Loxias | Loxias 2 (janv. 2004) Eclipses et surgissements de constellations mythiques. Littératures et contexte culturel, champ francophone (1ère partie) 

Arlette Chemain-Degrange  : 

Ouverture. La mythocritique : année 2001

Résumé

Que peuvent les méthodologies de l’imaginaire ? Que peut la mythocritique ? Questions ambitieuses auxquelles le séminaire introduit tentait d’apporter implicitement des éléments de réponse. Les ressources de la mythocritique s’y révèlent. Une autre approche aurait été : « La mythocritique aujourd’hui », plus ambitieuse encore. Pourtant c’est bien d’un état de la question dont parurent soucieux les principaux intervenants. L’originalité de notre intitulé attire l’attention sur la phase dépressive pendant laquelle le mythe se désagrège. Cette notion rejoint l’idée d’une période de latence des mythes, de mise en sommeil temporaire pendant que d’autres dominantes s’imposent. Les configurations mythiques sont-elles le fruit d’une réécriture ? La résurgence tient-elle du palimpseste ? S’il n’existe pas de « mythe-modèle » d’origine, stable et définitif, s’il n’existe que des variations successives, qu’une série de lectures, de « leçons », dont la somme serait constitutive du mythe, le développement littéraire reste créatif.

Plan

Texte intégral

Permettez-moi ces propos repris d’un précédent courrier : j’évoquais avec vous des journées qui ont marqué l’entrée dans notre décennie. Que peuvent les méthodologies de l’imaginaire ? Que peut la mythocritique ? Questions ambitieuses auxquelles le séminaire introduit tentait d’apporter implicitement des éléments de réponse. Les ressources de la mythocritique s’y révèlent. Une autre approche aurait été : « La mythocritique aujourd’hui », plus ambitieuse encore. Pourtant c’est bien d’un état de la question dont parurent soucieux les principaux intervenants.

Des 22 au 24 mars 2001, tandis que s’achevait le printemps des poètes, se sont réunis aux marges du pays, dans ce lieu privilégié entre Europe et Méditerranée, entre Occident et Orients, les représentants du Groupe d’Etudes Coordonnées des Centres de Recherche sur l’Imaginaire, pour un hommage concerté au père fondateur. Ne nous leurrons pas, telle fut la motivation première des rencontres de Nice : exprimer une reconnaissance collective à Gilbert Durand venu faire partager son immense savoir, son acuité intellectuelle, sa générosité. Avaient répondu les CRI profonds, ceux des années 60 à Jacob Bellecombette, la famille fidèle, le Ier cercle. Aux caciques se joignaient les disciples attentifs aux méthodes initiées, venus se ressourcer, ré-inséminer leurs recherches en devenir, puis ceux qui souhaitaient une reconnaissance, enfin de jeunes universitaires. Au cours de la session intervint la nouvelle génération des doctorants. L’ensemble se voulait « bien vécu et fécond ». Ainsi fut accueillie l’assemblée compacte de chercheurs motivés. Le recueil des résumés préalables remis aux arrivants était prometteur.

Sur un terrain neuf, avons-nous écrit, ces journées faisaient suite à celles de Perpignan organisées par Joël Thomas en octobre 1998, aux sessions rituelles de l’Université de Paris V - Sorbonne que préside Michel Maffesoli, aux rencontres annuelles de Montpellier autour de P. Tacussel, voire de Grenoble. L’esprit en est bien défini par J.J. Wunenburger, déclaration pour un savoir travailler ensemble, invitation à une réflexion commune (cf. Bulletin de Liaison des Centres de Recherche sur l’Imaginaire, n°15), orientation reprise dans l’encart de notre programme.

Les journées de mars se révélèrent fédératrices à plusieurs titres. Il faut rappeler un collectif fondé en Savoie, transféré à Grenoble puis à la Maison des Sciences de l’Homme à Paris, qui acquiert un fort rayonnement hors hexagone : les méthodes s’affinent au contact d’autres cultures. Le champ d’observation et d’application s’élargit. Dans un mouvement d’extraversion centrifuge, des centres se créent. J.J. Wunenburger reconnaît à la Corée, au Brésil, à la Roumanie entre autres une richesse de l’imaginaire qui justifie la présence de chercheurs de ces pays. En mars, quatre continents représentent différentes aires géo-culturelles de l’Asie aux Amériques en passant par les terres du Sud et l’Europe, richesse qui s’affirme dans le premier ensemble de communications reproduites : « GENESES ». Un certain nombre de pays se font entendre : Chine, Corée du Sud, Brésil, Congo, Côte d’Ivoire, Maroc, Canada, France, Belgique, Portugal, Espagne, Italie, Suisse, Hongrie entre autres si nous ne comptons que les intervenants, davantage si nous tenons compte des auditeurs tunisiens, vietnamiens, africains qui ont rejoint le public des Alpes Maritimes.

