Loxias | 69. Génération Beauvoir | I. Génération Beauvoir 

Sylvie Ballestra-Puech  : 

« Une femme qui sait lire ce qui a été écrit avant l’écriture » : Illa d’Hélène Cixous

Résumé

En 1975, Hélène Cixous publie, dans un numéro de revue consacré à Simone de Beauvoir un texte qui aura un retentissement international : « Le rire de la Méduse ». Elle y marque sa différence en défendant la spécificité de l’écriture féminine. Publié cinq ans plus tard, un texte au statut générique incertain, Illa, peut être lu comme une exploration des pistes ouvertes par « Le rire de la Méduse ». Brouillant la frontière entre théorie et fiction, entre récit et poésie, entre invention et commentaire, Illa est présenté par Cixous comme « une pomme de texte » dont l’enjeu est de rappeler que « l’écriture ne va pas de soi, pousse dans la constellation que forment les femmes donnantes ». Cet article s’attache à la dimension expérimentale de cette « histoire cherchante » qui fait un usage heuristique de la fiction, au croisement de la réécriture des mythes antiques, de l’autobiographie et de l’essai.

Index

Mots-clés : Arachné , Cixous (Hélène), Déméter, écriture féminine, Freud, intertextualité, mythobiographie, mythologie, Ovide, Shakespeare, Virgile

Géographique : France

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

Je parlerai de l’écriture féminine : de ce qu’elle fera. Il faut que la femme s’écrive : que la femme écrive de la femme et fasse venir les femmes à l’écriture, dont elles ont été éloignées aussi violemment qu’elles l’ont été de leurs corps ; pour les mêmes raisons, par la même loi, dans le même but mortel1.

1Ainsi s’ouvre « Le rire de la méduse » d’Hélène Cixous qui parut, en 1975, dans le numéro 61 de la revue L’Arc consacré à « Simone de Beauvoir et la lutte des femmes ». Immédiatement traduit en anglais et devenu rapidement introuvable en français, jusqu’à sa réédition en 2010, ce texte a connu une fortune tout à fait remarquable et paradoxale, comme le rappelle Martine Reid : « Ainsi, le texte-manifeste de Cixous pour un autre féminisme devait-il rencontrer un succès exceptionnel, mais hors de France surtout, et demeurer réservé dans l’hexagone à quelques cercles féministes soucieux de se démarquer de l’héritage de Simone de Beauvoir2 ». Car le paradoxe de la réception redouble un autre paradoxe, dont il est d’ailleurs peut-être aussi la conséquence : « dans un numéro de revue consacré à la grande dame de la cause féministe, [Hélène Cixous] faisait voler en éclat les positions de cette dernière3 ». En 1977, Hélène Cixous publie un autre essai, La Venue à l’écriture4, dont le titre fait explicitement écho à l’ouverture du précédent et dont l’importance ne sera pas moins décisive pour l’élaboration théorique des gender studies.

2La réception critique d’Illa, publié aux Éditions des femmes en 1980, fut beaucoup plus discrète. Pourtant les échos entre cette œuvre au statut générique indécis et les essais qui la précèdent sont nombreux. Illa peut se lire comme une mise en œuvre, dans l’acception la plus littérale, des propositions théoriques avancées précédemment. Si, comme l’a montré Martine Reid, « Le rire de la Méduse » est écrit « contre Beauvoir », la lecture d’Illa aide à préciser les modalités de ce « contre ». La relecture-réécriture des mythes antiques dans cette « fiction pensante » avant la lettre5 s’accorde aussi avec la finalité que l’essai de 1975 assigne à l’écriture féminine : « Écrire pour se forger l’arme antilogos6 ». Nous verrons enfin comment Illa répond en virtuose à l’injonction rimbaldienne de « trouver une langue », là encore dans le sillage du « Rire de la Méduse » :

Il faut que la femme écrive par son corps, qu’elle invente la langue imprenable qui crève les cloisonnements, classes et rhétoriques, ordonnances et codes, qu’elle submerge, transperce, franchisse le discours-à-réserve ultime, y compris celui qui se rit d’avoir à dire le mot « silence », celui qui visant l’impossible s’arrête pile devant le « impossible » et l’écrit comme « fin ».7

Dissidences

3Martine Reid a souligné le « geste iconoclaste » qu’accomplit Hélène Cixous en publiant « dans un numéro de revue consacré à la grande dame de la cause féministe » un texte qui remet ouvertement en question les injonctions théoriques énoncées par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième sexe. L’usage du futur, souligné par les italiques dans la phrase inaugurale implique une rupture avec le passé, aussitôt revendiquée :

Il ne faut plus que le passé fasse l’avenir. Je ne nie pas que les effets du passé sont encore là. Mais je me refuse à les consolider en les répétant ; à leur prêter une inamovibilité équivalente à un destin ; à confondre le biologique et le culturel. Il est urgent d’anticiper8.

4Faut-il entendre dans ce refus une critique du retour, à la fin du Deuxième sexe, de poncifs misogynes éculés9, pour discréditer l’écriture des femmes ?

Il est connu que la femme est bavarde et écrivassière ; elle s’épanche en conversations, en lettres, en journaux intimes. Il suffit qu’elle ait un peu d’ambition, la voilà rédigeant ses mémoires, transposant sa biographie en roman, exhalant ses sentiments dans des poèmes10.

5Dans la perspective universaliste de Simone de Beauvoir, le seul horizon désirable pour les femmes est de pouvoir entrer en compétition avec les hommes à égalité sur la ligne de départ, comme le suggère son évaluation, ô combien datée, d’œuvres majeures de la littérature anglaise du XIXe siècle :

comme Virginia Woolf le fait remarquer, Jane Austen, les sœurs Brontë, George Eliot ont dû dépenser négativement tant d’énergie pour se libérer des contraintes extérieures qu’elles arrivent un peu essoufflées à ce stade d’où les écrivains masculins de grande envergure prennent le départ ; il ne leur reste plus assez de force pour profiter de leur victoire et rompre toutes leurs amarres11.

6À rebours, « Le rire de la Méduse » prône un rapport radicalement autre à l’écriture : « Il ne s’agit pas non plus de s’approprier leurs instruments, leurs concepts, leurs places, ni de se vouloir en leur position de maîtrise12 ». Ce programme théorique trouve dans Illa une remarquable incarnation et le tressage narratif de la fiction permet d’en décliner toutes les implications.

L’épreuve de la venue à l’écriture

7Illa s’ouvre sur une inquiétude, dans l’acception étymologique du terme :

Qui ? Suis ? La troisième. Court au bord de la terre, la mer. Illa. Une jeune personne. La troisième. Au milieu d’une double absence de paix. Illa : « Quis et me », inquit, « miseram et te perditit, o tu, quis tantus furor ? ».13

8Cet incipit éclaire le titre de l’œuvre sur le mode de la diffraction car il en fait le foyer d’où rayonnent de multiples lignes interprétatives. Illa est d’abord l’étymon latin du français « elle » et la fiction se déploie à partir des dimensions qui lui sont attachées dans la langue antique et le distinguent des deux autres pronoms-adjectifs démonstratifs féminins haec et ista, non seulement du point de vue des personnes, illa correspondant, comme le rappelle cette phrase liminaire, à la troisième personne mais aussi selon une triple perspective, spatiale, temporelle et axiologique : illa a une connotation laudative et implique l’éloignement dans l’espace et dans le temps, un éloignement que l’écriture s’appliquera à réduire pour aboutir à la fusion entre les personnes : « Un matin, celui-ci peut-être, j’entre, quis, dans la pièce blanche, ipsa et illa, entre elles et j’écris une lettre à mon amie noire, ma colombe qui écrit ?14 ». À l’orée d’Illa, le féminin surgit donc dans sa pluralité irréductible, celle-là même sur laquelle insistait « Le rire de la Méduse15 », mais aussi sous le signe du tragique avec la citation des Georgiques16 dans laquelle « Orpheu » se trouve remplacé par « o tu », ouvrant ainsi la voie à la substitution de Perséphone à Eurydice. Il est aussi tentant de rapprocher la mise en exergue de ce pronom latin du mot-valise inventé dans « Le rire de la Méduse », « illes » :

Voler, c’est le geste de la femme, voler dans la langue, la faire voler. Du vol, nous avons appris l’art aux maintes techniques, depuis des siècles que nous n’avons accès à l’avoir qu’en volant ; que nous avons vécu dans un vol, de voler, trouvant au désir des passages étroits, dérobés, traversants. Ce n’est pas un hasard si « voler » se joue entre deux vols, jouissant l’un de l’autre et déroutant les agents du sens. Ce n’est pas un hasard : la femme tient de l’oiseau et du voleur comme le voleur tient de la femme et de l’oiseau : illes passent, illes filent, illes jouissent de brouiller l’ordre de l’espace, de le désorienter, de changer de place les meubles, les choses, les valeurs, de faire des casses, de vider les structures, de chambouler le propre17.

