Loxias | 77. Femmes et nourriture | I. Femmes et nourriture
Françoise Salvan-Renucci :
« ma sorcière a trempé / ses doigts dans le sang chaud » : « sirènes », « stryges » et « prédatrices » dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine
Résumé
De la « machine » que son partenaire invite à « me déchirer / m’arracher la chair & les os » aux « femmes-oiseaux » dédiant leur danse « à la mémoire d’amants noyés dans leurs arcanes », la qualité de « prédatrices » ou de « sorcières » est régulièrement dévolue aux incarnations du féminin dans le discours poétique de H.F. Thiéfaine. L’exploration constamment renouvelée de l’archétype mélusinien ainsi que de ses préfigurations mythologiques (tant classiques qu’extra-européennes) débouche sur la formulation des lois d’une « alchimie romantique » postulant par la bouche de la femme « qu’il faut séduire / pour mieux détruire ». En tant que cible et objet du déferlement dionysiaque appelé de ses vœux par la figure féminine, le partenaire masculin prêt à « jouer les victimes » ou à « s’annuler » peut aussi entrer de façon active dans la dynamique de déchirement propre aux « bacchanales ». S’instaure ainsi un règne des « corps écorchés » ou « écartelés » où le « nouveau festin de nos chairs androgynes » fait fusionner dans une même « annihilation » les volontés symétriques et opposées aspirant à une destruction réciproque. En témoigne « en hurlant au cœur de ma cible » la substitution du cri à la voix articulée telle qu’elle s’accomplit dans une indifférenciation énigmatique, rendant définitivement caduque la question de son attribution à la porteuse et/ou au porteur de l’élan « mortifère ».
Abstract
The characterization of female figures as predators or witches is quite recurrent in H.F. Thiéfaine’s poetical texts, which often base upon archetypal patterns and upon the mythological tradition of the classical Antiquity with figures like Mermaids – among which we find Thiéfaine’s version of the Germanic-romantical Lorelei –, Gorgons, Striges… or the mythology other countries or cultures with for example the bird-women from the Japanese Hell. The female figures embodies both seduction and destruction with the purpose of establishing domination not only over their partners, but over male principles in general, especially over God or his terrestrial equivalents. The male figures have to be killed, teared up, eaten up by all possible means and accept – or even welcome – their part as passive victims of female fury. However, the polysemous poetical discourse contains both the affirmation of female supremacy and the implicit negation of the female-dominated constellation as a result of an etymological reevalution of the key terms in the concerned sequence, revealing that in fact male figures are plainly able to counteract the female destruction plan. Annihilation of both partners or exacerbated erotic culmination is the result of this struggle for domination initiated by the female principle, and in which the male antagonist also has to play his part either in an accelerating or a retarding way.
Index
Mots-clés : Bacchante , Gorgone, strige, Thiéfaine
Texte intégral
1« le nom des prédatrices nous remonte en mémoire / à travers l’alphabet des souvenirs malsains1 » : l’appréciation globale portée par le protagoniste de « l’idiot qu’on a toujours été » – globale au double sens d’une caractérisation d’ensemble des figures féminines et d’une généralisation des expériences vécues par les représentants du sexe masculin – définit au plan explicite les contours d’une constellation binaire qui réinterprète le processus de l’attraction érotico-sexuelle en tant que dynamique unilatérale initiée par le pôle féminin et visant à la prise de possession totale des partenaires masculins réduits à l’impuissance face à un tel acharnement destructeur. L’assimilation des femmes à des « prédatrices » prend ici un relief supplémentaire dans la mesure où la seule autre occurrence du terme au sein du corpus thiéfainien – l’évocation des « esclaves anachroniques » en marche « vers la métallurgie des génies prédateurs2 » dans « Karaganda (Camp 99) » – rapporte la désignation de « prédateurs » aux figures historiques dotées d’un potentiel maximal de nuisance, telles qu’elles sont représentées par Staline dans le contexte de la chanson (cf. outre la mention du nom du camp concerné le refrain « c’est la voix de Staline c’est le rire de Beria3 »). C’est la capacité innée – telle que la suggère le sens étymologique du « génie » – à déployer leur faculté d’anéantissement qui apparaît ainsi comme l’apanage des femmes établissant leur domination sur le sexe opposé, dont les représentants souscrivent d’autant plus naturellement à leur statut de victime ou de proie que ce dernier s’impose à eux à travers une remémoration aussi impérieuse qu’involontaire, dont les modalités d’énonciation les présentent non pas comme le sujet mais bien comme l’objet passif, hors d’état de mettre un terme au déferlement des « réminiscences4 ». Que ce dernier soit d’ordre non pas individuel mais bien collectif et surtout archétypique – ainsi qu’on aura amplement l’occasion de le vérifier dans la suite de ces lignes –, c’est ce qu’établit le « nous » en tant que vecteur discursif de la strophe, investi comme tel – à égalité et en alternance avec le « on » du refrain « on redevient l’idiot qu’on a toujours été5 » – de la fonction d’exposant de la condition masculine, celle-ci étant déclinée sur le mode de la constatation de l’emprise sans appel exercée par les protagonistes féminines.
2En dépit de l’évidence apparente – et documentée de façon convaincante au niveau des outils de verbalisation – d’un tel schéma de répartition des rôles, la possibilité d’une redéfinition sous-jacente du rapport de forces et/ou de domination établi au profit des « prédatrices » transparaît néanmoins tout aussi indéniablement dans le second vers du distique, pour peu que soient prises en compte dans le détail les connotations complexes véhiculées par la formulation « l’alphabet des souvenirs malsains ». En s’attachant à retracer au plus près les contours du halo associatif propre à chacun des trois constituants verbaux, on aboutit en fait à un diagnostic diamétralement opposé au constat qui se dégage du vers précédent, la force d’attraction irrésistible émanant de la qualité de « prédatrices » se voyant en fin de compte comme annihilée sous l’effet de la seule dynamique discursive par la convergence remarquable des potentiels antagonistes – et ouvrant la voie à une réévaluation de la position masculine – inhérents tant à « l’alphabet » qu’aux « souvenirs », sans oublier l’adjectif épithète « malsains ». La réduction successive du vocable « alphabet » à ses constituants étymologiques grecs « alpha » et « bêta », puis à leurs substrats hébraïco-sémitiques « aleph » et « beth » – respectivement identifiables comme renvoyant au « taureau » et à la « maison » – fait surgir sous la mention a priori inoffensive de « l’alphabet » – éventuellement évocatrice d’une énumération ou d’une récapitulation quasi automatique des expériences vécues sous le joug féminin – la vision aussi inattendue que dérangeante de l’irruption d’un taureau dans la maison, en d’autres termes d’un principe masculin incarnation d’une virilité expansive dans un domaine féminin appréhendé comme un lieu d’accueil ou un réceptacle, restituant ainsi à la peinture du rapprochement sexuel une orientation dont le choix du vocable « prédatrices » semblait irrévocablement le dépouiller. L’offre herméneutique complémentaire déductible du recours à la lecture historique installe ainsi une appréhension radicalement divergente du processus relaté au cœur même de l’univocité de surface imputable au discours explicite, conférant du même coup au choix du verbe « remonter » toute l’ampleur de sa pertinence symbolique, dans la mesure où celui-ci signale de façon idéalement adéquate l’émergence d’une dimension archétypique enfouie au plus profond de la mémoire, et se dévoilant inopinément à la seule faveur des correspondances linguistiques. On remarquera au passage que la même ambivalence multivoque imprègne dans « joli mai mois de marie » le vers « les jeunes taureaux qu’on émascule6 », dont la supposée limpidité sémantique se brouille de façon irrémédiable par le simple biais du basculement vers le latin emasculo, dont l’oscillation de principe entre l’évidence brutale de l’action de « châtrer » et les contours nettement plus diffus de celle de « corrompre » se révèle notamment dans les textes d’Apulée. En concordance subtile avec le processus d’irisation linguistique, c’est précisément « dans la tulle des brumes en osmose7 » que le texte de Thiéfaine situe l’action indécise dont sont l’objet les « taureaux » et dont le contexte de la strophe comme du texte dans son ensemble autorise – sans préjudice d’autres options de perception – l’imputation aux représentantes de la sphère féminine, quelle que soit l’interprétation qu’on choisisse de donner à l’émasculation.
3Au même titre que « l’alphabet » dont on vient de retracer les métamorphoses linguistiques, les « souvenirs malsains » réunis dans celui-ci participent de la profonde cohérence qui caractérise la strate sous-jacente du discours, et que la réaccentuation de chacun des deux termes enrichit par des apports spécifiques. L’acception usuelle des « souvenirs » – qu’il importe cependant de maintenir en parallèle en tant que prolongement direct de la convocation de la « mémoire » intervenue dans le vers précédent – se voit largement obérée par le rétablissement du latin subvenire dont les implications sémantiques variées – allant de « se présenter » à « secourir » – s’élaborent à partir de la représentation préalable d’un « venir sous » qu’il est loisible voire indiqué d’appréhender tout d’abord comme modalité de description du rapprochement sexuel, l’indécision relative à la place respective de chacun des partenaires contribuant ici – en dépit de l’inversion probable de la « position du missionnaire8 » imposée a priori par la mention des « prédatrices » – à renforcer l’incertitude foncière installée précédemment par la polysémie de « l’alphabet ». Notons que la relecture des « souvenirs » présente sous cet aspect au moins une différence notable avec le schéma établi d’emblée dans « chambre 2023 (& des poussières…) » par la présence des « succubes », auxquelles les vers « & m’arrêtant souvent chez les succubes en rut / j’y buvais le venin dans le creux de leur chatte9 » confèrent une place de choix parmi les incarnations du féminin dévorateur – dont le pouvoir de nuisance reste cependant sans effet sur le protagoniste, qui y puise au contraire une possibilité de renforcement de son propre potentiel démoniaque tel que le définit l’incipit « j’étais caïn junior, le fils de belzébuth10 ». La coexistence d’un comportement prédateur chez la figure féminine et de l’inhibition immédiate des effets de celui-ci par le partenaire masculin est un schéma récurrent du corpus thiéfainien dont l’activation passe toutefois le plus souvent par la mise en place d’une strate discursive sous-jacente porteuse de l’offre de lecture antagoniste, l’élaboration d’une polysémie récurrente étant ainsi le moyen privilégié permettant d’embrasser dans une même dynamique énonciative une formulation à l’univocité apparente et son invalidation implicite.
4Complétant la redéfinition sexuelle des « souvenirs » induite par la sollicitation du sens étymologique, leur disqualification en tant que « malsains » – adjectif dont l’acception littérale conserve l’évidence et/ou l’acceptabilité premières que lui confère l’association avec les « prédatrices » – s’infléchit vers la peinture d’un « jeu de la folie11 » doublement tributaire de l’activation de la strate étymologique : si le latin male sanus désigne à la manière de son synonyme insanus – ou de l’équivalent anglais puis français de ce dernier « insane » – celui qui ne peut pas ou plus être considéré comme « sain d’esprit » – instaurant ainsi une réévaluation des « souvenirs » sous l’angle psychologique voire psychiatrique –, l’utilisation fréquente qu’en fait Ovide pour stigmatiser et du même coup rappeler à la raison l’homme en proie au délire amoureux ancre pleinement la version française de l’adjectif dans la sphère de l’Éros, et ce avec une force d’autant plus marquée que la séquence concernée peut être lue comme une traduction littérale des développements ovidiens proposés tant dans les Amours (II, 77-78 ; III, 667-672) que dans L’Art d’aimer (II, 713-714). Le jeu de l’intertextualité vient s’adjoindre aux aperçus suggérés par l’étymologie pour déboucher sur une retraduction de l’épithète « malsains » qui – en union avec l’identification préalable des « souvenirs » en tant que désignation implicite de l’activité sexuelle – ajoute à l’énoncé d’un rejet a posteriori tel qu’il est véhiculé par le sens usuel le désaveu ou à tout le moins la reconnaissance d’une folie qui devient alors l’élément déclencheur de la mainmise exercée par les « prédatrices », dont l’action se trouve du coup facilitée par la dynamique de dépossession dans laquelle se retrouvent pris leurs partenaires. Du fait que la mention des « souvenirs malsains » apparaît comme telle dépourvue de toute précision relative à la nature du vécu masculin et plus spécialement à l’instauration d’un rapport unilatéral de domination exercé par la femme, toute latitude est cependant laissée à l’auditeur-lecteur pour valider dans un même mouvement la lecture antagoniste basée sur un renversement des rôles – renouvelant ainsi le dévoilement du taureau dissimulé au cœur de « l’alphabet » –, voire pour laisser cohabiter les deux options dans la « brume » d’une indécision que rien n’oblige en fait à dissiper. C’est sur le mode similaire d’un entrelacement permanent d’une caractérisation à première vue aussi transparente qu’irréfutable et de la possibilité conjointe – et tout aussi solidement étayée – de son démenti implicite que se met en place la dynamique de verbalisation de la polarité du féminin et du masculin et de façon plus spécifique de l’antagonisme des « prédatrices » et de leurs « victimes ». Soulignons dès à présent que cette dernière dénomination – sollicitée dans le corpus thiéfainien tant sous sa forme d’origine latine que sous celle son équivalent « hostie » – réclamera elle aussi une investigation de son potentiel significatif permettant d’en faire ressortir l’ambivalence foncière, en écho inversé et symétrique au traitement polysémique des appellations réservées aux figures féminines.
5Constatons tout d’abord que l’assimilation de ces dernières à des « prédatrices » dans le corpus des chansons constitue non seulement un marqueur récurrent du discours poétique, mais connaît aussi une grande variété de déclinaisons dont on commencera par préciser les implications tant sémantico-linguistiques que symboliques, sans oublier le cas échéant leur identification en tant qu’éléments du réseau des correspondances intertextuelles. Le fonds de la mythologie classique se voit fréquemment sollicité et ce de manière extrêmement différenciée et radicalement étrangère à toute visée simplement énumérative ou relevant du pur rappel nominal : le choix de telle ou telle dénomination est au contraire opéré en adéquation étroite tant avec le contexte discursif qu’avec la nature du halo associatif propre au terme concerné, excluant de fait toute éventualité de permutation au profit d’une appellation concurrente et apparemment équivalente (on ajoutera que si les exigences métriques et musicales concourent sans aucun doute à renforcer le caractère définitif de la préférence donnée à tel ou tel vocable, c’est au spectre d’évocation – y compris certes dans sa dimension acoustique – susceptible d’être mobilisé par l’apparition de ce dernier que revient le rôle d’élément déclencheur légitimant la priorité qui lui est donnée à tel endroit de telle chanson).
6La précision apportée à la sélection des termes appropriés puis à leur répartition au sein de la séquence poétique se manifeste de façon révélatrice dans « ta vamp orchidoclaste » – intitulé qu’il importe bien évidemment d’inclure dans l’inventaire des « prédatrices », et ce tant au niveau du substantif que du néologisme forgé pour doter celui-ci d’une épithète adéquate. La pleine appréhension de la dynamique de « métamorphose » dépeinte dans le vers « ta gorgone se transforme en furie sous amphètes12 » nécessite ici une double élucidation des modalités de formulation tant en ce qui regarde le choix des références issues de la mythologie gréco-latine qu’au niveau de leur application successive à la figure féminine, dont la caractérisation se voit nettement modifiée par la permutation des repères symboliques, tout en conservant inchangé le trait d’union constitué par la connotation négative voire néfaste également propre aux deux modèles. Si l’image d’un regard si effrayant qu’il est impossible à soutenir sous peine d’y laisser la vie est à la base de l’assimilation de la figure féminine à une gorgone – dénomination qui trouve son origine dans l’adjectif grec γοργός, « terrible » –, c’est aussi la fixité des traits et par extension l’immobilité du corps qui parachève l’identification de la « vamp » avec la tête de Méduse – la plus célèbre et la seule mortelle des membres du trio destructeur –, telle qu’elle figure traditionnellement sur le bouclier d’Athéna après avoir été tranchée par Persée. Le fait que ce dernier ait dû pour parvenir à ses fins fixer non le visage de Méduse mais le reflet de celui-ci dans le bouclier – échappant ainsi à la mort certaine dont l’aurait frappé un regard direct – se lit dans le contexte de la chanson comme un indicateur stratégique particulièrement précieux à destination des proies masculines de la gorgone – à commencer par le partenaire de celle-ci apostrophé directement de bout en bout du texte –, qui doivent à tout prix éviter une confrontation directe dont ils ne sauraient sortir vainqueurs. A contrario, le trio – ou parfois le sextuor – des furies romaines en tant que divinités infernales – statut qu’elles partagent d’ailleurs avec les Gorgones d’après les développements ultérieurs du mythe – déploient en conformité avec leur étymologie renvoyant au verbe furo « être en délire » une inlassable énergie destructrice qui s’exerce contre tous ceux que leurs errements ont voués aux foudres de la vengeance divine. La « vamp » troque ainsi l’immobilité voire l’inertie hiératique de la « gorgone » confiante en la seule puissance paralysante de son regard contre le déchaînement de violence propre à la « furie » désireuse de venger tous les affronts réels ou supposés dont elle tient inlassablement le registre, suivant en cela l’exemple de ses devancières antiques. Le contraste opposant les rappels mythologiques – ainsi que les profils psychologiques suggérés par chacun d’eux et tour à tour revêtus par le personnage – se double par ailleurs d’un antagonisme médico-thérapeutique tout aussi révélateur, qui exacerbe chacun des deux habitus comportementaux en lui conférant une dimension authentiquement pathologique, dont la reconnaissance permet de préciser cliniquement les contours de chacune des attitudes adoptées par la « vamp » – et donc du substrat mythologique correspondant tel qu’il en commande la réalisation poétique. Si la « furie sous amphètes » tire manifestement des excitants qu’elle absorbe un supplément de rage et de mobilité tous azimuts, la présentation sous les traits d’« une tornade en croco / qui se chauffe aux benzos13 » rencontrée dans le refrain complète le parallélisme d’ordre médical en fournissant l’indication symétrique concernant la « gorgone » : l’action relaxante et/ou sédative des benzodiazépines, couplée à l’immobilité figée de l’expression telle qu’elle résulte de leur consommation régulière voire de leur abus, s’harmonise pleinement avec les descriptions usuelles du visage de Méduse, tout en continuant à faire jouer jusque dans la transposition pharmacologique de l’opposition d’origine mythologique l’ambiguïté créée par la présentation poétique entre effet paralysant émanant de la figure féminine et paralysie venant figer le visage de celle-ci. Le même transcendement de toute rigidité schématique est repérable dans l’association inopinée des « benzos » et du verbe « se chauffer » – les benzodiazépines conduisant davantage à un abaissement de la température tant psychique que physiologique –, ainsi que dans l’introduction tout aussi inattendue de la qualification de « tornade », qui semble davantage relever de la sphère des « amphètes » et donc du personnage de la « furie » que du domaine des « benzos » reflétant eux-mêmes l’apparence de la « gorgone » : aux antipodes d’une répartition schématique reproduisant en tout endroit du texte un schéma binaire préétabli qu’il reviendrait au discours poétique de mettre en application sans exception aucune, la zone d’incertitude ou de « jeu » qui s’installe au cœur même du processus apparemment rigoureux de distribution logique permet de confirmer jusque dans les modalités de verbalisation le primat de la dimension irrationnelle et/ou arbitraire inhérent tant au substrat mythologique pris dans son ensemble qu’à la figure de la « vamp » à travers ses incarnations successives.
7L’appellation même de « vamp » sur laquelle on va s’attarder maintenant s’inscrit à l’évidence dans le champ des évocations des femmes « prédatrices » ou dévoreuses, dans la mesure où son caractère d’abréviation de « vampire » n’occulte nullement les traits caractéristiques de la figure du buveur de sang dont la version masculine imprègne de sa présence latente la présentation des figures réunies sous l’appellation générique « les dingues et les paumés ». Il va ici de soi que le vers « & se font boire le sang de leurs visions perdues14 » exclut de par le contexte discursif un possible élargissement à des vampires de sexe féminin, alors même que la nature vampirique des figures masculines se révèle moins affirmée expressément que cantonnée au plan d’une analogie symbolique, dans laquelle il est opportun d’inclure le rappel de la communion au calice en tant qu’absorption du sang du Christ. De même, le renvoi au modèle masculin du vampire resurgit avec la même évidence pour les « voyageurs-vampires15 » rencontrés dans « les fastes de la solitude », tandis que l’indétermination sexuelle peut de prime abord sembler prédominer chez les « vampires » que l’on voit « sortir de leurs cercueils16 » dans « alligators 427 » – sauf à donner la primeur à la réinterprétation exclusivement masculine que dessine au plan latent du discours le jeu de mots basé sur la forme médiévale « sarcou » ou « sarqueu17 » autorisant la redéfinition vestimentaire et décalée des « cercueils » en tant que « serre-queue ». À côté de ces exemples d’un traitement masculin du motif, c’est cependant tout aussi fréquemment aux « vamps » que revient d’assurer dans le corpus des chansons la déclinaison du type de comportement dont l’appétence pour l’absorption du sang humain établit en quelque sorte la norme emblématique. La « vamp orchidoclaste » est ainsi en mesure d’exercer son emprise dévastatrice par le biais de la modification ou plus précisément du détournement à son profit des processus physiologiques régulant les échanges sanguins dans le corps de sa victime : le vers « elle pompe ton énergie sur un rythme vaudou18 » subvertit dans sa formulation même le rôle essentiel du cœur en tant que pompe dont le bon fonctionnement garantit l’intégrité physique de celui qu’il anime, traduisant par le transfert du processus de pompage désormais assuré par la « vamp » l’efficacité redoutable du potentiel d’ensorcellement et de dépossession déployé dans le vaudou. L’épithète « orchidoclaste », forgée par Thiéfaine à partir des deux termes grecs ὄρχις et κλάω et paraphrasée dans le refrain – et par là même élucidée pour l’auditeur ignorant le grec classique – par les désignations alternatives « brise-burnes » et « casse-burettes », est elle-même porteuse d’une oscillation irréductible entre la lecture figurée présumant l’absence de dommages physiques et la réhabilitation d’un sens littéral suggérant du même coup l’assimilation de l’adjectif composé à une sorte d’épithète homérique, analogue dans son principe à γοργοφόνη « Tueuse de Gorgone » pour Athéna ou σαυροκτόνος « Tueur de dragons » pour Apollon – sur les traces duquel marche le personnage quasi mythique de « Barberousse » dont « la ruelle des morts » rappelle qu’« il avait vaincu des dragons19 » : en réhabilitant la capacité de nuisance corporelle qui se dégage de la « vamp », l’epitheton ornans renforcé par l’aura de prestige conférée par le recours au grec élève la figure féminine au rang de ses modèles mythologiques, en même temps qu’il abolit définitivement la connotation séductrice supposée contrebalancer voire occulter sa dimension destructrice – celle-là même que la lecture figurée minore au profit de la culmination jubilatoire née de l’accumulation des qualifications dépréciatives.
