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Muriel Denefle  : 

Plurilinguisme et musique : tour de Babel et châteaux de sons

Marina Tsvetaeva, Amelia Rosselli, Alejandra Pizarnik, Michèle Finck

Résumé

La présente étude a pour vocation de mettre à jour la teneur des rapports qui se nouent entre les langues et la musique dans l’œuvre de quatre poétesses de la modernité, toutes plurilingues, Marina Tsvetaeva, Alejandra Pizarnik, Amelia Rosselli et Michèle Finck. Il s’agit de montrer comment la musique intervient dans un contexte où le plurilinguisme apparaît comme une ressource poétique mais aussi comme un vecteur de troubles dans le rapport des poétesses au langage et au réel. Si le plurilinguisme confine parfois à l’alinguisme, il est à l’origine d’une parole poétique qui porte l’espoir de se constituer en langue propre, notamment par le recours aux ressources de la musique. Il s’agit aussi d’explorer dans cet article la présence de la métaphore architecturale, pour montrer comment les poétesses érigent des édifices poétiques fondés sur le son, à partir des restes de la tour de Babel.

Index

Mots-clés : alinguisme , plurilinguisme, poésie

Géographique : Argentine , France, Italie, Russie

Chronologique : Période contemporaine , XXe siècle

Plan

Texte intégral

1Dans Le Partage des mots, sa biographie intellectuelle, Claude Estéban revient sur son identité de poète bilingue. Il s’agit pour lui de retracer le processus d’apprentissage de ses deux langues maternelles, le français et l’espagnol, et de s’interroger sur le statut à part de la langue poétique. Aussi écrit-il que

[l]a poésie parlait une langue, mais cette langue ne pouvait, à l’inverse de toutes les autres, s’apprendre. Elle précédait les mots, elle était leur origine, leur assise première, leur raison d’être. Je ne savais pas cette langue, et j’avais à la retrouver pourtant parmi le vide qui portait les mots1.

2Ces propos nous plongent au cœur de la problématique inhérente au plurilinguisme en poésie : aux langues dites « vivantes », celles de la communication orale et écrite, qui sont aussi celles de la communauté, de même qu’aux langues dites « anciennes » ou « mortes » s’ajoute une langue à part, « étrangère à toute langue2 » mais profondément ancrée dans la langue ordinaire : celle de la poésie. Ferdinand de Saussure définit la langue comme « la partie sociale du langage, extérieure à l’individu, qui à lui seul ne peut ni la créer ni la modifier ; elle n’existe qu’en vertu d’une sorte de contrat passé entre les membres de la communauté3. » Il ajoute que « [d]’autre part, l’individu a besoin d’un apprentissage pour en connaître le jeu ; l’enfant ne se l’assimile que peu à peu4. » L’apprentissage de la langue vivante serait donc du côté de l’assimilation d’un ensemble de normes définies collectivement, tandis que la langue poétique constituerait une « sorte d’expérience transcendante du langage5 », qui nécessiterait avant tout une certaine qualité d’écoute jointe à une certaine capacité d’oubli :

Il s’agissait tout à la fois d’être à l’écoute de la langue, des chemins qu’elle se frayait en moi, et paradoxalement d’oublier tous les recours dont je m’étais cru maître, comme s’il était nécessaire de se défaire d’un système de relations, de références, de savoirs acquis, en bref, de sacrifier une syntaxe du monde pour que surgisse du silence et de l’informulé la seule phrase vive qui importe6.

3L’opposition entre la véracité de la langue poétique et celle de la « syntaxe du monde », est une problématique qui traverse toute la modernité poétique. Mais, comme nous le verrons, la nécessité de découvrir « une phrase vive » est rendue plus urgente encore chez les poètes plurilingues. La notion d’écoute est, de même, centrale pour permettre au langage vif de la poésie de se dévoiler, car « la langue, c’est l’évidence, passe s’abord par le canal de l’ouïe et fomente à travers elle toute une architecture de correspondances7 ». Cette même tension inhérente à la condition de poète plurilingue est à l’œuvre dans la production poétique de Marina Tsvetaeva (1891-1941), Amelia Rosselli (1930-1996), Alejandra Pizarnik (1936-1971) et Michèle Finck (née en 1960). Toutes sont en effet bilingues ou trilingues, du fait de leur histoire familiale. À ce plurilinguisme natif s’ajoute un goût prononcé pour les langues étrangères, surtout dans le cas d’Alejandra Pizarnik et de Michèle Finck. Ces quatre poétesses ont pour autre point commun d’accorder une place majeure à la musique dans leur œuvre. Pour elles comme pour Claude Estéban, le « canal de l’ouïe » est au cœur de leur expérience poétique : tour à tour considérée comme une langue étrangère que les poétesses maîtriseraient au même titre que les autres, ou au contraire, comme une trouée hors de la langue, la musique porte la promesse de vivifier la langue. Aussi s’agira-t-il pour nous de démontrer que pour ces quatre poétesses, l’expérience plurilingue et l’expérience musicale sont intimement liées : au fantôme de la tour de Babel, qui apparaît tour à tour comme un « chaos linguistique8 » ou l’occasion d’expérimentations linguistiques jubilatoires, se superpose le désir d’une langue poétique innervée en profondeur par la formule musicale, apte à bâtir des « châteaux de sons ».

Aspects du plurilinguisme : le fantôme de Babel

Plurilinguisme et alinguisme

4Pour les quatre poétesses du corpus, l’expérience plurilingue est souvent une expérience d’expansion dans le langage, dont le revers est le risque d’une confusion linguistique débouchant, dans le meilleur des cas, sur le « chaos linguistique » qui clôt Un Chinois à Rome d’Amelia Rosselli, ou dans le pire des cas, sur le repli dans le mutisme, comme pour Michèle Finck et Alejandra Pizarnik. Aussi la frontière entre plurilinguisme et alinguisme est-elle poreuse : si le plurilinguisme se définit comme « la coexistence de plusieurs langues chez un locuteur9 », l’alinguisme pourrait se définir comme son pendant négatif, soit la privation de langue propre, et le sentiment d’une inadéquation insoluble entre les mots et le monde. Michèle Finck emploie ce terme dans Balbuciendo, en évoquant l’écartèlement linguistique de son père :

Être saisie par le nom que le père se donnait, « der Sprachlose », « l’alingue », parce que ni le dialecte, ni le français ni l’allemand n’ont été langue pour lui. Avoir été tôt consciente qu’il était, par la force de l’Histoire, l’écartelé entre les langues, le mutique en camisole de silence10.

5Si Michèle Finck a pu acquérir une langue à soi grâce aux efforts de ses parents, le traumatisme lié au mutisme du père innerve son œuvre poétique en profondeur11. Les images récurrentes du sol, des champs et de la moisson dans la poésie d’Amelia Rosselli témoignent d’une même difficulté, la question de la langue étant alors profondément liée à celle de l’origine. Amelia Rosselli est la poétesse chez qui les problématiques inhérentes au plurilinguisme sont les plus accentuées. De fait, si toutes les autres poétesses du corpus ont une langue maternelle indubitable, qui est aussi leur langue d’écriture, Amelia Rosselli choisit d’écrire et de vivre dans la langue du père, l’italien, tout en employant toujours les deux autres langues dans lesquelles elle a grandi, l’anglais et le français, qui parfois contaminent l’italien, parfois alternent avec lui. La privation d’une langue propre va de pair avec le manque d’un sol où puiser l’énergie nécessaire à la vie. C’est le cas dans cet extrait du Chinois à Rome (1955) :

Ne t’en va pas. L’absurde se résoudra. Il y a une normalité au bout de tous les moments, suffit de la chercher ou de l’attendre. Voyez les platanes sursauter : ils ne sursautent pas : on les a immobilisés. Ils poussent leurs racines dans la terre, sous le lourd pavement en petits blocs12.

6Le poème fameux « Contiamo infiniti morti » de Variazioni belliche (1961) aux résonances autobiographiques fait lui aussi une grande place à la thématique du sol, qui est encore le lieu d’un massacre :

Contiamo infiniti morti ! […]
Vicino alla morte il suolo rendeva ai collezionisti il prezzo
della gloria. Tardi giaceva al suolo che rendeva il suo sangue
imbevuto di lacrime la pace. Cristo seduto al suolo su delle
gambe inclinate giaceva anche nel sangue quando Maria lo travagliò.

