Loxias | Loxias 17 Littérature à stéréotypes | I. Littérature à stéréotypes 

Béatrice Bomel-Rainelli  : 

Utilisation et déconstruction des stéréotypes dans le cycle Harry Potter

Résumé

J. K. Rowling fait partie des rares auteurs dont l’œuvre conçue pour la jeunesse appartienne aussi aux lectures adultes. Le roman de jeunesse relève souvent de la littérature industrielle : très normé par les éditeurs, il est fréquemment lié au système des séries. Mais le cycle Harry Potter n’est pas un produit fabriqué par les agents et les éditeurs. J. K. Rowling choisit dans tous les genres de la littérature de jeunesse (contes, romans classiques patrimoniaux, romans de pensionnat etc.) les stéréotypes qui lui conviennent pour créer une œuvre originale, rythmée, inventive et pleine d’humour. De plus elle déconstruit les stéréotypes de la fantasy pour construire un cycle très complexe psychologiquement, fondé sur un dévoilement progressif des liens énigmatiques entre Harry et Voldemort et dont le message est plus politique que religieux ou philosophique, contrairement aux habitudes du genre. Elle a en fait créé sa propre catégorie de fantasy de jeunesse. Harry Potter ne relève pas de la littérature sérielle, il a engendré une série comme Tolkien.

Index

Mots-clés : école , fantasy, Harry Potter, jeunesse

Texte intégral

Joanne Kathleen Rowling est devenue depuis 1997 et en très peu d’années un des auteurs les plus célèbres du monde avec le personnage d’Harry Potter. Elle appartient aux très rares auteurs dont l’œuvre conçue pour la jeunesse appartienne aussi aux lectures adultes. Cet enthousiasme a suscité dès 2000 la création de sites remarquables qui portent à son œuvre le même attachement passionné et inventif que les Irregulars de Baker Street vouent au Sherlock Holmes de Conan Doyle et que les amateurs de fantasy offrent au Seigneur des Anneaux de Tolkien. Plusieurs facteurs créent une situation inédite d’attachement et de stimulation intellectuelle du lectorat. Harry Potter relève des crossover books, c’est-à-dire d’une littérature destinée à une jeunesse prolongée au moins jusqu’à trente ans. Joanne Kathleen Rowling s’adresse donc à deux types de lecteurs : les plus jeunes la lisent de façon souvent compulsive depuis la préadolescence et connaissent très bien tout le cycle édité ; d’autres l’ont découverte à l’âge adulte et l’ont lue avec une compétence affinée par d’autres genres narratifs et avec d’autres besoins que ceux des adolescents. De même que le cinéma pour enfants se sait destiné aussi aux adultes qui accompagnent les jeunes spectateurs et prévoit un double niveau d’interprétation, de même Harry Potter se prête à différents niveaux de lecture. De plus cette œuvre relève de plusieurs genres à la fois, notamment de deux genres très populaires en Grande-Bretagne, la littérature d’énigme et la fantasy : cette complexité générique renforce son attrait pour les adultes et contribue aussi au phénomène de suspense : chaque tome fait espérer des clés interprétatives, en donne certes mais suscite aussi de nouvelles interrogations. Or Harry Potter est toujours en cours d’écriture puisque le septième et dernier tome paraîtra en langue anglaise le 21 juillet 2007. Enfin J. K. Rowling est vivante et répond aux questions lors des interviews ou des chats : elle livre parfois des idées sur son roman, elle approuve ou improuve de façon ambiguë certaines hypothèses et relance ainsi les spéculations. La littérature de jeunesse a rarement suscité autant de comportements érudits, de déductions fines et d’hypothèses remarquables chez ses lecteurs adolescents.

Car Harry Potter est tout d’abord un roman de jeunesse or ce genre relève souvent de la littérature industrielle : très normé par les éditeurs en collections, en catégorie d’âges, de sexe et surtout en nombre de pages, suscité par eux, il est souvent lié au système des séries. La série Alice, créée dans les années 1920 aux USA, passée par d’innombrables mains, constamment modernisée et lue encore dans les années 1990, est un exemple de cette littérature industrielle reproduisant les stéréotypes de chaque époque. Mais Harry Potter n’est pas un produit fabriqué par les agents et les éditeurs : ce roman de fantasy écrite par une femme, trop long pour la jeunesse, sur le thème désuet du pensionnat, ne pouvait être lu par les garçons. C’est d’ailleurs la maison d’édition Bloomsbury, habituellement destinée aux adultes, qui le publia et fit cacher à Rowling son sexe par l’utilisation des initiales J. K.