Les recherches sur l’imaginaire dès les origines pluridisciplinaires comme rappelé par Simone Vierne relient différents pôles. Philosophie, Sociologie, Anthropologie, Histoire permettent des regards croisés, des échanges réciproques. En Lettres le corpus pluri-générique analysé oppose narrations, poésie, livret d’opéra. Il n’est pas jusqu’au roman policier qui ne soit traité, accueillant la figure mythique du bouc émissaire (Fanny Brasleret). La figure du « traducteur-médiateur », nouvel Hermès ou Janus reliant différents domaines linguistiques retient l’attention de Sandra Garbarino. Des questions de méthodologie encadrent des analyses de cas spécifiques, dans un contexte national ou trans-national.

Au-delà des scléroses et des jugements sectaires, notre quête s’ouvre à différentes méthodologies. Gilbert Durand enseigne qu’au lieu de rejeter le dissemblable, il est bon de procéder à un enrichissement par les acquis des diverses sciences, « d’inclure au lieu d’exclure », thèse confirmée pour le séminaire à l’Université de tous les savoirs à Paris (« La résurgence du mythe et ses implications », nov. 2000). Il en va ainsi des processus et des théories critiques, des méthodologies mises à l’épreuve, synergie féconde.

Dans le champ littéraire, l’esprit de système et l’attention portée aux procédés d’énonciation s’intègrent désormais à une perception plus complète. Auteur et lecteur éprouvent-il encore le besoin de s’affranchir de l’orthodoxie structuraliste et post-structuraliste ? (concession à R. Barthes ou J. Kristeva jadis si chers à nos étudiants). Des travaux nuancent ceux de Levi Strauss. Dès les années 60 et de nos jours encore, les recherches initiées par les « Structures anthropologiques de l’imaginaire – Introduction à l’archétypologie générale » ouvrent d’autres voies. Loin de nous l’ambition forcément réductrice de rappeler la fertilité des analyses durandiennes, (l’art de repérer les archétypes fondamentaux, les signes qui convergent en bassins sémantiques, les régimes diurnes, nocturnes, les structures héroïques, mystiques, les symboles diaïrétiques, catamorphes, cycliques, l’éventuelle coalescence des mythes…). La lecture retrouve son intérêt si l’on perçoit comment les structures de l’imaginaire s’inscrivent dans la structure des textes littéraires ou l’inverse. L’observation du trajet anthropologique englobe les amorces de la socio-critique.

Pour ne considérer que les littératures dites périphériques comprenant les écrits francophones, une fois les conditions d’écriture longuement analysées, la compréhension du texte exige plus de souplesse. Placées habituellement sous un regard socio-politico-critique, les œuvres écrites s’éclairent d’une approche moins monolithique, étant dignes à leur tour d’une lecture plurielle. Les articles réunis dans la publication collective « Imaginaires francophones » en 1995 sanctionnée par une préface de G. Durand, puis dans « Littératures et imaginaire » précédé de « Pas à pas la mythocritique » en 1998, illustrent s’il en était besoin la pertinence d’une approche renouvelée. Enfin la mythocritique vint. Les analyses recueillies suggèrent la fécondité de cette reconversion. Bénéficiant d’une double entrée, deux fois transgressives, les littératures francophones prennent tout leur sens au regard des théories de l’imaginaire.

Je rapporterai simplement le bonheur exprimé par les étudiants qui découvrent ces analyses (parfois comme une révélation), qui y puisent une nouvelle stimulation. Ce qui explique peut-être l’assistance d’un public nombreux et motivé, assidu de l’ouverture à la fin de ces grandes journées d’équinoxe. La mythocritique éveille et réveille, a-t-il été confirmé. Le critique roumain Adrian Marino renouvelant le concept de littérarité s’ouvre à la dimension mythique et forge entre autres le concept de structure « mythistorique », (« Comparatisme et théorie de la littérature », PUF, 1988, p.122). Une demande forte répondait à l’annonce du séminaire attendu.

S’il nous appartient de justifier l’intitulé retenu pour ce séminaire, il fut proposé par Gilbert Durand lui-même au temps où l’éclipse solaire agitait les imaginations, en août 1999, phénomène réitéré sous une forme atténuée pendant l’éclipse de lune de l’an 2000. Ce titre évolutif s’enrichit du terme de « constellations mythiques » - sinon pour le rythme et les sonorités, commente Olympia Alberti, du moins pour rappeler que le mythe complexe, composition plurielle se constitue d’éléments eux-mêmes mouvants autour de noyaux relativement stables qui cependant « palpitent différemment ». J.F. Mattei avoue son plaisir à développer ce concept de constellation.

