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Lydie Laroque  : 

Haïti dans la littérature générale et de jeunesse contemporaine : étude comparative des romans L’autre face de la mer et Rêves amers

Résumé

Haïti apparaît comme une source d’inspiration commune à la littérature générale et aux œuvres pour enfants contemporaines. Aussi n’est-il pas étonnant de retrouver la même thématique dans le roman de l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert (1998), L’autre face de la mer, et dans Rêves amers (2005), récit pour la jeunesse de Maryse Condé, auteure d’origine guadeloupéenne : un fort ancrage historique, l’évocation d’une île exsangue qui ploie sous la misère et les injustices sociales, la dénonciation de la dictature en Haïtiet de ses relations avec la République Dominicaine ou le rapport ambivalent des insulaires à l’émigration sont autant de points communs aux deux œuvres. Toutefois, le traitement littéraire de ces données s’avère différent. L’autre face de la mer est un roman postmoderne polyphonique. à l’inverse, Maryse Condé évoque Haïti à travers l’odyssée et le point de vue d’une petite fille de treize ans, Rose-Aimée, à laquelle le jeune lecteur peut s’identifier. Mais surtout, Louis-Philippe Dalembert introduit une dimension mythique dans le texte par un rapprochement avec le Livre de Jonas, alors que Maryse Condé opte pour un récit tout à la fois réaliste et poétique qui permet à l’enfant de découvrir la civilisation et la culture de l’île. à travers deux romans qui développent des thèmes communs, le tragique s’exprime par des moyens divergents qui révèlent aussi un rapport différent au mythe et à la culture créole.

Abstract

Haiti is a source of inspiration common to literature in general as well as contemporary children’s books. It is therefore not surprising to find the same themes in the novel L’autre face de la mer (1998), by the Haitian writer Louis-Philippe Dalembert, and in Rêves amers (2005), a children’s story written by Maryse Condé, who comes from Guadeloupe : a strong anchoring in history, the evocation of an island bled white and subjected to severe poverty and social injustices, the denunciation of the Haitian dictatorship and its relations with the Dominican Republic, or the ambivalent relation of the island’s population towards emigration, are all common to these two works. However, the literary manner with which each author treats this information is different. L’autre face de la mer is a polyphonic postmodern novel. On the other hand, Maryse Condé depicts Haiti through the odyssey and the point of view of a thirteen-year-old girl, Rose Aimée, with whom a young reader can identify. Above all, Louis-Philippe Dalembert introduces a mythical dimension into the text, by establishing a link with The Book of Jonah, whereas Maryse Condé chooses both a realistic and a poetic story, which allows a child to discover the island’s civilization and culture. Through these two novels which develop common themes, the element of tragedy is expressed in divergent ways, which also reveal a different relation to the myth and creole culture.

Index

Mots-clés : émigration , Haïti, littérature générale et de jeunesse, mythe

Géographique : Haïti

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

Haïti n’est pas à considérer seulement comme le pays où « la Négritude se mit debout pour la première fois », selon le mot d’Aimé Césaire1. L’ex-colonie française de Saint-Domingue, qui a acquis son indépendance en 1804, apparaît aussi comme un remarquable foyer de création littéraire : depuis Anténor Firmin jusqu’à Louis-Philippe Dalembert, en passant par Jean-Price Mars, Jacques Roumain et Emile Ollivier, le dynamisme de cette littérature n’est plus à démontrer. Aujourd’hui, elle s’écrit dans les deux langues, le français et le créole, aussi bien dans l’île que dans la diaspora. Haïti apparaît même comme une source d’inspiration pour les œuvres contemporaines destinées aux enfants. Nicole Brissac considère d’ailleurs que la publication d’Haïti chérie, en 1987, par une auteure d’origine guadeloupéenne, Maryse Condé, constitue « un événement majeur2 » dans le développement de la littérature de jeunesse caribéenne.

La migration vers l’ailleurs, liée au caractère insulaire d’Haïti, a particulièrement inspiré certains écrivains contemporains, tels Louis-Philippe Dalembert, écrivain haïtien né en 1962 ou Maryse Condé, qui reprend en 2005 Haïti chérie sous le titre de Rêves amers. Le premier titre, tiré d’une chanson haïtienne, avait été imposé à l’auteure par les éditions Bayard en 1987. Mais, dès 1996, Maryse Condé confiait à Françoise Pfaff qu’Haïti chérie ne rendait pas suffisamment compte de « l’amertume » propre à ce pays3. L’œuvre de Dalembert explore plusieurs genres et plusieurs formes mais, comme le constate Yves Chemla, « au centre de l’écriture, il y a cette présence, têtue et comme un hommage rendu à ce qui n’aurait pas dû s’enliser dans les ténèbres, Haïti4 ». Après avoir interrogé dans Le crayon du Bon Dieu n’a pas de gomme le rapport de l’exil à la terre natale, l’écrivain remonte plus avant le temps de l’imaginaire avec L’autre face de la mer (1998), pour se focaliser cette fois sur les départs et donner une nouvelle impulsion au projet ouvert dans la nouvelle intitulée « Le songe d’une photo d’enfance » (1993). Maryse Condé, quant à elle, apparaît comme une ambassadrice des Caraïbes dans le monde des lettres, en raison d’une œuvre romanesque sur le sujet particulièrement abondante.

Mais le roman pour adultes qui retrace les diverses aspirations à la fuite générées par l’île envisagée comme un champ clos, et le récit pour enfants, évoquant l’odyssée d’une petite fille de treize ans, Rose-Aimée, acculée par la misère et obligée de fuir son pays pour gagner la Floride en bateau, traitent-ils Haïti de la même manière ? Certes, les deux ouvrages se caractérisent par un fort ancrage historique, l’évocation d’une île exsangue qui ploie sous la misère et les injustices sociales, la dénonciation de la dictature haïtienne ou le rapport ambivalent des insulaires à l’émigration. Toutefois, si le drame de l’exode clandestin confère bien une dimension tragique aux deux récits, elle est suscitée, dans L’autre face de la mer et Rêves amers, par des moyens divergents qui révèlent aussi un rapport différent au mythe et à la culture créole.