Nata a Parigi travagliata nell’epopea della nostra generazione
fallace. Giaciuta in America fra i ricchi campi dei possidenti
e dello Stato statale. Vissuta in Italia, paese barbaro.
Scappata dall’Inghilterra paese di sofisticati.
Speranzosa
nell’Ovest ove niente per ora cresce.
[…]13

Nous comptons des morts à l’infini ! […]
Près de la mort le sol rendait aux collectionneurs le prix
de la gloire. Trop tard elle gisait au sol qui rendait son sang
baigné de larmes, la paix. Le Christ au sol assis dessus les
jambes inclinées gisait aussi dans le sang quand Marie
en travail l’accoucha.

Née à Paris travaillée dans l’épopée de notre génération
fallacieuse. Échouée en Amérique parmi les riches champs des possédants
et de l’État étatique. Vécu en Italie, pays barbare.
Fui l’Angleterre pays de sophistiqués. Pleine d’espoir
dans l’Ouest où pour l’heure rien ne croît
[…].14

7Le travail sur les réseaux sémantiques et sonores (la répétition des verbes « giacere », « sedere », l’allitération en [s] qui crée un réseau phonique entre « sedere », « suolo » et « sangue »), la dialectique entre vie et mort (avec l’image de Jésus naissant dans le sang, et de la germination qui n’a pas encore eu lieu à l’Est), l’image du bain de sang font état d’un traumatisme originaire, porteur cependant de l’espoir d’une rédemption (« Speranzosa »). Cette image se trouvait déjà dans Le Chinois à Rome (1955) :

Les ombres tachent de sang le pavement. Les ombres font des signes de sang sur le pavement. Les ombres font des signes (d’encre en forme d’animal) sur le selciato (d’encre lanterne magique) (d’encre taches magiques) sur le plafond (pavement) terrain rugueux15.

8De fait, le « chaos linguistique » chez Amelia Rosselli va de pair avec l’idée d’un enracinement impossible, d’une terre qui est le lieu d’une persécution, quand elle n’est pas stérile. Les références littéraires qui jalonnent les textes permettent cependant à la poétesse de trouver un autre ancrage : les taches de la lanterne magique rappellent le Combray de Proust, de même que le « terrain rugueux » n’est pas sans rapport avec la « réalité rugueuse » que Rimbaud cherche à étreindre. La vision apocalyptique qui s’élabore dans « Contiamo infini morti » évoque l’Enfer de Dante et la mention de l’« absurde » et des « platanes » qui « poussent leurs racines dans la terre » rappellent En attendant Godot de Beckett, où l’arbre constitue un élément de stabilité et une promesse de vie.

9La problématique du plurilinguisme originel est présente aussi chez Alejandra Pizarnik, mais de façon sous-jacente : toute la poésie de Pizarnik est traversée par une interrogation fondamentale sur le langage, vécu comme une impossibilité. Cependant, Pizarnik lie rarement ses problématiques d’écriture à son plurilinguisme natif, qui est pourtant réel. Aussi souhaitons-nous en faire l’hypothèse. La critique assure que Pizarnik, issue d’une famille juive originaire de Pologne et de Russie, parlait le yiddish en famille16. Si elle questionne régulièrement sa condition de femme juive dans ses écrits, et qu’elle écrit souvent des passages de ses journaux ou des bribes de poèmes dans ses langues apprises (l’anglais et le français), il n’est cependant jamais question de son plurilinguisme originel. Or, Pizarnik exprime un sentiment d’étrangeté face à la langue espagnole qui n’est pas sans rappeler celui que décrivent Claude Estéban et d’autres écrivains bilingues :

Mon style est ou sera, forcément, artificiel. À cause du vide, à cause de ton incapacité à t’approprier le langage. Le langage m’est étranger. C’est ma maladie. Une aphasie confuse et dissimulée. D’où le fait que je ne puisse pas écouter de musique. D’où ma facilité à apprendre des chansons dans des langues que je ne connais pas. [...] Tout a un nom mais le nom ne coïncide pas avec la chose à laquelle je me réfère. Le langage est un défi pour moi, un mur, quelque chose qui m’expulse, me laisse dehors. Je n’ai jamais pensé avec des phrases. À peine quelques mots qui bourdonnent depuis mon enfance. Par exemple cette phrase – qui est au fond une phrase en guenilles - : « Oui, mais ce que je voulais dire c’est que… » Quand j’étais petite, je la complétais avec des mots inventés, avec une langue imaginaire. Mais je n’ai jamais pu percevoir le rythme du langage, ni aucun rythme. Quand je lis, je lis chaque mot isolément, même les prépositions, comme si je faisais une autopsie17.

10La difficulté d’Alejandra Pizarnik à appréhender le langage, qui est une problématique commune à toute la modernité poétique, semble être aggravée par ce que l’on pourrait qualifier comme une forme de refoulement de son héritage linguistique, qui refait surface à l’occasion de son interrogation sur la judaïté :

Je sens de plus en plus que mon domaine est la prose. Poème en prose ou n’importe quoi en prose. Je ne peux pas faire des vers dans un langage étranger et exécré. Je veux le miner mais en prose. Prose parfaite – impossible désir – dont la finalité serait [illisible] la prose de ma terrible langue18.

11Aussi, le rapport de Pizarnik à la langue espagnole est de l’ordre de l’impasse, pour elle qui la perçoit comme une langue étrangère, mais n’a pas la sensation de posséder de langue première. Reste alors à bâtir cette « terrible langue » par l’écriture.

« Mais nous boitons       de la langue »

12Dans l’imaginaire plurilingue des poétesses, l’image de la « boiterie » de la langue vient matérialiser de façon particulièrement frappante la sensation d’étrangeté associée à la maîtrise de plusieurs langues, ou le défaut de langue maternelle. L’image intervient dans un poème de Connaissance par les larmes, le dernier ouvrage de Michèle Finck, où elle écrit :

Mais nous boitons      de la langue.
Langue maternelle :      la musique.
Langue paternelle :      le mutisme19.

13La répartition des langues entre « maternelle » et « paternelle » est commune à plusieurs poétesses, dont Tsvetaeva qui écrit dans De l’Allemagne : » J’ai hérité de ma mère la Musique, le Romantisme et l’Allemagne. Tout simplement : la musique. Tout ce que je suis20. » Amelia Rosselli définit elle aussi l’italien, qu’elle a choisi comme langue de vie et d’écriture, comme sa langue paternelle. Dans ce poème de Michèle Finck cependant, les langues maternelle et paternelle ont pour particularité d’être toutes deux des hors-la-langue, l’expérience plurilingue étant pour elle associée davantage à la hantise du mutisme qu’à une expérience proprement linguistique. La musique s’impose ici comme une alternative au mutisme, en tant qu’elle constitue un ensemble sémiologique signifiant tout en se situant en-dehors de la problématique linguistique. Cet héritage musical commun à Tsvetaeva constitue une ressource essentielle pour les poétesses, une véritable « épine dorsale21 ». L’image de la boiterie de la langue se trouve aussi dans la poésie d’Amelia Rosselli, qui écrit à la toute fin d’Impromptu (1981) :

[…] E se paesani
zoppicanti sono questi versi è

perché siamo pronti per un’altra
storia di cui sappiamo benissimo

faremo dunque al meno, perso
l’istinto per l’istantanea rima

perché il ritmo t’avea al dunque

già occheggiata da prima.

[…] Et si paysans
claudicants sont ces vers c’est

parce que nous sommes prêts pour une autre
histoire dont nous savons très bien que

nous nous passerons pour cela, une fois
perdu l’instinct pour la rime instantanée

parce que le rythme t’avait pour cela

lorgnée déjà bien avant22.