8C’est au contraire la combinaison de l’attractivité physique et d’une dangerosité immédiate qui prévaut dans l’apparition de « l’ultime prédatrice / dans sa robe de vamp-araignée20 », telle que l’« attend » le « on » générique porteur du discours de « libido moriendi ». Le renouvellement implicite de la figure traditionnelle de la « veuve noire » s’effectue par le biais de la substitution de l’appellation englobante d’« araignée » à celui de l’espèce d’arachnide qui a donné son nom à la femme agissant en prédatrice : la restitution d’une animalité au caractère éventuellement répugnant – telle qu’elle est radicalement obérée par l’appellation imagée qui ne retient que le caractère humain de la veuve en question – va paradoxalement de pair avec le soulignement de la dimension corporelle et indubitablement féminine imposé par le terme « robe », la couleur non mentionnée du vêtement relevant ici de la simple évidence sous l’effet de la contamination latente et spontanée avec la représentation usuelle de l’araignée. L’image d’une robe noire moulante ou carrément d’un fourreau prend ainsi le pas sur le substrat animal dont n’est conservé que le potentiel meurtrier, immédiatement confirmé par le distique final « & l’acier de son lady-smith / au moment du dernier baiser21 » qui vient préciser les modalités d’action de la « prédatrice » tout en amenant à son paroxysme la dynamique de tension érotique. Morsure de l’araignée, étreinte fatale de la mante religieuse ou coup mortel tiré par le revolver pour dame – la superposition des trois visions a pour dénominateur commun la coïncidence de l’accomplissement sexuel avec la dimension terminale annoncée d’emblée par le titre emprunté à Sénèque22 – et dans l’énoncé duquel l’acception psychanalytique et désormais usuelle du terme « libido » ne manque pas d’apporter un contrepoint suggestif à la signification originelle de la formule, forgée par le philosophe à des fins de remise en question d’un phénomène de mode dénoncé comme aussi dangereux que dénué de sens. Dans la lignée de la tonalité de « scandale mélancolique23 » imposée par la citation latine, le resserrement mortifère dévoilé in extremis est ainsi doublement souligné par la succession des épithètes synonymes « ultime » et « dernier » – la première évoquant de surcroît une qualité insurpassable –, placées aux deux extrémités du distique final dont elles prennent littéralement les constituants énonciatifs dans leur étreinte annihilatrice. Le discours de la chanson est en outre le lieu d’un entrelacement référentiel complexe qui étend le halo associatif à la sphère a priori inattendue du roman policier – et qu’il importe d’autant plus de signaler dans le cadre des présentes réflexions que sa prise en compte permet de dévoiler dans « l’ultime prédatrice » un avatar comprimé et au rayonnement poétique spectaculairement magnifié de la figure féminine mise en scène par James Crumley – auteur apprécié et explicitement mentionné en interview par Thiéfaine – dans son roman Le dernier baiser, où la veuve de la victime armée d’un « lady-smith » est en fin de compte démasquée comme la meurtrière par le détective menant l’enquête24. Le motif de l’attente, tel qu’il irrigue la totalité des strophes de « libido moriendi », met en œuvre pour sa part une subtile dynamique d’inversion de par son association indirecte avec celui de l’araignée : la fascination paralysante émanant de la « prédatrice » apparaît non plus subie – a fortiori contre son gré –, mais au contraire appelée impatiemment de ses vœux par le sujet générique, qui se laisse volontairement prendre au piège de la toile d’araignée en adhérant sans réserve aucune à la démarche d’annihilation initiée par la figure archétypique.
9La densité comme la cohérence de traitement propres au discours thiéfainien se marquent ici dans le fait que toutes les autres évocations de l’araignée repérables dans le corpus des chansons relèvent au moins partiellement de l’évocation de « l’ultime prédatrice », à commencer par « l’araignée mortifère25 » de « prière pour Ba’al Azabab » dont l’évocation frappe d’emblée par son caractère de reprise en raccourci du portrait féminin tracé à la fin de « libido moriendi » : si la focalisation exclusive sur la nature animale de « l’araignée » semble d’abord restreindre de façon notable le spectre connotatif qui s’élabore tant autour du substantif que de son épithète, la valorisation prononcée de la thématique de la mort compense d’emblée par ses seules modalités de verbalisation l’évacuation de la composante féminine et séductrice, dans la mesure où l’adjectif « mortifère » se montre susceptible de revêtir avec profit le caractère d’épithète homérique que l’on a pu déceler plus haut à propos du néologisme « orchidoclaste », incitant à inclure la vision de la « porteuse de mort » – qui crée de surcroît un écho latent et en contre-chant à la dénomination de « porteuses d’offrandes » dont l’original grec de Choéphores donne son titre à la tragédie d’Eschyle – dans l’aura de la combinaison verbale surprenante qui sert d’incipit au texte. L’extension de l’examen des implications latentes du motif à l’ensemble du distique d’ouverture « l’araignée mortifère joue avec les délices / de mes vices qui sévissent au bord des précipices26 » fait se profiler à l’arrière-plan de la séquence la formule allitérative « ça joue ça jouit27 » qui clôt le refrain de « cabaret sainte lilith », le verbe « joue » se voyant ici investi à lui seul du potentiel de suggestivité érotico-sexuelle véhiculé par l’équivalence de principe « jouer / jouir » héritée du Plaisir du texte de Roland Barthes – et encore intensifié ici par la mention des « délices » dont l’appartenance à la sphère des « vices » ne diminue nullement la qualité jouissive. Le même soulignement de la dimension de séduction – et donc l’effacement progressif de l’animalité allant de pair avec l’émergence des traits renvoyant à la féminité prédatrice – ressort de la localisation « au bord des précipices28 », déjà présentée par André Chénier comme décor privilégié du sentiment amoureux et que « le jeu de la folie » met à son tour de façon irrécusable – quoique ne recouvrant que partiellement le halo associatif complexe qui s’élabore autour des « précipices » dans l’ensemble du déroulement discursif – en lien avec l’Éros en plaçant alternativement « au bord des précipices / ou dans les yeux des filles au bout des couloirs blêmes29 » l’occasion de pratiquer le « sport de l’extrême » qui constitue l’autre nom du « jeu » en question. L’enchaînement « cœur monstrueux traînant mon âme en bandoulière / sur un furieux passeport de Méduse en croisière30 » dilue encore davantage la représentation animale qui ne subsiste que par le biais de l’assimilation éventuelle de la forme du corps de l’araignée à celle d’un cœur effectivement « monstrueux » dans sa difformité, alors même que l’opposition du « cœur » et de « mon âme » déplace la confrontation sur le plan des processus psycho-affectifs, autorisant ainsi une réinterprétation proprement féminine de l’araignée qui s’effectue tout d’abord dans le cadre même du référentiel mythico-religieux mis en place par l’intitulé de la chanson. Si le passage du nom « Ba’al Azabab » à son équivalent français « seigneur des mouches » autorise implicitement – et ce en dépit du constat zoologique invalidant une telle hypothèse – l’inclusion de l’araignée dans la série des insectes et des animaux répugnants traditionnellement associés à la sphère diabolique, il importe tout autant de rappeler que les différentes versions mythologiques de l’araignée lui confèrent un caractère féminin voire maternel oscillant en tant que tel entre une dimension tutélaire et essentiellement bienveillante – comme celle propre à la Femme-Araignée de la mythologie navajo – et un infléchissement vers un archétype négatif au fort potentiel d’étouffement et/ou d’enfermement tel qu’il caractérise la figure de la mère abusive. La présence des épithètes « mortifère » et « monstrueux » suggérant davantage le rapprochement avec l’image du féminin destructeur, la figure de l’araignée telle qu’elle se présente dans le discours de la chanson se voit donc à nouveau confirmée dans son appartenance à l’univers des « prédatrices », avant même qu’intervienne – toujours en l’absence notable d’une visualisation directe de la partenaire féminine – la culmination décisive apportée par la mention de Méduse, que le voisinage de l’adjectif « furieux » transforme même en un hybride de Gorgone et de Furie déclinant sur le mode de la simultanéité la succession métamorphique qui se produit dans le cas de « la vamp orchidoclaste ». La pertinence mythologico-géographique de la qualification de « Méduse en croisière » – en écho à la localisation du personnage dans l’île grecque de Sériphos, à sa nature de petite-fille de Pontos (l’Océan) et Gaïa (la Terre), et plus généralement aux divers périples maritimes évoqués tant dans sa légende que dans la postérité symbolique de celle-ci telle qu’on peut l’étendre jusqu’à nos jours – coexiste cependant de façon révélatrice avec l’offre de lecture alternative de la « croisière » en tant que désignation argotique de la prostitution – induisant ainsi une possibilité fructueuse de réaccentuation dont on peut signaler à défaut de pouvoir en apporter ici la démonstration qu’elle s’applique de façon systématique – ne fût-ce qu’à titre d’option exégétique complémentaire au profil plus ou moins nettement dessiné – à l’ensemble des occurrences du verbe « croiser » existant dans le discours thiéfainien.
10On conclura ces développements relatifs à la fonction de révélateur de l’action « prédatrice » qui échoit au motif de l’araignée et par extension à la femme dans le corpus des chansons par un regard sur le distique final d’« annihilation » où la réunion du couple symbolique formé par le diable et l’araignée sert de support à l’exposition de la situation d’expectative calquée sur celle que détaille « libido moriendi » : « & j’attends le zippo du diable pour cramer / la toile d’araignée où mon âme est piégée31 ». La polarité du masculin et du féminin telle qu’elle est fixée d’emblée par la constellation archétypique connaît une redéfinition éclairante à travers la mise en lumière de la strate érotico-sexuelle du discours, qui ramène le « zippo » à sa provenance étymologique en tant que dérivation forgée dans un but commercial du terme anglais zipper, soit la « fermeture éclair » – que l’on peut tout à fait se représenter sur le modèle de celle qui orne la pochette de l’album Sticky Fingers des Rolling Stones, et dont l’ouverture s’effectuant « en un éclair » marque l’entrée dans la phase du rapprochement physique. Le détournement sexuel du « zippo » trouve son corollaire féminin dans la réaccentuation sous-jacente du verbe « cramer » telle qu’elle s’opère régulièrement dans le discours thiéfainien – bien que la place manque à nouveau pour le démontrer ici – par le biais de la correspondance acoustique avec le terme argotique « cramouille », qui prend de fait la valeur d’un indicateur sémantique en dépit du verdict totalement opposé de la reconstitution étymologique renvoyant « cramer » au latin cremare, et que l’assimilation déclenchée spontanément par le seul effet d’écho occulte voire invalide totalement précisément parce qu’il se révèle inexploitable dans la perspective d’un approfondissement polysémique. Si la lecture littérale du distique comme le repositionnement réalisé par le basculement vers la sphère de l’Éros laissent tous deux augurer en apparence d’une mise en échec de l’araignée résultant de l’entrée en jeu du diable, l’indécision fondamentale qui constitue la signature poétique de l’auteur est toutefois rétablie en toute fin du texte par le participe « piégée » qui amène une inversion du rapport de domination en faveur de l’araignée tant en raison de l’impossibilité factuelle de se libérer d’une toile d’araignée pour celui qui y est emprisonné que par la priorité qui revient pour l’instant à la situation réelle – ou à tout le moins vécue et exposée comme telle – de proie de l’araignée qui est celle du protagoniste sur le « futur désiré32 » auquel correspond à ce stade son appel à une intervention du diable. Comme dans « Prière pour Ba’al Azabab », c’est à nouveau « mon âme » qui est l’objet ou l’enjeu de la visée prédatrice de l’araignée et à l’arrière-plan de celle-ci de celle émanant du diable, plus enclin par nature à s’approprier les âmes que l’araignée dont l’appétit se porte d’abord sur les objets physiques. Alors que l’incertitude relative au destin de l’âme est résumée par l’opposition des deux formules verbales « cramer » et « piégée » illustrant respectivement la prééminence masculine ou féminine, l’association étroite instaurée ici entre le verbe « piéger » et l’habitus prédateur de la femme n’a cependant pas valeur d’impératif absolu – et donc de marqueur spécifique du féminin dans le corpus des chansons – dans la mesure où les autres occurrences du terme témoignent de la possibilité pour le partenaire masculin d’endosser à son tour le rôle du piégeur, que son action soit couronnée de succès comme dans « l’appel de la forêt » où il remarque à l’intention de sa partenaire « tu es prise dans le piège de mes caresses33 » ou reste éventuellement vouée à l’échec ainsi que c’est le cas dans « modèle dégriffé » où la beauté de la femme est en mesure de désarmer au sens propre les attaques de ses poursuivants comme le souligne le protagoniste avec sa remarque « tu es belle à rendre fou / ceux qui voudraient te piéger34 ». À côté de ces exemples d’une polarisation explicite s’opérant tantôt en faveur de la femme tantôt à son détriment, l’ambivalence quasi oxymorique de l’exclamation « n’est-ce pas merveilleux de se sentir piégé ?35 » dans le refrain de « 713705 cherche futur » fait abstraction de toute détermination relevant de l’identité sexuelle – le masculin « piégé » prenant la valeur purement grammaticale d’accord usuellement en vigueur dans son association avec l’infinitif « se sentir » – pour englober sans exclusion de la sexualité l’ensemble des expériences donnant lieu à la sensation évoquée telles qu’elles sont déclinées tout au long des strophes successives : l’alternative qui s’articule ici sans pour autant réclamer une résolution définitive – l’impression d’être piégé excluant ici par nature toute possibilité de trancher entre les options antagonistes – est davantage celle d’une élucidation métaphysico-existentielle des différentes étapes du texte par opposition à une lecture des situations évoquées privilégiant leur appréhension sous l’aspect de l’Éros, sans omettre non plus le caractère de piège dans lequel sa victime a plaisir à se faire prendre qui est le propre de l’expérience artistique, à laquelle peut tout autant être ramenée « la toile d’araignée » d’« annihilation ». Si donc la constellation prédateur-proie est bel et bien décelable tant dans le refrain de « 713705 cherche futur » que dans la totalité de la progression discursive, il est tout aussi indéniable qu’elle se dérobe en permanence à toute tentative d’identification des figures supposées l’incarner et a fortiori à toute spécification du rôle réservé à la femme dans un tel cadre, le « nous » générique du vers final « serions-nous condamnés à nous sentir trop lourds » actant au contraire l’indifférenciation de principe qui préside également à l’égale validité tout comme à la coexistence simultanée des options exégétiques. Un constat similaire s’impose avec l’exclamation « on est maudits / pris au piège36 » qui offre dans « vers la folie » le reflet inversé de l’appréciation positive de la même situation émise dans le texte précédent. Si la réunion des deux attributs « maudits » et « pris au piège » substitue à la tension oxymorique créée par l’introduction de l’adjectif « merveilleux » l’univocité d’une caractérisation dépréciative tant de la position des figures concernées que de la réaction qu’elle éveille chez elles – l’ordre de présentation imposé par la dynamique de dramatisation du discours tant poétique que musical donnant par contre la priorité à l’expression emphatique du ressenti négatif par rapport à la reconnaissance de l’état de fait qui donne naissance à celui-ci –, il importe toutefois davantage dans le contexte des présentes réflexions de souligner que la présence du pronom à valeur générique « on » relègue à nouveau au second plan la question de la différenciation sexuelle des victimes, tandis le « piégeur » est pour sa part expressément identifié comme étant de sexe masculin puisque la figure énigmatique du « blanchisseur de neige37 » – dont on s’abstiendra de détailler le profil symbolico-discursif renouvelant la technique scandinave des kenningar – est présentée dans le contexte de la strophe comme l’initiateur du « sortilège » qui déclenche le piège fatal.
11Confirmant les conclusions suggérées par l’analyse de « la vamp orchidoclaste », on retrouve par contre une prépondérance féminine marquée dans les constellations évocatrices de la sphère du vaudou ou développant des motifs apparentés à ce dernier au premier rang desquels on relève celui de la sorcière. Les vers « ma sorcière a trempé / ses doigts dans le sang chaud38 » qui donnent son titre à la présente contribution sont l’expression directe du comportement prédateur attribué à la femme, et désignant le partenaire masculin comme la victime – essentiellement consentante ou du moins dénuée de toute velléité de résistance – d’une impulsion destructrice incontrôlable plongeant ses racines dans la strate chtonienne et archétypique des déclinaisons du féminin. La chronologie déductible du quatrain précédent « déjà les filles du silence / aux magnolias en fleur / jouaient de ma patience / en me moissonnant le cœur39 » apporte un éclairage appréciable – quoique non exclusif compte tenu de la lapidarité énigmatique des séquences citées – sur la provenance du « sang chaud » qui peut être en effet compris comme le produit de l’activité de moissonneuses exercée par les « filles du silence », l’équivalence sang-cœur s’imposant de façon immédiate avant toute éventuelle prise de distance par rapport à la lecture littérale de la formulation. Si le « silence » apparaît régulièrement dans le discours thiéfainien comme désignation cryptique de l’amour pris au sens du rapprochement sexuel – reflétant notamment la conception tantrique –, la « patience » laisse transparaître son sens étymologique renvoyant d’abord à la souffrance ou à la capacité de la supporter, telle que la désignent le verbe latin patior et son dérivé patientia. Ainsi se trouve étayée la conception d’un sacrifice accompli par le groupe féminin aux dépens du protagoniste masculin privé in fine de son sang et de son cœur, dans le renouvellement à l’identique d’un rituel vaudou voire précolombien tout comme dans une analogie évidente avec les déchaînements des ménades et/ou des bacchantes, dont l’évocation du destin d’« orphée nonante huit »40 offre un traitement aussi lapidaire qu’allusif. La notion même de culmination orgiastique est ici paradoxalement relativisée voire remise en question par la mention des « magnolias en fleurs », qui témoigne d’abord de la plénitude physique et sexuelle émanant des corps des « filles du silence » plutôt que du désordre extrême de l’apparence caractéristique des « bacchanales41 » – dont on étudiera dans la suite de ces lignes les déclinaisons dans le corpus des chansons. La connotation sexuelle marquée qui s’attache à la fleur de magnolia – et qu’un regard sur une photographie et/ou une description de sa forme suffit à établir – va ainsi de pair avec une mise en exergue de la beauté féminine qui apparaît en soi totalement étrangère à la représentation des bacchantes, dont la volonté destructrice s’exerce en premier lieu à l’endroit de leur propre intégrité physique. L’éviction de l’apparition collective des « filles du silence » au profit de la focalisation sur la seule figure de « ma sorcière », telle qu’elle coïncide avec le passage du « cœur » au « sang » et avec l’élimination parallèle de la dimension ludique remplacée par une notation à la crudité réaliste – le verbe « jouaient » de la première séquence laissant la place à la formule « a trempé ses doigts » –, se traduit ainsi par le renforcement de la composante « gore » – ainsi que par la confirmation de la répartition initiale des rôles dans la confrontation d’un masculin passif et soumis à un féminin actif et dominateur. Rompant avec le schéma préétabli et en apparence inébranlable – ou plutôt introduisant une modification subtile de ce dernier qui n’est cependant pas nécessairement supposée déboucher sur une réévaluation complète de la position du protagoniste –, la conclusion de la strophe « & j’ai goulûment léché ouh ouh ! / les pores de sa peau42 » fait entrer le « je » masculin – désormais placé dans la position grammaticale du sujet qui le place au rang d’un acteur à part entière du processus – dans la dynamique d’absorption du corps et/ou des sécrétions de l’autre sans pour autant remettre directement en question le rôle de coryphée dévolu à la « sorcière », dont le partenaire assume désormais le rôle d’un disciple particulièrement assidu. La pleine acceptation par de ce dernier de l’animalité inhérente au comportement de la prédatrice s’opère à travers le recours à la double onomatopée « ouh ! ouh ! » elle-même issue du « vocabulaire » traditionnel des sorcières et des fantômes, ainsi qu’au niveau implicite du discours par le biais de l’adverbe « goulûment » pourvu ici d’un double potentiel d’évocation : si l’acception première renvoie à l’adhésion sans réserve témoignée par le personnage masculin à l’habitus comportemental de sa partenaire – voire à l’émulation et/ou la rivalité qui réunit davantage qu’elle ne les oppose les deux figures impliquées dans le processus –, le phénomène de l’assimilation homophonique – lors duquel l’absence de tout fondement étymologique n’entrave en aucune façon le pouvoir d’évocation propre à la seule correspondance acoustique – fait immédiatement surgir derrière l’appréciation « goulûment » la figure mythique de la « goule », en dépit du fait que la dénomination araméenne gūl à l’origine de la retranscription française soit dénuée de tout rapport avec le latin gula désignant la gorge ou le gosier. Les instincts de dévoratrice qui animent la figure à l’aura funeste apparaissent ainsi transférés au protagoniste, tandis que la figure féminine devient par contrecoup objet du rituel de dévoration – voire de pénétration symbolique si l’on songe à la fonction de « conduit » ou de « passage » assignée aux « pores » par le biais du grec πόρος ou du latin porus. La féminisation symbolique du personnage masculin, telle qu’elle sous-tend en même temps la transformation implicite en goule, s’accomplit en toute logique sous le signe du désir de destruction et de son assouvissement sans frein qui constitue de fait le dénominateur commun aux modes de comportement des deux figures, ainsi que viendront le confirmer – toujours au plan de l’agencement du discours multivoque et non sur celui d’une appréhension limitée au seul niveau explicite de la formulation – nombre d’indicateurs d’une dynamique de fonctionnement similaire décelables en d’autres endroits du corpus. On soulignera au passage la cohérence des motifs réunis dans la chanson dont l’intitulé « your terraplane is ready mister bob ! » renvoie à la biographie du bluesman Robert Johnson, mort assassiné par un mari jaloux en 1938 et dont la légende veut qu’il ait signé un contrat avec le diable43. Intégrés dans un tel contexte discursif dont la précision documentaire va jusqu’à mentionner la marque de la voiture pilotée par le personnage, les « magnolias en fleurs » incarnent ainsi – outre leur suggestivité sexuelle dont il a été précédemment question – la flore emblématique des États du Sud des USA où s’est effectivement déroulée la vie de « mister bob » tandis que le participe « moissonnant » renvoie à la prépondérance de l’activité agricole dans ces mêmes régions surtout à l’époque où vécut Johnson. Le dévoilement de l’arrière-plan historique permet de même de reconnaître dans la « sorcière » l’auxiliaire et la complice du « diable », dont le « contrat » – évoqué directement dans la formule lapidaire « je retrouve le carr’four / le diable & son contrat44 » – voue le signataire à l’accomplissement de ses dons artistiques, mais aussi à une mort précoce et violente telle qu’elle échut dans la réalité au musicien. Si le distique final « mais soudain mon rêve devient lourd / je m’réveille trempé dans tes draps45 » ramène au premier plan – à travers l’adjectif possessif de la deuxième personne du singulier – la femme en tant que la « sorcière » confirmée dans son double rôle de séductrice et d’annonciatrice d’un destin funeste, il véhicule de nouveau au plan sous-jacent l’image d’un retour à la répartition traditionnelle entre activité masculine et passivité-réceptivité féminine, pour peu que soit perçu et activé le sens historique de « tremper » qui désigne à l’origine l’action de « plonger dans un liquide » ou de « mouiller » – comme l’on plonge des mouillettes dans un œuf à la coque. L’immersion ou l’introduction du masculin dans la sphère du féminin telle que la signale au plan implicite la conclusion du texte vient ainsi doter d’un contrepoint essentiel le constat littéral tel qu’il se ramène à l’annonce de la fin prématurée du personnage, les deux strates complémentaires apportant chacune leur accentuation propre à la réalisation de la connotation diabolique.
