Loxias | 69. Génération Beauvoir | I. Génération Beauvoir 

Ons Othmani  : 

Journal intime et mauvaise foi : l’aliénation féminine entre fiction et essai

Résumé

Cet article se propose d’étudier les stratégies discursives de la mauvaise foi comme une forme de l’aliénation féminine telle qu’elle a été développée par Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe et ce, à travers l’exploration de l’ethos discursif de deux protagonistes- diaristes : Chantal (Anne, ou quand prime le spirituel) et Monique (La Femme rompue) qui partagent la même mystification en dépit de la trentaine d’années qui séparent les deux recueils de nouvelles. Cette étude permet également de démontrer l’impact de la publication et de la réception de l’essai de 1949 sur la représentation du sujet féminin dans l’écriture fictionnelle beauvoirienne qui se déleste de sa veine (auto)biographique au profit d’une dimension plus sociale.

Abstract

This paper aims to study the discursive strategies of bad faith as a form of female alienation as it was developed by Simone de Beauvoir in The Second Sex, through the exploration of the discursive characters of two protagonists/diarists: Chantal (When Things of the Spirit Come First) and Monique (The Woman Destroyed) who share the same mystification despite the thirty years that separate the publication of the two collections of short stories. This study also demonstrates the impact that the publication and reception of the 1949 essay had on the representation of the female subject in Beauvoir’s fictional writing which left behind its (auto) biographical dimension in favor of a more social paradigm.

Index

Mots-clés : aliénation , Beauvoir (Simone de), essai, fiction, mauvaise foi

Géographique : France

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

Le journal est le texte miroir de l’existence qui, par lui, prend sens au fil de son déroulement, un texte qui en affirme la valeur identitaire (et évidemment l’incertitude de cette valeur) en même temps qu’il en compose la représentation. C’est parce que l’existence n’est pour lui qu’un récit impossible et tronqué qu’il importe justement au diariste de la doubler par le discours de la façon, sinon la plus précise, du moins la plus conforme à l’image qu’il veut (se) donner de lui-même1.

D’après cette réflexion de Michel Braud, le journal intime en tant qu’entreprise d’autoreprésentation est indissociable d’un processus de construction de soi et d’une certaine forme de mensonge. La composante narcissique intrinsèque au journal explique la tendance du/de la diariste, à la fois sujet et objet de son discours, à faire coïncider l’image du sujet écrivant avec celle du sujet décrit, quitte à recourir aux faux-semblants. D’ailleurs, nombre de spécialistes des écritures du moi ont mis en évidence les rapports ambigus entre journal intime et vérité ; à titre d’exemple, Béatrice Didier a qualifié cette écriture de « doublement insincère2 » tandis que Georges Gusdorf évoque un « aveuglement de soi à soi3 ». Ces aspects du journal intime pourraient éclairer le choix narratif de Simone de Beauvoir dans ses deux nouvelles, à savoir « Chantal » (Anne, ou quand prime le spirituel) et « La Femme rompue » (qui donne son titre au recueil) et dont les héroïnes sont des diaristes. Ainsi, à travers le journal de Chantal, jeune professeure de province, et celui de Monique, femme au foyer au mari infidèle, nous retrouvons la même mystification qui consiste à s’enliser dans le mensonge et l’auto-complaisance afin de fuir une situation d’échec ou un certain mal-être. En effet, ce mode d’écriture, où la vérité sans cesse se dérobe, semble idéal pour « rendre cette distance de soi à soi qu’est la mauvaise foi4 ». Par ailleurs, contrairement à l’autobiographie qui se distingue par une dimension rétrospective et un souci d’unité, le journal, en tant qu’écriture du quotidien, permet de mimer la contingence de l’existence qui se raconte au jour la journée et de suivre les fluctuations d’une individualité en devenir. Cet aspect fragmentaire met à mal l’idée d’une identité immuable qu’on pourrait fixer dans les mots au profit d’une conception selon laquelle l’identité se construit dans et par le langage. C’est dans cette perspective que la notion d’ethos5, en tant que « la façon dont le sujet parlant construit une image de soi dans son discours6 », nous semble un outil pertinent pour analyser la présentation de soi et la construction verbale de l’identité telles que façonnées et projetées dans le discours des deux diaristes beauvoiriennes. En nous appuyant sur les théories de Dominique Maingueneau et de Ruth Amossy, nous chercherons à démontrer comment, sous la plume de Simone de Beauvoir, l’ethos relevant de la mauvaise foi se présente comme « une manière de dire qui est aussi une manière d’être7 ». Le choix d’étudier deux œuvres, écrites à une trentaine d’années d’intervalle8 et séparées par cet événement majeur que fut la parution du Deuxième Sexe, nous permettra de mettre en lumière l’impact de la publication et de la réception de l’essai sur la représentation du sujet féminin dans l’écriture fictionnelle beauvoirienne. Nous essayerons également de révéler les liens qui existent entre un essai philosophique d’un millier de pages, dans lequel l’écrivaine « [tente de construire] une véritable psychologie de l’aliénation féminine9 », et cette « banale histoire10 » d’infidélité relatée dans La Femme rompue.

Soi-même comme une autre

Chantal Plattard est une jeune professeure de littérature fraîchement agrégée et nommée à Rougemont, petite ville de province morose et pluvieuse. Y louant une chambre meublée, elle passe ses journées entre les cours, la correction des copies et de brèves sorties. Face à une existence monotone, aux antipodes de celle qu’elle menait à Paris, la jeune femme tente d’embellir ses fades journées en s’adonnant aux richesses de « la vie intérieure » ; c’est alors qu’elle commence à tenir un journal intime autant, nous semble-t-il, pour écrire que pour se regarder écrire. Refusant de se voir comme une enseignante à la vie étriquée, elle se construit une image magnifiée d’elle-même : un ethos « de femme affranchie, à la chatoyante sensibilité11 » pour éblouir ses ami·es à travers les missives qu’elle leur adresse. Ses obligations professionnelles, qui dérogent au tableau romanesque d’une vie libre et riche qu’elle fait miroiter dans son journal, sont éludées au moyen d’une constante mise en scène de soi :

J’ai posé à côté de moi le paquet d’analyses logiques que je dois rendre demain matin en cinquième : mais comment avoir la sagesse de les corriger alors que ma chambre est remplie d’un parfum de roses d’automne ? Ces fleurs éclatantes réclamaient autour d’elles un peu d’élégance, et c’est pourquoi j’ai revêtu mon peignoir japonais et enfilé mes babouches. Ainsi vêtue dans cette chambre parée, je ressemble plus à une jeune femme oisive qu’à un austère professeur12.

