Loxias | 59. Autour du programme des concours 2018 | I. Autour du programme des concours 2018 

Jean-François Vivicorsi  : 

Eschine, Contre Timarque : essai de bilan critique

Résumé

L’objet de cet article est de tenter un panorama des façons dont Eschine en général et le Contre Timarque en particulier apparaissent dans la recherche actuelle. Il s’agira d’abord d’étudier l’Histoire, autour et à l’intérieur du discours ; puis d’observer quelques aspects de l’art oratoire, l’actio, les insultes, etc. ; enfin, nous verrons que le discours est souvent cité dans des études sociologiques, anthropologiques, de genre, car son propos, implicite comme explicite, est au cœur d’une question cruciale : qu’est-ce qu’un bon citoyen ?

Index

Mots-clés : Démosthène , Eschine, genre, histoire, rhétorique, Timarque

Géographique : Athènes , Grèce, Macédoine

Chronologique : IVe siècle avant J.-C.

Plan

Texte intégral

1Eschine, dans la recherche actuelle, n’est que peu étudié pour lui-même, beaucoup moins que Démosthène, ce qui témoigne de la rémanence d’une préférence pour le second. Cette préférence est moins forte et revendiquée qu’au XIXe siècle, certes ; pendant longtemps on a (abusivement) fait de Démosthène le défenseur de la démocratie contre les oligarques corrompus, l’ultime lumière de l’Athènes glorieuse d’antan, celui à qui l’Histoire, au sujet de Philippe, a donné raison ; ce n’est presque plus le cas aujourd’hui, mais par sa réputation (méritée ?) de « meilleur orateur attique » il demeure un monument qui laisse Eschine dans son ombre. Cependant, ce dernier est de plus en plus étudié sur un pied d’égalité avec Démosthène en matière de stratégies rhétoriques, politiques, etc. ; et il n’a cessé d’être une référence incontestable, aux discours souvent cités dans des études d’ampleur sur tous les sujets qui seront abordés ici : le statut de l’Histoire dans les sources antiques, la problématique de l’orateur-acteur, l’utilisation de la poésie, la pédérastie, les parentés idéologiques… La liste est longue.

2J’ai entrepris une revue structurée d’un certain nombre d’articles récents qui ont étudié, de près ou de loin, Eschine en général et le Contre Timarque en particulier. J’ai utilisé exclusivement des articles disponibles gratuitement en ligne, essentiellement issus de Revues.org, de CAIRN et de Persée. Il va sans dire qu’un grand nombre d’articles m’a donc échappé, et que certains travaux que d’aucuns jugeraient incontournables n’y figurent pas. Je pense toutefois, étant donné la générosité qui est de mise actuellement en matière de publications gratuites, que les problématiques qui seront développées infra seront, sinon exhaustives, du moins très représentatives des centres d’intérêt de la recherche récente et des opinions les plus partagées sur les points les plus épineux.

3Ce travail n’est ni un mémoire ni un article ordinaire : je ne l’ai pas organisé comme une démonstration alimentant une thèse personnelle. De même, le lecteur sera peut-être étonné de voir cités de larges pans de textes à peine commentés. Il s’agit en effet vraiment, comme dit supra, d’un panorama, d’une revue, où ma contribution s’est limitée à trier, sélectionner et ajouter du liant pour présenter un bilan critique structuré.

4La première partie – le panorama proprement dit – est divisée en trois grands thèmes : les rapports entre Eschine et Histoire ; puis son art oratoire, étudié non pas à la manière d’un manuel de rhétorique mais sous certains angles choisis (les insultes, les correspondances entre le métier d’orateur et celui d’acteur, etc.) ; enfin, toutes les problématiques liées au genre. Dans une deuxième partie, on trouvera, regroupées de façon linéaire, des précisions complémentaires sur le texte du Contre Timarque, celles que je n’ai pu inclure dans le plan thématique qui précède.

5J’ai ici et là ajouté, dans les citations, des précisions et des traductions entre crochets.

6J’espère que ce travail aidera les agrégatifs dans leur préparation du concours, et surtout apportera au lecteur quel qu’il soit autant qu’il m’a apporté moi-même, car ce fut une joie sincère de me nourrir d’études aussi passionnantes et rédigées avec une rigueur qui n’excluait pas la ferveur1.

Première partie : Panorama thématique de la bibliographie

I. La vérité historique et la fiabilité d’un discours d’orateur

7Pour connaître les faits véridiques, les historiens manquent de sources objectives. La chronologie des événements (je parle de la mainmise progressive de Philippe sur la Grèce) est assez bien établie, mais les motivations des protagonistes font encore débat, par exemple, pour ce qui nous concerne, la nature exacte des rapports entre Eschine et Philippe. Eschine défend-il le souverain macédonien parce qu’il croit naïvement au panhellénisme de ce dernier, ou parce qu’il s’est laissé corrompre par ses générosités ? Nous n’avons que les discours d’Eschine et de Démosthène pour y répondre.

8Or un discours d’orateur est une arme pour vaincre par tous les moyens possibles. Il est donc possible et même probable que tous les faits historiques mentionnés dans les textes, qu’ils leur soient passés ou contemporains, soient sélectionnés, orientés, modifiés voire fabriqués. Le seul obstacle à cette invention, et de taille, est celui de la crédibilité : le fait raconté doit convaincre le public, donc correspondre un minimum à ce que les Athéniens savent ou croient savoir. De plus, des témoins privilégiés des faits peuvent être présents, prêts à contester tout mensonge : par exemple, jusqu’à quel point Démosthène peut-il déformer les propos tenus par ses collègues ambassadeurs à Pella, sachant que ces derniers sont présents physiquement sur l’agora ?

9Cette contrainte de crédibilité ne peut cependant suffire pour prétendre que le contenu de ces discours est nécessairement vrai. Pour reprendre l’exemple précédent, si Démosthène parvient à convaincre l’auditoire que les ambassadeurs sont corrompus et solidaires entre eux, les protestations de ces derniers ne sauraient les sauver de la vindicte populaire. Quant à la mémoire des Athéniens, elle s’est révélée maintes fois très approximative, voire carrément modelée par les discours des orateurs ! Il faut donc éviter les conclusions hâtives et voir le travail de l’orateur comme un exercice permanent d’équilibrisme entre le vrai et le faux. Cet équilibre a un nom : le vraisemblable.

10Reprenons ces réflexions point par point avec les chercheurs. Comme le Contre Timarque ne porte qu’indirectement sur les ambassades, je n’en développerai pas les détails outre mesure.

A. Dans quelle mesure est-il envisageable d’expliquer les choix politiques d’Eschine ?

11Joele Sadourny2 pointe tout de suite le problème de l’objectivité des sources. Elle entreprend donc, sans prétention, de chercher une cohérence d’ensemble dans les vies et les prises de position des protagonistes, qui puisse démêler, sinon le vrai du faux, du moins le probable de l’improbable. Pour ce qui est d’Eschine, elle voit cette cohérence dans le fait qu’il fréquentait dans sa jeunesse le cercle d’Eubule, c’est-à-dire ceux qu’on appelle par convention les « modérés » :

Ces hommes ont en commun le désir avant tout d’assainir les finances athéniennes : ils veulent donc pratiquer une politique de paix qui sera non seulement sur le plan moral une politique de sagesse mais encore, sur le plan financier, une politique d’économies. Ils s’emploient dans leurs discours à exposer les conséquences financières de la paix, qui sont très heureuses pour l’État athénien3.

12Nous allons voir comment Joele Sadourny utilise ce préambule pour interpréter les deux ambassades de 346, mais développons d’abord cette question des « modérés ». Joele Sadourny emprunte en effet cette expression à Jacqueline de Romilly4, qui la définit en ces termes : « On peut appeler modérés, à Athènes, tous ceux qui se sont opposés, en quelque circonstance que ce soit, à une politique de démocratie extrême, d’impérialisme, ou simplement de guerre5. » Elle se concentre ensuite sur ce milieu du IVe siècle, où elle compare Xénophon, Isocrate et Eschine. « Malgré la différence d’âge, de formation, d’idées (et, dans une certaine mesure, d’époque), trop de liens s’établissent entre ces trois auteurs pour ne pas révéler un accord de fait6. » Elle commence par développer ces différences, qui interdisent de voir entre ces hommes davantage qu’une convergence d’idées très générales, lesquelles vont être explicitées ; pour l’heure, elle rappelle qu’Eschine était au service direct d’Eubule depuis 348.

13Démosthène est notre principale source sur ce point, et il nous procure là un bon exemple de sujet sur lequel il ne peut mentir, car Eubule est présent pendant les procès, et c’est un personnage extrêmement respecté.

C’est son intervention qu’appréhende Démosthène ; c’est à lui qu’Eschine fait appel à la fin de son plaidoyer [Sur l’ambassade infidèle] ; et à juste titre, puisque presque tous les biographes de l’orateur nous racontent comment Eubule fit même que les juges se levèrent tandis que Démosthène parlait encore. On comprend, dans ces conditions, qu’Eschine rappelle encore dans le Contre Ctésiphon 25, le rôle joué par Eubule, et la confiance dont il jouissait7.

14D’où vient cette confiance ? Joele Sadourny nous le rappelle :

Eubule, en raison des hautes fonctions financières que les Athéniens lui avaient confiées (il fut élu en 354 avant J.-C. préposé au théorique), devint une personnalité très importante qui dirigea en réalité la politique de la Cité. C’est lui, qui, en 355 avant J.-C, mit fin à la guerre des Alliés. Les événements militaires avaient, en effet, créé un nouveau rapport de forces très défavorable à Athènes qui ne permettait pas une autre solution que la paix. Eubule incarnait donc le parti de la paix à Athènes […]. Comme beaucoup de ses concitoyens, Eschine pouvait admirer l’œuvre de redressement financier et économique entreprise par son maître8.

15Voilà donc pour Eubule ; revenons à notre propos, à savoir les parallèles idéologiques entre Xénophon, Isocrate et Eschine au milieu du IVe siècle. Jacqueline de Romilly développe les idées d’Isocrate tirées de ses discours, dont notamment mais non pas exclusivement le fameux Sur la Paix. Cet orateur, on le sait, est parfois plus oligarque que démocrate, notamment concernant le rôle de l’Aréopage (le Socrate de Xénophon, sur ce dernier point, est du même avis), et volontiers conservateur, par exemple sur l’éducation des jeunes.

Mais ne voyons-nous pas le jeune Eschine adopter volontiers le même ton sentencieux et les mêmes thèmes ? Il a beau jeu à le faire lorsqu’il s’érige en accusateur de Timarque. Mais, en somme, il semble prendre son rôle au sérieux. Il se propose en particulier de présenter une παράκλησις τῶν πολιτῶν πρὸς ἀρετήν (117) [exhortation des citoyens à la vertu] ; il déclare aux Athéniens : par le châtiment de Timarque τὰ τῶν νέων ζηλώματα ἐπ᾽ ἀρετὴν προτρέψεσθε (191) [vous inciterez les jeunes à rivaliser de vertu]. Au reste, il se plaît à rappeler au passage le respect que l’on doit aux hommes âgés (24 : τιμᾷν τὸ γῆρας, cf. 180), le soin que les anciens donnaient à l’éducation, non seulement des enfants, mais des adolescents et des hommes faits (7-8) ; il insiste sur la réserve des anciens orateurs (25 : σώφρονες)9.

16Banales leçons de morale de la part de n’importe quel orateur, pourrait-on dire, mais ce n’est pas l’avis de Jacqueline de Romilly :

Et ce n’est sans doute pas là simple lieu commun de circonstance : il ne faut pas oublier en effet l’étrange invocation par laquelle se termine le Contre Ctésiphon : ὦ Γῆ καὶ Ἥλιε καὶ Ἀρετὴ καὶ Σύνεσις καὶ Παιδεία ᾗ διαγιγνώσκομεν τὰ καλὰ καὶ τὰ αἰσχρά [Terre, Soleil, Vertu, Conscience et Éducation par qui nous discernons le bien et le mal]. L’inspiration qui se traduit ici et perce en bien d’autres passages n’est pas sans rapport avec le ton isocratique. Ce souci de moralité, que montrent ici nos trois auteurs, vaut avant tout, naturellement, pour les dirigeants. Les choisir avec discernement, en tenant compte de leur valeur morale, est un conseil qu’Isocrate ne s’est lassé de répéter (par exemple Sur la Paix, 13, 54, Panathénaïque 140 sqq.). Xénophon avait dit dans la Cyropédie (VIII, 8, 5) et répète dans les Revenus (1,1) qu’une cité est semblable à ce que sont ses προστάται [chefs de file, dirigeants]. […] Eschine rappelle aux Athéniens, dans le Contre Ctésiphon (247), que "la cité sera jugée d’après celui qui sera proclamé", et que l’on se fera une image d’eux, "non pas d’après vos ancêtres, mais d’après la lâcheté de Démosthène"10. Ce ton moralisant était certainement de tradition chez les modérés : les termes mêmes de καλοὶ κἀγαθοί et d’ἐπιεικεῖς, ou inversement de πονηροί, en sont la preuve11.

17Ceci dit, comme le répétera ultérieurement Joele Sadourny, on aurait tort de qualifier ces modérés d’idéalistes. Malgré les discours teintés de morale, les priorités sont concrètes :

Le souci moralisant des modérés […] [s’unit] à leur autre souci, qui est, lui, d’ordre économique. Ce dernier est essentiel chez Eubule, et sa fonction l’exprime assez. Au reste, les difficultés financières sont à l’ordre du jour. Les procès plaidés par Démosthène vers cette époque attestent qu’avant Eubule ou indépendamment de lui on se souciait déjà vivement de faire rentrer de l’argent. […] [Les réformes] n’ont de sens, aux yeux des modérés, que si elles accompagnent la plus nécessaire de toutes, qui consiste à diminuer les dépenses. Et pour eux les dépenses à diminuer sont les dépenses militaires. […] Ils veulent la paix, en partie, parce qu’elle seule peut mener à la prospérité. C’est la raison qu’Isocrate met d’abord en avant pour faire cesser la guerre sociale […]. Cette opposition entre les conséquences financières de la paix et de la guerre avait été déjà faite. Eschine, qui la trouvait chez Andocide (note : on sait qu’à la fin du discours Sur l’ambassade infidèle se place un passage qui est la reprise presque textuelle du Sur la Paix d’Andocide [prononcé en 391]), n’a pas manqué de l’y reprendre, et de dresser un tableau aussi long que contestable des gains dus à la paix, et des pertes dues à la guerre12.

18Si je cite autant cet article (j’en laisse pourtant de côté de larges pans), c’est parce qu’il est essentiel pour appréhender les fondements idéologiques (peut-être devrais-je dire philosophiques) d’Eschine – à supposer qu’il fût sincère – et de certains de ses contemporains, et c’est à ce titre que ce papier est souvent cité par les chercheurs ultérieurs. Jacqueline de Romilly met en effet en exergue le lien indissoluble qui existe chez ces « modérés » entre leur morale et leur pragmatisme. Ce pourrait même être déjà une erreur de notre part de faire la distinction conceptuelle entre l’un et l’autre. Un autre exemple tiré de son article l’illustre encore : ces hommes sont convaincus (et c’est théorisé chez Isocrate) que seule la pratique de la justice (dans une vision morale élargie) apporte la sincère amitié des citoyens comme des alliés et rend la paix, intérieure et extérieure, solide et durable. Inversement, un manque de justice (par exemple, une révolte trop durement réprimée) entraîne la désapprobation et cause, à la moindre difficulté, une défection générale. C’est pourquoi Eschine explique le désastre de 404 (la capitulation d’Athènes face à Sparte), non pas seulement par l’expédition d’Alcibiade en Sicile en 415 (qui avait anéanti la flotte, ruiné la cité et provoqué la reprise des hostilités avec Sparte), mais il l’explique surtout par le fait que Cléophon, malgré la déroute navale, avait convaincu les Athéniens de refuser la paix qui s’offrait alors à eux (voir Sur l’ambassade infidèle, 75-76). Cet exemple n’est pas en lui-même une clef pour lire le Contre Timarque ; je ne l’ai choisi (parmi d’autres que Jacqueline de Romilly développe) que pour illustrer la façon dont Eschine et les « modérés » analysent les malheurs passés : ils accablent les personnalités responsables, certes, mais pas seulement, ils donnent à l’Ecclésia sa part, celle de décisions belliqueuses funestes.