9Illa est donc la figure protéiforme d’un « être-femme » dont la quête passe par l’épreuve de l’écriture :

Et celle qui écrit, et qui a passé l’examen de transgression, il y a quelques années triples, est poursuivie par un même cauchemar : elle doit se présenter entre aujourd’hui et le jour suivant à un concours qui lui donne plusieurs fils à retordre : il s’agit de répondre avec ou sans détours à la question des questions ; celle qui se pose différemment à elle, le matin, à midi et le soir : qu’en est-il de la vérité de son être-femme ?18

10Variante spécifiquement féminine donc de l’énigme résolue par Œdipe qui avait su répondre à la sphinge que l’animal qui marchait sur quatre pattes le matin sur deux à midi et sur trois le soir n’était autre que l’homme, l’adverbe « différemment » résonnant dans ce contexte comme la revendication d’une approche différentialiste de la question, à rebours de l’universalisme choisi par Beauvoir.

11C’est notamment par ce fil narratif de la venue à l’écriture que l’œuvre relève de l’autofiction, terme inventé par Serge Doubrowski en 1977, rappelons-le. Une autofiction qui, tournant résolument le dos aux poncifs qui associent les affres de la page blanche à la quête de l’absolu, leur préfère l’autodérision :

À cette difficulté préliminaire s’ajoutent les difficultés qui s’offrent successivement ou ensemble à empêcher la candidate de ne pas s’égarer aussi loin que possible du sujet. Si la durée de l’épreuve est fixée à quatre heures, elle perdra les trois premières heures sans s’en apercevoir ; premièrement, à chercher partout dans les tiroirs inadéquats une enveloppe assez grande pour contenir le manuscrit dont elle n’a pas écrit le premier mot ; deuxièmement à compulser des volumes de calligraphie pour choisir celle qui serait digne d’être employée sur l’enveloppe pour la suscription ; troisièmement à s’inquiéter du libellé de l’adresse […]19.

12On est bien loin de la métaphore navale dont usait Beauvoir : nul départ glorieux en rompant les amarres mais au contraire une longue errance, une lutte sans relâche contre de multiples obstacles, à commencer par celui qu’oppose une langue qu’il faut « arracher aux griffes de la tradition » sous peine de la voir « trahir son désir d’inscrire une réponse capable d’épouser lettre à l’être les erreurs de sa vérité20 ». Il ne s’agit pas de rejoindre les écrivains masculins sur la ligne de départ d’une écriture supposée universelle mais bien d’accéder à « l’invention d’une écriture neuve, insurgée21 ».

« La femme en sa lutte inévitable avec l’homme classique »

13Contrairement à Beauvoir qui concluait Le Deuxième Sexe, dans le sillage de Marx, sur une nécessaire fraternité entre hommes et femmes, Cixous inscrit d’emblée « Le rire de la Méduse », à commencer par son titre, sous le signe d’une révolte inéluctable contre une oppression masculine dont Illa décline les figures — le rapt, le viol, l’enfermement, l’exil, la condamnation au silence —, en écho, de nouveau, au « Rire de la Méduse » :

Elles reviennent de loin : de toujours : du « dehors », des landes où se maintiennent en vie les sorcières ; d’en dessous, en deçà de la « culture » ; de leurs enfances qu’ils ont tant de mal à leur faire oublier, qu’ils condamnent à l’in pace. Emmurées, les petites filles aux corps « mal élevés ». Conservées, intactes d’elles-mêmes, dans la glace. Frigidifiées. Mais qu’est-ce que ça remue là-dessous ! Quels efforts il leur faut faire, aux flics du sexe, toujours à recommencer, pour barrer leur menaçant retour. De part et d’autre, un tel déploiement de forces que la lutte s’est pour des siècles immobilisée dans l’équilibre tremblant d’un point mort22.

14Dans Illa, les figures masculines sont privées de noms propres et l’effacement initial du nom d’Orphée a, à ce titre aussi, une valeur programmatique. Cet effacement contraste avec le foisonnement des noms féminins. S’agissant des figures persécutrices, tel Hadès ravisseur de Perséphone désigné comme « l’oncle », on peut penser, dans un texte qui revendique si ouvertement sa couleur antique, y compris sur sa couverture qui reproduit la Primavera (ou Flora) de la Villa Arianna de Stabies, que Cixous, prenant à la lettre l’adjectif « infâme », a résolu de les priver de fama, de renommée. Passer leur nom sous silence peut apparaître comme la juste réponse, sur le mode du contrapasso dantesque, à la violence subie par Koré — la désignation de Perséphone retenue par Cixous parce qu’il s’agit du nom commun désignant la jeune fille — et condensée en un message télégraphique inscrit en lettres capitales, où l’on retrouve les « cent langues » de la Fama virgilienne23 : « DERNIER CRI. JETÉ. FILLE DE FEMME DÉNOMMÉE CONTRAINTE SOUVIVRE. TUE. NON, MÊME SI CENT LANGUES. VOIX SOUS TAIRE24 ».

15Dans les dernières pages du livre, une exception notable à cette anonymisation des figures masculines surgit, qui explicite et explique du même coup la loi qu’elle confirme :

— Voici à quels auteurs on attribue les livres sacrés : Moïse écrivit son livre, Samuel écrivit son livre, Josué écrivit son livre, David écrivit les psaumes avec l’aide de dix anciens, Jérémie écrivit son livre, Ézéchias écrivit son livre, etc… Alors le livre de Moïse écrivit le nom de Moïse, le livre de Samuel écrivit le nom de Samuel, tous les psaumes de David chantèrent tous ses noms et ainsi de suite. Et chaque livre fut attribué à son auteur sacré par tous les hommes qui ne lisent pas et par tous les hommes qui lisent. Et chaque auteur écrivit le livre de son nom. Et les hommes écrivirent leurs livres et les livres écrivirent leurs noms jusqu’à eux. Et tous leurs noms sont contenus dans les vingt-quatre livres.
Mais ceci est une autre histoire, elle appartient aux Écritures25.

16Écriture sacrée et sacralisation de l’écriture masculine, qui empêche la venue des femmes à l’écriture comme le souligne « Le rire de la Méduse » : « Je sais pourquoi tu n’as pas écrit. (Et pourquoi je n’ai pas écrit avant l’âge de 27 ans). Parce que l’écriture c’est à la fois le trop haut, le trop grand pour toi, c’est réservé aux grands, c’est-à-dire aux “grands hommes” […] 26 ». Si, en son versant masculin, l’écriture est gage de renommée, c’est dans l’obscurité d’une solidarité clandestine que la vie se mue en écriture pour les femmes :

Mais quand une femme se tient dans le désert de l’écriture, attendant ce qui va suivre, elle a une faim qui ne dit pas son nom, mais elle avance une main, dans le noir de la langue et voici qu’une pomme lui est remise dans la main par une main qui sait. Elle ne voit pas la main mais elle sent la main lui donner le fruit vivant, et ses doigts touchent des doigts qui sourient dans le noir et le sourire passe en son frémissement dans tout son corps par les chemins du sang et arrive à ses lèvres. Et elle se tient dans l’écriture hors des Écritures, sans les connaissances, et elle avance de cette façon incertaine dans l’ignoré, sans récit, sans tomber, car elle a une forme vivante à la main qui la soutient, et elle écrit sans prévoir, à la rencontre de ce qui va venir, elle va, il y a des murs et elle ne les heurte pas, il y a des silences et elle les entend, et il y a des paroles qui luisent comme des regards parmi les silences et parmi les bruits, et elle leur donne écoute de tout son corps […]27.

17Doit-on déduire de ce diptyque contrasté une frontière étanche entre écriture féminine et écriture masculine ? « Le rire de la Méduse » apporte une nuance d’importance : d’abord, dans une note où Cixous précise que « pour feuilleter ce que le XXe siècle a laissé s’écrire » en France, elle n’a « vu inscrire de la féminité que par Colette, Marguerite Duras… et Jean Genet28 », ensuite et surtout lorsqu’elle affirme que « le poète fait passer, pour un bref entretemps, de la femme29 ».

La poésie comme chambre d’écho des voix féminines

18La place tout à fait exceptionnelle que Cixous réserve aux poètes parmi les écrivains du passé mérite de retenir l’attention, non seulement parce qu’elle témoigne d’« une pensée essentiellement mobile et labile [qui] se levait ainsi contre celle de Beauvoir et de toutes celles qui, à l’occasion de ce numéro en son hommage, n’hésitaient pas à mettre leurs pas, un peu lourdement, dans celui du matérialisme historique30 » mais aussi dans la mesure où elle éclaire toute la poétique d’Illa. À une vision strictement marxiste de l’histoire littéraire entièrement soumise aux déterminismes historiques, « Le rire de la Méduse » oppose le statut d’exception des poètes, passeurs d’« hétérogène », et une poésie trouvant directement sa source dans l’inconscient :

Il y a eu des poètes pour faire passer à tout prix quelque chose d’hétérogène à la tradition — des hommes capables d’aimer l’amour ; d’aimer donc les autres et de les vouloir, de penser la femme qui résisterait à l’écrasement et se constituerait donc en sujet superbe, égal, « impossible » donc, intenable dans le cadre social réel : cette femme-là, le poète ne l’a pu désirer qu’à briser les codes qui la nient. […]
Les poètes seulement, pas les romanciers solidaires de la représentation. Les poètes parce que la poésie n’est que de prendre force dans l’inconscient et que l’inconscient, l’autre contrée sans limites est le lieu où survivent les refoulés : les femmes, ou comme dirait Hoffmann, les fées31.

