Loxias | 71. Autour du programme d'agrégation 2021 | I. Autour du programme d'agrégation 2021 

Delphine Reguig  : 

Boileau politique ? Du motif de la « ville » à la « nation des poètes » (Discours sur la satire)

Résumé

Il s’agit ici d’aborder la question d’une éventuelle politique du poète. Boileau imite à plusieurs reprises le motif horacien du retrait de la ville comme espace urbain et symbolique à la fois. Il approfondit pourtant ce thème de la situation du poète dans l’espace social en lui conférant une dimension politique. Cet aspect lui a été en partie imposé par les réactions hostiles aux Satires de 1666 qui l’accusaient de représenter un danger pour l’État. On interroge ici la profondeur de sa réponse et on se demande ce que recouvre exactement le geste du satirique qui se prononce pour chasser les mauvais poètes de la cité.

Abstract

This paper deals with the question of a possible poet’s political intention. Boileau repeatedly imitates the horacian motif of the withdrawal from the city as an urban and symbolic space. However, he deepens this theme of the position of the poet in the social space by giving it a political dimension. This aspect was partly imposed on him by the hostile reactions to the Satires of 1666, which accused him of being a danger to the state. Here we question the depth of his response, and wonder what exactly is meant by the gesture of the satirist who speaks out to drive bad poets out of the city.

Index

Mots-clés : Boileau (Nicolas) , épopée, Louis XIV, politique, satire

Géographique : France

Chronologique : XVIIe siècle

Plan

Texte intégral

La question politique est traditionnellement liée à la représentation et à l’exercice de la poésie. Sous le nom d’Homère, la poésie s’invente avec le genre de l’épopée où le héros se consacre à la fondation ou à la défense d’une civilisation. Dans la Poétique, Aristote vient inverser la malédiction platonicienne du livre X de la République où le philosophe recommande de chasser les poètes de la cité. Avec Horace, le mythe de la vertu civilisatrice de la poésie s’affirme sous les figures d’Orphée et d’Amphion, le premier domptant les tigres et lions féroces, le second construisant Thèbes au son de la lyre (v. 391-396). Ce thème politique se décline de trois façons chez Boileau. Le poète, qui admire fermement la grandeur de l’épopée antique, et comme Aristote associe idéalement Homère et la poésie épique, reprend ce mythe au Chant IV (v. 133-172) de son propre Art poétique où la naissance de la poésie s’associe au développement harmonieux de l’organisation politique et sociale1. Dans les Satires auparavant, le poète aborde la cité dans sa réalité plus triviale et empirique en imitant à plusieurs reprises le motif antique du retrait de l’espace urbain (Satire I et Satire VI), imitation qui se poursuit avec l’Épître VI cette fois postérieure à l’Art poétique. Le poète est alors représenté dans sa difficulté à s’insérer dans ce que nous appellerions le « tissu social » : il est contraint à la fois par la précarité et par l’intransigeance de sa verve satirique, habilement liées, à une fuite loin de la cité. On retrouve pourtant le poète dans une position assez différente lorsqu’il réagit à la querelle déclenchée par l’édition des Satires de 1666. Boileau ne s’éloigne pas alors de son propre chef de l’espace social mais se trouve menacé d’exclusion hors de l’espace institutionnel des lettres puisqu’il se trouve accusé de représenter un danger pour l’État2. Les adversaires du satirique s’en prennent à lui comme menace contre la « politique » telle que la définit Furetière : « La première partie de la Morale, qui consiste en l’art de gouverner et de policer les États pour y entretenir la sûreté, la tranquillité, et l’honnêteté des mœurs. »

De fait, la métaphore politique est initiée dès l’adresse du libraire au lecteur de la première édition des Satires de 1666 où il est question du Parnasse « pays de liberté3 ». La condition du poète est alors assimilée à celle d’un citoyen dans un ensemble politique conflictuel, loin des représentations mythiques d’un âge d’or de la lyre. Dans le Discours sur la satire, la réponse de Boileau elle-même, au cœur de la querelle des Satires, consiste à se prononcer pour chasser, par le ridicule, les mauvais poètes de la cité. Exclusion contre exclusion : en réaffirmant, pour exprimer cette réponse, le choix du genre de la satire, dans sa version véhémente inspirée de Juvénal, Boileau ne craint pas de créer du désordre, comme s’il prenait la vertu harmonisante de l’activité poétique à contre-emploi. Par la suite, à partir du sobriquet de « Régent du Parnasse » dont Boileau a été affublé, l’image de la domination politique a été régulièrement convoquée par l’historiographie pour évoquer la place du poète dans le champ des belles-lettres, comme en témoigne la désignation choisie par Thibaudet : « Président » de la République des lettres4.

La métaphore politique nous intéresse donc à plusieurs titres pour aborder la démarche poétique de Boileau : l’inscription paradoxale dans la poésie bolévienne de l’imaginaire de la cité, en tant que communauté politique ordonnée ou déréglée, invite à chercher à comprendre la richesse de son traitement. Il faut pour cela éviter de s’en tenir au constat convenu d’un éloge supposé flatteur du roi auquel Boileau ne se rend jamais sans une certaine ambivalence. Le thème de la retraite loin de la ville hostile tend à apparaître comme le voile d’un investissement beaucoup plus direct et beaucoup moins marginal dans l’organisation politique du domaine des belles-lettres. Plus profondément, le choix du thème politique par le satirique lui permet d’une part de porter une poésie assumant la description et la production du dérèglement poétique, d’autre part de s’interroger sur la relation entre la nature d’un régime politique et la qualité de la poésie susceptible de s’y produire. Peut-être est-ce là sa manière si personnelle, et très dialectique, de s’inscrire pleinement dans l’œuvre de civilisation qu’il reconnaît lui-même dans l’histoire de la poésie. On cherchera ici à lire cette démarche en interprétant l’exil dramatisé du poète comme la première étape d’une émancipation poétique ; Boileau n’aurait peut-être pas écrit de satire en un autre temps que celui de la monarchie absolue : celle-ci, favorable au déploiement du genre comme le rappelle Pascal Debailly5, impose surtout au poète selon Boileau de s’exclure d’une part du rang des flatteurs, d’autre part de celui des poètes épiques, pour pouvoir récupérer les valeurs de la grande poésie depuis une position extérieure à sa pratique. C’est bien parce que Boileau est confronté à une crise du registre encomiastique qu’il ne pense l’inscription du poète dans la cité que sur un mode paradoxal et dialectique.