Deux romans qui possèdent une forte dimension politique et sociale

Le contexte socio-historique et la création littéraire ont toujours été intimement imbriqués dans la littérature haïtienne. Les auteurs ont le souci de reconstruire une mémoire collective et leurs œuvres sont fortement historicisées. Nicole Brissac précise ainsi que même « la littérature de jeunesse s’est affirmée, dès le début, comme passeur de mémoire5 ». Dans L’autre face de la mer, le temps du roman s’étale sur un siècle, à travers une saga familiale du souvenir. Quatre générations sont représentées dans les deux récits principaux, celui de Grannie et celui de Jonas, son petit-fils. La vieille femme retrace ainsi diverses périodes marquantes de l’histoire d’Haïti depuis le choc, en 1915, de l’occupation par l’armée américaine, constituée de blancs « arrivés avec de grosses voitures vert olive en acier, montées sur mille pattes comme des chenilles6 » et qui replonge « la première république noire du monde » dans la sujétion coloniale, jusqu’à l’évocation du régime des Duvalier qui pousse les membres de la famille à quitter peu à peu le pays : Grannie voit l’appel de « l’autre coté de la mer » trouver un écho chez ses neveux et nièces, la fille aînée de sa sœur Vénus, le fils de son frère Diogène7, et jusqu’à son propre enfant, le père de Jonas, qui ne songe qu’à l’exil. Si la première version de Rêves amers, Haïti chérie, date de 1987, Maryse Condé ancre aussi le temps fictionnel dans une période antérieure, marquée par la domination de Jean-Claude Duvalier, entre 1971 et 1986. Plusieurs notations éparpillées dans le texte font allusion au régime politique : lorsque Rose-Aimée se remémore les bruits qui courent sur la ville de Port-au-Prince, elle mentionne une première fois « le président à vie qui avait succédé à son père, lui-même président à vie ». Le passeur qui embarque Rose-Aimée sur le bateau à destination de la Floride a pour nom « Jean-Claude », « comme notre président », précise-t-il8. La note de bas de page fait alors référence à Jean-Claude Duvalier, qui s’est enfui du pays en 1986.

Rêves amers et L’autre face de la mer évoquent également les relations tumultueuses d’Haïti avec la République Dominicaine à travers le temps. Dans le roman de Louis-Philippe Dalembert, le personnage de Grannie raconte comment ses parents ont tenté leur chance dans la république voisine et ont subi la violence de l’opération Perejil : en octobre 1937, entre quinze mille et vingt mille Haïtiens et Dominicains d’origine haïtienne ont été tués sur ordre du dictateur Trujillo. Dans la seule région du Nord-Est, jusqu’à quinze mille individus se sont fait massacrer entre le 2 et le 8 octobre. Ces persécutions sont inscrites au cœur même du récit : « Dans la débandade, j’apercevais des corps en sang, déchiquetés9 ». On voit Grannie se réinstaller, meurtrie au plus profond d’elle-même et dans l’incapacité de surmonter les deuils ou le sentiment d’horreur provoqués par les massacres. Maryse Condé, pour sa part, fait allusion aux Haïtiens envoyés cultiver la canne à sucre en République Dominicaine sous le régime des Duvalier. Chaque année, plus de quinze mille Haïtiens s’expatriaient durant six mois de l’autre côté de la frontière pour la « zafra », un travail saisonnier rentable pour le gouvernement haïtien qui recevait en échange des dividendes de l’État dominicain et des compagnies sucrières nord-américaines. Le sort de ces pauvres hères n’était guère plus enviable que celui des esclaves qui trimaient sur les plantations des colons français et le propre frère de Rose-Aimée, Romain, disparut dans « l’enfer de la canne à sucre10» :

C’étaient les paysans de toute la plaine des Gonaïves qui venaient chercher du travail car la veille, le gouvernement avait publié son contrat : « Le gouvernement du sucre sollicite du gouvernement haïtien pour la récolte sucrière 1985-1986, par lettre adressée à l’ambassade d’Haïti à Santo Domingo, l’embauche de quinze mille ouvriers agricoles pour les besoins des usines sucrières de l’État dominicain11...».

Les deux romans en viennent même à convoquer un passé plus lointain, dans la mesure où, comme le constate Getser Faustin, « le peuple haïtien est né de l’horreur esclavagiste12 ». L’autre face de la mer retrace, tout au long du roman, par intermittence, la traversée du « cheptel13 » dans la cale négrière jusqu’à son arrivée sur la « terre non promise14 ». Maryse Condé rappelle, quant à elle, l’origine de la religion vaudou « amenée par les esclaves africains15». Elle fait aussi allusion à plusieurs esclaves insurgés qui ont permis à Haïti d’acquérir son indépendance en 1804 : « C’est là que l’esclave révolté devenu général, Dessalines, avait déchiré le drapeau français et jeté à la mer la partie blanche, créant ainsi le drapeau d’Haïti rouge et bleu16 ». Elle cite un peu plus loin Makandal et Boukman, deux autres esclaves célèbres qui s’illustrèrent respectivement dans la lutte contre les colons en 1758 et 179117. Mais cet ancrage historique, fortement présent dans les deux romans, permet aussi de développer leur dimension politique et sociale.

Le régime des Duvalier ne constitue pas une simple toile de fond pour la fiction. Louis-Philippe Dalembert comme Maryse Condé dénoncent la mégalomanie de ces personnalités politiques et la dictature qu’elles ont instaurée : Grannie, dans L’autre face de la mer, commente ainsi la vague de départs qui caractérise Haïti après la prise de pouvoir de François Duvalier :

La chose avait avancé masquée, avait enflé progressivement, puis pris une telle ampleur que la destinée de tout un chacun avait fini par dépendre du caprice d’un seul homme. Le cerbère se comparait volontiers à Dieu et laissait entendre que son règne sur la ville allait durer mille ans18.

