté au Goncourt, Jean Lorrain proclame à moult reprises son mépris des institutions hypocrites, ainsi que son dégoût, des récompenses factices. Répondant à l’enquête lancée en novembre 1898 par Georges Maurevert dans le journal La Volonté, Jean Lorrain y désigne ses écrivains vivants préférés – à savoir Loti, Barrès et France –, avant de se livrer à une attaque en règle contre les « distributions de prix, les lauréats d’académie et des concours agricoles. Le prince des prosateurs ou des poètes, me fait toujours un peu l’effet d’un veau primé ; et l’humiliation du pauvre couronné me fait peine. Il a comme un air bon à tuer. Les littérateurs irritabile genus traduisez race d’envieux, sont toujours prêts à honorer de leur vote un pauvre vieux, honnête et peu lu, que l’ignorance du public a laissé au cinquième. La clique se venge ainsi des confrères parvenus11 ». De fait, son roman Maison pour dames livrera une attaque en règle des prétentions ridicules et des enjeux viciés du monde des concours littéraires : Emma Farnier, lauréate d’un concours de poésie organisé par la revue Le Laurier, découvre « le mécanisme du traquenard tendu journellement ici […] Ah ! Paris, la lâcheté, l’ignominie, la bassesse et le venin des lettres datées de Paris12 ». Un même réseau métaphorique court de La Ville empoisonnée, lieu de toutes les jalousies et de toutes les rancœurs littéraires, au Poison de la littérature qui dresse un tableau particulièrement désenchanté du Paris artistique fin de siècle.

Rien ne trouve grâce à ses yeux, toutes les difficultés et les compromissions de l’entreprise littéraire fin de siècle se trouvent stigmatisées par la plume lorrainienne. A Maurice Barrès, il écrit, à propos de son éditeur Ollendorff : « Cet Ollendorf [sic.] est fol, il ne m’a adressé qu’épreuves […] que d’ennuis je vous donne, mais les éditeurs !! »13. Lorsque les reproches s’éloignent des éditeurs, c’est pour mieux se porter sur les imprimeurs. Il s’en plaint le 23 mai 1894 au même Barrès : « il m’a fallu huit jours d’attente pour rassembler en épreuves un à peu près du volume […] Ces imprimeurs sont si décousus !14 ».

A tous les niveaux de l’entreprise d’écriture, Jean Lorrain se place en témoin privilégié de « tout le tissu de l’histoire littéraire du temps15 ». Figure centrale et paradoxale, le critique occupe ainsi une position tout aussi privilégiée qu’instable, tiraillée entre l’éreintement auquel il se livre contre certains de ses pairs, et la dénonciation des réseaux journalistiques dont il fait partie. Cette démarche tensionnelle trouve une expression plus aporétique encore lorsque Jean Lorrain entend s’essayer à la création fictionnelle.

Les représentations du littéraire auxquelles se livre Jean Lorrain dans son œuvre fictionnelle s’écrivent sous le double régime du travestissement et de l’exagération. Le ton, burlesque ou grotesque, est résolument ludique. Quand bien même Jean Lorrain se laisse aller à la critique, plus ou moins transparente, de tel ou tel écrivain, de telle ou telle instance littéraire, il ne se départ jamais du souci de livrer à son lectorat un texte parfois acerbe, mais toujours plaisant. Par le biais du travestissement, l’écriture lorrainienne avance donc masquée, en privilégiant la forme des romans à clef. A vrai dire, il n’y a guère là de raison d’être surpris, car il est acquis que l’esthétique fin de siècle – dont Jean Lorrain passe pour être particulièrement révélateur – affiche une nette prédilection pour toutes les formes de mises en abyme. De fait, « par un effet spéculaire, le roman de la décadence représentait volontiers le monde de la vie artiste ou de l’activité littéraire […]. Dès lors, le récit se met à en contenir un autre. Cette irruption du texte dans le texte a pour effet que le roman se dédouble et commence à vivre d’une vie seconde16 ».

De façon assez remarquable l’attention que Lorrain prête à l’univers littéraire de son temps se déploie à tous les niveaux de l’activité créatrice d’une part, mais s’étend également à tous ces domaines, quelque soit l’appartenance générique ou la valeur artistique octroyée.

Des affres de la page blanche aux complications éditoriales, nulle étape de la création n’échappe au texte lorrainien. La difficulté de placer son texte, les tractations pour faire sa réclame, ou encore la pénibilité de transiger avec les éditeurs : les mêmes préoccupations du journaliste envahissent le champ fictionnel, sur un monde plus ironique certes, mais avec tout autant d’insistance. De la même manière, les personnages lorrainiens écrivent dans tous les domaines, avec plus ou moins de bonheur. Outre le journal du duc de Fréneuse (Monsieur de Phocas), on trouve également des pages de poésie d’Emma Farnier (Maison pour dames), ou encore des pièces de théâtre de Nérac (Le Tréteau). De manière assez révélatrice, c’est cette dernière forme d’écriture qui se trouve la plus dénigrée dans l’œuvre, cette même activité qui causa tant de difficultés à Lorrain, dramaturge malheureux, peinant à imposer ses propres pièces à la scène. Le ressentiment à l’égard du monde des actrices, souvent assimilées à de simples cocottes, revient ainsi assez ostensiblement des récits lorrainiens. Le manque de fiabilité, l’inconstance sentimentale, l’appât du lucre présente la comédienne en habit de courtisane, à l’instar de Linda Monti dans Le Tréteau, qui renonce à honorer ses précédents contrats lorsqu’elle tombe amoureuse du beau Nérac. La critique la plus virulente porte également sur l’importance de l’entregent par rapport à la valeur intrinsèque de l’œuvre, sur la nécessité de multiplier des réseaux relationnels hypocrites pour placer ses textes, sans que l’on tienne réellement compte de leurs vraies qualités. Lorsque l’apprenti dramaturge Nérac, fraîchement débarqué dans la capitale, entend faire jouer ses pièces, son oncle M. de Puymégard l’instruit des rouages élémentaires du milieu littéraire qui semblent tout droit tirés de Bel Ami :« la femme ici est le but, l’idole, la raison d’être de tout, écrit-il. On n’arrive que par elle à Paris17 ». La solution la plus pragmatique semble alors de se faire introduire dans un salon, en l’occurrence celui de Mme Massicot, à qui il suffit d’envoyer « quelques revues avec des vers […], des vers de descriptions pittoresques, quelques impressions de Provence ou notations de paysages où il est question de cyprès, de verveines ou oliviers 18». Outre le constat que la qualité des pièces importe peu, l’intérêt des poésies demandées, tel qu’il est représenté par Jean Lorrain, ne peut que prêter à sourire. Rapidement l’évocation de l’éventuelle réussite littéraire à Paris prend des accents plus sombres, et la fortune de l’écrivain semble résolument soumise à un hasard capricieux qui n’interfère jamais avec le mérite de l’artiste. « La  nécessité d’un talent ou d’une valeur quelconque, à Paris, dépendait de détails infiniment petits, de raccrocs imprévus et de chocs en retour : c’était la théorie de l’opportunisme mise en pratique dans une vie de perpétuelles intrigues19 ».