L’originalité d’Harry Potter se voit dans la difficulté à le classer dans une catégorie éditoriale mais aussi dans un genre littéraire. Si « Apprendre à lire, c’est d’abord apprendre à maîtriser des stéréotypes » (Jean-Louis Dufays), apprendre à écrire, c’est user des stéréotypes pour créer un jeu au double sens du terme : un plaisir et un écart, une liberté. J. K. Rowling use de stéréotypes : par exemple, les méchants sont généralement laids et antipathiques. Mais elle en joue consciemment, elle s’amuse même à forcer le trait : l’humour de la reconnaissance stéréotypique compense les moments plus sombres des romans et participe de l’allégresse communicative des premiers tomes d’Harry Potter. À cela s’ajoute la multiplication des influences qu’elle revendique. J. K. Rowling a étudié le français (comme Ursula Kroeber-Le Guin, grande créatrice de fantasy) et le latin à l’Université : ces langues imprègnent l’onomastique du roman et le vocabulaire de la magie. Son auteur préféré est Jane Austen, écrivain plein d’intelligence et d’humour et sans doute une des sources de cet art anglais des dialogues romanesques. À Dickens, J. K. Rowling emprunte le goût des noms burlesques et des personnages extrêmement particularisés. À ces deux grands noms, il faut ajouter quatre auteurs que J. K. Rowling présente dans ses interviews comme des sources et des influences pour Harry Potter. Trois sont issus de la littérature de jeunesse anglaise : elle rend souvent hommage à Elizabeth Goudge pour l’intelligence d’une intrigue qui se révèle peu à peu or l’énigme construit l’architecture d’Harry Potter. Elle apprécie Edith Nesbit parce qu’elle crée de vrais enfants dans ses ouvrages et conte avec humour et vivacité. Elle a souvent lu les Chroniques de Narnia de C. S. Lewis, dont le « monde secondaire » — selon le vocabulaire de la fantasy — a comme entrée une armoire. Un quatrième auteur l’a influencée aussi à partir de 14 ans, l’écrivain féministe et communiste Jessica Mitford. La lecture de Hons and Rebels écrit par l’une des célèbres sœurs Mitford, a déterminé la composante « radicale » et féministe de son engagement. J. K. Rowling a lu aussi Tolkien1 à l’âge adulte, à l’Université, selon des témoignages, mais elle ne le considère pas comme une influence majeure sur Harry Potter.

Quels genres peut-on convoquer avec leurs stéréotypes pour lire le cycle Harry Potter ? Le conte, le roman dickensien, le roman de pensionnat, le roman humoristique, le roman d’énigmes, le roman d’aventures de jeunesse, le roman d’apprentissage, le roman arthurien et la fantasy : toutes ces catégories se croisent dans cette œuvre. Or malgré cela ou grâce à cela, J. K. Rowling échappe aux stéréotypes pour créer une œuvre originale, fondatrice d’un nouveau genre de fantasy de jeunesse. Pour le montrer nous étudierons la façon dont elle utilise les stéréotypes issus des divers types de la littérature de jeunesse puis nous verrons comment elle déconstruit les stéréotypes de la fantasy.

Harry Potter est tout d’abord un héros conforme aux stéréotypes de nombreux contes, romans de jeunesse et fantasy de jeunesse parce qu’il est un orphelin. Ce type de personnage est caractéristique des contes : Cendrillon, Blanche-Neige, Vassilissa, Peau d’âne sont des orphelines, privées de leur mère. Mais l’orphelin est aussi le héros de romans anglais écrits pour les adultes et devenus des classiques de l’enfance : les héros de Dickens, Oliver Twist et David Copperfield, Jane Eyre, l’héroïne de Charlotte Brontë, et le Rémi d’Hector Malot dans Sans famille. De même, le héros le plus fréquent de la fantasy est un orphelin, il l’ignore quelquefois au début du cycle romanesque parce qu’il a été doté d’une fausse ascendance (Les Annales du Disque-Monde) et placé à son insu dans une famille d’accueil (Bobby Pendragon). De plus Harry Potter n’est pas aimé de ses tuteurs : mal nourri, logé dans un placard, il doit aider aux tâches ménagères au contraire de son cousin. Le thème de l’enfant injustement traité apparaît dans de nombreux contes comme Cendrillon, les Fées, Vassilissa la Très Belle. Soumis aux mauvais traitements, exploité (Cendrillon), mis volontairement en péril (Les Fées, Vassilissa la Très Belle, Blanche-Neige), l’enfant orphelin est dépossédé de ses droits, enlevé et en danger d’être tué chez Dickens (Oliver Twist) comme chez Malot (Sans famille).

L’orphelin maltraité a une marque d’élection : dans le roman populaire du XIXe siècle, dont les intrigues obéissent à la tradition du mélodrame du XVIIIe siècle, les héros enfants de riche famille seront reconnus grâce à leurs langes, à un médaillon, à une ressemblance étonnante (Oliver Twist), à un tatouage, à une horrible cicatrice (L’Homme qui rit). Les héros de fantasy sont identifiés par un don qui se manifeste épisodiquement, qu’ils ne comprennent pas avant qu’on le leur nomme. Harry Potter est porteur de cette double identification. D’une part des faits étranges se produisent autour de lui, d’autre part il porte au front une cicatrice en forme d’éclair, signe d’élection et de reconnaissance plus étrange que l’angélique étoile au front de l’héroïne des Douze Frères chez Grimm. Mais, chez J. K. Rowling, la cicatrice n’est pas une simple marque, elle constitue un élément essentiel et premier du dispositif romanesque : l’image d’un petit garçon émacié avec une cicatrice lança sa conception du cycle.

L’orphelin maltraité est lancé dans une quête consciente ou inconsciente, la récupération de son identité, de sa famille, de son statut social : Le voyage de Rémi dans Sans famille lui permet de trouver sa mère véritable ; Gwynplaine apprend, dans L’Homme qui rit, qu’il est lord Fermain Clancharlie. Dans la fantasy, le héros part à la recherche de son père véritable, d’un maître et de son statut de sorcier (Sorcier !, Cycle de Terremer). La lettre de Poudlard révèle à Harry sa nature de sorcier et lance sa quête. Elle est tout à la fois une enquête sur ses parents, sur leur vie et leur mort et sur lui-même, sur l’origine de sa cicatrice, sur les causes de sa survie lors de l’attaque où périrent ses parents. Elle est aussi une conquête du pouvoir de sorcier comme moyen de ressembler à ses parents, de restaurer son identité et de s’inscrire dans un héritage, un roman familial mais aussi comme moyen de venger ses parents et de survivre. Les orphelins sont des héros aux riches potentialités comme le rappelle l’écrivain de jeunesse Philip Pullman : « Les orphelins sont d’excellents protagonistes pour les histoires parce qu’ils sont libres et pourtant il leur manque quelque chose. Ils sont privés de ce qui donne à un enfant le sens de ce qu’il ou ce qu’elle est, d’où il vient, quelle est sa place. Ils sont à la dérive, d’une certaine façon. Ils ont ce besoin. Car nous avons tous besoin de savoir d’où nous venons et où sera éventuellement notre place »2.