Jonas s’insurge ensuite contre les sévices perpétrés par les miliciens de Jean-Claude Duvalier, ces « barbouzes du fils de l’homme19 » qui ont persécuté ses parents et les ont fait disparaître20, ou qui, arbitrairement, ont désigné des candidats à l’exil parce qu’ils les soupçonnaient d’inciter la population à la révolte21. Rose-Aimée s’effraie, quant à elle, de cette même milice, les « Tontons Macoutes », qui sévit à Port-au-Prince : « On disait qu’un corps de miliciens, les Tontons Macoutes, y faisaient la loi22 ».

L’autre face de la mer et Rêves amers disent aussi la misère qui a résulté de cette autocratie et qui se focalise avant tout sur la ville. En cela, ces deux romans s’inscrivent dans ce que Rafaël Lucas nomme « l’esthétique de la dégradation » dans la littérature haïtienne contemporaine :

Au contraire du roman indigéniste réaliste merveilleux qui privilégie l’espace rural, le roman fin-de-siècle haïtien s’installe de préférence en milieu urbain, en investissant Port-au-Prince. L’hypertrophie de la ville, son vécu de capitale d’État totalitaire, sa misère et son passé de ville dévorante ont contribué à ajouter une dimension mythique de plus à l’image de la métropole créole23.

Dans le roman de la fin du vingtième siècle, le statut de métropole et de ville du pouvoir induit un effet de concentration et d’amplification de toutes les tares de la société haïtienne. Port-au-Prince fonctionne ainsi comme un lieu d’exposition des échecs scandaleux du pays, caisse de résonance de tous les discours, de tous les bruits sociaux et de toutes les souffrances de la condition humaine. En tant que lieu d’aboutissement de migrations rurales dramatiques, elle polarise toutes les indignations des écrivains. Le spectacle de la misère y est plus spatialisé qu’ailleurs en raison de son étendue et de sa croissance anarchique. La ville aventureuse de l’époque d’avant Duvalier s’est transmuée en un espace d’avilissement, dont la caractéristique première est la saleté, symbole de la décomposition du tissu social, qui provoque la nausée. Au centre du roman de Louis-Philippe Dalembert, Jonas, le petit-fils de Grannie, ressent une « envie de vomir qui lui comprime la poitrine » devant le spectacle lamentable que lui offre « Port-aux-Crasses » : « La ville, si on peut nommer ainsi ce marasme où cohabitent des millions d’humains et trois fois plus de cochons. Tous se vautrant dans la merde24 ». Rose-Aimée évoque de la même manière l’écœurement produit par la saleté de la ville, mais elle l’associe à un constat sur les inégalités sociales criantes qui divisent la métropole : « Inégalités, contrastes : c’était cela, Port-au-Prince. élégantes maisons de bois à balcon de fer forgé, bidonvilles dont la puanteur écœurait25 ». C’est cette idée d’injustice sociale qui se retrouve dans le roman de Dalembert à travers l’énumération caractérisant la population de Port-au-Prince : « ces cortèges de mendiants, d’indifférents, de saletés, de crasse, de luxe arrogant, de lieux nauséabonds26». Mais surtout, les deux textes entretiennent le même rapport ambivalent à l’émigration.

L’émigration, un mal nécessaire ?

L’exil croise la poétique de la mer et du bateau, et s’inscrit plus largement dans la littérature caribéenne. Comme le constate Namrata Poddar : « Pour Glissant, le navire constitue à la fois le lieu d’un traumatisme originel pour le peuple antillais et le lieu d’un cri d’ordre poétique d’où peut surgir l’identité diasporique27 ». S’il est une thématique récurrente dans l’œuvre des écrivains haïtiens, c’est bien aussi celle de l’exode. Les romanciers interrogent l’aspect nomade de la mémoire collective haïtienne, migrante et en diaspora, souvent malgré elle. L’œuvre de Louis-Philippe Dalembert est ainsi fortement marquée par la thématique du vagabondage. Les personnages de Rêves amers ou de L’autre face de la mer se positionnent face à la migration inévitable qui atteint l’île. Grannie, tout d’abord, est certes fascinée par la mer et les bateaux, elle a longtemps « rêvé de traverser l’océan pour aller voir le point de jonction du ciel et de la terre, les racines même de l’horizon28 » ; mais l’amplification du mouvement de fuite qui saisit les habitants du pays la désole :

Grannie n’arrêtait pas de ronchonner en voyant le quartier se dévider comme une pelote de fil. Sa douleur était encore plus grande d’apprendre que des gens de notre connaissance faisaient partie des épaves. Elle marmonnait en une litanie sans fin : Pourquoi ?, comme dépassée par les événements. Pourquoi personne ne leur dit qu’ils ne vont rien trouver là-bas, pas même l’écho de leurs rêves ? Alors, elle devenait plus triste que le couvercle de la tombe dont elle se rapprochait de jour en jour29.

Elle finira par mourir étouffée en regardant à la télévision le spectacle de cet exode30. Jonas, quant à lui, témoigne tout d’abord d’une volonté quasi viscérale d’ancrage dans la société haïtienne et dans le territoire. Alors que son amie Maïté est partie de l’autre côté de la mer, le jeune homme lui envoie une lettre pour lui expliquer que son avenir doit rester « sur ce bout de terre aride d’avoir trop pleuré31 ». Après la mort de Grannie, Jonas choisit néanmoins d’émigrer32.

Rose-Aimée connaît les mêmes réticences face à l’émigration car elle reste profondément attachée à Haïti :

Son pays était un des plus beaux du monde. Les touristes arrivaient des lieux les plus éloignés pour se baigner dans ses criques, se dorer sous les baisers de son soleil et goûter à sa cuisine, et elle, elle devait le quitter33 !