Quant aux processus mentionnés, l’originalité de notre intitulé attire l’attention sur la phase dépressive pendant laquelle le mythe se désagrège. Cette notion rejoint l’idée d’une période de latence des mythes, de mise en sommeil temporaire pendant que d’autres dominantes s’imposent, périodicité exposée lors d’une conférence à Nice : « Explosion, latence, résurgence des mythes » à l’orée de la décennie 90. Les trajets ascendant et décroissant observés sont en fait des moments d’un cycle global. Ils demeurent indissociables. Deux versants se constituent de l’émergence à la décroissance encadrant une acmé. Pour qu’il y ait résurgence, il faut qu’il y ait eu éclipse et réciproquement. Interprèterons-nous ces reconversions comme une modélisation de la succession mort et renaissance ? Cette composante du schéma initiatique est plusieurs fois évoquée par les intervenants au colloque.

La disparition momentanée d’un mythe, le versant dépressif pris en considération, les contributions entendues s’orientent vers l’observation de l’ellipse qui succède à l’épanouissement ou le précède. Ainsi le veut la conférence inaugurale de Gilbert Durand sur « Le préictal slowing » ou « les symptômes avant-coureurs de l’effondrement du mythe » au sein « d’une périodisation culturelle ». Ces signes sont perçus dans la peinture et l’art maniériste et baroque postérieurs au XVIème siècle (cf le premier titre proposé par Gilbert Durand : « Le maniérisme comme delta et comme ruissellement : sources et ressources d’un courant sémantique »). En sociologie, Danièle Rocha Pitta traite de « La fractalité précédant de nouvelles constellations mythiques au Brésil ». Cette dispersion a-t-elle un rapport avec l’image du partage du fleuve dont le cours se divise en delta dans le vocabulaire « potamologique » dont use non sans humour le mythocriticien ? Chaque subdivision, chaque fragment obtenu implique alors l’ensemble auquel il appartient - dans un rapport holiste.

Dans un mouvement ascendant puis dépressif s’inscrit le texte de Roger Chemain observant en littérature l’évolution de la figure de l’archange en ange exterminateur, en mauvais ange - pilote de bombardier -. Celui dont parfois l’équipage disparaît en plein vol, comme sublimé dans l’éther voit son image s’aliéner dans la quotidienneté ordinaire. Enfin l’héroïsme se mue en hédonisme, Icare sombre dans le professionnalisme.

La mise en retrait des figures brillant au Ier plan relègue le mythe dans un non-dit sous-jacent, un substrat qui engage le cerveau reptilien, la raison sensible, les perceptions intuitives (Conférence de M. Maffesoli, Amphithéâtre Louis Liard, Sorbonne, juin 2000). P. Ricoeur est relu. Des données installées antérieurement : substrat archétypal, mémoire collective, Histoire se constituent en hypotexte. Phénomène inverse de celui de l’éclipse, le surgissement s’effectue à partir d’une prise en compte d’un vécu antérieur, ce qu’indiquait le titre paradoxal : « Le passé d’un avenir, syncrétisme et post-modernité » proposé par l’auteur de « Au creux des apparences » ou « Le retour du tragique ».

Un substrat demeure, fait de blocs erratiques anciens, socle sur lequel s’édifie la pensée en devenir. Mort, ce passé reste sans intérêt. Réactivé, il charrie un souffle puissant. Ainsi le système complexe du Yiging si clairement analysé dans la philosophie chinoise par Sun Chaoying Durand a ce sens et ce pouvoir de régénérer par un processus éprouvé depuis la nuit des temps : « Une méthode directive de la naissance et de la disparition des choses : le livre des mutations, ‘Yijing’ ».

Le fond archétypal immergé affleure, se fait reconnaître. Les données sous-jacentes accèdent à la surface visible par l’acte d’écriture. Le non-dit s’inscrit dans la parole claire. Le secret se dévoile (P. Brunel, PUG, 1998). L’obscur devient lumineux.

Le dynamisme de la notion d’émergence suppose des schémas ascendants. Eclosion, croissance, bourgeonnement accompagnent le surgissement. Celui-ci peut être violent, feu, lave ou volcan. Les poètes comme Tchicaya U Tam’si le grand absent le perçoivent bien. Ainsi l’eau enfouie jaillit des profondeurs souterraines au pays de Pétrarque et de René Char à L’Ile sur Sorgue.

Le surgissement s’accompagne de métamorphoses, d’évolutions voire de révolutions. Cette mobilité retient l’attention de l’actuelle mythocritique. Les théoriciens méfiants envers des certitudes trop définitivement établies préfèrent observer les transitions, les ‘passages’, les transferts. Les non-dits, les blancs du texte ou « le trou noir » selon Blanchot captivent les actuels exégètes. Entre « les scènes capitales » ou foyers de la trame narrative que retenait Barthes les ruptures apparentes que signifient l’ellipse sont riches de l’essentiel. Les relations entre les éléments l’emportent sur les « vérités établies » appelées à évoluer. La communication annoncée par l’écrivain Antillais D. Maximin « Imposition du réel et vérité poétique » s’inscrit dans cette mouvance. Le passage du non-dit au dicible, de l’implicite aux notions manifestes accompagne la résurgence de la parole mythique.