19C’est en vertu de cette conviction que l’hymne homérique à Déméter, les Géorgiques de Virgile et surtout les Métamorphoses d’Ovide constituent pour Illa des hypotextes qui font l’objet d’une appropriation tout à fait singulière, dans laquelle réside peut-être la plus grande originalité de cette œuvre. Seul l’intertexte virgilien, sans doute parce qu’il apparaît dans le texte sous la forme d’incrustations latines, est explicitement revendiqué, dans une parenthèse qui vient s’inscrire sur la page blanche précédant l’achevé d’imprimer : « (Les échos latins viennent des Géorgiques de Vigile) ». Échos et non citations, car il ne s’agit pas de répéter à l’identique le texte original mais d’y entendre ce « quelque chose d’hétérogène à la tradition », comme en témoigne d’emblée, on l’a vu, l’incipit qui transforme la plainte adressée par Eurydice à Orphée en celle de Perséphone à Déméter. Quelques pages plus loin, Angela se substitue à Mécène dans l’invocation empruntée à l’ouverture du deuxième chant : « Tuque ades inceptumque una decurre laborem, Angela, ades32… ». L’inscription dans le texte virgilien du rapport de pouvoir entre le poeta et son patronus laisse ainsi la place à un lien amoureux, comme le souligne la phrase qui suit l’emprunt virgilien : « Corps appelle corps appellent cors ». Il n’est pas question pour autant, on s’en doute, de substituer à la doxa marxiste la doxa psychanalytique ou, pour le dire dans les termes de Cixous, de remplacer une « orthopédie conceptuelle33 » par une autre. Aussi bien Illa que « Le rire de la Méduse » s’attachent à déconstruire l’interprétation freudienne de la mythologie en mettant l’accent sur son phallocentrisme.

Pour une relecture féminine de la mythologie

20La manière dont Jacques Derrida caractérise son rapport au texte d’Hélène Cixous dans H. C. pour la vie, c’est-à-dire…, s’applique avec autant de pertinence à la manière dont, dans Illa, lecture et écriture sont indissolublement liées :

À la mesure de ce texte, pour l’invention d’une critique comme poétique de la lecture, il ne peut s’agir que d’un acte d’écriture comme acte d’amour qui lie et lise, puisse lire en déliant les fils tout en tressant une alliance dans l’analyse de la déliaison même34.

21Derrida joue ici sur l’étymologie du mot « analyse « qui est en grec le déverbatif du verbe analuein signifiant « délier », dont la première attestation se trouve dans l’Odyssée pour évoquer le travail de Pénélope qui détisse la nuit la toile qu’elle tisse le jour. Hélène Cixous partage avec lui cette prédilection pour les métaphores textiles de la lecture et de l’écriture et Illa leur fait la part belle, en faisant se croiser deux figures mythologiques en lesquelles ces métaphores se sont incarnées : les Parques et Arachné. Mais les Parques sont aussi, dans leur origine grecque et plus encore latine, des divinités généthliaques et ce lien fort avec la fécondité les relie à la déesse Déméter. Bien souvent dans Illa, comme le souligne Colette Camelin, « le sens devient touffu, la voix chorale35 » et ce chœur est notamment celui des voix féminines antiques que Cixous excelle à nous faire entendre au présent.

De la Méduse aux Parques : contre la lecture freudienne de la mythologie

22L’énigme que constitue le titre paradoxal de l’essai de 1975 trouve sa clé au centre du texte :

Le « Continent noir » n’est ni noir ni inexplorable. Il n’est encore inexploré que parce qu’on nous a fait croire qu’il était trop noir pour être explorable. On nous a figées entre deux mythes horrifiants : entre la Méduse et l’abîme. Il y aurait de quoi faire éclater de rire la moitié du monde, si ça ne continuait pas. Car la relève phallologocentrique est là, et militante, reproductrice des vieux schémas, ancrée dans le dogme de la castration. Ils n’ont rien changé : ils ont théorisé leur désir pour de la réalité ! Qu’ils tremblent, les prêtres, on va leur montrer nos sextes !
Tant pis pour eux s’ils s’effondrent à découvrir que les femmes ne sont pas des hommes, ou que la mère n’en a pas. Mais est-ce que cette peur ne les arrange pas ? Est-ce que le pire, ce ne serait pas, ce n’est pas, en vérité, que la femme n’est pas castrée, qu’il lui suffit de ne plus écouter les sirènes (car les sirènes, c’étaient des hommes) pour que l’histoire change de sens. Il suffit qu’on regarde la Méduse en face pour la voir : et elle n’est pas mortelle. Elle est belle et elle rit36.

23Toute la théorie freudienne se trouve donc récusée, à commencer par la comparaison de la sexualité féminine à un « continent noir »37 mais une cible plus précise est visée : « La tête de Méduse », court texte publié en 1922 par lequel Freud « va appréhender sa théorie de la castration38 ».

24L’écriture d’Illa témoigne de la même dynamique en visant cette fois l’interprétation freudienne du mythe des Parques dans son essai sur « le Motif du choix des coffrets39 ». Cette ligne de force du texte affleure dès la première phrase (« Qui ? Suis ? La troisième. ») et se précise une page plus loin : « La troisième ne dit rien. Ne s’est jamais tue aussi fort. Là haut. Où l’air ne porte pas : la parole est de plomb40 ». On y entend clairement l’écho du point de départ du texte de Freud qui lui donne son titre : la scène du Marchand de Venise dans laquelle les prétendants ont le choix entre trois coffrets, d’or, d’argent et de plomb. C’est le troisième qu’il faut choisir pour obtenir la main de la femme convoitée et ce choix est interprété comme le travestissement d’une nécessité, celle d’accepter sa condition mortelle, en vertu d’une série d’équivalence entre l’absence d’éclat, le silence et la mort. Cixous choisit l’ironie pour lui répondre :

Si nous avions affaire à un conte inventé par un poète, il transcrirait la réalité dans le sens des rêves d’hommes ; il traiterait le thème suivant : le portrait de la réponse est enfermé par le père dans le plus silencieux des trois coffrets. Seul le fils digne d’être le nouveau père peut l’en tirer, et rétablir le lien ancien sur un plan nouveau. La réponse, elle, n’a pas le choix.
Voilà pourquoi la coffrée est muette41.

25Le travestissement de Freud en faux médecin de Molière ne manque pas de piquant mais dans la substitution de « la coffrée » au « votre fille » de la réplique de Sganarelle résonne aussi toute la révolte exprimée par les figures de l’enfermement42 dans « Le Rire de la Méduse ».

26Freud trouve la confirmation de son interprétation dans Le Roi Lear où le silence de Cordelia aurait la même signification symbolique que le coffret de plomb, au prix du renversement de la scène où Lear porte le cadavre de Cordelia. L’essai se conclut sur une interprétation des deux scènes shakespeariennes à la lumière du mythe des Parques et réciproquement :

On pourrait dire que ce sont les trois relations inévitables de l’homme à la femme qui sont ici représentées : la génitrice, la compagne et la destructrice. Ou bien les trois formes par lesquelles passe pour lui l’image de la mère au cours de sa vie : la mère elle-même, l’amante qu’il choisit à l’image de la première (ou « contre » cette image) ; et pour terminer, la terre mère, qui l’accueille à nouveau en son sein. Mais c’est en vain que le vieil homme cherche à ressaisir l’amour de la femme, tel qu’il l’a reçu d’abord de la mère ; c’est seulement la troisième des femmes du destin, la silencieuse déesse de la mort, qui le prendra dans ses bras43.

27Dès « Le rire de la Méduse » Cixous s’insurge contre cette réduction : « C’est en écrivant, depuis et vers la femme, et en relevant le défi du discours gouverné par le phallus, que la femme affirmera la femme autrement qu’à la place à elle réservée dans et par le symbole c’est-à-dire le silence44 ». Illa prolonge ce refus en répondant de nouveau très explicitement au texte de Freud :

En sens inverse de la marche on avance aussi. La plus jeune est aussi la plus vieille. L’amour de la mère : la fille : la mère de la mère : sa fille. La vérité de la femme : sa force double. D’un corps à une autre Cordelia. Le coût de la vérité, tout son prix : legs de larmes ; dot de larmes. La plus vieille est encore la plus jeune : celle qui aime celle qui l’aime du premier cri au dernier mourir celle qui aime celles qui aiment celle qui aime la première. L’amour sans prix, sans nom45.