19Jacqueline de Romilly conclut prudemment :

À vrai dire, il n’est pas aisé de déterminer la portée des divers rapprochements que nous avons signalés ; […] mais si, par leur contenu, ces divers rapprochements n’ont, ni individuellement, ni en groupe, une très grande portée, leur nombre même peut être instructif. Il permet de préciser l’atmosphère dans laquelle chacun de ces "modérés" doit être replacé. Il suggère un domaine d’influences communes ou réciproques, de lectures ou de conversations, d’échanges, de reprises, de transpositions. Il révèle, derrière le lieu commun, l’arme de parti, que l’on se passe de mains en mains, que l’on emploie plus ou moins bien, mais dont l’utilisation correspond toujours à un but concret et précis. En l’employant, chaque auteur s’insère, avec plus ou moins d’originalité, dans une série vivante, où dominent les problèmes pratiques ; et les grands ensembles doctrinaires d’Isocrate apparaissent comme n’étant pas moins reliés que tel discours d’Eschine aux réalités immédiates de la vie politique athénienne13.

20Maintenant que cette filiation idéologique est établie, maintenant que sont dessinés les contours probables de la philosophie pratique d’Eschine, a-t-on encore besoin d’imaginer une corruption pour expliquer ses prises de position ? D’après Joele Sadourny, la réponse est clairement non. Dans la mesure où Philippe prétend incarner le panhellénisme qu’Isocrate, dans sa célèbre lettre qu’on appelle le Philippe, lui demande de réaliser, il devient totalement logique qu’Eschine rêve le souverain macédonien en champion de la paix, comme l’écrit Joele Sadourny au sujet de la seconde ambassade de 346 :

On remarque [Sur l’ambassade infidèle, 114] qu’il voit en Philippe, comme Isocrate d’ailleurs à peu près à la même époque dans son Philippe, mais sans aller aussi loin que lui, le seul homme capable de résoudre les problèmes politiques qui se posaient alors à la Grèce depuis des années. Il lui laisse donc le soin de rétablir l’ordre en Phocide et de mettre fin ainsi à la Guerre Sacrée. Mais la solution qu’il préconise est une solution pacifique. Nous reconnaissons là l’homme du parti d’Eubule14.

21Sur le même registre (celui de l’optimisme), quand, au retour de l’ambassade, malgré sa déception (car Philippe a imposé toutes ses volontés sans contrepartie) le peuple vote tout de même la paix, c’est grâce à lui :

Eschine eut un rôle décisif dans le vote de ses concitoyens en prenant la parole à l’Ecclésia pour les assurer des bonnes intentions de Philippe ; il les rassura sur les points litigieux, en particulier sur la Phocide, la Béotie. Il déclarait tenir ces promesses "des familiers de Philippe" avec lesquels il avait eu l’occasion de s’entretenir au cours de son long et dernier séjour à Pella, lors de la seconde ambassade. […] Démosthène qualifie ce discours de trahison et en fait la pièce maîtresse de son accusation. Or nous pouvons très bien admettre, sans qu’il nous soit possible de le prouver (pas plus d’ailleurs que la trahison), la bonne foi d’Eschine. Celui-ci pouvait croire, en effet, que les promesses, qui lui avaient été faites directement par le roi ou indirectement par ses familiers, deviendraient des réalités, le jour où les Athéniens seraient officiellement les alliés de Philippe15.

22Il est impossible, pourrait-on répondre, qu’un homme aussi fin qu’Eschine ait pu être aussi naïf. Posons maintenant qu’il fut lucide ; disons que, soit il ne fut jamais dupe, soit il perdit rapidement ses illusions ; Eschine pouvait tout de même soutenir la paix par pur pragmatisme de « modéré » qui pense sincèrement la guerre sinon irréalisable, du moins non souhaitable. Pourquoi irréalisable ? Parce qu’à la suite de la prise d’Olynthe en 348, Eschine, à la demande d’Eubule, avait mené une délégation d’ambassadeurs dans les cités grecques pour les appeler à la guerre contre Philippe. Ce seul événement illustre d’ailleurs, si l’on suit la thèse de l’article, le pragmatisme de ces « modérés » qui préfèrent la paix mais gardent la guerre dans leurs possibilités d’action. En tout cas, cette première ambassade avait été un échec total, et c’est là qu’Eschine, d’après Joele Sadourny, avait acquis la certitude que les États grecs étaient trop égoïstes et méfiants les uns envers les autres. La paix, plus qu’une préférence idéologique, est devenue la seule option réaliste aux yeux de l’orateur. Elle le cite lui-même à l’appui de cette idée :

Tu me reproches aussi le discours que j’ai prononcé devant les Dix Mille en Arcadie lors de mon ambassade et tu prétends que j’ai passé au camp adverse… Eh bien oui ! Durant la guerre, j’ai travaillé à unir contre Philippe autant que je le pouvais les Arcadiens et les autres Grecs. Cependant, comme pas un défenseur ne venait au secours de la cité, mais que les uns laissaient avec indifférence les événements suivre leur cours et que les autres se rangeaient du côté de notre adversaire, comme les politiciens chez nous exploitent la guerre pour subvenir à leur train de vie journalier, j’ai conseillé au peuple, je le reconnais, de se réconcilier avec Philippe et de conclure cette paix qu’aujourd’hui tu déclares honteuse16.

23Qu’il ait été dupe ou non, corrompu ou non, Eschine peut donc avoir sincèrement pris le parti de Philippe ; ce serait, dans tous les cas, cohérent avec ses préférences philosophiques, politiques et économiques telles qu’on peut, avec réserve, se les figurer.

24« Corrompu ou non », ai-je dit. Le terme de corruption mérite d’être examiné. S’il suffit en effet d’avoir reçu des cadeaux pour être considéré comme corrompu, alors Eschine l’est. Une preuve raisonnable en est que, s’il n’en avait pas reçu, Eschine aurait contesté sur ce point les accusations de Démosthène, telles que :

Sur le territoire de nos alliés abattus, ils ont quantité de propriétés et de terres qui rapportent à Eschine un revenu de trente mines17.

25Philocrate, qui a donné son nom au traité de paix, a d’ailleurs été condamné, lui, pour corruption avérée. La réalité est pourtant complexe, et chaque cas est différent :

Il est certain qu’Eschine, comme d’ailleurs de nombreux ambassadeurs athéniens et autres partisans de Philippe, reçut des cadeaux qu’il pouvait considérer comme une marque d’amitié de la part du roi de Macédoine, mais qui faisaient de lui, aux yeux des anti-macédoniens et objectivement, un salarié de Philippe dont les profits n’étaient d’ailleurs pas négligeables. […] La preuve de l’existence de ces largesses royales est évidemment troublante et peut nous faire douter de l’honnêteté du bénéficiaire. Eschine est un politicien dont l’action politique supposait inévitablement un financement qui était assuré par le roi de Macédoine. Mais le financement de la politique de Démosthène n’était-il pas assuré, en partie, par l’or du grand roi ? Pouvons-nous dans ces conditions, compte tenu du caractère fragmentaire et trop souvent subjectif de nos sources, affirmer avec certitude, comme Démosthène, qu’Eschine est un "vendu", "un traître", au service du roi de Macédoine et exclusivement cela ? C’est, à notre avis, simplifier le problème et nier la complexité des rapports qui pouvaient exister en réalité entre un pro-macédonien comme Eschine et le roi Philippe de Macédoine. Ces rapports pouvaient très bien reposer sur une confiance et une estime réciproque entre les deux hommes. Philippe voyait en Eschine un précieux instrument pour servir sa politique auprès des Athéniens et avait su s’assurer le concours de l’orateur en flattant sa vanité. Eschine voyait en Philippe […] l’allié possible et utile, dont les Athéniens avaient intérêt à cultiver l’amitié, pour vivre en paix, à l’abri des excès d’une politique impérialiste que soutenait encore le δῆμος18.

26Les motivations de Joele Sadourny sont claires : à chaque interprétation de Démosthène en faveur de la traîtrise et de la corruption, elle veut opposer une autre interprétation possible, non pour l’affirmer catégoriquement, mais pour convaincre le lecteur qu’on peut « très bien », comme elle dit, aller à rebours de la préférence systématiquement accordée à Démosthène par les historiens et les lettrés du XIXe siècle et de la plus grande partie du XXe. C’est une entreprise scientifiquement intéressante, car cet ancien parti-pris permanent pour Démosthène était dommageable. Joele Sadourny a le mérite de ne rien affirmer qui ne soit vraiment incontestable. Ses dernières lignes sont caractéristiques à cet égard :

Il est trop facile de vouloir opposer de façon un peu simpliste au patriotisme de Démosthène, dont la sincérité n’est d’ailleurs pas à rappeler ici, la corruption d’Eschine. Les mobiles des uns et des autres étaient évidemment très complexes et échappaient peut-être déjà, parfois, aux Athéniens qui les écoutaient à l’Ecclésia, avec passion ou indifférence. Que pouvons-nous donc en savoir nous-mêmes quand on songe que la base de notre documentation est constituée par des discours qui ne sont souvent, nous l’avons vu, qu’injures à l’égard de l’adversaire, ou interprétations malveillantes et souvent contestables de sa politique ? Quoi qu’il en soit, une certitude demeure, l’action politique d’Eschine, plus encore, peut-être, que la réflexion idéologique d’Isocrate, a contribué à servir la cause de Philippe de Macédoine auprès des Athéniens, avant et après Chéronée19.

B. Un peu plus de débat sur l’existence d’un « parti de la paix »

27Slobodan Dusanic20 propose une interprétation différente de celles de Jacqueline de Romilly et Joele Sadourny. Analysant les discours, les traités et les réécritures du passé opérées par certains auteurs, il arrive à certaines conclusions, dont celle-ci : si Eschine a dirigé l’ambassade de 348 pour soulever les Grecs contre Philippe, ce n’était pas, comme le pense Joele Sadourny, une preuve du pragmatisme d’Eubule et d’Eschine qui, même s’ils préfèrent la paix, peuvent prendre des décisions contraires quand la situation le requiert et que le peuple les y pousse ; c’était, d’après lui, déjà pour la paix :

Devant les Arcadiens du sud, divisés entre les macédonophiles et leurs opposants, Eschine […] exprimait, ne serait-ce qu’implicitement, des idées fort semblables à celles des Lois [de Platon] : sur la nécessité de l’union de tous les Grecs (avec en tête Athènes et Sparte), sur la lutte contre les Barbares et le retour à la πάτριος πολιτεία de type plus ou moins aristocratique (le serment). Les décrets, sinon le serment lui aussi, devaient être des faux du IVe siècle et avoir comme tels des traits communs avec les thèmes parahistoriques de l’excursus du Livre III [des Lois].

28En effet, Platon a quelque peu réécrit l’histoire des guerres médiques en faveur des Spartiates et fait quelques autres arrangements. Le but ? Le panhellénisme, que l’adversité contre Philippe pouvait générer.

Or, Eschine était, au début des années quarante, non seulement l’ennemi de Philippe II, mais aussi le disciple de Platon. Il partageait l’orientation politique d’Eubule, qui en principe, était "modérée" au sens social du mot et encline à activer, dans le cadre de la Ligue de la Paix Commune à caractère panhellénique, la résistance athénienne à la Macédoine. […] L’hypothèse qu’Eubule était proche de Platon n’est pas nouvelle. Nous croyons qu’elle pourrait être étayée justement au regard du programme des Lois. Les allusions d’Isocrate à Platon et à Eubule, dans le Sur l’échange (XV), aujourd’hui insuffisamment comprises, sont instructives à ce sujet.

29Suit un long développement appuyé sur les écrits d’Isocrate pour prouver que ce dernier, dans ses critiques virulentes, cible bien Eubule et Platon, pour des raisons politiques et personnelles (notamment la position anti-macédonienne et pro-lacédémonienne de ces derniers).

La conclusion s’impose qu’en coulisse il y avait chez Isocrate une animosité à l’égard de la position commune prise par l’auteur des Lois et Eubule sur la crise d’Athènes et du monde grec. Le rhéteur philomacédonien et déjà très réservé envers Sparte, ne pouvait pas approuver le chef d’un régime, (Eubule, protecteur d’Eschine, ami de l’Aréopage, fut l’homme le plus influent d’Athènes pendant les années 352 ou déjà 355 ? à 346) "où tant de choses étaient confondues et bouleversées dans la cité". Bien que nous ne disposions pas d’autres informations complètement dignes de foi sur la collaboration de Platon et d’Eubule, le Περὶ τῆs ἀντιδόσεωs [Sur l’Échange] ainsi interprété indique qu’elle était féconde.

30Quoi qu’on pense de cette conclusion, elle permet de relativiser encore l’idée d’un « parti modéré » à Athènes au IVe siècle, qui inclurait Eubule, Eschine, Isocrate, Xénophon, etc. Ils se rejoignaient sur certains points, éventuellement, et même certains, comme Eschine, ont fluctué. Au reste, Jacqueline de Romilly, qui a utilisé ce mot de « parti », l’utilisait déjà, on l’a vu, avec beaucoup de pincettes. Slobodan Dusanic et Claude Mossé21 ont un peu caricaturé son point de vue pour mieux le contredire. De Slobodan Dusanic, nous retiendrons en tout cas une nouvelle filiation idéologique, celle entre Platon et Eschine.

31Patrice Brun22 est, à l’égard des « partis », encore plus virulent :

De toute évidence, les protagonistes des joutes à l’assemblée du peuple ont mis en scène leurs oppositions et une lecture trop confiante ou trop imprégnée des divisions politiques contemporaines a laissé croire en des lignes de fracture politique, qui apparaissent pourtant bien minimes. Bien sûr, moins les options politiques divergent, et plus les oppositions personnelles voient le jour. Les orateurs se déchirent, donnant l’impression d’une vaste cacophonie […]. Mais ils paraissent d’accord sur tout ce qui faisait la tradition historique et politique de la cité. Le droit de cité à ne pas galvauder, la πάτριος πολιτεία sur laquelle tout le monde s’accorde tant qu’il n’y a pas à lui donner une consistance précise, le rôle de l’Aréopage, le souci des dépenses publiques, l’esprit moralisateur vis-à-vis des mœurs ou de l’argent ne sont point l’apanage de la sensibilité "modérée" de la classe politique athénienne : tous partagent ces idées avec la même foi, y compris sur la question de la guerre : l’étude fondamentale de G. L. Cawkwell23 sur Eubule a fait litière des analyses antérieures sur l’existence d’un prétendu pacifisme à Athènes après 355. Qu’il y ait eu après 350, vis-à-vis de la Macédoine, des différences d’approche, c’est une évidence dans laquelle d’ailleurs la Macédoine n’est pas seule à entrer en compte (je pense à l’attitude à avoir à l’égard de Thèbes, qui me semble être la coupure véritable entre Démosthène et Eschine). Mais même dans ce domaine-là, il convient de ne pas aller trop loin et tous les Athéniens qui un jour ont conduit ou aspiré à conduire le char de l’État athénien avaient, face au fonctionnement du régime, une attitude presque similaire, faite de déférence envers le passé mythique ou historique de la cité, d’austérité (au moins apparente) personnelle, de soumission ostensible aux lois. Nous dirions aujourd’hui que tous faisaient profil bas. La richesse, lorsqu’elle ne se met pas au service du peuple, est condamnable : elle aboutit à une forme d’arrogance, l’ὕϐρις, inacceptable dans une démocratie qui avait déjà du mal à accepter les inégalités de fortune. Il ne faut pas laisser de champ à l’accusation d’ὕϐρις et, au contraire, chaque fois qu’on le peut, en accuser l’adversaire. L’image qui se dessine alors de la démocratie athénienne est plutôt convenue, conformiste, conservatrice, j’irai jusqu’à dire bourgeoise à tous les sens que cet adjectif possède dans notre vocabulaire français. Il existe une rigueur morale qui est peut-être de surface, je peux l’admettre, mais qui s’exprime ouvertement comme le modèle à suivre. À un tel point que la seule façon de discréditer l’adversaire ou l’ennemi, c’est encore de le faire passer pour un traître à la cause commune ou un dépravé moral, les deux notions, publique et privée, étant totalement imbriquées l’une dans l’autre.