Le héros d’un roman de jeunesse est soumis aux contraintes du genre sur l’âge des personnages, sur leurs rapports et sur les situations romanesque. Harry Potter a 11 ans et il pourrait sembler voué aux aventures répétitives des héros pour préadolescent mais J. K. Rowling, en le faisant vieillir d’un an à chaque tome, lui permet d’échapper à cette sclérose. De même, les conflits évoluent avec la maturation du héros : la rivalité entre Harry et son cousin perd de son intensité et disparaît au profit de la lutte contre Drago Malefoy qui perd son statut d’ennemi inexpiable à la fin du sixième tome. Les scènes typiques des romans de jeunesse sont présentes, notamment la fondation difficile du groupe amical, les disputes entre tempéraments opposés et l’épreuve qualifiante, l’attaque d’un troll des montagnes, qui va souder l’amitié du trio. De plus, selon le stéréotype de la complémentarité des amis, les trois enfants semblent avoir des fonctions tranchées dans la fiction, surtout au début : Hermione, intelligente, travailleuse et moralisatrice, incarne le surmoi et le savoir ; Ron, loyal, affectueux, sans complication, transparent dans l’expression de ses sentiments, représente une sorte d’idéal de normalité pour Harry qui, tourmenté par le fantasme récurrent de la mort de sa mère, devient le jouet des forces obscures de l’inconscient et agit instinctivement. L’originalité la plus absolue de ce roman de jeunesse est l’absence constante de happy end : Harry Potter a des rapports haineux avec certains adultes et certains enfants et il n’y a pas de fin heureuse à ces conflits. Seuls les deux premiers tomes s’achèvent par une victoire ; Harry Potter survit seulement dans les autres, au milieu des morts. Les fins sont d’autant plus mélancoliques qu’Harry rejoint pour les vacances d’été une famille qui ne l’aime pas.

Car Harry Potter est aussi un roman de pensionnat, genre typiquement anglais, qui a existé en France surtout avant les années 1950 et qui perdure dans la cinématographie avec Les Disparus de Saint-Agil et Les Choristes. En Angleterre, le roman de pensionnat est plus développé en raison de l’importance des collèges privés aristocratiques et du modèle universitaire d’Oxford et de Cambridge mais il est vieilli3. J. K. Rowling, qui est contre les internats4, a lu toute la série Malory Towers (devenue ensuite Malory School) d’Enid Blyton. Poudlard ressemble à Malory School5 : l'école avec ses quatre tours est pareille à une forteresse isolée ; les enfants s’y attachent aux plaisirs enfantins des Réveillons, des gourmandises, des escapades, des farces ; un cycle scolaire entier se déroule dans la série des ouvrages et le pensionnat fonctionne comme un lieu d'initiation et de passage vers l'âge adulte.

Mais Poudlard n’est pas institutionnellement un lieu de souffrances destiné à former une élite féminine, contrairement à Malory Towers. En effet, Poudlard est mixte : garçons et filles logent dans les quatre maisons, elles-mêmes fondées par deux sorciers et deux sorcières ; les équipes de sport (quidditch) sont mixtes (sauf en deuxième année l’équipe des Serpentards). Poudlard est un creuset social et racial : les enfants sont Européens, Indiens, Africains, Asiatiques, Américains du Sud, d’origine moldue, sorcière ou issus de couples mixtes, de toutes les classes sociales puisque l’on aide financièrement les plus pauvres, le fils d’un laitier y côtoie l’incarnation de l’aristocratie etonienne. Le sport n’y est pas source de souffrances (le quidditch, seul sport décrit, n’est pas obligatoire), la discipline est raisonnable sous la direction de Dumbledore, la nourriture abondante. L’attention ne se porte pas uniquement sur les enfants car les adultes vivent plus en symbiose avec les enfants, notamment grâce à Dumbledore, Lupin et McGonagall, qui incarnent trois figures d’adultes tutélaires, de professeurs idéaux par leur autorité souple à l’écoute des élèves. Enfin les rapports de forces n’existent pas entre tous les élèves mais seulement entre le groupe d’Harry Potter et celui de Drago Malefoy ; ils sont la préfiguration de l’antagonisme entre le Bien et le Mal. Poudlard est donc une réforme idéalisée du pensionnat à l’anglaise. Que l’école soit de sorcellerie correspond à un stéréotype de la fantasy (Cycle de Terremer, Annales du Disque-Monde), illustré par Anthony Horowitz dans L’Île du Crâne (1983) et Maudit Graal (1991), où la nature magique des professeurs (un fantôme, une momie, un vampire, un loup-garou) adopte toutes les variations comiques possibles.