14Mais qu’est-ce qu’une langue qui boite ? Sans doute une langue qui se veut imparfaite, et qui s’inscrit dans un schéma métrique qui ne répond pas aux canons traditionnels mais à la nécessité intérieure des poétesses. La langue « boiteuse » des poétesses est le fruit d’un héritage historique douloureux. C’est une langue qui se cherche et manque parfois de trébucher hors du sens, mais dont les faiblesses deviennent des ressources :

Me comprends-tu, dans mon mauvais allemand ? Mon français est plus coulant, c’est pourquoi je ne veux pas t’écrire en français. De moi à toi, rien ne doit couler. Voler – oui ! Sinon, autant buter et trébucher23.

15Ces mots que Tsvetaeva adresse à Rilke ont la force d’un art poétique : ils désignent une poésie qui se veut sous le signe de la vitesse (« voler ») ou sous le signe du doute et de l’expérimentation (« buter et trébucher »), mais dont le rythme ne peut pas être celui de la langue ordinaire, fluide, « coulante », mais dépourvue de l’intensité de la parole poétique.

16Chez Amelia Rosselli, cette boiterie se définit, dans la fin d’Impromptu, par un télescopage du sens, qui voit s’enchâsser des propositions sans lien apparent entre elles. Ce procédé a partie liée avec la « perte » de l’« instinct » linguistique, la « rime instantanée » de la poésie traditionnelle ayant été détrônée par la puissance de nécessité du « rythme » qu’elle inscrit au cœur de son projet poétique. Impromptu, qui date de 1981, est la dernière œuvre publiée de l’auteur. L’évolution de l’inscription du plurilinguisme est notable entre Le Chinois à Rome (1955) et Impromptu (1981). Dans Le Chinois à Rome, elle prenait la forme d’un imbroglio orchestré savamment par l’auteur. Amelia Rosselli évoque le « chaos linguistique24 » qu’elle a voulu pour la fin du texte :

Cara Silv.
      (casa ecc.)
La nuit est une panthère (tempête ou tourbillon).
Le Salut. Les Chandelles de la Gloire. Voilà que vient la petite vanité, arrivée au coin de la rue que porte à la grande maison arcuata (arquée). Tout près du garage (étable). Tu te fermes. Tu annotes. (Annotta.) Les carosses stand. Tu cliques tes doigts au chat. « Sembri semplicemente. » Le créatif, poof ! On va te violer (seule à minuit).
vi sono delle situationi d’eccezione nelle quali il rapporto tra guidatore e guida muta.
Très peu d’anglais. Des ombres (feuilles tremblantes). S’acharnant, encore et toujours, au coin de la rue vue (vie). sboccati, sbouchée sur la grande digue (c’est le grand pavement, c’est le long d’un fleuve inconnu).
Les arbres, blocs de la maison. (On entre.) voici : voici la clef de tous mes souvenirs25.

17Cet extrait fait intervenir ce qu’Olga Anokhina, à la suite de la sociolinguistique, appelle code-mixing, soit « l’alternance des codes linguistiques au sein du même énoncé » et code-switching, soit le fait de « combiner les morphèmes venant de différentes langues au sein du même mot26 ». Entre Le Chinois à Rome et Impromptu, le « chaos linguistique » s’est donc, semble-t-il, atténué, pour se muer en un italien « boiteux », qui a toujours recours à des morphèmes étrangers (code-mixing), et qui fait encore une grande place à l’inventivité verbale, notamment aux néologismes, mais où l’alternance entre les langues étrangères est moins brutale. Le code-switching quant à lui n’est plus employé dans Impromptu, où les néologismes sont bâtis à partir de la langue italienne seulement27.

Plurilinguisme et musique : une expansion du domaine de la langue

L’expérience de l’altérité

18S’il peut induire une instabilité de tout le sujet, tant il met le langage en péril, le plurilinguisme est loin d’être réductible à cette expérience douloureuse. Dans la postface de L’Enfer musical d’Alejandra Pizarnik, Jacques Ancet revient sur le « paradoxe fondateur du poème », en écrivant que, pour la poétesse argentine, « seul le langage peut venir à bout du langage28 ». De la même manière, seul le plurilinguisme peut venir à bout de ses propres apories. Dans le poème inédit « Bande-son der Kindheit29 », Michèle Finck revient sur son enfance plurilingue et sur la difficulté qu’a constitué l’apprentissage d’une langue à soi. Cependant, s’il y est vecteur de confusion et de douleur (« J’ai malweh.      J’ai malweh      crie l’enfant30 »), le plurilinguisme est aussi l’élément par lequel peut advenir la résolution du problème plurilingue :

Fille     saigne     du mutisme de la mère.     Du mutisme du père.
Sang.      Blut      Blued.
Transmuer      mutisme.      En polyglottisme.      Sauf-
Conduit : Français. Allemand. Anglais. Italien. Espagnol. Russe ?
Européenne la fille.      Funambule sur les fils barbelés des langues.
Peux tomber.      Kann fallen.     Kann anekeye.
Du mutisme-et-du-cri      faire poésie :     seul     espoir de     salut31.

19Alejandra Pizarnik connaît elle aussi un mouvement d’expansion vers des langues étrangères et parmi elles, le français tient une place privilégiée. Ce mouvement est moins manifeste chez Amelia Rosselli et Marina Tsvetaeva, qui approfondissent plutôt leurs différentes langues originaires.

20Quoi qu’il en soit, l’ouverture vers des langues étrangères a profondément partie liée avec leur rapport fondateur à l’altérité – qui se révèle être l’occasion d’une expérience jubilatoire ou au qui aggrave au contraire l’inquiétude existentielle. Les quatre citations (respectivement de Henri Michaux, Cecilia Meireles, Novalis et Sidney Keyes) que Pizarnik choisit pour clore son poème « Un jardín » (Textos de Sombra) en sont particulièrement représentatives :

– Ils jouent la pièce en étranger.
– Sinto o mundo chorar como lingua estrangeira.
– Das ganze verkerhrte Wesen fort.
– Another calling : my own words coming back…
32

21L’étrangéité du langage fait ici écho à celle de l’existence, dans ce parcours à travers français portugais, allemand et anglais. Certaines de ces citations apparaissent également en épigraphe du poème « […] Del Silencio » :

… está todo en algún idioma que no conozco… L. C. (A travès del espejo)
Sinto o mundo chorar como lingua estrangeira. Cecilia Meireles
Ils jouent la pièce en étranger. Michaux
… alguien mató algo. L. Carroll (A travès del espejo)33

22Si, dans la fin de « Un jardín », les citations clôturaient le poème sur l’inscription de soi dans les mots d’un autre (« Another calling : my own words coming back »), offrant une issue au règne de l’altérité par un effet d’écho et de retour à soi, les épigrammes du poème « […] Del Silencio » font converger l’étrangéité de la langue vers la mise à mort, selon la citation de Lewis Carroll, qui engendre un nouveau départ : celui du poème. L’altérité de la langue, chez Pizarnik, est vecteur d’inquiétude poétique et a trait à ce que son œuvre poétique recèle d’« ombre34 », tandis que dans la poésie de Michèle Finck, il est principe fécond et vecteur de lumière. Mais cette ouverture est à mettre en rapport également avec leur conception de la langue poétique comme une langue étrangère, voire une langue « étrangère à toute langue35 », dans la lignée de la brèche ouverte par Proust avec son Contre Sainte-Beuve36. Une telle conception de l’altérité de la langue poétique se trouve aussi sous la plume de Tsvetaeva, quand elle écrit à Rilke : » Écrire des poèmes, c’est déjà traduire, de sa langue maternelle vers une autre, peu importe qu’il s’agisse de français ou d’allemand. Aucune langue n’est langue maternelle. Écrire des poèmes, c’est écrire d’après37. »

23Ce rapport fondamental à l’altérité est naturellement aussi celui qui les pousse vers les autres arts, et vers la musique en particulier. Amelia Rosselli écrit à ce propos dans « Spazi Metrici » (1962), le texte qu’elle joint aux Variazioni belliche (1959-1961) :

L’une des problématiques de la forme poétique a toujours été liée pour moi à celle plus strictement musicale, et je n’ai en réalité jamais séparé les deux disciplines, considérant la syllabe non seulement comme lien orthographique mais aussi comme son, et la période non seulement comme une construction grammaticale, mais aussi comme un système38.