32Après tout, me dis-je, Démosthène aussi a été l’élève de Platon, donc nos orateurs, malgré leurs divergences et revirements, sont connectés aux mêmes penseurs, dans les œuvres desquels ils piochent selon les besoins de l’instant présent. Je garde cependant une préférence personnelle pour le travail de Jacqueline de Romilly, car Isocrate, Xénophon et Platon ont chacun une pensée riche, profondément cohérente et sans doute sincère, car leurs ouvrages traduisent des trajectoires philosophiques et politiques très personnelles, et elle a, me semble-t-il, révélé une plus forte tendance chez Eschine, à s’inspirer d’Isocrate, que chez Démosthène. L’idée de « parti » me semble quant à elle enterrée.

C. Vous reprendrez bien un peu d’élitisme ?

33J’aborde maintenant un sujet annexe, mais qui est fondamental lui aussi pour comprendre Eschine en profondeur, y compris dans le Contre Timarque. Il s’agit des interprétations que l’on a pu faire des écrits des divers auteurs pour tenter de deviner leurs préférences en ce qui concerne les régimes politiques : aristocratie, oligarchie, démocratie plus ou moins radicale. Or on admet communément que, malgré ses origines modestes, Eschine, sans être oligarque, n’affiche pas des positions radicalement démocrates. Il serait donc moins oligarque qu’Isocrate tel qu’il était lu par Jacqueline de Romilly, mais moins démocrate que Démosthène. Cependant, la nuance est de mise dans l’utilisation de ces termes. Par exemple, dans « oligarque » il ne faut pas voir une nostalgie de l’époque des Trente (en 404), dénoncée par tous les camps comme une horrible tyrannie. Il s’agit plutôt d’une vision un peu élitiste de la société, où l’on souhaite, comme Isocrate avec l’Aréopage, élargir les compétences des personnes compétentes, et où donc l’on a de la répugnance pour les tirages au sort et autres pratiques qui partent du principe que chaque citoyen est légitime à participer à toute décision qui concerne la cité.

34Cet élitisme a tendance à préférer une certaine catégorie sociale (il serait abusif à mon avis de parler de « classe »), celle des propriétaires qui, parce qu’ils savent gérer un domaine, sont plus à même de gérer la cité (on se souvient à ce propos des arguments développés dans le Contre Timarque). Il y a bien entendu derrière l’affichage de ce principe des considérations implicites plus prosaïques, telles que : qui paye quoi ? Comme l’explique Claude Mossé, qui est cité dans l’article de Joele Sadourny :

De nombreux Athéniens se refusaient encore à prendre conscience de la menace macédonienne […]. Les possédants se refusaient à payer de nouvelles εἰσφοραί [contributions financières] ; la grande masse des Athéniens ne tenaient pas à servir personnellement24.

35Les oligarques que défend implicitement Eschine et le δῆμος ont donc, pour des raisons différentes, longtemps préféré écouter ce dernier plutôt que Démosthène, qui, lui, incitait à la guerre contre Philippe depuis 351, date de la première Philippique ! Joele Sadourny synthétise ainsi :

[Les possédants] redoutaient en général [la politique impérialiste], qu’ils soient propriétaires fonciers ou possesseurs d’ateliers et d’entreprises commerciales. Eschine rejoignait ainsi le point de vue des oligarques pacifistes qui s’étaient rangés derrière Eubule en 355 av. J.-C. Sa politique de collaboration avec Philippe n’a jamais supposé, comme chez Isocrate, un changement de régime politique à Athènes. Il n’est pas, comme l’affirme encore un peu vite Démosthène : "un de ces gens qui veulent se débarrasser de la démocratie" [Sur les forfaitures de l’ambassade, 314]. […] [Il est] un homme politique opportuniste qui cherche une solution qui soit adaptée à la conjoncture politique du moment. Il n’est pas un théoricien, comme Isocrate, qui, lui, à partir des événements, réfléchissait pour en tirer ensuite une leçon et une ligne d’action politique pour l’avenir. Nous sommes en présence de deux démarches d’esprit très différentes. En suivant Eschine à l’Ecclésia ou à la cour de Macédoine, nous constatons que sa conduite n’était soutenue par aucune idée politique ferme et cohérente comme chez Isocrate. Sa pensée politique est donc finalement assez pauvre et décevante. […] Cette politique pacifiste cachait une politique oligarchique et supposa, dès 346 avant J.-C., une politique d’entente d’abord, de collaboration ensuite avec le roi de Macédoine. Elle n’exclut pas chez Eschine, nous l’avons vu, des sentiments démocratiques dont il nous est impossible de prouver ou non la sincérité. Le respect qu’afficha Eschine à l’égard du régime démocratique (et qui est peut-être une tactique politique de sa part) lui permit d’exposer devant le δῆμος ses vues sur la conduite à suivre et il fut souvent écouté. À deux reprises, en 346 avant J.-C. et en 343 avant J.-C., il l’emporta même devant ses juges. Ses victoires sont la preuve d’une action politique personnellement intense, pour laquelle tous les moyens étaient bons, en particulier les faveurs et les dons du roi de Macédoine, dont il fut ainsi l’agent dans sa propre patrie25.

36Je trouve personnellement qu’il serait dommage de réduire l’élitisme à une question de classe sociale, les possédants, soutenus par des politiciens plus ou moins oligarques, conservateurs, etc. Comme je l’ai dit au début de la sous-partie, l’élitisme, dans mon ressenti, est plutôt celui de la compétence. Richesse et compétence peuvent bien sûr se rencontrer, et même nouer des relations privilégiées (précepteurs, etc.), mais cela ne doit pas tromper. Jean-Marie Bertrand (1)26 livre sur ce sujet des considérations qui invitent à la réflexion :

Il valait mieux, en pratique, être considéré comme compétent, habile et de bon conseil, car, si l’activité politique procurait des avantages matériels et de prestige, elle n’était pas sans risque. Des lois particulières réprimaient, en effet, les fautes spécifiques de ceux qui avaient fait profession de rédiger, pour les proposer au vote, les décrets, παρ’ οἷς ἐστιν τὸ γράφειν τὰ ψηφίσματα. […] Les discours des plaideurs essayant de défendre leur situation de privilégiés du régime ne cessaient de répéter que le petit peuple des jurés était, en toute légitimité, le seul maître de l’État, que toute décision politique dépendait de son vote, en dernier ressort, que tout particulier pouvait, légitimement, s’il le souhaitait, participer à tous les débats de l’assemblée sans avoir à exciper d’une préparation spécifique ou de la moindre compétence. Ce type de discours conduisait à définir la justice, et le droit même, comme affaire de non-spécialistes qui n’avaient pas à connaître la législation pour participer aux jurys mais pouvaient se voir, pourtant, enjoints de se constituer en législateurs en fonction de leur intime conviction. D’autre part, l’usage de métonymies imprécises pour désigner ceux dont il faut bien reconnaître qu’ils étaient de véritables professionnels de la politique, qu’on les ait appelés οἱ ῥήτορες, ou que l’on se soit contenté de les représenter dans leur pratique en usant de participes descriptifs, οἱ λέγοντες, οἱ πολιτευόμενοι, témoigne de ce que l’idéologie dominante refusait que fût exprimée l’idée qu’il dût exister, dans la cité, quelqu’un qui fût particulièrement apte à s’occuper des affaires publiques par l’effet de son expertise, ὁ πολιτικός27.

37Avant donc de se demander si Eschine est moins démocrate que Démosthène, ou plus du côté des possédants, peut-être serait-il plus pertinent de les resituer tous les deux dans la poignée d’hommes politiques professionnels auxquels ils appartiennent, dont la réputation et la richesse tiennent en partie à la reconnaissance publique de leur savoir-faire, et qui forment par conséquent une élite démocratique. Cet oxymore révèle le jeu dangereux auquel ils jouent, pour lequel chaque positionnement politique est un coup de poker ; Eschine a misé sa réputation sur Philippe, Démosthène contre ; chacun espère peut-être avoir fait le choix le plus noble, mais surtout celui qui leur conservera la faveur publique ; les mauvais paris coûtent en effet très cher : rappelons qu’Eschine mourut en exil. Ils étaient donc beaucoup plus proches l’un de l’autre que les apparences, quelles qu’elles soient, pourraient nous le faire croire.

D. De la bonne utilisation de l’argument historique

38Dans cette partie nous aurons déjà un pied dans la deuxième partie (l’art de l’orateur), mais c’était déjà un peu le cas précédemment, et il serait de toute façon contre-productif de séparer quelque question qu’elle soit de l’art oratoire, car oublier un seul instant qu’un orateur fait feu de tout bois conduit très vite à des conclusions erronées. L’orateur doit cependant rester crédible, comme dit ci-dessus ; et je commencerai ici par rappeler les quelques cas illustrés supra où l’on juge généralement qu’un orateur n’a pas menti : quand des personnalités respectées peuvent contester (Démosthène ne pouvait courir le risque d’être contredit par Eubule sur certains points) ; quand l’accusé ne conteste pas (si Eschine ne parle pas des cadeaux qu’il a reçus de Philippe, c’est probablement que Démosthène en a fait un compte-rendu exact) ; et, à propos des faits historiques, quand les historiens peuvent les recouper avec d’autres sources plus fiables.

39Des dizaines d’articles témoignent de la ferveur actuelle avec laquelle de nombreux chercheurs tentent d’établir la vérité historique : sur toutes les péripéties de la guerre du Péloponnèse, sur les pratiques cultuelles à Delphes, sur l’Amphictyonie, sur l’authenticité du serment amphictyonique, sur la nature exacte des exactions commises lors de la prise de Thèbes, et même sur la sexualité du jeune Alexandre ! Dès qu’une découverte archéologique concerne cette période très dense en événements politiques, les historiens rouvrent les sources antiques pour confronter les informations, interpréter une découverte à l’aune d’un témoignage contemporain et réciproquement. Les deux discours les plus cités d’Eschine sont à cet égard Sur l’ambassade infidèle et Contre Ctésiphon. Je vais tenter de synthétiser une réflexion générale avec Ruth Webb28 et de focaliser mes exemples sur le Contre Timarque.

40Ruth Webb définit tout de suite les orateurs comme des « narrateurs qui s’efforçaient de représenter et faire valoir une certaine interprétation des événements ». Comme d’autres chercheurs que j’ai eu l’occasion de lire, elle a remarqué chez les orateurs en général et chez Eschine en particulier une mise en scène dramatique de l’histoire ; c’est ce qu’elle entend par « représenter ». Il s’agit en effet d’« amener ses auditeurs à voir en imagination les événements dont il est question ». Le plus facile est d’utiliser, quand c’est possible, les monuments visibles que les citoyens côtoient et connaissent, par exemple, dans le Contre Timarque, la statue de Solon (on y reviendra).

41Le passé lointain (Solon, guerres médiques) et le passé récent (guerre du Péloponnèse) sont donc sans cesse réactualisés par les monuments et les liens tissés avec le sujet du discours (Timarque devient par contraste l’antithèse vivante de Solon29) ; mais Ruth Webb note que le futur tient sa place également, quand il s’agit d’évoquer les conséquences à venir des décisions des juges. Il n’y a pas de rupture dans le continuum temporel. Les juges ne sont pas seulement juges, ils sont aussi témoins, du présent certes, mais aussi témoins du passé, parce que les événements convoqués sont de nature publique, et que le passé constitue une mémoire collective, partagée.

42Or ces moments où l’orateur fait appel aux connaissances de l’auditoire sont des « tentatives pour créer – ou plus précisément façonner – la mémoire des auditeurs selon les besoins de l’orateur afin d’assurer son emprise sur l’avenir ». L’orateur-narrateur se double d’un homme d’action, qui influe sur les auditeurs.

43Ruth Webb évoque enfin l’ἐνάργεια, un procédé rhétorique qui sera théorisé plus tard, mais qui résume le propos présent. Anatole Bailly, dans son dictionnaire, le traduit « description animée » et le référence dans le Lysias du rhéteur Denys d’Halicarnasse, 1er s. av. J.-C. ; pour l’auteure de l’article il s’agit de « faire surgir des images actuelles et vivantes sous les yeux des auditeurs ». Elle cite Quintilien pour appuyer l’importance de la mémoire des auditeurs dans ce genre de procédé, mais aussi parfois, comme dans l’exemple de la statue de Solon, l’image tient lieu de mémoire, elle contribue à la (dé)formation de la connaissance, la mémoire peut être « constituée et modelée par les images évoquées par la parole de l’orateur ».

44Une fois établi ce cadre conceptuel, elle consacre toute sa première partie au Contre Timarque. Je la résume ci-après intégralement.

45Le problème sérieux du Contre Timarque est que les actes eurent lieu en privé sans témoins ; en plus des actes scandaleux et donc indicibles. D’après Nicolaus, rhéteur tardif, un orateur qui fournit une description trop exacte éveille le soupçon d’avoir acquis ses connaissances directement. Il préfère donc laisser deviner en appuyant sur le contraste entre la chasteté de sa langue et les actions scandaleuses. Il retourne les inconvénients en avantages : l’absence relative de témoins et d’autres preuves non techniques (cf. Aristote) lui permet de créer l’impression de la culpabilité en s’appuyant uniquement sur des indices. L’imagination remplace le témoignage. La mémoire personnelle est remplacée par la mémoire collective soigneusement façonnée par l’orateur.

46À propos de Misgolas : Eschine marque la différence entre

la tâche de l’accusateur qui, traitant d’actes ignorés, doit fournir des preuves (ἀποδείξεις) et la sienne qui consiste simplement à rappeler (ἀνάμνησαι) à l’esprit des auditeurs des faits connus de tout le monde (ὁμολογούμενα, 89).

47La narration des événements est construite par Eschine, mais présentée comme une simple représentation de ce que tout le monde sait.

Aristote explique l’efficacité de ce genre de remarque par le fait que les auditeurs ont honte de ne pas partager ce savoir qui passe pour être acquis par tout le monde.

48Cela rappelle le « Jusques à quand enfin, Catilina, abuseras-tu de notre patience » dans l’exorde de la première catilinaire : la plupart des sénateurs ignoraient les faits, mais chacun se taisant par honte au cas où il soit le seul ignorant, Catilina se retrouva, par la seule force du « nous » cicéronien, seul contre tous ! Mais revenons à Ruth Webb et à l’ἐνάργεια qui à la fois convoque et façonne la mémoire collective.

49Les scènes entre Pittalakos et Hégésandros sont narrées « avec une abondance de détails qui fait vivre les scènes : Eschine nous fournit des exemples précis des biens détruits par Timarque et Hégésandros – osselets, gobelets, coqs et cailles – tous choisis pour illustrer le mode de vie des trois hommes », sans oublier la scène de l’autel de la Mère des Dieux. Citons Eschine : « et que ce que je dis est vrai, vous le savez tous » (à propos des dépenses de Timarque et Hégésandros au marché aux poissons). Ce savoir commun sert à confirmer la véracité d’un événement dont Eschine ne propose que sa seule narration comme preuve. Il explique aux auditeurs comment enquêter (ἐξετάζειν) sur Timarque § 75 :

Il ne faut pas demander si quelqu’un l’a vu, mais si l’acte a été commis par lui.

50Il faut s’appuyer sur les vraisemblances : connaissant le mode de vie de Timarque, il est clair (εὔδηλον) qu’un tel homme a dû « fournir des plaisirs » à ceux qui payaient ses luxes.

Dans un tel discours, la narration, et surtout la narration circonstanciée qui fait "voir" les auditeurs, joue un rôle essentiel dans la création de connaissances qui remplacent à la fois les témoignages et les arguments concernant la réalité des actes attribués à l’adversaire.

51La deuxième partie concerne le Contre Ctésiphon, où Eschine use (et abuse, si l’on en croit l’échec cuisant que son accusation a rencontré) de ces procédés. L’auteur en analyse les nombreuses occurrences, notamment la visite du portique des Hermès et de la Στοὰ Ποικίλη, l’ἔκφρασις pathétique de la destruction de Thèbes, et la péroraison où Eschine demande à ses auditeurs d’imaginer les anciens héros

non pas au moment même où il prononce leur nom, mais plus tard, à la fin du discours de son adversaire, et de les imaginer sur l’estrade, à côté de Démosthène. Eschine demande ainsi à ses auditeurs de peupler l’estrade de fantômes qui viendront troubler le discours de Démosthène.