Mais l’autre face de la mer est en même temps porteuse d’un rêve d’émancipation pour Rose-Aimée, qui imagine déjà le mandat qu’elle pourra envoyer à ses parents lorsqu’elle sera pourvue d’un travail stable en Floride34, comme pour ces Haïtiens qui, dans le roman de Louis-Philippe Dalembert, se ruent sur des barques de fortune afin de gagner l’Amérique. Cette dimension euphorique est d’ailleurs rendue par l’attraction que la mer exerce sur la petite fille :

Elle n’avait jamais voyagé sur la mer et malgré elle, malgré l’angoisse de l’instant, cette grande présence odorante, le dessin lumineux des étoiles au-dessus de sa tête et le concert de voix du vent et des vagues l’enchantaient35.

Pourtant, la mer est finalement un agent de mort : dans une vison hallucinée, Jonas et Grannie assistent impuissants à la migration générale qui se solde par une « échauffourée apocalyptique » et le naufrage des clandestins :

Les gens périssaient par dizaines de milliers : des bateaux qui avaient chaviré, des handicapés moteurs, ceux qui ne savaient pas nager... Au fil des heures et des jours, la mer, si bleue dans ce coin du monde, prit une couleur rouge sang. Des squales, attirés par le festin, arrivèrent de tous les océans de la terre; des spécimens rares, peu coutumiers de la zone : des marteaux, des grisets, des chiens de mer, des touilles, des maillets, des rochiers..., une variété innommable dont certains coulèrent d’avoir trop mangé36.

Pour Rose-Aimée, l’aventure tourne au drame. Surpris par un garde-côte américain, les boat-people sont jetés par-dessus bord37.

Le désastre de l’émigration clandestine confère ainsi aux deux œuvres une portée tragique qui va néanmoins se voir renforcée par des procédés différents dansles textes de Louis-Philippe Dalembert et Maryse Condé.

La dimension tragique des récits

L’autre face de la mer apparaît comme un roman postmoderne polyphonique qui mêle des focalisations différentes et des récits croisés. La narration s’organise autour de la succession de trois textes : les récits à la première personne de Grannie et Jonas encadrent une partie centrale, « La ville », où un narrateur extérieur suit le périple du jeune homme dans Port-au-Prince. Cette structure tripartite est encore compliquée par de courts passages, des moments d’outre-conscience, sans ponctuation, qui interrompent fréquemment les deux premiers récits et qui plongent le lecteur dans la cale négrière : « la grande barque est là qui les attend le cheptel avance à sa rencontre des centaines d’animaux franchissant l’un à la suite de l’autre l’étroit couloir qui y mène38 ». Un curieux dialogue placé juste avant le dernier chapitre du roman annonce aussi la décision prise par Jonas de quitter Haïti. Le lecteur suppose que l’un des interlocuteurs correspond à Jonas mais aucune précision n’est donnée sur l’identité des personnages. Les repères temporels semblent tout aussi brouillés. Si les deux récits principaux suivent la chronologie des événements qui ont marqué le pays, rien ne permet de dater le dialogue inséré ou les faits rapportés dans la partie centrale. Bien plus, une seconde chronologie se superpose à la première dans les textes qui interrompent fréquemment sans transition les récits de Grannie et Jonas : le lecteur suit le déroulement de la traversée des ancêtres esclaves, à travers différentes étapes.

Cette structure très particulière a en fait un intérêt herméneutique : le récit de la grand-mère qui porte en elle la mémoire familiale, c’est-à-dire désormais le délitement de celle-ci, est relayé par celui de Jonas qui témoigne de l’éloignement progressif à l’égard de cette société, et annonce l’exode. La partie intitulée « la Ville », prise en charge par un narrateur extérieur, au centre du roman, renforce le fait que Jonas cherche par tous les moyens à maintenir la distance entre l’horreur de Port-au-Prince et lui-même. Le dialogue inséré brusquement à la fin du texte rend compte de la rupture avec la terre d’origine. De plus, ainsi que le remarque Yves Chemla, les traces de la mélopée du fond de la cale résonnent « comme des contrepoints subtils aux moments des récits qu’ils interrompent39 ». Dalembert rend inséparables le traitement de la fuite et celui de la déportation. Par cette mise en perspective du passé, le romancier amplifie le caractère traumatique de la migration et donne une valeur axiologique à la traversée des clandestins : dans l’esprit de Dalembert, la voix de la Traite qui se superpose au récit de la fuite rappelle qu’il s’agit d’un crime commis au nom d’un déni d’humanité.

Si L’autre face de la mer n’hésite pas à déstabiliser le lecteur pour mettre en valeur l’idée directrice du roman, Rêves amers utilise d’autres techniques. En tant qu’ouvrage de littérature de jeunesse, le texte tient compte du lecteur-enfant. Aussi présente-t-il un récit linéaire conforme au schéma narratif traditionnel qui retrace l’odyssée de Rose-Aimée sur quelques mois et associe le lecteur au destin tragique de la petite fille. Le texte s’ouvre avec l’annonce du père : la jeune Haïtienne va devoir quitter la campagne pour être placée dans la ville de Port-au-Prince. Le lecteur suit les différentes péripéties qui émaillent le parcours de Rose-Aimée et la montée progressive de l’horreur : le placement chez madame Zéphyr, une couturière de la métropole, l’errance dans Port-au-Prince; l’emploi ingrat qu’elle finit par trouver au « Kentucky Fried Chicken » ; l’embarquement pour la Floride sur un bateau affrété par des passeurs jusqu’à la fin tragique, Rose-Aimée mourant noyée dans l’océan. L’auteur implique aussi le lecteur dans l’histoire grâce à une héroïne attachante, dans laquelle l’enfant peut se reconnaître. Ce personnage de frêle pré-adolescente porteuse de tout le rêve d’émancipation d’Haïti suscite l’identification. Comme le rappelle Isabelle Nières-Chevrel :

Les écrivains qui inventent les premières fictions destinées à l’enfance comprennent immédiatement que la meilleure manière de capter l’attention de l’enfant lecteur, c’est encore de parler de lui, de le mettre en scène dans sa vie quotidienne par héros interposé40.