28Alors que Freud interprète le mythe du point de vue du fils, Cixous choisit celui de la fille. Aux figures paternelles détentrices de l’autorité dans les deux pièces shakespeariennes, elle substitue la figure maternelle de Déméter. Une constellation féminine commence ainsi à se construire dès les premières pages d’Illa :

(Écoute :
Accorde Koré à Cordelia, — par Kor, par sympathie, par correspondances : les éléments de cette histoire cherchante sont des histoires cherchantes — et si cette histoire est celle d’une écriture, d’une femme, s’adressant en chair et en chant à une elle, la cherchant et s’adressant, et ce chantant côtoie de près le bord de la mer, — alors elle a au moins trois éléments.
Tu nous suis ? Côtoie-la. Côtoie-moi.)
46

29L’italique est dans Illa l’instrument typographique qui permet de mettre l’accent sur telle ou telle voix dans la construction chorale du texte47. Elle est aussi souvent associée, comme ici par les parenthèses ou ailleurs par la mention explicite « Notes », à un commentaire de la narration, qu’on peut d’ailleurs rapprocher de la fonction du chœur dans la tragédie antique. Il s’agit, en l’occurrence, d’attirer l’attention sur un mode d’écriture qui prend résolument le contrepied du « phallologocentrisme » dénoncé dans « Le rire de la Méduse » et dont le texte freudien est une illustration. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’opérer une réduction de la diversité à l’unité, selon le mouvement très caractéristique de la démonstration freudienne, mais au contraire de garder vive la dynamique d’une « histoire cherchante » et de faire entrer dans la ronde du texte un nombre croissant de figures féminines. Koré et Cordelia se rejoignent en tant que filles victimes d’un ordre patriarcal qui les condamne au silence et à la mort mais toutes deux sont aussi les figures par lesquelles l’expérience de la narratrice peut prendre forme dans l’écriture :

dans les salles du théâtre, la Grande Mère anale m’a interpellée: « what can you say to draw a third more opulent than your sisters? Parle ! » ma langue sidérée, la mère Medousa : « Que diras-tu en ta faveur ? Danse ! » Je ne pouvais ni hisser mon cœur jusqu’à ma bouche, ni bondir, ni plier, mes genoux volés, mon corps dissous, mon ancienne forme évaporée […]48

30Confusion entre Cordelia et Koré — la jeune fille, rappelons-le — mais aussi entre Lear et Medousa comme opérateurs de sidération. Et si l’on retrouve la Méduse dans Illa, le mythe de Déméter affleurait déjà dans l’essai de 1975 car le rire qui devenait son attribut rappelait celui par lequel Baubô49 avait ramené à la vie la déesse endeuillée en lui montrant son sexe. La même année, La jeune née oppose à l’interprétation freudienne du mythe de Méduse comme figure d’un effroi masculin devant le sexe féminin une connivence féminine dans un rire libérateur : « c’est le rire de Déméter devant Baubô qui lui montre ses fesses, toutes voiles retournées ; car elle lui montre là son autre tête, la tête du désir que Déméter reconnaît dans la dérision de la culture50 ».

Autour de Déméter : l’exploration de la métaphore maternelle

31Ce n’est pas seulement le rire de Baubô qui inscrit en filigrane la figure de Déméter dans « Le rire de la Méduse » mais bien toute la célébration du versant maternel de l’écriture féminine, pour peu qu’on se rappelle que Déméter signifie « terre mère ». Et c’est bien l’objet de l’exploration d’Illa en tant qu’« histoire cherchante » qui se dessine dans ce passage de l’essai :

Même si la mystification phallique a contaminé généralement les bons rapports, la femme n’est jamais loin de la « mère » (que j’entends hors-rôle, la « mère » comme non-nom, et comme source des biens). Toujours en elle subsiste au moins un peu du bon lait-de-mère. Elle écrit à l’encre blanche.
Femme pour femmes : en la femme toujours se maintient la force productive de l’autre, en particulier de l’autre femme. En elle, matricielle, berceuse-donneuse, elle-même sa mère et son enfant, elle-même sa fille-sœur. Tu me dis : et celle qui d’une mauvaise mère est l’hystérique progéniture ? Tout sera changé, lorsque la femme donnera la femme à l’autre femme. En elle, latente, toujours prête, il y a source et lieu pour l’autre. La mère aussi est une métaphore : il faut, il suffit qu’à la femme soit donné par une autre le meilleur d’elle-même pour que la femme puisse s’aimer et rendre en amour le corps qui lui est « né »51.

32Pour incarner cette métaphore dans le texte, Cixous a fait du mythe de Déméter le fil rouge d’Illa52, comme en témoignent les messages en style télégraphique qui fonctionnent comme autant de nœuds repérables dans la trame textuelle, tel celui-ci :

DERNIÈRES NOUVELLES : — « DÉESSE DÉCIDE NE PLUS ÊTRE DIVINE JUSQU’À RETOUR SA FILLE, SA DIVINITÉ. PLUS VIVRE. CHERCHER. SURVIVRE. DÉMÉTER ». ZA ZA 313. TERRE STÉRILE. IMPOSSIBLE D’AIMER TERRE. ARRÊT DE NAÎTRES53.

33Mais d’emblée ce mythe apparaît comme le centre d’une constellation qui s’enrichit au fil des pages de nouvelles figures, affleurant parfois dans des allusions à peine décelables, telle, dès l’ouverture, celle à Niobé, victime de l’implacable vengeance de Léto, dont sa fille Artémis est l’instrument : « comme si les filles n’étaient pas nées, toutes ravies sauf une ». On y entend l’écho des vers pathétiques d’Ovide :

Sexque datis leto diuersaque uulnera passis
Ultima restabat ; quam toto corpore mater
Tota ueste tegens : « Unam minimamque relinque !
De multis minimam posco, clamauit, et unam ! »
Dumque rogat, pro qua rogat, occidit. Orba resedit

Six filles ayant subi diverses blessures mortelles,
Il restait la septième ; la mère lui faisant de tout son corps
Un rempart s’écria : « Laisse m’en une, la plus petite !
Je te demande la plus petite de toutes, rien qu’une ! »
Et pendant qu’elle prie, celle pour qui elle prie meurt, la laissant orpheline54.

34Je modifie la traduction des deux derniers mots (Orba resedit, que Danièle Robert traduit par « Ayant tout perdu, elle tombe ») non seulement parce que le latin orbus se rattache à la même racine indo-européenne que le grec ὀρφανός dont dérive le français « orphelin » mais surtout en raison de la réversibilité du lien mère-fille pour Cixous : « Une mère sans la fille maternelle ? À la question : “ce sont deux sœurs dont l’une engendre l’autre, et dont la première, à son tour, est engendrée par la seconde, qui ?”, elle avait la réponse hier55 ». C’est à l’aune de cette réversibilité qu’Illa relit et relie tout à la fois les mythes grecs de la maternité, la quête de Déméter se réverbérant dans celle de Léto : « Cette femme doit accomplir une tâche difficile : trouver le lieu où il ne fait pas jour pour donner le jour aux gémeaux56 ».

Arachné ou l’écriture de la révolte

35Si, contrairement à Virgile, Ovide n’est pas nommément cité dans Illa, les Métamorphoses constituent pourtant un intertexte majeur de l’œuvre, sans doute le plus important par la précision et la subtilité du travail de réécriture dont il fait l’objet mais aussi par son sujet même, la figure de la métamorphose surgissant dès les premières pages du texte :

Qui ? Se dépêche. À pas de louve blanche. Une main longue, longs doigts ballabiles, inlassables, nerveux, attentifs, écoute, aigus, note longuement, note, n’est pas une main qui note, est elles, une femme, la voici perdrix, entourée de petits, rassemble les doigts frémissants, tout le corps jusqu’au poignet, fait elles, à pas de cinq, d’oiseaux la voici panthère, ramassée, n’est qu’un bond, poignant, prêt, retenu dans la paume, dans le dos, les doigts galvanisés. Une main de race. Longues enjambées. Chamelle qui monte au désert. Une écriture. Chevilles aiguilles57.

36Illa s’ouvre donc sous le signe de la métamorphose, de l’aptitude de « celle qui écrit » à être « elles », y compris dans le devenir animal. Les modalités de cette écriture se précisent ultérieurement dans une de ces « notes » en italiques déjà évoquées, la plus longue de l’œuvre :

Celle-qui-se-prend-à-filer :
Notes :
Suis : Il y a un fil. Entre l’à penser et le déjà formé de cet à penser. Elle-ne-sait-jamais-qui-écrit : c’est elle qui écrit : celle qui ne sait jamais. Ça te vient comment ? Si elle savait, pas d’écrire. dans le noir. L’écriture. je la suis. Il y a quelqu’une d’autre(s) qui te conduit, te nourrit t’égare. De la mère, de la fille, qui est le véritable enfant ? […]
[...] celle qui n’arrête pas, d’écrire, de se demander, comment, sans s’arrêter écrire le déplacement, cherche, à grands sauts d’araignée, par dessus moi à écrire plus vite que l’écriture, déplacer écrire à un rythme ultramobile qui ariachne
58 entre moi et malgré moi entre ses lettres, se dépendre, se d’écrire, se laisser prendre, entre ses noms, écrire de toutes ses pattes à la fois, autographiquement autres, entre-sous, se dé pendre59.

37C’est à partir de ce moment que l’intertexte ovidien émerge clairement dans le texte et que la réécriture de l’ouverture du chant VI des Métamorphoses consacrée à Arachné devient repérable, invitant à relire les pages qui précèdent pour constater que le retour réflexif de « celle-qui-écrit » s’achève sur une reprise quasi littérale des vers d’Ovide décrivant la métamorphose en araignée de la victime d’Athéna :

— et après trois ou neuf ans de trois heures étranges, à errer dans une langue inconnue, cherchant la porte ou le commutateur, ou le mot-clé, je ne sais si c’était moi qui me perdais mais c’est sûrement moi qui commençais à ressentir l’indicible détresse qui accompagne certains états brumeux où celle-qui-écrit, ayant fait tous les efforts pour avancer dans une histoire du moi, se retrouve au bout de trois saisons d’une activité sans entracte, ayant entre temps été surprise par le brouillard, sur la première page qu’elle avait cru quitter, et qu’elle n’a pas cessé de piétiner et dans son besoin passionné de se dégager, elle insiste, elle sent son corps s’éloigner, à chaque ligne, derrière elle, sa tête devient minuscule, toutes les proportions de son corps se réduisent, son buste s’aplatit, elle poursuit, elle pâlit, ses longs bras dorés s’effacent, ses jambes sèchent, tout le moi n’est plus qu’un ventre sans épaisseur d’où cependant elle laisse échapper les bouts de fil d’une écriture décousue et maintenant, elle ne peut plus se distinguer de la toile dans laquelle son malgrémoi s’entortille,
lorsque, renonçant d’une pensée à la régression dans mes impasses, je me présentai60.