24Cependant, si Amelia Rosselli confère à la musique un rôle essentiel dans la genèse de sa poésie, elle énonce également de façon très claire l’écart entre les deux arts, et ne calque pas à proprement parler sa production poétique sur la sémiotique musicale :

Mais si des éléments identifiables en musique et en peinture ne ressortent dans la profération que des rythmes (durées ou temps) et des couleurs (timbres ou formes), dans l’écriture et dans la lecture, les choses sont quelque peu différentes : car nous pensons simultanément. Dans ce cas-là, le mot n’a pas un son (bruit), parfois il n’en a même pas du tout, et ne fait que résonner comme une idée dans la tête39.

25En effet, c’est dans l’intervalle qui la sépare la poésie de la musique que les poétesses trouvent un terrain fécond et une source d’inspiration. Mais l’ouverture vers la musique a également profondément partie liée avec la sensation d’être en exil, avec la recherche d’une patrie intérieure, d’une langue, ou avec la nostalgie d’un pays que l’on a quitté. Alejandra Pizarnik écrit : « Je voulais entrer dans le clavier pour entrer à l’intérieur de la musique pour avoir une patrie40 ». Michèle Finck évoque le père alingue : « Savoir qu’il aurait voulu être chef d’orchestre, peut-être pour que musique lui soit langue41 ». Depuis Paris où elle vit dans l’émigration, Marina Tsvetaeva évoque également la capacité immédiate de la musique à provoquer un sentiment d’appartenance à un pays, un peuple :

[…] иногда в Т.S.F. слышится музыка, от которой у меня сразу падает и взлетает сердце, какая-то повелительно-родная, в которой я все узнаю, хотя слышу в первый раз. И это всегда Сметана. Вообще-чешское. Так я под прошлое Рождество прослушала целый концерт чешских народных песен – нечаянно попала – и была заворожена […] Народ – весь – в пении, а чешский народ есть пение, знак равенства42.
Parfois à la T.S.F. j’entends une musique, qui décroche immédiatement mon cœur et le fait s’envoler, quelque chose d’impérieusement familier, duquel je reconnais tout, même si je l’entends pour la première fois. Et c’est toujours Smetana. Absolument-tchèque. Tout comme, au dernier Noël, j’ai écouté tout un concert de chants traditionnels tchèques – par hasard – et ai été envoûtée […]. Le peuple est tout entier dans le chant, et le peuple tchèque est le chant, symbole d’égalité43.

26Aussi la musique est-elle chez les quatre poétesses liée fondamentalement à la problématique plurilingue, en tant qu’elle la prolonge et se situe, de par sa dimension sonore et son rapport si particulier à la signification, entre les langues et la poésie.

La tentation de l’universalité : le « bruissement de la langue »

27Si, comme nous l’avons vu, la musique et la langue poétique ne sont pas assimilables l’une à l’autre, les quatre poétesses élaborent une formule poétique en lien étroit avec la formule musicale, et ce, que le poème soit écrit en une ou plusieurs langues. Notre hypothèse est la suivante : pour ces poétesses plurilingues, l’inscription de la formule musicale dans le poème émane du désir de résoudre dans l’universalité leur propre altérité originaire, le plurilinguisme faisant cohabiter l’autre dans le même. Marina Tsvetaeva, dans une lettre à Rilke qu’elle rédige en allemand, déplore en effet le fait qu’on la considère avant tout comme un poète russe :

Je ne suis pas un poète russe et c’est toujours un étonnement pour moi d’être tenue pour telle, considérée comme telle. On devient poète (si tant est qu’on puisse le devenir, qu’on ne le soit pas tous d’avance !) non pour être français, russe, etc., mais pour être tout. Ou encore : on est poète parce qu’on n’est pas français. La nationalité est forclusion et inclusion. Orphée fait éclater la nationalité, ou l’élargit à tel point que tous (présents et passés) y sont inclus44.

28Mais la poésie, et Tsvetaeva en est tout à fait consciente, est affaire de langue, et ce, de façon irrévocable. L’universalité rêvée ne peut alors s’obtenir qu’en se tournant vers ce qui inscrit le sujet dans le discours tout en dépassant infiniment les barrières nationales des langues : la part sonore de la poésie, son rythme, « qui est signifiance sans être composé de mots45 » et apparente la poésie à la musique sans la confondre avec elle :

J’obéis à quelque chose qui, sans cesse, mais de façon discontinue, résonne en moi, qui tantôt me dirige, tantôt me commande. Quand cela dirige – je discute, quand cela commande – je me soumets.
Ce qui commande est le vers primitif, inaltérable et irremplaçable, l’essence qui apparaît sous la forme d’un vers (le plus souvent – c’est le dernier distique qui, ensuite, s’accroît de tout le reste). Ce qui dirige – c’est une voie auditive jusqu’au vers : j’entends une musique, je n’entends pas les mots. Les mots je les cherche.
[…] Mon écriture tout entière consiste à prêter l’oreille46.

29Amelia Rosselli, qui est parmi les quatre auteurs celle qui pousse le plus loin l’expérimentation sonore des poèmes cherche de même à atteindre des « formes universelles » qui puissent transcender le langage selon le modèle musical :

Je repris en main mes cinq classifications : lettre, syllabe, mot, phrase et période. Je les encadrai dans un espace-temps absolu. Mes vers poétiques ne purent plus échapper à l’universalité de l’espace unique : les longueurs et les temps des vers étaient préétablis, mon unité organisationnelle était définissable, mes rythmes s’adaptaient non pas à ma volonté seule mais à un espace déjà posé, et cet espace était tout recouvert d’expériences, de réalités, d’objets et de sensations47.

30C’est par une attention accrue à la dimension acoustique des mots de même qu’à leur sens, ainsi qu’au recours à des techniques de composition proches du « post-wébernisme », dont elle se détachera plus tard48, que la poétesse atteint une forme d’universalité en poésie. L’universalité rêvée est ainsi avant tout structurelle et concerne le mot en tant que matériau. En cela, la pratique d’écriture de la poétesse se rapproche de l’idéal du « bruissement de la langue » que décrit Barthes :

[L]e bruissement de la langue forme une utopie. Quelle utopie ? Celle d’une musique du sens ; j’entends par là que dans son état utopique la langue serait élargie, je dirais même dénaturée, jusqu’à former un immense tissu sonore dans lequel l’appareil sémantique se trouverait irréalisé ; le signifiant phonique, métrique, vocal, se déploierait dans toute sa somptuosité, sans que jamais un signe s’en détache (vienne naturaliser cette pure nappe de jouissance, mais aussi – et c’est là le difficile – sans que le sens soit brutalement congédié, dogmatiquement forclos, bref châtré49.

31La poésie de Michèle Finck porte un autre idéal d’universalité, qui prend également appui sur le son, mais pour son pouvoir multiplicateur du sens. Loin de risquer un « congédiement » du sens par le son, il s’agit au contraire de peser le poids de chaque mot et d’en révéler la richesse, pour l’offrir en partage. Les termes « pour tous » scandent d’ailleurs la dernière section du recueil Connaissance par les larmes : l’universalité recherchée est du côté du partage humain, de la destination du poème, et non de la structure poétique. C’est pour cette vocation de rassemblement aussi que le poème se tient tout proche de la musique :

Musique      tient dans ses mains      les rayons
Du soleil.      Sans s’y brûler.      Poésie

S’y brûle      tout entière.      Os par os.

Mais de cette brûlure      elle fait      de la neige.

      Pour tous50

« Châteaux de sons » et de silences : pour une poésie d’écoute et de désir

Construire l’édifice poétique avec les restes de Babel

32L’œuvre des poétesses que nous étudions est jalonnée d’édifices, élaborés à partir des restes de Babel. Ils incarnent une super-structure où les diverses langues et la musique peuvent s’incarner en projet poétique. Aussi, ils nous semblent particulièrement intéressants à commenter, du fait qu’ils constituent une alternative au mythe de la tour de Babel et en ce qu’ils proposent, plus qu’une synthèse unique et définitive entre les langues et les arts, de multiples points de rencontre possibles. Si l’image du poète en architecte est un lieu commun, c’est sans doute de Rimbaud qu’elles sont les plus proches : « tu te mettras au travail ; toutes les possibilités harmoniques et architecturales s’émouvront autour de ton siège51 ». De fait la poésie trouve son sens en ce qu’elle fait intervenir le « possible » dans le langage, voire en ce qu’elle fait du langage un possible. Architecture et musique se mêlent ici pour fonder un langage enfin habitable. Au sein de ces édifices, le silence joue un rôle paradoxal : parfois fécond, lorsqu’il permet une respiration et une tension nécessaires à l’intérieur du poème, parfois hostile, quand il est le lieu de l’aphasie, ou parfois purement et simplement éludé pour les besoins de l’édifice à construire, le silence se révèle polysémique et riche.