Aux revers de l’activité théâtrale de Nérac, font écho les vaines tentatives poétiques d’Emma Farnier pour s’imposer, également, dans le milieu parisien. Dans Maison pour dames, cette jeune poétesse monte dans la capitale après avoir gagné un concours de poésie organisé par la revue littéraire Le Laurier. Les nouvelles lauréates apparaissent en ces termes : « longues traînes de  gazes brodées, épaules nues, des perles et des diamants, trois jeunes femmes de lettres, mais si peu, toutes trois mariées et entretenues, trois authoresses  dans le mouvement  […] c’étaient trois irréductibles bas bleus qui n’avaient renoncé ni à écrire, ni à plaire. De fondation dans toutes les soirées de la Revue, leur laideur commune les réunissait20 ». Le directeur de la revue, Farenbourg, se voit ainsi gratifier d’avoir « ici une collection de trumeaux […] pis qu’une vocation à la salle des ventes […] une foire aux vanités, on dirait la faillite d’un b… 21». Si les différents milieux littéraires, de manière générale, n’échappent pas à « l’éreintement » lorrainien, pour reprendre une expression que ce dernier affectionne tout particulièrement dans sa correspondance, les attaques plus personnelles sont tout aussi nombreuses, et empruntent la forme masquée des romans à clef.

Certaines personnalités littéraires en vue dans le tout Paris 1900 sont les figures de prédilections des virulentes moqueries de Jean Lorrain. Souvent le jeu onomastique camoufle mal la véritable identité des gendelettres  visés par Lorrain, et les allusions, pour un  lectorat connaisseur, sont quasiment transparentes. Jean Lorrain ne s’en cache d’ailleurs pas, comme dans cette lettre où il invite son destinateur à déchiffrer les codes qui vont lui permettre de reconnaître les protagonistes de Monsieur de Phocas : « Je  vous donnerais peut-être toutes les clefs du vénéneux volume22 » lui écrit-il. Dans le même sens, la notice envoyée à la presse, en juillet 1901, ne faisait pas mystère que Monsieur de Phocas dressait le « bottin des grands vices parisiens et des femmes damnées », aisément reconnaissables grâce aux multiples indices dissimulés par Lorrain dans son œuvre. Ainsi, Robert de Montesquiou y apparaît sous le nom du comte Aimery de Muzarett, tandis que la princesse Seiryman-Frileuse renvoie à Winaretta Singer : « Ces deux-là aussi se ressemblaient, sveltes et précis comme deux découpures, une silhouette aiguë tous les deux, on eût dit un couple d’élégants et longs lévriers. […] L’homme, petite tête d’oiseau de proie aux cheveux drus et crêpelés, avait dans toute l’élégance de son corps un maniérisme voulu, une savante souplesse. La peau très fine et très fripée, les mille petites rides des tempes et la ciselure des lèvres minces étaient d’un portrait de Porbus […] C’est le Narcisse de l’encrier23. » La charge est implacable, moult éléments plus ou moins détournés permettant d’identifier l’auteur, en 1892 des Chauves-souris, devenues chez Lorrain, Les Rats-ailés. Tant qu’au joli petit homme dont l’entrée trouble considérablement Muzarett-Montesquiou, on reconnaîtra Léon Delafosse (1874-1951) qui « les affole tous et toutes ». « C’était l’entrée, à pas glissés, du plus joli petit homme. Mince, éthéré, des yeux de bleuet cillés de blond dans un visage d’une blancheur diaphane, des pommettes à peine touchées de rose et si doucement qu’on les eût crues fardées, et des cheveux légers comme de la folle avoine […] Le comte de Muzarett, qu’un imperceptible frémissement avait secoué à l’entrée du nouveau venu, se dérangeait à peine pour lui faire place24 ». L’allusion à l’inversion du comte est tout aussi transparente que compromettante. La scène romanesque renvoie bien à l’équivoque relation que Montesquiou entretint avec Delafosse, qui mit en musique ses vers, avant de se brouiller avec lui. Il arrive encore, dans d’autres pages de Monsieur de Phocas que Montesquiou apparaisse en son nom propre, gratifié de la périphrase « d’homme aux chauves-souris », ici en compagnie de la baronne Desrodes, « la femme des grenouilles25 », tous deux « cro[yant] révolutionner le monde … ô pauvretés ! ô moqueries ! ô vanités ! ». Enfin, le héros éponyme, Phocas lui-même, doit beaucoup, ainsi que l’a montré Hélène Zinck dans son étude sur la genèse du texte, à Montesquiou26. A juste titre, il y a bien lieu de remarquer que les avatars de Montesquiou dans le roman se comptent au nombre de trois : au comte de Muzarett, à l’homme des chauves-souris, il faudrait ajouter Fréneuse lui-même. De surcroît, il convient de préciser que le foisonnement  des avatars du comte se poursuit dans d’autres œuvres de Jean Lorrain, puisqu’on le retrouve dans Le Tréteau sous les traits de marquis de Mollestour, « une des têtes de turc du Paris d’alors27 ». La charge, qui frise l’indécence, renvoie ici aux amours du comte avec son secrétaire intime Yturri, et emprunte la forme d’un rapide dialogue entre l’actrice Linda, et une amie :

Mollestour ! Comment n’avez-vous pas invité Mollestour, Linda ? – Nous sommes en froid. – Vous avez vu ses meubles aux Arts décoratifs ? demandait Céline. – Comment ! il expose des meubles maintenant ? – Il les compose même : il est ébéniste à l’heure qu’il est. – Ebéniste ! Il fait donc de tout ? – Toute la lyre. – Et il expose ? – Un secrétaire ! – Naturellement. – Intime ? – que vous êtes bête ! – Ce secrétaire est une poudreuse. – Non, une poudrette28.