38Grâce à un travail d’orfèvre sur l’hypotexte ovidien61, Cixous trouve en Arachné une figure emblématique de la résistance féminine à l’ordre patriarcal dont le maître de l’Olympe incarne toute la violence :

et, en tant qu’artiste attachée passionnément à son ouvrage, la deuxième personne, une méonienne d’obscure naissance, d’emblée refusant de reconnaître avoir reçu des leçons d’aucun enseigneur, sans plus s’attarder à des palabres au sujet de la juridicité en filature, fait fi des concepts de droit, de paternité, file sa toile d’une soie qu’elle tire de son propre ventre, — « elle ne doit pas sa renommée à son rang, ni à la famille dont elle tire son origine, moins encore à son père, un mort d’obscur décès », pense-t-elle, « et en tant que fileuse, demeurant dans sa propre soie, elle croit devoir son être à son art », d’une main ferme et agacée, la jeune fille sortie du peuple toute armée se hâte de représenter à la 6, 4, 2,
toute la série de grotesques apparences sous lesquelles les vieux pervers se sont vus contraints de se présenter dérobés pour enlever les vierges vigilantes, d’une navette aiguë elle figure la bande des insectueux réduits à leur véritable aspect, tels qu’en eux-mêmes la pulsion de viol les change pour l’éternité, leur zoo entier tout craché, les voilà rendus, sous poil, sous cuir, sous écailles, tels qu’en rêve ils sont révélés, horreur, nature, avec leur aspect propre, à dégoûter léda, déméter, koré, mélantho, ariane astérié, méduse, théophané, toi mon ami, angela, ou toi déo, ou toi, mémoire, ma sœur, ou illa, ainsi que toutes les femmes qui ne trouvent aucun charme à se faire mordre, déchirer, poignarder dans le dos, caresser à coups de cornes de bélier, de bœuf, de serres, de serpents, d’aigles, de sabots, de becs, et aucun intérêt libidinal à se faire connaître par un satyre, une averse ou un poisson grenouille de couleur carminée pas plus gros qu’une main d’homme et capable d’aboyer et trotter comme un roquet, […]62

39Cixous a naturellement été sensible à la mise en abyme du poème d’Ovide dans la tapisserie d’Arachné, qui invite à relire le texte dans la perspective des caelestia crimina63, les crimes dont les dieux sont les auteurs et les mortelles les victimes, lecture impie qui provoque le courroux de Pallas, déchirant la tapisserie et réduisant au silence cette voix dissidente. Rien d’étonnant dès lors à ce que la relecture-réécriture de ce mythe occupe une place centrale dans Illa, ouvrant d’ailleurs une voie qu’emprunteront volontiers, dans les années qui suivront, les gender studies64.

Trouver une langue

40On a vu le statut d’exception attribué aux poètes dans « Le rire de la Méduse ». Parmi eux, Rimbaud a joué un rôle particulièrement important dans la venue à l’écriture de Cixous65 notamment dans son rapport à la langue, comme elle le précise dans un entretien en 1996 : « Il y a des façons, au contraire, de dégrammaticaliser ou d’agrammaticaliser le français, de travailler en syntaxe pour qu’il soit une langue ouverte, réceptive, extensible, tolérante, intelligente, capable d’entendre les voix de l’autre dans son propre corps66 ». On a pu mesurer dans les passages précédemment cités combien Illa mettait en œuvre ce travail d’ouverture de la langue : création lexicale, avec une prédilection pour les mots-valises, usage spécifique du trait d’union, refus de la coupure dans la ponctuation, avec, par exemple, un « ne coupe pas » inséré dans l’interminable phrase évoquant Arachné qui mime l’activité de la fileuse impénitente. Sans entrer dans le détail d’une analyse stylistique, on s’en tiendra ici aux échos manifestes du « Rire de la Méduse ».

Écrire par son corps

41« Il faut que la femme écrive par son corps » est peut-être le mot d’ordre qui résume le mieux le manifeste de Cixous. C’est aussi, plus largement, le fondement de toute sa poétique. Les conséquences en sont d’emblée annoncées :

Le corps de la femme aux mille et un foyers d’ardeur, quand elle le laissera – fracassant les jougs et censures – articuler le foisonnement des significations qui en tous sens le parcourt, c’est de bien plus d’une langue qu’il va faire retentir la vieille langue maternelle à un seul sillon67.

42On retrouve la question de la langue au centre de l’investigation d’Illa qui précise de quelle aliénation « celle-qui-écrit » doit se libérer :

On nous a appris la langue qui parle de haut, de loin, qui s’écoute, qui n’a d’oreilles que pour elle-même, la langue sourde, la langue assourdissante, qui nous parle d’avance. On nous a appris la langue qui traduit tout en elle-même, — ne comprend rien qu’en traduction ; ne parle que dans sa langue, n’écoute que sa grammaire ; et nous sommes séparées des choses par son ordre68.

43Ce constat a des accents proustiens69, ce qui n’est pas pour nous étonner puisque Proust est l’un des écrivains auxquels Cixous a régulièrement rendu hommage70, notamment par le titre71 du texte écrit à l’occasion de la réédition du « Rire de la Méduse ». Les deux écrivains se rejoignent aussi pour dénoncer une vie altérée, falsifiée :

Nous nous laissons détourner par la grammaire, éloigner des objets par les phrases, nous laissons la langue nous doubler, se jeter sournoisement devant les choses juste avant que nous ayons pu les atteindre. La langue nous raconte la promenade avant que nous l’ayons accomplie en vie : et nous nous promenons dans la langue, suivant ses indications, nous sommes promenées à sa tête, nous ne savons pas ce que nous faisons, ce que nous vivons est intercepté, défait, remis en ordre, et la promenade nous est rendue, tout de travers, sur le plan de la langue, nous descendons selon ses pentes, c’est elle qui nous guide, loin de nous-mêmes ; nous fait marcher à son pas de langue, son pas faux, renversant72.

44Et c’est encore une démarche proustienne que l’on reconnaît dans l’effort pour retrouver la force de la sensation originelle. Mais celle-ci prend une inflexion singulière dans le rapport au végétal et à l’animal, en écho au « chaosmos » évoqué dans « Le rire de la Méduse » :

Parfois j’ai parlé panthère, j’ai répondu panthère, je voyais, à sa manière de se déplacer plus vite que le mouvement qu’elle aussi était de l’espèce de la lumière.
À présent je me souviens d’une révélation : à voir comme elle marchait, dans l’élasticité de l’air, à écouter la musique de ses pattes, son pas soprano, à entendre la vibration cantatrice de son allure, je comprenais, je comprenais, la nature de panthère m’a saisie d’autant plus puissamment que j’ai fait attention à la voix de son pas orange : j’ai entendu le pressant de son lumineux aller venir aller pressant dans l’air compressant l’air, faire « panthère » mariant dans son vient et vient la terre à l’air, panteler la terre, et une fois j’ai su à la voir tailler l’air et le travailler entrer, sortir entrer, comment se fait une panthère, à pas de haute voix orange quand elle entre et sort de l’air en écrivant panthère, en sculptant panthère dans le silence qui finissait par se ramasser autour de ses pattes en milliers de milli-instants de mouvements. Une panthère se fait au croisement du mouvement et de la lumière73.

45Pour que la langue cesse d’être l’instrument d’une mise au pas mortifère, il faut donc la retremper dans la sensation, retrouver le « savoir sauvage » de l’enfance :

Nos doigts ont l’ouïe suprasensible. Quand nous sommes encore sauvages. Quand nous étions petites. Nous apprenions les leçons par application. Nous avons besoin de toucher les visages d’une pensée, de connaître les sourires avec nos doigts, de caresser la lumière d’une femme avec nos lèvres, de tenir l’amour entre nos mains, sa tête penchée sur moi, de poser nos questions entre leurs bras sur les genoux. Quand nous étions encore des êtres de proximité. Avec silence nous parlions, nous savions nous taire pour nous exprimer de très près. Nos corps taillés dans la musique. Entendre. Ce que pense une femme avant les mots. Elle m’a donné ce dont j’avais besoin avant que je sache les noms du nécessaire. Notre toucher entend : nous avons l’ouïe femme74.

46Mais comment y parvenir ? Comment échapper au sort de Koré, arrachée à l’univers luxuriant de Déméter par la violence masculine, destin emblématique de la menace qui pèse sur toutes les femmes ? Dans la fiction de Cixous, seul l’amour d’une femme peut conjurer ce péril :

Et si nous ne mangeons pas les grenades qu’ils tiennent toujours prêtes à nous offrir, afin de nous empoisonner la langue et de nous réduire, d’un grain75, à leur silence, il suffira qu’Angela m’appelle, qu’elle taille mon nom dans la chair de sa voix fondante et âpre d’un coloris améthyste et qu’elle me le tende par-dessus la table jusqu’à mes lèvres, et le passé se divise, l’absence reflue à ma gauche et à ma droite, et quand nous arrivons à la limite du présent, il fait exceptionnellement beau, et nous entrons par la grâce des gestes les plus familiers, les plus précieux, dans l’histoire du présent, qui est une profondeur de lumière76.