L’exil et la liberté

Le lecteur qui ouvre le recueil des Satires découvre, après le Discours au roi, un traitement dégradé de la question de la situation du poète dans l’univers urbain auquel la société humaine se trouve temporairement réduite. Boileau pose la question topique de la subsistance matérielle du poète dans un espace limité et hostile : la Satire I expose les adieux du poète à la ville et fait de celui-ci une figure poursuivie par ses créanciers, Damon, « ce grand Auteur, dont la Muse fertile / Amusa si longtemps, et la Cour et la Ville6 ». La question de la condition financière du poète, directement empruntée à Juvénal7, se trouve incarnée par la figure de Saint-Amant, qui « n’eut du ciel que sa veine en partage » et n’obtint jamais la reconnaissance matérielle que son talent poétique aurait dû lui procurer. Le choix de la satire concrétise alors la distance forcée du poète à l’égard du groupe urbain (« Je me retire donc. Adieu, Paris, adieu8 »). Imitée de la Satire III de Juvénal, la pièce emprunte aussi des éléments à la deuxième épître du livre II d’Horace9. Ce dernier y répond à Florus, qui lui reproche son inactivité poétique, en arguant de l’inhospitalité romaine pour un poète : Rome prive le poète du loisir d’écrire et de méditer tant elle l’accapare alors de ses obligations et de son désordre ; le satirique explique la nécessité pour le poète de chercher le silence et le calme d’une forêt10. On se souvient d’ailleurs que Boileau, éprouvant lui-même une telle aversion urbaine, dès qu’il a disposé des ressources suffisantes, en 1685, s’est installé à Auteuil, dans la maison avec jardin qu’Horace appelait de ses vœux, à l’abri du tumulte parisien et sans doute des déceptions qu’il nourrit. Il réitère ce motif topique, mais donc très familier, de l’exil poétique, dans la Satire VI, originellement liée à la Satire I, puis au chant IV de l’Art poétique le poète établit à nouveau un lien référentiel avec la situation contemporaine :

Mais quoi ! dans la disette une muse affamée
Ne peut pas, dira-t-on, subsister de fumée ;
Un auteur qui, pressé d’un besoin importun,
Le soir entend crier ses entrailles à jeun,
Goûte peu d’Hélicon les douces promenades :
Horace a bu son soûl quand il voit les Ménades,
Et, libre du souci qui trouble Colletet,
N’attend pas, pour dîner, le succès d’un sonnet11.

Le retour du motif de l’absence de reconnaissance du poète est toutefois alors l’occasion d’un infléchissement. L’évocation au présent d’Horace et de Colletet, sans égard pour l’écart historique qui les sépare, dans une atemporalité qui établit une unité de destin entre les poètes, précède immédiatement l’éloge de Louis XIV protecteur des arts et donc recours indiqué pour les poètes menacés d’exclusion :

Et que craindre en ce siècle, où toujours les beaux-arts
D’un astre favorable éprouvent les regards,
Où d’un prince éclairé la sage prévoyance
Fait partout au mérite ignorer l’indigence12 ?

Or, c’est précisément en référence à ce roi mécène que Boileau justifie son entreprise consistant à chasser les mauvais poètes de la cité dont il s’agit de refaire la valeur depuis une position d’autant plus décisive qu’elle reste périphérique. La réaction de Boileau à la querelle des Satires s’énonce de fait en des termes à teneur délibérément politique. Le Discours sur la satire s’ouvre ainsi par l’expression éloquente de « nation des poètes » :

Quand je donnai la première fois mes Satires au Public, je m’étais bien préparé au tumulte que l’impression de mon Livre a excité sur le Parnasse. Je savais que la nation des poètes, et surtout des mauvais poètes, est une nation farouche qui prend feu aisément, et que ces Esprits avides de louanges ne digéreraient pas facilement une raillerie, quelque douce qu’elle put être13.

La nation, explique Furetière, désigne une collectivité « renfermée en certaines limites ou sous une même domination ». Et tel est bien l’enjeu en effet : celui de savoir quelle domination va s’exercer pour promouvoir quelle organisation politique. De ce point de vue, le satirique est à la fois marginal et central dans sa pratique. Léo Stambul, commentant la métaphore politique pour désigner le pouvoir littéraire de Boileau, souligne ainsi la disproportion expliquant directement la querelle de 1666 : « Contrairement à Chapelain, qui avait été directement commissionné pour établir la liste des auteurs à faire pensionner par le roi, Boileau ne disposait d’aucune fonction politique impliquant un pouvoir sur les autres14. » Et pourtant les Satires ridiculisent bien des puissants, académiciens, archevêques, auteurs gratifiés par le mécénat royal. C’est la raison pour laquelle Boileau a pu apparaître comme un danger public : les sept premières satires semblent s’émanciper de tout respect à l’égard des puissances et hiérarchies sociales, en poussant à l’extrême une logique d’autonomie du champ littéraire qui n’est pas encore acquise. C’est pourquoi ces satires ont fait scandale dans les milieux littéraires les mieux en vue à la cour, les plus proches du pouvoir, chargés par la monarchie d’illustrer les belles-lettres en français, Chapelain au premier chef. Car le premier bénéfice que Boileau retire de la représentation du domaine des belles-lettres au moyen d’une analogie juridique qui le structure comme un État est de le figurer comme un territoire privilégié où les citoyens jouissent de droits particuliers, et notamment d’une « franchise » où se rejoue la question cruciale de la liberté de parole. Feignant de s’excuser auprès des auteurs « qui pourront être choqués de la liberté qu’il s’est donnée de parler de leurs ouvrages, en quelques endroits de ses écrits15 », la voix de « l’avis au lecteur » ajoute que le poète :