Maryse Condé aborde ainsi les différents thèmes du roman à travers le prisme de Rose-Aimée. Le point de vue omniscient, qui permettait de présenter la situation dans l’incipit, cède rapidement le pas à une focalisation interne autour du personnage enfantin. C’est à travers les réflexions de l’héroïne sur Port-au-Prince que les Tontons Macoutes sont évoqués. Les problèmes sociaux sont aussi traités à partir de l’histoire personnelle de Rose-Aimée : frappée par madame Zéphyr, insultée par le patron du « Kentucky Fried Chicken », celle-ci met en évidence les mauvais traitements que subissent les enfants pauvres placés chez des patrons citadins, haïtiens ou américains, qui les exploitent. Mais surtout, l’auteur recourt fréquemment au discours indirect libre pour rendre compte des sentiments de Rose-Aimée. Le récit expose les préventions de l’héroïne contre la ville de Port-au-Prince : « Elle allait vivre au milieu d’étrangers, dans une ville inconnue, hostile !41 » ; il dit aussi ses espoirs : « Ah, dès qu’elle aurait trouvé un travail, ce qui, aux dires de tous, ne saurait tarder, elle leur enverrait un mandat. Comme ils seraient heureux42 ! » ; il exprime son indignation devant les sans-abris : « Que de misérables étaient couchés là dans leurs haillons43 ! » ; ou face aux mauvais traitements qu’elle subit :

Non elle ne reviendrait plus jamais courber son dos et user sa jeunesse sur les carreaux du « Kentucky Fried Chicken ». Et personne ne devait accepter de travailler dans ces conditions. Pour quelques gourdes par semaine, perdre, avec son honneur, le respect de soi44 ?

La structure des deux romans et les points de vue adoptés renforcent la portée tragique du récit de manière différente. Ces divergences vont se voir encore accentuées par le rapport au mythe qu’entretiennent le texte de Louis-Philippe Dalembert et Rêves amers.

Mythe biblique et culture créole

L’autre face de la mer comporte incontestablement une dimension mythique. Le roman intègre de nombreuses références à l’Ancien Testament, trace de l’éducation familiale très religieuse qui a marqué Dalembert. Le texte s’ouvre par une épigraphe empruntée aux Lamentations : « car ils sont devenus sans foyer. Ils ont également erré çà et là45». L’auteur exprime aussi l’espoir suscité par l’exode pour de nombreux Haïtiens, en comparant l’Occident tant convoité à la « Terre promise46». Alors que, du quinzième au dix-huitième siècle, beaucoup de navigateurs et de philosophes européens (Christophe Colomb pour les Caraïbes, Bougainville et Diderot pour les archipels du Pacifique)ont associé les îles à l’Eden, on assiste ici à un surprenant renversement des valeurs puisque ce sont les états-Unis, désormais, qui sont assimilés au Paradis terrestre ou à la Terre Promise. L’auteur souligne en même temps la désapprobation de Jonas face à cet état de fait, en associant la période où « la ville s’était transformée en immense chantier » pour construire les embarcations à celle précédant le « Déluge47 », ou en évoquant explicitement la migration comme une contre-Création :

Sept jours et sept nuits qui virent la terre trembler sur ses assises, déborder pour envahir les villes limitrophes. Sept jours au bout desquels les rideaux d’acier qui avaient poussé comme des méduses réussirent à endiguer le flot des envahisseurs, en laissant sur place des dizaines de milliers de cadavres48 .

Le roman entretient surtout un rapport privilégié avec Le Livre de Jonas. Le texte scripturaire apparaît certes de façon parcellaire et déstructurée, mais s’avère fondamental pour saisir l’enjeu du roman. Tout d’abord, le prédicateur qui, dans la partie centrale, incite les habitants de Port-au-Prince à la contrition49, rappelle le petit prophète prêchant à Ninive et associe Port-au-Prince à la ville maudite, amplifiant l’impression de dégradation. Le roman retient également du Livre biblique l’idée d’absorption qui connote négativement la cale négrière ou l’espace maritime. La mer est perçue comme le monstre marin du Livre de Jonas qui « avale » les clandestins : « La mer s’ouvrait, avalait les passagers, puis se refermait sur eux avant de retrouver son indolence 50», de même que la cale négrière « avale » l’esclave en devenir :

dans le flanc de la grande barque un portillon s’ouvre qui conduit directement à la cale là le bétail est réparti sur deux ou trois niveaux ensardiné saucissonné pas un râle ne s’échappe de leur gueule le portillon se ferme bruit infernal l’obscurité les a avalés51

Mais le mythe de Jonas, dans le roman de Louis-Philippe Dalembert, est surtout convoqué pour exprimer l’écartèlement inhérent à tout projet de migration, écartèlement qui s’incarne en Jonas, le petit-fils de Grannie, nommé précisément comme le nabi du livre biblique. Par son profond attachement à Haïti, le jeune homme se montre d’abord réfractaire, non plus cette fois à Dieu, mais à l’appel de « l’autre face de la mer » qui a séduit un grand nombre de ses compatriotes, et son parcours se calque sur l’itinéraire du petit prophète. Dans la partie centrale, Jonas plonge, comme le personnage biblique, au fond du shéol, au cœur de l’angoisse existentielle fondatrice. « La ville » présente, en cinq chapitres, le paroxysme de cette angoisse : Jonas assiste au spectacle donné par une foule misérable, qui lynche un homme, dans les plus terribles conditions, et donne à manger son corps carbonisé aux porcs qui errent dans la ville. Au centre du roman, le jeune homme se détache brutalement du peuple haïtien. Il est significatif que la figure du prédicateur corresponde à un personnage différent de Jonas, comme si ce dernier se désolidarisait de Port-au-Prince, rappelant la résistance du petit prophète à porter la parole d’Elohim à Ninive. Pour Yves Chemla, c’est en fait l’amplification du mouvement de fuite des clandestins et sa relation avec le souvenir intérieur de la Traite qui va déclencher la séparation définitive de Jonas avec Haïti52 : à ce moment du texte, le dernier contrepoint de la spirale de la Traite décrit à la fois l’arrivée du « cheptel » et la tentative de retour des clandestins, qui se solde par la noyade de ces êtres anonymes. Le Livre de Jonas permet ici de mettre en évidence la bipolarité du personnage, écartelé entre son attachement à la terre natale et le désir d’émigrer. Le décès de Grannie, que Jonas veille trois jours et trois nuits, comme le petit prophète reste trois jours à l’intérieur de la baleine, décidera le jeune homme à accepter l’appel de « l’autre face de la mer » et à choisir l’exil, envisagé tout à la fois comme une mort et une résurrection, tel le séjour dans le poisson pour le nabi :