Mais pendant qu’un mythe dominant s’impose, un autre se prépare en sourdine. L’un se meurt tandis que l’autre naît (G.D., « Pas à pas la mythocritique, Nice, 1996 ») ; il existe une période de chevauchement. Un double processus commande une évolution analysée en mars avec brio.

Effacement et émergence de constellations mythiques affectent différents champs de notre activité. Dans le domaine de l’histoire littéraire, C.G. Dubois saisit dans une vigoureuse synthèse les deux portants du phénomène, dans leur hégémonie respective : surgissements successifs, simultanés ou alternatifs sont observés. Le seizièmiste met en scène avec maestria et humour les relations à l’intérieur du duo baroque/classique au cours des temps, illustrant « La vie mythique des concepts d’histoire littéraire, le couple Baroque/Classique ». Lorsqu’une des deux esthétiques s’estompe, l’autre s’impose et vice versa. Se créent des relations de simultanéité ou d’alternance, dans un mouvement de balancier ; courbes et oscillations commandent « les positions » respectives d’éléments complémentaires ou contrastés, à tendance féminine ou masculine. Le conférencier joue avec malices des propositions induites par le terme couple.

Cependant les théoriciens évitent de s’isoler dans un univers clos abstrait, ils appréhendent le monde extérieur, conquièrent le cercle européen d’abord. Recherchant des mythes ressurgis, il est piquant d’examiner les configurations éludées que traducteurs et lecteurs négligent en passant de « la culture regardante » à « la culture regardée ». En certains pays un imaginaire se développe en réaction par rapport aux stéréotypes que conçoit le vis-à-vis, ce dont traite en littérature comparée l’imagologie (cf. D.H. Pageaux). J.J. Wunenburger dont le premier projet s’intitulait « Imaginaires en dialogue », non sans souligner la richesse du patrimoine coréen, brésilien voire d’Europe Centrale, observe les interférences entre les réseaux d’images d’un pays à l’autre qui entretiennent entre eux des rapports de sensibilité et de culture.

Le philosophe dans une réflexion au second degré s’interroge sur les « Epistémologies croisées de l’imaginaire : traditions française et roumaine ». Il crée le concept de « mytho-logo-analyse » : « Si la mythanalyse comparée rend compte des imaginaires culturels dans leurs variations et évolutions, la ‘mytho-logo-analyse’ comparée veut confronter les théories sur l’imaginaire en rapport avec des traditions culturelles académiques et nationales dont elles sont issues ». Est-ce rapporter les configurations mythiques au substrat culturel, à leur environnement spécifique ? La problématique des journées introduites se situera entre ces deux pôles : le profil mythique lu en fonction du contexte d’énonciation précis et daté ou plus fondamentalement retrouvé.

La ré-imprégnation mythique transforme des témoignages en récits lyriques qui perpétuent l’héritage de la mémoire collective. Les constellations imagées se transmettent selon un axe diachronique ; dans le corpus subsaharien par exemple, il est possible de mettre en évidence « un réenchantement de la parole francophone » (A.C., Université de Bordeaux III, 2000, dir. G. Peylet). La re-mythologisation est fonction également des contacts avec des cultures qui se développent simultanément ; des interférences transversales s’observent suivant des axes synchroniques. De grandes « travées mythiques » traversent les œuvres qui nous sont présentées et dont le caractère volontairement hétérogène fait la richesse.

A l’heure où l’on repense « les transferts d’imaginaires » (programme quadriennal), un nouveau type de relations s’instaure des pays dominés aux pays dominant inversant les hégémonies Nord/Sud. On constate que s’amorce un renversement des influences qui s’exerçaient rarement du Sud anciennement colonisé vers le Nord longtemps dominateur (cf. R. Chemain, « Imaginaire des marges, imaginaire du centre, interférences », colloque CSI, Grenoble II, décembre 1998). Un double dynamisme s’exerce, des images reçues de l’extérieur entrent en tension avec le ressourcement dans un patrimoine originel.

Le champ d’application de la mythocritique s’élargit. Le corpus des textes et coutumes observés s’étoffe. Le ton est donné par J. Thomas. Ouvrant l’écart temporel, lui spécialiste de « l’imaginaire de la latinité » engage un Ier débat. Choisissant un auteur excentré par rapport à l’Europe, examinant le roman d’un originaire du Liban naturalisé australien, Malouf, il relie le fond virgilien au récit moderne, l’un et l’autre enrichissant « les imaginaires de l’exil ». L’innutrition défie un éloignement dans l’espace et dans le temps.