12C’est à une acceptation résignée – nuancée cependant au fil du texte de velléités de révolte, de recouvrement d’une dignité perdue ou de redéfinition sub specie aeternitatis de la constellation érotico-sexuelle – que se résout par contre « le vieux bluesman » dans sa confrontation avec la « bimbo » qui le soumet à un traitement identique à celui infligé par les « filles du silence » à « mister bob » : le constat « t’as mis mon cœur à brûler sur ton gril / t’as mis mon âme à sécher sur ton fil46 » amplifie tant par le redoublement des vers relatant les tortures subies que par la quotidienneté a priori inoffensive des représentations visuelles associées aux organes visés – si tant est que le terme puisse s’appliquer à l’âme – la dimension d’inhumanité ou d’atrocité qu’impliquent les actions imputées à la figure féminine, dont la monstruosité dévoratrice contraste – à moins qu’elle n’en constitue le corollaire obligé – avec le physique provocant signalé tant par l’appellation de « bimbo » que par la mention de son « string47 » à la toute fin du texte. Malgré l’évolution progressive du discours vers une auto-affirmation de plus en plus marquée de la part du « vieux saltimbanque48 », c’est bien par la seule mention du caractère prématuré de l’entreprise initiée – ou supposée l’être – par la femme que les vers « il est trop tôt pour décalquer ma peau / sur ton tambour en faisant des saltos49 » se distinguent des évocations des mauvais traitements déjà subis par le « cœur » et l’« âme », alors qu’abstraction faite de l’obstacle constitué par le « trop tôt » ils ne font que dépeindre la suite du supplice promis au protagoniste. L’image de l’écorchement de la proie enfin vaincue suivi de la danse triomphale exécutée par la « bimbo » s’impose ici de façon immédiate en dépit de l’invalidation purement grammaticale que lui oppose la structure de la phrase, à tel point que l’acte même qui fait l’objet de la récusation énergique du « je » resurgit tout aussitôt dans sa formulation la plus explicite pour commander l’enchaînement avec le distique suivant : » je m’écorche en dansant sous les regards / de tes crapauds crapuleux & blafards50 ». L’univocité de la séquence, qui semble amener le protagoniste au point culminant de la dévalorisation qui lui est imposée par la femme dominatrice, s’effrite pourtant aussitôt constatée sous l’effet de la dynamique de relativisation incessante née de la superposition des strates discursives – elles-mêmes découlant directement des offres multiples de recombinaison sémantique mises à la disposition de l’auditeur-lecteur par le seul mécanisme de l’agencement verbal. L’invalidation progressive du discours explicite – qui a pour corollaire obligé la fragilisation grandissante de la suprématie de la figure féminine – passe tout d’abord par le rétablissement du sens latin de excorticare qui fait alors apparaître le « vieux bluesman » davantage comme privé de son cortex (cérébral) plutôt qu’écorché au sens physique et sanglant du terme, infléchissant la scène vers un épisode de folie amoureuse dont on précisera davantage les modalités de présentation dans le prolongement immédiat des présentes remarques. Sachant ensuite que les « regards » peuvent pour leur part faire l’objet d’une redéfinition en tant qu’« ouvertures » analogue à celle opérée précédemment pour les « pores », il deviennent un indicateur du processus de pénétration dont la corporalité est à son tour renforcée par le renvoi aux « crapauds » derrière lequel se profile l’acception argotique de « crapaudine », qui non seulement invite à une appréhension purement sexuelle du tableau dépeint par le « je » mais souligne de surcroît l’intensité physique du désir ressenti pour le partenaire, telle que l’exprime la position d’étreinte sollicitant à la fois les bras et les jambes adoptée par la femme. Au terme de la transformation sous-jacente induite par les réécritures sur le mode de l’Éros de l’ensemble des constituants verbaux des deux vers, la danse du « bluesman » se voit entièrement dépouillée du caractère de torture que lui attribue avec insistance l’énoncé de surface. Remarquons en outre qu’une telle remise en question des présupposés exégétiques apparemment les plus consistants ne fait que rééditer le processus de réaccentuation mis en place au tout début de la chanson où le distique d’ouverture « tu m’as fait danser sur du verre pilé / tu m’as fait croire à un amour cinglé51 » prend une signification diamétralement opposée avec la reconnaissance du sens argotique de « verre » ou « vitrine » en tant que désignation du sexe de la femme, tandis que « pilé » récupère alors son sens premier hérité du latin pilare, soit « enfoncer comme un pilier, planter ». La danse ainsi modifiée dans sa nature profonde devient l’expression même du corps-à-corps sexuel, dans lequel la femme se voit dépossédée par le discours implicite de son potentiel de nuisance et de domination, tandis que son partenaire rejoint l’idéal d’accession à un niveau supérieur de plénitude tel qu’il est célébré par la danse de Zarathoustra. De même, l’« amour cinglé » ne se limite nullement à résumer sous son apparence familière et directement accessible l’explosion d’« amour-amok52 » vécue par le protagoniste, qui trouve au contraire sa verbalisation authentique à travers la réaccentuation étymologique du « je m’écorche » telle qu’elle s’accomplit au seul niveau sous-jacent du discours poétique. La qualification de « cinglé » appliquée au phénomène de l’amour suggère bien davantage une réaccentuation sado-masochiste, telle que la dicte le retour au sens premier du verbe « cingler » impliquant l’action du fouet dont rien ne permet de décider lequel des deux partenaires est supposé le manier – à moins qu’on ne préfère imaginer que chacun des deux s’en empare tour à tour. La formulation reste ainsi nimbée d’une ambiguïté insaisissable jusque dans le surcroît d’évidence que semble instaurer la réhabilitation sous-jacente du sens d’origine du participe « cinglé » par rapport à un sens figuré devenu le plus immédiatement perceptible : en effet, la flagellation érotique et le rappel dionysico-bacchique qu’elle véhicule n’impliquent aucun rapport intangible et perçu comme tel de priorité et/ou de domination d’un sexe sur l’autre, alors que le discours explicite s’articule tout entier – et jusque dans les amorces de dénégation qu’on a pu mettre en lumière dans les lignes précédentes – autour de l’emprise sans partage exercée par la femme sur son partenaire.
13La « femme-enfant tombée de mes rêves53 » de « casino / sexe & tendritude » dont le partenaire identifie aisément le potentiel de séduction maléfique – » tu m’envoûtes belle & lascive / sous l’axe mortel de tes œuvres » – appartient à travers ses « phérormones de pieuvre54 » à la sphère de l’animalité dévoratrice telle que l’effleure dans « le vieux bluesman & la bimbo » moins la mention directe des « crapauds » que leur réinterprétation sous-jacente, par le biais de laquelle se dessine le même geste d’un embrassement mortifère initié par une figure à la nature hybride, dans laquelle l’exacerbation de l’attractivité féminine s’allie de façon paradoxale avec le surgissement d’une primitivité archétypique et comme telle incontrôlable dans sa dangerosité foncière – sans parler du surcroît d’énergie physique qui en émane. Le fait que le terme « pieuvre » puisse également revêtir au gré de ses variations étymologico-historiques le sens de « personne insatiable » ou « femme méprisable » conserve à la figure féminine sa spécificité problématique jusque dans la mise en retrait de la connotation zoologique, qui repasse toutefois au premier plan avec la constatation « sur moi ton venin est sans prise55 ». L’équivalence de principe qui s’établit entre la « pieuvre » et la séduction mortifère de la femme laisse une grande latitude d’organisation au discours à strates multiples, qui peut placer comme ici sur un même pied les deux connotations suggestives, ou au contraire valoriser une seule dimension tandis que la seconde se profile seulement à l’arrière-plan de l’évocation polysémique : « petit matin 4.10 heure d’été » offre avec les vers « je fixe un océan pervers / peuplé de pieuvres & de murènes56 » une déclinaison du motif axée expressément sur le règne animal, laissant à la strate implicite le soin d’opérer un basculement vers l’évocation critique du féminin prédateur que vient ensuite confirmer le renvoi sous-jacent et imagé à la sexualité contenu dans la séquence complémentaire « tandis que mon vaisseau se perd / dans les brouillards d’un happy end57 ». Outre la plausibilité immédiate – et justifiée sur le plan biologique – de l’association du « venin » et de la « pieuvre », la formulation du vers de « casino / sexe & tendritude » autorise une conception plus globale du « venin » tant comme indicateur générique de l’animalisation de la figure féminine que comme désignation figurée des propos délétères ou « venimeux » tenus par cette dernière, la double offre herméneutique illustrant de façon particulièrement adéquate le balancement permanent entre le basculement vers l’animalité et le rétablissement des attributs proprement humains. Ces derniers sont ensuite seuls sollicités dans la séquence assonante et allitérative « mithridatisé sur tes lèvres / je survis à tes mignardises58 », qui apparaît annonciatrice d’une possibilité efficace de neutralisation puis de mise en échec de la prédatrice : tandis que l’effet thérapeutico-préventif de l’accoutumance prend cette dernière à son propre piège, la stratégie du protagoniste exige pour parvenir à un plein succès une intensification des rapprochements « dans le vertige de nos nuits59 », lors desquels il fortifie sa capacité de résistance jusqu’à parvenir à surmonter son statut premier de proie – évolution tout d’abord déductible du verbe « survis », dont le sens emphatique tel qu’il est fréquemment repérable dans la production poétique de l’auteur pointe vers un au-delà du simple fait de rester en vie. Le processus de dépotentialisation de la figure féminine se poursuit avec le recours à l’appellation réductrice et essentiellement dépréciative de « mignardises », par laquelle le discours du protagoniste perce à jour l’affectation coquette propre au comportement de séduction adopté par la femme, tout en rendant hommage à la qualité sensuelle et esthétique des manœuvres déployées par celle-ci. Un pas encore plus décisif est enfin accompli avec la prise en compte de l’acception culinaire – et aujourd’hui la plus répandue – du vocable qui transforme alors les « mignardises » en petits gâteaux, investissant le partenaire masculin du pouvoir dévorateur jusqu’ici propre à la femme qui apparaît par contrecoup rétrogradée au rang de mets de choix consommé par le protagoniste – sans perdre pour autant sa qualité vénéneuse mais désormais rendue inoffensive. Le transfert au profit du protagoniste de la position de force initialement reconnue à la figure féminine est alors scellé de manière spectaculaire à travers la modification finale du refrain dont il importe de signaler qu’elle embrasse à elle seule la totalité de la dynamique d’évolution discursive. La constellation de départ est en effet idéalement résumée par la version première « je planque mes cartes sous ton full / quand tu me fixes dans les yeux60 », qui traduit à la fois le déséquilibre des positions initiales et l’ambiguïté ludique inhérente au « casino », celle-ci commandant non seulement la double lecture du « full » – qui signale tant les atouts physiques de la femme que la composition prometteuse de la main qu’elle détient aux cartes – mais aussi la fiction de l’attitude de réserve craintive adoptée provisoirement par le protagoniste. C’est par contre une affirmation d’autorité non déguisée – et en ce sens tout aussi surjouée ici que la posture de soumission précédemment adoptée par le partenaire masculin dans la partie de poker menteur subtilement mise en scène tout au long du texte – qui s’impose dans la conclusion avec la formulation transformée « je plaque mes cartes sur ton full / désormais nous jouerons à deux61 » : tant la brutalité que le caractère définitif de l’inversion soudaine des positions – déductibles respectivement du « je plaque » aux accents sous-jacents de confrontation physique et du « désormais » devenant l’indicateur solennel de l’entrée dans une nouvelle ère de la relation érotico-sexuelle – sont cependant abolis in fine ou plus précisément intégrés dans un processus de plus grande ampleur, celui d’un « jouer » – et/ou d’un « jouir » ainsi qu’on a pu l’identifier plus haut dans ces lignes – qui autorise à nouveau la déclinaison complète des différentes combinaisons traversées depuis la première strophe, la prééminence revendiquée tour à tour par la femme puis par l’homme devenant ainsi sans objet du fait du passage au « nous » instaurant lui-même la possibilité d’un « à deux ».
14Faisant d’entrée de jeu la part belle au motif du vaudou qui renforce son expressivité onirico-fantastique, le texte de « retour vers la lune noire » constitue un autre exemple significatif de l’élargissement comme du déplacement de l’impulsion destructrice incarnée en premier lieu par la figure féminine, et se transmettant dans un second temps à un personnage masculin qui ne se confond toutefois pas avec le protagoniste, ce dernier se présentant ici pour sa part comme le spectateur fasciné de l’osmose démoniaque. L’incipit du texte « dans tes yeux cramoisis aux chiffres mentholés / j’aperçois le killer de tes amours-vaudou62 » place le « killer » au profil incontestablement meurtrier dans le sillage immédiat ou sous la dépendance directe de la figure centrale que le refrain apostrophe ensuite comme « reine noire », l’inscrivant du même coup dans un vaste halo associatif allant de la bien-aimée du Cantique des cantiques – dont le nigra sum sed formosa (Cant., 1, 5) rappelle la qualité de « reine noire » assimilée à la reine de Saba – à la figure mythico-démoniaque de Lilith qu’on retrouvera plus tard dans les présentes lignes en passant par Hécate « Trivia », la déesse du « rendez-vous au dernier carrefour63 » et des maléfices nocturnes qui représente comme telle la divinité la plus « sombre » de la triade lunaire comprenant également Diane/Artémis et Luna. Alors que la présentation du « killer » en action dans les vers « brisant les corps moisis, fallacieux & glacés / de tes poupées nitides au baiser d’amadou64 » met d’abord en exergue sa brutalité destructrice telle qu’elle s’exerce aux dépens de ses victimes féminines, la réapparition de l’adjectif possessif de la deuxième personne rattache expressément – comme c’est le cas déjà pour les « amours-vaudou » dont la séquence citée illustre le déroulement macabre – les figures féminines à la sphère d’influence de la « lune noire » qui assume envers elles la fonction de divinité tutélaire, en symétrie exacte avec le rôle de donneuse d’ordres qui lui échoit vis-à-vis du « killer ». La scène des meurtres se mue ainsi – du moins dans le cadre de la constellation définie par le discours explicite – en célébration d’une hiérogamie inversée et mortifère régie à l’arrière-plan par l’instance prédatrice et destinataire des hommages à laquelle sont immolées des proies manifestement féminines, telles qu’on les retrouve encore dans la dernière strophe avec les « figurines écrasées près des téléscripteurs65 ». Si la possibilité de redéfinition sexuelle de l’ensemble des événements s’offre ici avec une urgence évidente – et ne nécessite pas de ce fait qu’on en détaille les modalités de réalisation discursive –, elle laisse subsister intacte l’aura aussi suggestive que maléfique de la figure éponyme : la polysémie des « souvenirs-damnation dans tes yeux de momie66 » embrasse aussi bien l’atmosphère mythologico-fantastique qui se révèle lors des « soirs-halloween67 » que l’intrication dérangeante d’Éros et de Thanatos dans sa double déclinaison archétypique et sexuelle, tout en laissant dans l’ombre tant l’identité des figures ayant expérimenté la « damnation » – ou y ayant le cas échéant voué les autres – que la fonction spécifique assignée à la « reine noire » dans une telle descente aux enfers effective ou métaphorique. Il en va de même en ce qui concerne l’appréhension des « sacrifices de blaireaux sur les tombeaux flétris / de tes groupies mondains aux synapses éclatées68 » lors de laquelle l’oscillation de principe entre genitivus subjectivus et genitivus objectivus attribue tour à tour aux « blaireaux » la double qualité d’instigateurs ou de victimes des « sacrifices », que ceux-ci soient appréhendés littéralement ou redéfinis sur le mode sexuel, les « tombeaux » cédant alors la place aux « lits » ainsi que le suggère de façon récurrente le fonctionnement du discours multivoque tandis que les « blaireaux » – dans le cas évidemment où c’est la lecture « active » du complément de nom qui a la primeur sur la version « passive » – endossent au plan latent le rôle de substitut imagé du pénis le plus souvent réservé au « rat ». Le choix de la forme masculine du terme installe à nouveau les « groupies mondains » – qui partagent par ailleurs avec les « blaireaux » la connotation dépréciative qui est la marque même de leur appartenance à l’univers maléfique – dans un rapport de proximité voire de complicité avec la « reine noire », qu’il ne s’agit cependant pas de généraliser en tant que statut qui reviendrait non seulement aux seules figures masculines, mais à la totalité de celles-ci à l’instar de ce qui se produit pour le « killer ». Le rééquilibrage décisif est apporté ici par le refrain consacré à « tes amants sans mémoire sans rêves & sans espoirs69 », que la dynamique de variation transforme ensuite en « tes amants transitoires transis & dérisoires70 » : si la présence du possessif de la deuxième personne permet d’ajouter ce nouveau groupe de figures au nombre des précédents « satellites71 » de la « reine noire » – à moins qu’on ne soit en fait en présence d’émanations de celle-ci revêtant indifféremment des apparences aussi diverses que celles de « poupées » ou d’« amants » – le caractère incontestablement masculin des « amants » ne les met nullement à l’abri de l’état de passivité totale réservé jusqu’ici davantage aux apparitions féminines, et qui hésite entre les deux attitudes également frustrantes – et de surcroît infructueuses – de l’abandon désabusé à l’illusion narcissique exprimé par la formule « défilent dans tes miroirs » ou de la tentative de dynamisation réduite à sa plus simple expression telle que la résume la séquence symétrique « se traînent sur tes trottoirs ». La réaccentuation sexuelle à laquelle on peut soumettre tant les « miroirs » comme symboles traditionnels et privilégiés du féminin jusques et y compris dans la corporalité de celui-ci que les « trottoirs » comme lieu d’exercice de l’activité sexuelle tarifée ou non ne saurait modifier ici la position d’infériorité qui échoit aux « amants » vis-à-vis de la figure dominante de la « reine noire », qui déclenche une véritable entreprise de vampirisation dirigée contre ceux-là même qu’elle attire et dont elle s’attache l’adoration indéfectible. Si elles varient notablement en ce qui concerne la plus ou moins grande part d’activité et/ou d’initiative accordée par la « reine noire » à ses différents partenaires masculins, les conclusions opposées découlant respectivement du refrain et des strophes laissent intacte sa suprématie et par là même l’intensité de son activité de prédatrice, qui ne trouve aucun obstacle à la satisfaction de ses désirs, qu’elle soit immédiate ou qu’elle s’effectue par procuration. La dimension cosmique à laquelle est portée la confrontation du masculin et du féminin dans les vers « scorpions géants fouillant tes étoiles en vapeurs / sous la pluie des fragments de tes caresses intimes72 » se déploie à nouveau sur la base du schéma opposant l’activité masculine à la passivité féminine – du moins pour ce qui est de la première moitié de la séquence – tout en asseyant encore davantage par la répétition renforcée des possessifs de la deuxième personne du singulier la position d’exception qui revient à la « lune noire » non seulement en tant qu’incarnation du féminin nocturne et destructeur telle qu’on l’a rencontrée tout au long du texte, mais avant tout en tant que conceptrice et metteur en scène de la dramaturgie archétypique qui commande le processus de la hiérogamie diabolique. Tandis que les vers de « caméra-terminus » célébrant les « jardins métalloïdes / noyés de larmes acides / où la lune en scorpion / fait danser ses démons73 » invitent à une différenciation du « scorpion » – essentiellement présent comme localisation zodiacale et astrologique de la lune reconnaissable par là même comme « lune noire » – et des « démons » agissant là aussi sous le seul effet de l’influence de la divinité féminine et nocturne, les vers de « retour vers la lune noire » renoncent à mentionner explicitement les « démons » sans pour autant les évacuer du cadre de l’évocation ou en réduire l’importance symbolique, puisque leur présence latente imprègne au contraire l’ensemble du processus et des acteurs concernés : tant pour ce qui regarde le comportement de prédateur sexuel attribué aux scorpions qu’en ce qui concerne la culmination de l’excitabilité génitale et corporelle au sens large décelable chez les « étoiles en vapeurs », l’exacerbation de la tension érotique se dévoile comme inspirée par la protagoniste démoniaque qui incorpore à elle seule tout le potentiel de séduction destructrice mis en œuvre dans la séquence. Un approfondissement significatif – et d’autant plus précieux que sa position à la toute fin du texte autorise une réinterprétation de l’ensemble des strophes sur la base de l’éclairage supplémentaire ainsi apporté in extremis – réside dans la mention des « caresses intimes74 » – dont l’impact en tant que marqueur symbolique va bien au-delà de la fonction qui leur échoit dans la transfiguration mythologique du phénomène naturel constitué par les pluies de météorites. Alors que la transposition macrocosmique des rapports sexuels – jointe à la dimension thériomorphique née de la substitution des scorpions aux protagonistes masculins de la scène – renoue sous la forme de l’inversion diabolique avec les postulats archétypiques appréhendant l’univers entier sous la forme du corps féminin de la Nuit – dont la déesse égyptienne Nout représente une des incarnations les plus frappantes –, la corporalité directe qui marque l’évocation de l’intimité féminine laisse transparaître l’image de Lilith dont les pratiques masturbatoires – telles que les transmet la tradition apocryphe et kabbalistique – symbolisent la position d’« autosuffisance » érotico-sexuelle liée à son refus de se soumettre à l’homme. C’est donc significativement sur le renvoi à l’avatar le plus spectaculaire de la « lune noire » que se clôt ce « retour », dont l’intitulé met dès l’abord en exergue le caractère à la fois récurrent et indépassable de l’attraction qui émane de la femme prédatrice.