Car Harry Potter est aussi un roman de jeunesse qui continue la tradition anglaise de l’humour et du non-sens. Le ridicule burlesque des familles indignes est devenu un topos de cette littérature depuis les années 1960 avec Roald Dahl et ses romans Matilda, James et la grosse Pêche. La tante et l’oncle d’Harry sont aussi odieux que les parents du jeune sorcier David Eliot dans L’Île du Crâne et ils incarnent la petite bourgeoisie anglaise conservatrice, soucieuse des apparences, au mauvais goût rédhibitoire, qu’illustre la mièvrerie de la féroce Dolores Ombrage : des assiettes peintes sur ses murs représentent des chatons avec des rubans noués au cou car les bourreaux sont sentimentaux. Le roman anglais tire de la tradition austenienne cet art des portraits impitoyables de parents insuffisants : la sottise égocentrique de Mrs Bennett dans Pride and Prejudice, la faiblesse intellectuelle et l’hypocondrie de Mr Wodehouse dans Emma, la vanité et la stupidité de Walter Elliott dans Persuasion sont des modèles littéraires. Ce même topos se retrouve dans une série en dessins animés que J. K. Rowling apprécie, Les Simpsons de Matt Groening, qui présente une famille américaine dont le père et le fils sont effrayants d’inculture, de malhonnêteté, de goinfrerie et d’égocentrisme. Seuls les rachètent et les sauvent à chaque épisode l’amour de l’épouse Marge et l’intelligence de Lisa, une fillette aussi douée et morale qu’Hermione Granger.

Si la famille Dursley est décrite selon des stéréotypes comiques dont J. K. Rowling use avec plaisir, les sorciers sont eux-mêmes souvent ridicules. L’habillement des sorciers par exemple est extravagant par nature : il rappelle la mode des années 1970 en Angleterre ou les modèles de Vivian Westwood. Mais il devient grotesque lorsqu’ils veulent se déguiser en moldus, rejoignant ainsi la tradition burlesque du cinéma ou le comique d’Hergé (les personnages en frac mais à demi vêtus sont chez lui le symbole de la folie). L’humour peut être aussi volontaire chez un sorcier : Dumbledore pratique l’autodérision très fréquemment6 et mêle toujours ses propos les plus sérieux de plaisanteries, pour alléger la gravité des scènes. Comme Merlin, il enseigne au héros la vie (un de ses prénoms, Perceval, le rattache aux romans arthuriens) mais c’est un Merlin plein d’humour. Comme Gandalf organise les fêtes des Hobbits dans Le Seigneur des Anneaux, il règle les réjouissances des élèves de Poudlard. Ses facéties et sa façon de faire chanter l’hymne de Poudlard (I, 130) le transforment aussi en personnage de Lewis Carroll. J. K. Rowling ne se prive d’aucune forme d’humour et elle connaît le goût transgressif des enfants, d’où l’importance des farces et attrapes, les allusions aux sécrétions et aux excréments ou la confiserie magique surprise (les Nids de Cafards et les Chocogrenouilles), d’ailleurs inspirée des Monty Python. Des scènes qui auraient pu être dramatiques sont traitées de façon burlesque et s’achèvent en descriptions volontairement écœurantes, comme les aiment les enfants : pendant son combat contre un troll des montagnes, Harry se sert de sa baguette magique en l’enfonçant dans les narines du troll, d’où elle sort souillée par la morve gluante « et pleine de grumeaux » du troll (I, 177).

L’humour de J. K. Rowling déconstruit aussi certains stéréotypes de la fantasy : elle crée un univers de sorcellerie rationnelle et raille la pensée magique de notre époque ; elle use des thèmes du nom sacré et de la prophétie si importants dans la fantasy mais les démonte. En revanche elle donne une importance énorme à la psychologie, dépassant alors le manichéisme qui ne lui sert que pour des effets burlesques ou d’horreur.

Harry Potter est un roman de fantasy qu’on peut rattacher à plusieurs courants7. Il emprunte à la high fantasy, à la fantasy épique tout d’abord certains aspects médiévaux : l’École de Poudlard a été fondée il y a 1000 ans, les vêtements des sorciers sont très anciens, les livres sont des grimoires, on écrit avec des plumes ; de plus le héros est lancé dans une quête initiatique qui débouche sur une lutte entre le Bien et le Mal puisque la magie blanche (théurgie) affronte la magie noire (goétie) et il est entouré de personnages issus des contes de fées et de la mythologie. Mais l’action d’Harry Potter ne se déroule pas dès le début dans un monde secondaire, c’est-à-dire différent, imaginaire et possédant ses propres lois naturelles, comme la Terre du Milieu du Seigneur des Anneaux. En donnant des pouvoirs à certains hommes ou créatures, ce roman est proche de la fairy-tale fantasy. Mais le Mal l’emporte sur le Bien dans plusieurs volumes avec des scènes d’horreur comme dans la dark fantasy. Le lien d’apprentissage entre Harry et Dumbledore, décrit selon le modèle des druides et de Merlin, rapproche Harry Potter de la fantasy arthurienne. Comme dans la low fantasy des Chroniques de Narnia, le monde imaginaire communique avec le monde « normal » : un passage dans le mur d’un pub et d’une gare permet d’y accéder mais la plupart du temps l’Angleterre des sorciers et celle des moldus correspondent, comme dans la fantasy urbaine. L’humour du roman le rapproche de la light fantasy de Terry Pratchett (Les Annales du Disque-Monde). L’utilisation des locomotives à vapeur, hommage à la rencontre ferroviaire de ses parents, rattache J. K. Rowling au courant steampunk. Enfin comme dans la fantasy historique, l’Histoire est réécrite puisque, dans la chronologie des sorciers, Dumbledore a vaincu en 1945 le mage noir Grindelwald. Toutes ces références montrent que J. K. Rowling ne relève d’aucun courant de fantasy car elle en a créé un nouveau, par sa totale liberté d’écriture et son efficacité.