L’écart temporel est grand de l’Antiquité latine à nos jours. Le temps de latence du fond mythique demeure variable, comme celui de la gestation sourde qui précède le surgissement. Mais il existe des relais au cours des siècles, laisse entendre un 2ème groupe de communications. Le médiéviste J.G. Gouttebroze le rappelle.

La matière de Bretagne jamais complètement occultée, semble-t-il, la figure de Lancelot du lac est périodiquement réactivée, et connaît des mutations chargées de sens. Georges Bertin observant « La figure du prètre-roi et la figure gémelle de Saint Fraimbault – du gardien du bocage sacré, récurrence d’une figure indo-européenne au médiateur post-moderne ». La quête du Graal connaît périodiquement surgissements et éclipses depuis « la matière de Bretagne » jusqu’aux récits de Jules Verne, développe Simone Vierne en une vaste fresque.

La quête initiatique fait l’objet de plusieurs interventions, étant essentielle aux projets d’écriture fussent-ils d’auteurs éloignés comme Malouf réécrivant l’exil de Virgile. Le processus initiatique structure les récits sud-africains d’A. Brink, interprète M. Pettiti, lectrice de Simone Vierne. A. Violet reconnaît là un principe d’éducation à exploiter. A.M. Picard en quête de méthode d’initiation à la lecture dit comment le refuge dans les fantasmes et les mythes que se forgent de petits immigrés retarde leur apprentissage.

Les configurations mythiques sont-elles le fruit d’une réécriture ? La résurgence tient-elle du palimpseste ? S’il n’existe pas de « mythe-modèle » d’origine, stable et définitif, s’il n’existe que des variations successives, qu’une série de lectures, de « leçons » (cf G.D., « Mythodologies », 1996) dont la somme serait constitutive du mythe, le développement littéraire reste créatif.

Le mythe rarement repris intégralement en tant que récit articulé d’événements qui s’enchaînent, les intervenants montrent qu’émergent des mythèmes dans un ordre recomposé. Plusieurs contributions privilégient les surgissements périodiques d’un personnage emblématique qui finit par à lui seul signifier le mythe. Il se constitue une série avec des variantes qui pervertissent, inversent parfois le sens originel du mythe. Eurydice connaît dans la littérature occidentale une succession de réinterprétations. Celles-ci sont sujettes à des variantes significatives, explique A. Bouloumié observant les métamorphoses de l’antique Eurydice devenue figure de mort, amante possessive, séductrice dangereuse dans les œuvres d’Anouilh, de Pascal Quignard, de Marguerite Yourcenar, de Michèle Sardes et de Jean-Loup Trassard.

Le mythe de référence perçu dans une figure emblématique, celle-ci attire par son ambivalence. « Les profils féminins qui hantent notre imaginaire, fondements archétypaux de la littérature, visages paradoxalement prégnants et évanescents s’organisent en un système complexe se développant au sein de la symbolique de l’intimité » insiste Nathalie Duclot-Clément. Citant l’ouvrage référentiel « Figures mythiques et visages de l’œuvre – Essai d’archétypologie générale » le chercheur observe « une modélisation plurielle, d’une détermination protéiforme, multiplicité formant cependant une image unique ». La femme absolue en qui se retrouvent « les valeurs oxymoroniques fondamentales telles la naissance et la mort, les contradictions de la vierge pécheresse toute puissante, véhicule par sa singulière détermination, les dichotomies originelles », archétype de la femme dédoublée mais figure unique.

Enfin la réception et la retransmission non limitées à des figures singulières, un substrat complexe reste actif. La descente aux enfers analysée par P.A. Deproost, reprise en Belgique par l’écrivain francophone Henri Bauchau psychanalysé par Mme Reverchon-Jouve, constitue un hypotexte auquel Mme Watthee-Delmotte rapporte le récit du XXème siècle « Œdipe sur la route ».

Jean Giraudoux construit son oeuvre à partir des configurations symboliques de l’âge d’or, du voyage initiatique, de l’île enchantée investis d’un sens réactualisé, commente H. Roure-Carbolic. Dionysos se profile dans l’œuvre de Pierre Loti perçue par Lory Castagna. Euphorion donne un sens à l’œuvre de Camus, reprend H. Ruffat. Cécilia Charles dans une approche nuancée met en perspective « mythe manifeste et mythes latents » dans le roman d’Anne Hébert. La nébuleuse du vampire réactivée dans « Héloïse », Orphée et Œdipe demeurent en arrière-plan.

