Temps retrouvé dans Loxias


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Loxias | 79. | I.

« Une princesse entre deux mondes » : portrait de la princesse de Nassau

Dans ce commentaire stylistique du portrait de la Princesse de Nassau, nous nous sommes penchés sur la composition du portrait, qui sert d’exemplification à la théorie du narrateur sur le temps qui passe et qui modifie les êtres que nous sommes, êtres dont il cherche à percevoir, comme dans un palimpseste, l’identité et la rémanence sous la patine du temps : « Et combien de fois ces personnes étaient revenues devant moi au cours de leur vie, dont les diverses circonstances semblaient présenter les mêmes êtres, mais sous des formes et pour des fins variées », dit le narrateur quelques pages avant notre extrait (p. 278). Le portrait de la Princesse de Nassau, qui forme une unité compositionnelle, thématique et typographique, illustre parfaitement cette analyse, que la narration expérimente et exemplifie, cherchant la paradoxale permanence de l’être sous les changements physiques dus aux effets du temps. La Princesse de Nassau entre dans la catégorie des « simple[s] relation[s] mondaine[s] » (p. 279), à la différence des grandes figures qui accompagnent fidèlement la mémoire du narrateur comme le Baron de Charlus, les Verdurin, Odette, les Guermantes. Comme la quasi-totalité des portraits de La Recherche du temps perdu, celui de la Princesse de Nassau se fait par le biais de la focalisation et du point de vue du narrateur, seul ici sur le seuil de la salle avec le personnage qu’il rencontre et observe, au cours de la matinée à laquelle il participe. L’essentiel du portrait relève de la prosopographie : en effet c’est le corps et l’apparence qui sont soumis à l’examen « archéologique » auquel se livre le narrateur pour « retrouver » sous le fard et les rides l’être connu naguère. Quelques éléments constitutifs de l’éthopée du personnage se dégagent de son comportement dans le but de créer, non sans quelques traits d’humour, un effet de contraste entre la futilité des (pré)occupations de la Princesse et la fragilité de la vie humaine soumise au temps et à la mort. Grand maître dans l’art du portrait, Proust dresse ici une peinture où visée esthétique et visée morale apparaissent indissociables, où l’extrême particularisation sert l’universalité du propos. In this stylistic analysis of the portrait of the Princess of Nassau, we have looked at the composition of the portrait, which serves as an exemplification of the narrator’s theory of the passage of time and which modifies the beings that we are, beings of which he seeks to perceive, as in a palimpsest, the identity and the remanence under the patina of time: “And how many times these people had come back to me during their lives, whose various circumstances seemed to present the same beings, but in different forms and for various purposes”, says the narrator a few pages before our excerpt (p. 350). The portrait of the Princess of Nassau, which forms a compositional, thematic, and typographical unity, perfectly illustrates this analysis, which the narration experiences and exemplifies, seeking the permanence of being, like a palimpsest, under the physical changes due to the effects of time. The Princess of Nassau falls into the category of “simple worldly relationship[s]” (p. 351), unlike the great figures who faithfully accompany the narrator’s memory such as the Baron de Charlus, the Verdurins, Odette, and the Guermantes. Like almost all the portraits in La Recherche du temps perdu, that of the Princess of Nassau is done through the focus and point of view of the narrator, alone here on the threshold of the room with the character he meets and observes, during the morning in which he participates. The essence of the portrait comes from prosopography: indeed, it is the body and the appearance which are subjected to the “archaeological” examination, to which the narrator devotes himself to “find” under the make-up and the wrinkles the being previously known. Some constituent elements of the character’s ethos emerge from her behavior to create, not without a few strokes of humor, an effect of contrast between the futility of the Princess’ (pre)occupations and the fragility of human life, subject to time and death. A great master in the art of portraiture, Proust paints here a painting where aesthetic and moral aims appear inseparable, where extreme particularization serves the universality of the subject.

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