En renonçant à ce qu’il possédait, c’est-à-dire rien et tout à la fois, en abandonnant sa ville natale, en mourant à ses rues sales et chaotiques, à ses montagnes ravagées, écrasées de soleil, ses mendiants loqueteux, ses bourgeois arrogants, la médiocrité triomphante, il espérait rencontrer une nouvelle vie plus loin. De l’autre côté de l’océan.
Il allait donc voyager, en fonction des pays pour lesquels son passeport ne constituerait pas un handicap, de l’argent qu’il avait en poche (il avait trouvé une bonne affaire pour la maison), des possibilités de travail ici et là, des rencontres qu’il ferait [...]. Le plus douloureux, ou qui sait le plus agréable, ce seraient les traces de cette première vie, qu’il garderait au fond de lui. Comme une perpétuelle réincarnation53...

La dimension mythique confère à L’autre face de la mer une portée générale, encore renforcée par l’implicite. Les références au contexte historique ou socio-politique restent allusives. Comme le constate Odile Gannier, « les indices affleurent, mais ils ne sont pas définis précisément : pas de toponyme, pas de date, pas de nom explicite d’homme politique qui permettrait au lecteur peu averti de situer l’action exactement54 ». Tout aussi subtils paraissent les « clins d’œil » à la langue créole que Dalembert intègre au texte. Certains sont certes aisément repérables, telle la chanson « Si n pa mouri nan dlo, si nou pa neye o/Bondye bon n a rive lotbodlo55 », mais Odile Gannier note que d’autres expressions s’avèrent « plus discrètes56 » : le terme « amarrer57 » par exemple est la traduction française d’un verbe créole. Il ne perturbe en rien la lecture d’un public non averti. L’exotisme n’est pas valorisé et c’est le drame de tout émigré que peut retrouver le lecteur derrière l’histoire du jeune Haïtien. Le romancier d’origine italienne, Jean Portante, exprime d’ailleurs l’écartèlement que ressent sa famille émigrée au Luxembourg en recourant aussi au mythe de Jonas, dans le roman Mrs Haroy ou la mémoire de la baleine.

Maryse Condé recherche davantage la couleur locale. Elle exhibe en quelque sorte le lexique propre à Haïti. Ce parti pris s’explique peut-être parce que Rêves amers est tout d’abord destiné à être lu par des enfants français. C’est précisément ce qui singularise la littérature de jeunesse: comme le constatait Marc Soriano dans un article de l’Encyclopedia universalis en 1985, le public-cible est le seul critère de reconnaissance de ce type d’ouvrages58. Maryse Condé a en effet entrepris Rêves amers pour répondre à la demande d’un groupe d’enfants qu’elle rencontrait régulièrement dans un atelier de lecture à Paris. Ceux-ci lui posaient des questions sur les boat-people d’Haïti qu’ils voyaient à la télévision. L’essentiel, pour l’auteure, était que ces enfants « prennent conscience des problèmes d’Haïti59 ». Il était donc nécessaire de leur faire découvrir le pays et notamment son lexique et sa culture, tout en rendant le récit attractif par l’exotisme. La lecture du roman permet ainsi beaucoup de découvertes, induites par la langue. L’auteure guadeloupéenne n’écrit pas en créole mais ouvre largement son écriture à la richesse du lexique des Caraïbes, révélant une ambition documentaire : Maryse Condé parle des « Bonnes amies », noms que les restaveks (enfants confiés à une famille) doivent donner à leurs « bienfaitrices60 ». Les explications figurent alors dans le texte ou sous forme de notes de bas de page. Comme le constatent Christian Chelebourg et Francis Marcouin, il existe aujourd’hui « une littérature d’éducation destinée aux enfants61 ». Alors que la littérature d’édification participe à l’instruction morale des jeunes lecteurs, celle d’éducation vise leur formation culturelle et intellectuelle. D’ailleurs, Maryse Condé donne à voir également la vie quotidienne d’Haïti en mentionnant les combats de coqs62, la monnaie (les gourdes63) ou les moyens de transports comme le « tap-tap64 ». Le maillage urbain apparaît à travers le parcours de Rose-Aimée (Gonaïves, Piétonville, Léogane) ainsi que la flore : les descriptions font découvrir au jeune lecteur « les jardins à sucre » qui succèdent « aux jardins à Indigo et aux champs de coton, séparés les uns des autres par des haies d’orangers et des citronniers65 ». De plus, si Louis-Philippe Dalembert confère une dimension mythique à L’autre face de la mer en recourant aux références culturelles des colons, Maryse Condé, dans Rêves amers, met en évidence les mythes et légendes créoles. Les textes sacrés ne sont certes pas totalement absents du roman pour enfants. Celui-ci comprend en effet une référence au Nouveau Testament à travers la dernière phrase du récit, inspirée d’un verset tiré d’une épître de St Paul66 : « Car la mort n’est pas une fin. Elle ouvre sur un au-delà où il n’est ni pauvres ni riches, ni ignorants ni instruits, ni Noirs, ni mulâtres, ni Blancs67... ». Toutefois, cette allusion reste unique et permet avant tout de dédramatiser la fin tragique d’un roman pour la jeunesse. Elle renvoie également à une certaine poésie qui prend toute sa dimension dans l’évocation d’une mer personnifiée :

Et la mer roula ces déshérités dans son suaire.
Elle para leur corps d’algues, ouvragées comme des fleurs, suspendit à leurs oreilles des boucles d’oreilles de varech. Elle chanta de sa voix suave pour calmer les terreurs des enfants, de Rose-Aimée et de Lisa et, les yeux fermés, ils glissèrent tous dans l’autre monde68.