Ce qui la différencie le plus de toute la fantasy, c’est la rationalisation de la magie qu’elle opère, son désenchantement en quelque sorte. En effet, les pratiques courantes de la magie au XXIe siècle sont toujours moquées : la divination par les boules de verre, l’astrologie, la lecture des feuilles de thé et des lignes de la main. J. K. Rowling ridiculise la notion de troisième œil et remplace la peur superstitieuse du chat noir par celle du chien noir (le sinistros), l’utilise comme ressort dramatique puis la détruit. De plus la superstition et la divination sont critiquées par trois personnages positifs aux puissantes personnalités, Dumbledore (V, 943), Minerva McGonagall (III) et Hermione Granger (III), qui présentent la divination comme une discipline scolaire douteuse. Les autres pratiques magiques sont transformées en véritables enseignements techniques : on insiste sur l’importance de la prononciation dans l’énoncé du sortilège en latin macaronique, sur la précision du mouvement de la baguette, sur l’habileté manuelle en potions, sur la concentration dans le cours de défense contre les forces du mal et même sur la qualité de la baguette elle-même. Alors que leur don a conduit les enfants à Poudlard, il semble ne plus exister, seuls comptent le travail et l’intelligence.

Cette rationalisation de la magie aboutit à la destruction de la pensée messianique de la fantasy. En effet, le thème de l’élu et de la prophétie, hérité du cycle arthurien mais présent déjà dans les mythes antiques, est fondamental dans la fantasy, par exemple dans le Dune de Franck Herbert et le Star Wars de George Luckas. Dans Harry Potter, au contraire, il est désigné comme un artifice littéraire et démonté par un dispositif minutieux. Tout d’abord la notion d’élu est dévalorisée parce qu’elle est employée par les journaux à scandale pour désigner ironiquement Harry que cette qualification irrite. De plus, une prophétie a bien été émise mais par un personnage ridicule : Sybille Trelawney. Ce pitoyable professeur de divination a lancé deux vraies prophéties sur Lord Voldemort mais à la manière des sybilles antiques, c’est-à-dire à son insu et dans un état second. J. K. Rowling rationalise l’effet de la première prophétie par la bouche de Dumbledore (V, 946-7). La prophétie8 ne s’est vérifiée que parce qu’elle a fonctionné comme une prophétie auto-réalisatrice. En effet, Lord Voldemort, n’en ayant appris que le début, a créé lui-même l’enchaînement des circonstances. S’il n’avait pas attaqué celui qu’il croyait son rival, rien ne se serait sans doute passé ; il ne lui aurait pas donné son sacre, sa marque et ses dons. Le message philosophique de Dumbledore (quasiment sartrien) selon lequel il n’y a pas de destin déterminé par des dons mais nos choix révèlent ce que nous sommes (I, 349), se vérifie ainsi. De plus, la prophétie correspondait à deux enfants et c’est bien le choix d’Harry Potter par Lord Voldemort qui a fait de cet enfant l’élu et non le destin. La prophétie et l’élection fonctionnent donc comme ressort fictionnel mais sans instiller de pensée magique chez les lecteurs.

De la même façon, J. K. Rowling jette la dérision sur le thème du nom de l’élu, si important dans la fantasy. Ravivant le thème du nom secret de l’Égypte ancienne ou des pratiques vaudoues par exemple, la fantasy considère qu’il y a un rapport entre le nom et l’être. Chez Ursula Le Guin, on peut exercer la magie sur les êtres et les choses quand on connaît leur nom exact (Cycle de Terremer) ; Dan, qui a ce don, reçoit d’un mage son véritable nom, Ged, et devient l’élu. Dans Harry Potter, Lord Voldemort fabrique son propre nom symboliquement après avoir tué son père moldu : il transforme le nom de Tom Marvolo Riddle (Tom Elvis Jedusor en français) que lui a donné sa mère Mérope en alliant le nom de son époux (Tom Riddle) au prénom de son père Marvolo Gaunt, sorcier descendant de Salazar Serpentard. Tom Marvolo Riddle devient (et donc signifie) « I am Lord Voldemort ». L’anagramme transfigure le nom haï du père, il enlève la souillure moldue ; par ce double meurtre du père et de son nom, Lord Voldemort peut naître de lui-même. Ce nom mortifère correspond à son but : vaincre la mort par la magie noire des horcruxes (t. VI). Or ce nom, même les partisans de Voldemort hésitent à le prononcer et Voldemort est désigné par divers noms : « He-Who-Must-Not-Be-Named », « You-Know-Who » ou « the Dark Lord ». Seuls Dumbledore et Harry Potter rejettent la crainte superstitieuse ou révérencieuse attachée au nom de Voldemort. J. K. Rowling a donné un prénom et un nom banal à son héros non seulement en hommage à des voisins d’enfance mais par refus de la magie onomastique. Pour la dévaloriser, elle associe le dégoût de la simplicité à la vanité petite-bourgeoise : Tom Riddle/Jedusor qui, à 11 ans, n’aime pas son prénom (« il y a beaucoup de Tom, marmonna Jedusor », VI, 305) et en change à 18 ans, est ravalé au rang de la tante d’Harry, avide de distinction sociale, qui méprise le prénom de son neveu : « Harry. Un nom très ordinaire, très désagréable, si tu veux mon avis » (I, 12). D’ailleurs Voldemort s’est donné le titre de « Lord » comme Rogue celui de « Prince » de Sang-Mêlé, remarque Harry (VI, 699).