Les inimitiés de Jean Lorrain sont féroces, et les attaques dont il est capable, des plus virulentes. Si elles portent témoignage de tout le contexte d’une époque, ces pratiques d’écriture posent encore la question de l’articulation entre l’activité journalistique de Lorrain et ses prétentions de romancier. Certes, les regrets de ne pouvoir se consacrer exclusivement à son œuvre romanesque abondent dans la correspondance de Jean Lorrain. Souvent le journalisme semble résolument tourner le dos à l’entreprise fictionnelle. « Je suis obligé de trafiquer de ma plume ! Je suis un vil commerçant, déclare-t-il. La littérature est un trop grand luxe pour moi, un état de sainteté où je ne puis prétendre29 ». Il s’en explique à Georges Casella dans une lettre du 5 avril 1904 : « je sens et je déplore non moins amèrement ce que le journalisme m’a fait gâcher et dilapider de documents et de sensations qui auraient pu être mieux employés – et combien ! Mais, sans aucune fortune, il m’a fallu vivre, et la littérature ne nourrit pas son nom30 ». Pierre-Léon Gauthier rapporte encore qu’à la fin de ses jours, Jean Lorrain aurait confié à son ami et exécuteur testamentaire, Georges Normandy : « Les cochons, ils ont fait de moi un journaliste 31». Cette dichotomie entre les deux activités littéraires de Lorrain trouve d’ailleurs un écho chez de nombreux pairs de Jean Lorrain, comme Binet-Valmer : « J’ai fait un rêve étrange ; M. Jean Lorrain n’était plus, n’avait jamais été journaliste et nous avions un autre grand romancier parmi ceux que la France, déjà, peut-être, possède.32 »

Pour autant, il semble que ce jugement quelque peu manichéen, cette conception  antithétique des deux pratiques d’écriture lorrainienne, méritent d’être nuancés. Les portraits à charge qu’il lance au visage de ces gendelettres et autres littérateurs, s’inscrit indifféremment dans l’un et l’autre mode d’écriture d’une part, de nombreuses passerelles existent entre elles d’autre part. Ainsi, la fabrique du texte, montre que Jean Lorrain utilise souvent les écrits antérieurs publiés dans les journaux, pour les intégrer, en les retravaillant, dans son œuvre fictionnelle. Hélène Zinck, après avoir mis en rapport les différents états d’un extrait de Monsieur de Phocas, souligne en ce sens « la pratique scripturaire de Jean Lorrain, à savoir la refonte systématique de ses productions antérieures33 ». De fait, c’est sa fidèle Rachilde qui apparaît la plus perspicace pour éclairer la nature des rapports qui lient le travail journalistique aux exigences artistiques de Jean Lorrain. « Désormais classé parmi les grands journalistes de l’époque, Jean Lorrain est peut-être le seul qui ait su conserver tous les attributs de l’artiste dans le vil métier que la chronique lui impose… Lorrain est un virtuose que les exigences de reine Copie ne lasseront pas34 ». Il est, en effet, difficilement niable que les deux activités créatrices de Jean Lorrain, plutôt que de s’opposer et se nuire, se soient au contraire nourries mutuellement, exigeant de la part de leur auteur, la nécessité de moduler ses prises de positions, de travailler sans relâche les abondantes évocations du paysage littéraire de son temps. Michel Arnauld fait ainsi remarquer que les ennemis de Lorrain « s’en tirent par un mot de perfide indulgence : littérature de journaliste !… c’est une vérité, et c’est une injustice : Histoires de Masques, M. de Phocas, Coins de Byzance ne sont point des articles réunis en volumes, mais de vrais livres d’abord publiés en articles. Et je ne vois pas qu’à devenir le premier de nos journalistes, M. Jean Lorrain ait gâché son talent de littérateur ; mais je sais qu’il l’a rendu plus riche, et plus souple et plus sûr. […] Paris abonde en modèles – ou même en copies – des types qu’a tracés Jean Lorrain35 ». Les représentations des figures et des pratiques littéraires qui lui sont contemporaines, loin de se cantonner à ses écrits critiques, envahissent donc également le champ fictionnel, sous les formes les plus diverses, de la nomination claire aux travestissements plus ou moins masqués.

Outre les enjeux esthétiques ainsi abordés, la tension entre l’activité du journaliste et son ambition artistique met au jour une démarche  particulièrement réflexive, multipliant les avatars romanesques de ses pairs, confrontant les partis pris esthétiques de toute une génération. Le point commun de ce foisonnement spéculaire se fonderait alors sur le caractère résolument pessimiste du constat ainsi dressé : « la littérature est une maîtresse avare »  avoue l’un des protagonistes du Tréteau. Visitant un célèbre académicien quai Conti, Nérac découvre « la face chafouine et souffreteuse de guenon malade », celle de l’Immortel36. S’ensuit cette remarque désenchantée : « C’était donc cela le talent et la gloire, toute une vie de travail et de recherches studieuses, cette demi-misère grelottante dans des vieux châles et trop heureux de ce logement gratuit dans un appartement royal et glacé ». Un labeur journalistique méprisé, des exigences artistiques bafouées, un monde littéraire cynique et corrompu : ce pessimisme constat de la littérature fin de siècle ne se résout pour autant pas à ressasser stérilement ses propres failles. En multipliant les figures de l’écrivain, Jean Lorrain semble alors proposer d’autres représentations de l’entreprise littéraire, en interroger ses enjeux,  en explorer les implications, et bâtir, en filigrane, son propre mythe d’artiste maudit.

Que ce soit dans les écrits critiques publiés dans les journaux, ou bien dans les représentations plus ou moins transparentes du milieu littéraire dans les textes fictionnels, l’ensemble de l’œuvre lorrainienne se trouve pris dans un vaste mouvement autoréférentiel qui érige, in fine, une certaine image de l’écrivain et du rôle qui lui est assigné.