Cette représentation métaphorique de la mer n’est pas sans rappeler le personnage de Manman D’lo, esprit féminin ou sorcière des eaux qui enjôle les êtres humains pour les amener à la noyade, et qui apparaît dans de nombreux contes créoles. La dimension poétique croise ainsi la préoccupation documentaire qui caractérise l’ouvrage et que l’on retrouve à tous les niveaux. Maryse Condé donne un aperçu de la culture haïtienne, non seulement à travers l’évocation de cet esprit féminin, mais aussi par la référence au culte vaudou : Rose-Aimée invoque très souvent les « loas », esprits intermédiaires entre Dieu et les hommes69, ou compare sa patronne à une déesse de l’Artibonite, département haïtien qui vénère Erzulie Freda, irrésistible loa de la Beauté70.

Louis-Philippe Dalembert et Maryse Condémarquent donc fortement leur appartenance à la littérature caribéenne en donnant un ancrage historique à leur roman, ainsi qu’une dimension politique et sociale. L’autre face de la mer et Rêves amers expriment l’attachement particulier des personnages à Haïti, ceux-ci faisant difficilement leur deuil de cette île pourtant marquée par la misère ou la dictature de la famille Duvalier. Mais les deux auteurs décrivent aussi une des formes radicales de la relation à l’Autre, thème récurrent de la littérature caribéenne, comme l’a souligné Yves Chemla, dans son essai, La question de l’autre dans le roman haïtien contemporain71. Ledéni d’humanité se manifeste aussi bien dans les relations avec la République Dominicaine qu’à travers le rapport qu’entretient Haïti avec l’Occident. L’immigration clandestine est perçue dans les deux cas comme une tragédie qui ravale l’humain à l’objet. Toutefois, la dimension tragique est suscitée par des moyens différents. En recourant à des récits croisés et à une mise en perspective du passé, l’épopée de la Traite, Louis-Philippe Dalembert renforce le caractère traumatique de l’exode, alors que Maryse Condé implique le lecteur dans une narration linéaire qui décrit l’odyssée de Rose-Aimée jusqu’au drame final. La dimension mythique qu’introduit par ailleurs Louis-Philippe Dalembert dans son roman, par le rapprochement qu’il opère avec le Livre de Jonas, confère une portée générale à L’autre face de la mer et rend compte de l’écartèlement suscité par tout projet de migration. Maryse Condé, cependant, recherche davantage la précision documentaire et recourt à l’exotisme, préférant intégrer les mythes et légendes créoles, qui donnent une coloration tout à la fois poétique et réaliste à Rêves amers. Ces choix se justifient par la visée de publics distincts, le roman de Maryse Condé souhaitant toucher un lectorat plus ciblé, puisqu’il est destiné à être lu par des enfants français auxquels il convient de faire découvrir Haïti. Ils rendent compte aussi de deux postures divergentes face à la culture des colons et à ce que représentent, à cet égard, les mythes bibliques. Ils s’expliquent peut-être par les origines différentes des deux auteurs, Haïti étant libéré du joug colonial depuis de longues années, tandis que la Guadeloupe reste encore aujourd’hui un département français.

Notes de bas de page numériques

1  Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Présence africaine, 1956, p. 46.

2  Nicole Brissac, « La littérature d'enfance et de jeunesse de la Caraïbe francophone », Takam Tikou, La Caraïbe et le livre de jeunesse, Le bulletin de la joie par les livres n° 11, octobre 2004, p. 28.

3  Françoise Pfaff, Conversation with Maryse Condé, Nebraska, University of Nebraska Press, 1996, p. 78.

4  Yves Chemla, « Louis-Philippe Dalembert, une voix à grande foulée », Cultures Sud/ Notre librairie, n° 166, juillet 2007.

5  Nicole Brissac, « La littérature d'enfance et de jeunesse de la Caraïbe francophone », Takam Tikou, La Caraïbe et le livre de jeunesse, p. 28.

6  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, Paris, Stock, 1998, p. 23.

7  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 98-99.

8  Maryse Condé, Rêves amers, Paris, Bayard jeunesse, 2001, p. 70.

9  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer,p. 43.

10  Maryse Condé, Rêves amers, p. 31.

11  Maryse Condé, Rêves amers, p. 31.

12  Gester Faustin, « Histoire et schizoïdie sociale à Haïti » dans Mémoire et cultures: Haïti, 1804-2004, Michel Beniamino et Arielle Thauvin -Chapot [dir.], Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2006, coll. « Francophonies », .p. 34.

13  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 20.

14  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 225.

15  Maryse Condé, Rêves amers, p. 15.

16  Maryse Condé, Rêves amers,p. 18.

17  Maryse Condé, Rêves amers, p. 60.

18  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 85.

19  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 188.

20  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer,p. 189.

21  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer,p. 188.

22  Maryse Condé, Rêves amers, p. 14.

23  Rafaël Lucas, « L'esthétique de la dégradation dans la littérature haïtienne », Revue de littérature comparée n° 302, Klincksieck, 2002 (2), pp. 191-211.

24  Louis -Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 123.

25  Maryse Condé, Rêves amers, pp. 14-15.

26  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 133.

27  Namrata Poddar, « La poétique du bateau dans la fiction mauricienne », dans Caraïbes et océan indien, Question d'histoire, sous la direction de Véronique Bonnet, Guillaume Bridet et Yolaine Parisot, revue Itinéraires, Littérature, textes et cultures, Paris, L'Harmattan, 2009 (2), p. 79.

28  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 13.

29  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 163.

30  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 228.

31  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 217.

32  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 238.