En revanche J. K. Rowling use de toutes les ressources des noms pour le plaisir dickensien du jeu ou pour marquer ses prises de parti politiques notamment. La version anglaise du livre montre que les fondateurs des maisons de Poudlard ont une initiale redoublée (Godric Gryffondor, Salazar Slytherin, Rowena Ravenclaw, Helga Hufflepuff) comme les directeurs actuels des maisons (Minerva McGonagall, Severus Snape, Filius Flitwick, à l’exception de Pomona Sprout). Le nom de Salazar Slytherin/Serpentard est triplement connoté : le serpent est associé au mal dans la pensée judéo-chrétienne (to slither signifie glisser, le symbole de sa maison est un serpent dont il parle la langue) ; son prénom est le nom du dictateur du Portugal de 1933 à 1970 et J. K. Rowling, qui a vécu au Portugal et épousé un Portugais, le connaît ; enfin l’initiale en SS des fondateur et directeur de la maison des Slytherin/Serpentards révèle leur parenté idéologique avec l’Allemagne hitlérienne.

Car ce roman est politique, au sens où il met une philosophie morale en action. Les aventures ont une fonction initiatique (selon la tradition arthurienne de la fantasy) et psychologique et elles placent le héros puis tout le monde des sorciers en demeure de choisir une morale et une politique. Tous les combats forment psychologiquement et idéologiquement le héros. Harry connaît des victoires dans les tomes I et II puis des défaites de plus en plus graves. Dans les tomes III et IV, il est la cause du renforcement de son adversaire, dans le tome V, il est responsable d’une mort. Il voit mourir ses alliés dans les tomes IV, V et VI, un camarade d’abord puis son parrain Sirius Black et enfin son maître Dumbledore. Harry Potter explore son identité et son roman familial durant cinq tomes ; découvrant qu’il est la cause de la mort de ses parents puis de son parrain, il doit lutter contre son sentiment de culpabilité ; orphelin sans amour, il doit renoncer à la tentation de s’engloutir dans la contemplation de sa famille disparue dans le miroir magique du Rised (I, 207) ; pour résister aux Détraqueurs, ces monstres inspirés des Nazgul de Tolkien qui plongent leurs victimes dans l’apathie et le désespoir de la dépression, il doit cesser d’entendre la voix de sa mère. Tous ses modèles paternels disparaissent : son père se révèle cruel et fat, son parrain trop méprisant et donc coupable envers l’elfe qui le trahira, Dumbledore meurt et sa mort semble prouver qu’il s’est trompé de stratégie contre Voldemort. Chaque aventure augmente la conscience morale et politique de Harry et lui coûte un deuil ; à la fin du tome VI, Harry est seul et contraint de devenir adulte. Mais, contrairement à son père, il éprouve une empathie envers les autres et, à la différence de son parrain, il écoute les races méprisées par les sorciers.

J. K. Rowling lutte contre le manichéisme fréquent dans la fantasy notamment par les liens qu’elle noue entre le héros et Voldemort. Dans les tomes II à V, Harry découvre peu à peu la complexité de sa relation avec Lord Voldemort et il explore le passé de son ennemi au tome VI pour se préparer au combat final du septième tome. Or leur lien est quasiment gémellaire. Lord Voldemort a choisi Harry comme ennemi parce qu’il voyait entre eux une ressemblance : tous deux sont des sang-mêlé nés de mariage mixte entre moldu et sorcier. En essayant de le tuer enfant, Voldemort a été lui-même réduit à une demi-vie et à une impuissance semblables à celle de l’enfance. En assassinant les parents d’Harry, Voldemort l’a transformé comme lui en orphelin élevé sans amour chez les moldus et pour qui Poudlard représente une révélation de son identité, une famille et une ambition. En le frappant de son sortilège, Voldemort a transmis à Harry certains de ses propres pouvoirs d’héritier de Salazar Serpentard, notamment la capacité de parler aux serpents. Au début du cycle, Voldemort et Harry sortent en même temps de cet état d’enfance et arrivent ensemble à Poudlard. Voldemort, sous sa forme adolescente conservée dans un horcruxe, trouve qu’ils se ressemblent physiquement (II, 332-3). Enfin, pour renaître sous une forme adulte, Voldemort utilise le sang d’Harry : il bénéficie de la protection magique du sacrifice maternel de Lily Potter et peut donc toucher Harry sans risque (IV, 682) mais ce sang peut aussi devenir une faiblesse, il renforce leur fraternité et contamine Voldemort de valeurs antagonistes aux siennes.

Outre le sang, la cicatrice d’Harry créée par l’attaque de Voldemort est le symbole de leur lien. Elle réagit douloureusement à la présence de celui-ci et prévient le héros. Quand Voldemort se renforce, elle devient une zone d’échanges entre leurs deux esprits. Harry ressent les sentiments de Voldemort, voit par ses yeux lors de ses rêves, l’espionne. Mais Voldemort s’en aperçoit et s’en sert pour manipuler Harry en le poussant à assassiner Dumbledore 9. Dans une scène de combat du tome V, Voldemort pénètre même dans le corps d’Harry par sa cicatrice qui s’ouvre et il parle par sa bouche, dans une scène rappelant les possessions diaboliques ou les attaques d’aliens de la science-fiction. Harry est dans les anneaux d’une créature aux yeux rouges qui l’enserre tellement qu’il « n’arrivait plus à distinguer la limite entre son propre corps et celui de la créature. Ils avaient fusionné, unis dans la douleur, sans aucune fuite possible » (V, 916). Voldemort ne quitte Harry que lorsque celui-ci, dans sa souffrance et dans un élan d’amour, aspire à mourir pour revoir son parrain. L’amour est un poison pour Voldemort.