33Pour Amelia Rosselli, la question de l’architecture dépasse la simple métaphore et devient un véritable procédé compositionnel, au même titre que ses recherches sur l’acoustique et le son. La structure du cube notamment est particulièrement féconde pour sa poésie :

gli accenti sono le travi costruttorie del cubo : – lo provocano. piazzamento accenti provoca variazioni dinamiche (volume, ritmo, piazzamento verso) nell’interno del cubo.

veux-

aller chez le prince ?

il tempo nella poesia diventa volume del cubo ; coiè profondità tramite le attesa-spazio tra verso e verso52.

les accents sont les poutres de construction du cube : – le provoquent, déplacement des accents provoque variations dynamiques (volume, rythme, place du vers) à l’intérieur du cube.

veux-

aller chez le prince ?

le temps dans la poésie devient volume du cube ; c’est-à-dire profondeur à travers les attente-espace entre vers et vers53.

34L’espace poétique est ainsi appréhendé comme un espace architectural fondé sur les variations sonores, rythmiques, de même que par la disposition typographique des vers – il s’agit pour elle d’énoncer des principes compositionnels qui se situent à la jonction entre les arts, sans fonder pour autant un art total au sens wagnérien du terme, et ce, en investissant ses différentes langues. La présence de l’architecture est ainsi loin d’être seulement une métaphore, mais constitue un schème mental au sein duquel peut se développer la parole poétique plurilingue, en prenant appui sur les caractéristiques phoniques et accentuelles de ses différentes langues. La notion d’« espace-attente » entre les vers est elle aussi particulièrement signifiante. Amelia Rosselli fait de cette tension un élément fondamental de l’élaboration du verbe poétique, mais il ne s’agit pas chez elle du silence, au contraire. Dans Spazi Metrici, la poétesse désigne en effet le moment d’« espace-attente » comme un mot ou simple « lien orthographique », à condition qu’il soit signifiant, car le poème selon Amelia Rosselli doit rendre compte du rouleau continu de la pensée, au sein duquel il n’y a pas de silence ni d’espace vide54. Si Amelia Rosselli pense le rapport de tension et de détente au sein d’une parole qui se dispose dans un cube sans laisser de place au temps mort, Michèle Finck au contraire conçoit le silence comme un élément signifiant et nécessaire pour créer cet « espace-attente entre vers et vers ». Aussi, quand elle évoque le château qu’elle entend construire avec L’Ouïe éblouie, une place fondamentale revient au silence :

Les donjons seraient en rayons de mots, imaginais-je, les chemins de ronde en souffle, les créneaux en consonnes, les meurtrières en cris, les escaliers en colimaçon en refrains ; mais les ponts, les gigantesques ponts-aqueducs, qui relieraient le château au reste du monde, seraient en silence55.

35Dans l’édifice du poème, ou du recueil poétique, le silence a ainsi, bien plus qu’une fonction séparatrice, une fonction liante. Les temps de silence induisent un rapport désirant, une tension apte à faire tenir en équilibre l’édifice de mots. Dans « Le vaisseau fantôme56 », où il est question de » maisons de musique », l’imaginaire architectural est encore sollicité. Dans ce poème cependant, la poétesse reçoit une prophétie, qui va la pousser à tenter de construire une maison « avec des mots » – mais la maison de musique disparaît et devient un idéal à retrouver en poésie : l’objet du désir, un édifice musical et poétique, est ainsi toujours à venir, à la manière de la ville de Kitiège qui a montré ses trésors et a disparu, pour reparaître un jour. Dans la poésie d’Alejandra Pizarnik, l’élément architectural dominant est le jardin – espace ouvert mais délimité, lui aussi toujours à conquérir, il apparaît comme un refuge où se soustraire à la cacophonie du langage et aux errements du silence :

Sólo buscaba un lugar más o menos propicio para vivir, quiero decir : un sitio pequeño donde cantar y poder llorar tranquila a veces. En verdad no quería una casa ; Sombra quería un jardín.
–Sólo vine a ver el jardín –dijo.
Pero cada vez que visitaba un jardín comprobaba que no era el que buscaba, el que quería. Era como hablar o escribir. Después de hablar o de escribir siempre tenía que explicar :
–No, no es eso lo que yo quería decir.
Y lo peor es que tambíen el silencio la traicionaba.
–Es porque el silencio no existe –dijo.
El jardín, las voces, la escritura, el silencio57.

Elle cherchait seulement un lieu plus ou moins propice pour vivre, je veux dire : un petit endroit où chanter et pouvoir pleurer tranquille parfois. En vérité elle ne voulait pas une maison ; Ombre voulait un jardin.
–Je suis seulement venue voir le jardin – dit-elle.
Mais chaque fois qu’elle visitait un jardin elle vérifiait que ce n’était pas celui qu’elle cherchait, celui qu’elle voulait. C’était comme parler ou écrire. Après avoir parlé ou écrit elle devait toujours expliquer :
–Non, ce n’est pas cela que je voulais dire.
Et le pire c’est que le silence aussi la trahissait.
–C’est parce que le silence n’existe pas – dit-elle.
Le jardin, les voix, l’écriture, le silence58.

36Si l’édifice poétique chez Michèle Finck et Amelia Rosselli est l’objet d’un désir et source de réjouissance, chez Alejandra Pizarnik l’attente est toujours déçue. Comme le langage et le silence, qui se referment sur elle et l’emprisonnent, aucun jardin n’est jamais habitable et la déception va de pair avec un essoufflement du verbe poétique, qui « manque » toujours au « désir » de la poétesse et la conduit vers une impasse. Tsvetaeva quant à elle porte une attention particulière aux lieux de passage dans les édifices architecturaux : couloir, escaliers. Elle y voit des lieux plus fidèles à sa vérité intérieure, des ouvertures vers le » vaste » au sens rilkéen du terme59 (« Коридори : домашнесть дали » / « Les couloirs : domestication du lointain »60). Car comme elle l’écrit dans le « Poème de l’escalier » : « Теснота ищет – простора / (Автор сам в рачьей клешне) » / « L’exiguïté cherche l’espace / (L’auteur lui-même est dans des pinces de crabes.)61 »

37Les édifices qui s’érigent dans les poèmes ont en tous cas toujours pour particularité de se tenir au bord de l’effondrement, ou d’être déjà en ruines, à l’image du château de sons que veut bâtir Michèle Finck dans le « Conte de l’ouïe éblouie » :

Ce livre est un château de sons et de silence, dicté par l’ouïe éblouie et écrit au moment où la mer l’assaille, le pénètre, le pulvérise, l’engloutit peut-être. Restent quelques mottes de notes, quelques mesures d’écume, absolu provisoire, volatil, vif-argent, double battement arythmique, long, court, prose, vers, conte, chant, volé en éclat62.

38Sans doute que cette pulvérisation de la matière poétique est à mettre en rapport avec la poétique des « restes chantables63 », selon l’expression de Celan, telle que la poétesse l’inscrit dans son ouvrage critique Épiphanies musicales en poésie moderne, de Rilke à Bonnefoy : « Le signe distinctif de la poésie moderne n’est pas tant le bonheur musical que la tension vers la musique, qui est tâtonnement, incertitude plus que plénitude64 ». Peut-être qu’avec le démembrement du château de musique, Michèle Finck cherche à instaurer avec le matériau poétique une distance qui lui permette d’en tirer la quintessence. Sans doute aussi qu’elle cherche à être fidèle à la leçon de la modernité, qui voit dans la plénitude musicale une utopie, dans ce siècle de destructions et de malheur humain : l’acte poétique ne peut se développer dans la négation des brèches ouvertes par l’Histoire, mais doit au contraire les prendre en charge et les traverser. Comme elle, Marina Tsvetaeva, Alejandra Pizarnik et Amelia Rosselli ont conscience de la précarité de leurs édifices de langage, et consentent à construire des abris toujours provisoires, des lieux de passage : il ne s’agit pas de reconstruire Babel, mais de faire avec ce qui reste d’elle. Car comme le rappelle Tsvetaeva, « [l]a vie est une gare, je vais bientôt partir, je ne dirai pas où65 ».