« Ce monde éthique13 », pour le dire avec Maingueneau, dont participe cette scène évoque l’atmosphère de dilettantisme baudelairien où prédominent la beauté, le luxe et la volupté et qui jure avec l’austérité contraignante de son métier. Ce passage révèle que pour Chantal, le réel se réduit à un simple décor qu’elle façonne selon ses humeurs et ses envies et où elle ne fait que céder à des caprices au lieu de se plier à des devoirs. D’ailleurs, elle passe sous silence tous les aspects ordinaires de sa vie, alors que les menus soucis du quotidien nous sont révélés à travers des séquences narratives qui viennent s’intercaler entre les pages du journal : « Chantal allait dîner le soir pour la première fois chez Mme Fournier […] et elle sentait que sa vie était brillante et variée ; cette ennuyeuse réunion de professeurs n’en faisait pas vraiment partie » (QPS, 106). Dans ce passage, et par le truchement d’un narrateur sarcastique, l’auteure recourt au monologue narrativisé au moyen du style indirect libre14, pour rendre compte de la mauvaise foi de la protagoniste et dévoiler le creuset où se mêlent sa vie réelle et sa vie rêvée.

Par ailleurs, la jeune femme adopte une attitude d’esthète et se targue d’allier sensibilité et érudition en prenant « un point de vue contemplatif » (QSP, 129) sur les choses. Au moyen de ce filtre romanesque, et par l’emploi d’un vocabulaire châtié et de métaphores forcées, elle arrive à peindre la province française sous des traits pittoresques et typiques et à masquer la laideur des façades tristes ainsi que la misère des vieux mendiants de Rougemont. En effet, la simple vue d’une flèche de cathédrale suffit pour que son écriture prenne des inflexions mystiques et qu’elle se sente « l’âme d’une jeune mondaine des temps passés, qui, touchée par la grâce, commencerait une retraite dans la paix d’un cloître » (QPS, 91). Cependant, force est de constater qu’elle éprouve un profond malaise dans sa retraite forcée et sinistre comme le montrent ces phrases où elle délaisse le ton exalté qu’elle adopte habituellement dans son journal au profit d’une écriture sans fioritures où domine un lexique macabre : « Enterrée en province » (QPS, 104), « je m’ennuie à mourir […]. J’étouffe ; j’ai l’impression d’être au fond d’un tombeau » (QPS, 105).

Mais c’est surtout en exerçant son influence sur ses jeunes élèves, qu’elle fascine par son apparence soignée, la hardiesse de ses propos et son libéralisme moral, que Chantal cherche à subvertir l’ethos conventionnel de la professeure guindée, ce stéréotype incarné par ses collègues qu’elle méprise. La diariste, qui a romancé à souhait les amours du « couple enfant », Monique et Serge, — qu’elle compare aux personnages du Grand Meaulnes, allant même jusqu’à les pousser dans une aventure qui se termine par une grossesse non désirée —, semble à la fois surprise, indignée et même trahie lorsqu’elle apprend la nature de leurs rapports. Cet amour sacré tant exalté dans son journal est décrit par le narrateur comme une sombre histoire dans laquelle Serge n’est ni un saint avançant vers la lumière ni un artiste assoiffé de gloire, comme l’aime à (se) le représenter Chantal, mais un jeune homme arrogant et violent animé de calculs mesquins. Lorsqu’elle apprend que sa jeune élève est enceinte et qu’elle sollicite son aide et sa bienveillance, son conservatisme et son hypocrisie éclatent au grand jour. Face à ce choix éthique qui exige qu’elle engage sa conscience mais surtout sa réputation, son vrai visage se révèle. Le narrateur s’éclipse comme pour nous montrer que les paroles de la protagoniste coïncident cette fois-ci avec ses pensées : « Mon Dieu ! Quelle boue ! […] Monique n’a qu’à se marier le plus vite possible » (QPS, 158). Suite à cet incident, la diariste, ne pouvant plus prétendre que son existence est un roman dont elle serait l’héroïne, cesse de tenir son journal.

Par ailleurs, à l’instar de la jeune professeure, la protagoniste de La Femme Rompue recourt au même procédé qui consiste à « [user] du langage pour dissimuler la vérité15 ». Un.e lecteur.ice attentif.ive remarquerait que dès le début de son journal, Monique écrit : « (Curieuse chose qu’un journal : ce qu’on y tait est plus important que ce qu’on y note) », comme pour l’inviter à rompre le pacte de sincérité et à se méfier des confidences qu’elle s’apprête à livrer. En effet, lorsque son mari lui avoue sa liaison avec Noëllie Guérard, une brillante avocate, la diariste mentionne très brièvement cet événement notable au moyen d’une tournure elliptique : « Ça m’est arrivé16 » (FR, 87). L’emploi du pronom démonstratif neutre « Ça » dénote le refus de la diariste d’admettre cette infidélité au point même de ne pouvoir la nommer. Cette fuite devant la vérité se poursuit dans ce passage où elle se réfugie dans le passé pour se prémunir contre le désenchantement présent :

(Tout était bleu au-dessus de notre tête et sous nos pieds […]. Il me serrait contre lui. « Si tu me trompais, je me tuerais. – Si tu me trompais, je n’aurais pas besoin de me tuer. Je mourrais de chagrin. » Il y a quinze ans. Déjà ? Qu’est-ce que quinze ans ? Deux et deux font quatre. Je t’aime, je n’aime que toi. La vérité est indestructible, le temps n’y change rien.) (FR, 88)