Tout se passe, en effet, comme si Jean Lorrain entendait donner à ses lecteurs et à ses contemporains une certaine image de lui-même, élaborer sa propre notoriété, aussi subversive et décriée puisse-t-elle sembler. Ainsi se multiplient, dans ses romans les doubles de lui-même, plus ou moins flatteurs d’ailleurs, dont le dénominateur commun consiste à construire une réputation de fanfaron du vice. Ainsi, grâce au savant dispositif énonciatif mis en place dans Monsieur de Phocas, Jean Lorrain met le point d’orgue à l’érection de sa propre légende. Le choix du discours à la première personne, sous la forme du journal intime enchâssé, permet ainsi de poser le texte comme réel. Les multiplications d’analogies entre le personnage éponyme et son créateur confortent le lecteur dans ces certitudes, entretenant ainsi l’illusoire identification entre Phocas et Jean Lorrain. En ce sens, les reproches et dénégations auxquels se livre Jean Lorrain dans ses nombreux échanges épistolaires ne laissent pas d’être paradoxaux, et sont peut-être entachés d’une certaine mauvaise foi : l’auteur ne cesse de regretter une authentification avec son héros éponyme, qu’il s’est pour autant attaché consciencieusement à élaborer. Les courriers pourraient être multipliés : « Que de malades, que de curieux et que [de] fantaisies malsaines je traîne après moi !… écrit-il à J.-F. Merlet le 26 octobre 1902, […] au fond, poursuit-il, tout cela m’attriste et m’oppresse un peu. Quand cesserai-je d’être pour toutes ces folles et ces fous le triste Monsieur de Phocas ?37 ». Plus tard, dans une chronique du Journal, il rapporte encore la difficulté de faire admettre le distinguo entre le créateur et son personnage, lorsqu’une admiratrice lui parle de Monsieur de Phocas : « j’eus quelque peine à la convaincre que ce n’était pas une autobiographie, que je n’avais tué personne et ne possédais hélas ! aucun million38 ». Il n’empêche : en signant « votre Lorrain-feu-Phocas », certaines lettres à son amie Colette, Lorrain contribue encore à entretenir cette équivoque assimilation, même auprès de ses plus intimes. Autrement dit, à moins de considérer, ce qui n’est d’ailleurs pas contradictoire, que le constant souci de réclame n’ait dépassé ses ambitions et que cette mauvaise réputation ne soit devenue par trop envahissante, il est fort plausible que Lorrain continue à élaborer ainsi sa propre légende. De fait, une lettre adressée à Aurel le montre des plus conscient des démarches réflexives qu’il multiplie, dans un perpétuel jeu de faux-semblants,  tout au long de son œuvre : Bougrelon, Phocas, Noronsoff constituent bien autant de projections de sa propre personne – ou pour le moins correspondent à l’idée que le lectorat se fait de leur auteur. « Ces imbéciles, lance-t-il, ont mal lu  Le Vice errant ». Il y a un an, ils me prenaient pour Monsieur de Phocas, maintenant, ils me prennent pour Worousof [sic] et me prêtent ses aventures !! » se plaint-il à Aurel. « Heureusement que je republie, fin courant, Monsieur de Bougrelon. Ce nouvel avatar va encore les égarer. Que faire contre la Bêtise, la Bêtise énorme au front de taureau ? L’envelopper de la Capa rouge, bleue, verte et multicolore de la mystification et de la fantaisie, et la dérouter pour la laisser foncer dans le vide39 ».  Les regrets de Lorrain ne sont pas exempts d’une certaine mauvaise foi, puisque l’auteur a tout fait pour semer le doute, en multipliant les points communs entre sa réputation et les frasques de ses héros d’une part, en avançant les déclarations les plus contradictoires sur ce sujet d’autre part. Une nouvelle fois, l’étroitesse des liens qui unissent les trois figures romanesques lorrainiennes avec leur créateur, encourage une interprétation autobiographique de l’œuvre. Un critique de l’époque le remarquait déjà : « l’auteur, écrit-il, se reflète en son œuvre équivoque et raffinée, où il verse, avec une sorte de passion maladive, ce que ses sens ont perçu40 ».

Pis encore, le dernier doublon romanesque qu’il s’invente, le prince Noronsoff du Vice errant, organise, à l’instar de son géniteur, de très décadentes fêtes dans sa propriété niçoise, au grand dam de la population locale qui considère d’un mauvais œil ces extravagances orgiaques. Jean Lorrain, installé depuis 1900 à la villa Bounin de Nice, arpenteur des bouges du vieux port à la recherche d’équivoques débardeurs, prêtait évidemment le flanc à l’assimilation. Les ressemblances entre l’auteur et son héros étaient si nombreuses, que l’œuvre fut rapidement considérée comme une autobiographie. Pour autant, la coïncidence entre ses sulfureux personnages et l’aura de lucre et de stupre qui entoure l’auteur n’induit pas nécessairement une quelconque véracité biographique. Henry Bataille dresse ainsi dans Le Journal du 29 mai 1902 un portrait de Jean Lorrain où le piquant des traits rivalise avec l’acuité de l’analyse : « C’est une sorte de grand barbare, un barbare authentique, installé dans l’Urbs boulevardière […] il se détache violemment sur le fond gris des gens, et il lui serait difficile de dissimuler cette sincérité bouillante, vraiment extraordinaire, qui fait sa caractéristique. Barbare, il se laisse aller à lui-même avec un peu d’épouvante et infiniment de volupté. Il s’exagère. Il a aimé créer des fantômes à ses diverses images ». Là est bien la mystification, dans l’outrance de ses propres déviances qui s’exacerbent au travers des nombreux doublons romanesques. En quelque sorte l’auteur semble parfois forcer le trait, dans sa propre vie, pour que celle-ci coïncide avec la perversion légendaire des héros qu’il a crées. Une anecdote semble, en ce sens, particulièrement révélatrice. Jean Lorrain arrive alors pour poser dans l’atelier de La Gandara, rue Monsieur-le-Prince, qui doit dresser son portrait.  A un tiers qui s’offusque de la tenue exagérément voyante de Lorrain41, ce-dernier rétorque: « Monsieur, JE JOUE MON PERSONNAGE42 ».

Rien n’est moins sûr, au regard de ces divers indices, que les extravagances des héros lorrainiens puissent donc être lues comme des aveux strictement autobiographiques de leur auteur. Mais l’intérêt réside plus dans les modalités qu’emprunte Jean Lorrain pour ériger cette légende et se parer des habits les plus luxurieux, les plus scandaleux : à cette mystification de l’image de l’écrivain, correspondrait alors une mystification, consciemment élaborée grâce à la circulation des divers écrits de l’auteur, qui semble toujours soucieux d’entretenir une sulfureuse image de lui-même, en l’inscrivant dans une dynamique quelque peu romanesque, en l’assimilant à la moralité tourmentée de ses héros. Ainsi lui arrive-t-il d’affirmer à un destinataire qui n’a pas pu être identifié : « Oui, le discours de sir Thomas Welcôme résume tout à fait mon esthétique et ma philosophie43. » L’affirmation, compte tenu des nombreuses déclarations de Lorrain, regrettant l’identification trop rapide de sa personne à ses personnages peut ainsi passer pour paradoxale. Cette contradiction semble surtout révélatrice du brouillage qu’opère l’auteur, multipliant les faux-semblants au gré de ses correspondants, entretenant d’équivoques jeux de parallélismes entre ses héros et la légende de lui-même qu’il échafaude.

L’analyse de l’épitexte permet de mettre au jour un procédé caractéristique de Lorrain, qui consiste à regretter presque systématiquement la réputation sulfureuse dont il se plaint, tout en proposant, parfois dans une même lettre, une image plus encore outrancière, posant ainsi une pierre de plus à l’érection d’une figure sulfureuse de lui-même. En donnant une véritable leçon d’écriture, il semble fournir, dans une lettre à son ami Charles Buet, tous les éléments les plus significatifs pour construire méthodiquement sa propre légende, permettant ainsi de devenir une sorte de mythe littéraire, proche de l’écrivain maudit. « J’ai un grand penchant, se targue-t-il, pour les voyous, lutteurs, forains, garçons bouchers et autres marlous ordinaires et extraordinaires, dont je fais à Paris avec quelques femmes absolument exquises et quelques rares hommes de talent, dont vous44, ma société exclusive… ».  Il se présente encore « courant les boulevards extérieurs en Defaux45 de velours noir, en cotte bleue et foulard rouge à pois ». Force est d’admettre que c’est précisément cette représentation-là dont la postérité se souviendra principalement pour évoquer l’auteur, à qui il convient de reconnaître la belle fortune de sa propre mise en scène.