les prie donc de considérer que le Parnasse fut de tout temps un pays de liberté ; que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant : que le sentiment d’un seul homme ne fait point de loi ; et qu’au pis-aller, s’ils se persuadent qu’il ait fait du tort à leurs ouvrages, ils s’en peuvent venger sur les siens, dont il leur abandonne jusqu’aux points et aux virgules16.

Pour réagir ensuite à l’agressivité déclenchée chez ses détracteurs, la Satire IX fait l’éloge de la satire (v. 267 sq.) comme genre et affirme, à travers la revendication de véracité notamment (v. 211 sq.), le pouvoir du poète : ce dernier ne s’affirme jamais mieux que dans la démarche de véridiction qui exclut de fait le satirique de la recherche de toute cohésion artificielle. Le Discours sur la Satire, auquel s’adosse cette Satire IX, défend quant à lui le procédé qui signe l’affirmation du sujet poétique : « la liberté que je me suis donnée de nommer ». Le satirique s’investit dans la dénomination directe en vertu de la tradition du genre et cela sur le fond de la situation politique précise de chaque poète. Boileau se défend donc en invoquant les précédents exemplaires de Lucilius, Horace, Perse, et Juvénal et en évoquant explicitement le régime politique sous lequel écrit chaque poète, c’est-à-dire ses conditions historiques d’exercice : « On me dira que Lucilius vivait dans une République, où ces sortes de libertés peuvent être permises. Voyons donc Horace, qui vivait sous un empereur, dans les commencements d’une monarchie, où il est bien plus dangereux de rire qu’en un autre temps17 ». Or Horace, écrit Boileau, malgré la menace, nomme « les gens par leur nom » et fait en sorte qu’on les reconnaisse sans faute18. C’est une forme d’indépendance de la parole satirique que Boileau souligne ainsi, une indépendance qui peut se lire comme une tentation anarchique, ainsi qu’en témoigne la violence des réactions aux premières satires de Boileau. La réponse que la Satire IX formule à leur encontre est un écho direct à ces accusations qui refusent de reconnaître au poète cette franchise au fondement de la parole satirique :

Mais ne voyez-vous pas que leur troupe en furie
Va prendre encor ces vers pour une raillerie ?
Et Dieu sait aussitôt que d’auteurs en courroux,
Que de rimeurs blessés s’en vont fondre sur vous !
Vous les verrez bientôt, féconds en impostures,
Amasser contre vous des volumes d’injures,
Traiter en vos écrits chaque vers d’attentat,
Et d’un mot innocent faire un crime d’État.
Vous aurez beau vanter le roi dans vos ouvrages,
Et de ce nom sacré sanctifier vos pages ;
Qui méprise Cotin n’estime point son roi,
Et n’a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni loi19.

Alors que ses adversaires étendent la signification politique de la satire en l’incluant dans les productions lettrées justiciables de la juridiction ordinaire, Boileau au contraire lui réserve un domaine propre en dessinant une juridiction spécifique au domaine des belles-lettres. L’exil, figure symbolique d’une séparation des pouvoirs, détermine en ce sens l’exercice de la liberté du satirique.

On se souvient de l’argument essentiel du Discours sur la satire qui consiste à revendiquer l’autonomie de la liberté satirique par rapport au pouvoir politique : « Tant il est vrai que le droit de blâmer les auteurs est un droit ancien, passé en coutume parmi tous les satiriques, et souffert dans tous les siècles20. » Il s’agit de préserver une magistrature poétique qui, précisément, empêche la corruption de la parole poétique par sa dégradation en flatterie, lieu central du Discours au roi mais aussi du Discours sur la satire qui continue de jouer une exclusion contre une autre : « Que répondront à cela mes censeurs ? Pour peu qu’on les presse, ils chasseront de la République des lettres tous les poètes satiriques, comme autant de perturbateurs du repos public21. » L’image utilisée par Boileau permet, par projection des structures institutionnelles de la société civile sur la République des lettres, de s’appuyer sur le « caractère intensément civique » de la satire que souligne Pascal Debailly, le genre constituant le moyen privilégié d’expression de la libertas qui définit à Rome « la capacité de l’homme libre à jouir de la plénitude de ses droits de citoyen22. » Pour Lucilius comme pour Ronsard, le discours satirique a pu représenter, explique Pascal Debailly, un « substitut d’action politique » lorsque cette dernière se trouvait entravée ou interdite23. C’est dans ce cadre que Boileau reprend le lieu platonicien de l’exclusion du poète de la cité mais en lui donnant un sens esthétique qui tient au règlement du rapport du chant du poète au roi.