Si les interférences dénoncées relient tant de réécritures, il semble qu’une même figure mythique peut surgir sinon ressurgir dans des cultures fort éloignées, sans qu’une interaction puisse être démontrée entre le texte-source et le texte-cible. Un ensemble de mythèmes subtilement repérés en Corée par Sookhee Chae rappellent la légende d’Orphée. Les constellations mises en correspondance s’observent dans un corpus de légendes et de récits mythiques comme dans des œuvres écrites savamment élaborées. Ces rapports entre tradition orale et transcriptions d’une part, entre cultures sans contacts historiquement attestés d’autre part posent le problème des influences subies. S’agit-il d’un transfert culturel ou du jaillissement d’un fond archétypal « universel » ? questionnement sous-jacent aux études comparatistes.

Les mythèmes articulés par des récits populaires éveillent l’attention. Flexibles et sensibles aux mouvances extérieures, les oeuvres s’ancrent dans le patrimoine archaïque. Structures et figures archétypales font partie de l’héritage reçu ; les contes et légendes de la mémoire collective réactivés nourrissent des créations individuelles. Il faut relire Sun Chaoying et le Ier texte de Sookhee Chae publié en 1998. Ailleurs des tensions se créent entre l’oralité lieu de ressourcement et l’écriture actuelle, opposant différents champs linguistiques.

L’irruption du substrat culturel se vérifie dans les rituels carnavalesques véhémentement décrits par A. Rogliano. Les masques du « mazzeru » profilés en Sardaigne et dans le bassin méditerranéen visualisent des légendes, donnent une interprétation concrète des personnages imaginaires des récits populaires. La genèse des configurations mythiques reste fonction de la culture originelle, de la culture et de la langue maternelle locale. Une configuration du « décor mythique » tient au milieu culturel spécifique. La plaine de la Tchoukourova dont est originaire Yachar Kemal porte en gestation l’imaginaire littéraire du cycle de Mémed le mince, insinue Seza Ylancioglu. Tandis que le fond africain de l’Ouest, paysages et coutumes, langue malinke, engendrent le décor symbolique, le bestiaire et les créations totémiques d’Ahamadou Kourouma, le réalisme magique, le fantastique mêlé au quotidien. L’enracinement ethnique approfondi est défendu dans sa singularité en région subsaharienne dans la Geste que construit l’écrivain ivoirien.

Alhassane Cissé définit une poétique en tension entre oralité traditionnelle et écriture, entre la tradition légendaire mandingue ou baoule et la création francophone en Côte d’Ivoire. B. Chabil met en correspondance A. Césaire et le marocain Kair-Eddine. Yehia Taha Hassanein observe la résurgence de traits mythiques de la culture pharaonique dans des romans voire des opéras occidentaux. Au Maroc comme dans tout le Maghreb se dresse la figure de la Kahina, « la chevelure éployée comme les ailes de l’aigle », figure active de l’imaginaire traditionnel qu’évoque Samira Douider ; elle peut être rapprochée des héroïnes subsahariennes de la tradition orale où puisent Mohamadou Kane et Sembene Ousmane. Elle aurait pour sœur en héroïsme, de ce côté-ci de la Méditerranée Catherine Ségurane qui sous le règne de François Ier ‘trop tolérant envers les Turcs’, sut défier les guerriers en exposant sa nudité (et son postérieur), au point de mettre en déroute l’envahisseur d’Orient, rappelle fièrement l’intervention niçoise d’Annie Sidro.

Les atavismes ancestraux intégrés aux apports modernes, il en naît des créations d’un haut relief. Szonja Hollosi analyse la figure mythique du fils prodigue dans le roman maghrébin (D. Chraïbi, F. Laroui), dans une perspective pluriculturelle. Outr’Atlantique, une culture prégnante protéiforme organisée en rhizome marque l’écriture insulaire caraïbe.

Certains surgissements s’originent dans un environnement national. Abel Kouvouama observe, dans des sociétés coloniales et post-coloniales la genèse de mythes modernes ; il exalte la figure de Matsoua prophète d’une religion syncrétique au rôle politique et mystique en contexte bantou. Reconnu dans les années 30, le guide messianique ressurgit au Congo dans les décennies 80 et 90, en fonction des circonstances historiques.

Les fondements d’une construction nationale plusieurs fois observés, F. Monneyron sait l’ancrage de la nationalité italienne dans un fond historique et culturel où Adam concurrençait Wotan, où la Rome impériale s’opposait à la cité chrétienne. Il affirme « la prégnance mythique dans les constitutions et les institutions, (…) les réactions politiques qu’elle détermine face aux défis du présent » (lire « Mythes d’origine, fondation nationale ou résurgences contemporaines »).

F. Arauyo s’interrogeant sur « L’image et le symbolisme de l’arbre dans la pensée pédagogique républicaine portugaise », montre « comment un mouvement historique est porté par des configurations mythiques qui s’ancrent dans une symbolique des profondeurs analysée en référence à C.G. Jung, M. Eliade, Gilbert Durand ».