Une autre élément permet de confronter l’idée d’une élaboration consciente et travaillée de sa propre figure d’écrivain débauché, en tendant à l’assimiler, voire à la confondre, avec les mœurs débridées de ces divers protagonistes. Certains indices paratextuels, tout en confirmant l’intérêt constant dont Jean Lorrain fait montre quant aux aspects les plus matériels et commerciaux de ses livres, témoignent du désir d’entretenir l’ambiguïté entre l’auteur et son héros. Il choisit ainsi de placer en couverture de nombreuses oeuvres des portraits dont on ne saurait dire s’ils renvoient à l’auteur ou à ses personnages: c’est le cas pour l’édition de 1901 de Monsieur de Phocas de Geo Dupuis, chez Ollendorff. La même démarche prévaut pour Le Vice errant, ainsi que le montre la lettre du 27 mai [1902] qu’il envoie à l’illustrateur V. Lorant-Heilbronn : « J’aime beaucoup votre idée de Jean Lorrain en violet du même violet que les yeux pourquoi ne feriez-vous pas le titre Le Vice errant du même violet et le cartouche du titre comme celui du nom couleur plomb en rappel du bandeau ; cela unifiera la composition et lui donnera du corps de la pesanteur, le poids du Vice comme le violet une idée de deuil, le vice est une chose triste et j’aime cette idée de la couleur des yeux retrouvée dans le titre et dans mon nom.46 » Si l’intérêt pour la composition de l’illustration de la couverture correspond bien au souci dont Lorrain a toujours fait montre pour « vendre » et « faire la réclame » de son œuvre, la volonté réfléchie d’entretenir la confusion entre l’auteur et le personnage, affichée ouvertement, semble pourtant contradictoire avec les déclarations de principe qu’il livre dans sa correspondance…

De la même manière, une autre modalité iconographique est employée comme un instrument privilégié pour construire sa légende : en 1904, Lorrain entreprend les séances de pose qui vont permettre au peintre de La Gandara de dresser son portrait. Ainsi, tout en adoptant une posture de victime, il semble donner à Louis Vauxcelles de nouveaux éléments, passés jusqu’alors inaperçus par la critique de l’époque, qui entretiennent encore le brouillage des identités, en s’associant au célèbre héros d’Oscar Wilde, Dorian Gray . « M. de Phocas vous remercie, écrit-il, mais Jean Lorrain vous abomine pour la sensualité bestiale, bien que fine … toutefois dont vous voulez décorer son visage. Que d’hystériques et de détraqués vous allez déchaîner sur mon pauvre moi, avec votre littérature ! suis-je donc si tragique que cela ?… une chose m’étonne, c’est que mes chers confrères n’aient pas encore évoqué le portrait de Dorian Gray à propos de La Gandara ! ». Une nouvelle fois, Lorrain manie les faux-semblants en lançant un judicieux rapprochement entre son portrait et celui de Dorian Gray : on sait que Wilde s’inspirera d’ailleurs de Phocas pour son roman. Sur le mode de la prétérition, Jean Lorrain déplore des rapprochements que ces contemporains n’ont pas explorés, mais leur fournit, par là même, matière à écrire de nouveaux articles ; il donne ainsi de nouvelles pistes pour entretenir encore ses propres avatars artistiques. Portrait de La Gandara, personnage de Wilde… la figure de Jean Lorrain est en passe d’envahir le champ de l’art, d’échapper au biographique strict.

A plusieurs niveaux, et malgré ses dénégations, Lorrain entretient donc le mythe sulfureux de sa propre réputation, en utilisant toutes les ressources périphériques à son œuvre romanesque, aussi bien paratextuelles (les couvertures), qu’épitextuelles (lettres et articles). Par sa correspondance et l’entregent que lui confère son travail journalistique, il peut aisément entretenir sa propre légende, mettre en scène une représentation de soi, probablement mystifiée, mais rigoureusement mythifiée. Cette démarche va avoir des implications sur au moins deux aspects de l’œuvre lorrainienne, échappant peut-être aux prévisions de leur auteur. D’une part Lorrain, se soustrayant aux exigences de la véracité biographique, va devenir de son vivant un être de papier, passant du rang d’écrivain au statut de personnage. D’autre part, cette fortune fictionnelle, en assimilant systématiquement l’artiste à sa légende, l’auteur à ses personnages, finit par brouiller la dimension esthétique et ses implications axiologiques, tant est si bien qu’à cause des outrances tendancieuses de ses héros, Lorrain va bientôt être accusé de corrompre les mœurs de la jeunesse de son époque. En ce sens, Ernest Gaubert résumait déjà cette idée dans l’article qu’il consacre à Lorrain dans Le Mercure de France, du 1er mars 1905 : « Certains critiques ont voulu, par conscience professionnelle, séparer l’homme de son œuvre. Pour M. Lorrain cette scission est inutile, maladroite, injuste. L’homme aux yeux glauques de Pallas Poliade, qui dressait dans les couloirs de l’Œuvre sa silhouette de Nortmann blessé dans un rixe, l’homme qui étalait au fond des avant-scènes ses cheveux grisonnants de prétendant, ses lys rouges et ses bagues, cet homme a frayé avec ses héros ».