La liberté et le roi

De fait, cette position aussi paradoxale que disproportionnée du satirique dans le corps politique sujet du roi se comprend au regard d’un autre paradoxe. Alors même que le jeune Louis XIV assume une ambition politique digne des plus grands souverains de l’histoire, Boileau est d’abord le témoin d’une reconfiguration des genres marquée par la déchéance de l’épopée. Les vers du chant IV de l’Art poétique célébrant la force civilisatrice de la poésie traduisent, on l’a vu, une réécriture du mythe dont il faut noter qu’elle met en valeur « l’harmonieuse adresse » du « discours » (v. 139), c’est-à-dire le logos, le discours en tant qu’instrument et reflet de la rationalité. C’est à cette « raison » législatrice (v. 133) que Boileau attribue l’œuvre de rassembler « les humains dans les forêts épars » (v. 141), d’enfermer « les cités de murs et de remparts » (v. 142). Le vers 145 conclut fortement : « Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers. » et il ne se représente jamais aussi nettement que dans l’épopée. C’est alors que réapparaît le thème de la précarité matérielle des poètes, cette fois en relation directe avec l’opposition structurante entre grandeur et indignité poétiques : « Mais enfin l’indigence amenant la bassesse, / Le Parnasse oublia sa première noblesse » (v. 167-168). S’ensuit une dénonciation de la dégradation opportuniste de l’art en activité mercantile qui permet d’introduire à sa suite l’éloge du roi protecteur des arts et favorisant la floraison d’un tableau de la poésie moderne où brillent Corneille, Racine, Benserade, Segrais (v. 187-220). Autrement dit, la poésie gagnerait à ne devoir sa grandeur qu’à son propre pouvoir bâtisseur, et l’alliance entre le roi et le poète ne devrait avoir lieu que dans le cadre du déploiement, réglé par le decorum, de la parole du second par rapport à la grandeur du premier : idéalement, le poète offre au roi une épopée digne du roi autant que du poète. Il ne s’agit pas, encore une fois, de céder à la facilité de l’hétéronomie poétique dont les effets sont ridiculisés dès le Discours au roi. Or, dans l’ordonnancement grandiose du Chant IV, subsiste, à titre d’obstacle, la poésie épique que Boileau n’aborde que sur le mode du questionnement et sous la forme de la virtualité :

Mais quel heureux auteur, dans une autre Énéide,
Aux bords du Rhin tremblant conduira cet Alcide ?
Quelle savante lyre, au bruit de ses exploits,
Fera marcher encor les rochers et les bois ;
Chantera le Batave, éperdu dans l’orage,
Soi-même se noyant pour sortir du naufrage ;
Dira les bataillons sous Mastricht enterrés
Dans ces affreux assauts du soleil éclairés24 ?

Ce que ces vers mettent précisément en question, c’est bien le mythe du poète bâtisseur face au roi façonnant son royaume. Dans le même Chant, les notations relatives aux conquêtes glorieuses de Louis XIV sont une concession à l’idéologie dominante associant étroitement gloire du monarque et épanouissement culturel de la nation. Elles demeurent toutefois ambiguës car elles sous-entendent que le règne de Louis XIV, dans l’étendue de son rayonnement glorieux, rend délicate et presque impossible sa juste célébration, et condamne donc l’épopée à l’échec. C’est bien la vertu cardinale de l’appropriation des mots aux choses (traitée de façon très ludique dans l’Épître IV) que la réalité historique du règne de Louis XIV met en péril. On le comprendra encore mieux en se référant à l’Épître VIII ou Boileau se projette à nouveau dans une Énéide impossible au moment même où le roi le nomme historiographe de son règne aux côtés de son ami Racine en 1677. Le texte s’ouvre sur un rappel de la nécessité de l’éloge pour ensuite pasticher ironiquement le grand style :

Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d’écrire.
Tu sais bien que mon style est né pour la satire ;
Mais mon esprit, contraint de la désavouer,
Sous ton règne étonnant ne veut plus que louer.
Tantôt d’une Énéide auteur ambitieux,
Je m’en forme déjà le plan audacieux :
Ainsi, toujours flatté d’une douce manie,
Je sens de jour en jour dépérir mon génie ;
Et mes vers en ce style, ennuyeux, sans appas,
Déshonorent ma plume, et ne t’honorent pas25.

Cette façon de représenter l’épopée comme un modèle absent car impraticable constitue le symptôme de la difficulté à représenter la royauté, à figurer le réel politique sous la monarchie absolue. Nommer les mauvais poètes, vouloir les tenir aux marges de la « nation des poètes », en prenant le risque de s’exclure soi-même de cette société très symbolique, c’est bien parler depuis cette inexistence de l’épopée, symptomatique des apories esthétiques et historiques devant lesquelles le règne personnel de Louis XIV place les poètes.

L’œuvre poétique de Boileau met de fait régulièrement en doute la possibilité de produire un éloge adéquat de Louis XIV : « Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile26. » Le silence attend celui qui tente de se mesurer à l’évocation du règne de Louis XIV. La fin de l’Épître VIII est édifiante sur ce point, alors même que les épîtres sont régulièrement convoquées par la critique pour attester la soumission univoque et opportuniste du poète au roi. La lecture du texte est moins claire sur ce point :

Horace tant de fois dans mes vers imité,
De vapeurs en son temps, comme moi tourmenté,
Pour amortir le feu de sa rate indocile,
Dans l’encre quelquefois sut égayer sa bile.
Mais de la même main qui peignit Tullius,
Qui d’affronts immortels couvrit Tigellius,
Il sut fléchir Glycère, il sut vanter Auguste,
Et marquer sur la lyre une cadence juste.
Suivons les pas fameux d’un si noble écrivain.
À ces mots, quelquefois prenant la lyre en main,
Au récit que pour toi je suis prêt d’entreprendre,
Je crois voir les rochers accourir pour m’entendre ;
Et déjà mon vers coule à flots précipités,
Quand j’entends le lecteur qui me crie : Arrêtez.
Horace eut cent talents ; mais la nature avare
Ne vous a rien donné qu’un peu d’humeur bizarre.
Vous passez en audace et Perse et Juvénal :
Mais sur le ton flatteur Pinchesne est votre égal.
À ce discours, grand roi, que pourrais-je répondre ?
Je me sens sur ce point trop facile à confondre,
Et sans trop relever des reproches si vrais,
Je m’arrête à l’instant, j’admire et je me tais27.