47La langue à inventer est donc celle dans laquelle le nom est un fruit savoureux qui donne la clé du présent et qui circule entre les femmes, comme l’affirme la quatrième de couverture en forme d’épilogue d’Illa :

Je viens de poser cette étoile par terre : c’est une pomme de texte. Je ne l’ai pas écrite de moi-même. J’ai écrit d’elles. Elle rayonne de nous. Puissé-je à jamais me rappeler comment l’écriture ne va pas de soi, pousse dans la constellation que forment les femmes donnantes.

48Dans cette constellation, l’écrivaine brésilienne Clarice Lispector brille d’un éclat particulier.

Jouir des choses, jouer avec les mots

49Dans Vivre l’orange77, publié un an avant Illa, Clarice Lispector fait figure d’initiatrice pour une remontée aux sources :

J’ai demandé : « Qu’ai-je de commun avec les femmes ? » Du Brésil une voix est venue me rendre l’orange perdue. « Le besoin d’aller aux sources. La facilité d’oublier la source. La possibilité d’être sauvée par une voix humide qui est allée aux sources. Le besoin d’entrer plus avant dans la voix natale78. »

50Illa lui fait directement écho en célébrant à de multiples reprises l’intercession salutaire de Clarice comme celle qui « lui fait entendre l’appel des choses :

L’appel qu’il y a dans les choses : elle le recueille. Je me suis trouvée chez elle en octobre désert, l’écriture rétrécie, en petites sandales, les cheveux nattés à cause de la chaleur, grosse pas plus qu’une cigale, sans une larme, — sa vie pour une gousse de clémentine ! — et traînant l’âme, — sa vie pour une goutte de n’importe quelle bonté ! l’écriture avait tout perdu, sauf la soif, un besoin cruel de ne pas mourir. Elle lui a rendu l’orange. Ce que dit l’orange à l’appel de sa voix : son jus de lune, elle l’a bu en plein désert. Les mots dans cette voix sont des fruits. Ce sont des forêts que je traverse. Des panthères passent. Ses phrases à pas de panthère douce. Sa voix peuplée, vaste, sauvage, écoute79.

51C’est la révélation apportée par la rencontre avec Clarice Lispector qu’Illa explore, dans une remontée aux sources guidée par la conviction que « nous avons à apprendre la leçon des choses80 », seul moyen de rendre vie à la langue, d’en faire le lieu d’un rapprochement et non d’un éloignement inexorable de soi et du monde :

Souvent plus tard, en ces temps violents et paresseux, où nous ne vivons pas ce que nous vivons, nous ne lisons pas, nous sommes lues, nous sommes vécues, loin de vos vies essentielles, nous perdons le don, nous n’entendons plus ce que les choses veulent nous dire encore, nous traduisons, nous traduisons, tout est traduction et réduction, il ne reste presque plus rien de la mer qu’un mot sans eaux : car nous avons aussi traduit les mots, nous les avons vidé de leurs paroles, séchés, réduits, embaumés, et ils ne peuvent plus nous rappeler comment ils surgissaient des choses autrefois comme l’éclat de leur rire essentiel, quand, de joie, elles s’appelaient, elles exultaient leur nom-parfum ; et « mer », « mer » sentait algues, bruissait sel, et nous goûtions l’aimée infinie, nous léchions l’étrangère, le sel de sa parole sur nos lèvres81.

52Dans Illa « celle-qui-écrit » doit constamment aller à contre courant de la logique mortifère d’une langue qui s’abstrait toujours davantage des choses, refuser « traduction et réduction ». Elle célèbre ainsi avec lyrisme « la leçon de la couleur terre82 » ou encore celle de la tortue :

La tortue est la bête à maintenant. Un morceau d’illimitemps dans une coquille. Elle tient de l’être, du divin ; mais ensuite les coquecinelles tiennent d’elle : cependant celles-ci ne se maintiennent pas, au contraire ne prennent pas le temps de séjourner, n’ont pas plus de ténacité d’être que des étincelles. Si nous comprenons le va et vient doux et puissant de la tortue déployant son vivant dans son cocosmos, plongeant, émergeant dans son sein même, nous comprenons le rapport étrange que l’être maintient en sa présence, en déployant sa vie instantanée dans sa maison-maintenant. Si la langue devait pour nommer ce qui se déploie dans l’être, trouver un seul mot, elle pourrait risquer le nom de tortue83.

53La « leçon des choses », on le voit, est d’ordre philosophique autant que poétique, politique aussi, dès lors que si « nous avons besoin de prendre une leçon de tortue », c’est parce que « l’amour de la tortue nous garde du danger de complicité réactionnaire ». Sans elle et tout ce qui, comme elle, est exclu par « les salons, les strophes, les traductions », le péril est grand :

l’œuvre, tout son vivre, pourrait être déportée, traduite en nazi, revoilée, mise en religion, livrée aux philosophes, sarcophagée, vernie, cannibalisée académisée, glissé dans la poche d’un lettré obersturmführer et heidegerroyée. Car tel est le destin que se réservent les textes sans tortue, sans entrailles, sans limace terrestre, sans électricité, sans fureurs, non-volcaniques, sans salive, sans sucrier au bord duquel les mouches s’abreuvent le dimanche matin comme des chevaux84.

54Les leçons des choses ne peuvent se dire que dans la langue retrouvée de l’enfance, langue espiègle et irrévérencieuse, rebelle à toutes les normes, grouillante de sensations.

L’écriture du jardin

55Au fil des pages d’Illa, les voix du mythe se fondent insensiblement dans celles du présent, passant de l’écriture « à reculons dans le vieux texte85 » à la remémoration personnelle : « J’ai une enfance oranienne qui se souvient des plantes aux pieds de la colline du Jardin d’Essais86 ». Dans « Le rire de la Méduse », on l’a vu, les femmes revenaient « de leurs enfances qu’ils ont tant de mal à leur faire oublier, qu’ils condamnent à l’in pace ». Cixous célèbre dans Illa son « enfance qui a su. Elle demeure au Jardin d’Essais. Elle sait encore ce que seule je ne sais plus87 ». Par la grâce du jeu, le syntagme se trouve libéré de l’ordre colonial qu’il emblématisait pour devenir l’espace de la naissance au monde et de l’éclosion du langage :

Et je suis allée à l’école des paumes et des genoux, à l’odeur friable école des doigts, au vert tendre école de l’âme, et à quatre pattes dans les genêts, je suis allée au miel école des narines, je suis entrée dans mes jouissances, dans les bras bleus du jardin, sur sa poitrine ocre rouge, étalée sur sienne brûlée ses genoux j’ai frui.
Frui est un mot qui m’est éclos aux lèvres depuis l’odeur moussue d’ombre entre les pattes pensives d’un baobab fréquenté. Un de ces mots qui poussent isolément, hors saison, pour répondre à l’appel de notre besoin de poser les tout-légers doigts d’un mot sur une joie, pour mieux l’entendre s’épanouissant. « Frui » est l’inouï d’une fleur, le souffle de son éclosion. Frui est le bruit que fait un bouton d’or s’exhaussant vers la lumière. À l’école des herbes spontanées j’ai appris des boutons d’or, à laisser les choses se livrer fidèlement à leur propre épanouissement. J’ai été fidèle au jardin de fidélité. J’ai appris le besoin des boutons d’or, par besoin de jouir des boutons d’or jouissants88.

56Les révélations de frui s’épanouissent dans les pages qui suivent, en une célébration de l’autre langue89, celle qui n’oublie pas les sens pour le sens, qui se sait sons et saveurs, couleurs et parfums, accueillante aux jeux de mots polyglottes, par exemple entre le français « essai » et le latin esse :

Frui ! fait une joie. Frui est le fruisson que fait une joie en jouissant et s’offrant à jouir, dans le dépliement lent vif lent de ses pétales. Frui est l’infime musique du dépliement. Toute joie est dépliement. Frui est une fleur que j’ai eue tout d’un coup aux lèvres au jardin d’Esse. Une fleur-mot. Une de ces primeverbes, surtout jaunes ou blanches, qui nous arrive plus tôt que toute pensée, et nous éblouissent la bouche90.