Ainsi, pour conjurer son angoisse face à l’affreuse réalité de sa situation, la diariste oppose à la récente trahison de son époux sa tendresse passée, en se remémorant leurs vieux serments de fidélité, dans une sorte de vision idyllique et figée de la passion amoureuse. Le recours au présent gnomique et aux phrases assertives, qui succèdent aux interrogations oratoires, dénotent à la fois l’étonnement de Monique et son refus de l’inéluctable passage du temps. Ces parenthèses enchantées sous forme de flash-back confèrent à sa foi en un amour éternel la force d’une vérité mathématique. Si, comme l’affirme Dorrit Cohn, le journal intime est « la forme de récit à la première personne qui se prête le plus spontanément à la focalisation sur l’instant présent 17», la diariste beauvoirienne semble faire violence aux normes du genre et ne cesse, à l’instar de la femme de Loth, de regarder en arrière et de s’enliser de plus en plus dans le mensonge. Les anciennes lettres d’amour et les vieilles photos, vestiges d’une passion qui se meurt et d’un désir éteint, sont autant de talismans qui lui permettent de raviver et de prolonger le passé face à un avenir incertain. De même, après une scène violente où son mari lui avoue qu’il ne l’aime plus et qu’il a eu plusieurs liaisons, elle semble complètement omettre les implications de ces révélations et note quelques jours plus tard : « Mais j’ai une conviction que je sais mal exprimer. Avec moi Maurice a une relation en profondeur, qui engage ce qu’il y a d’essentiel en lui et qui est donc indestructible » (FR, 129). Malgré l’échec flagrant de son mariage, la diariste persiste à se croire irremplaçable et à faire prévaloir ses croyances, pourtant infondées, sur la réalité. Elle demeure même persuadée que son couple forme un ensemble harmonieux et indivisible et que son époux, comme ses filles, ne se distingue pas d’elle-même : « nous sommes soudés » (FR, 129), « Maurice me semblait soudé à ma peau […] d’une manière irréversible » (FR, 142).

Par ailleurs, refusant d’admettre l’importance de Noëllie dans la vie de son mari, la diariste emploie des termes tels « anicroche », « aventure sans conséquence », « incartade » pour désigner cette liaison qui dure depuis dix-huit mois18 visant ainsi à lui conférer un caractère à la fois éphémère et contingent qu’elle n’a pas. Monique cherche à reléguer cet adultère au rang de simple toquade amoureuse qui ne saurait altérer la pureté et la puissance de ses liens avec Maurice présentés comme sacrés et indubitables au moyen des adjectifs « réel », « solide », « indestructible ». En vue de ternir l’image flatteuse de Noëllie considérée par son mari comme une « une femme estimable », la diariste brosse de cette dernière un portrait avilissant visant à la déconsidérer autant aux yeux de son époux qu’à ses propres yeux en puisant dans un registre familier et même vulgaire relatif à l’inauthenticité, la vanité et l’immoralité : « bagou », « bluff », « esbroufe », « chiqué », « véreuse », « garce ». Ainsi, Monique oppose deux « mondes éthiques » : le sien, connoté positivement et fondé sur des idéaux inconditionnés et universels tels que l’amour, la fidélité, le dévouement et le bonheur familial et celui de sa rivale, connoté péjorativement et désigné par l’expression « fausses valeurs ». La diariste se pose donc en « garante19 » des vraies valeurs, celles incarnées par son couple en se complaisant dans une vision à la fois dualiste et idéaliste du monde qui la rassure quant à sa supériorité par rapport à sa rivale : « Non. Impossible qu’il [Maurice] me préfère quelqu’un d’aussi frelaté que Noëllie » (FR, 112). En plus de vouloir incarner l’épouse parfaite, Monique cherche également à se représenter comme une mère idéale. En effet, elle adopte une attitude de déni vis-à-vis de sa relation avec ses filles : « [J] e les trouve tout à fait réussies » (FR, 108), « Je suis si fière de les avoir réussies, chacune de manière différente, selon sa propre nature » (FR, 124). Cette autoreprésentation valorisante est contrecarrée par les reproches récurrents de son mari qui l’accuse d’être « envahissante, impérieuse, possessive avec [ses] filles comme avec lui » (FR, 123). Sa tyrannie maternelle est à l’origine du « mariage idiot » qu’a fait son aînée et du départ de sa cadette pour l’Amérique.

Ainsi, si Chantal refuse de coïncider avec son ethos de professeure, Monique, quant à elle, peine à se départir de l’ethos de mère et d’épouse idéale. En se réfugiant dans des certitudes réconfortantes qui sont autant de clichés et de codes relatifs à un certain ordre social et moral qu’elle s’évertue à incarner, la diariste « moule inconsciemment ou délibérément son ethos discursif sur un modèle culturel entériné, se construisant ainsi une identité qui [la] situe20 ».

La mauvaise foi, genèse d’un concept

« Pendant deux ou trois ans, j’avais plus d’une fois cédé à la tentation de truquer ma vie afin de l’embellir21. » C’est en ces termes que Simone de Beauvoir évoque son expérience professorale à Rouen (1932-1936). Comment alors ne pas établir de lien avec son personnage, Chantal Plattard, à qui elle a prêté les mêmes subterfuges pour que celle-ci se donne l’illusion d’une vie riche ? Même si Beauvoir déclare s’être inspirée de sa collègue Simone de Labourdin pour brosser le personnage de Chantal, elle reconnaît également qu’elle a puisé dans son propre vécu22. Elle avoue dans La Force de l’âge avoir affublé sa vie en la truffant de mythes et de symboles et avoir succombé aux pièges de l’auto-complaisance pour fuir le sentiment de vide et de solitude qui l’écrasait dans son exil rouennais. À l’instar de la diariste, elle refusait d’être cantonnée dans son rôle de professeure et d’assumer les contraintes que lui infligeait son statut de fonctionnaire ; elle cherchait alors à compenser la monotonie de son existence en se préoccupant de celle des autres :

Moi, je forgeais des romans sur certaines des élèves de troisième à qui j’enseignais le latin. Trois ou quatre d’entre elles avaient déjà, à quatorze ans, des grâces et des soucis de jeunes femmes ; la plus jolie — qui fut plus tard actrice chez Baty — se trouva enceinte et dut se marier à quinze ans23.