15C’est à une déclinaison modifiée du même archétype féminin qu’est confronté le protagoniste des « confessions d’un never been » se définissant lui-même comme « rasta lunaire baisant la main d’oméga queen75 ». Si le geste d’hommage installe la figure masculine dans un rapport de soumission manifeste envers sa partenaire, la composante lunaire lui échoit spécifiquement en partage au lieu d’être incorporée dans l’aura symbolique de la silhouette féminine, dont c’est l’unique apparition dans le texte et dont l’appellation énigmatique d’« oméga queen » garantit à sa manière l’appartenance à un autre univers que celui de l’expérience humaine habituelle. Dans la mesure où il est aisé d’identifier dans le composé anglo-grec la reproduction inversée du nom de la chanteuse de reggae Queen Omega, la validation a posteriori ainsi procurée à la dénomination de « rasta » affichée par le protagoniste renforce encore la cohérence du discours de surface, que l’ensemble de la séquence semble vouloir rattacher à toute force à un type bien défini d’expression musicale en tant que marqueur d’identité et dénominateur commun aux deux personnages. La figure féminine ne prend toutefois sa pleine dimension – et avec celle-ci sa véritable stature d’incarnation du féminin destructeur – qu’avec la redéfinition de l’oméga comme phase terminale, et s’opposant à ce titre à la phase initiale de l’alpha : contrairement à la formule de l’Apocalypse de Jean « Je suis l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin » (1, 8 ; 22, 13) en tant qu’expression de la plénitude du divin telle que la représente le Christ, la limitation au seul pôle de l’oméga oriente la lecture vers la sphère de la mort dont le personnage devient une émanation privilégiée ainsi que l’indique son titre royal, rejoignant ici « l’ultime prédatrice76 » de « libido moriendi » et surtout la variante d’inspiration également théologico-religieuse de celle-ci qu’est « l’ange inquisiteur77 », pour lequel il va à l’inverse de soi que la réaccentuation sexuelle restitue à l’inquisition son sens premier de « questionnement » hérité du latin inquisitio et en adoucit donc les implications, à moins d’opter pour une « mise sur le gril » du partenaire opérée par la femme provocante ou jalouse. Le protagoniste se définissant lui-même comme « never been » – dénomination dont on a détaillé à plusieurs reprises dans de précédentes contributions le référentiel intertextuel particulièrement étendu et les connotations multiples78 – se trouve de la sorte en harmonie préétablie avec sa partenaire, à laquelle il rend allégeance en lui « baisant la main » en signe d’une acceptation pleine et entière du sort qui lui est réservé sur le plan eschatologique.
16La même dualité de l’offre exégétique est déjà constitutive du vers précédent « bien vibré bien relax en un tempo laid back79 » qui décline ostensiblement la terminologie musicale issue du jazz pour l’infléchir au plan implicite vers l’émergence grandissante d’une annonce de la mort décelable dans chacun des constituants verbaux du vers. On commencera cependant par remarquer que le « bien vibré » retraduit en latin conduit lui aussi à authentifier l’identité reggae du personnage, qui se voit doté des cheveux vibrati ( = frisés) emblématiques des représentants de ce courant artistique. Le sens musical de « bien vibré » renvoyant aux conditions d’exécution susceptibles de mener à la création d’une authentique vibration musicale cohabite tout aussi aisément avec la réaccentuation sexuelle indicatrice de l’intensité du rapprochement physique – révélant du même coup la polysémie du verbe « vibrer » et du substantif « vibration » telle qu’elle sous-tend chacune des occurrences présentes dans le corpus des chansons80. La lecture littérale de « relax » complète avantageusement le portrait du « rasta » y compris dans le cas où ce dernier est appréhendé suivant son équivalent acoustique grec ῥᾷστα – soit le superlatif de l’adverbe ῥᾳδίως – souvent employé par exemple chez Platon par les interlocuteurs de Socrate invitant celui-ci à « se calmer » ou « ralentir ». Le hasard des correspondances homophoniques se double d’une parfaite correspondance sémantico-atmosphérique, puisque l’attitude détendue exprimée à la fois par le terme grec et par son équivalent anglophone « relax » est précisément celle qu’on associe spontanément à un « rasta ». L’inflexion mortifère en tant qu’émanation d’« oméga queen » apporte cependant sa coloration spécifique tant au ralentissement propre au « rasta » qu’à la « détente » indiquée par la qualification de « relax », qui retrouve son sens de « relâché » dérivé du participe latin relaxus. Le phénomène de dévitalisation se poursuit avec le « tempo laid back », qui désigne en musique et plus spécifiquement dans la terminologie du cool jazz un tempo détendu, où l’on peut rester « renversé en arrière sur son siège » puisque tel est le sens de la forme verbale anglaise. La réaccentuation eschatologique permet cependant au « tempo » de réintégrer son sens premier de « temps » au sens de « moment où se produit un événement », tandis que le « laid back » se révèle comme la traduction exacte du verbe grec καταλέγειν, soit « (se) coucher », fréquemment utilisé chez Homère pour évoquer la « Parque de mort » qui « vient de tout son long coucher au trépas81 » tel ou tel mortel. En reflétant directement les formulations homériques, l’agencement du discours sous-jacent introduit ainsi la femme porteuse de mort au cœur de l’énoncé relatif au « tempo laid back », alors même que celle-ci est absente du plan explicite où le nom d’« oméga queen » n’est mentionné qu’une seule fois : la position étendue et le ralentissement des processus vitaux tels que les implique la réaccentuation sous-jacente du vers cité sont présentés comme imputables à la seule présence de la femme prédatrice, dont les influx paralysants n’ont rien à envier à ceux émanant des Gorgones et plus spécialement de Méduse. La prépondérance sous-jacente dévolue au féminin s’accorde enfin avec la nature « lunaire » du partenaire masculin à travers laquelle s’expriment ses affinités secrètes avec l’univers de l’inconscient et de tout ce qui se dérobe à la perception de surface, à ceci près qu’elle renforce sa position d’infériorité vis-à-vis de la femme au lieu de devenir le support de son pouvoir, ainsi que cela se produit chez la « reine noire82 ».
17La constellation ainsi définie renouvelle en ce sens sous une forme abrégée la situation critique de l’« homo lunaticus » que le texte de « paranoïd game » met en scène « avec une madonna dans ta douzième maison / son regard charbonneux / sa gueule en coquelicot / son cul de walkyrie / son cuir sado-maso83 ». L’antériorité du texte – ou tout du moins de sa publication – par rapport à celui de « retour vers la lune noire » fait émerger un rythme cyclique où la connotation lunaire se déplace de l’homme à la femme pour ensuite revenir à ce dernier conformément à l’égale validité des deux schémas, dont les fluctuations et la sollicitation alternée non seulement créent un équivalent verbal et symbolique des phases successives de la lune, mais aussi abolissent l’appartenance sexuelle en tant que critère de différenciation supposé attester d’une plus ou moins grande proximité avec l’astre nocturne. La figure désignée sous le l’appellation de « madonna » dont l’article indéfini atteste la qualité première de nom commun – la dotant ainsi d’une possibilité de reproduction ad infinitum analogue à celle que possède une « madone » au sens de statue ou représentation imagée de la Vierge Marie – présente une ressemblance si évidente avec la chanteuse Madonna que le mode de présentation grammatical se voit démenti par l’impact immédiat du portrait féminin qui apparaît doté de tous les traits distinctifs permettant l’identification d’une figure individualisée et reconnaissable par tous. Au-delà de la coexistence d’indicateurs antagonistes voire carrément incompatibles telle qu’elle est de règle dans le discours multivoque, le choix de l’article indéfini signale – avec une force d’autant plus grande qu’elle peut tout à fait ne pas être immédiatement perçue – l’inéluctabilité d’une réitération sans limites de l’apparition d’« une madonna » conforme en tous points au modèle préexistant, telle que la réalisent de façon exemplaire les sérigraphies d’Andy Warhol basées sur des photographies de Marilyn Monroe ou d’Elizabeth Taylor – n’oublions pas d’ailleurs que c’est « à la vodka chez warhol / avec du tomato campbell84 » que le protagoniste de « psychopompes / métempsychose & sportswear » désire qu’on le « déglace » en guise de cérémonie funéraire, signalant indirectement son affinité avec la démarche de détournement-reproduction de Warhol complétée par le renvoi à la « boîte de joseph cornell85 ». Dépassant le cadre de l’œuvre d’art, c’est bien une multiplication de sosies de Madonna en chair et en os que préfigure la formulation associant de façon inaccoutumée un article indéfini à ce qui peut être ici considéré comme un nom propre, la lecture première selon le schéma article indéfini + nom commun conservant toutefois son adéquation dans la mesure où Madonna accède au rang de figure mythologique, incarnant à l’instar de la « madone » à laquelle elle a emprunté son nom de scène un archétype du féminin dont on peut détailler les diverses caractéristiques. Il importe tout autant de signaler que l’élaboration de la figure composite dénommée « une madonna » fait également appel à la formule de politesse « madonna » ayant anciennement la signification de « madame » en italien – celle-là même que l’on retrouve sous sa forme raccourcie dans la « Mona Lisa » du portrait peint par Léonard de Vinci alors que l’équivalent français d’« une madame » renvoie davantage à l’image d’une tenancière de maison close, parachevant ainsi l’entreprise de dépréciation implicite. La sexualité provocante qui se dégage du « regard charbonneux » comme de la « gueule en coquelicot » – caractéristiques qui correspondent exactement au maquillage de scène adopté le plus souvent par la chanteuse – prend de même une coloration nettement plus directe – » sans fard » pourrait-on dire si le fard n’était pas précisément le support verbal de la dynamique d’exacerbation physique – à travers l’offre alternative de lecture, telle qu’elle frappe à nouveau par la cohérence remarquable de son agencement de détail. S’il est indiqué d’appréhender les « regards » selon les modalités décrites plus haut à propos des « crapauds » de la « bimbo », l’épithète « charbonneux » recèle elle-même une double possibilité de redéfinition sur la base de son association avec le sens cryptique d’« ouverture » tel qu’il vient se substituer à l’acception usuelle du substantif. En référence à l’étymologie de l’adjectif en tant que dérivé du vocable latin carbo qui désigne non seulement le charbon de bois, mais plus généralement tout ce qui résulte d’un processus de combustion, il devient possible de placer l’accent aussi bien sur les « ardeurs érotiques86 » que sur l’aspect peu engageant d’un orifice « noirâtre » susceptible pour sa part de souligner la nature diabolique de la figure féminine – les « feux d’l’amour87 » n’étant d’ailleurs pas en reste en tant que véhicule d’une connotation infernale. L’intensification de la composante sexuelle se confirme de façon spectaculaire avec la réinterprétation de la « gueule en coquelicot » réalisée sous les auspices de la lecture étymologique, la gula latine se confondant aussi bien avec le « gosier » qu’avec la « bouche » tandis que le « coq » en tant que symbole masculin apparaît opportunément derrière le travestissement floral du « coquelicot » : l’invitation ainsi devenue transparente à reconnaître dans la formulation imagée la peinture d’une fellation laisse le champ libre à l’interprétation de celle-ci qui peut soit y retrouver l’image familière de la femme prédatrice et avide de dévorer son partenaire, soit aller à contre-courant de la tendance générale de la strophe en préférant la lire comme une affirmation de virilité ayant pour corollaire l’attitude de soumission reflétée par la posture de la femme telle qu’elle se présente spontanément à l’imagination du lecteur. Le va-et-vient sous l’effet duquel chacun des deux partenaires est placé tour à tour dans une situation de domination ou d’infériorisation conditionne également la polysémie du « cuir sado-maso » qui décline toutes les acceptions du substantif et de son ancêtre latin corium, de la « veste en cuir » – dans laquelle on peut en outre reconnaître un costume de scène de la chanteuse – à la « peau » – lecture également présente dans le renvoi à « l’envers de nos cuirs88 » rencontré dans « lorelei sebasto cha » – mais aussi la « courroie » ou le « fouet » qui génère une possibilité de visualisation immédiate des pratiques en question qui sollicitent tout autant la « peau » de ceux qui s’y adonnent. Si l’épithète « sado-maso » ne requiert pas nécessairement l’adjonction d’un complément implicite, il peut toutefois s’avérer utile de signaler le jeu de mots latinisant qui permet d’y repérer la combinaison du « mas » voire du cognomen « Maso » et du verbe « sato », soit du « mâle » et de l’action de « semer » ou répandre la semence, à moins qu’on ne donne la primeur au calembour grec qui fait du mot composé la réunion des verbes σάττω « bourrer », « farcir » et « presser dans les mains », et μάττω (ou μάσσω ) « pétrir », « masser ». Quant au « cul de walkyrie » attribué à la « madonna », il peut s’avérer un indicateur de frigidité voire d’inaccessibilité radicale dans la mesure où la virginité obligée des walkyries – telle que la rappelle de façon explicite l’hommage rendu dans « angélus » à « la première beauté vierge tombée des cieux89 » derrière laquelle se dissimule aussi bien une walkyrie qu’une houri, mais aussi la Vierge Marie ou encore Artémis ou tout autre divinité féminine dont la virginité est un attribut essentiel – ramène le supposé rapprochement sexuel à des dimensions toutes relatives pour ne pas dire extrêmement modestes, à moins que l’on n’estime au contraire que le statut de vierge ne s’accorde tout à fait avec l’ensemble des activités suggérées au plan implicite dont le dénominateur commun le plus fréquent est justement l’absence de pénétration. L’alliance de la virginité et de l’agressivité dominatrice, telle qu’elle caractérise les walkyries dans la tradition nordique puis wagnérienne où elles ont pour mission de ramener au Walhalla les héros tombés au combat, est ainsi le trait dominant du portrait de la « madonna » ou plus exactement de son assimilation provocatrice à une walkyrie. C’est aux mêmes critères d’identification que répond l’injonction « reprends tes walkyries pour tes valseurs maso90 » rencontrée dans « les dingues & les paumés » où le groupe féminin des « beauté[s] vierge[s] tombée[s] des cieux91 » a pour partenaires les équivalents revisités des guerriers défunts, que la dénomination de « valseurs » autorise même à considérer comme des « branleurs ». L’avatar actualisé de la walkyrie incarné par la « panzerfrau92 » de « groupie 89 turbo 6 » a hérité de sa devancière la cuirasse ou l’armure que désigne le terme allemand « Panzer », qui prend du même coup la valeur signalétique de réminiscence du IIIe Reich, telle qu’elle est également déductible de l’épithète « un peu rétro93 » associée à cet endroit du texte à la figure féminine. Répondant à la prééminence des évocations mythologiques, la présentation de la vision de « paranoïd game » sous la forme décalée d’un tirage d’horoscope confère au rapport du protagoniste à la « madonna » la dimension fantasmée et irréelle inhérente à la « douzième maison » astrologique considérée comme le domaine de l’inconscient, du rêve et de l’imaginaire, dépouillant par là même la prédatrice de sa capacité concrète de nuisance tout en renforçant par contrecoup l’emprise symbolique qu’elle exerce inéluctablement sur l’« homo lunaticus » qu’est son partenaire.
18L’émergence supposée d’un modèle féminin agressif et dominateur est en fait soulignée d’autant plus énergiquement qu’elle s’accompagne d’une invalidation systématique opérée en parallèle et commandant la réaccentuation de chacun des constituants verbaux d’une séquence, aboutissant à une lecture alternative qui constitue l’exact opposé des affirmations formulées au plan explicite. C’est le cas dans « la fin du saint empire romain germanique » où la constatation apparemment désabusée voire craintive « quand elles cartonnent pas mlf / elles vous allongent au karaté94 » s’inverse en l’évocation cryptée d’une « p’tite branlette95 » telle que l’impose le retour au sens premier japonais du vocable « kara-té », soit « la main vide », cette dernière devenant l’instrument d’un allongement dont il est alors aisé de deviner quelle partie du corps masculin le réclame ou en bénéficie. De même, les actions d’inspiration sado-masochiste énumérées au fil des strophes de « groupie 89 turbo 6 » portent en elles-mêmes par le seul jeu de leur formulation multivoque l’invitation sous-jacente à un retournement radical de la perspective : pour ne citer qu’un exemple du processus, la visée provocatrice de surface basée sur la mise en scène d’une soumission totale à la partenaire féminine, telle que la dépeint le distique « mais c’est si bon de jouer son jeu / quand elle décroche le nerf de bœuf96 », se voit entièrement démentie par le discours implicite où le retour au sens étymologique latin restitue au nervus son potentiel de « muscle » susceptible de contraction et à nouveau d’élongation, tandis que le bos, bovis dépouille sa nature de castrat pour redevenir un « bovin de sexe masculin » effectivement tout à fait à même d’apprécier le traitement à base de stimuli agréables suggéré par le verbe « décrocher » : la séance de flagellation annoncée par le « nerf de bœuf » est elle aussi redéfinie sur le mode de la « branlette » exécutée par la femme, redevenue un instrument du plaisir masculin bien loin de dicter ses propres règles en matière d’accomplissement sexuel.
19Alors même que la « lune noire » conserve dans « chambre 2023 (& des poussières) » son statut d’instance suprême dotée d’un pouvoir de fascination maléfique, elle se retire complètement à l’arrière-plan de la scène de domination dont les actrices centrales se présentent comme ses auxiliaires, dans la mesure où le déploiement de leur potentiel de séduction s’effectue à son seul profit ainsi que l’indique la séquence « & les filles des banshees m’entraînaient dans la brume / & me faisaient ramper devant la lune noire97 ». L’étendue de la gamme des variations proposées dans la déclinaison du type de la prédatrice se révèle dans toute son ampleur en dépit ou plutôt en raison même du resserrement discursif, qui accentue l’immédiateté tant des correspondances que des divergences qui imprègnent à part égale les évocations respectives des deux modèles mythologiques. La présence conjointe de la « lune noire » et des « banshees » au teint pâle et aux vêtements blancs inaugure au plan visuel une union des contraires au fort impact suggestif, dont la qualité oxymorique est d’autant plus frappante qu’elle apparaît contrebalancée par la similitude marquée des auras symboliques propres aux deux archétypes, tandis qu’une nouvelle opposition se fait jour entre le groupe féminin constitué des « filles des banshees » – et donc porteur d’un nouveau facteur de différenciation induit par la prise en compte de la filiation généalogique – et l’unicité sans partage qui est celle de la « lune noire ». Si le profil symbolique de la « lune noire » tel qu’il se dessine dans le corpus thiéfainien ne présente pas de modification notable dans la version qu’en propose la séquence citée – le seul recours à la dénomination traditionnelle suffisant au contraire pour que soient tenues pour acquises les caractéristiques habituellement attribuées à la figure tutélaire –, sa capacité mortifère reçoit ici un renfort de poids avec l’apparition des « banshees » qui possèdent en tant que représentantes de l’Autre Monde – le sidh gaélique qui forme la base de leur nom où il s’associe avec le rappel de la couleur blanche contenu dans l’adjectif ban – une affinité naturelle avec l’au-delà encore amplifiée par la dimension de mauvais présage traditionnellement attribuée à leur apparition. Leur fonction de messagères de la mort – comparable à cet égard à celle qui échoit aux gorgones ou aux walkyries dont le regard suffit à anéantir le héros qu’elles abordent – reste ici cantonnée au seul niveau connotatif dans la peinture de la soumission imposée au protagoniste, où l’éventualité de la disparition et/ou dissolution dans l’autre monde suggérée par le « m’entraînaient dans la brume » possède tout au plus une dangerosité diffuse par rapport à la plasticité directe du « me faisaient ramper » dépeignant l’hommage rendu à la « lune noire ». Ce n’est toutefois qu’avec l’entrée en scène de la figure centrale – introduite à la suite du distique cité par le seul biais du possessif féminin de la deuxième personne dans le vers « j’ai vu ta dépanneuse garée sur mon trottoir98 » avant d’être apostrophée en tant que « lady99 » à la fin de la strophe – que se produit une double modification de la constellation initiale réunissant le protagoniste et les incarnations de la féminité dominatrice sollicitées tour à tour au fil du processus discursif. La passivité du personnage masculin – telle qu’elle ressort des modalités initiales de formulation qui en font l’objet du processus d’asservissement y compris au plan grammatical – bascule en une adhésion aussi inattendue que véhémente à son sort dès le moment où il se retrouve face à face avec sa partenaire, qui est de fait la seule figure féminine du texte avec laquelle un rapport de possession ou tout au moins de proximité s’établit explicitement à travers l’emploi de l’adjectif possessif : si le rôle passif endossé par le « je » persiste dans les suppliques successives « nullifie-moi », « dévaste-moi », « engloutis-moi » mais aussi « roule en moi100 » adressées à la femme, il va désormais de pair avec la réitération appuyée d’une demande à la teneur constante – les variations lexicales restant toutes axées sur l’idée d’une annihilation définitive – dont le recours à l’impératif traduit l’urgence irrépressible, tandis que la mise en valeur de la forme pleine du pronom personnel exprime l’assumation totale de la revendication autodestructrice. Le second infléchissement du schéma primitif concerne la nature des attentes nourries par le partenaire masculin à l’égard de la figure féminine, dont la verbalisation donne lieu à une valorisation appuyée de l’accentuation dévoratrice, jusqu’ici restée inexploitée en comparaison avec les autres dimensions sollicitées dans le portrait du féminin prédateur. C’est précisément en tant qu’affamée visant à l’absorption totale de l’homme qui se soumet à elle que la « lady » – qui incarne une nouvelle variante de l’archétype féminin dénuée de tout lien apparent avec la sphère nocturne et mythique, tout en apparaissant comme l’aboutissement ultime de l’enchaînement conduisant des « banshees » à la « lune noire » – comblera provisoirement ce dernier avant que le dernier impératif – qui fait par ailleurs l’objet de répétitions multiples à la fin de la strophe – ne signale une aspiration à la réciprocité de la dynamique de dévoration qui remet alors indirectement en question le postulat de la domination féminine. Le même constat d’une ambivalence sans limite s’impose à la fin du texte à travers la mention « de cette chambre enfumée où brûle ma norma jean101 » : la substitution de « ma norma jean » à la « lady » peut aussi bien indiquer une rupture dans la continuité de l’identité de la partenaire féminine que se lire comme la marque d’une accession symbolique de cette dernière au niveau d’icône mythologique qui est celui de Marilyn Monroe, la seconde option invitant à regarder la scène comme la célébration de sa mort sur un lit devenant l’équivalent d’un bûcher funéraire. En prolongeant la symétrie qui se dessine à la fin de la strophe précédente, l’annihilation finale de la figure féminine constitue l’aboutissement logique de sa propre démarche d’absorption destructrice, tandis que la réunion finale des deux figures sous l’appellation de « deux cinglés sublimes102 » abolit toute amorce de hiérarchie entre les partenaires ou de dominance de l’un sur l’autre, que l’on s’en tienne à l’acception familière du participe renvoyant à la folie ou que l’on rétablisse son sens premier évocateur d’un rituel sado-masochiste. Il va par ailleurs de soi que le processus de transformation subi tant par la figure de la prédatrice que par la dynamique de dévoration-destruction incarnée par celle-ci supporte aisément une transposition au plan purement métaphorique, dans laquelle le désir de destruction devient l’expression de la tension sexuelle exacerbée qui anime avec la même intensité chacun des protagonistes, comme en témoigne l’attribution à la femme du verbe « brûler » en tant que désignation figurée de l’intensité de l’élan physico-affectif.