57« Le rire de la Méduse » dénonçait la » sécabilité redoutable » comme un épouvantail inhérent au « faux théâtre de la représentation phallocentrique91 » ; Illa lui oppose une écriture fondée sur le refus de la coupure, entre le signifiant et le signifié, entre les mots et les choses, entre le sujet et le monde, une écriture de l’immanence, comme le souligne le choix d’Arachné. Et si Illa commence par revisiter les mythes grecs, l’œuvre s’achève sur une réécriture au féminin des mythes bibliques, du jardin d’Eden à l’Annonciation, lorsqu’il s’agit de célébrer en Clarice Lispector la sauveuse de « celle-qui-écrit » :

J’ai reçu une carte postale qui disait : « Le secret est dans lispector. L’ange est là ». Les mots m’ont causé des joies mondiales. Éblouissement et fraîcheur. C’était donc ça ! Du penser coule à nouveau sur le lit sec du cerveau, qui comprend, comprend ! Cela commence par un parfum montant d’un étroit calice. Dans mon obscurité. Car Lispector reste dans le noir. Dans sa splendeur. C’est un vase de forme longue comme un rouleau. Roseau parlant. Le contenu s’exprime : on sent ce parfum fort comme une main qui monte et déjà nous rend un peu de vie dans sa poigne. Qu’est-ce ! Mais c’est un lis ! Évidence ! L’écriture est naturellement d’abord un lis qui pousse, le devancer du parfum qui se donne à jouir avant de dire son nom : lis. Ensuite tout le secret s’épanche. Le lis s’offre : tel est le sens de « or ». Alors je compris » spect » ! Voici que je découvre dans l’obscurité le brillant point d’or. Speck, le troisième élément précieux de ce talisman.
Je veux allumer et contempler la découverte, de mes yeux miraculés, mais j’y renonce car il m’est tout à fait clarice qu’il n’est pas besoin de mieux garder ce qui est contenu tout entier avec parfums, matière et vibrations dans la tige de lispector.
Et je corolle, dans la tranquillité de la sauvée à qui l’ange est venu ouvrir les yeux et les noms, allongée au bord d’un rêve, tenant dans ma main le lispector jusqu’au petit jour92.

58Le lys que l’ange offre à Marie dans la tradition picturale depuis le XIVe siècle cesse de symboliser la pureté virginale pour devenir métonymie de celle qui aide à renaître à l’écriture, en tant que partie de son nom, lequel se mue en rébus polyglotte, avec speck, qui dit, en anglais, la germination à venir ; le messager divin cède la place à celui de l’inconscient et la lumière céleste à ce noir que « Le rire de la Méduse » célébrait déjà en mettant au pluriel la voix de la Sulamite dans le Cantique des cantiques et en restaurant le « et » occulté par des siècles de traduction occidentale93 : « nous sommes “noires” et nous sommes belles94 » ; ce noir enfin fait écho au titre du roman de Clarice Lispector, La Pomme dans le noir (A maçã no escuro)95, qui s’offre lui-même comme une relecture au féminin du récit de la Genèse96. Les multiples fils de ce foisonnement intertextuel se rejoignent en une véritable mythobiographie, pour reprendre le terme de Claude-Louis Combet dont la réécriture du mythe de Méduse présente bien des échos avec celle de Cixous97 ; figures mythiques et personnages contemporains98 se fondent tandis que la vision du rêve se mue en récit :

Une femme se tient dans l’obscurité, plantes mourantes, pas de vie pour les arroser, pas une goutte de pulsion dans les lits épuisés. Mais voici qu’une femme lui donne un lis martagon angela dans la main. Elle ne voit pas une pierre dans les ténèbres, mais elle ne s’y heurte pas : il y a l’abîme entre les temps et elle n’y tombe pas car elle tient une lampe de la main d’une autre femme. Et voici qu’une arrivée lui tend un lis allumé dans le noir. Et soudain l’écrasement est soulevé car une femme lui donne une légèreté. Comment elle arrive : d’une merci, d’un bond, comme un parfum avec ses hauts bras verts tendre tendus depuis une si longue patience99.

59« Être un jardin de nature humaine est notre bonheur savant », telle est la leçon d’Illa, entre jardin d’Eden et jardin d’Épicure. Ce « roman de la voix100 », selon la belle formule de Béatrice Didier, oscille entre le poème et l’essai, « histoire cherchante » fidèle aux dernières lignes du « Rire de la Méduse » :

Quand j’écris, c’est tout ce que nous ne savons pas que nous pouvons être qui s’écrivent de moi, sans exclusion, sans prévision, et tout ce que nous serons nous appelle à l’inlassable, enivrante inapaisable chercherie d’amour. Jamais nous ne nous manquerons101.

60Un demi-siècle plus tard, notamment avec les progrès considérables dans la connaissance de l’histoire littéraire des femmes, on peut certes considérer que la notion même d’écriture féminine est « improbable comme vision globale102 ». Cixous avait, à vrai dire, déjà répondu à cette objection dans son préambule en mettant l’accent sur « l’infinie richesse de leurs constitution singulières103 » et rétrospectivement, c’est bien la singularité irréductible d’une écriture qui se manifeste dans Illa, une singularité telle qu’elle sollicite sans doute un mode de lecture spécifique. Gilles Deleuze avait fait à son sujet une proposition aussi éclairante que paradoxale :

Le mystère Hélène Cixous, tel qu’on le voit dans son dernier récit Neutre : un auteur qui passe pour difficile demande généralement à être lu lentement ; ici, au contraire, c’est l’œuvre qui nous demande de la lire « vite », quitte à la relire, de plus en plus vite. Les difficultés qu’éprouverait un lecteur lent fondent à la vitesse accrue de la lecture. C’est que nous croyons qu’Hélène Cixous invente une nouvelle écriture originale, et qui lui donne une place tout à fait particulière dans la littérature moderne : une sorte d’écriture stroboscopique, où le récit s’anime, et les différents thèmes entrent en connexion, et les mots forment des figures variables, suivant les vitesses précipitées de lecture et d’association104.

61On pourrait dire aussi, à partir des métaphores textiles longuement filées dans Illa, que le tissu du texte est si serré, que l’intertextualité est si riche, que chaque relecture peut s’attacher à un fil et découvrir ainsi un nouveau dessin dans la trame chatoyante d’une écriture qui se veut poreuse à toutes les « questions que [s]a fraîcheur et [s]on ignorance natale attirent105 ».

Notes de bas de page numériques

1 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 37.

2 Martine Reid, « En-corps, brèves observations sur le manifeste d’Hélène Cixous », Tangence, n°103, 2013, p. 26.

3 Martine Reid, « En-corps, brèves observations sur le manifeste d’Hélène Cixous », Tangence, n°103, 2013, p. 22.

4 Hélène Cixous, La Venue à l’écriture [1977], repris dans le recueil Entre l’écriture, Paris, Des femmes, 1986.

5 Voir Franck Salaün, Besoin de fiction. Sur l’expérience littéraire de la pensée et le concept de fiction pensante, Paris, Hermann, 2014.

6 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 46.

7 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 55-56.

8 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 37.

9 Pour n’en donner qu’un exemple éloquent, le jugement de Gustave Lanson sur Christine de Pizan (Histoire de la littérature française [1894], Paris Hachette, 1951, p. 166-167) : « Ne nous arrêtons pas à l’excellente Christine Pisan, bonne fille, bonne épouse, bonne mère, du reste une des plus authentiques bas-bleus qu’il y ait dans notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes auteurs, à qui nul ouvrage sur aucun sujet ne coûte, et qui pendant toute la vie que Dieu leur prête, n’ont affaire que de multiplier els preuves de leur infatigable facilité, égale à leur universelle médiocrité ».

10 Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe [1949], Paris, Gallimard, 1976, t. II, p. 628.

11 Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe [1949], Paris, Gallimard, 1976, t. II, p. 634.

12 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 58.

13 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 7. Toutes les références ultérieures seront données dans cette édition originale, le texte n’ayant pas connu de réédition.

14 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 95.

15 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 37 : « Mais il faut dire, avant tout, qu’il n’y a pas, aujourd’hui même, et malgré l’énormité du refoulement qui les a maintenues dans ce “noir” qu’on essaie de leur faire reconnaître comme leur attribut, une femme générale, une femme type. Ce qu’elles ont en commun, je le dirai. Mais ce qui me frappe, c’est l’infinie richesse de leurs constitutions singulières […] ».

16 Virgile, Géorgiques, IV, v. 49-495 : « Illa : "quis et me" inquit "miseram et te perdidit, Orpheu,/ Quis tantus furor? […] ».

17 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 59.

18 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 48.

19 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 49.

20 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 48-49.

21 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 45.

22 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 40.

23 Sur cette figure voir, entre autres, Séverine Clément, « Fama et le poète : pour une poétique de la monstruosité dans l’Énéide », Bulletin de l’Association Guillaume Budé : Lettres d’humanité, n°59, décembre 2000, p. 309-328.

24 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 23.

25 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 198.

26 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 38.

27 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 199.

28 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 42

29 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 41.

30 Martine Reid, « En-corps, brèves observations sur le manifeste d’Hélène Cixous », Tangence, n°103, 2013, p. 22.

31 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 44.

32 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 12.

33 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 50.

34 Jacques Derrida, H. C. pour la vie, c’est-à-dire…, Paris, Galilée, 2002, p. 92.

35 Colette Camelin, « La “scène de la fille” dans Illa d’Hélène Cixous », Littérature, n°67, octobre 1987, p. 90.

36 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 54.