Le passage pratique à nouveau l’intertextualité allusive avec Horace et le mythe de la poésie civilisatrice. Boileau paraît ici très conscient du fait que le service contemporain de l’institution monarchique repose sur un rapport contradictoire à la temporalité : le roi agit dans le temps de son règne, en tant que contemporain, mais d’une part il est orienté vers un passé mythique en faisant renaître l’âge d’or de l’Antiquité, et d’autre part sa perfection rend impossible toute projection dans un progrès à venir puisqu’elle incarne à l’avance tout futur envisageable. L’action du roi se développe donc à la fois dans le temps et hors du temps ; il est le comble de l’histoire, son « Sujet absolu » selon l’expression de Louis Marin : « tous ses pas sont historiques », « il ne fait rien qui ne soit digne pour ainsi dire d’être raconté à tous les siècles28 ». C’est sans doute l’une des raisons qui rendent contradictoires la pratique du récit linéaire et la dimension épidictique de l’atemporalité royale29. Tout ce qui touche au roi semble engagé dans un rapport transcendant au temps linéaire, et cette perspective semble condamner les historiographes chargés de recenser les exploits du règne de Louis XIV pour en assurer la transmission aux futurs sujets de la monarchie, au même silence que les poètes épiques qui ne sauraient plus faire se mouvoir les rochers. Boileau a beau respecter les conventions en ouvrant le recueil des Satires par un Discours au roi, en tant que sujet du monarque absolu, il reste parfaitement conscient de la difficulté de l’« éloge historique » – pour reprendre une expression tirée d’un titre de Racine analysé par Louis Marin30. L’Épître I n’évoque ainsi le « récit » de la « gloire immortelle » que face à la mention du « silence prudent » du poète :

Quelque orgueil en secret dont s’aveugle un auteur,
Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur :
Et d’aller du récit de ta gloire immortelle
Habiller chez Francoeur le sucre et la cannelle.
Ainsi, craignant toujours un funeste accident,
J’imite de Conrart le silence prudent […]31.

Boileau insiste de fait sur deux problèmes dans la prise en charge du référent royal historique par la parole poétique. D’une part l’invraisemblance des actions extraordinaires du roi rend tout récit incroyable ; d’autre part le recours au comparant antique paraît impropre car, s’il soutient l’éloquence historique devant un tel objet, il menace tout autant sa crédibilité. Dans les deux cas la véracité de l’auteur est problématique ; c’est encore une fois l’Épître I qui permet de le comprendre ; ses derniers vers sont essentiels :

Et comme tes exploits, étonnant les lecteurs,
Seront à peine crus sur la foi des auteurs,
Si quelque esprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour, pour les rendre croyables :
Boileau, qui, dans ses vers pleins de sincérité,
Jadis à tout son siècle a dit la vérité,
Qui mit à tout blâmer son étude et sa gloire,
A pourtant de ce roi parlé comme l’histoire32.

Boileau octroie à la satire le pouvoir de conférer la crédibilité à ce qui, en soi, reste incroyable : la vérité historique ne devient crédible que par l’exercice de véridiction auquel correspond la satire. La concurrence de la satire avec l’histoire s’explique par la nature de l’objet de la représentation, en l’occurrence l’action du roi qui constitue en soi une exception fabuleuse, d’abord à l’égard du vrai empirique et factuel enregistré par la chronique, ensuite à l’égard de toute vérité générale, universelle, abstraite, que la construction d’une vraisemblance fictionnelle ne saurait réduire. En discréditant ces deux modalités de l’écriture, Boileau pose le discours satirique comme seule attestation crédible de la grandeur du roi. Racine, son compagnon dans sa tâche d’historiographe, a lui-même réfléchi à ces questions en traduisant le traité de Lucien sur l’écriture de l’histoire ; il y trouve l’affirmation selon laquelle le champ de l’historien est celui de la stricte référentialité :

L’éloge et l’histoire sont éloignés infiniment […] ce sont les deux extrémités.
Il n’y a guère moins de différence entre l’histoire et la poésie. Le poète a besoin de tous les Dieux quand il veut peindre Agamemnon. Il lui faut la tête et les yeux de Jupiter, la poitrine de Neptune, et le bouclier de Mars. Mais l’historien peint Philippe borgne, comme il était.
L’utilité est le principal objet de l’histoire. Le plaisir suit l’utilité, comme la beauté suit d’ordinaire la santé33.

Et il en retient la description de la méthodologie de l’historien qui doit être l’indépendance garante d’objectivité :

Surtout il [l’historien] doit être libre, n’espérant ni ne craignant rien, inaccessible aux présents et aux récompenses ; appelant figue, une figue, etc. ; ne faisant grâce à personne, et ne respectant rien par la mauvaise honte ; juge équitable et indifférent, sans pays, sans maître, et sans dépendance […] ; qu’il dise les choses comme elles sont, sans les farder ni les déguiser ; car il n’est pas poète, il est narrateur, et par conséquent n’est point responsable de ce qu’il raconte. En un mot, il faut qu’il sacrifie à la seule vérité, et qu’il n’ait pas devant les yeux des espérances aussi courtes que celles de cette vie, mais l’estime de toute la postérité34.