52Je passe sur les détails de ces analyses, mais voici, à propos du spectacle de Thèbes dévastée, une remarque plus générale sur

un aspect constant de la rhétorique d’Eschine : la manière dont il attire notre attention sur son art, sur sa propre intervention dans la disposition et la mise en valeur de ses sujets. […] Les auditeurs ne sont pas les seuls dont la contribution active est soulignée : les Thébains eux-mêmes jouent un rôle actif par les prières qui leur sont attribuées, à la différence des habitants de la Phocide qui ne sont que des figurants pitoyables et silencieux dans le discours de Démosthène.

53Nous aurons l’occasion, avec d’autres auteurs, de revenir sur cette différence souvent commentée entre la (fausse ?) spontanéité de Démosthène et le style plus affecté d’Eschine.

54Je cite l’intéressante conclusion de Ruth Webb :

Dans les deux discours étudiés, Eschine utilise des techniques très variées pour rendre présent le passé et pour l’incorporer dans le tissu de son discours : il emploie la narration circonstanciée pour brosser le portrait de Timarque, fait appel aux monuments ou personnages connus qui portent une signification très particulière, ou bien crée un tableau, comme celui de Thèbes […]. Les appels à la connaissance de "tout le monde" dans le discours contre Timarque convertissent les auditeurs en témoins de l’affaire dont ils doivent décider. Toutes ces techniques témoignent de la sensibilité d’Eschine à la place du spectacle dans la ville et à la dimension civique du théâtre, sensibilité que l’on pourrait bien relier à sa carrière de comédien sans oublier qu’elle fait partie également de la dimension réflexive des discours. Il serait même possible de qualifier Eschine de premier théoricien de l’ἐνάργεια et de ses effets grâce à la manière dont ceux-ci sont identifiés et rendus explicites dans les discours eux-mêmes, surtout à travers les références multiples à l’effort actif que doivent faire les auditeurs pour imaginer les différentes scènes qu’il place sous leurs yeux.

55Ces articles nous ont permis de prendre conscience de la variété des enjeux auxquels participe le passé historique dans les discours oratoires : l’enjeu de l’utilisation du discours en tant que document historique (selon quels critères peut-on juger probable qu’un orateur a dit la vérité sur tel ou tel point ?) ; l’enjeu de la force de conviction (de quelle façon évoquer ou façonner la mémoire collective pour mobiliser la foule ?) ; l’enjeu de la stratégie politique et/ou judiciaire à l’œuvre (comment légitimer par le passé et les traditions une position personnelle actuelle ?). L’utilisation de Solon30 dans le Contre Timarque est un exemple privilégié de la prise en compte, par les orateurs, de ce triple enjeu. Nous avons déjà mentionné ce passage plusieurs fois, mais nous ne l’avons pas vraiment étudié. C’est le moment de le faire.

56Sophie Gotteland (2)31 dont le sujet est surtout l’action oratoire, et plus précisément la façon dont chacun des deux rivaux présente et commente l’action oratoire de l’autre : chacun veut montrer comment l’autre en pervertit le principe et révèle sa vraie nature ; car la personnalité transparaît dans l’attitude et le ton. Démosthène attaque donc les prouesses vocales d’Eschine, et Eschine attaque la gestuelle de Démosthène qu’il présente comme excessive et déplacée. Quand au § 25 il compare Timarque à Solon, tout invite les auditeurs à faire le parallèle, explicite ailleurs, entre Démosthène et Timarque :

Je sais bien, en effet, que vous avez tous déjà fait voile vers Salamine, et y avez vu la statue de Solon32. Vous pourriez donc attester vous-mêmes qu’il est représenté dans la place publique de cette ville, ayant la main dans sa robe. C’est une preuve, à la fois, et une expression de son attitude, lorsqu’il parlait au peuple d’Athènes.

57Démosthène, lui, cible surtout la voix d’acteur d’Eschine, pour des raisons qu’on abordera plus tard, et peu sa gestuelle, car Eschine prône et pratique une certaine retenue, un maintien modeste. En revanche, il contre-attaque à propos de Solon : comme l’écrit Sophie Gotteland,

La critique de Démosthène consiste […] à présenter cette retenue comme un signe d’emphase et de solennité excessive. Ce qui, chez Eschine, était présenté comme σωφροσύνη devient chez lui σεμνότης et traduit la suffisance du personnage33.

58On peut aussi savourer d’autres arguments bien acides de Démosthène, qui oppose la posture extérieure et la vertu intérieure, et que Sophie Gotteland résume ainsi :

Eschine a vanté la réserve de Solon, il a même mimé (ἐμιμήσατο) le geste de l’ancien législateur, dissimulant sa main sous le manteau pour s’adresser à ses concitoyens. Mais en ambassade, il n’a pas hésité à tendre la main pour récolter de l’argent. Plutôt que la pose (τὸ σχῆμα) de l’orateur, il aurait fallu imiter son âme et son état d’esprit (τὴν ψυχήν… καὶ τὴν διάνοιαν), rivaliser avec son honnêteté et son patriotisme et refuser de se vendre à l’ennemi34. Démosthène oppose ici une attitude à un état d’esprit. Il dénonce un "jeu" d’Eschine, une pose qui n’implique aucun engagement véritable, aucun réel dévouement35.

59Catherine Psilakis36 analyse, elle, la longue citation que fait Démosthène d’un poème de Solon dans le même discours, § 251-256. Sa problématique, bien que passionnante, nous entraînerait trop loin de notre sujet. Je ne sélectionne donc que les mots qui nous concernent directement :

Le discours de Démosthène Sur les forfaitures de l’ambassade accuse Eschine pour son comportement lors de la seconde ambassade auprès de Philippe de Macédoine. L’évocation des vers soloniens est en fait une réponse à la mention de la statue de Solon, présente dans Contre Timarque d’Eschine (§ 25-26). Démosthène a visiblement compris l’enjeu patriotique du σῆμα que représente la statue de Solon : il déplace rapidement son angle d’approche. Toute la démonstration de Démosthène va insister non pas sur une pose à imiter, comme l’a fait Eschine dans son discours, mais sur l’esprit, la pensée de Solon, qu’il invoque grâce à la lecture de l’élégie sur l’Eunomie (4W).

60Dans la suite de l’article, elle montre comment l’extrait de Solon est utilisé par Démosthène comme une mise en abyme de tout son discours, et le légitime en tant que porte-parole des anciens, bien plus qu’Eschine qui ne fait qu’imiter une statue. De plus, Eschine a souvent présenté Démosthène comme un fils de Scythe, un Barbare :

Eschine associe dans le Contre Timarque la culture et l’éducation à la connaissance des poètes épiques et tragiques, tandis qu’il rejette Démosthène du côté de la comédie, l’assimile à un homme sans culture et sans éducation […]. Eschine établit un système rigoureux d’oppositions entre les tenants de l’éducation, du bon ordre et de la σωφροσύνη, et ses adversaires, caractérisés par l’absence de culture, d’éducation, de moralité, mais définis par le ridicule et le désordre.

61C’est pourquoi Eschine dans son discours a cité de larges pans d’Homère, d’Euripide, d’Hésiode. On comprend qu’avec l’Eunomie de Solon, Démosthène avait beaucoup à prouver : son degré de culture et d’éducation, sa dignité de citoyen, sa légitimité à se réclamer des anciens et de la tradition. Cette courte mention qu’Eschine fait de la statue de Solon, Démosthène y a répondu avec tant de soin et de variété dans les arguments, qu’on en déduit a posteriori l’effet puissant qu’avait eu ce parallèle, à l’époque, sur les auditeurs. Eschine y avait gagné tant de crédibilité que son rival se devait de démolir cette image solonienne sans compter les coups.

II. Le rhéteur : l’art et les artifices

62Cette partie ne sera pas un exposé exhaustif de toutes les ficelles techniques du discours. Ce n’est en effet pas mon propos de synthétiser des cours de rhétorique, aussi utiles pourraient-ils être. Il s’agit plutôt ici pour moi, comme précédemment, de sélectionner les articles qui ont eu les approches les plus susceptibles de nous ouvrir des perspectives originales, au-delà du contenu immédiat de l’œuvre.

63L’art de l’orateur est en réalité apparu dès la première partie, car l’utilisation du passé historique dans le Contre Timarque (notamment à travers Solon) est déjà en soi une ressource rhétorique riche en tenants et aboutissants. Cependant, Ruth Webb, au sujet du travail que fait l’orateur sur la mémoire collective, a également évoqué un autre temps que le passé historique : le présent, temps de la rumeur. J’exposerai d’abord d’autres articles qui abordent cette notion et permettent d’approfondir et d’élargir la réflexion à ce sujet. Nous aborderons ensuite la place du rire dans le discours, la question de l’action oratoire par rapport au jeu de l’acteur, l’utilisation des poètes dans le discours, et approfondirons enfin la question de l’injure en tant qu’arme rhétorique.

A. La rumeur, arme à double tranchant

64Le débat sur la fiabilité de la rumeur s’engageait bien sûr déjà à l’époque qui nous intéresse. Francis Larran (1)37 nous en donne un premier aperçu :

Au dédain actuel pour les ragots mensongers et pour les futiles historiettes colportées par les rumeurs s’oppose l’attention prêtée par les Anciens aux bruits publics. Si la fine connaissance des rumeurs permet de les manipuler pour s’emparer du pouvoir à l’image de Pisistrate au milieu du VIe siècle, elle représente également, pour bon nombre d’auteurs, une source d’information fiable et utile. À la différence de Thucydide qui se méfie de leur capacité à déformer la vérité historique, Hérodote s’inspire des bruits publics pour chanter, comme Homère, la geste des Grecs lors des Guerres Médiques. Pour Eschine qui les utilise à des fins politiques lors de ses plaidoiries, l’anonymat du bruit public, repris par tous, est une garantie de sa véracité. Isocrate prend [aussi] position contre Thucydide en affirmant la supériorité de l’ouïe sur la vue comme source de savoir : c’est bien parce que φήμη est répétée par un grand nombre de personnes qu’elle est objective et vraisemblable.

65Mais c’est Sophie Gotteland (1)38 qui est la pièce maîtresse de ce sous-chapitre. En voici extrait l’essentiel :

Capable d’influencer le comportement de la foule, la rumeur ne peut être négligée par les hommes politiques. Ils doivent au contraire étudier sa nature et analyser son mode de fonctionnement, s’ils veulent pouvoir la dominer et, le cas échéant, lui faire servir leurs objectifs. Il n’est donc pas étonnant que les orateurs politiques, dans leurs procès privés ou publics, rappellent clairement les traits distinctifs de la rumeur et justifient ainsi le crédit qu’ils lui reconnaissent. […] La rumeur peut concerner aussi bien des affaires publiques que privées, mais elle qualifie un type de savoir bien particulier. Elle désigne avant tout une information transmise de bouche à oreille, une parole anonyme dont on ne peut dire ni où, ni quand elle est apparue. C’est justement parce que son origine reste mystérieuse qu’elle se distingue d’une nouvelle attestée. Pour l’orateur Eschine, "spontanément une rumeur qui ne ment pas se répand à travers la ville, révèle à la foule les agissements des particuliers, et bien souvent prédit même ce qui va arriver" Contre Timarque 127. La rumeur est une parole dont l’origine échappe à toute enquête, une parole qui semble toujours préexister au discours qui la propage39.

66Puis elle rapporte l’anecdote du barbier de Plutarque, pour montrer que les citoyens ne sont pas facilement dupes : si un individu tente de propager ce qu’un autre prétend sans preuve, il est puni. Une rumeur, pour être acceptée, doit être anonyme et largement partagée.

Démosthène […] n’hésite pas à élargir l’espace de diffusion d’une rumeur. À l’en croire, ce ne sont pas les seuls Athéniens qui évoquent la trahison d’Eschine et ses acolytes au cours des négociations de paix menées avec Philippe de Macédoine. […] Avec Démosthène, la rumeur franchit les murs de la cité pour se répandre à travers l’ensemble du monde habité et s’imposer au monde entier. L’accord unanime qui se fait autour d’elle et qui réconcilie, pour une fois, Grecs et Barbares garantit la véracité de l’information qu’elle colporte. Car c’est bien en s’appuyant sur ces critères que les orateurs prennent la défense de la rumeur et l’imposent comme une source fiable d’information. À l’inverse des historiens, en effet, ils trouvent dans son anonymat et sa diffusion spontanée des arguments qui garantissent l’objectivité et la véracité de l’information obtenue. Privée d’auteur et de locuteur spécifique, elle échappe à toute influence et révèle avec impartialité la réalité d’une situation. Comme l’explique Eschine, "il y a rumeur quand l’ensemble des citoyens, spontanément, sans aucun motif prémédité, présente une action comme avérée" Sur l’ambassade infidèle 145. La véritable rumeur ne saurait être mensongère car elle n’obéit à aucun mobile intéressé, elle bénéficie de l’accord de l’ensemble des citoyens et reflète la réalité d’une situation au lieu de correspondre à la projection déformée qu’en offre un seul individu pour satisfaire des motifs personnels. Son évidente impartialité et sa très large diffusion sont les meilleurs garants de sa véracité. Loin d’être injuste, comme l’affirment certains (Eschine vise en réalité Démosthène, dont il tente par avance de réfuter l’argumentation Contre Timarque 125), loin de travestir les êtres ou les choses, la rumeur fait paraître au grand jour, sans la déformer, leur véritable nature et leur réelle personnalité (Contre Timarque 48). Mieux, en les désignant, elle révèle leur véritable personnalité (Contre Timarque 99 et 131). Pour les orateurs, un dernier point témoigne en faveur de la rumeur. Paroles sacrées, les bruits qui circulent dans la cité sont présentés comme émanant de la déesse Rumeur, Φήμη, dont on sait qu’elle disposait d’un autel à Athènes (Pausanias I 17 & Eschine Contre Timarque 128). La rumeur retrouve ainsi dans une certaine mesure la valeur que le terme possédait à l’origine puisqu’il désignait alors "l’oracle", "le présage", "la parole divine". Or une déesse ne saurait mentir : elle connaît la vérité qu’elle choisit de transmettre aux hommes à travers ces bruits mystérieux et foisonnants qui parcourent la cité. La rumeur devient ainsi la manifestation concrète d’un savoir divin qu’on ne saurait sans impiété remettre en question. Douter de la rumeur, c’est douter d’une parole divine. Cela explique également pourquoi, à en croire Eschine, la rumeur peut également se prononcer sur le futur et acquérir une valeur prophétique (Contre Timarque 127 : la rumeur "révèle à la foule les agissements des particuliers, et bien souvent prédit même ce qui va arriver"). En donnant une caution divine à toutes ces informations anonymes, qui se colportent de bouche à oreille, les orateurs transportent le débat du plan juridique au plan religieux : témoin irréfutable, elle devient un argument de poids dans un débat politique et acquiert un redoutable pouvoir de coercition. On comprend tout l’intérêt que des hommes politiques peuvent trouver à la défendre40.

67Relions à cela la citation qu’Eschine fait d’Euripide au § 128 : « La rumeur fait connaître l’homme vertueux, fût-il caché dans les profondeurs de la terre », que Sophie Gotteland relèvera plus loin dans l’article. Reprenons le fil.

Quel meilleur témoin rêver que le peuple d’Athènes dans son entier ? Impossible, nous dit Eschine, de "condamner un tel témoin pour faux témoignage" Contre Timarque 85, car comment mettre en doute ce que tous proclament ? […] Faute de preuves tangibles, le plaidoyer d’Eschine contre Timarque s’appuie précisément sur la mauvaise réputation dont jouit l’accusé, sur les multiples histoires qui courent entre autres sur ses mœurs débauchées et sur son comportement scandaleux dont tous, à en croire l’orateur, ont été témoins ou bien ont entendu parler § 44-45 et 65. Mais surtout, le texte d’Eschine nous montre bien comment cette rumeur peut entraîner un jugement et susciter une réaction collective : plusieurs fois, nous dit l’orateur, l’Assemblée du peuple a cédé à l’hilarité générale en entendant parler Timarque, car ses propos, compris au second degré, constituaient autant de possibles allusions à sa vie privée. Lors d’une séance mémorable, le discours d’un respectable orateur portant sur une motion proposée par Timarque a même été plusieurs fois interrompu par des exclamations, des rires et des moqueries. Pour finir, l’assemblée s’est vue rappelée à l’ordre. Et pourtant, malgré les circonstances officielles, malgré la gravité de l’orateur, tous les représentants du peuple d’Athènes, incapables de garder leur sérieux, ont été saisis d’un fou rire incoercible § 80 et 82-84. "Il ne faut pas rire devant une telle assistance, mais la force de la vérité est telle" prétendent les membres du public en guise d’excuse, "qu’elle l’emporte sur tous les raisonnements humains" § 84. Cette réaction prouve bien que la rumeur ne se contente pas de propager une information. Elle peut moquer un comportement, condamner certaines pratiques41.