L’assimilation de Lorrain à ses personnages finira ainsi par lui porter préjudice. A la fin de sa vie, plusieurs affaires de mœurs plus ou moins scabreuses fournirent aux bien-pensants de l’époque l’occasion d’accuser Jean Lorrain : on reproche à ses écrits d’encourager les pires dépravations. A l’occasion d’un sombre et partial procès qui l’oppose à son ancienne amie Jeanne Jacquemin, « le juge déclame qu’on ne saurait trop rigoureusement sévir contre l’usage des écrivains actuels qui peignent la société contemporaine.47 » De la même manière, lorsqu’en 1903 éclate le scandale d’Adelsward-Fersen, l’œuvre et la personnalité  de Lorrain sont conjointement accusées d’avoir joué un rôle dans la corruption de ses mœurs. Le baron Jacques d’Adelsward-Fersen avait organisé dans son appartement de l’avenue de Friedland des fêtes, imitées d’Héliogabale, où se dépravaient de jeunes gens. « L’affaire des messes roses » eut un grand retentissement dans la presse de l’époque, tant et si bien que Lorrain fut obligé de se justifier en publiant dans Le Journal le 2 août 1903, un article intitulé « Un intoxiqué. Le baron d’Adelsward à Venise48 ». En octobre éclate encore un nouveau scandale, l’affaire Greuling : un aventurier suisse assassina sa maîtresse, l’actrice Elisa Popesco, de deux balles dans la tête dans la chambre de l’hôtel Régina. Le jeune voyou, qui a déjà rencontré Jean Lorrain à Nice, n’hésite pas à utiliser l’œuvre de ce dernier dans son système de défense. « S’il faut l’en croire, il aurait particulièrement goûté les œuvres de Jean Lorrain et Maurice Barrès dont il jette sans cesse les noms dans le débat, pour essayer de se faire du talent de ces écrivains une sorte de réclame littéraire et une justification de ses déchéances morales », résume Marréaux Delavigne dans Le Journal du 29 mars 190449. Voilà une conséquence assez inattendue des confusions qu’entretient Lorrain en associant les dépravations de ses personnages romanesques et sa propre légende d’écrivain50. Inextricablement liées, l’œuvre et la réputation finissent par être interchangeables, tant et si bien que l’institution judiciaire couronne la réussite du jeu de faux-semblants qu’entretient Lorrain, et finit par associer totalement ce-dernier et ses héros dépravés. La démarche de réclame, si elle a indéniablement réussi, a malheureusement nui à la sérénité de l’artiste, ce qui explique peut-être le ressentiment dont témoigne souvent Lorrain, à l’égard des rumeurs qui courent sur sa personne, mais qu’il a paradoxalement soigneusement entretenues.

Une forme d’ironie de l’histoire littéraire donnerait encore des raisons de rire de ce jeu de faux-semblants, si l’on considère les nombreux avatars romanesques que va susciter Lorrain. Tout se passe, en effet, comme si, à tant chercher à créer une légende de sa propre personnalité, l’écrivain était devenu un être de pure fiction, échappant à la gangue biographique pour acquérir sa propre autonomie fictionnelle. Le succès de ses avatars littéraires commence du vivant même de Jean Lorrain. Après s’être tant gaussé de ses contemporains dans ses romans à clefs, le voilà à son tour devenu personnage de nombreux récits. En 1889, sa fidèle Rachilde publie Le Mordu chez Brossier, et campe sous le nom de Jacques Doris un Jean Lorrain plus vrai que nature. Comme en un vaste processus kaléidoscopique, l’auteur de La Marquise de Sade raconte, sous un mode à peine masqué un précédent qui opposa Jean Lorrain à Laurent Tailhade. Tailhade, dans A travers les Grouins51 se moquait dans un poème intitulé « Troisième sexe » du « poète Jean Lorrain de Normandie ». Dans le roman de Rachilde, Tailhade est désigné sous le nom d’André Mérade, et il est l’auteur d’un sonnet s’attaquant au « poète Grancerain de Picardie52 ». La dimension spéculaire propre à la décadence bat ici son plein : d’une allusion à l’autre, d’un double littéraire à l’autre, Jean Lorrain, de son vivant, voit déjà se multiplier ses propres avatars littéraires. De la même manière en 1885, Jean Lorrain devient une « copaille » sous la plume d’Oscar Méténier, dans la nouvelle « l’aventure de Marius Dauriat53 ». Comme si les ressemblances ne suffisaient, Méténier lui dédie d’ailleurs cette nouvelle. Elle trace le portrait d’« un vrai poète, poète décadent par exemple. D’une vieille famille bretonne. Les effluves salés de la plage natale n’avaient pu vivifier son sang appauvri et anémié. Comme tous les névrosés de cette fin de siècle, il avait conscience de son délabrement physique et moral.54 » Outre les virées équivoques dans les banlieues interlopes, le héros se prend de passion pour un lutteur de foire surnommé Adonis, avant de se faire dévaliser par le dit-nommé dans une chambre d’un hôtel borgne. Lorrain, comme à son habitude, s’en plaindra à l’intéressé sans que ne sourde vraiment un sincère ressentiment : « M’as-tu assez compromis avec ton Marius Dauriat » écrit-il à Méténier le 28 septembre 188555. Il ajoute à son amie Rachilde : « les bons petits camarades pour me décrier un peu, rien qu’un peu ont répandu sur moi une légende, une terrible légende à la Marius Dauriat »56. Certaines lettres font encore allusion à un nouvel avatar romanesque de Lorrain, lorsque l’on se penche sur sa correspondance avec Charles Buet. En effet, il semble bien qu’il soit le héros des  Contes ironiques57. « Je vous trouve […] reproche-t-il à Buet, horriblement compromettant […] vous me campez avec une inconscience ou une science effrayante, un petit voyou du nom d’Auguste sur les bras […]. Cet Auguste, conte ironique à Jean Lorrain, est terribilis, horribilis et horipilis et je commence à trouver vrai de vous l’éternel proverbe… in cauda veneno [sic]58 ». Une autre de ses amies, Liane de Pougy ne résiste pas à la tentation de peindre, dans son roman Idylle saphique, son compagnon. Sous les traits de Jack Dalsace, célèbre journaliste esthète rencontré dans un bal costumé,  se reconnaît aisément Jean Lorrain :

C’était Jack Dalsace qui passait, raconte-t-elle, beau comme un demi-dieu dans un costume de soie bleu paon. Une biche se cabrait, orfévrée d’or et incrustée de perles, sur une des manches longues et pendantes, tandis qu’à l’autre une grenouille énorme, effrayante, constellée d’aigues-marines, d’émeraudes et de béryls, semblait vivante et prête à s’élancer dans la foule. Des animaux de légende se montraient tout autour de ce costume fantastique59.

A terme les avatars littéraires de Jean Lorrain, qu’ils soient de sa plume ou bien de ses contemporains, finissent par confondre l’auteur et ses personnages. Ainsi s’est élaborée une figure légendaire de l’écrivain, source d’inspiration particulièrement heureuse, à en juger par les nombreux avatars romanesques qui naîtront sous la plume de ses pairs fascinés par ce mythique vicieux, captivés par les liens inextricables noués entre l’homme et l’œuvre.

En suivant les diverses modalités qu’emprunte Jean Lorrain pour évoquer le paysage littéraire de son temps, se dégagent donc moult éléments susceptibles de dessiner une démarche esthétique. Certes, aucune théorie rigide et définitive ne sera promulguée une fois pour toute. Il n’empêche : l’entrelacs des épitextes, le fourmillement des doublons romanesques montrent assez combien le souci de la postérité d’une part, mais aussi l’intelligence critique, d’autre part, donnent suffisamment de cohérence à une véritable réflexion littéraire. C’est dire si Jean Lorrain ne s’est pas cantonné, comme il a souvent été dit, au rôle de simple témoin  de la génération 1900 : il a participé à une interrogation sur les imbrications que pouvaient entretenir des êtres fictionnels avec leur géniteur, et sur les implications de la confusion de leur identité respective.