Poésie à la langue balbutiée

39Les poétesses, fortes de leur expérience de l’écartèlement linguistique, font de l’aphasie une ressource majeure de l’acte poétique, car la poésie a pour devoir d’être toujours clairvoyante et de ne pas se détourner de la souffrance inhérente à la condition d’être humain. La musique, loin de constituer une alternative à l’aphasie, est au contraire le résultat d’une mise en crise de la langue, tour à tour balbutiante ou bégayante, dans une quête d’intensification du matériau verbal et de condensation du sens. La poésie est pour elles éminemment lyrique66, en ce qu’elle est un geste d’incarnation d’une voix dans le verbe. Michèle Finck et Alejandra Pizarnik placent d’ailleurs le modèle poétique sous le signe de la parole balbutiante de la mystique, notamment de Saint Jean de la Croix67, mais dans son pendant moderne, placé sous le signe du retrait de Dieu et de l’incertitude existentielle. Le balbutiement n’a, par ailleurs, pas la même signification chez l’une et l’autre, même s’il a pour fondement le même écartèlement linguistique originaire. Chez Alejandra Pizarnik le balbucir qui s’élabore en poésie émane d’une tension de tout l’être écrivant vers l’extase, au sens grec d’ek-stasis, sortie de soi, dont le pouvoir est confié à l’acte poétique et non plus à la présence de Dieu :

En la cima de la alegría he declarado acerca de una música jamás oída. ¿Y qué ? Ojalá pudiera vivir solamente en éxtasis, haciendo el cuerpo del poema con mi cuerpo, rescatando cada frase con mis días y con mis semanas, infundiéndole al poema mi soplo a medida que cada letra de cada palabra haya sudo sacrificada en las ceremonias del vivir68.
À la cime de la joie je me suis prononcée sur une musique jamais entendue. Et quoi ? Puissé-je ne vivre qu’en extase, faisant de mon corps le corps du poème, rachetant chaque phrase avec mes jours et mes semaines, insufflant mon souffle au poème à mesure que chaque lettre de chaque mot aura été sacrifiée dans les cérémonies de vivre69.

40Cette ek-stasis n’est autre que la survenue de la poésie dans sa rencontre avec la musique, de même que la victoire de la parole signifiante contre le mutisme. Dans la poésie de Michèle Finck, il s’agit de tendre vers l’épiphanie plutôt que vers l’extase : au mouvement de sortie de soi est préféré le mouvement d’accueil au sein du verbe poétique d’une présence qui rappelle celle du divin. Le balbutiement auquel tend le modèle poétique est hérité du « petit piano de paille du père » alingue :

Et un peu à la façon du Bergotte de Proust qui répétait « petit pan de mur », « petit pan de mur si bien peint » (parce qu’il n’y avait pas à ses yeux de modèle plus haut pour son œuvre), l’enfant répétait très doucement en psalmodiant « petit piano de paille », « petit piano de paille du père » (parce qu’il savait déjà qu’il n’y aura pas dans son cœur de modèle plus haut pour ce qu’un jour il appellera poésie)70.

41Le balbutiement ainsi prôné fait de la dimension sonore du verbe un ouvroir pour le mot, dont la signification est rendue plus profonde par la butée de la langue contre les sonorités et le rythme (induit ici par la consonne [p]) : multiplicateur de sens, le son révèle le sens plein des mots, qui demeure souvent en retrait dans l’usage ordinaire du langage. Ce n’est par ailleurs pas un hasard si Michèle Finck choisit de formuler cet art poétique du « balbuciendo » en espagnol : elle est ainsi au cœur de sa conception du modèle poétique, qu’elle souhaite « en langue étrangère ». Amelia Rosselli propose une conception de la poésie très proche de celle de Michèle Finck et de son « petit piano de paille », mais il s’agit pour elle de sonner corps à un « bégaiement » plus qu’à un « balbutiement », selon la définition que donnent Deleuze et Guattari de ces deux termes, qu’ils reprennent eux-mêmes à Pascal Quignard : « balbutier, qui est une mise en suspens », et « bégayer, qui est une reprise, une prolifération, une bifurcation, une déviation71 ». Dans l’ouverture des Variazioni belliche, Amelia Rosselli forge en effet un néologisme autour du verbe italien « balbettare », qui signifie tout à la fois « bégayer » et « balbutier » : « babelare », soit prendre en charge l’héritage plurilingue qui est le sien après la destruction de Babel pour forger une langue poétique balbutiante.

      […] oh
posponi la tua convinta orazione per
un babelare commosso ; car le foglie secche e gialle rapiscono
il vento che le batte
72.
      […] oh
postpose ton oraison convaincue pour
un babèlement ému ; car les feuilles sèches et jaunes ravissent
le vent qui les bat73.

42Le « babelare » de Variazioni belliche repose à la fois sur le mélange des idiomes, les traces d’oralité qui orientent la poésie vers une mise en voix et lui confèrent une forme de théâtralité, et le travail de la « variation », hérité directement du modèle musical. Le « babelare commosso » s’oppose ici à la « convinta orazione » de la littérature classique, Amelia Rosselli proposant un modèle poétique fondé sur l’expérimentation et le doute. Elle exprime ainsi le désir de fonder une « littérature mineure », toujours au sens que Deleuze et Guattari donnent à ce terme, qui insistent sur le rôle de la mise en « variation continue74 » de la langue par le travail littéraire dans son effort pour élaborer une langue étrangère (« mineure ») au sein de la langue. Comment mieux définir le travail complexe d’Amelia Rosselli dans ses Variations belliche, qui vise avec ses vers, qu’elle désignera plus tard comme des « paesani zoppicanti75 », à atteindre un langage aussi « rugueux » que celui de Rimbaud (« Moi, moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan !76 »).

43Le travail de la « variabilité continue » est pour Deleuze et Guattari le symptôme d’une opposition aux langues de pouvoir, mais il est aussi un état de la langue qui la rapproche le plus de la « musique elle-même77 ». Ce ferment d’opposition est présent chez Amelia Rosselli en particulier : sa poésie porte un idéal politique et social indissociable de son projet poétique, et fait entendre une opposition franche au fascisme et à tout ce qu’il a essaimé dans la société bourgeoise. Michèle Finck quant à elle, plus que de s’opposer, cherche à donner un espace de protection en poésie à ce qui est « minoritaire » et menace d’être englouti, ainsi qu’à rendre hommage aux « invisibles » de l’Histoire78. La poésie œuvre pour la vie : elle se situe du côté de la résistance et de la lutte, plutôt que du côté de l’opposition, dont le risque est le repli dans le nihilisme. Il s’agit aussi, en fondant une langue étrangère au sein de la langue, de donner corps à sa propre étrangeté (Alejandra Pizarnik) ou à son maximalisme (Marina Tsvetaeva). De fait, le « babelare commosso », des poétesses, pour reprendre l’expression d’Amelia Rosselli, témoigne surtout, nous semble-t-il, de leurs efforts pour qu’une place leur soit faite dans le langage.