20Une autre représentante du modèle de la « lady » exploré à travers sa composante prédatrice est « lady black-out » dont la présence « là-bas, au coin de l’infirmerie » scelle symboliquement le destin de l’« idiot naufragé103 » dont la fin est évoquée dans « une ambulance pour elmo lewis ». La coloration médicale établie d’emblée par la mention de « l’infirmerie » – sans préjudice de la possibilité de réinterprétation érotico-sexuelle qui se dessine tout aussi immédiatement au niveau latent du discours, qui sollicite de façon récurrente la polysémie des « infirmières104 », des « bonnes sœurs105 » ou de la « nursery106 » – trouve une continuation à la fois plausible et déroutante dans le vers « & jongle avec nos veines meurtries107 » où l’esquisse du geste thérapeutique appelé par l’image des « veines meurtries » est démentie à l’avance par le recours au verbe « jongle » dont la présence dans le discours des chansons trahit régulièrement l’influence d’un élément de nature indéterminée, à la fois ludique, aléatoire et aussi éthiquement discutable : qu’il s’agisse du « gnome » « qui jonglait sous un revolver108 » dans « pulque, mescal y tequila » ou des « jongleurs sans loi109 » apparaissant « là-bas au loin » dans « la fin du roman », la posture du « jongleur » se présente comme révélatrice d’une menace indistincte empreinte d’un sadisme sous-jacent dont le comportement de « lady black-out » relève de façon manifeste, puisqu’elle semble jouer avec les malades – ou avec l’humanité en général ainsi que le laisse penser le possessif de la première personne du pluriel – comme le chat avec la souris. Joints à la connotation nocturne et mortifère véhiculée par l’appellation de « lady black-out » – qui suggère l’extinction de la conscience tout comme le black-out pratiqué en temps de guerre réclame celle des lumières –, le cynisme et la cruauté qui sous-tendent l’action de « jongler » font de la figure féminine un équivalent moderne de la « Parque de mort » telle qu’on l’a rencontrée plus haut sous les traits d’« oméga queen110 » invitant à l’ambivalence meurtrière d’« un tempo laid back ». Dans la mesure où il est aisé de démontrer – ainsi qu’on l’a déjà fait dans une précédente contribution111 – que le destin d’« elmo lewis112 » – alias Brian Jones des Rolling Stones – renouvelle celui d’Elpénor, le compagnon d’Ulysse qui trouve la mort en tombant du toit après les « bacchanales113 » célébrées chez Circé, « lady black-out » se révèle tout naturellement – et ce de façon d’autant plus convaincante que le possessif « nos » souligne que le sort d’« elmo lewis » est commun à tous – comme un substitut actualisé de la Parque, qui met fin à l’existence de la « silhouette embrumée114 » tout comme sa devancière l’a fait pour le personnage de L’Odyssée.
21Le texte de « scandale mélancolique » fait se confondre dans un seul et même élan mortifère la dominance affirmée de bout en bout de l’accentuation létale et l’attraction-séduction tout aussi funeste émanant des « prédatrices », que leur appartenance à l’univers de la mythologie antique place dans une proximité redoublée avec les forces destructrices. La séquence « ivres & gorgées de sang / les démones antiques / jouent avec nos enfants115 » – qui se poursuit de surcroît par la mention d’un « vieil écho sibyllin116 » renforçant encore la priorité de la référence gréco-latine – développe l’exemple d’une emprise sans remède s’exerçant par le double biais du déchaînement meurtrier des ivresses dionysiaques et d’une approche raffinée et délibérément ludique, lors de laquelle le verbe « jouent » emprunte le coloris pervers et/ou sadique propre à son parallèle « jongler ». Une facette quasi inédite du féminin prédateur se dévoile cependant avec la strophe finale « les reines immortelles / ont le silence austère / des mères qui nous rappellent / sous leur lingerie de pierre117 », dans laquelle l’ultimatum émanant des figures féminines se dévoile comme un appel à un regressio ad uterum où l’archétype maternel jungien décliné sous l’aspect sombre de la mère dévoratrice ressuscite le sens littéral du « sarcophage », dont Borges prend déjà soin de rappeler ironiquement qu’il « n’est pas le contraire d’un végétarien118 » malgré l’évidence apparente de l’interprétation suggérée par son étymologie le désignant comme « mangeur de chair ». Tandis que le protagoniste de « dans quel état Terre » fait coïncider dans le vers « j’aimerais encore renaître à ton ventre meurtri119 » son aspiration au retour dans la matrice avec l’émergence renouvelée d’un élan vital suscitable ad infinitum, le discours de « scandale mélancolique » apparaît exclusivement centré sur l’image de l’absorption définitive par la Terre Mère ou plus exactement par ses émanations royales, dont le travestissement en gisants médiévaux occulte en totalité au profit de la connotation destructrice le pouvoir régénérateur ou nourricier qui est l’apanage incontesté de l’archétype originel jusque dans l’ambivalence foncière de ce dernier.
22Le détournement biblique réalisé dans « sweet amanite phalloïde queen » – et dont a détaillé le fonctionnement à plusieurs reprises dans de précédentes contributions120 – fait revivre le couple royal Jézabel-Achab à travers la figure – renvoyant également par ailleurs au capitaine Achab de Moby Dick – du « cap’tain m’acchab / aux ordres d’une beauté nabab121 ». La domination sans partage de la figure féminine apparaît empreinte de la coloration sanglante héritée de son modèle biblique, telle que la traduit le raccourci opéré dans l’appellation « la reine aux désirs écarlates122 » dont la formulation fait directement dériver les effusions de sang des pulsions meurtrières nourries par la prédatrice. La posture du partenaire masculin se définissant sans équivoque comme « au service de sa majesté123 » rappelle directement la faiblesse d’Achab cédant aux injonctions de son épouse, tout en s’orientant délibérément vers la sphère des pratiques sado-masochistes telle que la fait surgir l’indication « avant la séance de torture124 ». Alors même que le résumé « amour amok and paradise125 » passe en revue à partir de la perspective du protagoniste les modalités d’expression d’un sentiment amoureux exacerbé jusqu’à la folie meurtrière – en un clin d’œil à la nouvelle Amok de Stefan Zweig – tout en ouvrant l’accès à une félicité céleste, la suite de la séquence brouille les contours de la constellation prédatrice / victime consentante et remet implicitement en question la hiérarchie du rapport de domination à travers l’indication « quand elle fumivore ses kingsize126 », dont le sens explicite renforce la composante dominatrice en suggérant l’image de la femme ne faisant qu’une bouchée des cigares surdimensionnés qu’elle affectionne – et par la même du substitut sexuel qu’ils représentent –, tandis que la visualisation directe de la scène de fellation place la figure royale dans la posture de soumission que dément pourtant constamment le discours du protagoniste. Il n’est pas jusqu’à la dénomination d’« amanite phalloïde » qui n’entretienne une confusion ou du moins une équivoque irréductible relative aux implications véhiculées par l’adjectif épithète – on se contentera ici de signaler en passant le point de départ du processus de réaccentuation biblique tel qu’il réside dans la possibilité de la transposition du substantif en « Ammanite » ou « Ammonite » – : si la sollicitation de la composante sexuelle ne fait ici aucun doute, elle peut aussi bien s’interpréter comme la revendication appuyée d’un attribut masculin et donc d’une virilité symbolique par la figure centrale assimilable en ce sens au type de la « virago » qu’être perçue comme un rappel de l’avidité sexuelle caractéristique de la prédatrice, et impliquant tour à tour aussi bien la domination de la dévoratrice sur son partenaire que l’allégeance faite à ce dernier dans le cadre du rapprochement physique, quelles que soient par ailleurs les modalités exactes de celui-ci. On notera enfin que la mention « des galaxies d’amour pirate127 » en tant que domaine où s’exerce la domination de la figure féminine parachève l’ambivalence de la situation dans la mesure où la notion d’un « amour pirate » opère un rééquilibrage symbolique en investissant le partenaire masculin d’un rôle non seulement éminemment actif, mais bel et bien équivalent à celui d’un prédateur, sans exclure toutefois la possibilité d’une application aux deux partenaires de la désignation provocatrice renvoyant à la posture de défi qui constitue le dénominateur commun au « rebelle éclaté » et à « sa majesté » dont la lecture étymologique des « galaxies » – récurrente dans le corpus des chansons128 et soulignant leur proximité avec la sphère de la féminité par le biais du renvoi au grec γάλα, « le lait » – vient cependant encore accroître in extremis le pouvoir d’attraction sans limite.
23Le rabaissement du protagoniste masculin au niveau d’un jouet de la femme prédatrice est le thème explicite de « modèle dégriffé » dont le protagoniste en vient à se demander « est-ce que tu te sers de moi ? / est-ce que je suis ton jouet ?129 » avant d’opposer à la tentatrice l’injonction sans appel, quoique retardée jusqu’à la toute fin du texte par l’indécision du « je prends le temps / le temps130 », d’un « maintenant va-t’en !131 » qui met un terme tant aux manœuvres de séduction qu’à la relation elle-même. Avant même le sursaut décisif final qui réduit à néant l’emprise de la prédatrice sur le « modèle dégriffé » – dont la polysémie renvoie aux « fauves aux crinières d’acier132 » que « sai[t] rendre si doux133 » la jeune femme – ainsi que le précise le vers mentionnant « la folie de tes 20 ans134 » – experte à leur limer les griffes –, l’adverbe « patiemment » qui précède régulièrement la formule temporisatrice constitue le cœur de la stratégie de neutralisation mise en œuvre avec succès par le partenaire masculin qui se sait par contre incapable d’un affrontement direct, mais parvient sur le long terme à déjouer les plans de la figure féminine. De même, le protagoniste de « garbo xw machine » affirmant « tel un disciple de jésus / je boirai le sang de ta plaie / & deviendrai le vampire nu / dans le coffre de tes jouets135 » détourne de façon multiple le postulat de son asservissement par la figure féminine, tel qu’il apparaît à première vue déductible de son désir de prendre place « dans le coffre de tes jouets136 ». Si l’accentuation blasphématoire – ou présentée comme telle – qui a fait à elle seule l’objet d’une précédente contribution137 n’a pas vocation à être de nouveau examinée ici, il importe de constater que c’est autour de la dimension vampirique que s’articule la dynamique implicite de renversement des polarités qui débouche en fin de compte sur une pleine revalorisation de la position du protagoniste, en contradiction totale avec la suprématie dévolue selon toute apparence à la femme en tant que propriétaire incontestée tant du « coffre » que des « jouets » qu’il contient. Alors que l’absorption du « sang de ta plaie » suffit à établir le statut de « vampire » revendiqué par le protagoniste, le contexte du jeu érotico-sexuel introduit tout d’abord – en manière de prélude symbolique à la réévalution sous-jacente des positions respectives – une inversion du « haut » et du « bas corporel » à travers l’évocation indirecte du cunnilingus en tant que seul mode envisageable de l’étreinte vampirique. C’est pourtant la réintégration du mode usuel de pénétration du corps de la femme par l’organe sexuel masculin qui prévaut lors de l’entrée en action du « vampire nu » trouvant sa place « dans le coffre de tes jouets » : l’exactitude de la transposition imagée du processus de l’union physique – dans laquelle le recours au « vampire nu » comme désignation cryptique du pénis apporte un écho transformé à la polysémie du vers « & je vois les vampires sortir de leurs cercueils138 » d’« alligators 427 » implique – dans la pure tradition freudienne de l’interprétation du motif de la Büchse ou box comme substitut du vagin et/ou de l’utérus – l’assimilation de la partenaire à un réceptacle propre à accueillir des contenus variés, et dont l’immobilité passive contraste alors avec la mobilité destructrice désormais assumée par le « vampire ».
24La redéfinition incessante des rôles sous l’angle de l’opposition entre domination et soumission, valorisation et réduction au niveau d’un objet est prise dans un entrelacement récurrent avec l’antagonisme du masculin et du féminin, avec pour conséquence le maintien d’une incertitude de principe qui s’observe tout au long du texte de « garbo xw machine ». Le démenti permanent infligé au discours de surface par l’efficacité redoutable de son contrepoint sous-jacent et multi-strates ne cesse de relativiser la portée de la déclaration initiale du protagoniste « & maintenant je viens m’annuler / devant ton lapis-lazuli139 » – qui renouvelle l’injonction « nullifie-moi140 » adressée à la femme dans « chambre 2023… & des poussières » – par laquelle la renonciation à l’aspiration première à un amour authentique et partagé obtenu « en transmutant le je en nous / dans une alchimie romantique141 » devient le point de départ de l’allégeance à la « machine » dont la « froideur féminine142 » alors est perçue comme le principal atout de séduction. Le nom même de « garbo xw machine » superpose au concept d’un dispositif mécanique – dont la gamme XW est présente dans des marques aussi variées que Casio (synthétiseur), Pioneer (enceintes), Pentax (appareil photographique) ou Thrustmaster (base de volant pour jeux vidéo de racing) – le nom de l’actrice suédoise aussi réputée pour sa beauté que pour sa froideur apparente, aboutissant ainsi à une créature « aux chromosomes hybrides143 » dont le caractère de « machine » l’emporte sur la dimension humaine et/ou féminine, les possibilités d’expansion de cette dernière étant précisément neutralisées à l’avance par la substitution de la « froideur » à une éventuelle qualité chaleureuse. L’abdication délibérée du partenaire masculin endossant explicitement le rôle de la proie consentante l’amène parallèlement à appeler de ses vœux un déchaînement de violence analogue à l’accès de férocité dionysiaque des « bacchanales144 » provoquant la mort de Penthée dans les Bacchantes d’Euripide : « je te laisserai me déchirer / m’arracher la chair & les os / me greffer d’infernales idées / dans le gouffre de mon cerveau145 ». La « machine » se transforme ici en déchiqueteuse acharnée à dépecer sa victime, tandis que le partenaire masculin inverse délibérément en formule d’acceptation la plainte de Job « la nuit me perce et m’arrache les os » (Job 30, 17). Il importe toutefois de signaler que l’identification de la réminiscence biblique déclenche au plan implicite une réévaluation du type de la femme-machine supposée rester radicalement étrangère au registre des affects, qu’elle réintègre ici par le seul biais de l’assimilation à son modèle archétypique : en endossant la personnalité aux connotations négatives qui caractérise dans le discours de Job la figure féminine de la nuit dont elle fait sien l’acharnement à anéantir sa victime, « garbo xw machine » va au-delà de la nature purement mécanique que laisse d’abord présager son nom pour renouer avec le potentiel d’anéantissement propre à la féminité prédatrice, dont elle assume alors pleinement le caractère délibéré et ciblé. La dynamique de réinterprétation induite par le jeu des correspondances intertextuelles entre de même en œuvre dans la seconde partie de la séquence dont la formulation rappelle directement le « gouffre de leur cœur » où les prétendants de Pénélope « roulent146 » dans L’Odyssée des pensées de meurtre. En créant une équivalence symbolique entre les aspirations « infernales » du protagoniste et les désirs de sa partenaire – la correspondance s’avéran pertinente jusque dans la redéfinition étymologique par laquelle l’adjectif désigne la zone du « bas corporel » –, le discours sous-jacent introduit une rupture avec la présentation initiale du partenaire masculin successivement adepte des « actions d’amour dévaluées » puis d’une annihilation radicale de sa personnalité telle que la résume la demande « prends mon pion dans ton circuit147 » adressée à la « machine » : la seule possibilité d’amener son vis-à-vis à la perdition « dans le gouffre de mon cerveau » confère au partenaire la même capacité de nuisance et/ou de destruction qu’il affirme rechercher chez la femme, tandis que la substitution du « cerveau » au « cœur » homérique – soit de la rationalité aux sentiments – va également dans le sens d’une neutralisation des affects telle qu’elle répond aux caractéristiques propres à la « machine ».
25Un autre exemple d’une manipulation opérée par les prédatrices sur le cerveau de leurs victimes – dont le sexe n’est toutefois pas précisé à l’inverse de la situation rencontrée dans « garbo xw machine » – est constitué par le distique de « en remontant le fleuve » évoquant le lieu « où les stryges en colère au sourire arrogant / manipulent les rostres de notre inconscient148 ». Du fait qu’elles réunissent les attributs des sorcières et des vampires, les créatures mythologiques que sont les « stryges » – dont l’appellation provient du grec στρίγξ menant au latin strix, strigis puis à l’italien strega – se rattachent à la version sanglante de la sorcière, que le discours poétique infléchit à nouveau vers une large gamme d’accentuations supplémentaires à travers la polysémie des « rostres » : la dimension cérébrale se voit sollicitée de façon privilégiée par l’acception anatomique du vocable désignant la partie du cerveau située entre le genou et le corps calleux, entrant ainsi en tension avec le primat accordé à l’inconscient au détriment de la dimension purement intellectuelle. La signification historique renvoyant à la tribune des « rostres » (Rostra) située sur le Forum et d’où les tribuns haranguaient le peuple romain fait des « rostres de notre inconscient » l’équivalent d’un forum intériorisé dans lequel l’irrationnel et/ou l’affectif l’emportent sur le jugement rationnel, se révélant par là même d’autant plus à même de succomber à la stratégie de prise de contrôle mise en œuvre par les « stryges ». Tout aussi fructueuse se révèle l’activation du sens premier latin du rostrum en tant que gueule ou museau d’animal, ainsi que le recours à la signification désignant l’éperon des navires ou de certains animaux marins – attribut qui se révèle en outre particulièrement apte à symboliser la sexualité masculine. Qu’il s’agisse des auditeurs massés autour de la tribune, des instincts relevant de l’animalité ou des pulsions sexuelles proprement dites, la totalité du spectre des exégèses déductibles de la mention des « rostres » suscite l’image d’une manipulation émanant des « stryges » et dotée elle-même d’une double aura associative, puisque le sens figuré – et de fait le plus spontanément identifiable – renvoyant à un influencement sous-jacent des différents types d’objets de l’emprise destructrice est complété par le sens littéral évocateur d’une « prise en main » susceptible de se charger d’une forte connotation érotico-sexuelle, dont le caractère tactile et plastique apparaît particulièrement dérangeant pour peu que soit menée à son terme la démarche de visualisation du processus – tout autant d’ailleurs que le spectacle symétrique de la greffe d’« infernales idées » dans le « cerveau » de son partenaire projetée par « garbo xw machine ». Notons que « les stryges en colère au sourire arrogant » tranchent par leur habitus placé sous le signe du débordement marqué des affects négatifs avec la « froideur féminine149 » de « garbo xw machine » telle qu’elle apparaît particulièrement appréciée par son partenaire, l’actualisation du schéma archétypique révélant toute son efficacité suggestive dans la mise en exergue des caractéristiques propres au modèle de la femme prédatrice. Le « sourire arrogant » se voit en outre conférer une nouvelle dimension de cruauté cynique à travers la mobilisation de la connotation anticipatrice propre au latin adrogans, qui écarte ainsi toute éventuelle velléité de résistance émanant des victimes des « stryges ».
26En dépit de la prédominance de la femme-machine telle qu’elle est proclamée d’entrée de jeu par son partenaire et malgré l’alternance a priori indéfinie entre son affirmation explicite et sa remise en question latente, c’est à une revalorisation tant unilatérale que définitive de la position du protagoniste qu’aboutit le processus discursif de « garbo xw machine », dans un brusque infléchissement d’autant plus inattendu qu’il fait directement suite au distique dont on vient d’explorer la polysémie et dans lequel la passivité déclarée du partenaire masculin appelant de ses vœux les atteintes à son intégrité corporelle causées par la figure féminine trouve tout au plus un contrepoids implicite dans les amorces de réaccentuation découlant principalement des offres de lecture étymologique ou de la mise en lumière des divers échos intertextuels. L’entrée en lice du protagoniste devenu acteur et même initiateur de la suite des événements entraîne a contrario une neutralisation de la figure féminine en tant que meneuse de jeu puisque le corps de cette dernière devient désormais le terrain où se déploie le potentiel d’incursion/exploration de son partenaire. Alors même que la structure grammaticale laisse augurer d’un statu quo dans l’évocation des rapports de domination/soumission dont le « je » a lui-même défini auparavant les règles, la subordonnée circonstancielle « tandis que mes doigts sous ta soie / chercheront la corde sensible150 » devient le vecteur principal de la transformation inopinée qui se révèle comme le pendant exact de l’entreprise de dépossession précédemment menée par la femme sur le corps de sa victime masculine, à ceci près que la brutalité ostensible de la description première – » je te laisserai me déchirer / m’arracher la chair & les os151 » – cède ici la place à une euphémisation métaphorique qui autorise toutefois une retraduction parallèle en termes nettement plus directs et relevant de la dimension physique de l’Éros – et non plus de sa seule composante affective comme le suggère en premier lieu la mention de la « corde sensible » – : la polysémie de la « soie » permet en effet d’adjoindre à son acception usuelle renvoyant à la lingerie féminine les ressources de la lecture animalière qui substitue au raffinement des sous-vêtements la corporalité directe de la pilosité du sanglier ou du porc, telle que la traduit l’expression « vêtu de soie » ou « habillé de soie » jadis employée comme désignation imagée du second de ces animaux. En tant qu’indicateur de la présence latente du porc, la redéfinition de la « soie » vient rejoindre l’invitation à « me déchirer » dans la mesure où celle-ci peut être identifiée comme le reflet de la séquence biblique relative au comportement destructeur des « pourceaux » qui « se retournent pour te déchirer » (Matth. 7, 06). Du fait que la femme apparaît doublement dotée de la notion d’avidité sexuelle inhérente à la symbolique du « cochon » – et dont l’introduction au plan latent du discours lui restitue subrepticement sa qualité d’affamée occultée en apparence par son rôle passif –, la vision du mouvement des doigts « sous ta soie » confère à la recherche de la « corde sensible » le caractère d’une pénétration digitale destinée à stimuler le point le plus réceptif de l’anatomie féminine, dont la dénomination figurée commande de surcroît le basculement vers la signification musicale de la « corde », telle qu’elle prévaut dans les deux derniers vers « celle qui remonte jusqu’à ta voix / en hurlant au cœur de ma cible152 ». Le complément apporté à la définition de la « corde sensible » offre une nouvelle illustration du processus de transformation permanente qui régit l’élaboration du discours multivoque, dans la mesure où la culmination finale voit à nouveau s’effacer aussi bien le « je » que le « tu » qui ne sont plus représentés que par leurs possessifs respectifs, tandis que la « corde sensible » présente par l’intermédiaire du pronom relatif relaie les deux partenaires en tant que seul porteur de la dynamique discursive. Tout en reflétant le renforcement de la composante acoustique qui accompagne l’émancipation symbolique de la « corde », la focalisation sur le hurlement unit les deux personnages dans une indifférenciation radicale qui ne permet plus de distinguer entre émetteur/trice et récepteur/trice du cri qui peut par ailleurs aussi bien traduire la jouissance que la souffrance, voire une indétermination de principe tout à fait appropriée au double visage de l’Éros. Bien que la « voix » et la « cible » soient désignées sans ambiguïté comme appartenant respectivement à la femme et à son partenaire – et confirment en ce sens la répartition des rôles plaçant l’homme en position d’initiative et la femme dans une posture essentiellement réactive –, le fait que le « en hurlant » se rapporte grammaticalement à la seule « corde sensible » prolonge la tendance déjà constatée à l’abolition du rapport de causalité entre le phénomène acoustico-musical et ses éventuelles sources humaines – quelle que soit l’appartenance sexuelle de celles-ci –, et ce alors que l’accession à une pleine autonomie des réactions expressives est elle-même sous-tendue par le mouvement ascendant qui « remonte » du bas corporel vers les organes supérieurs que sont la « voix » et le « cœur » – l’incertitude persistant toutefois jusqu’au bout quant aux contours qu’il convient de donner au « cœur de ma cible » tel que le conçoit le protagoniste.