Poussant encore plus loin l’enchevêtrement du biographique et du fictionnel, Beauvoir confère une épaisseur romanesque à cet événement, relaté brièvement dans Les Mémoires, allant même jusqu’à en faire l’intrigue principale de sa nouvelle Chantal. De même, les paroles qu’Andrée, une brillante élève de Chantal, tient à propos de l’une de ses professeures : « Mais elle n’est qu’une apparence » (QPS, 147), font écho à celles de Beauvoir à l’égard de l’une de ses collègues : « J’ai compris, dis-je à Sartre, Ginette Lumière, c’est une apparence !24 ». Ce parallélisme est intéressant dans la mesure où il marque le début de la genèse du concept de mauvaise foi, ce mensonge à soi que Sartre dénoncera dans ses écrits25 et qui deviendra un thème de prédilection dans les textes de Beauvoir. De ce point de vue, l’acception du terme « apparence » renvoie à l’idée de duplicité et de faux-semblants telle qu’elle se manifeste dans le rapport de soi à soi. Cette aliénation, dont nombre de personnages féminins beauvoiriens sont victimes, se manifeste par un sentiment d’étrangeté à soi qui atteint parfois un déchirement proche de la folie. Ces protagonistes partagent la même mystification qui consiste à demeurer confinées dans un univers de mots et de leurres, à la surface de la réalité, performant inlassablement une identité factice.

Nous pourrions multiplier les exemples permettant de révéler certaines correspondances entre la réalité et la fiction, ainsi que la manière dont Beauvoir transpose et transfigure son existence pour en faire la matière de ses romans, mais ce serait là une entreprise à la fois vaste et complexe26. Nous avons cherché à mettre en exergue la dimension (auto)biographique du journal de Chantal — dimension prégnante dans tout le recueil —, non pour interroger les rapports entre le réel et l’imaginaire, mais dans le but de révéler l’importance de l’expérience professorale et de l’écriture de Primauté du spirituel dans l’évolution de l’écrivaine27. Philipe Sollers a très justement exprimé la volonté de Beauvoir concernant cette première œuvre : « [R]égler ses comptes avec son milieu catholique, son enfance coincée, ses premières expériences de professeur de province28. » Au moyen de cette satire sociale, la jeune écrivaine a dénoncé d’une part le spiritualisme et le conformisme du milieu bourgeois, et d’autre part « la surestimation de l’intériorité et l’exaltation de l’âme29 ». Si Beauvoir a fait de Chantal une sorte d’alter ego romanesque en lui prêtant certaines de ses impressions et de ses idées, elle est aussi une figure cathartique qui lui a permis de conjurer l’idéalisme et les mystifications qui l’avaient longtemps marquée pendant sa jeunesse et ce, jusqu’à la déflagration de la Seconde Guerre mondiale.

Il nous semble important, à ce niveau, de rappeler que la découverte de l’horreur a marqué un tournant décisif dans la vie, la pensée et l’œuvre de Simone de Beauvoir. En effet, le processus de désindividuation engendré par la guerre l’a délogée de cette paix heureuse et autarcique dans laquelle elle vivait, pour la confronter à la réalité d’un monde où elle ne pouvait plus désormais faire fi de la marche de l’Histoire en se délestant du poids de sa responsabilité envers autrui. Et ce n’est que quelques années plus tard, en 1949, précisément dans ce contexte d’éveil politique, que Le Deuxième Sexe a vu le jour, né de la déviation de l’entreprise autobiographique beauvoirienne vers une réflexion générale sur la condition féminine. En effet, c’est en voulant parler d’elle-même que la romancière « [découvre] soudain, à quarante ans, un aspect du monde qui crève les yeux et qu’on ne voyait pas30 » : elle prend conscience qu’elle vivait dans un monde masculin et qu’étant femme, elle appréhendait le monde d’une manière différente que celle des hommes.

En résumé, nous dirons que pendant la trentaine d’années séparant les deux recueils de nouvelles, Beauvoir est passée du professorat à l’écriture, de l’anonymat à la célébrité ; elle a publié un ouvrage qui a fait date dans l’histoire du féminisme, remporté le prix Goncourt pour Les Mandarins (1954) et développé une correspondance abondante avec des femmes du monde entier31.

J’avais récemment reçu les confidences de plusieurs femmes d’une quarantaine d’années que leurs maris venaient de quitter pour une autre. Malgré la diversité de leurs caractères et des circonstances, il y avait dans toutes leurs histoires d’intéressantes similitudes. […] Je voulais donner à voir leur nuit32.

Désormais, l’auteure puise la matière de ses textes dans le vécu de ses lectrices en mettant en scène des situations fort éloignées de la sienne, assumant ainsi le rôle de porte-parole auprès de ses contemporaines. La romancière fait certes toujours entendre une voix féminine singulière, mais Monique incarne, plus que la jeune professeure, la situation de nombreuses femmes de la seconde moitié du XXe siècle. Chantal, figure atypique et haïssable à laquelle on peut difficilement s’identifier, cède la place à cette mère au foyer, comme il y en a tant, qui se retrouve, à quarante-quatre ans, seule et sans perspective professionnelle. À ce propos, nous pouvons affirmer que Monique est une figure stéréotypée au sens que Ruth Amossy donne à ce terme : « [U]ne représentation collective figée, un modèle culturel qui circule dans les discours et dans les textes33 ». Beauvoir chercherait-elle alors à remédier à l’invisiblisation de ces femmes “ordinaires” qui se débattent dans des situations malheureuses ? Cette hypothèse est corroborée par la charge émotive qui caractérise La Femme rompue, s’opposant à la distance ironique du narrateur dans la nouvelle Chantal. En nous faisant pénétrer, sans médiation, dans l’univers intérieur de la diariste, Beauvoir fait preuve d’empathie et de solidarité envers celles qui, à l’image de Monique, ne sont ni des intellectuelles ni des féministes, n’ayant aucun recul critique par rapport à leur situation et qui souffrent pourtant, sans la nommer, de l’oppression patriarcale.