On est frappé par la symétrie de ces affirmations avec la démarche de véridiction revendiquée par Boileau dès la Satire I35. Le risque cependant est alors de se condamner à une éloquence sèche et incapable de rendre compte de l’extraordinaire :

Il faut pourtant que l’historien ait quelque chose du poète dans les pensées, surtout quand il viendra à écrire une bataille, des armées qui se vont choquer, des vaisseaux qui combattent les uns contre les autres. C’est alors qu’on a besoin, pour ainsi dire, d’un vent poétique qui enfle les voiles, qui fasse grossir la mer. Mais il faut pourtant que l’expression ne s’élève guère de terre, et qu’elle ne se ressente en rien de la fureur des corybantes ; enfin il faut aller bride en main36.

Mais d’autre part l’installation dans le registre flamboyant du mythe ou de l’épopée reste problématique puisqu’elle suppose que le poète se prétende capable de rendre compte d’une gloire d’autant plus glorieuse qu’elle est indicible. Boileau traite avec dérision et sur le mode parodique cette improbable situation dans le Discours au roi et les épîtres que nous avons citées. La conscience d’une telle aporie explique sans doute la distance de l’ironie manifestée par Boileau par rapport à sa tâche d’historiographe du roi assimilée à celle d’un courtisan insignifiant :

Je ne suis point encore à Auteuil parce que mes affaires et ma santé même qui est fort altérée ne me permettent pas d’y aller respirer l’air qui est encore très froid malgré la saison avancée et dont ma poitrine ne s’accommode pas. J’ai pourtant été à Versailles où j’ai vu Madame de Maintenon et le Roi ensuite qui m’a comblé de bonnes paroles. Ainsi me voilà plus historiographe que jamais. Sa Mté m’a parlé de Mr Racine d’une manière à donner envie aux Courtisans de mourir s’ils croyaient qu’Elle parlât d’eux de la sorte après leur mort. Cependant cela m’a très peu consolé de la perte de cet illustre ami qui n’en est pas moins mort quoique regretté du plus grand Roi de l’Univers37.

ou à une menace à l’égard de sa tâche de « poète » :

Cependant soyez bien persuadé que je vous estime infiniment et que si je ne vous écris pas aussi souvent que je devrais, ce n’est pas manque de reconnaissance mais manque de cet esprit de vigilance et d’exactitude que Dieu donne rarement aux Poètes surtout quand ils sont historiographes38.

Comment faire pour « parler du Roi comme l’histoire » pour pasticher le dernier vers de l’Épître I ? La tradition du grand lyrisme qui, depuis Malherbe, s’est officiellement associée à la monarchie, « entre la fin des guerres de religion et le règne de Louis XIV en façonnant l’image idéale du monarque absolu de droit divin, à la fois conquérant, pacificateur et civilisateur39 », a trouvé une limite interne avec le déploiement du règne personnel de Louis XIV. Boileau a perçu cette limite et l’a formulée dans son choix du genre satirique, y compris dans ce que le genre implique de situation paradoxale par rapport à ses contemporains.

C’est pourquoi l’auteur apparaît particulièrement représentatif de la complexité du rapport entretenu entre les belles-lettres et le pouvoir politique, et plus largement entre les hommes de lettres et l’autorité sous Louis XIV. La satire vient à la fois occuper la place vide de l’épopée et assurer la pérennité de l’idée de grandeur monarchique dans la résistance qu’elle oppose à l’éloge comme à la narration historique. Et, de fait, le genre se présente comme un recours ultime devant le risque de disparition des grands genres poétiques, et avec eux de la grande parole poétique. Le traducteur de Longin sait en effet que le joug de la monarchie est une des causes de la « décadence des esprits » : il extrait de l’espace politique antique la nécessité du dire-vrai, comme gage du bon fonctionnement d’institutions tolérant la réflexion et la critique, et la liberté d’« esprit », comme condition de la fécondité et de l’élévation poétiques. Le chapitre XXXV du Traité du Sublime, « Des causes de la décadence des esprits » fait ainsi de la liberté la source de l’éloquence, et de la monarchie comme oppression une entrave majeure au sublime fruit de l’élévation de la pensée ; Longin traduit par Boileau cite ainsi un Philosophe qui se demande :

d’où vient que dans notre siècle il se trouve assez d’Orateurs qui savent manier un raisonnement, et qui ont même le style oratoire : qu’il s’en voit, dis-je, plusieurs qui ont de la vivacité, de la netteté, et surtout de l’agrément dans leurs discours : mais qu’il s’en rencontre si peu qui puissent s’élever fort haut dans le Sublime. Tant la stérilité maintenant est grande parmi les esprits ! N’est-ce point, poursuivait-il, ce qu’on dit ordinairement ? que c’est le Gouvernement populaire qui nourrit et forme les grands génies : puisqu’enfin jusqu’ici tout ce qu’il y a presque eu d’Orateurs habiles ont fleuri, et sont morts avec lui ? En effet, ajoutait-il, il n’y a peut-être rien qui élève davantage l’âme des grands Hommes que la liberté, ni qui excite et réveille plus puissamment en nous ce sentiment naturel qui nous porte à l’émulation ; et cette noble ardeur de se voir élevé au-dessus des autres. Ajoutez que les prix qui se proposent dans les Républiques, aiguisent pour ainsi dire, et achèvent de polir l’esprit des Orateurs ; leur faisant cultiver avec soin les talents qu’ils ont reçus de la Nature. Tellement qu’on voit briller dans leurs discours la liberté de leur pays.
Mais nous, continuait-il, qui avons appris dès nos premières années à souffrir le joug d’une domination légitime, qui avons été comme enveloppés par les coutumes et les façons de faire de la Monarchie, lorsque nous avions encore l’imagination tendre, et capable de toutes sortes d’impressions : en un mot, qui n’avons jamais goûté de cette vive et féconde source de l’éloquence, je veux dire, de la liberté : ce qui arrive ordinairement de nous, c’est que nous nous rendons de grands et magnifiques Flatteurs. C’est pourquoi il estimait, disait-il, qu’un homme même né dans la servitude était capable des autres sciences ; mais que nul Esclave ne pouvait jamais être Orateur. Car un esprit, continua-t-il, abattu et comme dompté par l’accoutumance au joug, n’oserait plus s’enhardir à rien : tout ce qu’il avait de vigueur s’évapore de soi-même, et il demeure toujours comme en prison40.