33  Maryse Condé, Rêves amers, p. 74.

34  Maryse Condé, Rêves amers, p. 74.

35  Maryse Condé, Rêves amers, p. 73.

36  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer,p. 221-222.

37  Maryse Condé, Rêves amers, p. 79.

38  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 20.

39  Yves Chemla, « L'autre face de la mer », revue Notre Librairie n° 136, Paris, 1999.

40  Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, Paris, éditions Didier, 2009, coll. « Passeurs d'histoires », p. 155.

41  Maryse Condé, Rêves amers, p. 3.

42  Maryse Condé, Rêves amers, p. 74.

43  Maryse Condé, Rêves amers, p. 41.

44  Maryse Condé, Rêves amers, p. 61.

45  Lamentations, 4-15. Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, épigraphe.

46  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 220.

47  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 159.

48  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 227.

49  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 119.

50  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 160.

51  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 20.

52  Yves Chemla, « L'autre face de la mer », Notre librairie, n° 136.

53  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, pp. 238-239.

54  Odile Gannier, « Texte et contexte : les lectures plurielles de L'Autre face de la mer de Louis-Philippe Dalembert et The Farming of Bones d'Edwige Danticat », dans Théorie littéraire et culturalisme, revue La lecture littéraire n° 10, Alain Trouvé (dir.), 2009, p. 85.

55  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 168.

56  Odile Gannier, « Texte et contexte : les lectures plurielles de L'autre face de la mer de Louis-Philippe Dalembert et The Farming of Bones d'Edwige Danticat », p. 90.

57  Louis-Philippe Dalembert, L'autre face de la mer, p. 105.

58  Marc Soriano, « Littérature pour la jeunesse », Encyclopedia universalis, 1985.

59  Fabrice Doriac, Interview de Maryse Condé, http://www.gensdelacaraïbe.org .

60  Maryse Condé, Rêves amers, p. 26.

61  Christian Chelebourg, Francis Marcouin, La littérature de jeunesse, Paris, Armand Colin, 2007, p. 74.

62  Maryse Condé, Rêves amers,p. 21.

63  Maryse Condé, Rêves amers, p. 11.

64  Maryse Condé, Rêves amers, p. 23.

65  Maryse Condé, Rêves amers, p. 8.

66 épître de saint Paul aux Romains, 6, 33-11.

67  Maryse Condé, Rêves amers, p. 80.

68  Maryse Condé, Rêves amers, p. 80.

69  Maryse Condé, Rêves amers, p. 15.

70  Maryse Condé, Rêves amers, p. 26.

71  Yves Chemla, La question de l'Autre dans le roman haïtien contemporain, Matoury, Ibis rouge éditions, 2003.

Bibliographie

 Textes de référence

CONDé Maryse, Rêves amers, Paris, Bayard jeunesse, 2005 (réécriture de Haïti chérie, 1987)

DALEMBERT Louis-Philippe, L’autre face de la mer, Paris, Stock, 1998, Port-au-Prince, Presses nationales d’Haïti, 2007

 Ouvrages et articles critiques

BRISSAC Nicole, « La littérature d’enfance et de jeunesse de la Caraïbe francophone », Takam Tikou, La Caraïbe et le livre de jeunesse, Le bulletin de la joie par les livres n° 11, octobre 2004

CHEMLA Yves, « Louis-Philippe Dalembert, une voix à grande foulée », Cultures Sud/ Notre librairie, n° 166, juillet 2007

CHEMLA Yves, « L’autre face de la mer », revue Notre Librairie n° 136, Paris, 1999

FAUSTIN Gester , « Histoire et schizoïdie sociale à Haïti » dans Mémoire et cultures : Haïti, 1804-2004, Michel Beniamino et Arielle Thauvin-Chapot (dir.), Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2006, coll. « Francophonies »

GANNIER Odile, « Texte et contexte : les lectures plurielles de L’Autre face de la mer de Louis-Philippe Dalembert et the Farming of Bones d’Edwige Danticat », dans « Théorie littéraire et culturalisme », revue La lecture littéraire n° 10, Alain Trouvé (dir.), Université de Reims, 2009, pp. 83-97

LUCA Rafaël, « L’esthétique de la dégradation dans la littérature haïtienne », Revue de littérature comparée n° 302, Klincksieck, 2002 (2), pp. 191-211

PODDAR Namrata, « La poétique du bateau dans la fiction mauricienne », dans Caraïbes et Océan indien, question d’histoire, sous la direction de Véronique Bonnet, Guillaume Bridet, et Yolaine Parisot, revue Itinéraires, littératures, textes et cultures, Paris, L’Harmattan, 2009 (2), pp. 77-91

Pour citer cet article

Lydie Laroque, « Haïti dans la littérature générale et de jeunesse contemporaine : étude comparative des romans L’autre face de la mer et Rêves amers », paru dans Loxias, Loxias 30, mis en ligne le 08 septembre 2010, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/%20http:/www.lejdd.fr/Politique/index.html?id=6383.

Auteurs

Lydie Laroque

Lydie Laroque est doctorante en troisième année à l’Université de Paris-Ouest Nanterre La Défense. Elle prépare une thèse intituléeLe mythe de Jonas dans la littérature contemporaine. Spécificité de la littérature de jeunesse sous la direction de Sylvie Parizet. Elle a publié, en collaboration avec Hélène Weis, Christine Pietri, Béatrice Martin et Aline Rios-Passagem « Culture commune, classiques et enseignements » dans la Revue des livres pour enfants n° 240, avril 2008 ; et « Jonas de Jacques Chessex ou la crise du sujet », actes du colloque sur le Livre de Jonas, dans la revue Graphè n° 19, aux presses de l’Université d’Artois, en mars 2010 ; ainsi qu’un compte-rendu critique de l’ouvrage Le fils prodigue et les siens XXe-XXIe siècles, sous la direction de Béatrice Jongy, Yves Chevrel, Véronique Léonard Roques, dans la revue Itinéraires, littératures, textes et cultures, 2010 (1).