Par ailleurs, la déroute des critiques face au changement de la posture auctoriale de Beauvoir lors de la parution de La Femme rompue trouve son origine dans le paradoxe apparent entre la figure de la philosophe altière, qu’elle incarne, et cette histoire de femme trompée, publiée de surplus en feuilleton dans le magazine féminin Elle34. Voulait-elle se mettre au même diapason que ses lectrices et montrer que la théorie développée dans son essai, vingt ans plus tôt, n’était pas étrangère à la réalité concrète des femmes de son époque ? Ce refus de l’abstraction est déjà présent dans le second tome du Deuxième Sexe intitulé « L’expérience vécue », dans lequel Beauvoir relate diverses expériences féminines et décrit différents profils de femmes mystifiées telles la narcissiste, l’amoureuse ou encore la mystique. Mais c’est au prisme de l’imaginaire que se manifeste d’une manière plus éloquente la capacité de Beauvoir à rendre la philosophe “vivante” si l’on peut dire, ou pour reprendre les propos de Kristeva, à « incarner une philosophie politique de la liberté dans le microcosme de l’intime35 ». À la lumière de cette analyse, nous pouvons avancer que l’écrivaine, confirmée dans sa notoriété et riche de son statut de grande intellectuelle, cherchait en publiant La Femme rompue à porter les problèmes “féminins”, jugés insignifiants et reléguées dans la sphère privée, vers la place publique. Comme elle l’avait fait dans son essai, en abordant la sexualité féminine considérée jusqu’alors comme une sorte d’écueil philosophique, Beauvoir a évoqué dans sa dernière nouvelle des questions brûlantes telles que l’avortement, la dépendance conjugale, les rapports de pouvoir entre les sexes, ce qui avait abouti à une remise en question de tout un modèle sociétal dans lequel les femmes, opprimées, demeurent prisonnières du cercle vicieux de la mauvaise foi.

Une femme rompue en situation

On ne saurait évoquer la pensée de Simone de Beauvoir sans se pencher sur le concept existentialiste de situation, tel qu’il a été développé par la philosophe elle-même36. En effet, dès l’introduction du Deuxième Sexe, l’essayiste met l’accent sur l’impact de l’environnement dans le façonnement des sujets, a fortiori les sujets féminins. « Ce n’est pas une mystérieuse essence qui dicte aux hommes et aux femmes la bonne ou la mauvaise foi ; c’est leur situation qui les dispose plus ou moins à la recherche de la vérité37 », et quant aux femmes en particulier, « leur situation leur ouvre de moindres possibilités » (DS I, 27). Ces affirmations nous semblent être la pierre angulaire de toute la démonstration du Deuxième Sexe, se cristallisant dans la fameuse formule : « On ne naît pas femme : on le devient », qui ouvre le deuxième tome de l’essai. Évoquer le conditionnement social des femmes ou la fabrication des identités genrées peut aujourd’hui sembler un lieu commun ; mais clamer haut et fort, preuves à l’appui, à la moitié du XXe siècle, que la féminité n’est ni une nature ni une essence, mais une construction sociale, a fait l’effet d’une bombe attirant sur Beauvoir les foudres croisées des catholiques et des communistes. Cependant, l’écrivaine ne s’est pas limitée à l’analyse objective des raisons de l’aliénation féminine dans son essai, mais a réussi un autre tour de force en transposant cette aliénation dans la sphère de l’imaginaire, notamment à travers le récit intime de Monique.

Bien que la romancière déclare avoir voulu décrire « la part d’échec qu’il y a dans toute existence38 » en écrivant La Femme rompue, il semblerait que cet échec soit surtout le lot réservé à ses personnages féminins39. À travers l’histoire de la diariste, Beauvoir remet en question toute la structure familiale traditionnelle dans ce qu’elle a de plus oppressif à l’égard des femmes et dévoile l’étroitesse des chemins auxquels on prédestine ces dernières. De même, l’écrivaine ne démord pas de ses positions au sujet de l’institution du mariage, qu’elle fustige avec véhémence dans Le Deuxième Sexe, en la représentant comme aliénante surtout pour l’épouse qui se retrouve réduite aux tâches ménagères, à l’éducation des enfants et à l’attente du mari au coin du feu. Ce tableau sombre d’une vie manquée et entièrement vouée aux autres que l’auteure dépeint dans l’essai40, devient, sous la plume de la protagoniste-diariste — qui se décrit comme une femme « passionnément donnée aux êtres qu’elle aime et créant pour eux du bonheur » —, l’exemple même d’« [u]ne belle vie, sereine et pleine, “harmonieuse” » (FR, 155). Pourtant, selon Beauvoir, le malheur des femmes comme Monique, qui ont opté pour un “mariage carrière”, consentant ainsi à leur propre sujétion, réside précisément dans le dangereux amalgame entre bonheur et stagnation, établi par la société patriarcale et les valeurs bourgeoises :

Aussi bien n’est-ce pas l’amour que l’optimisme bourgeois promet à la jeune épousée : l’idéal qu’on fait miroiter à ses yeux, c’est celui du bonheur, c’est-à-dire d’un tranquille équilibre au sein de l’immanence et de la répétition. Elle ne peut donc rien se proposer d’autre que d’édifier une vie équilibrée où le présent prolongeant le passé échappe aux menaces du lendemain, c’est-à-dire précisément d’édifier un bonheur. (DS II, 256)