68Il faut traquer le λογοποιός, le fabricant de rumeurs, il faut mettre un nom sur l’information, « lui ôtant la force de conviction dont elle bénéficie en tant que rumeur » quand elle est anonyme et désintéressée.

69Elle cite aussi Eschine Sur l’ambassade infidèle 145 :

La rumeur est très différente de l’accusation sans fondement (συκοφαντία). La rumeur n’a rien de commun avec la calomnie, tandis que la calomnie s’apparente à l’accusation sans fondement. Je vais définir clairement chacune d’entre elles. Il y a rumeur quand l’ensemble des citoyens, spontanément, sans aucun motif prémédité, présente une action comme avérée ; il y a accusation sans fondement, en revanche, quand un seul individu, après avoir accusé un homme devant le peuple, le calomnie dans toutes les assemblées et devant le conseil42.

70Démosthène aussi fait la différence entre l’accusation – κατηγορία – et l’injure – λοιδορία, et définit ainsi le sycophante : « le propre du sycophante, c’est de tout alléguer et de ne rien démontrer (αἰτιᾶσθαι μὲν πάντα, ἐξέλεγξαι δὲ μηδέν) ».

71Elle poursuit :

On s’explique ainsi que le mot [sycophante] serve bien souvent de terme générique pour dénigrer son adversaire, pour laisser entendre que ses accusations sont mensongères et qu’il aime chercher des noises aux autres en les calomniant. C’est ainsi, par exemple, qu’Eschine et Démosthène, entre autres termes d’injures, ne cessent de s’apostropher en usant de ce substantif, cherchant ainsi à imposer l’idée que les accusations avancées contre eux n’ont aucun fondement43.

72En somme, dans cet article, nous avons un aperçu très clair de ce qu’est la rumeur chez Eschine, aussi bien la réalité qu’elle représente (y compris dans son aspect divin) que son utilité rhétorique.

B. Le comique chez Eschine

73Sophie Gotteland a mentionné, entre autres références, les § 80-85 du Contre TImarque, à savoir l’épisode de l’Aréopage. Christian Bouchet44 a consacré tout un article à ce passage.

Nous lisons dans le Contre Timarque, 84, qu’il ne faut pas rire devant l’Aréopage. Environ 15 ans plus tard, en 330, dans le Contre Ctésiphon, 20, ce même Aréopage est défini comme σκυθρωπός. Chaque fois Eschine présente ce tribunal comme une instance "sévère" qui impose le respect et la retenue. Or, l’assemblée a bel et bien ri aux propos d’Autolykos, quand, porte-parole de l’Aréopage, il a décrit les projets immobiliers de Timarque devant elle. Non seulement l’assemblée a ri alors, mais encore Eschine prend ensuite une espèce de malin plaisir à rapporter cet événement, à le mettre en scène, sans doute pour faire rire à nouveau ses concitoyens réunis en jury dans le procès contre Timarque45.

74Certains chercheurs ont cru y voir également un sarcasme d’Eschine contre l’Aréopage46 : l’orateur se vengerait de « la double affaire d’Antiphon et de Délos », que je ne développerai pas, mais où Eschine aurait échoué à convaincre ce tribunal. Christian Bouchet cependant, avec des arguments de bon aloi, réfute cette thèse.

Il apparaît plus probable que le rire d’Eschine, omniprésent dans le Contre Timarque, participe d’un jeu rhétorique et judiciaire : il faut déstabiliser et décrédibiliser l’adversaire, Timarque, et, avec lui, Démosthène47.

75Il commence par rappeler l’importance de l’Aréopage pour la stratégie de l’orateur :

Chaque fois qu’il mentionne l’Aréopage, Eschine affirme son caractère solennel et redoutable. Dans le Contre Timarque, 81, Autolykos est décrit comme digne de l’assemblée dans laquelle il siégeait et dont il était alors le porte-parole devant l’assemblée du peuple. Hommage est ensuite rendu à ce même tribunal : l’Aréopage est celui de tous les tribunaux qui rend le mieux la justice (92). À en croire Eschine, l’Aréopage n’est pas sensible aux seules démonstrations rhétoriques et aux seuls témoignages, mais fonde son vote sur sa conviction (établie à partir de la vraisemblance) et sur les faits. Si l’on ne sort pas ce jugement de son contexte, il semble bien que, loin de constituer un lieu commun, un topos, il réponde parfaitement à la logique du plaidoyer d’Eschine et à l’argumentation qu’il développe : on ne peut faire condamner un citoyen prostitué comme Timarque, ou un voleur, ou un assassin, ou un adultère (§ 91), sur la foi de témoignages ou de preuves : qui viendrait s’avouer complice ? Qui aurait vu une pratique par essence tenue à l’écart des regards ? On peut admettre de plus qu’en célébrant ainsi l’Aréopage, Eschine critique, par comparaison négative, le fonctionnement des assemblées du peuple, trop soumises à la démagogie48.

76Nous pouvons faire des liens fructueux avec ce qui a été dit supra sur l’élitisme des orateurs qui préfèrent voir confiées les responsabilités à des personnes compétentes plutôt qu’au premier venu.

77Si Eschine respecte tant l’Aréopage, pourquoi alors utilise-t-il le terme σκυθρωπάσας § 83, qui signifie « sombre, qui ne rit pas, grave, solennel », mais qui est fréquent au théâtre, où il n’est pas neutre : « grognon, à la triste mine » ? Dans un autre discours Eschine l’applique même à Démosthène. D’après l’auteur, il ne s’agit pas de se moquer du tribunal, mais de mettre en scène très visuellement cet épisode (souvenons-nous à cet égard de Ruth Webb) : si Eschine met sur Autolykos « le masque de l’humeur sombre », c’est pour lui donner de la « solennité tragique » qui fait rire par contraste, c’est du « comique théâtralisé ».

78C’est dans la même perspective (le contraste comique) que Christian Bouchet interprète la mise en scène et l’expulsion de Pyrrhandre, qui pourtant a recours à la bienséance : « οὐκ αἰσχύνοιντο γελῶντες », § 84.

Ces conventions49, ces considérations, voulues par les hommes (τῶν ἀνθρωπίνων λογισμῶν) ne tiennent pas devant la vérité des faits. […] Lorsque Autolykos avait défini le projet de constructions de Timarque, il avait utilisé un vocabulaire à double sens ou des paronymes50, et, évidemment, le peuple avait projeté sur ces termes l’image, si répandue par la rumeur dans la cité, d’un Timarque prostitué. La question a été posée de savoir si Autolykos faisait exprès de prononcer des paroles hilarantes […]. Eschine me semble assez clair : Autolykos ne comprend pas les raisons du chahut (Ἀγνοήσας δ᾽ ὑμῶν τὸν θόρυβον, 83)51.

79L’auteur rappelle en écho d’autres moments du Contre Timarque pour montrer à quel point Eschine use du rire comme arme rhétorique :

Le premier met en scène Timarque au milieu de l’assemblée du peuple : après avoir jeté son vêtement (θοἰμάτιον), il a fait le lutteur, en déshabillé (γυμνός) (26). Cette conduite, due au vin et à la débauche, inspire de la honte aux citoyens honnêtes. Mais, bien évidemment, c’est le rire, et non la honte, qui est sollicité par Eschine ici. Or, il est frappant de noter que l’épisode d’Autolykos et de l’Aréopage reprend exactement la même structure : 1. Le rire. 2. La honte. Le second exemple a trait à un mot, qui n’a sans doute pas été assez étudié tant il est, par définition, neutre et vague : τὸ πρᾶγμα. Ce terme est omniprésent dans le plaidoyer, prenant, selon le contexte, tel ou tel sens, avec telle ou telle connotation. Il est évident que lorsque Eschine insiste sur le mot (ainsi au § 41, où il est question de Misgolas, "qui a le démon et la passion de la chose"), et qu’il est associé au verbe πράττω, lui-même opposé à πάσχω, les auditeurs comprennent ce qu’ils veulent, en un sens obscène. Or, c’est exactement ce qu’ils font lors du discours d’Autolykos. Nous avons donc le même principe, le même ressort comique (de situation et de mot), et un but analogue (le discrédit dans le cas de Timarque)52.

80Enfin, l’auteur, juste avant la conclusion, fait un rapport fertile avec Platon. En effet, dans les Lois VII, 803c sqq., le philosophe écrit que le rire « permet enfin, par un rapport dialectique, de mieux comprendre son contraire, le sérieux. » Pour Christian Bouchet, Eschine suit ce précepte,

puisque nous avons la confrontation du grave et du comique. Le grave : un tribunal populaire doit juger un homme, Timarque, pour sa conduite (prostitution et dilapidation de son patrimoine) ; le verdict sera l’atimie et la déconsidération totale de Timarque. Le comique, qui vise au ridicule : un vocabulaire à double entente et des situations cocasses. Eschine joue donc sur l’opposition entre, d’un côté, les enjeux sérieux du procès, d’un autre côté, les mœurs de Timarque, qu’il ridiculise sans cesse, tout comme il oppose sa propre modération aux outrances de son adversaire. Le rire peut alors faire figure de contrepoint, qui vient souligner, par contraste, les considérants d’un procès dont l’arrière-plan est éminemment politique, puisqu’il s’agit, non seulement de la personne même de Timarque et de son droit ou non de s’exprimer devant l’assemblée, mais aussi des relations que la cité doit ou non entretenir avec Philippe II. J’ajouterai que ce schéma (le rire en contrepoint) n’est toutefois pas exclusif d’un mouvement inverse : le sérieux peut renforcer le rire, et le faire éclater comme dans l’épisode d’Autolykos : l’assemblée rira d’autant plus fort qu’elle sait qu’elle n’a pas le droit de le faire et que le personnage qui s’adresse à elle s’exprime avec gravité, l’air tout à fait sombre – μάλα σκυθρωπάσας (83)53.

81Nous avons là les tenants et aboutissants de ce comique chez Eschine : à la fois levier de persuasion connecté à l’univers de la comédie, et faire-valoir de tout ce qui est sérieux et sacré.

C. L’action oratoire

82Comme nous allons le voir très rapidement, le comique n’est pas le seul lien qui existe entre la rhétorique et la comédie ; on pourrait même dire que la rhétorique a d’autant plus d’affinités avec les registres comique et tragique, que l’orateur est lui-même, intrinsèquement, un comédien.

83Je reprends d’abord Sophie Gotteland (2)54, qui a l’avantage pour nous de délimiter le champ de l’action oratoire en observant directement Démosthène et Eschine, ou plutôt ce que chacun dit de l’autre, ce qui est encore plus intéressant. Voici une rapide prise de notes.

84L’action oratoire a été étudiée le plus en détail par Quintilien, mais déjà théorisée chez Aristote et surtout Théophraste55 (rattachant cette action oratoire « aux premiers principes et aux mouvements de l’âme ainsi qu’à la connaissance qu’on peut en avoir, de manière à ce que le mouvement du corps et l’intonation de la voix soient en accord avec la science tout entière »), chez qui donc elle est divisée en deux parties, la voix et le geste, division qui devient classique dans la rhétorique postérieure.

85Démosthène est réputé accorder la première place à l’action,

et c’est sans doute parce qu’Eschine était bien conscient de ce talent particulier qu’il a déployé tant d’efforts pour en limiter les effets par ses critiques nombreuses et virulentes. Mais il était lui-même un orateur doué, et son ancienne carrière d’acteur l’avait préparé à réaliser à la tribune des prestations remarquées lors desquelles il exploitait notamment ses qualités vocales. Comme l’ont souligné plusieurs études récentes, la prestation d’un orateur à la tribune, en effet, ressemble à bien des égards à celle d’un acteur. Pour Démosthène comme pour Eschine, l’attaque contre l’adversaire passe donc nécessairement par une critique de son ὑπόκρισις [jeu au sens théâtral], dont les deux éléments constitutifs sont la voix et le geste56.

86Comme je l’ai dit plus haut pour expliquer tous les enjeux contenus dans la comparaison avec Solon, il s’agit pour chacun de faire un rapport entre l’attitude et la personnalité de son adversaire. Démosthène attaque les prouesses vocales d’Eschine, et lui la gestuelle de Démosthène qu’il présente comme excessive et déplacée.

87Démosthène décrit Eschine de manière générale comme un homme disposant d’une belle voix (εὔφωνος), une voix éclatante (λαμπρὰ φωνή) qui lui permet de « parler plus fort que tous » et de dire « très clairement (σαφέστατα) ce qu’il veut ». Il sort dans un seul souffle (ἀπνεύστει) de longues tirades. Tout cela contrairement à Démosthène, qui a des problèmes de souffle, et tendance à se démonter en public, cf. Eschine, Sur l’ambassade infidèle, 34-35. Démosthène oppose sa voix (φωνή) à son état d’âme (ψυχή) comme Sur la Couronne 287 : son éloquence est séduisante mais dangereuse, trompeuse. Donc plus Démosthène insiste sur le talent d’Eschine, plus il creuse le contraste entre art et âme.

On ne peut se laisser séduire par l’éloquence et la belle voix d’un homme (δεινότητα ἢ εὐφωνίαν, 339), conclut-il, que si ce dernier se comporte en citoyen honnête et patriote, s’il use de son talent dans l’intérêt de sa cité57.

88Or c’est loin d’être le cas d’Eschine, « un vaurien et un vendu qui ne dit rien de vrai », et c’est pourquoi les Athéniens doivent oublier sa réputation, prendre en compte ce qu’il dit et non la manière dont il le dit. J’ajoute ici au propos de l’article qu’Eschine, dans le Contre Timarque, aux § 179-181, engage lui aussi l’assemblée à distinguer le discours et le comportement : εὐχερῶς γὰρ ἐνίοτε λόγον ἄνευ χρηστοῦ βίου προσδέχεσθε. La vraie spécificité de l’attaque de Démosthène est donc dans le raisonnement qu’il suggère : l’ancienne carrière d’acteur d’Eschine doit être vue comme une preuve de sa duplicité. Un acteur fait prendre la fiction pour la réalité. Démosthène multiplie les allusions au théâtre quand il évoque les prestations de son adversaire. Pour voir l’analyse que fait Sophie Gotteland de l’échange entre les deux rivaux à propos de Solon, cf. supra.

89Eschine de son côté riposte en mettant lui aussi en garde les auditeurs contre l’habileté de Démosthène, sa δεινότης, « homme passé maître dans l’art des paroles » ([ἀνθρώπου τεχνίτου λόγων], Contre Timarque, 170), quelqu’un de rompu aux artifices (τέχναι) et aux manœuvres (παρασκεύας) du métier d’orateur (Contre Timarque, 117 et 193, Sur l’ambassade infidèle, 1 et 156, Contre Ctésiphon, 35 et 37) ; un homme « remarquable dans le domaine des discours » (περιττός ἐν τοῖς λόγοις, Contre Timarque, 119), un orateur habile et réputé pour la puissance de son discours, mais pervers dans son jugement (δεινὸς λέγειν, κακὸς βιῶναι, Contre Ctésiphon, 174 ; δεινὸς δημιουργὸς λόγων, Contre Ctésiphon, 215). Il attaque Démosthène sur son irrespect des règles de prise de parole par âge (Contre Ctésiphon, 2 et 4, Contre Timarque, 23). Sa rudesse est dangereuse pour la démocratie. Dans l’anecdote de Thèbes (Contre Ctésiphon), Démosthène bondit à la tribune (ἀναπηδήσας).

Le verbe utilisé pour dépeindre son mouvement, ἀναπηδᾶν, revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans des contextes similaires, pour évoquer des adversaires qui interviennent à la tribune dans les limites de la légalité, qui tentent d’imposer leur point de vue par la force et qui refusent le débat démocratique, cf. Contre Timarque 71 [où Eschine prévient qu’Hégésandre et Krobylos vont sauter sur la tribune, ἀναπηδήσαντες]58.

90La violence et l’arrogance du geste correspondent à celle du propos, les menaces. Il l’accuse d’impiété, de démesure, d’intimidation.