Des dérives existent que la mythocritique draine finalement. Certains traits relèvent d’une acception moins jungienne, étant le fruit d’un déterminisme individuel. Le surgissement survient non en fonction de l’héritage culturel collectif mais guidé par des circonstances d’écriture personnelles, autobiographiques. Le lecteur « plonge dans l’imaginal de l’auteur ‘ce dieu nu(l) qui monte des profondeurs immémoriales de l’Algave’ ». Dans cet esprit A. Van Den Hoven éclaire le théâtre de Sartre à partir des ascendants familiaux, et débusque derrière le schéma dramatique l’ombre mythique du Père, du Grand Père… de la mère-sœur. Les métaphores obsédantes sont proches contribuant au « mythe personnel » le mal nommé. Ainsi la psychocritique qu’en aucun cas l’auteur de « L’Imagination Symbolique » (G.D., 1984) ne renie (« Champs de l’imaginaire », p.235) entre dans la problématique du colloque.

Dans une acception différente encore, « le mythe critique » défini par Claude Faisant in « L’éternel retour » (Publication de la Faculté des Lettres de Nice, 1992) permet de suivre la fortune d’un auteur et d’une œuvre au regard de la postérité. La réception d’une oeuvre et son devenir au cours des ans sont ré-examinés et rectifiés en ce qui concerne Pierre Loti par Lory Castagna reprenant son minutieux travail de réhabilitation : « Quêtes et renouvellements (…) Résonances et transcendances ».

Enfin la méthode exposée dans « Pas à pas la mythocritique », (G.D., conférence à l’UFR Lettres de Nice, 1996) invite à procéder à des prélèvements « d’échantillons » que nous nommerons signes ou indices, distincts des données indicielles opposées par R. Barthes aux données fonctionnelles des récits. Ces éléments « constellent en dominantes préférentielles » : plusieurs traits s’orientent vers la quête du bonheur (5ème section), préoccupation commune à différentes communications dont celle de J.B. Pisano. L’historien recherche « le mythe du bonheur » dans la représentation du bon sauvage, en concurrence avec le concept d’altérité. Elmira Dadvar associe idée de bonheur et mythe de la ville. Fatima Guttierez lorsqu’elle commente l’opéra de Verdi, puis Hélène Ruffat s’attachant à l’écrivain méditerranéen Camus, réagissent au même appel du bonheur. P. Tacussel entend observer « surgissements et éclipses de l’utopie ».

La conférence de Ralph Schor, en situation à Nice procède à partir de superpositions fines et sensibles d’images et d’allégories qui s’épanouissent en un « mythe de la Méditerranée chez les écrivains niçois du XXème siècle ». « A fleur de sensibilité bachelardienne », signes et fragments « prélevés » composent un hymne au mare nostrum, entre lumière et mystères des profondeurs. Même adaptation poétique et personnelle à notre problématique, de Nadia Kamel qui relie Butor, Nice et l’Egypte.

Une démarche réflexive sans cesse présente, un questionnement épistémologique associe Littérature et sociologie, dans l’esprit des textes introduits par S. Hampartzoumian et S. Cullati. Des « questionnements sur l’anthropologie de l’imaginaire » inspirent la réflexion du premier. La littérature demeure une re-source pour la sociologie confirme le second. Les liens constitutifs insécables entre « mythe et récit » sont analysés par P. Le Quéau.

Recentrant notre quête, Charles Amourous entend redonner leur poids aux premiers textes de l’anthropologue chambérien. Passant outre la sociologie dumézilienne, il fait retour à la répartition en cinq ordres que Gilbert Durand en ses commencements substituait à une répartition en trois éléments estimée moins judicieuse. Il recherche quelle « matrice native » permet de lire l’actualité, de saisir la créativité. Sous un intitulé séducteur : « A l’aube des constellations mythiques », il clôt dans notre programme un pan de réflexions en Lettres et Sciences Humaines.

Les tables rondes offertes aux praticiens des méthodes relevant des théories de l’imaginaire, permettent on le sait de donner la parole à un plus grand nombre. Proposées aux collègues en poste à l’étranger, aux titulaires du doctorat obtenu dans notre Université, ceux-ci témoignent de la vitalité de la recherche ; ils ouvrent des pistes d’études renouvelées. Ces tours de tables devenus des tours d’horizon entraînent une saisie panoramique des études menées individuellement ou par des équipes associées. Ces interventions lestes, percutantes dans un temps bref sont riches de perspectives et instructives pour les bilans entrepris.

L’intérêt est renouvelé avec les interventions mûrement préparées de doctorants de nos équipes, soucieux d’aller à l’essentiel, qui se sont révélés aptes à capter un auditoire exigent. Aux proches se sont joints leurs pairs venus de Genève, Gènes ou Montpellier ou soutenus par différents centres. Spécialisés en Histoire ancienne comme Anne Brogini, en sociologie ou en Lettres, les exposés vifs et stimulants montrent l’intérêt des travaux en gestation, indiquent où en sont les recherches sur l’imaginaire sur différents fronts.