A la lecture attentive de Monsieur de Phocas, d’ailleurs, rien n’est moins sûr que ce dernier ait ambitionné de répertorier la somme des obsessions décadentes au tournant du siècle. A vrai dire, les belles complaisances d’un style fasciné par le faisandage, tout comme le ressassement de dépravations intellectuellement vicieuses d’Ethal, rivalisent assez avec la profondeur des réflexions de Thomas Welcôme sur la crise de sens que traverse une littérature en quête de modernité.

En définitive, les doublons romanesques et les diverses mises en abyme, plus ou moins transparentes, confrontent les ambitions d’un écrivain, partagé entre le succès immédiat de sa carrière journalistique et les prétentions d’une postérité littéraire. De la même manière, le caractère réflexif de l’œuvre et l’histrionisme des autres textes – pall-mall ou correspondance – participent autant à la construction d’une figure légendaire de Jean Lorrain qu’à une interrogation sur le statut propre de l’écrivain, et son inscription dans le contexte littéraire de son temps.

Notes de bas de page numériques

1 Il s’agit, en premier lieu, de la publication par Jean de Palacio, de 195 lettres inédites. Jean Lorrain, Correspondances, Honoré Champion, Paris, 2006. Eric Walbecq a, de son côté, publié la correspondance de Lorrain avec Goncourt en 2003, Huysmans en 2004, Colette en 2005, et Gustave Coquiot en juin 2007. Jean Lorrain, Lettres à Gustave Coquiot, Paris, Honoré Champion, 2007.
2 Thibaut d’Anthonay, Jean Lorrain, témoin de la Belle Epoque, Paris, Fayard, 2005.
3 Jean Lorrain, « Joie de Paris », Le Journal, 19 octobre 1901, in Correspondances, p. 168.
4 Le Gaulois du dimanche 7 février 1897 rend compte du duel en ces termes : « A la suite d’un article de Raitif de la Bretonne (Jean Lorrain) paru récemment dans Le Journal, M. Marcel Proust, s’étant jugé offensé, a adressé ses témoins, MM. Gustave de Borda et Jean Béraud, à l’auteur. M. Jean Lorrain a chargé ses amis MM. Octave Uzanne et Paul Adam de ses intérêts. […] Deux balles ont été échangées sans résultat, et les témoins, d’un commun accord, ont décidé que cette rencontre mettait fin au différend », p. 3.
5 Jean Lorrain, Le Journal, mercredi 3 février 1897, p.1. Repris dans La Ville empoisonnée, Jean Crès, 1936, p. 130.
6 Lorrain vise Montesquiou, véritable « tête de turc », pour reprendre son expression, comme la suite de l’article va le montrer.
7 Jean Lorrain, Le Journal, mercredi 1er juillet 1896, p. 5. Repris dans La Ville empoisonnée, op. cit. p. 101.
8 Lettre du 23 octobre 1901, in Jean Lorrain, Correspondances, p. 168.
9 Lettre du 4 septembre 1904, in Jean Lorrain, Correspondances, p. 198.
10 Jean Lorrain, cité par Jean de Palacio, Préface, Correspondances, p. 9.
11 Jean Lorrain, La Volonté n°42, 27 novembre 1898.
12 Jean Lorrain, Maison pour dame, Albin Michel, 1990, p. 150.
13 Jean Lorrain, Correspondances, p. 110. Lorrain avait demandé à M. Barrès de préfacer La Petite Classe qui paraîtra finalement chez Ollendorff en 1895.
14 Jean Lorrain, Correspondances, p. 125.
15 Jean de Palacio, Préface, Correspondances, p. 10.
16 Jean-Pierre Bertrand, Michel Biron, Jacques Dubois, Jeanine Pâque, Le roman célibataire, d’A Rebours à Paludes, José Corti, 1996, p. 222.
17 Jean Lorrain, Le Tréteau, L’Imprimerie Moderne, Montrouge, 1941, p. 8.
18 Jean Lorrain, Le Tréteau, p. 11.
19 Jean Lorrain, Le Tréteau, p. 14.
20 Jean Lorrain, Maison pour dames, Albin Michel, 1990, p. 77.
21 Jean Lorrain, Maison pour dames, p. 78.
22 Lettre inédite à un destinataire non identifié, cité par Hélène Zinck, in Monsieur de Phocas, GF Flammarion, 2001, p. 315.
23 Jean Lorrain, Monsieur de Phocas, p. 149.
24 Jean Lorrain, Monsieur de Phocas, p. 149.
25 Jean Lorrain, Monsieur de Phocas, p. 105.
26 Nous renvoyons à son édition de Monsieur de Phocas, GF, 2001, p. 293.
27 Jean Lorrain, Le Tréteau, p. 88.
28 Jean Lorrain, Le Tréteau, p. 88.
29 Jean Lorrain, cité par Louis Bertrand, « Mes souvenirs de la Riviera. Où Jean Lorrain reparaît inopinément », Candide, 8 octobre 1931.
30 Lettre à Georges Casella [5 avril 1904], in Correspondance, La Baudinière, 1929, p.205.
31 Pierre-Léon Gauthier, « L’Influence et la légende de Jean Lorrain », L’Esprit français, juillet 1931, p. 36.
32 Binet-Valmer, « Les Livres- Le Vice errant, par M. Jean Lorrain », La Renaissance latine, 15 septembre 1902, p. 128.
33 Hélène Zinck, Dossier critique à Monsieur de Phocas, GF Flammarion, 2001, p. 293.
34 Rachilde, citée par Jean de Palacio, Correspondance, p. 97.
35 Michel Arnauld, « Chronique de la littérature – Jean Lorrain : M. De Phocas, Ollendorff », La Revue blanche, novembre 1901, p. 395.
36 Jean Lorrain, Le Tréteau, p. 13.
37 Lettre de Lorrain à J.-F. Merlet, datée du « 30 décembre 1902 », citée par Thibaut d’Anthonay, Jean Lorrain, Miroir de la Belle Epoque, Paris, Fayard, 2005, p. 819.
38 Jean Lorrain, Pelléastres, Paris, Méricant, 1910, p. 152.
39 Lettre de Lorrain à Aurel, Jean Lorrain sur la Riviera, p. 244.
40 Adolphe Brisson, « Chronique théâtrale : Thécla », Le Temps, 26 juin 1905, p.2.
41 « Une jaquette trop serrée, mais très habilement coupée parvenait, malgré un commencement d’embonpoint, à lui donner une taille fine. La cravate, retenue par une énorme perle, était verte. Pantalons gris. Bottines de daim gris. Un jeu de bagues complexes aux mains. Si vous ajoutez à ces détails que le maître était fardé, pommadé, frisé, la bouche trop rouge en cœur, vous comprenez peut-être ce que je veux dire en déclarant qu’il produisait, à la lumière de l’atelier, l’impression d’un gros scarabée. », Georges Normandy, Jean Lorrain intime, Albin Michel, 1928, p. 124.
42 L’anecdote de Sylvain Bonmariage est rapportée par Georges Normandy, Jean Lorrain intime, p. 154.
43 Jean Lorrain, Correspondances, p. 197.
44 Il s’agit là d’une très probable allusion aux mœurs inverties du destinataire de la lettre, Charles Buet.
45 Du nom d’un célèbre fabricant de casquettes de l’époque.
46 Lettre à V. Lorant-Heilbronn, datée du « Mardi 27 mai [1902] », publiée par Erick Walbecq in Jean Lorrain, Deux lettres inédites au peintre Lorant-Meilbronn, [sic], Paris, Les Editions du Bouche-Trou, 1993, p. 7.
47 Laurent Tailhade, « Monsieur le Président », L’Action, 11 mai 1903.
48 Jean Lorrain, « Un intoxiqué. Le baron d’Adelsward à Venise », Le Journal, 2 août 1903. Article repris dans Pelléastres, Paris, Méricant, 1910, pp.141-165.
49 Marréaux Delavigne, « Le Drame de l’Hôtel Régina –Greuling en cour d’assises », Le journal, 29 mars 1904.
50 On peut encore citer l’article de Mme de Thèbes, « Ce qu’on lit dans la main de Jean Lorrain », in Gil Blas, mardi 14 juin 1904, p. 1. « Le portrait magistral que M. Antoine de La Gandara expose cette année, à la Nationale, de M. Jean Lorrain ; soulève dans le public un grand mouvement de curiosité autour de l’auteur de M. de Phocas et du Vice errant – curiosité un peu malsaine, si on se souvient qu’en Correctionnelle et Aux Assises le baron Jacques d’Adelsward d’abord, et Frédéric Greuling après se réclamèrent de l’œuvre du romancier pour excuser, sinon expliquer leur déséquilibrement. »
51 Laurent Tailhade, A travers les grouins, Stock, 1899.
52 Rachilde, Le Mordu, Paris, Brossier, 1889, p. 226.
53 Oscar Métenier, « L’Aventure de Marius Dauriat », La Chair, Bruxelles, Kistemaeckers, sans date. [1885].
54 Oscar Métenier, « L’Aventure de Marius Dauriat », La Chair, p. 205.
55 Jean Lorrain, Correspondances, p. 41.
56 Jean Lorrain, Correspondances, p. 41.
57 Charles Buet, Contes ironiques, Paris, Tresse, 1883.
58 Jean Lorrain, Correspondances, p. 22.
59 Liane de Pougy, Idylle saphique, Paris, Librairie de la Plume, 1901, p.141. Réédité chez Alteredit, 2006.