En décrivant l’orateur "hors de lui", ἔκφρων, Eschine exploite donc un trait sans doute bien connu de l’action oratoire de Démosthène. Mais il s’en sert ici pour signaler le danger d’un homme prêt au coup de force pour imposer ses vues. En s’attachant à une gestuelle, il veut révéler une personnalité59.

91Suit le développement sur Cléon, cf. supra. Eschine ne cesse de dénoncer les cris d’un adversaire à la voix perçante et abominable ; qui enfreint donc les règles de convenance. On trouve d’autres mots encore, tous révélateurs : ποικιλία, souplesse, fourberie ; γόης, enchanteur, magicien ; ψυχαγωγεῖν, charmer l’âme. Sa cadence et son audace inconvenante sont les pratiques d’un charlatan. C’est un habile comédien qui peut simuler des sentiments qu’il ne ressent pas, qui peut pleurer « plus facilement que les autres ne rient ». Son caractère, son ἦθος n’est pas crédible, il ne saurait plaire au public. En adaptant à l’action oratoire de Démosthène un jugement qu’Eschine porte en réalité sur ses paroles, on peut affirmer qu’il y a dans cette gestuelle « une puissante raison de le haïr : corrompu lui-même, [Démosthène] compromet les signes auxquels on reconnaît les honnêtes gens ».

92En conclusion : les deux orateurs ont une stratégie semblable, montrer que l’action oratoire participe directement au processus de séduction de l’auditoire par les yeux et les oreilles.

Dans les deux cas, l’action oratoire de l’adversaire est présentée comme un dévoiement par rapport à l’attitude de σωφροσύνη attendue du parfait citoyen. […] En accordant tant d’importance au jeu de leur adversaire, ils témoignent l’un et l’autre de la validité des jugements contemporains et postérieurs sur le pouvoir de l’action oratoire, et justifient la place de plus en plus grande qui lui sera accordée dans la rhétorique latine60.

93C’est en effet surprenant qu’Eschine, loin d’éluder ou de chercher à atténuer le reproche que Démosthène lui fait d’avoir été acteur de théâtre, accuse lui aussi son adversaire d’être un comédien qui feint des sentiments. Cela montre à quel point le soupçon d’hypocrisie n’est pas réservé aux seuls acteurs ou ex-acteurs, loin de là. La frontière entre l’action oratoire et le jeu d’acteur est ténue, voire inexistante, dans la mesure où il est dans l’essence même de la performance oratoire d’allier le geste et la voix au contenu du discours pour maximiser son effet sur le public ; de même pour la performance dramatique. N’y a-t-il donc plus que les masques pour permettre aux spectateurs de faire la distinction ?

94Sandrine Bueche61 relève l’ambiguïté jusque dans les propos de Démosthène :

Des cinq parties de l’art oratoire, la plus importante est l’actio (ou pronuntiatio), qui règle à la fois la gestuelle, les mimiques et la voix de l’orateur. Aristote, qui fut le premier à synthétiser cette exigence sous le nom d’ὑπóκρισις, en louait les avantages utiles autant à l’acteur qu’à l’orateur tout en mettant en garde contre son usage grossier et superflu au détriment des faits eux-mêmes. L’opinion de Démosthène est plus subtile. Selon Plutarque, il aurait expliqué combien l’art de l’acteur ajoutait d’ornement et de grâce au discours, et à quel point il fallait éviter de le négliger. Pour lui, l’actio n’était pas seulement la partie principale de l’éloquence, mais la seule et l’unique. […] Notre orateur savait cependant nuancer son avis selon les circonstances. Pris d’une extinction de voix, il aurait déclaré que si les acteurs étaient jugés sur leur voix, les orateurs devaient l’être uniquement sur leur opinion. De même, il reprocha à Eschine ses vocalises en lui rappelant que ce n’était nullement au ton de la voix que l’orateur devait accorder de l’importance mais à son honnêteté, sans se comporter comme un vulgaire acteur ou un simple héraut. Il l’accusait aussi d’exercer sa voix au lieu de contribuer, par ses discours, au bien-être de la collectivité et du citoyen.

95Il faut donc, en totale mauvaise foi, travailler son actio en dénigrant celle de l’adversaire.

96Fernand Delarue (2)62 développe davantage l’avis d’Aristote :

C’est surtout un certain type d’éloquence que désapprouve Aristote : "L’auditeur éprouve toujours de la sympathie pour qui parle pathétiquement (παθητικῶς), ce qu’il dit n’eût-il aucune valeur. Aussi beaucoup d’orateurs frappent-ils de stupeur leurs auditeurs par leur vacarme." Ces orateurs pathétiques et tonitruants (θορυϐοῦντες, le mot expressif est en relief en fin de phrase) sont-ils Démosthène et Eschine ? Il n’est en tout cas pas douteux que Démosthène soit visé quand Aristote examine l’action oratoire, ὑπóκρισις, considérée comme un art commun à l’orateur et à l’acteur. Selon un mot souvent répété, Démosthène, comme on lui demandait quelle est la première qualité de l’orateur, répondit : l’action ; la seconde ? l’action ; la troisième ? l’action. C’était là un élément essentiel de son pathétique et, selon Eschine, il "virevoltait" à la tribune. Aristote, lui, préconise la sobriété et déplore de telles pratiques : "De même qu’aujourd’hui, dans les concours les acteurs font plus pour le succès que les poètes, ainsi en est-il dans les débats de la cité, par suite de l’imperfection des constitutions." Dans une cité parfaite, selon Aristote, on ne ferait appel qu’à la raison pour convaincre auditeurs et juges. Mais dans notre monde sublunaire, il faut aussi tenir compte de leurs dispositions. Platon, dans le Phèdre (276 b-c), a comparé l’orateur qui parle sans tenir compte de la nature de son auditoire à un mauvais jardinier qui sèmerait sans tenir compte du climat, de la saison, de la nature du sol… et qui s’étonnerait de ne rien récolter. Aristote a magistralement analysé ces dispositions de l’auditoire dont l’orateur doit tenir compte. Mais il invite maintes fois à user avec modération des moyens qu’il étudie : il est sûr que Démosthène, à ses yeux, dépasse de loin le juste milieu.

97« Avec modération », « juste milieu »… Il n’y a rien de plus imprécis. Et la bataille d’insultes entre Eschine et Démosthène n’aide pas à théoriser cela. Souvent, les Romains sont une source à la fois plus variée et plus claire pour circonscrire l’art oratoire, donc je suis tenté de faire appel à eux ; cependant, je ne voudrais pas ici pécher par anachronisme. Je vais donc moi aussi faire preuve de juste milieu en citant modérément Éléonore Salm63 :

La voix apparaît comme un outil essentiel de l’orateur en vue de persuader et de toucher les auditeurs. Cet élément rapproche l’orateur du comédien et du chanteur. Plusieurs points séparent toutefois l’orateur de l’acteur : d’une part, on ne demande pas à l’orateur d’être un virtuose de la voix et il ne dispose d’ailleurs pas du temps nécessaire pour travailler sa voix. D’après Quintilien, les orateurs ont "besoin d’avoir une voix forte et résistante plutôt que souple et délicate", vu les conditions dans lesquelles il faut défendre ses clients. L’orateur ne s’adresse pas systématiquement aux "maîtres de voix" […]. D’autre part, pour l’acteur, il s’agit de rendre une fiction et non une réalité comme chez l’orateur. Comme en témoigne l’exemple d’Eschine, on reconnaît certes qu’une voix de comédien est un atout pour l’orateur, mais on se méfie de la part de jeu, d’ὑπóκρισις à proprement parler, dans la voix de l’acteur. Quintilien résume l’ambiguïté de la parenté entre action oratoire et action théâtrale : Nam si qua in his ars est dicentium, ea prima est, ne ars esse uideatur (Quint., I, 11, 3 : "Car, s’il existe à cet égard [les attitudes corporelles] un art de l’orateur, la plus haute expression de cet art est de ne pas avoir l’air d’en être un"). Selon la formule de Françoise Desbordes, l’acteur se présente à la fois comme modèle et comme repoussoir, mais la frontière entre les deux types d’action, toute ténue qu’elle est, ne doit pas être franchie. L’art reste caché.

98Toute ambiguïté est-elle désormais levée ? Absolument pas, car comme l’ajoute en note Éléonore Salm, Cicéron définit exactement dans les mêmes termes l’acteur parfait : celui qui sait dissimuler son art. L’orateur doit donc être l’acteur parfait.

99Fernand Delarue (1)64 relève cependant une différence fondamentale entre la rhétorique grecque et la rhétorique latine, c’est que cette dernière inclut dans l’actio le regard et le visage de l’orateur ; alors que, dans nos sources, les Grecs n’en parlent jamais. D’après l’auteur, il y a deux raisons pour cela : la première, c’est qu’Aristote ne s’y intéresse pas ! En effet, d’après Françoise Frontisi-Ducroux, qui est citée dans l’article, il « tente de limiter l’expressivité du visage dans l’art oratoire65 » pour des raisons esthétiques et morales (on a déjà vu qu’il promeut la sobriété). La seconde raison est que chez les Grecs le masque de l’acteur cache son visage, et que seule sa voix et son discours transmettent les émotions :

On conçoit qu’un Grec accoutumé à cette abstraction, à ces conventions où se manifeste le raffinement d’une culture, n’y ait pas renoncé volontiers en écoutant l’orateur, qu’il ait fait abstraction d’un visage souvent vu de loin, voire jugé grossière la prise en compte d’effets obtenus par le regard – effets qui de surcroît ne paraissaient guère susceptibles, dans leur infinie variété, de faire l’objet d’une théorisation rigoureuse66.

100En outre, visage et masque se traduisent par le même mot, τὸ πρόσωπον (alors que le latin distingue vultus et persona). Ce serait donc encore plus difficile de trouver, par rapport à l’acteur, une spécificité de l’orateur dans la rhétorique grecque.

101Paradoxalement, pour se démarquer de l’acteur qui cherche nécessairement la perfection, Démosthène peut aussi, pour prouver sa sincérité, déplorer ses défauts, et dénoncer le travail d’Eschine, mettant en exergue l’artifice de l’adversaire, tandis que lui retirera tout le bénéfice de ses manques, à savoir la confiance des auditeurs. Pierre Chiron67 décrit ces deux attitudes contradictoires :

On se souvient des formules assassines de Démosthène traitant Eschine de "crème des troisièmes rôles", de "vrai singe tragique", de "maudit scribouillard". Ces formules sont riches de sens elles aussi. Elles établissent un lien étroit entre l’éloquence et l’illusionnisme théâtral et, dans ce cadre, dénotent quelques vices oratoires : l’oxymore "singe tragique" fait sentir le décalage entre une intention expressive noble et un effet piteux. L’allusion au secours de l’écriture dénonce une préméditation qui tue la spontanéité, l’inaptitude à contrôler dans l’instant la communication, à imposer sa personnalité ou son personnage. Le bon acteur, a contrario, doit être celui qui paraît improviser. […] À plusieurs reprises, on l’a vu, Démosthène stigmatise Eschine comme acteur médiocre, mais il lui arrive de reconnaître sa belle voix claire, son souffle, sa mémoire sûre et une sorte d’excellence technique (Cour. 308, 313 ; Amb. 337-340), toutes qualités dont lui, Démosthène, était nativement dépourvu. Dans l’inversion qui fait de lui, l’acteur mal doué, le véritable acteur, et d’Eschine, l’acteur doué, un histrion, il y a déjà – outre une revanche – l’idée de la prédominance de l’élan intérieur sur la préparation technique, et de la présence, dans l’art authentiquement inspiré, de scories et de défauts68.

102Qui dit double discours dit en général manque de sincérité et arguments opportunistes. Faut-il en fin de compte renoncer à trouver chez les auteurs classiques une vision cohérente de la distinction entre acteur et orateur ? C’est ce à quoi nous invite Noémie Villacèque dans un ouvrage récent, dont j’ai lu le compte-rendu écrit par Catherine Saint-Pierre69 :

N. V. exerce une critique raisonnée des sources montrant que les blâmes envers le peuple "spectateur" et les orateurs "acteurs" émanent pour la plupart d’auteurs hostiles à la démocratie. Elle remet en cause l’idée bien ancrée que la théâtralisation des assemblées et la professionnalisation des acteurs politiques signent la fin de la démocratie. Au contraire, le θόρυϐος70 est le signe d’une certaine vitalité démocratique et non une abdication des citoyens de leur part de souveraineté. Ce chapitre repose sur l’analyse de quelques extraits, notamment des plaidoyers virulents entre Démosthène et Eschine où fusent les injures évoquant le théâtre. Elle montre que les arguments et les critiques qui prévalaient dans l’Athènes du milieu du Ve siècle ont perdu de leur pertinence dans les débats du IVe siècle. Il n’y a plus de dimension idéologique derrière ces accusations qui deviennent de simples insultes à l’encontre des adversaires politiques71.

103Si la dimension idéologique des rapprochements orateur-acteur n’existe plus, peut-être en est-il autrement de celle de l’utilisation des poètes, très présents dans le Contre Timarque.

D. L’orateur et le poète

104Posons immédiatement un paradoxe : les poètes sont toujours cités par les orateurs comme des autorités incontestables, des arguments imparables. Et pourtant, c’est la loi qu’ils demandent de faire respecter, pas les prescriptions des poètes. Ils dansent donc souvent sur un fil quand il s’agit de sélectionner des extraits poétiques qui ne risquent pas de les faire entrer en contradiction avec les lois. Vincent Azoulay (1)72 nous en parle :

De fait, à en croire les tenants de l’idéologie démocratique traditionnelle, ce sont les lois, et non les poètes ou les philosophes, qui ont pour vocation d’éduquer les jeunes gens. Mélétos l’assure dans l’Apologie de Platon (24d-25e) et, dans le Contre Ctésiphon, Eschine reprend encore le même topos : "[…] ni les palestres ni les institutions d’éducation, ni la musique ne forment le jeune citoyen (οὔχ αἱ παλαῖστραι οὐδὲ τὰ διδασκαλεῖα οὐδ’ ἡ μουσικὴ μόνον παιδεύει τοὺς νέους) autant que le débat qui a lieu au sein des institutions civiques et surtout les décisions du δῆμος assemblé (ἀλλὰ πολὺ μᾶλλον τὰ δημόσια κηρύγματα)" (§ 246).

105Aristophane, de son côté, en tant que poète, affirme bien sûr le contraire dans la parabase des Grenouilles : « Si pour les petits enfants celui qui donne les leçons, c’est le maître d’école, pour les grands, ce sont les poètes. Notre devoir strict est de dire ce qui est bien » (1054-1056). Mais Vincent Azoulay, en citant l’exemple de Lycurgue, homme politique qui se fera un nom après Chéronée, montre que la frontière est loin d’être nette, et que l’orateur n’hésite pas à s’approprier la poésie pour acquérir un statut incontestable de maître à penser.

106Or il y a un débat, chez les chercheurs, au sujet des larges citations qu’Eschine fait d’Homère. Il s’agit surtout des divergences entre la version du discours, et les versions qui nous sont parvenues. Eschine s’approprie-t-il Homère en pliant le texte aux nécessités de son argumentation ? Ou nous transmet-il une version qui circulait vraiment à l’époque ? C’est la dernière réponse qui est la plus évidente, car tant de ses auditeurs connaissaient Homère, qu’il ne pouvait a priori se permettre aucun écart ou presque. De plus, il veut paraître, on l’a vu, bien plus cultivé que ses adversaires ; et le meilleur gage de la culture, n’est-ce pas de citer correctement Homère ? C’est la thèse, entre autres, de Manuel Sanz Morales73 :

Parmi les auteurs préalexandrins, et aux côtés de Platon et d’Aristote, figure Eschine qui, lui aussi, a transmis dans ses citations homériques un nombre considérable de divergences par rapport au texte de la vulgate. Dans ce travail, nous réfutons en premier lieu, avec divers arguments, la théorie de van der Valk consistant à dire que les divergences sont dues à une manipulation consciente du texte homérique de la part de l’orateur. Ensuite, nous réalisons la première étude complète de toutes les citations et nous concluons qu’Eschine citait un texte homérique qui contenait déjà des divergences, dont quelques-unes n’étaient pas inférieures aux lectures correspondantes de la vulgate.