Résumons à grands traits : sans poète, pas d’imaginaire glorieux qui assure la cohésion de la figure royale ; sans liberté du poète, pas de grandeur poétique ; sans satire, pas d’épopée ; Boileau rénove avec une étonnante force la vertu civique de la satire et confère à son pouvoir de disruption une signification politique particulièrement actuelle en son temps.

 

Le fait d’être contemporain du Roi-Soleil impose à Boileau l’impératif de chasser les mauvais poètes de la cité, ceux qui ne sauraient représenter le roi de façon propre, fidèle et digne ; et le roi ne saurait s’associer efficacement la force de la parole poétique qu’en tolérant au sein de la cité « une nation des poètes » apte à se construire et se réguler elle-même. Un tel parcours ne peut que nous inciter d’une part à ne pas confondre la foi de Boileau dans les valeurs héroïques et l’éloge de Louis XIV : ce roi ne représente qu’une figure historique, l’incarnation provisoire de valeurs intemporelles, et le poète conserve continuellement un certain surplomb par rapport à la condition de courtisan à laquelle il accède progressivement. La promotion paradoxale de la liberté satirique comme garante de la pérennité de la grandeur nous incite d’autre part à relativiser les lectures qui simplifient la position de Boileau pour faire de lui un admirateur complaisant de la monarchie. La crise de la Querelle des Anciens et des Modernes qui éclate ouvertement en 1687, et dans laquelle Boileau s’implique avec sa passion habituelle, tient au contraire à une configuration historique délicate impliquant la conscience aiguë d’un nouveau et complexe rapport à la temporalité dans sa signification politique. Cette Querelle marque sans doute l’aboutissement d’un processus intellectuel où la question de la valeur de l’époque se pose de façon polémique à défaut de pouvoir s’énoncer en termes poétiques propres. On y voit s’articuler les enjeux poétiques et politiques avec une intensité que nous n’avons fait ici qu’effleurer et dont Boileau est un témoin particulièrement perspicace et habile.

Notes de bas de page numériques

1 Sur ce mythe, voir Philippe Chométy, Poésie des origines et origines de la poésie, inédit d’HDR soutenue le 10 décembre 2020, Université de Lorraine, p. 320.

2 Voir sur ce point l’article de Pascal Debailly, « Nicolas Boileau et la querelle des Satires », Littératures classiques, 2009/1, n° 68, pp. 131-144 ; ainsi que la thèse de Léo Stambul, Le Régent du Parnasse. Le Pouvoir littéraire de Boileau, dir. Sophie Houdard, Université Paris III, soutenue le 18 novembre 2017.

3 Toutes nos références aux textes du programme de l’agrégation se font ici dans l’édition de Jean-Pierre Collinet, Paris, Gallimard, 1985, p. 60.

4 Tableau de la littérature française, « Boileau », Paris, Gallimard, 1939, p. 120 : « La place, l’importance, la considération de Boileau sont liées pareillement à ceci, que la France est un pays où la République des Lettres existe, cette République qui appelle et comporte un président, un parlement, une organisation, un esprit, une doctrine, une tradition, des mœurs républicaines. / La République des Lettres, née et baptisée au XVIe siècle, a trouvé le climat le plus favorable, dans la monarchie politique, dans l’amitié et l’aide que lui apportèrent Richelieu et Louis XIV. Ils lui créèrent officiellement un parlement, qui fut l’Académie. À la même époque où elle obtient son parlement, elle éprouve le besoin d’un président. »

5 L’absolutisme louis-quatorzien était structurellement favorable à la renaissance de la satire : « Les guerres de Religion retardèrent néanmoins la naissance de la satire lucilienne en France. Ce genre ne prospère vraiment que pendant les époques de paix. Pour développer son esthétique, son humour et sa quête de sublime, pour dauber sur les vices des contemporains tout en méditant sur un idéal de sagesse, les poètes ont besoin de recul et de distance, d’un climat social et politique apaisé qui les mette à l’abri des représailles et offre aux lecteurs le plaisir d’apprécier leurs qualités d’artiste. », La Muse indignée, tome I, Paris, Garnier, 2012, p. 484.

6 Éd. citée, p. 67.

7 Satire III, Satires, éd. Pierre de Labriolle et François Villeneuve, trad. Olivier Sers, Les Belles Lettres, 2005, pp. 44-47.

8 Éd. citée, p. 71.