Ce lien particulier détruit la séparation manichéenne de la fantasy entre le Bien et le Mal que Tolkien avait déjà ébranlé : le Mal est une virtualité en nous. En effet, Harry s’interroge sur sa corruption par le Mal : il se sent « sale, contaminé » (V, 553), parle de « souillure » (V, 559). Il craint de devenir l’arme de Voldemort (V, 553), d’être un animagus serpent (V, 555, 540) et que Voldemort et le Mal ne prennent possession de lui. Il le redoute d’autant plus qu’à son arrivée à Poudlard, il a eu le choix entre les maisons de Gryffondor et de Serpentard, incarnation pour lui du Mal. Mais il sait aussi que Voldemort est en lui depuis longtemps et lui a donné les moyens de survivre et de résister. Leurs affrontements les ont fait grandir ensemble comme des frères ennemis et égaux. Harry se défie de lui-même et se voit comme une énigme inquiétante or c’est le vrai nom de son rival : Voldemort est une énigme (Riddle), un jeu du sort (Jedusor) dit le traducteur. Dans le tome VI, par l’intermédiaire d’un objet magique, la pensine, Dumbledore fait assister Harry à des scènes de la jeunesse de Voldemort. Le voir dès l’enfance permet d’anticiper son mode de fonctionnement mais aussi humanise le Seigneur des Ténèbres, que Dumbledore appelle « Tom » pendant leur grand combat, pour le ramener à son essence humaine et enfantine.

Cette humanisation des méchants, J. K. Rowling la pratique, par-delà les stéréotypes dont elle joue. Certes ils sont laids ou enlaidis puisque Tom Marvolo Riddle/Jedusor était beau comme Lucifer avant de devenir vipérin ; ils sont antipathiques ; leur rire est toujours sans joie, voire un ricanement atroce… Mais Severus Snape/Rogue est aussi une victime de la brutalité du parrain et du père d’Harry. Drago Malefoy, l’ennemi personnel d’Harry Potter, est terrorisé par Voldemort et révèle sa fragilité d’enfant face à un Dumbledore affaibli qu’il n’ose pas tuer par respect. Les Serpentards et les Mangemorts, disciples de Voldemort, sont d’autant plus enclins à haïr les moldus qu’ils sont eux-mêmes des sang-mêlé, qu’ils le cachent et que, par haine de soi et pour se purifier, ils veulent détruire leurs semblables, explique Hermione Granger (VI, 269, 698-9). Mais si J. K. Rowling essaie de complexifier et d’humaniser l’image des méchants, elle affirme sans ambiguïté l’horreur de leur entreprise de destruction du monde, la stupidité mortifère de leur pensée raciale, l’ignominie de leur utilisation des instincts pervers des morts vivants (les inferi), des loups-garous et des Détraqueurs. Le nom allemand du mage noir Grindelwald vaincu en 1945 par Dumbledore, l’école de sorcellerie Durmstrang dirigée par un ancien Mangemort et anagramme du mouvement romantique Sturm und Drang (Tempête et Assaut), dont le nom exalte la violence, le fait que Voldemort se soit caché dix ans dans les forêts d’Europe Centrale, le prénom Fenrir du loup-garou Greyback, issu du loup monstrueux et symbole du chaos dans la mythologie germanique, tout désigne l’idéologie nazie dans ce roman politique.

Les conflits entre Harry Potter et Drago Malefoy sont liés à leur opposition sur le thème de la pureté du sang, mais aussi à un conflit politique : Drago incarne l’arrogance de l’argent et de la caste, la recherche de la domination ; il n’a pas d’amis mais des subordonnés ; sa voix traînante comme celle de son père rend la prononciation particulière de l’aristocratie anglaise. Les Malefoy correspondent politiquement aux Thatcheriens, indique J. K. Rowling. Or, non seulement Harry et ses deux amis représentent toutes les variations de sang, qu’il soit pur, mêlé et moldu, mais Potter est instinctivement du côté des démunis même s’il n’a pas la conscience politique d’Hermione Granger. Harry a lutté pour émanciper un elfe, Dobby, mais Hermione se bat pour les droits de tous les elfes de maison au milieu des ricanements des sorciers et de l’incompréhension des elfes. Hermione et Dumbledore (V, 936) dénoncent le mépris des sorciers pour les autres êtres magiques et annoncent leurs futures difficultés à trouver des alliés dans la lutte finale du dernier tome. Et il est symbolique que le combat du tome V, dans le Ministère de la Magie, détruise la mensongère Fontaine de la Fraternité magique où gobelin, elfe et centaure regardent avec adoration un couple de sorciers. Dumbledore a tenté de fédérer une alliance de toutes les écoles de magie et envoyé des ambassadeurs vers tous les êtres magiques. Tout suggère que les sorciers ne pourront vaincre Voldemort que s’ils s’allient aux centaures, aux elfes de maison et aux géants pour créer un nouvel ordre social et un système international multipolaire.