37 Cf. Freud, La Question de l’analyse profane. Entretien avec un homme impartial [Die Frage der Laienanalyse, Unterredungen mit einem Unparteiischen, 1926], Œuvres complètes XVIII, éd. Jean Laplanche, Paris, P.U.F., 2002, p. 36 : « la vie sexuée de la femme adulte n’est-elle pas d’ailleurs un dark continent ? (ist doch auch das Geschlechtsleben des erwachsenen Weibes ein dark continent für die Psychologie?) ». Freud emprunte en l’occurrence son image au titre du livre d’Henri Morton Stanley, Through the Dark Continent (1878), ce dont Cixous tire toutes les conséquences, en liant étroitement phallocentrisme et suprémacisme blanc : « On peut en effet incarcérer, ralentir, réussir trop longtemps le coup de l’Apartheid, mais pour un temps seulement. On peut leur apprendre, dès qu’elles commencent à parler, en même temps que leur nom, que leur région est noire : parce que tu es Afrique, tu es noire. Ton continent est noir. » (p. 41).

38 Janine Filloux, « La peur du féminin : de “La tête de Méduse” (1922) à “La féminité” (1932) », Topique, n°78, 2002/1, p. 107.

39 Sigmund Freud, « Le motif du choix des coffrets » [« Das Motiv der Kästchenwahl », 1913], trad. Bertrand Féron, dans L’Inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985.

40 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 8.

41 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 38.

42 Cf. citation supra note 20.

43 Sigmund Freud, « Le motif du choix des coffret » [« Das Motiv der Kästchenwahl », 1913], trad. Bertrand Féron, dans L’Inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, 1985, p. 81.

44 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 5

45 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 11.

46 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 11-12.

47 Voir Béatrice Didier, « Les voix d’Illa », dans Mireille Calle-Gruber (dir.), Hélène Cixous : croisées d’une œuvre, Paris, Galilée, 2000, p. 293-299.

48 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 106.

49 Sur cette figure voir, entre autres, Maurice Olender, « Aspects de Baubô. Textes et contextes antiques », Revue de l’histoire des religions, n°202/1, 1985, p. 3-55 ; Monique Broc-Lapeyre, « Pourquoi Baubô a-t-elle fait rire Déméter ? », Cahiers du groupe de Recherche sur la philosophie et le langage, n°5 (1985). Disponible sur : https://cheminstraverse-philo.fr/philosophes/pourquoi-baubo-a-t-elle-fait-rire-demeter-2/; et bien sûr, pour le rapprochement entre Baubô et Méduse, Jean-Pierre Vernant, La mort dans les yeux : figures de l’Autre en Grèce ancienne : Artémis, Gorgô, Paris, Hachette, 1985.

50 Hélène Cixous et Catherine Clément, La jeune née, dessins, de Mechtilt, Paris, Paris, Union Générale d’Édition, 1975, p. 47.

51 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 48.

52 Pour une étude de la réécriture de ce mythe dans Illa et une comparaison avec d’autres appropriations féminines contemporaines, voir Agnieszka Stobierska, Généalogie féminine et réécriture des mythes dans les littératures française et polonaise contemporaines, thèse soutenue à l’Université Côte d’Azur le 24 octobre 2018.

53 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 18.

54 Ovide, Métamorphoses, VI, v. 297-301, trad. Danièle Robert, Paris, Actes Sud, 2001, p. 242-243.

55 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 27.

56 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 47.

57 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 8.

58 Ce mot-valise, qui permet la rencontre du fil d’Ariane et de celui d’Arachné se trouve pour la première fois dans la pièce de Shakespeare Troïlus et Cressida (V, 2, v. 146-151).

59 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 6.

60 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 6.

61 Voir Sylvie Ballestra-Puech, Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale, Genève, Droz, 20067, p. 365-270.

62 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 71.

63 Ovide, Métamorphoses, VI, v. 131.

64 Voir, entre autres, Patricia K. Joplin, « The Voice of the Shuttle is Ours », Stanford Literature Review, n° 1 (1984), p. 25-53 et Nancy K. Miller, « Arachnologies : The Woman, the Text and the Critic » , The Poetics of Gender, éd. C.G. Heilbrun et N. K. Miller, New York, Columbia University Press, 1986, p. 270-295.

65 Voir Catherine Witt, « Rimbaud, Cixous, l’en-marche », Parade sauvage, n°29 (2018), p. 237-262.

66 Kathleen O’Grady, « Guardian of Language: An Interview with Hélène Cixous (March 1996) », Women’s Education : éducation des femmes, 12/4 (1996-1997), p. 9.

67 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 55.

68 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 136.

69 Cf. notamment Marcel Proust, Le Temps retrouvé, À la recherche du temps perdu, éd. J.-Y. Tadié, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, t. 4, p. 474 : « La grandeur de l’art véritable, au contraire, de celui que M. de Norpois eût appelé un jeu de dilettante, c’était de retrouver, de ressaisir, de nous faire connaître cette réalité loin de laquelle nous vivons, de laquelle nous nous écartons de plus en plus au fur et à mesure que prend plus d’épaisseur et d’imperméabilité la connaissance conventionnelle que nous lui substituons, cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans avoir connue, et qui est tout simplement notre vie ».

70 Voir Catherine Phillips, « À la recherche des intertextes proustiens dans l’œuvre récente d’Hélène Cixous », dans Cixous after/depuis 2000, éd. E. Berglund Hall, F. Chevillot, E. Hoft-March et M. Peãlver Vicea, Leyde-Boston, Brill/Rodopi, 2017, p. 55-66.

71 Hélène Cixous, « Un effet d’épine de rose », dans Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 23-33.

72 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 136.

73 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 143.

74 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 108.

75 C’est pour avoir mangé un grain de grenade alors qu’Hadès la retenait captive aux Enfers que Perséphone est condamnée à passer la moitié de l’année avec lui dans son royaume souterrain.

76 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 128.

77 Hélène Cixous, Vivre l’orange, Paris, Éditions des femmes, 1979, réédité en 1989, chez le même éditeur, dans L’Heure de Clarice Lispector.

78 Hélène Cixous, Vivre l’orange, Paris, Éditions des femmes, 1979, réédité en 1989, chez le même éditeur, dans L’Heure de Clarice Lispector, p. 17.

79 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 131.

80 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 148.

81 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 149.

82 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 138.

83 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 164-165.

84 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 166.

85 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 75.

86 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 135.

87 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 137.

88 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 140.

89 Voir Véronique Bergen, Hélène Cixous. La langue plus-que-vive, Paris, Champion, 2017.

90 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 141.

91 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 53.

92 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 191-192.

93 Voir Claire Placial, « “je suis noire et belle”. Sur les traductions de Cantique 1,5, et sur l’importance du mot “et” », Langues de feu, 23 octobre 2013, disponible sur : https://languesdefeu.hypotheses.org/559

94 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 46.

95 Le roman a été traduit en français sous le titre Le Bâtisseur de ruines, trad. Violante Do Canto, Paris, Gallimard, 1970.

96 Voir Mara Negrón-Marrero, Une genèse au « féminin » : étude de La pomme dans le noir de Clarice Lispector, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1997.

97 Voir Stéphanie Boulard, « Fantasmes du mythe chez Claude Louis-Combet : Gorgô ou la transposition de la terreur », dans Chances du roman, charmes du mythe. Versions et subversions du mythe dans la fiction francophone depuis 1950, dir. Marie-Hélène Boblet, Paris, Presses Sorbnne Nouvelle, 2013, p. 13-26.

98 Le tableau construit par Colette Camelin (« La “scène de la fille” dans Illa d’Hélène Cixous », Littérature, n°67 (octobre 1987), p. 86) a le mérite de la clarté mais risque d’enfermer dans une structure ternaire statique une œuvre ouvertement placée sous le signe de la métamorphose.

99 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 193.

100 Béatrice Didier, « Les voix d’Illa », dans Hélène Cixous : croisées d’une œuvre, dir. Mireille Calle-Gruber, Paris, Galilée, 2000, p. 297.

101 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 68.

102 Merete Stistrup Jensen, « La notion de nature dans les théories de l’“écriture féminine” », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°11 (2000/1), p. 45.

103 Hélène Cixous, « Le rire de la Méduse » [1975], Le Rire de la Méduse et autres ironies, préface de Frédéric Regard, Paris, Galilée, 2010, p. 38.

104 Gilles Deleuze, « Hélène Cixous ou l’Écriture stroboscopique », texte paru dans Le Monde du 11 août 1972, recueilli dans L’Île déserte et autres textes, Paris, Éditions de Minuit, 2002, p. 321.

105 Hélène Cixous, Illa, Paris, Éditions des femmes, 1980, p. 211.

Pour citer cet article

Sylvie Ballestra-Puech, « « Une femme qui sait lire ce qui a été écrit avant l’écriture » : Illa d’Hélène Cixous », paru dans Loxias, 69., mis en ligne le 14 juin 2020, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=9449.


Auteurs

Sylvie Ballestra-Puech

Sylvie Ballestra-Puech est professeur de littérature comparée à l’Université de Nice-Sophia Antipolis (Université Côte d’Azur) et membre du Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (C.T.E.L.). Elle a notamment publié Lecture de La Jeune Parque (Klincksieck, 1993), Les Parques. Essai sur les figures féminines du destin dans la littérature occidentale (Éditions Universitaires du Sud, 1999), Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale (Droz, 2006) et Templa Serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge (Droz, 2013). Elle a récemment dirigé un ouvrage collectif consacré aux Lectures de Lucrèce (Droz, 2019) et publié avec Évanghélia Stead l’anthologie multilingue Dans la toile d’Arachné. Contes d’amour, de folie et de mort (Jérome Millon, 2019).

Université Côte d'Azur, CTEL