En refusant de prendre un métier afin de se consacrer entièrement à sa famille, la protagoniste se voue au désœuvrement et à la dépendance alors même qu’elle revendique et glorifie ce choix de vie, croyant réaliser un destin privilégié. Ce paradoxe est expliqué par l’essayiste en ces termes : « On ouvre aux femmes […] les facultés mais on continue à considérer que le mariage est pour elle une carrière des plus honorables qui la dispense de toute autre participation à la vie collective. » (DS I, 232). L’héroïne beauvoirienne semble avoir docilement suivi cet idéal imposé à tant de femmes, lorsqu’elle décide de sacrifier ses études de médecine, jugées trop ardues, à un fulgurant amour de jeunesse. Puis, suite à une grossesse non voulue, elle est amenée à substituer le mariage et la maternité à une carrière professionnelle, réduisant à néant toute velléité d’autonomie économique. Ainsi, la situation de Monique incarne parfaitement le cercle vicieux où se combinent l’essentialisme et la mauvaise foi et qui consiste à enseigner aux femmes la passivité, à leur chanter les louanges de l’abnégation tout en clamant que c’est leur nature qui les prédispose à ce destin. Mais suite à l’échec de l’union conjugale et au départ de ses filles, Monique se retrouve dépouillée de tout, n’ayant d’autre prise sur le monde que celle qu’elle exerce à l’intérieur des limites de son foyer, alors que son époux, à l’apogée d’une brillante carrière, s’arroge au même temps le droit à quelques infidélités. S’opposent alors deux destinées : d’un côté, l’existence masculine privilégiée, riche de défis et de découvertes, qui se transcende à travers les actes et les projets accomplis au sein de la collectivité, et de l’autre, l’existence féminine, figée dans l’immanence, sans but propre et comme en marge de la marche du monde.

Ainsi, durant vingt-deux-ans de mariage, Monique, épouse éperdument amoureuse et mère extrêmement attentive, « s’enchante de se sentir nécessaire ; elle est justifiée par les exigences auxquelles elle répond » (DS II, 367). « [J]e sais très bien […] combien j’avais besoin du besoin que mes filles avaient de moi » (FR, 97), note-t-elle dans son journal ; mais, en réalité, elle n’a pas su déjouer les pièges du dévouement, lequel se mue en jalousie et en tyrannie dès qu’on ne réclame plus les dons qu’elle prodigue ou qu’on aspire à se libérer de son emprise. De même, la diariste nous rappelle, à bien des égards, la figure de l’amoureuse telle qu’elle est peinte dans Le Deuxième Sexe : une femme qui s’aliène dans celui qu’elle aime jusqu’à s’annihiler, se remettant tout entière entre ses mains, attendant sagement que ce dernier lui ouvre les voies du salut. Cette idée revient comme un leitmotiv dans le discours du personnage : « Il m’a suffi, je n’ai vécu que pour lui », (FR, 90) « Me voilà, à quarante-quatre ans […] sans autre intérêt que toi dans l’existence », (FR, 135), « L’amour de Maurice donnait une importance à chaque moment de ma vie » (FR, 138). C’est précisément là que se noue le drame de la protagoniste, dans ce renoncement à sa propre subjectivité au profit d’un amour dont elle tire la substance même de son être mais qui n’implique pas de réciprocité. Elle s’institue comme un être inessentiel, qui se définit et se façonne à travers le regard de l’autre, sujet souverain. Mais, dans l’échec et la solitude, quand cet amour lui est refusé, elle « perd [son] image », ne pouvant plus se réfugier dans la fausse sécurité de la mauvaise foi. Son discours identitaire, délesté des clichés langagiers, n’est plus que piétinement et ressassement. La perte de l’image stéréotypée de l’épouse et de la mère idéale, modèle culturel auquel elle s’identifiait, aboutit à un échec de l’ethos individuel de la diariste car, « en dehors de toute figure ancrée dans l’imaginaire social, la présentation de soi ne peut être qu’aberrante, avec toutes les crises d’identité et les dérèglements qu’entraînerait semblable infraction41 ».

Le journal intime devient alors le lieu d’une crise identitaire de plus en plus aiguë. Cette crise commence par des interrogations, demeurées sans réponse, pour aboutir à une forme extrême d’aliénation à savoir l’objectivation de soi : « Je croyais savoir qui j’étais » (FR, 125), « Et en toute objectivité, qui suis-je ? » (FR, 132) « Est-ce que je sais qui je suis ? » (FR, 153), « Moi, qu’est-ce que c’est ? » (FR, 154). Le désarroi de Monique est la parfaite illustration du postulat beauvoirien au fondement du Deuxième Sexe, à savoir qu’il n’y pas d’identité ou de réalité féminines figées, et qui rejoint également un principe essentiel de la philosophie existentialiste selon lequel toute connaissance de soi, en dehors de l’action, est vaine et illusoire :

Le fait est qu’elle [la femme] serait bien embarrassée de décider qui elle est ; la question ne comporte pas de réponse ; mais ce n’est pas que la vérité cachée soit trop ondoyante pour se laisser cerner : c’est qu’en ce domaine il n’y a pas de vérité […] dans sa pure subjectivité l’être humain n’est rien. On le mesure à ses actes. (DS I, 401)

Pourtant, vers la fin du texte, Monique commence à se défaire de ses lianes ; en effet, la relecture de son journal, par le phénomène de dédoublement42 qu’elle induit, l’oblige à affronter la réalité de sa situation présente en éclairant son passé sous un jour nouveau. La prise de conscience se manifeste par le changement de la connotation axiologique du discours de Monique empreint, au début du journal, par l’idée de clarté : « bleu, lumière, ensoleillée, absolue transparence », puis rapidement contaminé par un lexique relatif à l’obscurité et à l’angoisse : « brouillard, marécage, vase, opaque, ténèbres, magma, nuit épaisse », rappelant la perte de repères de la diariste. Ce processus de démystification prend les allures d’une descente aux enfers durant laquelle la diariste passe par des épisodes dépressifs et frôle même, par moments, la paranoïa43. En réalisant toute l’étendue de son aveuglement, elle remet en cause ses choix de vie et perd confiance aussi bien en elle-même que dans les mots qu’elle a écrits : « Et j’ai vu que les mots ne disent rien. Il n’y a pas une ligne de ce journal qui n’appelle une correction ou un démenti. […] Peut-on se gourer à ce point-là sur sa vie ! » (FR, 145-146). Cette crise du langage acquiert dans les dernières pages les dimensions d’une crise existentielle. D’ailleurs, l’emploi récurrent de la négation et de l’interrogation, dans les dernières entrées du journal, révèle le scepticisme qui a ébranlé toutes les certitudes qu’elle tenait pour absolues. La diariste ne peut plus désormais invoquer la primauté du vieux système de valeurs auxquelles elle s’est sacrifiée et qui consolidait tout l’édifice de sa construction identitaire. « Je ne sais plus rien. Non seulement pas qui je suis mais comment il faudrait être. Le noir et le blanc se confondent, le monde est un magma et je n’ai plus de contours. Comment vivre sans croire à rien ni à moi-même ? » (FR, 163). Cet « effritement final44 » qui donne au titre de la nouvelle tout son sens, semble pourtant une condition sine qua non à la naissance d’une subjectivité à part entière, laquelle s’accompagne de l’émergence d’un nouvel ethos discursif empreint d’angoisse, certes, mais non dénué de sincérité et d’une certaine justesse dans le rapport à soi.