J. K. Rowling a donc créé un cycle de fantasy de jeunesse très complexe psychologiquement, fondé sur un dévoilement progressif des liens énigmatiques entre Harry et Voldemort et dont le message est plus politique que religieux ou philosophique, contrairement aux habitudes du genre. J. K. Rowling ne considère pas d’ailleurs qu’elle écrit de la fantasy à proprement parler : elle lui sert de contexte parce qu’elle libère totalement l’imagination et donne plus de pouvoir encore à l’écrivain qu’aux personnages. Le succès mondial de cette œuvre n’en fait pas pour autant de la littérature populaire ou de masse. Si elle relève de la littérature de genre (la fantasy), elle a en fait créé sa propre catégorie : les low fantasy avec des héros adolescents se sont multipliées aux USA et en Europe. Harry Potter ne relève pas de la littérature sérielle, il a engendré une série comme l’avait fait le succès de Tolkien aux USA au milieu des années 1960. Sous la pression des éditeurs, les polygraphes ont délaissé le fantastique ou la science-fiction pour cette nouvelle fantasy. Les épigones ont repris des caractéristiques faciles sur le monde magique et sur le héros, proche des mangas shônen, ou l’étude du marché leur a fait choisir des héroïnes adolescentes. Mais ils n’ont repris ni la politisation de J. K. Rowling ni son inventivité. Pour échapper aux solutions habituelles de la fantasy, entre la destruction du mal, naïvement prétendue définitive, le crépuscule des sorciers au profit des moldus d’un Tolkien sous influence wagnérienne ou l’équilibre taoïste entre Bien et Mal à la Ursula Le Guin, nous attendons désormais beaucoup de l’auteur qui créa la fabuleuse pensine et l’inoubliable miroir du Rised.

Notes de bas de page numériques

1 Voir l’analyse des ressemblances entre J. K. Rowling et Tolkien : http://www.encyclopedie-hp.org/essays/essay-tolkien.php
2 BBC Television, 28 décembre 2001, émission sur Joanne Kathleen Rowling. Source : le site « Le repaire de Rowling », interview traduite par Sendai, Phenix, Myrddin, Babushka, Nikopol et Jessica.
3 Même référence : BBC Television, 28 décembre 2001.
4 Source : le site « Le repaire de Rowling », interview du 13/7/2000. Sur la série de Blyton : « Quand j’avais six ans, je les aimais beaucoup ».
6 Voici quelques exemples : « Les cicatrices sont parfois utiles. Moi-même, j’en ai une au-dessus du genou gauche, qui représente le plan exact du métro de Londres » (I, 20). Quand Harry Potter lui demande quel est son plus cher désir que révèle le miroir du Rised, il prétend qu’il s’y voit « avec une bonne paire de chaussettes de laine » (I, 212), lui qui reçoit en cadeau, hélas, uniquement des grimoires savants. Laissant volontairement Harry en présence d’Horace Slughorn, il justifie ensuite son absence en prétendant qu’il est allé regarder les fascinants modèles de tricot des magazines moldus (VI, 85).
7 Sources : les sites arcanes (http://arcanesfantasy.free.fr ) et wikipedia ; la revue Faeries n° 20 ; Jacques Baudou, La Fantasy, « Que sais-je ? », PUF, 2005 ; Jacques Goimard, Univers sans limites, t. 3, Critique du merveilleux et de la fantasy, Pocket, 2003.
8 « Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres approche... il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois... et le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal mais il aura un pouvoir que le Seigneur des Ténèbres ignore... et l'un devra mourir de la main de l'autre car aucun d'eux ne peut vivre tant que l'autre survit... Celui qui détient le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres sera né lorsque mourra le septième mois... » (V, 944)
9 « Aussitôt, la cicatrice de son front lui fit l’effet d’être chauffée à blanc, comme si l’ancienne blessure venait de se rouvrir. Alors, contre tout désir, contre toute sa volonté, mais avec une force terrible, il sentit monter en lui un sentiment de haine si intense qu’en cet instant précis, rien n’aurait plus lui apporter plus grande [534] satisfaction que de frapper –de mordre– d’enfoncer ses crochets dans la chair de l’homme qui se tenait devant lui… » (V, 533-534).

Bibliographie

ROWLING J. K., 1997, tome I, Harry Potter and the Philosopher Stone, Bloomsbury Publishing Plc, Londres ; 1998, Harry Potter à l'école des sorciers, trad. de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, « Folio junior », Gallimard jeunesse, 306 p.

ROWLING J. K., 1998, tome II, Harry Potter and the Chamber of Secrets, Bloomsbury Publishing Plc, Londres ; 1999, Harry Potter et la Chambre des Secrets, trad. de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, « Folio junior », Gallimard jeunesse, 362 p.

ROWLING J. K., 1999, tome III, Harry Potter and the Prizoner of Azkaban, Bloomsbury Publishing Plc, Londres ; 1999, Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, trad. de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, « Folio junior », Gallimard jeunesse, 472 p.

ROWLING J. K., 2000, tome IV, Harry Potter and the Goblet of Fire, Bloomsbury Publishing Plc, Londres ; 2001, Harry Potter et la Coupe de Feu, trad. de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, « Folio junior », Gallimard jeunesse, 768 p.

ROWLING J. K., 2003, tome V, Harry Potter and the Order of Phoenix, Bloomsbury Publishing Plc, Londres ; 2003, Harry Potter et l'Ordre du Phénix, trad. de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, Gallimard jeunesse, 982 p.

ROWLING J. K., 2005, tome VI, Harry Potter and the Half-Blood Prince, Bloomsbury Publishing Plc, Londres ; 2005, Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé, trad. de l'anglais par Jean-François Ménard, Paris, Gallimard jeunesse, 719 p.

Pour citer cet article

Béatrice Bomel-Rainelli, « Utilisation et déconstruction des stéréotypes dans le cycle Harry Potter », paru dans Loxias, Loxias 17, mis en ligne le 14 juin 2007, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=1734.

Auteurs

Béatrice Bomel-Rainelli

Maître de Conférences à l’IUFM de Nice, membre du CTEL s’est spécialisée dans la didactique historique de la littérature (avec des études en particulier sur la présentation de Bossuet, Montesquieu, Mme de Staël, Mme de Genlis, Voltaire par exemple dans les manuels scolaires) et la littérature de jeunesse.