27Le renvoi explicite à l’intention de « détruire » est au cœur de la conception du personnage de la « fille-fleur sauvage153 » rencontrée dans « amants destroy », dont le texte est défini par son auteur comme une « libre improvisation sur un thème de Marguerite Duras154 ». Si le refrain incantatoire « détruire, détruire / toujours dit-elle155 » scandé tout au long du texte ne laisse aucun doute sur les intentions qui l’animent tant dans son rapport au personnage masculin que sur un plan quasi métaphysique dont on se propose de détailler ici les implications diverses, il est impératif de remarquer au préalable que la seule dénomination de « fille-fleur » oblige à l’identifier dès le début comme l’exact opposé de l’objet sexuel – consentant, indifférent ou victime de la violence masculine – que laisse présager la description « bouche cramoisie jupe retroussée / scratchée sur la banquette arrière / d’un cabriolet roadmaster156 », qui apparaît axée sur l’évocation d’une féminité à la fois provocante et désarmée face aux assauts d’un partenaire manifestement dépourvu d’égards dans l’expression d’une sexualité d’autant plus impérieuse que le discours implicite en souligne l’animalité sans fard. Derrière le « cabriolet » se profilent à la fois le « cabri » – soit le jeune mâle plutôt que le chevreau nouveau-né – et la « cabriole », qui d’un côté renvoie à nouveau au basculement du corps de la femme, de l’autre rappelle le sens figuré de l’expression « faire la cabriole » comme équivalent imagé de « faire l’amour » – le halo associatif s’enrichissant au passage du souvenir du latin capriolus désignant un jeune chevreuil, ou de celui du terme vulgaire capritus utilisé au sens de « bouc » dans les textes médiévaux. Tout aussi éclairante apparaît la mention « roadmaster » qui désigne le « cabriolet » ou plus précisément son substitut humain comme « maître de la route », appellation qui prend tout son sens à partir du moment où la « route » est appréhendée dans sa dimension cryptique de désignation du corps de la femme et plus précisément de sa zone génitale, terrain d’exercice de la sexualité masculine et invitant à la pénétration à travers son étymologie renvoyant à la via rupta. La brutalité du participe « scratchée » – qui devient encore plus perceptible à travers le retour à l’original anglais to scratch, soit « griffer, érafler, égratigner », la forme passive du participe féminin indiquant bien que la figure féminine est l’objet et non le sujet du processus en question – complète l’image d’une domination exercée sur la femme à la fois convoitée pour son attractivité physique et vouée au seul assouvissement d’un désir masculin ignorant de tout frein dans la poursuite de ses buts.
28Face à un tel déferlement de « jouissance / violence / entre tes seins157 », l’impuissance de la figure féminine se dissipe cependant d’entrée de jeu dans la mesure où sa qualité de « fille-fleur » en fait un nouvel avatar des séductrices à l’attraction fatale qui conduisent les chevaliers du Graal à leur perte dans le Parsifal de Wagner, seul le héros éponyme se révélant capable de résister à leur appel. La « fille-fleur » relevant à la fois de l’humanité et du règne végétal se révèle par sa seule nature apte à déjouer les tentatives d’asservissement émanant de son partenaire, alors même qu’elle semble abdiquer toute velléité de résistance en adoptant une posture radicalement passive, et susceptible de conforter le protagoniste dans l’illusion de la réussite de son « travail de nuit158 ». La stratégie visant à « détruire » est ainsi immédiatement déductible des modalités de présentation de la figure féminine, dont l’identification en tant que « fille-fleur » contient en germe le constat final « elle détruira son teddy boy / cunnibilingue & lousy toy159 » : le personnage masculin apparaît ici réduit au statut de jouet sexuel ainsi que le suggèrent tant le terme « toy » que le « teddy » de l’expression « teddy boy » qui retrouve ici son rôle d’ours en peluche, alors que la validité persistante du sens premier des termes anglais donne à mesurer la distance qui sépare les dehors avantageux du séducteur mauvais garçon – dont l’appellation renvoie au mouvement des teddy boys issu de la contre-culture britannique des années 1950 et caractérisé par l’alliance de vêtements d’inspiration édouardienne et de l’enthousiasme pour le rock’n’roll – de l’apparence au choix « pouilleuse », « répugnante », « misérable » ou « pitoyable » telle qu’elle subsiste après la destruction et la démystification opérées par la « fille-fleur », qui renouvelle la constellation wagnérienne où la séductrice Kundry réduit à l’état de loque humaine atteinte d’un mal incurable le roi Amfortas désormais incapable de s’acquitter pleinement de sa fonction de gardien du Graal. La virtuosité sexuelle annoncée par l’adjectif « cunnibilingue » – qui caractérise les « s’crétaires cunnibilingues160 » de « méthode de dissection du pigeon à zone-la-ville » – devient en ce sens un simple attribut dispensateur de plaisir à la libre disposition de la figure féminine, sans plus être le garant du pouvoir du masculin sur un féminin placé d’entrée de jeu en position d’infériorité et/ou de dépendance. En dotant la figure féminine des épithètes « sauvage » et « acidulée », le texte complète l’évocation de la « fille-fleur » par sa caractérisation comme « beauté rebelle161 » à l’attractivité piquante, et comme telle susceptible d’affirmer son caractère indomptable aux dépens de son partenaire quand bien même elle commencerait par le masquer sous les dehors d’une séduction inoffensive, ainsi que le suggère au plan des processus linguistiques la dynamique d’atténuation qui commande le passage de « acide » à « acidulé ». L’apparente banalité de la scène d’ouverture – dont même le discours implicite reste ancré dans la réalité tangible des événements du quotidien à la seule et d’autant plus significative exception de la désignation « fille-fleur » – s’enrichit progressivement des signaux témoignant de l’irruption d’une dimension et/ou de figures relevant d’un autre univers, ainsi qu’en témoigne tout d’abord la séquence « transfert d’orage / émeute sexuelle / sous la rumeur des immortels162 » : le lien immédiat entre « orage » et manifestation des « immortels » – dont la présence est récurrente dans la mythologie tant classique que nordique à travers les attributs caractéristiques de Zeus/Jupiter, Odin ou Thor – constitue la première étape de la redéfinition de la scène sous l’aspect mythique voire métaphysique, dans laquelle la « rumeur » imputable aux « immortels » en tant que spectateurs de la rencontre terrestre renvoie aussi bien aux commentaires émis par ces derniers qu’au phénomène acoustique accompagnant l’orage, le tonnerre étant précisément la signature symbolique des dieux dont on vient de mentionner les noms.
29Le retour à la dimension réalistico-corporelle amené par le distique « quand ses lèvres arrachent un par un / les boutons de mon 501163 » coïncide avec la nette revalorisation de la figure féminine devenue désormais la partie active voire l’initiatrice du jeu sexuel, accédant par là même à un statut qui lui était refusé jusqu’ici par le discours de surface. La tendance à l’infléchissement d’un schéma initial basé sur la prépondérance physique du partenaire masculin – telle qu’elle a alors pour corollaire la passivité imposée à la femme ou adoptée provisoirement par celle-ci – est ici confirmée par les modalités de réaccentuation de la séquence de Mishima qui se profile derrière l’épisode de déshabillage érotique, et qui décrit à la fin de Une soif d’amour l’agression sexuelle commise par le jeune Saburo sur l’héroïne Etsuko : « Saburo la maintenait à terre de toute la force de sa poitrine et de ses bras et pendant ce temps, comme par jeu, il arrachait avec ses dents les boutons de son mantelet de satin noir.164 » Si la constellation de départ finit également par s’inverser dans la scène nocturne de Mishima où Etsuko se libère de l’étreinte de Saburo pour le tuer d’un coup de pioche, rejoignant in extremis le pôle de la féminité destructrice, la limite indécise entre « violence » et « jeu » qui caractérise le traitement du « viol buccal » dans les deux textes va de pair dans la réécriture thiéfainienne avec une redéfinition des rôles propre à anticiper la prise de pouvoir finale accomplie par la femme, alors même que le mode ultime de destruction du « teddy boy » choisi par la « fille-fleur » – et laissé dans l’imprécision accrue d’un accomplissement futur – n’implique pas nécessairement l’évidence brutale et meurtrière du coup fatal asséné par Etsuko. Dans un enchaînement direct avec le « détruire, détruire ! / toujours, dit-elle » qui résume les intentions de la figure féminine, la séquence « saboter l’œil universel / faire payer ses grotesques erreurs / au boss cannibale supérieur165 » replace la sphère du divin au centre du discours tout en précisant les enjeux d’une entreprise aux visées radicales, qui va largement au-delà de la seule mise hors-jeu du protagoniste pour s’attaquer à toute forme du pouvoir masculin apparaissant sous ses dehors d’instance suprême, tels que les illustrent les deux images de « l’œil universel » et du « boss cannibale supérieur ». Le rappel des évocations homériques de « Hélios qui voit tout » et devient à ce titre l’accusateur implacable de ceux qui enfreignent les lois tant humaines que divines – par exemple lorsqu’il dénonce à Héphaïstos les amours adultères d’Arès et d’Aphrodite au chant VIII de L’Odyssée – permet de reconnaître dans « l’œil universel » l’incarnation d’un pouvoir a priori illimité et invulnérable, auquel la « fille-fleur » lance son défi de la même façon que la figure wagnérienne a su déposséder de son aura charismatique le roi Amfortas gardien du Graal. La revendication complémentaire adressée « au boss cannibale supérieur » détourne la conception chrétienne de l’homme comme imago Dei et enfant de Dieu pour la contaminer avec le mythe antique de Kronos / Saturne dévorant ses enfants, le cannibalisme attribué aux incarnations masculines du divin se transmettant à leurs descendants humains ainsi que le souligne l’adjectif « supérieur », qui renvoie implicitement à l’existence d’une infinité de « cannibales inférieurs » reproduisant le comportement de leur modèle céleste : le « teddy boy » se dévoile ainsi comme le successeur et l’émule terrestre des instances suprêmes menacées par la prédatrice, le « détruire ! détruire / toujours ! dit-elle » s’appliquant de fait indifféremment tant au niveau humain et terrestre que sur le plan de la transcendance métaphysique, dont la « fille-fleur » se propose d’éliminer tous les éléments susceptibles de maintenir et/ou de favoriser la domination masculine.
30C’est à un programme d’inspiration similaire mais aux accentuations notablement modifiées que souscrit la figure féminine qui domine « les ombres du soir » en déclarant au protagoniste : « tu sais déjà, me murmure-t-elle / qu’il faut séduire pour mieux détruire166 ». Loin de tendre à l’éradication de la composante masculine ou tout au moins à une victoire du féminin sur le sexe opposé, la complicité de principe installée par le « tu sais déjà » désigne ici les deux partenaires comme des experts également versés dans la démarche de domination prônée par la prédatrice, le personnage masculin semblant même posséder une longueur d’avance sur son vis-à-vis ainsi que le souligne le renvoi préalable à son passé contenu dans les vers » j’ai vu pas mal de filles tomber / souvent là-bas du haut du pont167 » : du seul fait que la polysémie du verbe « tomber » – telle qu’elle est régulièrement sollicitée par le discours thiéfainien tant pour renvoyer aux actes du séducteur que pour dépeindre la réaction de ses cibles – légitime son appréhension au sens de « succomber » (à la séduction du « je »), les succès féminins du protagoniste joints aux conséquences négatives qui en résultent pour les « filles » concernées illustrent exactement la succession temporelle régissant les rapports du « séduire » et du « détruire », la première des deux actions étant indirectement rétrogradée au rang de condition nécessaire à l’aboutissement de la visée ultime. Les agissements de la figure féminine obéissent à la même logique tout en l’infléchissant dans le sens d’un arbitraire fondamentalement imprévisible – et reflétant comme tel la nature archétypico-démoniaque de la prédatrice –, qui contraste ainsi avec la possibilité de schématisation qui se dégage des modalités de comportement du protagoniste. Alors que la phase de séduction annoncée par le vers « elle, elle me fixe tendrement168 » anticipe l’énoncé de l’axiome programmatique qui n’intervient de fait que dans la strophe suivante – conférant à l’entreprise d’explication initiée à l’intention de son vis-à-vis le caractère d’une « éducation sentimentale » que l’initiatrice sait elle-même superflue –, une pause porteuse d’un apaisement aussi trompeur que temporaire s’intercale dans l’enchaînement menant à la « fin programmée169 » avec la séquence » & dans un geste & des bruits d’ailes / elle disparaît dans un sourire170 » qui offre à la femme la confirmation implicite de son identité supraterrestre, située à la confluence entre le mode usuel d’évanouissement des dieux et déesses homériques empruntant l’apparence d’un oiseau – ainsi que le fait notamment Athéna pour s’adresser à Ulysse – et la trace flottante du sourire laissée dans les airs par le chat du Cheshire de Lewis Carroll. D’autant plus marquée apparaît alors la brutalité du retour destructeur que l’on sait pourtant inéluctable, et dont la formulation « puis elle revient & me poursuit171 » fait endosser au personnage masculin le rôle de victime vouée à sa perte qui lui est resté étranger jusqu’ici, la figure féminine semblant alors venger par ses actes les « filles » précédemment évoquées en dépit du fait que le complément d’information « & faire semblant de se noyer / en chevauchant leurs illusions172 » ramène à une simple reproduction parodique du suicide d’Ophélie la chute spectaculaire « du haut du pont » dont le protagoniste a été à plusieurs reprises tant le spectateur que la cause. Une ambiguïté analogue s’attache dans « psychopompes, métempsychose & sportswear » au comportement du protagoniste, qui assume expressément le statut de victime – la fonction assignée à sa ou ses partenaires du sexe opposé demeurant ici non précisée – pour mieux en souligner le caractère purement fictionnel : le détournement implicite opéré dans le vers « mais le dieu manque à cet hôtel / où je dois jouer les victimes173 » transforme l’imitatio Christi évoquée dans le substrat nervalien « le dieu manque à l’autel où je suis la victime174 » en une entreprise délibérément ludique renforcée par le jeu de la permutation homophonique, qui rappelle en sous-main la dimension éminemment corporelle des hiérogamies primitives telle qu’elle peut effectivement générer la confusion entre « autel » relevant du sacré et « hôtel » abritant une activité essentiellement récréative. Alors que le début de la séquence laisse supposer la prééminence d’un féminin prédateur réduisant le masculin à une passivité obligée voire susceptible d’annihiler celui-ci – abstraction faite de la redéfinition sur un mode inoffensif induite par le verbe « jouer » –, l’indication complémentaire précisant que le rituel s’effectue « avec des hosties aux enzymes175 » oblige à un repositionnement multiple dont la principale conséquence est la relativisation de la supposée domination féminine – voire l’inversion du rapport de forces suggéré en premier lieu. Bien qu’on laisse ici de côté la dimension de détournement blasphématoire inhérente à la sollicitation des « hosties »176 – laquelle présuppose de son côté la perception de l’« hôtel » comme « autel » et en ce sens le retour à l’original nervalien –, le vocable en tant que tel jette à un double titre une lumière révélatrice sur la scène du rapprochement sexuel, et par là même sur le rôle dévolu à la femme ou aux femmes dans le cadre de celui-ci. Dans la mesure où la parfaite équivalence sémantique entre « hostie » et « victime » embarrasse déjà les auteurs latins réduits à établir des distinctions aussi subtiles que peu convaincantes – qu’il s’agisse du rappel étymologique « victima quae dextra cecidit victrice vocatur / hostibus a domitis hostia nomen habet.177 » proposé par Ovide dans les Fastes ou de son équivalent « hostiae dicuntur sacrificia quae ab his fiunt qui in hostem pergunt, victimae vero sacrificia qui post victoriam fiunt.178 » élaboré par Servius dans son commentaire sur L’Énéide, dont la remarque finale « sed haec licenter confundit auctoritas. » réduit immédiatement la validité à néant –, le personnage masculin contraint de « jouer les victimes » et les « hosties aux enzymes » qui lui donnent la réplique sont en fait placés sur un pied d’égalité de statut qui dénie a posteriori à la femme la possibilité de s’affirmer à elle seule comme dévoratrice, puisqu’elle est tout autant destinée à être consommée par son partenaire que ce dernier a vocation à périr de son fait. L’offre de lecture se diversifie encore – amenant une nouvelle réévaluation de la constellation érotico-sexuelle et notamment de la position qui échoit à la femme – avec la prise en compte de la remarque préliminaire « en contractant des salmonelles179 » où l’idée première de l’intoxication alimentaire contractée par le protagoniste – et le renforçant ainsi dans son rôle de victime désignée – est développée avec une logique sans faille au plan du discours explicite, puisque la cause en réside dans la contrefaçon des « hosties » dont le caractère azyme a disparu du fait du recours à un levain illicite, tel qu’il apparaît à travers le sens étymologique des « enzymes ». Mais c’est l’exégèse alternative basée sur l’image de la contraction d’un muscle – auquel le sens d’origine des salmonella en tant que diminutif du latin salmo confère la forme et la mobilité caractéristiques de l’organe sexuel masculin – qui génère la réinterprétation sexuelle du processus, qui non contente de neutraliser la lecture médicale débouche sur une double possibilité d’interprétation du « levain » contenu dans les « hosties aux enzymes », qui renvoie selon l’optique privilégiée par le lecteur soit à une poussée et/ou un gain en longueur évocateurs d’une érection soit au gonflement symptomatique de la grossesse, le dénominateur commun aux deux exégèses résidant dans une nouvelle invalidation du statut de prédatrice ainsi que dans l’apparition compensatrice d’une réciprocité qui s’impose non seulement pour ce qui regarde la permutabilité de principe du statut de victime, mais aussi en ce qui concerne les manifestations corporelles imputables à l’action de l’élément déclencheur et/ou perturbateur représenté par le « levain ». On remarquera que des « hosties »-» victimes » – soit féminines et comme telles dénuées d’équivalent masculin, soit indifféremment masculines et féminines selon l’angle de lecture retenu pour le discours à la première personne qui est celui de la chanson – sont également décelables au plan latent dans l’incipit de « nuits blanches », dont la formulation « parfois dans les lueurs des nuits blanches & hostiles180 » incite – entre autres possibilités exégétiques qui n’ont pas lieu d’être discutées ici – à regarder les « nuits blanches » sous l’angle du corps-à-corps sexuel, la dérivation étymologique retracée plus haut autorisant là aussi le glissement ou plutôt le va-et-vient sémantique entre lutte physique entre adversaires de sexe opposé et mise à mort symbolique de la partie vaincue.
31La dynamique d’annihilation réciproque qui se met en place dans les vers de « psychopompes, métempsychose & sportswear » connaît nombre de parallèles dans le discours multivoque, parmi lesquels il apparaît souhaitable d’approfondir les déclinaisons du motif du « cannibale » ou de son quasi-synonyme de l’« anthropophage ». On commencera par constater que la qualification de « cannibale » peut être présentée comme l’apanage du seul sexe féminin, ainsi que le postule « l’idiot qu’on a toujours été » où les vers « mais loin des muses obscènes au sourire cannibale / des érinyes toxiques dont on a fait sécher / le venin qui sert d’encre aux tampons pour leur bal181 » s’inscrivent dans le prolongement de l’évocation des « prédatrices » sur laquelle se sont ouvertes les présentes réflexions. Alors que le large spectre sémantique du latin obscenus permet ici de substituer à l’acception usuelle de l’adjectif telle qu’elle a seule perduré en français le sens originel « de mauvais augure », « funeste » ou « fatal » qui éclaire d’un jour suggestif le « sourire cannibale », le maintien de la lecture traditionnelle de l’épithète avec sa forte connotation sexuelle évocatrice des parties cachées du corps dote le « sourire cannibale » d’une possibilité herméneutique fructueuse en l’assimilant à une déclinaison du motif aussi freudien qu’archétypique de la vagina dentata dont on remarque la présence régulière dans le discours multivoque à travers les divers renvois au motif des « dentelles », qui récupèrent ainsi leur nature première de « petites dents » telle qu’elle découle de leur étymologie. C’est le cas dans « les mouches bleues » où la séquence « je veux mourir estrangulé / sous tes nylons & tes dentelles182 » légitime pleinement la version « castratrice » de la mort in actu appelée de ses vœux par le protagoniste, ainsi que dans « lubies sentimentales » dont la conclusion « quand elle pleure dans l’intimité / souriante de ses dentelles183 » invite à une lecture alternative dans laquelle la réaccentuation anatomique des « dentelles » jointe à leur basculement vers le « bas corporel » s’accompagne de la redéfinition sexuelle tant du verbe « pleurer » que du participe épithète, dont l’association avec les « dentelles » crée un pendant exact du « sourire cannibale » ou plus exactement de sa transposition à l’étage inférieur des processus corporels – restituant à « l’intimité » sa signification concrète évocatrice des « parties intimes ». La sollicitation directe de la connotation dévoratrice opérée dans « l’idiot qu’on a toujours été » se pare en outre de la coloration antique apportée par l’attribution du « sourire cannibale » à des « muses obscènes » comme surgies de l’univers du Satiricon, et dont est également empreinte la suite de la séquence avec l’entrée en scène des « érinyes toxiques » définies dans la tradition tragique comme figures vengeresses assoiffées de sang : tandis que l’appréhension de l’épithète « toxiques » balance entre la lecture littérale issue d’un diagnostic psychologique – les « érinyes » partageant à ce titre les traits pathologiques inhérents à la personnalité de la « vamp orchidoclaste » elle-même héritière de la tradition « vaudou » – et la redéfinition étymologique signalant leur capacité à larder leurs victimes de flèches meurtrières semblables à celles que lance Apollon τοξικός (« l’Archer »), l’attribut obligé des « serpents qui sifflent sur vos têtes » et terrifient l’objet de leur persécution est selon toute apparence doublement neutralisé par sa réduction au seul « venin » dépouillé de surcroît de sa nocivité immédiate, même si son « recyclage » actualisé sous forme de tampon d’entrée en discothèque n’a pas forcément d’action inhibante sur la virulence atavique qui continue à se déployer dans le cadre prétendument policé du « bal », tel qu’il vient relayer le rituel d’encerclement dansé chez Eschyle par les figures destructrices. Le cannibalisme féminin – même saisi sur le mode d’une édulcoration métaphorique – s’affirme ici comme un trait dominant des prédatrices affamées tant de chair que de sang et exerçant leur vindicte aussi bien sur les représentants du sexe masculin en général que plus spécifiquement sur les figures et représentations masculines perçues comme exposants – et bien sûr adeptes – d’un cannibalisme reconnu et dénoncé comme principe annihilateur. Les autres déclinaisons du motif rencontrées dans le corpus des chansons sont toutefois porteuses de remarquables possibilités de différenciation tant au regard de la teneur explicite et symbolique du vocable « cannibale » que de la spécification du cannibalisme en tant que comportement dicté ou non par l’appartenance sexuelle, la variété des options exposées faisant manifestement obstacle à toute fixation à visée définitive.