Bibliographie

 - Œuvres de Jean Lorrain

Lorrain Jean, Monsieur de Phocas, [1901], présenté par Hélène Zinck, Flammarion, 2001, coll. GF

Lorrain Jean, Le Vice errant. Coins de Byzance, Ollendorf, 1902

Lorrain Jean, Le Tréteau, [1906], L’Imprimerie Moderne, Montrouge, 1941

Lorrain Jean, Maison pour dames, [1908], Albin Michel, 1990

Lorrain Jean, Pelléastres, Paris, Méricant, 1910

Lorrain Jean, La Ville empoisonnée, Crès, 1936

 - Correspondance

Walbecq Erick, Jean Lorrain, Deux lettres inédites au peintre Lorant-Meilbronn, Paris, Les Editions du Bouche-Trou, 1993

Lorrain Jean, Correspondances, [éd. Jean de Palacio], Honoré Champion, Paris, 2006

Lorrain Jean, Lettres à Gustave Coquiot, [éd. Eric Walbecq], Paris, Honoré Champion, 2007

 - A propos de Jean Lorrain

Buet Charles, Contes ironiques, Paris, Tresse, 1883

MÉtenier Oscar, « L’Aventure de Marius Dauriat », La Chair, Bruxelles, Kistemaeckers, sans date [1885]

Rachilde, Le Mordu, Paris, Brossier, 1889

Tailhade Laurent, A travers les grouins, Stock, 1899

Arnauld Michel, « Chronique de la littérature – Jean Lorrain : M. De Phocas, Ollendorff », La Revue blanche, novembre 1901

Pougy Liane de, Idylle saphique, Paris, Librairie de la Plume, 1901, rééd. Alteredit, 2006

Binet-Valmer, « Les Livres- Le Vice errant, par M. Jean Lorrain », La Renaissance latine, 15 septembre 1902, p. 128

Tailhade Laurent, « Monsieur le Président », L’Action, 11 mai 1903

ThÈbes Mme de, « Ce qu’on lit dans la main de Jean Lorrain », in Gil Blas, mardi 14 juin 1904, p. 1

Brisson Adolphe, « Chronique théâtrale : Thécla », Le Temps, 26 juin 1905, p. 2

Bertrand Louis, « Mes souvenirs de la Riviera. Où Jean Lorrain reparaît inopinément », Candide, 8 octobre 1931

Gauthier Pierre-Léon, « L’Influence et la légende de Jean Lorrain », L’Esprit français, juillet 1931, p. 36

- Travaux biographiques et critiques

Normandy Georges, Jean Lorrain intime, Albin Michel, 1928

Bertrand Jean-Pierre, Biron Michel, Dubois Jacques, Pâque Jeanine, Le roman célibataire, d’A Rebours à Paludes, José Corti, 1996

Anthonay Thibaut d’, Jean Lorrain, témoin de la Belle Epoque, Paris, Fayard, 2005

Pour citer cet article

Sébastien Paré, « Les avatars du Littéraire chez Jean Lorrain », paru dans Loxias, Loxias 18, mis en ligne le 15 septembre 2007, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=1924.

Auteurs

Sébastien Paré

Après l’obtention du doctorat, Sébastien Paré consacre ses recherches à la littérature fin de siècle et au décadentisme. Ses articles sont publiés dans les revues universitaires : Eidôlon, Europe,…Son essai, consacré à L’Inversion au tournant du siècle, doit prochainement paraître aux éditions L’Harmattan. Dans le cadre du L.A.P.R.I.L., laboratoire de recherche dont il est membre, Sébastien Paré intervient également dans divers colloques en France et à l’étranger. Il enseigne actuellement en principauté monégasque.