Conclusion : le « désir demeuré désir » pour pierre de voûte de l’édifice poétique

44Ainsi la musique, en tant que système sémiotique libéré du rapport problématique qu’entretient le langage avec le réel, et porteur d’un rapport différent au sens, est-elle une ressource pour le plurilinguisme en ce qu’elle constitue une alternative à la langue. Approchée par la poésie mais impossible à fixer par le langage, la musique apparaît comme un « horizon » qui structure l’œuvre des poétesses, au sens que Michel Collot donne à ce terme79. En tentant d’inscrire la formule musicale dans le poème, les poétesses aspirent à un ressaisissement du sens par les ressources acoustiques des langues, de même qu’à la réunification d’une conscience scindée par l’expérience plurilingue. Mais ce ressaisissement ne peut se faire que depuis l’intérieur du langage, et, dans leur cas, que depuis l’intérieur des langues qui constituent « leur » langue propre, et qui s’élabore au fil des poèmes. La musique est ainsi la pierre de voûte de l’édifice poétique, et cette pierre de voûte est un désir. Aussi peut-on affirmer, à la suite de René Char, que dans l’œuvre de Marina Tsvetaeva, Amelia Rosselli, Alejandra Pizarnik et Michèle Finck, il s’agit pour les poétesses faire du poème le lieu de « l’amour réalisé » du « désir demeuré désir80 » de la poésie pour la musique.

Notes de bas de page numériques

1 Claude Estéban, Le Partage des mots, Paris, Gallimard, 1990, coll. « L’un et l’autre », p. 144.

2 Michèle Finck, « Conte de l’ouïe éblouie », L’Ouïe éblouie, Montélimar, Voix d’encre, 2007, p. 8.

3 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, [1916], Paris, Payot, 1971, p. 31.

4 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, [1916], Paris, Payot, 1971, p. 31.

5 Claude Estéban, Le Partage des mots, Paris, Gallimard, 1990, coll. « L’un et l’autre », p. 144.

6 Claude Estéban, Le Partage des mots, Paris, Gallimard, 1990, coll. « L’un et l’autre », p. 144.

7 Claude Estéban, Le Partage des mots, Paris, Gallimard, 1990, coll. « L’un et l’autre », p. 150.

8 Amelia Rosselli, Le Chinois à Rome, [1955], L’Opera poetica, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2012, p. 567.

9 Emilio Sciarrino, Le plurilinguisme en littérature. Le cas italien, Paris, Édition des archives contemporaines, 2016, Introduction, p. IV.

10 Michèle Finck, « Le piano de paille », Balbuciendo, Paris-Orbey, Arfuyen, 2012, p. 35.

11 Nous avons traité la question des liens entre « mutisme » et « musique » dans l’œuvre de Michèle Finck, en montrant notamment l’impact structurel du mutisme du père sur l’œuvre de la poétesse dans le n° 69 de la revue Nu(e), coordonné par Patrick Née, Béatrice Bonhomme et Danielle Pastor, 8 mai 2019, pp. 123-132.

12 Amelia Rosselli, Le Chinois à Rome, [1955], L’Opera poetica, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2012, p. 560.

13 Amelia Rosselli, Variazioni belliche [1960-1961], L’Opera poetica, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », p. 46.

14 Amelia Rosselli, Variations de guerre, traduit par Marie Fabre, 2012, Paris, Ypsilon, p. 58.

15 Amelia Rosselli, Le Chinois à Rome, L’Opera poetica, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2012, p. 564.

16 Selon Edmundo Gómez Mango, « Préface » à la Correspondance avec León Ostrov, 1955-1966, Paris, édition des Busclats, 2016, p. 10.

17 Alejandra Pizarnik, Journaux 1959-1971, traduits de l’espagnol par Anne Picard, édition établie et présentée par Silvia Baron Supervielle, Paris, Corti, coll. « Ibériques », 2010, p. 149.

18 Alejandra Pizarnik, Journaux 1959-1971, traduits de l’espagnol par Anne Picard, édition établie et présentée par Silvia Baron Supervielle, Paris, Corti, coll. « Ibériques », 2010, p. 285.

19 Michèle Finck, « À la patience », Connaissance par les larmes, p. 14.

20 Marina Tsvetaeva, « De l’Allemagne (Extraits de mon journal de 1919) », Indices terrestres, Récits et essais, Œuvres, tome II, sous la direction de Véronique Lossky et Tzvetan Todorov, traduit par Nadine Dubourvieux, Luba Jurgenson et Véronique Lossky, Paris, éditions du Seuil, 2011, p. 182.

21 Marina Tsvetaeva écrit à propos de la gamme chromatique : « la gamme chromatique est mon épine dorsale, l’échelle vivante le long de laquelle s’élance et danse tout mon destin. », « Ma mère et la musique », Œuvres, I, sous la direction de Véronique Lossky et Tzvetan Todorov, traduit par Nadine Dubourvieux, Luba Jurgenson et Véronique Lossky, Paris, éditions du Seuil, 2011, p. 64.

22 Amelia Rosselli, Impromptu [1981], a trilingual edition, translated by Gian Maria Annovi, Diana Thow, Jean-Charles Vegliante, Toronto-Buffalo-Lancaster, 2014, p. 72-73.

23 Tsvetaeva, lettre à Rilke du 12 « may » 1926, Correspondance à trois, Paris, Gallimard, coll. « L’imaginaire », 1983, p. 103.

24 Amelia Rosselli, Le Chinois à Rome, [1955], L’Opera poetica, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2012, p. 567.

25 Amelia Rosselli, Le Chinois à Rome, L’Opera poetica, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2012, p. 566.

26 Olga Anokhina, « Étudier les écrivains plurilingues grâce aux manuscrits », Écrire en langues, Littératures et plurilinguisme, Paris, Édition des archives contemporaines, 2015, p. 35.

27 Au sujet des néologismes d’Impromptu, voir Jean-Charles Vegliante, « Quelques précisions, dans l’esprit de notre D’Écrire la traduction (1996) », in Amelia Rosselli, Impromptu, a trilingual edition, translated by Gian Maria Annovi, Diana Thow, Jean-Charles Vegliante, edited by Gian Maria Annovi, Toronto-Buffalo-Lancaster, Buffalo editions, 2014, p. 75-77.

28 Jacques Ancet, « Les voix dans la voix », postface de L’Enfer musical d’Alejandra Pizarnik, Paris, éditions Ypsilon, 2012, p. 70.

29 Poème inédit, donné par Michèle Finck, à paraître dans son prochain livre en 2020.

30 Poème inédit, donné par Michèle Finck, à paraître dans son prochain livre en 2020.

31 Poème inédit, donné par Michèle Finck, à paraître dans son prochain livre en 2020.

32 « Un jardín », « Algunos textos de Sombra », Textos de Sombra, Poesía completa (1955-1972), Barcelone, Lumen, [2000], 2017, p. 402.

33 Alejandra Pizarnik, « Del silencio », épigramme, Poesía completa (1955-1972), Barcelone, Lumen, [2000], 2017, p. 357.

34 Pour reprendre le titre du dernier recueil de l’auteur, Textes d’Ombre.

35 « L’ouïe éblouie illumine et terrifie. Étrangère à toute langue, elle ne comprend pas les mots, seulement les sons. J’écris en cordée avec elle. » Michèle Finck, « Conte de l’ouïe éblouie », L’Ouïe éblouie, Montélimar, Voix d’encre, 2007, p. 8.

36 Voir Marcel Proust, « Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère », Contre Sainte-Beuve précédé de Pastiches et mélanges et suivi de Essais et articles, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1971, p. 305.

37 Marina Tsvetaeva, « Lettre à Rainer Maria Rilke du 6 juillet 1926 », traduite par Philippe Jaccottet, Correspondance à trois, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1983, p. 211.

38 Amelia Rosselli, « Espaces métriques », Variations de guerre, traduit par Marie Fabre, 2012, Paris, Ypsilon, p. 193.

39 Amelia Rosselli, « Espaces métriques », Variations de guerre, traduit par Marie Fabre, 2012, Paris, Ypsilon, p. 193.

40 « Yo quería entrar en el teclado para entrar adentro de la música para tener una patria. », « Piedra fundamental », El Infierno musical (1971), Poesía completa (1955-1972), Barcelone, Lumen, [2000], 2017, p. 264. Pour la version française : Alejandra Pizarnik, « Pierre fondamentale », L’Enfer musical, traduit par Jacques Ancet, Paris, Ypsilon, 2012.