Conclusion

« Dissiper les mystifications, dire la vérité45 » a été l’un des buts poursuivis par Simone de Beauvoir durant toute sa carrière d’écrivaine. De ce fait, elle a eu recours à la clarté et l’intransigeance des propos dans l’énoncé philosophique mais elle n’a pas hésité à les délaisser dans la fiction au profit d’une ambiguïté de significations qui est peut-être plus à même d’exprimer la vérité singulière du sujet dans une situation donnée. Le récit des deux diaristes, engluées dans la mauvaise foi, semble émaner de cette volonté de donner à voir l’aliénation féminine telle que théorisée dans Le Deuxième Sexe. Si Chantal, la diariste du premier texte, demeure prisonnière de l’auto-complaisance et des faux-semblants, Monique, personnage ultérieur à la publication de l’essai, par une prise une conscience ultime, commence à éprouver « [l’angoisse et la tension de l’existence authentiquement assumée » (DS I, 24). N’est-ce pas là l’enjeu même du Deuxième Sexe ? Montrer que l’aliénation féminine n’est ni une fatalité ni une malédiction, mais le produit d’un état de choses qui peut être défait ou du moins subverti.

Notes de bas de page numériques

1 Michel Braud, « Le journal intime est-il un récit ? », Poétique, n°160, avril 2009, p. 387-396, ici p. 393.

2 Béatrice Didier, Le Journal intime [1976], Presses Universitaires de France, coll. « Littératures modernes », 2002, p. 117.

3 Georges Gusdorf, Les Écritures du moi. Lignes de vie 1, Paris, Les éditions Odile Jacob, 1991, p. 420.

4 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge [1960], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2013, p. 226.

5 Étant en présence d’un corpus littéraire écrit, nous nous limiterons à la dimension strictement verbale de l’ethos.

6 Ruth Amossy, La présentation de soi, Paris, PUF, coll. « L’Interrogation philosophique », 2010, p. 33.

7 Dominique Maingueneau, « L’èthos : un articulateur », COnTEXTES, n°13, 20décembre 2013, [p. 5/12].

8 Primauté du spirituel est le titre original du recueil (écrit entre 1935 et 1937), refusé par Gallimard et Grasset, et qui ne paraîtra qu’en 1979 sous le titre Quand prime le spirituel. La Femme rompue a été publiée en 1968.

9 Élisabeth Roudinesco, « Soudain, Le Deuxième Sexe... », Les temps modernes, n°647-648, janvier 2008, p. 192-212, p. 207.

10 Simone de Beauvoir, Tout compte fait [1972], Gallimard, coll. « Folio », 2006, p. 175.

11 Simone de Beauvoir, La Force de l'âge, p. 226.

12 Simone de Beauvoir, Anne, ou quand prime le spirituel [1979], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2006, p. 99. Cet ouvrage sera désormais désigné par l’abréviation QPS.

13 « Le monde éthique activé à travers la lecture subsume un certain nombre de situations stéréotypiques associées à des comportements verbaux et non-verbaux », Dominique Maingueneau, « L’èthos : un articulateur », [p. 5/12].

14 Nous nous référons à la définition du monologue narrativisé de Dorrit Cohn dans son ouvrage La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman [1978], trad. par Alain Bony, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1981, p. 51.

15 Simone de Beauvoir, Préface à Primauté du spirituel, p. 27.

16 Simone de Beauvoir, La Femme rompue [1968], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2017, p. 87. Cet ouvrage sera désormais désigné au moyen de l’abréviation FR.

17 Dorrit Cohn, La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, p. 236-237.

18 En italique dans le texte. Ceci montre l’importance de cette information aux yeux de la diariste.

19 « Le destinataire construit la figure de ce “garant” en s’appuyant sur un ensemble diffus de représentations sociales évaluées positivement ou négativement, de stéréotypes que l'énonciation contribue à conforter ou à transformer », Dominique Maingueneau, « L’èthos : un articulateur », [p. 4/12].

20 Ruth Amossy, La Présentation de soi, p. 46.

21 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, p. 226.

22 « Si les travers que j’imputai à Chantal m’agaçaient tant c’est moins pour les avoir observés chez Simone Labourdin que pour y être tombée moi-même », Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, p. 226.

23 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, p. 164.

24 Simone de Beauvoir, La Force de l’âge, p. 129. 

25 Nous faisons référence au concept de mauvaise foi tel qu’il a été développé et analysé par Sartre dans L’Être et le Néant.

26 Ce sujet a fait l’objet d’une thèse intitulée L’œuvre fictionnelle de Simone de Beauvoir : l’Existence comme un roman, Delphine Nicolas-Pierre, Paris-Sorbonne, 2013.

27 Cet aspect a été développé dans un article d’Éric Levéel et montre l’importance de ce texte dans la genèse de toute son œuvre, « Primauté du spirituel : Beauvoir avant Beauvoir », in Thomas Stauder (dir.), Simone de Beauvoir cent ans après sa naissance. Contributions interdisciplinaires de cinq continents, Gunter Narr Verlag Tübingen, 2008, p. 299-308.

28 Philippe Sollers, « Beauvoir avant Beauvoir », Le Nouvel Observateur, Paris, 2006, cité par Éric Levéel dans « Primauté du spirituel : Beauvoir avant Beauvoir », p. 301.