107En face, nous trouvons, entre autres, Jean-Fabrice Nardelli74 :

Eschine, notre principal pourvoyeur en citations homériques parmi les orateurs attiques en même temps que l’auteur ancien auquel nous sommes redevables du plus long emprunt littéral de l’Iliade, passe couramment pour avoir préservé des traces d’un état du texte plus fluide et moins standardisé que la vulgate alexandrino-romaine qui s’est perpétuée jusqu’à nos manuscrits de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen-Âge. On le considère parfois même comme exemplaire entre tous les auteurs classiques et préhellénistiques, vu l’ampleur spectaculaire des divergences, au niveau des variantes et de l’attestation des lignes, dont il se fait l’écho. C’est le présupposé à la racine de ces conclusions, à savoir la confiance que mérite Eschine en tant que connaisseur et utilisateur des textes homériques, que nous avons interrogé sur la base d’un examen de toutes les citations poétiques en hexamètres présentes dans ses œuvres. Il en ressort qu’Eschine montre une grande indifférence pour la littéralité de ses emprunts à Homère et Hésiode, parce que seules l’intéressent l’autorité morale de ces poètes dans le cadre de l’argument rhétorique d’autorité, et l’utilité pour sa démonstration du contenu des citations qu’il en tire. Les libertés exorbitantes qu’il s’est permises lors du report des citations, ses contrefaçons homériques, jointes à une mémoire sélective et tendancieuse ainsi qu’à un manque flagrant d’expertise en matière de diction épique et de composition archaïque, nous paraissent difficilement compatibles avec quelque évaluation positive que ce soit de son imprégnation homérique. Par voie de conséquence, sa valeur documentaire devrait être étiquetée comme aléatoire, trompeuse et clairement de nature à embrouiller les choses.

108À supposer que l’on donne raison à Jean-Fabrice Nardelli, quelques questions demeureraient d’après moi sans réponse : si Eschine s’était tant moqué de la littéralité de ses emprunts, Démosthène ou d’autres ne se seraient-ils pas empressés de le lui reprocher ? Des erreurs de métrique, n’y en a-t-il pas jusque dans la vulgate ? N’y avait-il pas tout simplement beaucoup de variantes connues à cette époque, sans critère établi pour décider que l’une était supérieure aux autres, ce qui les aurait de facto toutes autorisées ?75

E. La valeur oratoire de l’insulte

109Ce sont d’abord, à ce sujet, Vincent Azoulay (2) et Aurélie Damet (2)76 qui vont nous remettre en perspective le procédé de l’insulte, car il a une histoire :

L’insulte faisait à ce point partie du mode de vie des Grecs de l’époque archaïque qu’ils en avaient fait un genre poétique à part entière : la poésie iambique marquée par le blâme (le ψόγος) […]. Pendant obscur du chant de louange, les vers iambiques mettaient en forme l’agressivité verbale et étaient réputés pour leur efficacité terrifiante, puisque, selon la tradition, l’inventeur supposé du genre, Archiloque, aurait poussé au suicide les victimes de ses vers […]. Mais ces paroles menaçantes ne s’épanouissaient pas seulement dans le cadre de performances poétiques ou philosophiques, nécessairement réservées à une élite restreinte ; elles s’inscrivaient aussi au cœur du système civique, dans les prises de parole devant la communauté tout entière […]. L’insulte irrigue ainsi la comédie ancienne et les plaidoyers attiques, discours publics par excellence qui, chacun à leur façon, stigmatisent un adversaire par le medium de l’attaque verbale. Et celle-ci n’a pas toujours mauvaise presse : Isocrate, dans son Panégyrique, insiste sur l’efficacité de l’injure (λοιδορία) utilisée à bon escient. Et par le procédé préféré des orateurs, la prétérition, ceux-ci font mine d’être les ennemis de l’insulte qu’ils emploient pourtant à grande échelle, la présentant toujours comme une "fâcheuse nécessité". Cette omniprésence des paroles menaçantes dans le discours public athénien conduit alors à poser le problème de la liberté de parole à Athènes. L’Athènes classique accorde en effet une valeur primordiale à l’ἰσηγορία (droit à la parole égal pour chaque citoyen) et de la παρρησία (la franchise, la liberté de tout dire), fierté athénienne arborée comme un blason par Périclès […]. Démosthène, quelques décennies plus tard, insiste sur le fait qu’à Athènes on peut encenser Sparte et dénigrer Athènes, alors qu’à Sparte on ne peut que louer Sparte. […] À Athènes, on aurait donc pu "tout dire", pour reprendre l’étymologie de la παρρησία […]. Ce constat reste évidemment trop général et demande à être précisé. […] Pour Aristote, il existe ainsi une différence essentielle entre le discours tenu à l’Assemblée et la diatribe prononcée au tribunal : les harangues devant le peuple n’insultent jamais des adversaires présents et visent des groupes de personnes hostiles à l’orateur, et non des individus précis. Devant les δικασταί, il est en revanche fréquent de s’en prendre violemment et nommément à tel ou tel individu : l’attaque ad personam est la règle. Et l’auditoire, nous rappelle Eschine, a "tendance à écouter avec plaisir les insultes et les accusations" [Note : Contre Ctésiphon, 3-4].

110Puis les auteurs dégagent des tendances selon les lieux : devant les juges, on tente davantage d’injurier les parents de l’adversaire pour mettre à mal sa qualité de citoyen, alors que sur la scène comique on injurie plutôt les comportements tels que les habitudes sexuelles. Mais ce ne sont que des tendances, il suffit de lire le § 131 du Contre Timarque pour y voir une λοιδορία digne d’Aristophane !

111« Pour mettre à mal sa qualité de citoyen », ai-je écrit. L’insulte est en effet plaisante, certes, cf. la citation d’Eschine quelques lignes plus haut, elle suscite le rire, elle persuade par l’émotion ; mais elle peut aussi détruire toute la réputation de l’adversaire. C’est, comme l’écrivent les auteurs à propos de ce qu’ils appellent « l’insulte généalogique », une « arme de destruction rhétorique massive ». Car à Athènes, la ségrégation, pardonnez l’anachronisme, entre le corps glorifié des citoyens, et les autres catégories plus ou moins méprisées, réceptacles, voire sources, de tous les vices qu’on a ôtés à la figure idéalisée du citoyen, cette ségrégation est un levier émotionnel bien plus puissant que d’invoquer le respect des lois. L’appartenance au corps des citoyens n’est-elle pas pourtant un statut administratif dûment contrôlé et incontestable ? N’est-il pas étonnant de pouvoir si facilement la remettre en cause ? C’est aussi le sentiment de Jean-Marie Bertrand (2)77 :

On ne peut qu’être surpris du caractère relativement flou de l’identité des personnes apparaissant dans la sphère judiciaire. Il semble que même les plus connues aient pu être accusées de n’être pas qui elles prétendaient être et dont toute leur carrière démontrait qu’elles l’étaient. […] Démosthène se permit d’accuser Eschine d’être né d’un esclave et d’une infâme prostituée, celui-ci lui répondit avec détails pour récuser cette assertion dont il savait qu’elle pouvait porter. Lui-même ne manqua pas d’accuser son ennemi d’être un esclave fugitif. [L’auteur développe encore un grand nombre d’exemples.] Ces incertitudes et les fraudes qu’elles permettent ont pour conséquence que les procès qui mettent en cause l’état-civil et la filiation d’un des plaideurs se prolongent souvent par des actions pour faux-témoignage, comme l’a bien établi A. Scafuro78. Le tribunal devient ainsi, de fait, l’instance où est établie l’identité des personnes, mais on y choisit de rester dans la logique d’un monde où aucun document personnel et aucune pièce d’archive ne peut fournir les preuves décisives que l’on attend. Il faut essentiellement, pour convaincre de son identité, que la personne s’affiche dans toute sa pratique quotidienne comme celle qu’elle prétend être et notamment celui qui se veut l’enfant de tel ou tel parent doit bien savoir où est sa tombe et lui rendre les hommages traditionnels. C’est de cette façon d’ailleurs que les archontes doivent prouver leur légitimité lors de l’examen qui précède leur nomination.

112Noémie Villacèque (2)79 a fait également tout un article sur les attaques faites aux mères des adversaires, dans le même but :

En effet, si l’on examine de près les discours des orateurs, on distingue principalement trois types d’injures adressées aux mères : la mère étrangère, la mère prostituée et la mère indigente. Nous verrons comment ces injures, dont le point commun est de contester l’appartenance de l’adversaire au corps civique, deviennent pour ceux qui en sont la cible des éléments à charge qu’ils se doivent de réfuter.

113Comme il n’y a pas d’exemple dans le Contre Timarque, je n’en citerai pas davantage, et pourtant, les deux rivaux, dans d’autres discours, n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère sur ce chapitre…

114On voit que la notion d’injure, en plus d’être multiforme, révèle des enjeux, au niveau de la citoyenneté, qui dépassent de loin la seule question de savoir si tel mot est une insulte ou une simple moquerie, ou à quel niveau de langue il appartient. Elle touche en effet à tout un univers démocratique où la réputation, l’image, d’un citoyen, constitue en grande partie son état civil. On en reparlera en détail dans la partie suivante.

115Francis Larran (2)80 s’étonne, lui, du fait que, malgré la loi de Solon qui interdit d’insulter un particulier en public, et qui a établi à cette fin une liste de mots interdits (les ἀπόρρητα), eh bien les insultes pleuvent pourtant dru au Ve siècle. Cette loi est un peu plus respectée au IVe. Pourquoi ?

Les injures ne doivent pas être considérées comme des objets intemporels susceptibles de traverser, immuables, les siècles. Elles ont, elles aussi, une histoire, au cours de laquelle leur sens comme leur gravité fluctuent. La sensibilité des Athéniens à l’égard des termes ἀπόρρητα semble notamment plus vive au début du IVe siècle qu’au siècle précédent. Si les termes πατραλοίας et μητραλοίας sont attestés dans les sources du Ve siècle, il n’est jamais question de condamner ceux qui ont choisi de les prononcer, alors même que leur énonciation constitue un délit évident aux yeux du client de Lysias. Dans une perspective comparable, la spécificité historique des ἀπόρρητα s’apprécie, au IVe siècle, à l’aune de la récurrence d’autres injures qui sont tolérées dans les plaidoyers des orateurs attiques, alors même qu’elles semblent, elles aussi, porter atteinte à l’ordre social. Aussi violentes soient-elles, les injures de "prostitué", "voleur", "Scythe" ou "corrompu" restent moins graves qu’ἀνδροφόνος ou πατραλοίας, car elles ne sont ni sacrilèges ni interdites par une loi qui s’est constituée progressivement à partir du VIe siècle (Glotz 1900, p. 790). […] Dans l’Athènes du début du IVe siècle encore traumatisée par la Guerre du Péloponnèse, qui a sans doute donné libre cours au déchaînement des passions et, à la suite de la peste, à divers manquements à l’ordre moral et "religieux", une guerre qui a fait vaciller les valeurs traditionnelles sous les coups de boutoir de l’amoralisme politique et de l’utilisation opportuniste des thèses sophistiques, un conflit qui a déstabilisé le régime démocratique en portant par deux fois au pouvoir des oligarques (411 et 404-403) et qui a enfin plongé le corps civique dans une στάσις sanglante et brutale, les regards se font plus attentifs au respect des normes juridiques et religieuses et se tournent désormais vers le passé, la "constitution des ancêtres" comme les lois archaïques dont la capacité à traverser les siècles suscite l’admiration (Romilly 1971, p. 203-225). C’est bien à cette époque que Solon, qui a notamment cherché à purifier la parole publique en interdisant d’insulter un particulier au tribunal, obtient le statut de législateur mythique. C’est à lui qu’il faut se référer pour espérer reconstruire une cité stable au régime démocratique modéré (Mossé 1979, p. 425-437) et ainsi se placer à l’abri de procès irresponsables qui ont pu condamner des innocents tels que le sage Socrate. Paroles agressives, paroles impies, les ἀπόρρητα sont aussi des termes condamnés par une loi héritée du passé, dont l’esprit est censé guider Athènes sur la voie pieuse de la restauration et de la pacification. Les prononcer au début du IVe siècle, c’est en quelque sorte faire montre d’incivisme en réintroduisant le désordre dans une cité qui a précisément comme ambition d’oublier les maux de la Guerre du Péloponnèse pour mieux se reconstruire sur la base d’un passé idéalisé (Loraux 1997a).

116Il y a donc deux catégories d’injures à bien distinguer : les termes explicitement injurieux, eux-mêmes classés selon les autorisés (comme πόρνος) et les ἀπόρρητα que les orateurs n’utiliseront pas, eu égard au contexte clairement dépeint par Francis Larran ; et les insultes masquées derrière des phrases plus ou moins explicites, des périphrases, des allusions. Les deux catégories sont illustrées dans notre § 131 : il y a le surnom désobligeant Βάταλος, et la fin de paragraphe plus allusive.

III. Visions de l’autre : genre, sexe et sexualité

117Le thème de cette partie a déjà été nourri par les précédentes, notamment au sujet de ce que doit être un bon citoyen (un homme libre, qui modère ses appétits et ses sentiments, qui gère bien ses possessions, etc.). De même, à travers les insultes qui faisaient partie intégrante des procédés oratoires abordés en deuxième partie, nous avons déjà vu transparaître une certaine vision de ce qu’est un homme efféminé, donc, indirectement, de la femme.

118Ce dernier point est cependant tellement crucial pour approfondir notre compréhension du Contre Timarque qu’il mérite d’être développé, d’autant que la recherche récente s’est régulièrement saisie des questions, reliées entre elles, de la femme, de l’homosexualité, de l’ἀνδρεία, en bref du genre, notamment dans l’Athènes classique, vu que c’est le contexte spatio-temporel de loin le plus documenté dont nous disposons.

A. Le bon citoyen, viril, probe et mesuré

119Quand Eschine traite Timarque de débauché, ce n’est pas, pour notre sensibilité actuelle, lié au féminin ; en revanche, quand il moque les habits de Démosthène, nous voyons bien l’allusion. Pourtant débauché et féminin sont reliés dans la pensée grecque. En effet, voici le syllogisme : l’idéal civique est masculin. Or dans cet idéal se trouve la modération des appétits. Tout écart par rapport à cet idéal est féminin. Donc la débauche est une caractéristique féminine. Aurélie Damet (1)81 le résume très bien :

Dévalorisé, le féminin peut être aussi un marqueur politique dévalorisant. Le "corps démocratique" des citoyens athéniens se doit d’éviter la féminisation-effémination induite par divers comportements méprisés et attribués à la "nature" des femmes : la débauche, la passivité, la lâcheté, autant de traits qu’Eschine, l’orateur pro-macédonien des années 340 av. J.-C., décèle chez ses adversaires politiques, Démosthène et Timarque. Les injures politiques jouent alors sur les "troubles dans le genre" (Judith Butler) et Eschine attribue à ses ennemis les vices d’un κίναιδος ("femmelette" ou "dépravé", anti-soldat par excellence) ou d’un ἀνδρόγυνος ("homme-femme"), une terminologie insultante tirant assurément vers un féminin déprécié. Si l’on croise les comédies d’Aristophane et les discours d’orateurs, l’ἀνδρεία (virilité) du bon citoyen athénien combine ainsi la maîtrise de soi, l’excellence guerrière, le refus de la soumission économique ou sexuelle à un autre individu, et la participation active à la vie collective.

120Violaine Sebillotte-Cuchet (1)82 relie au genre quelques autres notions, dont celle d’οἶκος :

Dans le cas de la Grèce classique, les enquêtes statistiques étant impossibles à établir en raison du manque de données, reste la norme idéale. Celle-ci est connue : elle distingue la γυνή, l’épouse et mère de citoyens, de l’ἀνήρ, le citoyen adulte. Les injonctions essentielles sont celles de la procréation d’enfants légitimes pour l’une, de la défense de la patrie pour l’autre, et du soin apporté à son οἶκος, sa maison familiale, pour les deux. La participation aux assemblées, délibératives et judiciaires, est un privilège de l’ἀνήρ, mais ce privilège n’apparaît pas sous la forme de l’injonction. Un citoyen qui entretient sa famille et participe à l’effort militaire (parfois également à l’effort financier) collectif et qui, pour diverses raisons, ne se rend pas aux assemblées est toujours un ἀνήρ. [Elle cite ensuite le Contre Timarque pour montrer que, du point de vue des normes de genre, se prostituer est aussi grave que ruiner son patrimoine, etc.]. La norme de l’idéal masculin correspond à celle du contrôle de soi (éthique de la σωφροσύνη et du κόσμος). Ce contrôle de soi est au service d’une certaine éthique : il s’agit de protéger la sphère de la légitime transmission des biens et des statuts. Toutes les pratiques sexuelles sont licites à Athènes tant que les partenaires (hommes ou femmes) du désir citoyen n’appartiennent pas à l’οἶκος du voisin. Et ceci est surtout vrai pour les filles, pour lesquelles on redoute évidemment une grossesse illégitime. Par conséquent, les injonctions de comportement idéal concernent autant les garçons et les filles, du moins en tant qu’ils sont membres de la maison citoyenne83.