Ajoutons que si l’ouverture du colloque s’est déroulée sous les meilleurs auspices dans la salle de conférences comble de la bibliothèque universitaire, si par la suite la vaste salle de la Baie des Anges ne désemplit pas, les séances du 3ème jour furent tout aussi suivies. L’attention ne faiblit point comme on le craint habituellement. Un final non effiloché, non dispersé malgré quelques départs anticipés ne laissa personne ni dépressif, ni lassé. « Le devenir du mythe » fait ici l’objet d’un 7ème mouvement. La clôture de la session bénéficia de la conférence magistrale dans tous les sens du terme de J.F. Mattei : « La constellation de l’être chez Holderlin et Heidegger ». Le philosophe tint en éveil une heure durant un public renouvelé et avide auquel s’était jointe une fréquentation amicale et locale.

D’une forte originalité fut la clôture par Gilbert Durand commentant les reproductions de tableaux annoncées (maniérisme et baroque), grâce à la collaboration technique niçoise et brésilienne d’Annie Sidro et de Tania Rocha Pitta. Avec verve, humour, avec l’immense compétence que nous savons, il tint jusqu’à la fin le théâtre rempli. La nuit tombante trouva les assistants sous le charme conjugué de la parole et de l’image.

Des moments de libres débats ont entouré les conférences au rythme serré. Ceux qui ont bien voulu se consacrer au transport des participants n’ont-ils pas eu l’élégance de considérer ces transitions comme une possibilité de dialoguer avec des personnalités qu’ils n’auraient pu aborder dans d’autres circonstances ? Chacun a su s’intégrer de manière constructive à ces rencontres et tirer profit des entretiens avec les directeurs de centres de recherche conviés. Le colloque de Nice marquera leur entrée dans une communauté de chercheurs qui les confirme dans leur démarche, tandis que leur intelligence, leur ferveur restent un encouragement (pour les encadreurs). Ils représentent pour ceux qui les entendirent les forces vives qui ont dynamisé les journées.

Des espaces propices à des entretiens périodiquement ménagés servirent de liens entre les conférences : apéritif du Ier soir offert par le décanat de la Faculté des Lettres, réception du 2ème jour au mitan de la journée par la Présidence de l’Université de Nice Sophia-Antipolis dans le château édifié au début du XXème au sein du parc de Valrose, par un industriel Russe (freiné dans sa construction des chemins de fer par la guerre de 1914).

L’effort de délocalisation auprès de la Fondation d’Art de La Napoule ne déçut point. S. Vierne et R. Chemain prononcèrent leur communication sous la présidence de M. Maffesoli dans un somptueux décor néo-gothique. Là furent entendus solennellement les participants à la table ronde « Imaginaires en dialogue ». Repas aux chandelles dans la salle d’apparat, visite nocturne de l’Atelier des sculpteurs Henry et Marie Clew, et de la crypte aux tombeaux près des rochers battus par les vagues ont suscité l’émotion et définitivement soudé les congressistes. Des amis niçois découvraient ce décor saisissant en même temps que nos hôtes.

Tenant lieu de banquet final, le repas classique du samedi renforça la solidarité entre les participants. La collation servie par le CROUS sur le parvis de la résidence apporta le dernier verre de l’amitié. Nos journées se sont prolongées dans un esprit d’ouverture et de dialogue, relevant un défi.

Aux enseignants qui il y a quelques années s’interposaient : « Gilbert Durand ? trop difficile pour nos étudiants. D’ailleurs l’ai-je jamais lu ? », à qui déplorait lors d’une soutenance de thèse en France « Nous écoutons peut-être le dernier des durandiens », nous voulions apporter un démenti. A Nice, « les charognards ne furent pas seuls à saisir la portée de l’événement », pour reprendre une phrase de l’écrivain Kourouma.

Peut-être ces rencontres ont-elles incité les responsables des Centres de Recherche sur l’Imaginaire et leurs proches à donner le meilleur d’eux-mêmes. La pertinence des conférences allait se confirmant. Comme si chacun était soucieux de mettre ses travaux à l’épreuve du jugement de l’Autre (sous le regard du maître ?). Il faut croire que notre initiative venait à son heure, qu’une forte demande existait de la part des théoriciens des CRI. Ne s’est-il pas produit comme un moment privilégié, un état de grâce en un cadre propice aux échanges d’idéaux ? Nous ne pensions pas à une telle densité d’intervenants ni à des échanges aussi forts.

La publication des Actes apportera aux contributions la consécration qui leur est due.

Pour citer cet article

Arlette Chemain-Degrange, « Ouverture. La mythocritique : année 2001 », paru dans Loxias, Loxias 2 (janv. 2004), mis en ligne le 15 janvier 2004, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/index.html?id=119.

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Arlette Chemain-Degrange