41 Michèle Finck, « Le piano de paille », Balbuciendo, Paris-Orbey, Arfuyen, 2012, p. 35.

42 Marina Tsvetaeva, Письма к Анне Тесковой, Санкт-Петербург, Внешторгиздат, 1991, p. 110.

43 Nous traduisons.

44 Marina Tsvetaeva, Lettre à Rainer Maria Rilke, 6 juillet 1926, traduite par Philippe Jaccottet, Correspondance à trois, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1983, p. 211.

45 Henri Meschonnic, Critique du rythme, Lagrasse, Verdier, 1982, p. 92. En italiques dans le texte.

46 Marina Tsvetaeva, Le Poète et la critique [1926], Œuvres, tome II, Récits et essais, sous la direction de Véronique Lossky et Tzvetan Todorov, traduit du russe par Nadine Dubourvieux, Luba Jurgenson et Véronique Lossky, Paris, Seuil, 2011, pp. 498-499.

47 Amelia Rosselli, « Espaces métriques », Variations de guerre, traduit par Marie Fabre, 2012, Paris, Ypsilon, p. 197.

48 Sur la teneur et l’évolution de la pensée musicale d’Amelia Rosselli, voir la thèse de doctorat de Viviana Ponta, «e risuona come idea nella mente», Musica, fisica del suono e forme universali, L’acustica silenziosa nella poesia di Amelia Rosselli, sous la direction de Gianfranca Lavezzi et d’Emanuela Tandello, Università degli studi di Pavia, 2014. L’itinéraire musical de Rosselli est en effet marqué par le post-wébernisme dans les premières années de sa formation à la composition, puis elle s’en détache pour se rapprocher du modèle bartokien, qui porte, notamment, une attention plus grande aux musiques folkloriques.

49 Roland Barthes, « Le Bruissement de la langue », Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, Paris, éditions du Seuil, 1984, p. 94.

50 Michèle Finck, Connaissance par les larmes, Paris-Orbey, Arfuyen, 2017, p. 186.

51 Arthur Rimbaud, « Jeunesse IV », Illuminations [1874], Œuvres complètes – correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2004, p. 178.

52 Amelia Rosselli, Diario in tre lingue [1955-1956], L’Opera poetica, Milano, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2012, p. 635. En italiques et souligné dans le texte.

53 Nous traduisons.

54 Amelia Rosselli, Espaces métriques, Variations de guerre, traduit par Marie Fabre, 2012, Paris, Ypsilon, p. 199.

55 Michèle Finck, « Conte de l’ouïe éblouie », L’Ouïe éblouie, Montélimar, Voix d’encre, 2007, p. 7.

56 Michèle Finck, « Le Vaisseau fantôme », L’Ouïe éblouie, Montélimar, Voix d’encre, 2007, pp. 129-130.

57 Alejandra Pizarnik, « Algunos textos de Sombra », Textos de Sombra, Poesía completa (1955-1972), Barcelone, Lumen, [2000], 2017, p. 403.

58 Alejandra Pizarnik, « Quelques textes d’ombre », Textes d’Ombre, traduction d’Étienne Dobenesque, Paris, Ypsilon, 2014, p. 49.

59 Au sens où l’entend Rilke, qui écrit qu’« aimer est une grande et immodeste exigence envers l’individu, c’est une chose qui le choisit et l’appelle vers le vaste ». Lettre à Franz Kappus du 14 mai 1904, Lettres à un jeune poète [1929], Paris, Librairie Générale Française, « Le livre de poche », 1989, p. 62.

60 Marina Tsvetaeva, « Попыта комнаты » / « Tentative de chambre » [1928], Grands poèmes, édition bilingue, traduit du russe et annoté par Véronique Lossky, Genève, Édition des Syrtes, 2018, pp. 168-169.

61 Marina Tsvetaeva, « Поэма лестницы » / « Poème de l’escalier » [1926], Grands poèmes, édition bilingue, traduit du russe et annoté par Véronique Lossky, Genève, Édition des Syrtes, 2018, pp. 212-213.

62 Michèle Finck, « Conte de l’ouïe éblouie », L’Ouïe éblouie, Montélimar, Voix d’encre, 2007, p. 9.

63 Paul Celan, « Singbarer Rest », dans la traduction de Philippe Lacoue-Labarthe dans La Poésie comme expérience, Paris, Christian Bourgeois, 1986, p. 60. Cité par Michèle Finck dans Épiphanies musicales en poésie moderne, de Rilke à Bonnefoy. Le musicien panseur, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 255.

64 Michèle Finck, Épiphanies musicales en poésie moderne, de Rilke à Bonnefoy. Le musicien panseur, Paris, Honoré Champion, 2014, p. 255.

65 Marina Tsvetaeva, « Réponse au questionnaire », 1926, Correspondance à trois, Paris, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 1983, p. 75.

66 Au sens où le définit Jean-Michel Maulpoix quand il écrit que le lyrisme fait entendre « la voix d’un individu auquel l’expérience infinie du langage rappelle sa situation d’exilé dans le monde, et simultanément lui permet de s’y rétablir, comme s’il pénétrait grâce à elle au cœur de l’énigme qui lui est posée par sa propre condition », ou encore quand il y voit l’inscription d’un « désir de divinité […] dans le langage ». Voir Jean-Michel Maulpoix, Du lyrisme, Paris, José Corti, coll. « En lisant en écrivant », 2000, p. 8. Mais il s’agit aussi d’une poésie « lyrique » dans le sens où elle dote le langage d’un pouvoir sur le monde et sur elles-mêmes, dans l’espoir d’une traversée de la douleur à l’image de la traversée orphique de l’épreuve de la mort.

67 Voir Saint Jean de la Croix, « Un no so que que quedan balbuciendo », Cántico espiritual, Poesías Completas, Mexico, Libro Mex Editores, 1957, p. 18.

68 Alejandra Pizarnik, « El deseo de la palabra », El Infierno musical [1971], Poesía completa, Barcelone, Lumen, [2000], 2017, pp. 269-270.

69 Alejandra Pizarnik, L’Enfer musical, traduction de Jacques Ancet, Paris, Ypsilon, 2012, p. 24.

70 Michèle Finck, « Le piano de paille », Balbuciendo, Paris-Orbey, Arfuyen, 2012, p. 36.

71 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Critique et clinique, Paris, éditions de Minuit, 1993, p. 73.

72 Amelia Rosselli, Variazioni belliche [1961], L’Opera poetica, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 2012, p. 7.

73 Amelia Rosselli, Variations de guerre, traduit par Marie Fabre, Ypsilon, 2012, p. 19.

74 Voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, « Postulats de la linguistique », Mille Plateaux, Paris, éditions de Minuit, 1998, p. 131.

75 Amelia Rosselli, Impromptu [1981], a trilingual edition, translated by Gian Maria Annovi, Diana Thow, Jean-Charles Vegliante, Toronto-Buffalo-Lancaster, 2014, p. 72.

76 Arthur Rimbaud, « Adieu », Une saison en enfer [1873], Œuvres complètes – correspondance, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2004, p. 157.

77 Gilles Deleuze et Félix Guattari, « Postulats de la linguistique », Mille Plateaux, Paris, éditions de Minuit, 1998, p. 131.

78 Voir par exemple les « fragments pour voix » Poésie Shéhé Résistance, composé en hommage au combat d’une ancienne étudiante réfugiée syrienne.

79 Voir notamment Michel Collot, La poésie moderne et la structure d’horizon, Paris, PUF [1989], 2005.

80 René Char, Fureur et Mystère [1948], Paris, Gallimard, 1962, p. 76.

Pour citer cet article

Muriel Denefle, « Plurilinguisme et musique : tour de Babel et châteaux de sons », paru dans Loxias, 66., mis en ligne le 19 novembre 2019, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=9255.


Auteurs

Muriel Denefle

Muriel Denefle est doctorante au CTEL (Université Côte d’Azur). Ses recherches portent en priorité sur la poésie moderne et son rapport à l’altérité, ainsi que sur la correspondance des arts. Sa thèse, initiée en 2017, s'intitule « L’écoute, le désir, dans l’œuvre de Marina Tsvetaeva, Amelia Rosselli, Alejandra Pizarnik et Michèle Finck ». Elle travaille sous la direction du Pr. Patrick Quillier.

Université Côte d'Azur, CTEL