121Par quelque bout qu’on la prenne, la virilité est donc toujours liée à la probité et à la modération. Ces deux facettes de la figure idéale du citoyen sont étudiées par Patrice Brun84 à travers l’utilisation du mot ἐπιεικής dans la littérature (que j’ai trouvé dans le Contre Timarque aux § 108 et 110) :

L’on sait aussi que pour les Anciens l’honnêteté privée était la condition première de la bonne garde des intérêts communs85. C’est évidemment la raison première pour laquelle le discours politique à Athènes est à ce point chargé de connotations morales. […] Comment en effet un citoyen malhonnête dans sa vie personnelle pouvait-il engager une politique bonne pour ses concitoyens ? Ce qui revient à dire que, dans leurs injonctions morales à la tribune, les orateurs finissent par définir un idéal de personnel politique, avec des qualités individuelles morales qui seules permettent un bon exercice de la vie politique. Démosthène affirme qu’il est lui-même ἐπιεικής […]. L’ἐπιεικής, est celui qui, par exemple, ne gaspille pas sa richesse personnelle car il risquerait de faire pareil avec les finances de la cité ; il refuse de pratiquer l’injure, le cri, le blâme à l’égard de ses concitoyens86, observe scrupuleusement les lois, use de modération à l’égard de ses adversaires. Celui-là est, dans un procès, un témoin idéal. On comprend que l’honneur (τιμή), la réputation (δόξα) soient des attitudes normales. Il ne s’agit plus du tout du portrait d’un aristocrate du milieu du Ve siècle, mais d’un notable athénien du IVe, absolument pas tenté par un changement de régime qui n’est jamais le moins du monde critiqué : l’ἐπιεικής du IVe siècle n’a plus rien à voir avec le καλὸς κἀγαθός de la fin du Ve siècle… Sans doute ne sortaient-ils pas tous du même moule et il y a des différences entre Démosthène et Eschine, par exemple, le premier reprochant à son vieil adversaire ses origines modestes et se targuant au contraire d’une éducation de qualité que seule la richesse autorise. Mais il y a peu d’aristocrates dans le personnel politique du IVe siècle, […] et tous ont un niveau de fortune, acquis par leur réussite ou par leur naissance, à peu près équivalent.

B. L’homme-femme, l’anti-citoyen

122Pierre Brulé87, dans son chapitre V, nous offre une étude cruciale sur ce sujet, où Aristophane est la principale référence, mais le Contre Timarque figure aussi plusieurs fois.

La structuration polarisante de la pensée n’est pas une originalité grecque, mais deux caractéristiques en accentuent l’effet. Les forces de polarisations qui ordonnent leur monde y sont d’une rare intensité. Ainsi entre θῆλυς [féminin] et ἄρρην [mâle]. Elles s’appliquent tous azimuts. Le moindre élément, naturel ou fabriqué, est mû par ces forces classificatoires et, sous leur effet, trouve sa place dans ce grand tableau de l’organisation du monde à variables multiples. De sorte que ces forces ne font pas que classer, elles hiérarchisent. Tout ce qui tend vers le servile, vers le féminin, vers le barbare est affecté d’une dépréciation ontologique : sauvagerie, gloutonnerie, nymphomanie, bêtise, tromperie, paresse, lâcheté. Et avec effet cumulatif… Il en va de même évidemment des hommes et du masculin qui rassemblent l’essentiel de l’illustre et du magnifique. La peur est féminine. Le courage, c’est la virilité, et ἀνδρεία dit tout d’un seul coup. On dira : banalités ? Mais ne faut-il pas insister, puisque ce cadre de pensée est si prégnant, si influent ? Il commande les conceptions de la morale populaire, règle la valeur des comportements, inspire les lois de la cité qui ne sauraient durablement s’en trouver éloignées. Or, le réel n’étant bien sûr pas aussi systématique que ces représentations le surdéterminent, il leur fait quelques crocs en jambe. […] L’humain, dans sa diversité psychologique, vient se mettre en travers du confortable système polarisé. Ainsi est-il par la cité des hommes qui entrent mal dans le viril modèle convenu, déclenchant cette sensation d’inconfort que provoquent dans le regard d’autrui des comportements inclassables (inconcevables). À l’inverse du féminin — qui nourrit, au contraire, par sa présence, la tranquille domination de l’autre pôle —, l’ambigu, voilà l’empêcheur de penser carré. C’est ce qui explique pourquoi faiblesse, couardise, manque de contrôle (de l’appétit surtout), goût pour la parure, dilection pour une érotique différente dans l’homosexualité, apparence vestimentaire, absence de pilosité, "bellicosité" insuffisante ou absente, ont vite fait de rejeter les Cléonyme, les Clisthène et d’autres du théâtre d’Aristophane et, par delà, de la Comédie ancienne, dans un opprobre qui, pour prendre les habits du rire, n’en est pas moins cruel.

123L’auteur pose alors la question :

Qui sont donc ces foireux de comédie, ces hommes qui souffrent des quolibets de théâtre ? […] Leur portrait est cohérent. Ils exhibent une face glabre (rapprochement avec des eunuques Acharniens, v. 118), ils s’épilent, spécialement le derrière (ibid., v. 22). Cette pratique les rapproche évidemment des femmes. Ils s’empiffrent, sont obèses (ibid., 88, 844 ; Cavaliers, 1290 sqq. ; Oiseaux, 289) ; leur gloutonnerie tant en nourriture qu’en boisson les pousse au parasitisme (ibid.). Sont souvent beaux parleurs d’agora, […]. On ajoutera au tableau des traits plus épars : voleur, flatteur, sycophante (Nuées, 675 ; Oiseaux, 1472).

124Plus loin, Pierre Brulé analyse les sens du mot δειλόν, mot dont j’ai trouvé des dérivés et composés dans le Contre Timarque aux § 29, 105, 181. Il y voit « deux pôles sémantiques » : d’un côté, « veule », « craintif », « femmelette », « gonzesse », de l’autre, « minable », « miteux » finalement « pitoyable ». C’est un exemple d’après lui de la proximité entre l’anormal et le malheur, car l’anormal, en tant qu’« inversion des valeurs », est comme une malédiction qui attire les calamités.

En définitive, le féminin s’infiltre partout, même dans le divin. Le Pisthétaïros des Oiseaux se lamente d’une telle situation : "Et comment pourrait être bien ordonnée une ville où une divinité femme se dresse armée de toutes pièces et Clisthène… d’une navette ?" (831). Finalement, Cléonyme, Clisthène ne sont plus que des trous […]. La peur, l’appétit démesuré, le travail (spécialement, la laine), la luxure quand elle est passive : tout cela est du genre féminin. Le féminin, c’est ce qui sert à marquer et à exprimer la plus grande distance entre hommes dans la cité.

125On voit que, même si c’est fait dans un registre comique, Aristophane pose la question : comment s’attendre à ce que la πόλις soit ferme, solide, durable, avec des citoyens qui en sapent les fondements ? Il y a cependant un débat subtil, chez les chercheurs, sur la teneur exacte de ce fondement moral en matière de sexualité, débat auquel participe James Davidson88 au travers de l’article de Claudine Leduc et Pauline Schmitt-Pantel (1)89 : où situer précisément la norme et la perversion ? Il commente abondamment le Contre Timarque, raison pour laquelle une citation très substantielle convient ici :

J. Davidson s’interroge une première fois sur la validité de l’opposition entre sexualité active et sexualité passive dans un chapitre (p. 167-208) consacré à l’explication de deux termes injurieux, καταπύγων (πυγή/fesse) et κίναιδος (κινέω/remuer). Est-ce qu’ils désignent comme le supposent "les théoriciens du phallus", ceux qui se font pénétrer, les homosexuels adultes passifs, les "enculés" et les "enfilés" ? J. Davidson montre que les deux termes informent davantage sur l’immoralité d’un homme que sur son comportement sexuel. Καταπύγων est surtout employé au Ve s., κίναιδος au IVe s. Tous deux désignent un homme efféminé (p. 167) : Démosthène qui porte un petit manteau de laine et une tunique souple est traité de κίναιδος par Eschine. En quoi le καταπύγων/κίναιδος est-il efféminé ? L’injure ne porte pas sur la passivité de sa sexualité, mais sur sa lubricité (p. 172). Il est incapable de se contrôler sexuellement, comme il est incapable de maîtriser une vie toute entière adonnée aux plaisirs. C’est ainsi que Calliclès dans le Gorgias de Platon définit le κίναιδος, comme celui qui fait preuve dans sa recherche des plaisirs d’un appétit débridé. L’injure concerne aussi bien les hommes que les femmes. Dans la Lysistrata d’Aristophane les épouses en grève du sexe pour la cause de la paix n’en veulent pas moins faire le mur pour rejoindre leurs époux et faire l’amour. Elles se font traiter de race de καταπύγων, ou pour le dire autrement, de race d’insatiables… ou de nymphomanes. […] J. Davidson en conclut (p. 176) que ce qui établit "la connexion" entre la représentation des femmes et celles des "efféminés", c’est moins la façon de copuler que l’absence d’ἐγκράτεια, l’absence de maîtrise de l’appétit sexuel et de la quête des plaisirs. Pour lui, ce manque de retenue, contrairement à ce que pense M. Foucault, n’est donc pas une affaire de sexe, mais de genre (p. 175). Le μοιχός, l’homme adultère qui a une liaison avec une femme ou une fille de citoyen, le séducteur par excellence, est en effet lui aussi présenté comme un efféminé, alors que sa sexualité ne peut être qualifiée de passive. La représentation du κίναιδος/ καταπύγων (p. 179) serait donc moins celle d’un inverti assimilé à une femme parce qu’il est pénétré que celle d’un obsédé sexuel rempli d’une insatiabilité toute féminine qui le rend incapable d’ἐγκράτεια. Il appartient au genre féminin quelle que soit sa façon de copuler.

126Puis les auteures du compte-rendu abordent le sujet politique :

Pour "les théoriciens du phallus", et tout particulièrement pour M. Foucault […], la connexion entre le comportement sexuel et la participation au politique est très étroite. L’accusation de passivité sexuelle, toujours génératrice d’autres disqualifications (p. 253), peut faire exclure un citoyen du "partage de la πόλις". La source essentielle étant le discours qu’Eschine prononça contre Timarque à la fin de l’année 346 ou au début de l’année 345, J. Davidson en fait un commentaire minutieux et souvent convaincant (p. 250-277). En dépit des allégations d’Eschine – l’accusateur conteste la possibilité de faire dévier le débat sur des questions politiques – il s’agit d’un procès éminemment politique. [Elles rappellent le contexte historique et ce qu’encourt Eschine.] Pour écarter ou retarder ce procès dangereux, Eschine intente une opposition (ἀντιγραφή) : est-ce que Timarque a le droit de monter à la tribune ? Une loi athénienne prive de leur droit d’ ἰσηγορία (Eschine, I, 28) celui qui a frappé ou négligé ses parents, celui qui n’a pas pris part aux expéditions militaires ou a jeté son bouclier, celui qui s’est conduit en prostitué (πόρνος) ou en "courtisan" (ἑταιρικῶς), celui qui a dévoré les biens de ses parents ou tout autre héritage. Eschine retient deux chefs d’accusation (I, 154) : "je demande que Timarque soit exclu de la tribune du fait de prostitution (πεπορνευμένον) et pour avoir mangé son patrimoine". Il les développe l’un après l’autre accordant toutefois une plus grande place à la prostitution de Timarque. La question est de savoir si Eschine requiert l’exclusion de son adversaire parce qu’il se fait pénétrer ou parce qu’il n’est plus maître de son corps et de sa personne. Pour J. Davidson, ceux qui considèrent qu’à Athènes la passivité sexuelle vaut à celui qui la pratique la perte de son droit à la parole et donc en quelque sorte une citoyenneté passive, ont le tort de ne pas prendre en compte l’ensemble de l’acte d’accusation (p. 255). Il y a en effet "une série de connexions" entre la prostitution, la perte du patrimoine et l’exclusion de la tribune. Eschine déduit la prostitution de Timarque et l’engloutissement de son héritage de la même cause, une insatiable soif des plaisirs et les dépenses que génère l’absence de maîtrise de soi. Et il aboutit, dans les deux cas à la même conclusion : comme l’a prévu le législateur, la prise de parole d’un débauché qui s’est vendu à ses amants et d’un dilapidateur réduit à vendre son vote pour subsister ne peut rien apporter de bon à la communauté.

127Enfin, l’auteur reprend tous les points du récit qu’Eschine fait de la vie de Timarque, pour mettre en évidence les connexions entre tous les vices, caractéristiques d’une féminité qui va bien au-delà de la seule passivité sexuelle :

Jeune, Timarque était très beau. Il a quitté la maison paternelle sous prétexte de s’inscrire au Pirée dans une école de médecine, mais avec l’intention de se vendre (πωλεῖν). Sa passion de la bonne chère (ὀψοφαγία), des joueuses d’αὐλός, des courtisanes et du jeu, l’ont amené à accepter de s’installer chez Misgolas pour jouir de tout cela gratuitement et toucher un μισθός. Il s’est fait ἑταιρικός. Puis il est allé de l’un à l’autre. Il s’est même vendu à un esclave avant de devenir "la femme" d’Hégésandre qui avait été lui-même la "femme" de Léodamas (p. 270). Timarque est un prostitué parce qu’il fait commerce de son corps et un "efféminé" parce qu’il est insatiable dans sa quête des plaisirs. Ce que lui reproche Eschine, ce n’est pas son comportement sexuel – il n’est jamais question de sa passivité ou de son activité dans le coït – c’est sa situation de dépendance vis-à-vis des amants chez lesquels il s’est installé, une situation qui est celle d’une femme vis-à-vis de son mari. Timarque est femme parce qu’il est entretenu par Hégésandre, parce que son corps ne lui appartient plus (Eschine, I, 64, 95) et parce qu’il a perdu toute liberté de parler et d’agir. La métamorphose de son amant Hégésandre – il devient homme après avoir été femme – n’a rien de sexuel. Elle est simplement due à un changement de situation économique et de position sociale : après avoir été entretenu par un amant, Hégésandre devient à son tour suffisamment riche pour entretenir à son tour un amant. Un ἑταιρικός citoyen qui impose à son amant des dépenses considérables dans la vie privée doit nécessairement le payer de retour dans la vie publique. Comme le "parasite" (le commensal ἀσύμϐολος, qui ne paye pas son écot) avec son "sponsor" (p. 272), l’ἑταιρικός entretient avec son amant une relation de dépendance politique, ailleurs on dirait de clientèle. Ces deux types de citoyens ne sont libres ni de leur prise de parole, ni de leur vote et sont prêts à soutenir politiquement ceux qui les entretiennent. Ce n’est pas "un schéma coïdal" qui écarte le prostitué de la tribune, mais l’aliénation de sa liberté au bénéfice d’un amant-patron. Timarque, dont l’âge avançait, ne trouvait plus personne pour l’entretenir. Sa passion des plaisirs étant toujours la même, il engloutit la fortune paternelle qui était d’autant plus considérable que son père, pour éviter d’être astreint au service des liturgies (les "dons" que dans l’Athènes démocratique les riches sont dans l’obligation de faire à la communauté) avait transformé une partie de ses "biens apparents" (les biens immobiliers) en "biens cachés" (les réserves monétaires et les prêts à intérêts). Timarque qui a dilapidé son héritage ne peut évidemment pas mettre sa fortune au service de la cité en tant que liturge. Son père était un mauvais riche qui esquivait les obligations attachées à la richesse, il est lui le mauvais citoyen qui a privé la communauté des contributions de la richesse. