Loxias | Loxias 8 (mars 2005) Emergence et hybridation des genres
Hélène Baby :
Littérarité et généricité : l'exemple de la tragi-comédie en France au XVIIe siècle
Résumé
S’intéresser à la notion de genre littéraire dans le champ particulier de l’écriture dramatique, c’est supposer que le théâtre appartient à la littérature. Postulat qui ne va pas toujours de soi, car fils d’Aristote nous demeurons, qui affirmait que le “ spectacle est totalement étranger à l’art et n’a rien à voir avec la poétique ”. Or la question de l’inscription du théâtre dans le champ de la res litteraria correspond précisément au mouvement imprimé par Richelieu aux institutions littéraires dès le deuxième quart du XVIIe siècle (et plus exactement, dès son arrivée au pouvoir en 1624). Et la promotion de l’art du spectacle en grand genre littéraire recoupe exactement l’extension temporelle de la tragi-comédie, forme dont chacun a lu au moins une production, ou plutôt une super-production, Le Cid de Pierre Corneille. C’est dire que la question de la littérarité de la forme dramatique est à l’horizon de cette enquête, et que la tragi-comédie permettra d’y apporter une réponse.
Plan
- I- Généricité : repérage de la forme en tant que genre
- a- Repérage éditorial et temporel
- a-1-
- a-2-
- b- Repérage formel: établir une recherche “ multi-critères ”
- b-1- L’inventio
- b-2- La dispositio
- b-3- Le règne de l’obstacle extérieur
- II- La légitimation doctrinale
- a- Que se passe-t-il sur le front théorique ?
- b- Tragi-comédie versus tragédie
- c- Émotions tragiques / émotions tragi-comiques
- d- La légitimation doctrinale du passe-temps
- III- La légitimation institutionnelle. Institutionnaliser le passe-temps
- a- Richelieu et la tragi-comédie19
- b- Littérariser le divertissement : Mirame
Texte intégral
1Cette étude s’inscrit dans l’enquête sur les genres, menée par le CTEL depuis le début de l’année 2002. L’année 2002-2003, consacrée à la problématique théorique du genre, s’est vue continuée par les Journées d’Octobre 2003 dédiées à la question de l’émergence des genres. En 2003-2004, il s’agissait de s’intéresser à la notion de genre dans le champ particulier de l’écriture dramatique. Et, dans ce cadre, ma contribution prend pour objet une forme dramatique importante dans la première moitié du XVIIe siècle, la tragi-comédie, à laquelle j’ai consacré un livre il y a quelques années1 (forme dont chacun ici a lu au moins une production, une super-production devrais-je dire, Le Cid de Pierre Corneille).
2Il faudra, avant d’aborder cette forme dramatique singulière, revenir rapidement sur l’implicite qu’impose la construction d’ensemble de nos conférences : elle affirme que le théâtre, en tant que genre littéraire, appartient à la littérature. Postulat qui ne va pas toujours de soi, et que ne partagent pas, par exemple, certaines librairies qui organisent leurs rayons en les distinguant selon les rubriques affichées séparément “ Littérature ” et “ Théâtre ” (et parfois “ Poésie ”, d’ailleurs). Fils d’Aristote nous demeurons, qui affirmait que le “ spectacle est totalement étranger à l’art et n’a rien à voir avec la poétique ” car “ pour l’exécution technique du spectacle, l’art du fabricant d’accessoires est plus décisif que celui des poètes ”2.
3Or la question de l’inscription du théâtre dans le champ de la res litteraria correspond précisément au mouvement imprimé par Richelieu aux institutions littéraires dès le deuxième quart du XVIIe siècle (et plus exactement, dès son arrivée au pouvoir en 1624). Et cette promotion de l’art du spectacle en grand genre littéraire recoupe exactement l’extension temporelle de la tragi-comédie : c’est dire que la question de la littérarité de la forme dramatique est à l’horizon de cette enquête, et que la tragi-comédie permettra d’y apporter une réponse.
4Il se trouve que cette production dramatique se prête merveilleusement à tous les axes de recherche sur le genre : par sa naissance, chronologiquement repérable, et violemment contestée par les légitimistes aristotéliciens, elle illustre l’émergence d’un genre ; par sa disparition, elle aussi repérable dans le temps, elle permet de réfléchir sur les phénomènes qui provoquent la mort d’un genre ; enfin, par la rivalité qu’elle établit avec des genres déjà existants et légitimés, elle participe pleinement aux phénomènes de l’hybridation et du brouillage des catégories génériques et des tonalités. Il va de soi d’ailleurs que l’hybridation et le brouillage, comme le nom composé de tragi-comédie l’indique clairement, participe à la fois de l’émergence et de la mort du genre : c’est en effet par la différence au sein de la ressemblance qu’on spécialise sa propre identité, mais c’est aussi en empruntant trop à autrui, qu’on finit par lui ressembler et s’y dissoudre.
5Ne pouvant illustrer chaque aspect dans le cadre de cette étude, je privilégierai donc, non pas les processus d’hybridation, qui recoupent exactement l’aspect historique de la trajectoire générique, de la naissance à la mort de cette forme dramatique, mais la question des rapports complexes qu’entretiennent la littérarité et la généricité.
6Je voudrais ainsi illustrer un aspect de l’hypothèse émise par Dominique Combes qui écrit à propos des romans de la collection Harlequin : “ actuellement, l’identité générique est parfaitement définie, comme si la généricité était inversement proportionnelle à la littérarité ”. Aussi mon ambition est-elle triple : d’abord, rappeler que cette forme dramatique appelée tragi-comédie a gagné, en ses quelques années de vie, une identité générique claire, repérable et stable ; ensuite, faire apparaître le lien entre cette codification générique singulière, et celle, générale, qui, grâce à la modernité repensant les Anciens, transforme (tente de transformer) l’art du spectacle en théâtre classique ; enfin, à partir de cette première littérarisation doctrinale, poser la question des rapports entre la littérature et l’Institution, que celle-ci soit littéraire ou politique. D’où une réflexion que je structurerai en trois étapes : le repérage de la forme tragi-comique en tant que genre ; ensuite sa légitimation théorique par le courant moderniste ; enfin, sa légitimation pratique et officielle.
I- Généricité : repérage de la forme en tant que genre
7Il s’agit de parler de la tragi-comédie en tant que genre, puisque cette équivalence était l’objet même de mon livre : montrer la constitution d’une forme dramatique en genre. Je retracerai donc brièvement la démarche scientifique qui a été la mienne pour parvenir à cette conclusion.
a- Repérage éditorial et temporel
a-1-
8Pour qui s’intéresse, même de loin, à la description du théâtre au début du XVIIe siècle, le tour d’horizon est assez limité : il existe un seul dramaturge officiel, Alexandre Hardy, qui est attaché par contrat à la troupe de l’Hôtel de Bourgogne (qui est alors la seule salle de spectacle à Paris). Et un phénomène apparaît vite, à l’inventaire des pièces publiées : les gros bataillons de la création dramatique sont fournis par une forme appelée “ tragi-comédie ” (ou poème tragi-comique, ou avec des variantes orthographiques, tragécomédie).
9Et les chiffres sont parlants : alors que, de 1628 à 1634, cinquante tragi‑comédies sont publiées, seulement seize comédies et dix tragédies paraissent. Antoine Adam écrit d’ailleurs que “ la tragédie est morte ”, et “ la comédie en est au même point ”3. C’est dire que les deux grands genres, c’est-à-dire les genres légitimés par la pratique et/ou la théorie antiques, sont moribonds, et que se dessine l’espace d’une modernité comprise comme une réaction à une antiquité à l’autorité écrasante. Il se passe quelque chose en France dans le champ dramatique après 1625 : ce quelque chose est lié à l’arrivée de Richelieu au pouvoir, à l’arrivée de la théorie italienne importée par Jean Chapelain préfacier de L’Adone du Cavalier Marin, et ce quelque chose correspond à l’explosion de la forme tragi-comique, dont l’acmé, en 1637, sera Le Cid.
10En l’absence de documents sonores ou visuels, c’est l’écrit qui fonctionne comme seul témoin : c’est donc à partir de la première édition des pièces que j’ai décidé de travailler. À ce principe de l’édition originale s’ajoute celui du titre générique donné à la création dramatique, désignation qui, à l’époque, se décline du poème dramatique à la tragédie, en passant par la pastorale, la comédie, ou la tragi-comédie. C’est par le nom que je suis arrivée à la chose, en étudiant tous les textes qui portaient le nom de tragi-comédie (avec ses variantes) lors de la première édition. C’est donc au premier chef la pratique éditoriale qui a dessiné les contours du genre.
a-2-
11S’attacher au nom s’est révélé un principe d’autant plus fécond que la tragi-comédie signe l’orbe de sa vie par la symétrie strictement inverse de deux manipulations onomastiques. Le genre émerge en effet en 1628 avec le nouveau baptême d’une pièce de Jean de Schélandre, Tyr et Sidon, née sous le nom de “ tragédie ” en 1608 et qui, remaniée, est rebaptisée par son auteur “ tragi-comédie ” en 1628. Vingt ans plus tard, c’est le nouveau baptême du Cid qui signale le déclin et la mort du genre : en 1648, pour la première édition collective de ses Œuvres (premier volume paru en 1644) Corneille débaptise Le Cid, pièce née en 1637 sous le nom de “ tragi-comédie ” et, après quelques retouches, la renomme “ tragédie ”. Entre ces deux dates, se jouent la naissance et mort du genre.
12Bien sûr, la question à poser en amont et en aval de chacune de ces deux dates, est de savoir si l’essence coïncide avec l’existence : il faut vérifier si la fortune de la forme tragi-comique est une affaire de nom ou de chose ou, pour le dire plus concrètement encore, si la même forme existe avant et/ou après la fortune de ce nom. Pour ce faire, il a bien fallu dégager un ensemble de traits communs : l’étude synchronique de vingt années a permis de vérifier que, à ce nom donné et ratifié par la pratique éditoriale, correspond une même forme, c’est-à-dire un ensemble de traits communs. Pour reprendre la terminologie de Schaeffer, la perspective normative, essentialiste a été combinée à la perspective empirique : et le faisceau d’indices a tenté de combiner la sémantique et la forme. J’ai ensuite vérifié l’inexistence (ou l’existence) de cet ensemble avant et/ ou après l’apparition et la mort de ce nom. Mais cette dernière étude diachronique sera l’objet (peut-être) d’une autre intervention, lors de la réflexion sur l’hybridation et le brouillage générique. Je m’en tiens ici à la première étape de mon enquête, et au repérage de ces traits communs.
b- Repérage formel: établir une recherche “ multi-critères ”
13Après la récolte de toutes les formes dramatiques répondant à ce nom, il faut passer au repérage formel. Mais là encore, les préalables ne sont pas de trop : car une forme, surtout théâtrale, est à la fois une fiction et une mise en fiction. D’où la nécessité de distinguer, en reprenant les outils de la rhétorique traditionnelle, l’inventio de la dispositio.
b-1- L’inventio
14Il se trouve que les intrigues tragi-comiques répètent toujours la même histoire : un jeune couple, dont l’existence n’est pas historiquement attestée, traverse de nombreux obstacles avant son heureuse union au dernier acte. Action sentimentale et romanesque s’il en est, l’action tragi-comique ressemble à s’y méprendre à celle de la comédie : elle est manifestement l’héritière de la comédie latine pour sa fin heureuse réconciliant les pères et les enfants, et la voisine de la comedia espagnole pour les tribulations géographiques, et sociologiques, de ses personnages. La proximité du genre et de la comédie n’empêche pourtant pas les personnages principaux de risquer leur vie à chaque nouvelle rencontre, à chaque étape de leur voyage ; leur route est finalement jonchée des cadavres de leurs ennemis. À ces nombreux périls de mort s’ajoutent les périls d’État, car les tribulations des amoureux, déclenchant guerres et conspirations politiques, mettent souvent en jeu les destinées des souverains et des royaumes. Aussi, malgré son issue heureuse et la légèreté de son sujet, réduit à l’accomplissement d’une relation sentimentale, l’action principale est faite de violences et de grands périls (pour reprendre la terminologie cornélienne) susceptibles de constituer l’intrigue d’une tragédie. L’action tragi-comique est donc mixte, combinant une macrostructure comique aux microstructures de la tragédie.
15D’ailleurs, la mixité de l’action correspond à celle du personnel dramatique : la tragi-comédie convoque des personnages traditionnellement présents dans la tragédie, puisque les amoureux et leurs opposants sont toujours des nobles de haut rang, des princes ou des souverains. La qualité élevée de ce personnel fait que le genre échappe à la médiocrité comique. Mais, en même temps, du fait même de leurs tribulations, les héros traversent tous les continents et tous les milieux : quand ils ne font pas naufrage, le voyage par mer les confronte aux pirates et aux mauvais sauvages des îles lointaines ; le voyage par terre leur offre la compagnie des bandits de grands chemins et des aubergistes ; la prison où les jettent leurs rivaux les confronte aux geôliers et aux soldats fanfarons. De même que l’action de la tragi-comédie se caractérise par la mixité qui mêle les faiblesses passionnelles de l’enjeu principal aux violences et aux dangers du péril de mort, son personnel, noble dans ses premiers acteurs, mêle aussi les souverains aux bateleurs, les princes aux pirates. Ce mélange des plus humbles et des plus grands a longtemps fonctionné comme le critère principal de la définition du genre, car la seule attestation antique du terme de “ tragi-comédie ” apparaît sous la plume de Plaute, à propos de son Amphitryon, pièce qui mêle, comme chacun le sait, les dieux et les valets, Jupiter et Sosie.
16Cependant, la seule considération des personnages ne peut pas fonctionner comme critère identificatoire : et Corneille, trois siècles avant les structuralistes face au récit, se référait déjà à la Poétique d’Aristote pour préférer le critère de l’action à celui des personnages. Ainsi, après avoir abandonné le nom de tragi-comédie, Corneille propose en 1650 celui de “ comédie héroïque ” en 1650, eu égard à la bassesse, toute sentimentale, de l’action (voir l’épître à M. de Zuylichem, publiée en 1650 en tête du Don Sanche d’Aragon). C’est donc la double mixité de l’action et du personnel dramatique qui caractérise l’intrigue fictionnelle de cette forme dramatique. Inventio mixte, hybride, monstrueuse, diront les adversaires de cette forme : inventio immédiatement repérable en tout cas, et qui ne ressemble à aucune autre.
b-2- La dispositio
17Une fois la fiction (romanesque) identifiée, il reste à trouver des critères définitionnels de la dispositio. Là encore, on peut distinguer une dispositio externe d’une dispositio interne. La première concerne la division en actes et en scènes, ainsi que le choix de la versification en alexandrins principalement : la tragi-comédie s’organise toujours en cinq actes et en vers, et sa longueur moyenne est de 1700 vers. La deuxième, dispositio interne, touche au choix de la représentation mimétique : alors que la mise en place progressive des unités de temps et de lieu pousse les dramaturges à raccourcir la durée de la fiction et à maintenir leurs personnages dans un même lieu, la tragi-comédie, au contraire, apparaît particulièrement étrangère à ce mouvement de régularisation. Aussi les personnages passent-ils d’Afrique au Danemark, en traversant des mers dangereuses qui les jettent souvent, naufragés et démunis, sur des rivages hostiles ; ces périples, dangereux et fertiles en obstacles violents, supposent non seulement une géographie fantaisiste et éclatée, mais aussi une durée en proportion de la longueur de ces voyages. Le plus souvent d’ailleurs, aucune indication ne permet de leur affecter une temporalité précise, et l’indifférence à l’égard du temps et des lieux est, en soi, parlante.
18L’action, elle aussi particulièrement éclatée, fait se succéder de nombreux obstacles sans qu’un lien de nécessité ne les subordonne les uns aux autres : avec une moyenne de sept obstacles successifs par pièce, la tragi-comédie révèle son indifférence absolue à l’égard de l’unification de l’action. On rencontre ainsi fréquemment l’empilement d’obstacles scène après scène, tels que le duel, le combat militaire, l’emprisonnement, la fausse mort. Ainsi, dans La Doristée de Jean de Rotrou, l’héroïne est enlevée par un rival qui l’entraîne dans une forêt ; surgit à point nommé le héros qui retrouve sa maîtresse. Le temps d’aller chercher un peu d’eau à la rivière, celle-ci est enlevée, dans l’intervalle, par des voleurs qui, sur la foi de son travestissement en page, l’enrôlent dans leur troupe. Elle s’enfuit et trouve refuge chez un gentilhomme fort hospitalier, mais fort perspicace (il devine son identité féminine) et partant, fort entreprenant. De surcroît, ce nouveau rival est marié, et son épouse, attirée par le charme du page, en tombe à son tour éperdument amoureuse. Etc. On pense bien sûr à l’ironie si pertinente de Scudéry commentant l’entassement des événements dans Le Cid :
car enfin, dans le court espace d’un jour naturel, on élit un Gouverneur au Prince de Castille, il se fait une querelle et un combat entre Don Diègue et le Comte, autre combat de Rodrigue et du Comte ; un autre de Rodrigue contre les Mores ; un autre contre Don Sanche ; et le mariage se conclut entre Rodrigue et Chimène : je vous laisse à juger si ne voilà pas un jour bien employé, et si l’on n’aurait pas grand tort d’accuser tous ces personnages de paresse.4
b-3- Le règne de l’obstacle extérieur
19La critique de Scudéry fait apparaître clairement la raison de l’irrégularité temporelle de la tragi-comédie : il faut du temps pour multiplier les actions qui composent l’intrigue des tragi-comédies, car ces actions sont toutes matérielles, violentes, inscrites dans la durée et dans l’espace. Les obstacles qu’affrontent les héros sont des obstacles extérieurs, et c’est d’ailleurs ceux-là que rappelle Scudéry dans son inventaire ironique, et non les tourments moraux des personnages cornéliens. Il est manifeste que la tragi-comédie s’appuie sur l’obstacle extérieur, et non sur les éventuels conflits de l’âme humaine : elle ne se préoccupe pas de l’intériorité de ses personnages, même s’ils sont désespérés et suicidaires (ce qui est presque toujours le cas !).
20Le règne tout-puissant de l’obstacle extérieur soumet donc les personnages à des forces matérielles qu’ils doivent physiquement surmonter. Ce qui explique la création, et donc, pour nous, le repérage de nombreux personnages-types ; les personnages de la tragi-comédie sont toujours les mêmes d’une pièce à l’autre : un ou plusieurs couples d’amoureux, jeunes, beaux, se trouvent soumis à l’opposition violente d’un père (ou de plusieurs pères) et d’un rival (ou de plusieurs rivaux). Et, pour rendre certaines oppositions fort efficaces, le dramaturge fait du rival et du père des rois tout-puissants. Ces opposants ont tous recours aux mêmes stratagèmes : fausse lettre affirmant la mort de l’être aimé, guet-apens où des traîtres sont apostés pour tuer le héros, emprisonnement arbitraire dans les cachots princiers, exil forcé en des contrées lointaines et inhospitalières. Les mêmes personnages répétant les mêmes actions, il est logique de voir apparaître des segments dramatiques identiques. Les mêmes actions se répètent d’une intrigue à l’autre, puisque les amoureux sont soumis aux mêmes opposants : on retrouve inlassablement d’une pièce à l’autre la même série d’obstacles, les mêmes enchaînements et les mêmes résolutions.
21La tragi-comédie a bien une existence et une essence, affirmation autorisée par les résultats de l’analyse empirique, dont l’essentiel se résume ainsi : la tragi-comédie est une forme dramatique découpée en actes et en scènes, versifiée en alexandrins, dont l’intrigue fictionnelle, susceptible de se dérouler sur plusieurs années et dans plusieurs pays, et constituée par les obstacles que doit traverser un couple de jeunes gens issus de la haute noblesse, se termine par leur heureuse union. De cette description peuvent être tirées plusieurs conclusions :
-
1- l’objet tragi-comique propose des caractéristiques propres et repérables, qui le fondent en tant que genre.
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2- ces traits communs repérables, reproduits d’une pièce à l’autre, sont donc reproductibles ad libitum.
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3- forme trop repérable et trop reproductible, la tragi-comédie pose le problème de sa légitimationlittéraire.
22Aussi la littérarisation de la généricité sera-t-elle l’objet d’un double effort institutionnel en son temps : celui des doctes, et celui des politiques.
II- La légitimation doctrinale
23Il se trouve que le deuxième quart du XVIIe siècle, et plus particulièrement les années 1628-1648, sont des années clés pour le théâtre français : jamais jusque-là le théâtre n’avait été autant joué, ni pensé. On y réfléchit sur la vraisemblance et la convention, sur le merveilleux et l’arbitraire. Et c’est dans cette période que, en majeure partie grâce à Pierre Corneille, triomphe la régularité, à la fois dans la théorie et dans la pratique, avec l’imposition de la triple unité de temps, de lieu, et d’action. Il se trouve que l’âge d’or de la tragi-comédie en France, genre résolument irrégulier, est aussi celui de l’imposition des trois unités sur le théâtre français : le paradoxe n’est qu’apparent, car les deux phénomènes se complètent et sont indissociables. La coïncidence temporelle entre le triomphe d’un genre dramatique et l’intense période de réflexion dramaturgique n’est pas une simple coïncidence épistémologique : et la tragi-comédie, au cœur du débat théorique sur les règles et la vraisemblance, est l’un des principaux outils de la rénovation moderne du théâtre.
a- Que se passe-t-il sur le front théorique ?
24Le front des modernistes est virulent, qui attaque les règles castratrices des Anciens.
25Ogier préface de façon tonitruante la réécriture tragi-comique de Tyr et Sidon (1628) :
La poésie, et particulièrement celle qui est composée pour le théâtre, n’est faite que pour le plaisir et le divertissement, et ce plaisir ne peut procéder que de la variété des événements qui s’y représentent, lesquels ne pouvant pas se rencontrer facilement dans le cours d’une journée, les Poètes ont esté contraints de quitter peu à peu la pratique des premiers qui s’étaient resserrés dans des bornes trop étroites.5
26Isnard, dans la préface de la Filis de Scire, de Pichou, évoque la règle des vingt-quatre heures du point de vue des Irréguliers :
C’est une tyrannie pour le poète qui ne peut éclore ses inventions ni ses pensées que dans la liberté de son esprit.6
27L’antithèse liberté/tyrannie organise la revendication irrégulière et moderniste, structure antithétique dont on retrouve le premier constituant dans la préface de Clitandre :
Je me donne ici quelque sorte de liberté de choquer les Anciens [...].7
28Mareschal préface sa tragi-comédie de La Généreuse Allemande :
Revenons aux Anciens. Je n’ai résolu de les combattre, ces puissants génies à qui nous devons du moins cette gloire de nous avoir ouvert le chemin aux grandes choses : les moindres de l’Antiquité me passeront toujours pour excellents ; mais les plus excellents aussi me permettront de dire qu’ils n’ont pu s’empêcher de faillir. Sophocle le plus juste des poètes grecs, Euripide qui lui dispute cette gloire Eschyle, Menander, et tous les autres seraient contraints de me l’avouer si je n’avais peur que ma témérité leur tournât à honte, de leur montrer dans leurs écrits des fautes qui ont été des exemples d’imitation à la postérité.8
29Durval écrit en 1637 son Traité de la disposition du poème dramatique (dit le “ Discours à Cliton ”).
30Parallèlement à cette offensive contre ce qui est appelé les “ règles des Anciens ”, se développe une réflexion sur ces mêmes règles, réflexion visant à les fonder en raison. D’Aubignac affirme ainsi :
[...] les règles du Théâtre ne sont pas fondées en autorité, mais en raison [...] elles ne sont pas établies sur l’exemple, mais sur le Jugement naturel. Et quand nous nommons l’Art ou les Règles des Anciens, c’est parce qu’ils les ont pratiquées avec beaucoup de gloire [...] C’est pourquoi dans tout ce discours j’allègue fort rarement les Poèmes des Anciens.9
31La réaction contre l’autorité des Anciens va donc aboutir à un système régulier fondé en raison : la référence majeure, la Poétique d’Aristote, se trouve passée au crible de la modernité française et de ses raisonnements sur la vraisemblance. C’est l’objet de l’entreprise de Chapelain (préfacier de L’Adone de Marino, futur auteur des Sentiments de l’Académie sur Le Cid) dans sa très célèbre Lettre sur les vingt-quatre heures (29 novembre 1630). Il rédige en 1635 deux versions de son Discours de la poésie représentative :
[...] la poésie représentative [...] a pour objet l’imitation des actions humaines, pour condition nécessaire la vraisemblance, [...] et sur le fondement de la vraisemblance si requise, les Anciens ont compris l’action scénique dans le jour naturel [...].10
32Le mot de “ fondement ” rappelle que l’enjeu de son propos consiste à démontrer la nécessité des règles : la pratique antique est exemplaire seulement parce qu’elle se fonde sur l’exigence logique de la vraisemblance absolue, entendue comme imitation parfaite. La confrontation des différentes voies de la modernité théorique révèle un accord profond : il est temps d’en finir avec la toute-puissante autorité d’Aristote et de sa Poétique, ou, plus exactement, il est temps de soumettre Aristote au filtre de la pensée moderne.
b- Tragi-comédie versus tragédie
33Dans ce contexte, la tragi-comédie apparaît offrir un espace de contestation idéal. La tragi-comédie est un genre résolument moderne, c’est-à-dire qui n’a pas de garant ou de modèle dans l’Antiquité. Elle s’oppose donc point par point au seul modèle dûment établi, et par la théorie, et par la pratique : la tragédie aristotélicienne, ou plutôt à l’image de la tragédie aristotélicienne, telle que des siècles de traductions et d’exégèses l’avaient façonnée, et telle que les réflexions sur le vraisemblable la transforment encore. Car, si l’on sait qu’Aristote fonctionne en France comme référence absolue (en matière métaphysique d’abord), ce qu’on sait moins, peut-être, c’est que le texte d’Aristote parvient en France par la double médiation de la langue (au minimum, du grec au latin, puis du latin au français, et le plus souvent, du grec au latin, du latin à l’italien, puis de l’italien au français). Ce qui signifie que le texte de La Poétique est accompagné d’une cohorte de commentaires qui l’ont déjà trahi. Ainsi le malheur, la mort, et le dénouement funeste ne sont pas des critères aristotéliciens, mais fonctionnent comme tels pour définir la tragédie. La tragi-comédie fera donc du dénouement heureux sa spécificité. Ainsi la célèbre expression d’Aristote à propos de la “ révolution de soleil ” n’engage pas forcément la continuité temporelle de l’action, mais passe pour telle. La tragi-comédie brisera allègrement les lois de la liaison des scènes. Ainsi l’unité de lieu est parfaitement étrangère à La Poétique d’Aristote, mais passe pour en être l’un des préceptes. La tragi-comédie traversera tous les continents.
34Du coup, cette radicalisation moderniste a pour conséquence de fixer des lois pour la tragédie elle-même. Mais lois elles aussi modernes, qui n’ont pas grand-chose à voir finalement avec la poétique aristotélicienne. D’ailleurs, et c’est la logique même de ce mouvement de contestation révérente, les règles prétendument antiques sont appliquées pour la première fois en France dans un genre résolument moderne, dont l’existence n’est en rien attestée par les Anciens : la première pièce française qui respecte les trois unités est une … tragi-comédie pastorale (La Silvanire de Mairet en 1630). La même année voit la première expérimentation cornélienne de l’unité de temps : là encore, le coup d’essai a lieu dans une tragi-comédie de Clitandre.
35Je voudrais donc souligner ici l’idée que l’imposition des règles et l’invention du genre irrégulier qu’est la tragi-comédie sont les deux versants d’une même lecture et d’une même trahison du texte aristotélicien. Si la tragi-comédie est un genre nouveau, qui tourne le dos à tout ce qui s’est fait ou dit dans l’Antiquité, la tragédie qui sera dite régulière n’est guère plus docile, elle qui invente, pour cautionner l’imitation absolue, une doctrine aristotélicienne qui n’existe pas.
c- Émotions tragiques / émotions tragi-comiques
36Ce sont bien les doctes qui ont imposé sur les théâtres français à la fois l’invention de ce nouveau genre et l’impératif absolu de la régularité : ils n’auront de cesse de faire coïncider ces deux inventions en théorisant une tragi-comédie régulière. Ainsi, dès sa naissance, ceux-là mêmes qui défendaient la tragi-comédie comme invention dramatique moderniste et majeure tentaient de lui trouver des garants antiques ou tentaient d’en résorber la naturelle irrégularité11 ; mais en même temps, ils la légitimaient comme tragédie à fin heureuse. Les ambiguïtés des modernistes réguliers vont toutes dans le même sens : ils condamnent la tragi-comédie en la rapportant à la tragédie à fin heureuse ; ce faisant, ils présupposent l’identité des événements qui les structurent toutes deux, les “ accidents graves et funestes ”12.
37Ils postulent donc implicitement l’identité de leurs fonctionnements pathétiques.
38Or, si la tragi-comédie sert à quelque chose dans la connaissance de notre théâtre tragique, c’est bien à nous apprendre à distinguer deux types d’émotions que la critique, à partir du phobos aristotélicien, a l’habitude de confondre sous le nom de “ crainte ”. La première s’impose quasi naturellement : il s’agit de la crainte fictionnelle, dramatique, événementielle, celle qui fait frémir quand on se demande “ Comment tout cela va-t-il finir ? ”. Cette crainte porte sur le sort des personnages traversant de graves périls ou, comme l’écrit Desmarets de Saint-Sorlin, traversant des “ accidents graves et funestes ”.
39Peut-il y avoir équivalence entre ce suspens fictionnel et le phobos théorisé par Aristote ? Le théoricien grec décrit la crainte que le spectateur, à partir de la pitié que lui inspire la douloureuse situation des personnages13, éprouve pour lui-même. Chacun sait que la définition aristotélicienne, tout en décrivant le phobos comme “ une peine et un désordre ” et l’eleos comme une “ peine ” (“ si éprouver le phobos, c’est trembler pour soi, éprouver l’eleos, c’est trembler pour un autre ”14), insiste sur leur interdépendance : “ Sont à craindre toutes les choses qui, arrivant ou menaçant d’arriver à d’autres, provoquent la pitié ”15. Ou encore, “ ce que l’on craint pour soi-même, on en a pitié quand cela advient aux autres ”16. En d’autres termes, le phobos dépend de la part de responsabilité personnelle que le personnage a engagée dans la fabrication de son propre malheur, faillibilité laissant ainsi toute latitude au spectateur de craindre la sienne propre, et son châtiment.
40Les événements tragiques découlent de la faillibilité du héros alors que les événements tragi-comiques sont produits par le hasard. Dès lors, de qui le spectateur de la tragi-comédie peut-il avoir pitié, et que peut-il craindre pour lui-même ? Question qui revient à s’interroger sur la cause des malheurs dans la tragi-comédie, cause toujours externe et due aux malveillances des rivaux ou aux mauvaises rencontres. Certes, le spectateur de la tragi-comédie peut difficilement craindre de se retrouver aux prises avec des pirates, emprisonné par le roi son rival, contraint au travestissement pastoral… : la situation tragi-comique, du fait de l’extériorité constante de l’obstacle, remplace la crainte morale par le suspens fictionnel. Or, tous les théoriciens modernistes, de d’Aubignac à Desmarets, légitiment la chose tragi-comique à la condition de la rapporter à une tragédie à fin heureuse : en rapprochant les événements funestes de la tragédie et de la tragi-comédie, ils gomment ainsi la fondamentale différence de leurs effets.
d- La légitimation doctrinale du passe-temps
41Or neutraliser les effets de la péripétie tragique tout en continuant d’exploiter l’action violente et sérieuse qui la constitue, c’est s’exposer à transformer l’effet pathétique en passe-temps.Et c’est bien la spécificité de l’émotion tragi-comique : le paradoxe de la tragi-comédie est en effet d’annoncer, par le fait même qu’elle finit toujours bien, le dénouement heureux, alors même que le genre ne fonctionne que sur des émotions réduites au seul suspens dramatique. Dans la tragi-comédie, les émotions correspondent donc à de fausses peurs, puisque les héros morts sont toujours de futurs ressuscités : le genre s’inscrit dans l’illusion de son propre discours, et place son spectateur dans une situation confortable de certitude.
42La question se pose alors de savoir ce qui reste, à part le divertissement gratuit que l’on peut appeler “ passe-temps ”. La notion de “ passe-temps ” se trouve d’ailleurs clairement théorisée au sein même de l’action tragi-comique, par des personnages qui disent se complaire dans l’“ agréable suspension ” et le divertissement gratuit. Il peut s’agir d’une suspension explicitement vouée au rire, lorsque les personnages-types de la comédie sont convoqués, comme le type du soldat couard et fanfaron que Rotrou exploite souvent. Il peut s’agir, et c’est souvent le cas, de fausses morts, où le spectateur n’a qu’à attendre la résurrection des héros. Ces moments de suspension dramatique, où l’action principale se résorbe dans la broderie de l’enjouement, sont à l’image de l’ensemble : l’action même de la pièce n’est qu’une broderie destinée à retarder jusqu’au dernier acte le mariage des deux jeunes gens que le premier acte avait séparés. C’est en fait la combinaison de deux critères qui fait la spécificité de l’émotion tragi-comique : le fait que l’événement soit extérieur, et qu’il finisse bien. Bref un théâtre d’aventures où la destination finale et sereine est inscrite d’avance.
43Par son opposition systématique au modèle aristotélicien, la tragi-comédie suscite l’engouement d’une modernité théâtrale avide de prouver sa spécificité et ses capacités littéraires.
44Mais sa légitimation doctrinale se fait au prix d’une manipulation théorique visant à valider le plaisir de l’aventure en le faisant passer pour tragique. Car les théoriciens de la modernité, définissant la tragi-comédie comme une tragédie d’heureuse fin, valident comme tragique l’événement grave et funeste que la tragi-comédie propose, alors même que cet événement est celui du théâtre d’aventures. La légitimation théorique du genre repose en fait sur la négation du plaisir propre qu’il produit : plaisir du passe-temps et du divertissement.
45Ce qui peut expliquer l’engouement de Richelieu, ministre d’Etat, pour ce type de spectacle, garantissant au peuple une salutaire occupation.
III- La légitimation institutionnelle. Institutionnaliser le passe-temps
46Amateur de théâtre par intelligence politique, le ministre de Louis XIII transforme l’art dramatique en moyen efficace de la propagande monarchique (la Gazette de Renaudot est fondée en 1631). Richelieu avait d’ailleurs pour ambition la réformation générale des théâtres et de l’art dramatique, vaste entreprise que la mort interrompit trop tôt : figurait dans ce projet la création de la fonction d’“ Intendant, ou Grand Maître des Théâtres et des Jeux publics de France ”, haute charge dont l’abbé d’Aubignac a longtemps espéré qu’elle lui reviendrait. Haute charge dont l’intitulé révèle la parenté entre les “ théâtres ” et les “ jeux ” : deux activités collectives dont Richelieu pouvait exploiter la fonction socio-régulatrice. Comme le rappelle d’Aubignac au début de son livre sur La Pratique du théâtre :
[…] comme il y a toujours dans un État une infinité de gens qui demeurent oisifs, […] cette fainéantise les porte ordinairement à s’abandonner à des débauches honteuses et criminelles[…] l’un des plus dignes soins de la bonté d’un Souverain envers ses Sujets, est de les empêcher tant qu’il peut d’être oisifs. De sorte que […] il leur faut donner les Spectacles, comme une occupation générale pour ceux qui n’en ont point.17
47Éviter l’oisiveté du peuple, c’est lui faire agréablement passer le temps.
Le plaisir les y attire sans violence, les heures de leur repos s’y écoulent sans regret, ils y perdent toutes les pensées de mal faire, et leur oisiveté même s’y trouve occupée.18
a- Richelieu et la tragi-comédie19
48Mais encore faut-il que cette occupation soit sans danger, politiquement parlant bien sûr : la tragi-comédie constituait à ce titre un champ exemplaire de divertissement. Car l’émergence de “ l’agréable suspension ”, à l’intérieur même des œuvres, signale de manière éclatante ce qu’est le genre : un passe-temps convenu, conventionnel, susceptible, par le consensus pathétique qu’il manifeste, de fédérer tous les publics. Et, contrairement à la tragédie, la tragi-comédie se moque de l’historicité de son intrigue, tandis que la noblesse de ses personnages leur assure une cohérence morale suffisante sans pour autant les propulser sur le devant de la scène politique. Certes, l’espace du pouvoir s’y trouve sans cesse convoqué, puisque les principaux personnages sont très souvent des souverains en exercice ou des princes héritiers : mais, pour l’amour d’une belle, ils n’hésitent pas à se déguiser, à se battre en duel, à mentir, à faire emprisonner leurs rivaux, brefs à agir comme hommes et non comme rois.
49Divertissement sans conséquence, la tragi-comédie offre une légèreté appréciable en ces temps où Richelieu plonge la France dans la guerre contre l’Espagne, où il tente de maîtriser l’indépendance des Parlements de province et des gouverneurs, où l’opinion dénonce l’alliance de la France avec les princes protestants. D’où l’intérêt de Richelieu pour la tragi-comédie en particulier. Ainsi ses initiatives politiques en faveur du théâtre sont-elles liées à la pratique tragi-comique :
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Fondation de l’Académie française en 1635 (25 janvier).
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Fondation du groupe dit des “ Cinq Auteurs ” (Colletet, Boisrobert, L’Estoile, Rotrou et un certain…Pierre Corneille) : atelier de travail.
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Construction surtout, du magnifique théâtre du Palais-Cardinal, qui sera inauguré en janvier 1641 (Les travaux, dirigés par l’architecte Jacques Le Mercier, demandèrent trois années. La salle a plus de 17 m de large et 35 m de long ; le parterre est remplacé par vingt-sept gradins de pierre, dont le dernier se situe à une hauteur de trois mètres. De plus, la salle dispose d’un rideau de scène, comme l’indiquent les gravures figurant dans une copie de Mirame).
50Ces trois initiatives sont liées, d’une façon ou d’une autre, au genre tragi-comique. Ainsi, le groupe des “ Cinq Auteurs ” sera-t-il invité par Richelieu à publier une tragi-comédie en 1638, L’Aveugle de Smyrne (et une Comédie des Tuileries jouée en 1635, publiée en 1638). En 1637, l’Académie française s’essaie à la censure et à la critique dramatique avec ses fameux Sentiments sur une … tragi-comédie, Le Cid (20 décembre 1637). Enfin, le magnifique théâtre du Palais-Cardinal sera inauguré en 1641 avec la création d’une pièce que le Cardinal avait commandée à Desmarets de Saint-Sorlin : il s’agit là encore d’une…tragi-comédie, Mirame. Manifestement, Richelieu, amoureux de la modernité, sans doute par volonté politique d’inscrire le théâtre dans son temps, privilégie la tragi-comédie dont l’âge d’or correspond précisément à celui de la puissance cardinalice.
b- Littérariser le divertissement : Mirame
51Aussi, fort logiquement, l’ambition du ministre sera-t-elle de légitimer littérairement le discours tragi-comique en lui imposant une régularisation moderniste qui prétend faire retour en raison sur les préceptes antiques. Le pari serait ainsi gagné, et le salutaire divertissement du peuple pourrait ainsi obtenir ses lettres de noblesse, et plus exactement, gagner la noblesse des lettres. Car le mouvement imprimé au théâtre par les institutions littéraires dominées par Richelieu est de le faire passer de l’art du spectacle à la littérature, et à la grande littérature.
52Richelieu sera aidé dans cette tâche par Desmarets de Saint-Sorlin, “ Conseiller du Roi et Contrôleur général de l’extraordinaire des guerres ”20. Homme de lettres, secrétaire, Desmarets est au service de Richelieu depuis 1634, et fut le premier chancelier de la jeune Académie. C’est dans ce contexte de commandite qu’il faut situer l’ensemble de sa production dramatique, dominée par la tragi-comédie : aux côtés de deux comédies, Aspasie en 1636 et Les Visionnaires en 1637, et d’une comédie héroïque, Europe en 1642, il fait paraître quatre tragi-comédies, Scipion et Roxane en 1639, Mirame et Erigone en 1641. Effet d’une mode à laquelle il daigne se plier, sa pratique tragi-comique est avant tout service cardinalice. Voilà pourquoi Mirame, fastueuse production que Richelieu lui a commandée, peut-être considérée comme exemplaire du sort réservé à la tragi-comédie, produit générique que les institutions politiques veulent littérariser.
53La tragi-comédie de Mirame inaugure donc le théâtre du Palais Cardinal : cette pièce occupe une place singulière. La pièce est prête dès 1639, elle sera jouée le 14 janvier 1641, au moment où le Cardinal fête un double triomphe : l’inauguration de la grande salle de théâtre et le mariage de sa nièce (Claire-Clémence, fille de la sœur de Richelieu et du maréchal Urbain de Maillé-Brézé, avec le duc d’Enghien, de la famille des Condé, princes du sang et habilités à porter la couronne : le duc d’Enghien est le cinquième personnage du royaume (le roi a deux fils ; Gaston d’Orléans, frère du roi, n’a pas de fils ; après lui vient le prince de Condé, père du duc d’Enghien). Le neveu de Richelieu est donc le cinquième personnage du royaume. Et la salle de théâtre est la plus belle de ce royaume. La tragi-comédie de Desmarets traduit ce double triomphe cardinalice.
54L’intrigue de Mirame est on ne peut plus romanesque et convenue. Mirame, la fille d’Acaste, roi de Bithynie, avait jadis été promise au prince de Colchos, mais celui-ci est mort. Désormais courtisée par un souverain allié, le roi de Phrygie, Azamor, elle le repousse en prenant prétexte de sa fidélité et de son amour pour le prince défunt. Elle est en fait amoureuse d’un ennemi, Arimand, favori et ambassadeur du roi de Colchos. Ce guerrier, animé par l’amour pour la princesse, menace de sa flotte le royaume de Bithynie pour conquérir, avec son accord secret, la jeune femme. Fait prisonnier après le combat naval, il se tue en se plongeant une épée au travers du corps, suivi de peu par la princesse qui absorbe un breuvage empoisonné. On apprend à ce moment, c’est-à-dire trop tard, qu’il était en fait prince de Phrygie et frère d’Azamor, et que le roi de Colchos l’avait désigné pour successeur. Heureusement, personne n’est mort (le poison était un amer mais inoffensif breuvage, et l’épée avait opportunément glissé le long des côtes du héros). Voilà quelle pièce inaugure, en grande pompe, le premier des théâtres modernes ! Voilà quelle pièce signale, aux yeux de Richelieu, la réformation réussie du théâtre français !
55La pauvreté même de cette intrigue en est sa justification : le discours de cette pièce est politiquement correct, et recourt au traditionnel mystère de l’identité princière, qui seule, peut expliquer le génie militaire et l’amour d’une princesse. Arimand, génial stratège et héroïque amoureux, ne pouvait être qu’un roi méconnu. Tous les ingrédients du genre (c’est-à-dire tous les traits constitutifs du genre) s’y retrouvent et participent à l’affirmation réitérée du consensus politique que veut obtenir Richelieu : le spectacle inoffensif et divertissant de la tragi-comédie participe à l’établissement del’état moderne où l’ordre héroïque ne peut être que monarchique.
56Il s’agit de littérariser le spectacle théâtral.Le déficit sémantique se trouve compensé par un soin excessif apportée à la forme : car il s’agit de légitimer le discours tragi-comique en littérarisant le spectacle. Il faut donc l’habiller des signes repérables de la littérarité légitimée, tant dans le champ de la poétique que dans celui de la production économique : il faut lui affecter les règles issues de la modernité révisant Aristote et lui assurer une reconnaissance matérielle. Ces deux stratégies sont suivies à la lettre pour cette tragi-comédie cardinalice qu’est Mirame. La reconnaissance matérielle est assurée à la pièce de Desmarets, tant dans la représentation que dans l’impression, par un investissement financier très important. La Gazette décrit l’événement :
La France, ni, possible, les pays étrangers n’ont jamais vu un si magnifique théâtre, et dont la perspective apportât plus de ravissement aux yeux des spectateurs […] de fort délicieux jardins, ornés de grottes, de statues, de fontaines et de grands parterres en terrasses sur la mer, avec des agitations qui semblaient naturelles aux vagues de ce vaste élément, et deux grandes flottes dont l’une paraissait éloignée de deux lieues, qui passèrent toutes deux à la vue des spectateurs. La nuit semble arriver ensuite par l’obscurcissement imperceptible tant du jardin que de la mer et du ciel qui se trouva éclairé de la lune. À cette nuit succéda le jour qui vint aussi insensiblement avec l’aurore et le soleil qui fit son tour […]21.
57La luxueuse édition de Mirame in quarto révèle cette double légitimation. La comparaison des cinq gravures révèle le travail effectué sur la lumière : la première gravure montre une grande luminosité ; puis la gravure du premier intervalle d’acte (entre les pages 20 et 21) montre une scène nocturne, éclairée par la lune ; celle du deuxième intervalle (entre les pages 40 et 41) signale l’aurore, avec le lever du soleil ; celles du troisième (entre les pages 62 et 63) et du quatrième (entre les pages 82 et 83) sont éclairées par un soleil à son zénith. Ce procédé révèle la convergence de trois soucis : la facture luxueuse de l’impression, la complexité de la mise en scène, et enfin le respect scrupuleux de l’unité de temps. Car la mise en scène choisie et chèrement payée par le Cardinal, ainsi que les gravures ajoutées à l’impression de l’ouvrage, outre de plaire aux yeux, ont aussi pour fonction essentielle de révéler la scrupuleuse attention apportée aux vingt-quatre heures. C’est-à-dire d’exhiber la légitimité doctrinale de l’œuvre.
58La pièce apparaît comme une exacte application des recettes de la poétique et de la politique modernistes : or la recherche du prestige littéraire appliqué au spectacle, et même au beau spectacle, n’est bien sûr pas le gage de la littérarité. Mirame n’a plus sa place dans les bibliothèques ou les éditeurs. Citée pour le faste de sa mise en scène, c’est-à-dire pour l’art du spectacle qu’elle manifestait, elle est désormais dans les rayons de la sous-littérature, pièce mineure, œuvre plus générique que littéraire.
59Car la littérarisation du théâtre, comprise comme la scrupuleuse application d’une poétique, le fait paradoxalement sortir de la res litteraria pour entrer dans le générique, et le cantonne dans le champ du divertissement. L’union stratégique des éléments spectaculaires et des éléments littéraires peut faire un bon spectacle théâtral, mais ne garantit pas la grande littérature. De même que les ingrédients des romans Harlequin feront passer un (bon ?) moment, mais n’entreront pas dans le littéraire. Si le théâtre a à voir avec la littérature (et avec l’œuvre d’art), c’est qu’il a à voir avec la vision de l’homme : sans soubassement anthropologique, le théâtre n’est que spectacle et la littérarité n’est que généricité.
60Alors si l’on veut poser la question de la généricité et de la littérarité, la comparaison entre Mirame et le Cid reste féconde. Amateur de tragi-comédies, Richelieu aurait dû apprécier la tragi-comédie du Cid. Pourquoi Richelieu n’a-t-il pas été le partisan du Cid et pourquoi a -t-il été partie prenante dans la Querelle du Cid ? On explique cette hostilité par celle qui l’aurait opposé à la personne de Corneille (qui aurait par exemple renâclé à participer au groupe des Cinq Auteurs) : on l’explique encore par une jalousie d’auteur (Richelieu se piquant d’écrire, il aurait été envieux des succès de Corneille). Mais il faut y lire aussi l’opposition cardinalice à une vision de l’homme qu’il ne peut politiquement ratifier. Il ne s’agit pas de l’image du roi-juge, Don Fernant, qui propose à son brillant sujet une justice d’exception : et même si tout un pan de la critique cornélienne a pu y voir l’incarnation du conflit du roi soumis à ses tout-puissants sujets ; le problème, c’est que de nombreuses tragi-comédies présentent ce type de résolution politique.
61Ce qui a gêné Richelieu, ce n’est pas le discours politique, d’ailleurs explicitement orthodoxe et révérent : c’est l’anthropologie cornélienne, qui donne aux personnages principaux la liberté de penser, de choisir, y compris de refuser leur propre mort. Les héros cornéliens sont les seuls sans doute de tout le théâtre tragique français à refuser le suicide22. C’est précisément ce qui a ébloui et bouleversé ses contemporains : l’introduction de l’obstacle intérieur dans la dramaturgie permettait moins la maîtrise héroïque des passions (somme toute orthodoxe) que l’affirmation de la liberté de vivre.