9 L’inspiration puise également dans la Satire II, 6 du poète antique.

10 Épîtres, trad. François Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 2002, pp. 170-171 : « Sans parler du reste, penses-tu qu’à Rome il me soit possible d’écrire des poésies, au milieu de tant d’occupations et de fatigues ? […] C’est un entrepreneur qui se hâte, bouillant d’impatience, avec ses mules et son portefaix, c’est un cabestan qui élève en tournant soit une pierre soit une poutre énormes, c’est un convoi funèbre qui dispute le passage à des chariots pesamment chargés ; d’un côté court un chien enragé, de l’autre un porc fangeux. Va maintenant, et médite des vers harmonieux. / Tous les écrivains en chœur aiment les bois et fuient les villes, clients, comme il sied, de Bacchus qui fait sa joie du sommeil et de l’ombre. Et tu veux, toi, qu’au milieu de ce fracas de nuit et de jour, je chante et suive dans leur étroit sentier les traces des poètes inspirés ? […] Mais ici, au milieu du flot des affaires et des tempêtes de la ville, je jugerais qu’il n’est pas déplacé d’agencer des mots pour éveiller le son de la lyre ? »

11 Éd. citée, v. 173-186, pp. 256-257.

12 Éd. citée, v. 189-192, p. 257.

13 Éd. citée, p. 116.

14 Léo Stambul, Le Régent du Parnasse. Le Pouvoir littéraire de Boileau, thèse dir. Sophie Houdard, Université Paris III, soutenue le 18 novembre 2017, p. 18.

15 Éd. citée, p. 60.

16 Éd. citée, p. 60.

17 Éd. citée, pp. 117-118.

18 Éd. citée, p. 118.

19 Éd. citée, pp. 114-115, v. 295 sq.

20 Discours sur la satire, éd. citée, p. 119.

21 Discours sur la satire, éd. citée, p. 120.

22 Pascal Debailly, La Muse indignée, Paris, Garnier, 2012, p. 57.

23 Pascal Debailly, La Muse indignée, Paris, Garnier, 2012, p. 101.

24 Éd. citée, p. 257, v. 203-210.

25 Éd. citée, p. 198.

26 Discours au Roi, éd. citée, p. 64, v. 58.

27 Éd. citée, p. 200-201.

28 Lettre de Boileau à Racine du 19 mai 1687, Œuvres complètes de Boileau, éd. Fr. Escal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1966, p. 733. Nous modernisons l’orthographe des citations tirées de cette édition.

29 Voir sur ce point L. Marin, « Pouvoir du récit et récit du pouvoir », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 25, janvier 1979, Le Pouvoir des mots, pp. 23-43.

30 L. Marin, « Pouvoir du récit et récit du pouvoir », art. cité, p. 37.

31 Éd. citée, p. 169.

32 Éd. citée, pp. 172-173.

33 Extrait du traité de Lucien, Comment il faut écrire l’histoire, éd. R. Picard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1966, t. II, p. 197.

34 Extrait du traité de Lucien, op. cit., p. 199.

35 « Je ne puis rien nommer, si ce n’est par son nom, / J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon. », éd. citée, p. 68.

36 Éd. citée, p. 200.

37 Lettre de Boileau à Brossette du 9 mai 1699, Œuvres complètes de Boileau, éd. citée, p. 634.

38 Lettre de Boileau à Brossette du 5 février 1700, Œuvres complètes de Boileau, éd. citée, p. 641.

39 Sur ces questions voir Ph. Chométy, op. cit., p. 382.

40 Œuvres complètes de Boileau, éd. citée, pp. 399-400.

Bibliographie

Œuvres de Boileau

Satires, Épîtres, Art poétique, éd. Jean-Pierre Collinet, Paris, Gallimard, 1985.

Œuvres complètes, éd. Fr. Escal, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1966.

Autres textes

Horace, Épîtres, trad. François Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 2002.

Juvénal, Satires, éd. Pierre de Labriolle et François Villeneuve, trad. Olivier Sers, Les Belles Lettres, 2005.

Racine Jean, Œuvres en prose, éd. R. Picard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1966, t. II.

Études

Chométy Philippe, Poésie des origines et origines de la poésie, inédit d’HDR soutenue le 10 décembre 2020, Université de Lorraine.

Debailly Pascal, La Muse indignée, Paris, Garnier, 2012.

Debailly Pascal, « Nicolas Boileau et la querelle des Satires », Littératures classiques, 2009/1, n° 68, pp. 131-144.

Marin Louis, « Pouvoir du récit et récit du pouvoir », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 25, janvier 1979, Le Pouvoir des mots, pp. 23-43.

Stambul Léo, Le Régent du Parnasse. Le Pouvoir littéraire de Boileau, dir. Sophie Houdard, Université Paris III, soutenue le 18 novembre 2017.

Thibaudet Albert, Tableau de la littérature française, « Boileau », Paris, Gallimard, 1939.

Pour citer cet article

Delphine Reguig, « Boileau politique ? Du motif de la « ville » à la « nation des poètes » (Discours sur la satire) », paru dans Loxias, 71., mis en ligne le 12 décembre 2020, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=9606.

Auteurs

Delphine Reguig

Delphine Reguig est professeure de littérature française du XVIIe siècle à l’université Jean Monnet – Saint-Étienne. Ses travaux, qui se situent au croisement de l’histoire des idées et de la poétique, ont donné lieu à des publications parmi lesquelles Le Corps des idées : pensées et poétiques du langage dans l’augustinisme de Port-Royal (Arnauld, Nicole, Pascal, Mme de Lafayette, Racine), Paris, Champion, 2007 et Boileau poète. « De la voix et des yeux… », Paris, Classiques Garnier, 2016. Elle a rédigé, à destination du public étudiant, l’ouvrage Histoire littéraire du XVIIe siècle, Paris, Armand Colin, collection « Cursus », 2017. Elle est actuellement responsable de l’édition critique en ligne du Parallèle des Anciens et des Modernes de Charles Perrault (https://parallele-anciens-modernes.huma-num.fr/).