32L’ancrage historique immédiatement identifiable de la séquence de « je suis partout » affirmant l’omniprésence tant du protagoniste que de l’Éros – ainsi que la proclame la formule finale « Eros über alles184 » qui donne également son titre à l’album – « dans la fille tondue qu’on trimballe / à poil devant les cannibales185 » suggère une appréhension figurée des « cannibales » assimilés à des voyeurs malsains se repaissant des souffrances infligées à la victime féminine de l’épuration de 1944. La même distance avec la lecture littérale du vocable semble d’ailleurs indiquée jusque dans la possibilité de réinterprétation déductible du discours implicite, telle qu’elle se met en place à partir de la perception modifiée du participe « tondue » lu au sens populaire et argotique de « grugée » ou « trompée » : la « fille tondue » prend alors les traits d’une danseuse de night-club – le verbe « trimballer » recouvrant son sens historique de « baller » soit « danser » – contrainte d’évoluer nue sous les yeux de clients dont l’appellation « cannibales » dévoile alors l’avidité implacable – telle qu’elle peut conduire à une dévoration réelle ou symbolique du corps féminin accomplie par la morsure, le baiser ou le cunnilingus – ou le regard qui « dévore des yeux » l’objet de sa contemplation. Même si rien n’exclut ici la possibilité de voir également dans les « cannibales » – qu’ils soient pris au sens propre ou figuré, que la scène soit localisée à l’époque de la Libération ou bien dans l’intemporalité de n’importe quel lieu de plaisirs – des personnages féminins venus se joindre aux voyeurs masculins pour partager le même plaisir trouble, ce type de comportement ne constitue pas néanmoins un facteur de rapprochement entre ceux et celles qui le pratiquent, l’objet des sévices dont ils sont à la fois spectateurs et complices leur restant définitivement étranger et extérieur. La « rhapsodie cannibale186 » à laquelle invite le texte de « pogo sur la deadline » relève elle aussi de ces expressions éruptives issues de « l’âme d’un animal187 », dont l’action prédatrice en tant que « mickey des lupanars188 » apparaît dépourvue d’un symétrique féminin témoignant d’une même appétence pour le « mal ».
33Il en va tout autrement de l’adhésion partagée à la nature cannibalesque telle que la proclament les deux protagonistes de « lorelei sebasto cha » à travers l’affirmation émise par le personnage masculin « le blues a dégrafé nos cœurs de cannibales189 ». Transcendant les points de départ respectifs « mon blues a déjanté sur ton corps animal190 » et « ton blues a dérapé sur mon corps de chacal191 » tels qu’ils sont recensés de la perspective du « je » masculin au début du texte, la réunion des deux figures définies par leur animalité prédatrice – la dimension destructrice de cette dernière restant dans un premier temps en retrait en ce qui concerne le personnage féminin – justifie d’autant plus le choix de la désignation de « cannibales » que celui-ci trouve une légitimation supplémentaire dans l’identification explicite de la séductrice telle que la réalise le refrain « lorelei, lorelei192 » en tant qu’avatar modernisé – et relevant du domaine des amours tarifées à travers un processus complexe de réappropriation-contamination dont on a détaillé ailleurs les modalités de fonctionnement193 – de la figure légendaire de la Lorelei rencontrée chez Eichendorff, Brentano et Heine – sans oublier la quasi-traduction du texte de Brentano réalisée par Apollinaire – tous trois réunis dans un entrelacement référentiel complexe qu’il est hors de question de détailler ici. Le vers « tu m’rappelles mes amants perdus dans la tempête194 », par lequel la figure féminine évoque à mots couverts le sort funeste réservé aux prédécesseurs du protagoniste, fait resurgir le souvenir des navires naufragés dont l’équipage fasciné par le chant de la Lorelei a oublié de maintenir le cap, la sirène au pouvoir de fascination aussi irrésistible que mortel se trouvant ainsi à égalité de capacité de nuisance avec le « chacal » incarné par son partenaire. Loin de signifier cependant une intensification des caractéristiques « toxiques195 » également propres à chacun des deux partenaires, la rencontre des « cœurs de cannibales » s’accomplit à travers une aspiration élévatrice traduite par le désir de « recoller du soleil sur nos ailes d’albatros196 » tel qu’il soustrait chacun des deux partenaires à sa fonction destructrice initiale, dans une rédemption tout aussi éminemment romantique que le thème du texte – et à laquelle vient à point nommé restituer sa consistance physique le souhait parallèle « de t’offrir le voyage pour les Galapagos197 » où l’aspiration aux lointains exotiques se voit réinterprétée tant sous l’angle du Kamasutra – et ce à travers le renvoi indirect à la position de la « tortue » – qu’à travers la redéfinition anatomique suggérée par la réunion des termes grecs γάλα (« lait ») et πάγος (« promontoire érigé ») incarnant respectivement les attributs sexuels féminins et masculins. Le cannibalisme s’élève de même au rang d’un véritable sacrement de l’Éros dans « sentiments numériques revisités » où les vers « quand l’ange anthropophage nous guide sur la colline / pour un nouveau festin de nos chairs androgynes198 » confèrent au rapprochement sexuel la dimension d’une noce mystique des corps dans laquelle la connotation cannibalesque n’est plus attachée aux deux acteurs humains, mais se déplace vers la figure tutélaire présidant à leur union et les incitant par son exemple à consommer celle-ci sur le mode même que désigne son appellation et qu’indique au plan sous-jacent l’équivalence symbolique entre la « colline » et le mont de Vénus, telle qu’elle apparaît à plusieurs reprises dans le corpus thiéfainien – ainsi dans « fièvre résurrectionnelle » avec le distique « & tu me fais danser là-haut sur ta colline / dans ton souffle éthéré de douceurs féminines199 ». La préférence donnée ici sur le terme « cannibale » au vocable grec « anthropophage » également adopté par le latin met directement en lumière – outre les aspects acoustiques comme l’amorce d’anaphore en « an » qui restent étrangers au champ des présentes réflexions – tant la dimension proprement physique de l’acte de consommation de la chair que les arrière-plans mythologico-religieux qu’il possède tant dans le christianisme que dans la tradition de l’Antiquité classique, tandis que l’ange – soit le « messager » au sens premier de son appellation – assume le rôle d’initiateur psychopompe aux mystères de l’Éros.
34À l’opposé d’une telle culmination, la « fin d’histoire d’amants déchirés200 » de « camélia : huile sur toile » offre avec les vers « visages figés fleur cannibale / au péage des transferts minés201 » une version exclusivement féminine du motif du « cannibale » décliné en lien direct avec la fleur éponyme, réveillant ainsi l’association sous-jacente de cette dernière avec le monde de la prostitution telle qu’elle s’opère par référence à la Dame aux Camélias et passe même dès le XIXe siècle dans le vocabulaire courant en russe pour désigner une femme entretenue. La transition vers l’évocation de la femme dévoratrice laisse cependant ouverte la question de l’identification de cette dernière, qui peut soit être appréhendée en tant qu’instance extérieure – à la manière du « boss cannibale supérieur202 » de « amants destroy » influençant le devenir humain sur le même mode funeste ou encore de « l’ange anthropophage203 » de « sentiments numériques revisités » exacerbant l’élan de l’Éros –, soit être perçue comme se confondant avec la figure féminine du couple qui se révèle alors investie d’un potentiel destructeur dirigé contre le partenaire masculin. Si le pluriel retenu pour les « visages » peut faire pencher la balance en faveur de la première des deux offres de lecture, l’élément décisif reste mutatis mutandis le cas de figure spécifique représenté par l’émergence d’un cannibalisme féminin et issu du monde naturel et végétal, dont la puissance annihilatrice ne le cède en rien à celle qui émane de l’instance masculine attaquée dans « amants destroy ». Illustrant le jeu virtuose des possibilités de permutation-substitution offertes par la dynamique de combinaison propre au discours multivoque – dans le prolongement des techniques d’écriture basées sur le « chiffre » du romantisme allemand telles que les pratiquent Heine et Eichendorff –, la « fleur cannibale » se dévoile comme une combinaison de la « fille-fleur » et du « boss cannibale supérieur » tous deux issus de « amants destroy » et dont elle potentialise en les réunissant les aspirations à « détruire », le versant complémentaire du processus de recomposition résidant dans l’élimination de la composante humaine présente au premier plan de l’appellation « fille-fleur204 ». Alors que sa nature hybride permet à la figure féminine de « amants destroy » de se rattacher malgré tout à la sphère de l’humain – autorisant aussi bien son défi au pouvoir suprême représenté par le « boss cannibale » que sa relation au personnage masculin caractérisée par l’enchaînement soumission-destruction –, les visages successifs du « camélia » conservent au fil de leurs métamorphoses remarquablement diverses leur altérité foncière éloignant toute tentation d’anthropomorphisme et davantage évocatrice d’une plante carnivore aussi séduisante que redoutable, semblable à cet égard à la Prima belladonna205 de J.G. Ballard apostrophée dans « sweet amanite phalloïde queen » – où elle apparaît susceptible de revêtir l’apparence tout aussi préoccupante d’une « bella primadonna206 » à la séduction démonstratrice et fatale.
35À côté de son appartenance à l’univers du cannibalisme telle qu’elle relève avant tout d’une osmose symbolique avec le partenaire masculin, la figure de la Lorelei incarne en premier lieu la déclinaison romantique de la figure archétypique de la sirène, dont la présence se fait sentir à de nombreux endroits du corpus des chansons. Si « les femmes-oiseaux perdues dans leurs sombres dimanches207 » font littéralement revivre dans « les fastes de la solitude » le mythe japonais de la traversée du Yomi (le monde funeste et souterrain des morts) par le dieu Izanagi où ce dernier cherche à échapper aux griffes des êtres monstrueux désignés comme « femmes-oiseaux », le même terme s’applique également à l’apparence des sirènes homériques dont le corps est décrit comme un mélange de femme et d’oiseau, la malignité et la soif de destruction se retrouvant chez les deux types de prédatrices mythiques alors que seules les sirènes sont dotées de la voix mélodieuse que possède également Lorelei – et qui les conduit logiquement à s’approprier les accents mélancoliques et suicidaires de la mélodie Sombre dimanche, écrite en 1933 par le pianiste et compositeur hongrois Rezsö Seress et temporairement interdite à Budapest pendant la Seconde Guerre Mondiale en raison de la vague de suicides imputée à son écoute. Le potentiel de séduction acoustico-musical des « sirènes » est ainsi sollicité à chacune de leurs apparitions dans le corpus des chansons, sans pour autant que soit mobilisée de façon systématique l’aura de prédatrice propre à la figure archétypique. La séquence onirico-surréaliste « dans ta bouche il y avait des sirènes / qui chuchotaient des mots qu’on avait oublié d’inventer208 » de « de l’amour, de l’art ou du cochon ? » met l’accent sur l’élément auditif tout en laissant indécise la frontière entre les « sirènes » et le « tu » féminin dont la bouche héberge celles-ci, tandis que le chuchotement des sirènes sert essentiellement de support à une révélation poético-mystique qui donne accès à une nouvelle dimension de l’expression et/ou de la création – loin donc de toute menace d’anéantissement qui s’inverse au contraire en une perspective libératrice. Le protagoniste de « rock joyeux » écrivant « pour les petites sirènes à la page / qui se branlent devant son image209 » est confronté – à distance et en imagination – à la version apparemment inoffensive du mythe de la sirène créée par Andersen, dans laquelle l’aspiration à l’amour voire au sacrifice oblitère en totalité les connotations destructrices traditionnellement attachées au motif. Les fans de l’artiste ainsi revisitées sous l’aspect de « petites sirènes » apparaissent alors cantonnées à une pratique de « féeries solitaires210 » qui s’exerce sans doute davantage à leur propre détriment qu’à celui de l’objet de leur adoration, un basculement vers l’activité dévoratrice des adoratrices d’Orphée restant cependant toujours envisageable à la marge des contaminations mythiques. Le cut-up célinien – essentiellement issu de Féerie pour une autre fois – qui compose intégralement le texte de « retour à célingrad » incorpore le rappel « on entend les sirènes au port211 », dont le matériau d’origine appelle tout d’abord une lecture littérale et biographique du terme pris au sens d’instrument destiné à donner l’alerte, avant que la suite de la séquence « & les hiboux du cimetière212 » n’invite à placer la réunion des deux vers sous le signe d’une invocation à l’adresse des puissances destructrices et nocturnes, dans le cadre de laquelle les « sirènes » recouvrent alors toute leur capacité de séduction mortifère. Une ambivalence analogue imprègne les deux dernières déclinaisons les plus développées du vocable basées sur la concurrence sous-jacente entre les deux acceptions concurrentes du terme, chaque offre de lecture ouvrant la voie à l’élaboration d’une exégèse au fonctionnement autonome et dotée de son propre contexte interprétatif. La séquence « symphonie suburbaine & sombres fulgurances / à l’heure où les sirènes traversent nos silences213 » rencontrée dans « le temps des tachyons » fait coexister et/ou alterner au gré des oscillations de la démarche d’appréhension deux approches herméneutiques parfaitement identifiables entraînant chacune une réévaluation tant du rôle des « sirènes » que de l’environnement qui les accueille. La première option – qui est peut-être la plus immédiatement perceptible – apparaît axée sur les notations descriptives renvoyant au paysage visuel et sonore de la réalité « suburbaine », les « sirènes » au fort impact signalético-symbolique étant perçues comme partie intégrante de celui-ci dont elles accentuent par leurs fonctions diverses – selon qu’elles annoncent l’arrivée des pompiers, de la police ou d’une ambulance – l’atmosphère de menace diffuse. Le distique peut cependant se lire de façon tout aussi légitime comme un aperçu élégiaco-érotique où la séduction des « sirènes » se déploie pleinement tout en respectant les modalités traditionnelles d’évocation de la figure archétypique, telles qu’elles se définissent par une faculté d’apparition-disparition aussi soudaine qu’inopinée – et par là même le cas échéant porteuse d’un danger indéfinissable –, ainsi que par la dominance de l’élément acoustique et musical à laquelle vient s’ajouter la sollicitation du sens cryptique des « silences » en tant que renvoi à l’activité sexuelle, tel qu’il est décelable de façon récurrente dans le corpus des chansons en écho tant aux conceptions qu’au vocabulaire du tantrisme. À l’inverse, « l’idiot qu’on a toujours été » donne avec le vers « on entend les murmures effrayants des sirènes214 » la priorité à l’évocation de la femme prédatrice dont l’attractivité rehausse le potentiel maléfique, de même que la réduction du chant à des « murmures » accroît la suggestivité irrésistible d’un appel qui est en fait la seule marque tangible de la présence féminine, les « sirènes » restant ici invisibles et appréhendées par le seul biais de l’audition – soit par l’attribut qui représente à la fois leur principale caractéristique et leur arme la plus redoutable. La lecture alternative basée sur la signification technique et quotidienne des « sirènes » est ici tout au plus perceptible en filigrane – et plus spécialement à rattacher alors au motif de « l’ambulance tiède qui m’arrache à l’horreur215 », dévoilant de façon indirecte le destin réservé à « l’idiot » et imputable lui aussi à l’action funeste des « prédatrices », qu’elles adoptent ou non l’apparence des « sirènes ».
36« les fastes de la solitude » accueillent également l’avatar médiéval de la sirène représenté par « mélusine aux longs cheveux défaits216 » que l’exégèse jungienne identifie avec l’archétype de la « femme-serpent » pour mieux en souligner l’ambivalence fondamentale et l’androgynie latente, telles qu’elles se communiquent à la figure de la chanson dont la localisation « dans la brume des marais217 » indique d’emblée – et de façon encore plus impérative dans la variante live « dans les brumes du marais » porteuse d’une possibilité de renvoi à l’ambiance historique du quartier parisien du Marais – l’appartenance à une zone frontière entre la terre et l’eau, et de ce fait propice aux confusions – d’ordre sexuel entre autres – susceptibles de surgir dans la « party » qu’elle « organise » à l’intention du protagoniste. L’attribut traditionnel des « longs cheveux défaits » oscille de même entre marqueur de séduction et rappel latent de la chevelure de serpents propre aux prédatrices d’origine chtonienne dont on a précédemment rencontré les représentantes essentielles que sont les « érinyes » ou la « gorgone », et qui se charge ainsi d’une connotation menaçante que vient immédiatement confirmer la suite de la séquence « & dessine sur ton membre une cartographie / des ténèbres où t’attendent quelques maillons maudits218 » : l’identité mouvante de « mélusine » la rapproche ici tant des versions nocturnes de la déesse lunaire dont Hécate est le principal prototype que des figures psychopompes dont le dieu androgyne Hermès est la principale incarnation, la proximité avec le monde de la mort étant doublement soulignée par la mention des « ténèbres » et l’inéluctabilité de l’enchaînement maléfique. La figure séductrice est aussi l’annonciatrice d’un engloutissement-anéantissement empruntant la voie de l’Éros pour conduire en fin de compte au sein d’un univers souterrain aux contours sinistres, et que seul vient conjurer le surmontement final des périls annoncé par la formule « puis traverses le désert jusqu’à la thébaïde219 », l’arrivée dans le lieu privilégié de la rencontre avec le divin venant parachever l’itinéraire initiatique dont le « désert » constitue l’étape critique. L’effacement de la figure prédatrice coïncide alors avec l’apparition de « la fée méridienne de tes éphémérides220 » identifiable en tant qu’« anti-Mélusine » et représentante d’un féminin non prédateur – sans toutefois que le passage d’un modèle archétypique à son opposé puisse être reporté avec exactitude sur le résultat de l’entreprise de « cartographie » amorcée par la figure destructrice. Notons ici que la figure inspirée de la Vouivre – tant la créature de légende que la version du mythe donnée par Marcel Aymé dans sa nouvelle de même intitulé – qui domine « les ombres du soir » présente les mêmes traits mélusiniens tels que les fixe l’incipit « elle dort [danse] au milieu des serpents / sous la tonnelle près des marais221 », qui la caractérise d’emblée comme relevant de l’archétype de la « femme-serpent » avant que le début de la dernière strophe ne reprenne le même motif, la scène décisive de la confrontation avec le protagoniste se déroulant également « au souffle brumeux des vipères222 » tandis que la dénégation « rien vu de tel depuis longtemps223 » relative à l’évocation des événements intervenus « souvent là-bas, du haut du pont224 » est précédée de la notation symbolique « elle caresse un aspic et dit :225 ».
37C’est également sous le signe de la femme-serpent que l’on peut placer les « alligators 427 » dont on a rappelé à plusieurs reprises226 l’origine augustinienne, telle que l’établit le passage de la Civitas Dei décrivant les alligatores227 – substantif formé à partir du verbe alligari, soit « enchaîner » – comme des anges malfaisants acharnés à la perte des humains. La présentation des » alligators » en tant qu’archétypes vénusiens et incarnations du féminin destructeur – telle qu’on l’a évoquée à plusieurs reprises dans de précédentes contributions détaillant les modalités de constitution de leur portrait cryptique228 – se clôt de façon révélatrice par la métamorphose de Vénus en Lilith, le déroulement discursif mis en place au niveau implicite développant de manière « rhapsodique229 » au fil des cinq strophes de la chanson le verdict énoncé par Henry Miller à la fin de Tropique du Capricorne : « Tu viens à moi déguisée en Vénus, mais tu es Lilith, et je le sais.230 » La présence latente de Lilith est perceptible dans le vers « le monde est aux fantômes aux hyènes et aux vautours231 », qui reflète lui-même la formule biblique « c’est là que le démon de la nuit se tapira pour y prendre son repos » (Isaïe 34, 14) consacrée à la destruction d’Édom, et que certaines traductions rendent sous la forme « c’est là que le démon Lilith prend un moment de repos » alors que d’autres remplacent le nom de Lilith par le vocable « fantôme » ou la formule composée « spectre de la nuit »232. (Remarquons en passant que les « alligators » féminisés par le biais du rappel augustinien sont susceptibles d’être rapprochés de la « mère crocodile » dépeinte par Lacan dont Thiéfaine est remarquablement familier du discours, à tel point qu’il fait siens les présupposés de celui-ci dans l’élaboration de la strate sexuelle de son discours multivoque233.) La même perspective d’un règne universel du féminin se dégage de « quand la banlieue descendra sur la ville » où le destin de l’humanité est résumé par le vers « mercenaires de lilith contre miliciens d’ève234 », à travers lequel les affrontements spectaculaires menés par les représentants du sexe masculin sur la scène du déroulement historique sont dévoilés comme le simple produit de surface de la confrontation qui oppose à l’arrière-plan – ou dans les profondeurs des phénomènes d’ordre archétypique – les deux modèles antagonistes du féminin dominateur, l’un venant renforcer l’ordre établi et les structures sociales qui en découlent tandis que l’autre se caractérise par une volonté incessante de détournement subversif.