62Mirame, à aucun moment, ne pose le problème d’une âme qui choisit de résister à la fois à la tentation de la mort et à l’impossibilité de la vie : cascade de fausses morts. Avec Le Cid, la tragi-comédie devient réflexion sur l’homme dans le monde : peu importe que son discours politique soit révérent, orthodoxe, et en accord avec la vision du Cardinal. Le théâtre, pour le Cardinal, est moins le lieu où l’on pense que le lieu où l’on se divertit. Le Cid constitue la transgression du genre tragi-comique par l’introduction de l’intériorité dans une poétique de l’extériorité : délivrant une vision de l’homme, Corneille sortait du générique pour entrer dans le littéraire. Seule la transgression du genre, c’est-à-dire la transgression de la construction générique critique, permet le littéraire : la tragédie française dont Le Cid signe l’acte de naissance, loin d’être le modèle du respect, est celui de l’irrévérence. Ainsi, en 1642, Cinna, pièce quasiment contemporaine de Mirame, finit bien : mais Corneille ne l’appelle pas tragi-comédie, mais tragédie, signe que la recette de la fin heureuse doit sortir de la seule fabrication du genre tragi-comique pour participer à l’invention d’une nouvelle forme de tragédie et de tragique.
63En 1642, Richelieu est mort. La réformation littéraire du théâtre, appelée par les vœux de Richelieu, sera effective, mais ne passera pas par la tragi-comédie, mais par la tragédie, et, de surcroît par la tragédie politique. Peut-être parce que la littérature, si elle a à voir avec le passe-temps ou le divertissement spectaculaire, ne peut s’y confondre et encore moins s’y résorber.
Notes de bas de page numériques
1 La Tragi-comédie en France de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2001.
2 Aristote, La Poétique, chap. 6, 50 b 15, éd. Dupont-Roc et Lallot, Seuil, 1980, p. 57.
3 Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, vol. I, Paris, Albin Michel, 1997, p. 424‑425 (1ère éd. Paris, Domat, 1948).
4 Corneille, Œuvres complètes, édition de Georges Couton, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, vol. I, 1980 (cité désormais sous la forme OC.I), p. 786.
5 Tyr et Sidon, Tragicomédie Divisée en deux journées, éd. Joseph W. Barker, Paris, Nizet, 1975, p. 153, (1ère édition : Paris, Robert Estienne, 1628).
6 Pichou, La Filis de Scire, Paris, Targa, 1631, non paginée.
7 OC I, p. 95.
8 La Généreuse Allemande, 2ème journée, Paris, Pierre Rocolet, 1631, non paginée.
9 La Pratique du théâtre, livre I, chap. 4, éd. H. Baby, Champion, 2001, p. 26 (1ère édition 1657).
10 Texte édité dans les Opuscules critiques, éd. Alfred C. Hunter, S.T.F.M., Genève, Droz, 1936, p. 128.
11 Voir par exemple les positions théoriques d'Ogier, La Mesnardière, Chapelain, Sarasin, Desmarets et d'Aubignac.
12 “ Toutefois, j'ai considéré que le mot de tragi‑comédie est un terme trop usité maintenant, et duquel trop de gens se sont servis pour exprimer une pièce dont les principaux personnages sont Princes, et les accidents graves et funestes, mais dont la fin est heureuse, encore qu'il n'y ait rien de comique qui y soit mêlé, ” écrit Desmarets dans la préface de Scipion, Henri Le Gras, 1639, non paginée.
13 Nous renvoyons au livre de Georges Forestier, Règles classiques et passions tragiques, PUF, 2003 ; et à notre étude sur les émotions dans Esther et Athalie, à paraître chez L'Harmattan en 2005.
14 Aristote, éd. cit., note 3 du chapitre 6, p. 189.
15 Rhétorique, II, 1382 b sq., cité par Dupont-Roc et Lallot, p. 239.
16 Rhétorique, II, 1383 a 11., cité par Dupont-Roc et Lallot, p. 242.
17 La Pratique du théâtre, livre I, chap. I, éd. cit., p. 42.
18 Ibid.
19 Voir le livre toujours important de G. Couton, Richelieu et le théâtre, PUL, 1986
20 Deux fonctions indiquées dans le privilège général accordé à Desmarets ; voir infra.
21 Cité par H. C. Lancaster, A History on French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1929-1942 (9 vol),part II, vol. II, p. 376.
22 Le cas de Sophonisbe est un hapax qui passe trop souvent inaperçu (Sophonisbe, 1663).
Annexes
Repères chronologiques pour une étude de la tragi-comédie en France au 17 ème siècle
1608 : publication de Tyr et Sidon, tragédie, de Jean de Schelandre
1624 : Richelieu entre au Conseil du Roi
1625 : préface de l’Adone de Marino par Chapelain
1628 : publication de Tyr et Sidon, tragi-comédie, de Jean de Schélandre
1628 : préface de Tyr et Sidon par Ogier
1630 : Lettre sur les vingt-quatre heures de Jean Chapelain
1631 : préface de La Silvanire par Mairet (Préface, en forme de discours poétique)
1631 : préface de La Généreuse Allemande par Mareschal
1631 : Discours à Cliton par Durval (Traité de la disposition du poème dramatique)
1632 : publication de Clitandre, tragi-comédie, de Pierre Corneille
1634 : fondation du théâtre du Marais
1635 : Discours de la poésie représentative de Chapelain
1635 : création de l’Académie Française
1635 : la troupe des Comédiens du Roi s’installe à l’Hôtel de Bourgogne
1637 : publication du Cid, tragi-comédie, de Pierre Corneille
1637 : Les Sentiments de l’Académie Française sur la tragi-comédie du Cid (rédigés par Jean Chapelain)
1640 : fondation de l’Imprimerie Royale
1641 : inauguration du Palais-Cardinal avec Mirame, tragi-comédie, de Desmarets
16 avril 1641 : déclaration royale (réhabilitation des comédiens)
1642 : mort de Richelieu
1642 : publication de Cinna, tragédie, de Pierre Corneille
1648 : publication du Cid, tragédie, de Pierre Corneille
Pour citer cet article
Hélène Baby, « Littérarité et généricité : l'exemple de la tragi-comédie en France au XVIIe siècle », paru dans Loxias, Loxias 8 (mars 2005), mis en ligne le 15 mars 2005, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/lodel/docannexe/file/7601/%20http:/www.lejdd.fr/Politique/index.html?id=105.
Auteurs
Université de Nice Sophia-Antipolis. Ancienne élève de l’École Normale Supérieure, agrégée des lettres, docteur ès lettres, habilitée à diriger des recherches, Hélène Baby est maître de conférences à l’Université de Nice. Auteur de plusieurs travaux sur le théâtre du XVIIe siècle français, elle a notamment publié un ouvrage consacré à la tragi-comédie de l’âge baroque (La tragi-comédie en France de Corneille à Quinault, Klincksieck, 2001) et a fourni une édition critique de La Pratique du théâtre de l’abbé d’Aubignac (Champion, 2002). Elle travaille actuellement sur la critique dramatique à l’époque classique.