29 Danièle Sallenave, dans « Scène de crime », Avant-propos d’Anne, ou quand prime le spirituel, QPS, p. 10. 

30 Simone de Beauvoir, La Force des choses I [1963], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2004, p. 214.

31 Voir à ce propos l’article de Martine Rouch, « Paroles de femmes. Les lectrices de La Femme rompue (1967-1968) » dans lequel elle développe l’idée de « la circularité de la communication littéraire beauvoirienne », Cahiers Sens public, n° 25-26, mars 2019, p. 115-147.

32 Simone de Beauvoir, Tout compte fait, p. 175.

33 Ruth Amossy, La Présentation de soi, p. 45-46.

34 Ce choix éditorial lui a valu des expressions comme « un roman pour midinette, roman à l’eau de rose » par Bernard Pivot dans son article « Simone de Beauvoir : une vraie femme de lettres (pour le courrier du cœur) », Le Figaro Littéraire, n°1124, octobre 1967.

35 Julia Kristeva, Beauvoir présente, Paris, Librairie Arthème Fayard, coll. « Pluriel », 2016, p. 40.

36 Le concept de « situation » n’a pas la même acception pour Sartre et pour Beauvoir. Voir l’article de Margaret A. Simons, « L’indépendance de la pensée philosophique de Simone de Beauvoir », Les Temps modernes, n°619, juin-juillet 2002.

37 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe [1949], t. I, « Les faits et les mythes », Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2017, p. 31. Cet ouvrage sera désormais désigné au moyen de l’abréviation DS I.

38 Claude Francis et Fernande Gontier, Les écrits de Simone de Beauvoir, La vie - l’écriture, suivi de Textes inédits et retrouvés, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1979, p. 332.

39 Ingrid Galster explique l’absence d’héroïnes positives dans la fiction beauvoirienne par le concept esthétique de réalisme critique adopté par la romancière, Beauvoir dans tous ses états, Paris, Éditions Tallandier, 2007, p. 173.

40 « On a dit que le mariage diminue l’homme : c’est souvent vrai ; mais presque toujours il annihile la femme », Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, [1949], t. II, « L’expérience vécue », Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2011, p. 316. Cet ouvrage sera désormais désigné au moyen de l’abréviation DS II.

41 Ruth Amossy, La Présentation de soi, p. 44-45.

42 « Le dédoublement peut devenir beaucoup plus complexe déjà lorsque le diariste raconte, par exemple, qu’il relit les pages de son journal : situation fréquente où s’affrontent cependant le moi qui écrit, le moi-au-présent-qui-lit, le moi-qui-a-écrit le journal et enfin le moi-qui-était l’objet de ce journal passé », Béatrice Didier, Le journal intime, p. 118.

43 « Il y a des conciliabules, derrière mon dos. Entre Colette et son père, Isabelle et Marie Lambert, Isabelle et Maurice », FR, p. 155.

44 Simone de Beauvoir, Tout compte fait, p. 178.

45 Simone de Beauvoir, Tout compte fait, p. 633.

Bibliographie

Corpus

BEAUVOIR Simone de, Anne, ou quand prime le spirituel, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2006.

BEAUVOIR Simone de, La Femme rompue [1968], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2017.

BEAUVOIR Simone de, Le Deuxième Sexe [1949], t. I, « Les faits et les mythes », Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2017.

BEAUVOIR Simone de, Le Deuxième Sexe [1949], t. II, « L’expérience vécue », Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2011.

Autres œuvres de Simone de Beauvoir

La Force de l’âge [1960], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2013.

La Force des choses [1963], t. I, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2014.

Tout compte fait [1972], Gallimard, coll. « Folio », 2006.

Études sur Simone de Beauvoir

FRANCIS Claude, GONTIER Fernande, Les Écrits de Simone de Beauvoir. La vie-l’écriture, suivi de Textes inédits et retrouvés, Paris, Gallimard, coll. « Blanche », 1979.

GALSTER Ingrid, Beauvoir dans tous ses états, Paris, Éditions Tallandier, 2007.

KRISTEVA Julia, Beauvoir présente, Paris, Librairie Arthème Fayard, coll. « Pluriel », 2016.

Corpus théorique

AMOSSY Ruth, La présentation de soi, Presses Universitaires de France, coll. « L’Interrogation philosophique », 2010.

COHN Dorrit, La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, [1978], trad. par Alain Bony, Éditions du Seuil, coll. « Poétique », 1981.

DIDIER Béatrice, Le Journal intime [1976], Presses Universitaires de France, coll. « Littératures modernes », 2002.

GUSDORF Georges, Les écritures du moi. Lignes de vie 1, Paris, Odile Jacob, 1991.

Articles

BRAUD Michel, « Le journal intime est-il un récit ? », Poétique, n° 160, avril 2009, p. 387-396.

LEVÉEL Éric, « Quand prime le spirituel : Beauvoir avant Beauvoir », in Thomas Stauder (éd.), Simone de Beauvoir cent ans après sa naissance, Gunter Narr Verlag Tübingen, 2008, p. 99-308.

MAINGUENEAU Dominique, « L’èthos : un articulateur », COnTEXTES, n° 13, 20 décembre 2013, http://journals.openedition.org/contextes/5772 (consulté le 02 mai 2020).

ROUCH Martine, « Paroles de femmes. Les lectrices de La Femme rompue (1967-1968) », Cahiers Sens public, n° 25-26, mars 2019, p. 115-147 ; https://www.cairn.info/revue-cahiers-sens-public-2019-3-page-115.htm

ROUDINESCO Élisabeth, « Soudain, Le Deuxième sexe... », Les Temps modernes, n° 647-648, janvier 2008, p. 192-212.

Pour citer cet article

Ons Othmani, « Journal intime et mauvaise foi : l’aliénation féminine entre fiction et essai », paru dans Loxias, 69., mis en ligne le 14 juin 2020, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=9445.

Auteurs

Ons Othmani

Doctorante en Lettres modernes à l’Institut Supérieur des Langues de Tunis (Université de Carthage), sous la direction de Madame Farah Zaiem. Auteure d’un mémoire de master portant sur « La figure du lecteur dans Tous les hommes sont mortels de Simone de Beauvoir » soutenu en 2018. Continue actuellement de travailler sur la construction des personnages féminins dans la fiction de Simone de Beauvoir et de Nelly Arcan au prisme des études de genre.