Notes de bas de page numériques
1 H.F. Thiéfaine, « l’idiot qu’on a toujours été », in Géographie du vide, Paris, Sony/Columbia, 2021.
2 H.F. Thiéfaine, « Karaganda. Camp 99 », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony/Columbia, 2014.
3 H.F. Thiéfaine, « Karaganda. Camp 99 ».
4 H.F. Thiéfaine, « toboggan », in Stratégie de l’inespoir.
5 H.F. Thiéfaine, « l’idiot qu’on a toujours été ».
6 H.F. Thiéfaine, « joli mai mois de marie », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.
7 H.F. Thiéfaine, « joli mai mois de marie ».
8 H.F. Thiéfaine, « psychanalyse du singe », in De l’amour, de l’art ou du cochon ?, Paris, Sterne, 1980.
9 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (& des poussières…) », in Alambic / Sortie sud, Paris, Sterne, 1984.
10 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (& des poussières…) ».
11 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.
12 H.F. Thiéfaine, « ta vamp orchidoclaste », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony/Columbia, 2011.
13 H.F. Thiéfaine, « ta vamp orchidoclaste ».
14 H.F. Thiéfaine, « les dingues & les paumés », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.
15 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude », in Défloration 13.
16 H.F. Thiéfaine, « alligators 427 », in Autorisation de délirer, Paris, Sterne, 1979.
17 cf. Takeshi Matsumura, Dictionnaire du français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2014, p. 3030. Le détournement vestimentaire et anatomico-sexuel du motif est également présent dans « la maison borniol », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.
18 H.F. Thiéfaine, « ta vamp orchidoclaste ».
19 H.F. Thiéfaine, « la ruelle des morts », in Suppléments de mensonge.
20 H.F. Thiéfaine, « libido moriendi », in Scandale mélancolique.
21 H.F. Thiéfaine, « libido moriendi ».
22 Lucius Annaeus Seneca, Ad Lucilium Epistulae Morales, XXIV, 25.
23 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique », in Scandale mélancolique.
24 James Crumley, Le dernier baiser [The Last Good Kiss, 1978], traduit par Philippe Garnier, Paris, 10/18, 1986, coll. « Grands Détectives ».
25 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab », in Géographie du vide.
26 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab ».
27 H.F. Thiéfaine, « cabaret sainte lilith », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.
28 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ». cf. « Ainsi le jeune amant, seul, loin de ses délices, / S’assied sous un mélèze au bord des précipices », André Chénier, Ainsi le jeune amant [publication posthume, 1819] cité d’après l’édition en ligne https://www.poetica.fr/poeme-3207/andre-chenier-ainsi-le-jeune-amant/ (consulté le 21.07.2022).
29 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie ».
30 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab ».
31 H.F. Thiéfaine, « annihilation », in Séquelles [édition collector], Paris, Sony, 2009.
32 H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles », in Suppléments de mensonge.
33 H.F. Thiéfaine, « l’appel de la forêt », in Amicalement blues, Paris, RCA/Sony, 2007.
34 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé », in Suppléments de mensonge.
35 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur », in Soleil cherche futur.
36 H.F. Thiéfaine, « vers la folie », in Géographie du vide.
37 H.F. Thiéfaine, « vers la folie ».
38 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready mister bob! », in Amicalement blues.
39 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready mister bob! ».
40 H.F. Thiéfaine, « orphée nonante huit », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996.
41 H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis », in Défloration 13 ; « prière pour Ba’al Azabab ».
42 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready mister bob! ».
43 H.F. Thiéfaine, « comment j’ai usiné ma treizième défloration », CD-Rom, in Défloration 13.
44 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready mister bob! ».
45 H.F. Thiéfaine, « your terraplane is ready mister bob! ».
46 H.F. Thiéfaine, « le vieux bluesman & la bimbo », in Amicalement blues.
47 H.F. Thiéfaine, « le vieux bluesman & la bimbo ».
48 H.F. Thiéfaine, « le vieux bluesman & la bimbo ». Remarquons en passant le clin d’œil au Vieux Saltimbanque de Baudelaire qui débouche sur une généralisation allégorique – explicite à la différence des modalités d’expression du discours multivoque – faisant du « saltimbanque » l’incarnation du « vieux poète » ou du « vieil homme de lettres ». [Charles Baudelaire, Le Vieux Saltimbanque, in Petits poèmes en prose, Paris, Michel Lévy frères, 1859, VI, 39-41, cité d’après https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Vieux_Saltimbanque ].
49 H.F. Thiéfaine, « le vieux bluesman & la bimbo ».
50 H.F. Thiéfaine, « le vieux bluesman & la bimbo ».
51 H.F. Thiéfaine, « le vieux bluesman & la bimbo ».
52 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen », in Meteo für nada, Paris, Sterne, 1986.
53 H.F. Thiéfaine, « casino / sexe & tendritude », in Suppléments de mensonge.
54 H.F. Thiéfaine, « casino / sexe & tendritude ».
55 H.F. Thiéfaine, « casino / sexe & tendritude ».
56 H.F. Thiéfaine, « petit matin 4.10 heure d’été », in Suppléments de mensonge.
57 H.F. Thiéfaine, « petit matin 4.10 heure d’été ».
58 H.F. Thiéfaine, « casino / sexe & tendritude ».
59 H.F. Thiéfaine, « casino / sexe & tendritude ».
60 H.F. Thiéfaine, « casino / sexe & tendritude ».
61 H.F. Thiéfaine, « casino / sexe & tendritude ».
62 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.
63 H.F. Thiéfaine, « rendez-vous au dernier carrefour », in Amicalement blues.
64 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
65 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
66 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
67 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
68 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
69 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
70 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
71 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen »; « annihilation ».
72 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
73 H.F. Thiéfaine, « caméra-terminus », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.
74 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
75 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been », in Scandale mélancolique.
76 H.F. Thiéfaine, « libido moriendi ».
77 H.F. Thiéfaine, « libido moriendi ».
78 cf. notamment Françoise Salvan-Renucci, « “adieu gary cooper adieu che guevara” : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », LOXIAS 44, Romain Gary. La littérature au pluriel, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743 .
79 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been ».
80 H.F. Thiéfaine, « exil sur planète-fantôme », in Dernières balises (avant mutation) ; « syndrome albatros », in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988 ; « loin des temples en marbre de lune », in Scandale mélancolique.
81 Homère, L’Odyssée, traduction de Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924. Les vers XIX, 144-145 sont un exemple significatif où Pénélope utilise la formule pour évoquer par anticipation la mort de Laërte.
82 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
83 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.
84 H.F. Thiéfaine, « psychopompes, métempsychose & sportswear », in La tentation du bonheur.
85 H.F. Thiéfaine, « psychopompes, métempsychose & sportswear ».
86 H.F. Thiéfaine, « stratégie de l’inespoir », in Stratégie de l’inespoir.
87 H.F. Thiéfaine, « mojo – dépanneur tv (1948-2023) », in La tentation du bonheur.
88 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha », in Soleil cherche futur.
89 H.F. Thiéfaine, « angélus », in Stratégie de l’inespoir.
90 H.F. Thiéfaine, « les dingues & les paumés ».
91 H.F. Thiéfaine, « angélus ».
92 H.F. Thiéfaine, « groupie 89 turno 6 », in De l’amour, de l’art ou du cochon ?.
93 H.F. Thiéfaine, « groupie 89 turno 6 ».
94 H.F. Thiéfaine, « la fin du saint-empire romain germanique », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
95 H.F. Thiéfaine, « cabaret sainte lilith ».
96 H.F. Thiéfaine, « groupie 89 turbo 6 ».
97 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (& des poussières…) ».
98 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières…) ».
99 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières…) ».
100 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (& des poussières…) ».
101 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières…) ».
102 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (et des poussières…) ».
103 H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis », in Défloration 13.
104 H.F. Thiéfaine, « parano-safari en ego-trip-transit », in Défloration 13.
105 H.F. Thiéfaine, « l’amour est une névrose », in Suppléments de mensonge.
106 .H.F. Thiéfaine, « série de 7 rêves en crash position », in Fragments d’hébétude.
107 H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis ».
108 H.F. Thiéfaine, « pulque mescal y tequila », in Eros über alles.
109 H.F. Thiéfaine, « la fin du roman », in Géographie du vide.
110 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been ».
111 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “nations mornes & fangeuses, esclaves anachroniques” : anachronismes et téléscopages temporels dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », actes de la journée d’études Anachronismes créateurs, études réunies par Alain Montandon, Presses de l’Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2017.
112 H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis »
113 H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis » ; « prière pour Ba’al Azabab ».
114 H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis »
115 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique », in Scandale mélancolique.
116 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique ».
117 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique ».
118 Jorge Luis Borges, Chroniques publiées dans la revue « El Hogar », in Œuvres complètes, tome I, Paris, Gallimard, 2010, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 1229.
119 H.F. Thiéfaine, « dans quel état Terre », in Le bonheur de la tentation.
120 cf. Françoise Salvan-Renucci, « ne vous retournez pas la facture est salée » : la relecture des textes sacrés (Bible, Coran) dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 8, Angers, 28.02.2016, https://www.youtube.com/watch ?v =uiwLjFUbz4w ; « Enquête policière et poétique autour du discours poétique et musical des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 25, Patrimonio, 23.07.2019, https://www.youtube.com/watch ?v =TltLV0R3BO4&t =1s .
121 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
122 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
123 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
124 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
125 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
126 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
127 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
128 H.F. Thiéfaine, « soleil cherche futur » ; « femme de loth », in Meteo für nada ; « villes natales & frenchitude », in Chroniques bluesymentales ; « toboggan », in Stratégie de l’inespoir.
129 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé », in Suppléments de mensonge.
130 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
131 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
132 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
133 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
134 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
135 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine », in Suppléments de mensonge.
136 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine ».
137 Françoise Salvan-Renucci, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », Babel transgressée, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Iooss et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, 2017, collection « Thyrse », n° 10.
138 H.F. Thiéfaine, « alligators 427 ».
139 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine »,
140 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (& des poussières) ».
141 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine »,
142 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine »,
143 H.F. Thiéfaine, « droïde song », in Eros über alles.
144 H.F. Thiéfaine, « une ambulance pour elmo lewis » ; « prière pour Ba’al Azabab ».
145 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine »,
146 Homère, L’Odyssée, IV, 675-676.
147 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine ».
148 H.F. Thiéfaine, « en remontant le fleuve », in Stratégie de l’inespoir.
149 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine ».
150 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine ».
151 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine ».
152 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine ».
153 H.F. Thiéfaine, « amants destroy », in Eros über alles.
154 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
155 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
156 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
157 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
158 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
159 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
160 H.F. Thiéfaine, « méthode de dissection du pigeon à zone-la-ville », in Le bonheur de la tentation.
161 H.F. Thiéfaine, « lubies sentimentales », in Stratégie de l’inespoir.
162 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
163 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
164 Yukio Mishima, Une soif d’amour [Ai no Kawaki, 1950], traduit du japonais par Léo Lack, Paris, Gallimard, [1982] 1986, coll. « folio », p. 240.
165 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
166 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir », in Suppléments de mensonge.
167 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
168 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
169 H.F. Thiéfaine, « lobotomie sporting club », in Suppléments de mensonge.
170 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
171 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir »
172 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
173 H.F. Thiéfaine, « psychopompes, métempsychose & sportswear ».
174 Gérard de Nerval, Le Christ au Oliviers, in Les Chimères, 1856, cité d’après l’édition en ligne https://www.poetica.fr/poeme-153/gerard-de-nerval-christ-aux-oliviers/ (consulté le 21.07.2022)
175 H.F. Thiéfaine, « psychopompes, métempsychose & sportswear ».
176 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».
177 Publius Ovidius Naso, Fasti, I, 335.
178 Servius, Commentaire sur « L’Énéide » de Virgile, I, 334.
179 H.F. Thiéfaine, « psychopompes, métempsychose & sportswear ».
180 H.F. Thiéfaine, « nuits blanches », in Géographie du vide.
181 H.F. Thiéfaine, « l’idiot qu’on a toujours été ».
182 H.F. Thiéfaine, « les mouches bleues », in Fragments d’hébétude.
183 H.F. Thiéfaine, « lubies sentimentales ».
184 H.F. Thiéfaine, « je suis partout », in Eros über alles.
185 H.F. Thiéfaine, « je suis partout ».
186 H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline », in Chroniques bluesymentales.
187 H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline ».
188 H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline ».
189 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha ».
190 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha ».
191 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha ».
192 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha ».
193 cf. Françoise Salvan-Renucci, « dans une alchimie romantique » : l’empreinte du romantisme européen dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 14, Belfort, 30.06.2017, https://www.youtube.com/watch ?v =R0IGjb2LVZY ; « quelque part dans la brume un voyant solitaire » : figures mythiques et archétypiques dans le discours poétique et musical des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 30, Zoom 3, CTEL, 28.03.2022, https://www.youtube.com/watch ?v =GZdn7t0ApaU .
194 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha ».
195 H.F. Thiéfaine, « je suis partout ».
196 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha ».
197 H.F. Thiéfaine, « lorelei sebasto cha ».
198 H.F. Thiéfaine, « sentiments numériques revisités », in La tentation du bonheur.
199 H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle », in Suppléments de mensonge.
200 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile », in Défloration 13.
201 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
202 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
203 H.F. Thiéfaine, « sentiments numériques revisités ».
204 H.F. Thiéfaine, « amants destroy ».
205 J.G. Ballard, Prima belladonna [1956], in Vermilion Sands [1971], Paris, Le Livre de Poche, 1979.
206 En témoigne la permutation opérée par Thiéfaine lors de son concert du 01.03.2013 sur l’île de Saint-Martin, https://www.youtube.com/watch ?v =-NY_PQVupK4 .
207 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude », in Défloration 13.
208 H.F. Thiéfaine, « de l’amour, de l’art ou du cochon », in De l’amour, de l’art ou du cochon ?.
209 H.F. Thiéfaine, « rock joyeux », in Soleil cherche futur.
210 H.F. Thiéfaine, « rendez-vous au dernier carrefour ».
211 H.F. Thiéfaine, « retour à Célingrad », in Stratégie de l’inespoir.
212 H.F. Thiéfaine, « retour à Célingrad ».
213 H.F. Thiéfaine, « le temps des tachyons », in Grand Corps Malade, Il nous restera ça, Paris, Believe, 2015.
214 H.F. Thiéfaine, « l’idiot qu’on a toujours été ».
215 H.F. Thiéfaine, « infinitives voiles », in Défloration 13.
216 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
217 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
218 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
219 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
220 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
221 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
222 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
223 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
224 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
225 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
226 cf. notamment Françoise Salvan-Renucci, « “la peste a rendez-vous avec le carnaval” : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l’œuvre de Hubert Félix Thiéfaine », Babel aimée ou la choralité d’une performance à l’autre, du théâtre au carnaval, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Iooss et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, 2015, collection « Thyrse », n° 7.
227 Aurelius Augustinus, De Civitate Dei Libri XXIV, XII, 26.
228 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “nations mornes & fangeuses, esclaves anachroniques” : anachronismes et téléscopages temporels dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».
229 H.F. Thiéfaine, « Karaganda. Camp 99 ».
230 Henry Miller, Tropique du Capricorne [Tropic of Capricorn, 1938], trad. Jean-Claude Lefaure, Paris [1946], Le Livre de Poche, 1976, p. 409.
231 H.F. Thiéfaine, « alligators 427 ».
232 https://saintebible.com/isaiah/34-14.html (consulté le 21.07.2022).
233 cf. Françoise Salvan-Renucci, « “quand humpty dumpty jongle avec nos mots sans noms” : prolégomènes à l’analyse du discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », Loxias 61, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8996
234 H.F. Thiéfaine, « quand la banlieue descendra sur la ville », in Défloration 13.
Bibliographie
1. Textes de H.F. Thiéfaine (par ordre chronologique de parution)
Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Sterne, 1978.
Autorisation de délirer, Paris, Sterne, 1979.
De l’amour, de l’art ou du cochon ?, Paris, Sterne, 1980.
Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981.
Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982.
Alambic / Sortie sud, Paris, Sterne, 1984.
Meteo für nada, Paris, Sterne, 1986.
Eros über alles, Paris, Sterne, 1988.
Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.
Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993.
La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996.
Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.
Défloration 13, Paris, Sony, 2001. « comment j’ai usiné ma treizième défloration », CD-Rom, in Défloration 13.
Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.
Amicalement blues, Paris, RCA/Sony, 2007.
Séquelles [édition collector], Paris, Sony, 2009.
Suppléments de mensonge, Paris, Sony/Columbia, 2011.
Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony/Columbia, 2014.
« le temps des tachyons », in Grand Corps Malade, Il nous restera ça, Paris, Believe, 2015.
Géographie du vide, Paris, Sony/Columbia, 2021.
2. Autres ouvrages (par ordre chronologique)
https://saintebible.com (édition en ligne de la Bible recensant toutes les traductions).
Homère, L’Odyssée, texte grec et traduction française de Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924.
Ovide [Publius Ovidius Naso], Les Fastes [Fasti], tome 1 et 2, texte établi, traduit et commenté par Robert Schilling, Paris, Les Belles Lettres, 1992.
Sénèque [Lucius Annaeus Seneca], Lettres à Lucilius [Ad Lucilium Epistulae Morales], tomes 1 à 4, texte établi par François Préchac et traduit par Henri Noblot, Paris, Les Belles Lettres, 1962.
Augustin [Aurelius Augustinus], La Cité de Dieu, [De Civitate Dei Libri XXIV], in Œuvres complètes de Saint Augustin, évêque d’Hippone, traduites en français et annotées en vingt-huit volumes, tomes 23-24, Paris, Louis Vivès, 1873.
Servius, Commentaire sur « L’Énéide » de Virgile [Servii grammatici qui feruntur in Vergilii carmina commentarii], Hermann Hagen / Georgius Thilo (éd.), Leipzig, Teubner, 1884.
Chénier André, Œuvres complètes, édition de Gérard Walter, Paris, Gallimard, 1940, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
Baudelaire Charles, Œuvres complètes I, édition de Claude Pichois, Paris, Gallimard, 1975, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
Nerval Gérard de, Œuvres complètes III, sous la direction de Jean Guillaume et Claude Pichois, Paris, Gallimard, 1993, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
Miller Henry, Tropique du Capricorne [Tropic of Capricorn, 1938], trad. Jean-Claude Lefaure, Paris [1946], Le Livre de Poche, 1976.
Mishima Yukio, Une soif d’amour [Ai no Kawaki, 1950], traduit du japonais par Léo Lack, Paris, Gallimard, [1982] 1986, coll. « folio ».
Crumley James, Le dernier baiser [The Last Good Kiss, 1978], traduit par Philippe Garnier, Paris, 10/18, 1986, coll. « Grands Détectives ».
Borges Jorge Luis, Œuvres complètes I, édition de Jean-Pierre Bernès, Paris, Gallimard, 2010, coll. « Bibliothèque de la Pléiade ».
Matsumura Takeshi, Dictionnaire du français médiéval, Paris, Les Belles Lettres, 2014.
3. Articles et conférences scientifiques (par ordre chronologique)
Salvan-Renucci Françoise, « “adieu gary cooper adieu che guevara” : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », Loxias 44, Romain Gary. La littérature au pluriel, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743
Salvan-Renucci Françoise, « “la peste a rendez-vous avec le carnaval” : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique d’inversion et de dérision dans l’œuvre de Hubert Félix Thiéfaine », Babel aimée ou la choralité d’une performance à l’autre, du théâtre au carnaval, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Iooss et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, 2015, collection « Thyrse », n° 7.
Salvan-Renucci Françoise, « ne vous retournez pas la facture est salée » : la relecture des textes sacrés (Bible, Coran) dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 8, Angers, 28.02.2016, https://www.youtube.com/watch ?v =uiwLjFUbz4w
Salvan-Renucci Françoise, « “tel un disciple de Jésus / je boirai le sang de ta plaie” : érotisme et blasphème dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », Babel transgressée, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Iooss et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, 2017, collection « Thyrse », n° 10.
Salvan-Renucci Françoise, « “nations mornes & fangeuses, esclaves anachroniques” : anachronismes et téléscopages temporels dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », actes de la journée d’études Anachronismes créateurs, études réunies par Alain Montandon, Presses de l’Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2017.
Salvan-Renucci Françoise, « dans une alchimie romantique » : l’empreinte du romantisme européen dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 14, Belfort, 30.06.2017, https://www.youtube.com/watch ?v =R0IGjb2LVZY
Salvan-Renucci Françoise, « “quand humpty dumpty jongle avec nos mots sans noms” : prolégomènes à l’analyse du discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », Loxias 61, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8996, 15.06.2018
Salvan-Renucci Françoise, « Enquête policière et poétique autour du discours poétique et musical des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 25, Patrimonio, 23.07.2019, https://www.youtube.com/watch ?v =TltLV0R3BO4&t =1s
Salvan-Renucci Françoise, « quelque part dans la brume un voyant solitaire » : figures mythiques et archétypiques dans le discours poétique et musical des chansons de H.F. Thiéfaine, conférence n° 30, Zoom 3, CTEL, 28.03.2022, https://www.youtube.com/watch ?v =GZdn7t0ApaU
Pour citer cet article
Françoise Salvan-Renucci, « « ma sorcière a trempé / ses doigts dans le sang chaud » : « sirènes », « stryges » et « prédatrices » dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », paru dans Loxias, 77., mis en ligne le 13 août 2022, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/lodel/docannexe/fichier/1245/index.html?id=10050.
Auteurs
Françoise Salvan-Renucci (1963), ancienne élève de l’École Normale Supérieure, maître de conférences habilitée à diriger des recherches (1999), mène ses recherches en littérature comparée au sein du CTEL, Université Côte d’Azur. Elle consacre depuis 2012 l’ensemble de son activité à l’étude de l’œuvre de H.F. Thiéfaine, dans le cadre du projet global « inventaires dans [un] pandémonium » et « labyrinthe aux couleurs d’arc-en-ciel » : essai d’analyse du discours poétique et musical des chansons de H.F. Thiéfaine. La série de volumes réunissant les résultats de ses recherches se conclura par une édition critique. Les conférences organisées depuis 2015 sont désormais proposées via Zoom en partenariat avec le CTEL et réunies sur la chaîne https://www.youtube.com/c/FrançoiseSalvanRenucci. Les travaux publiés, l’actualité du projet et ses échos médias sont consultables sur le site https://www.fsalvanrenucci-projet-thiefaine.com et la page https://www.facebook.com/FrancoiseSalvanRenucci/.
Université Côte d’Azur, CTEL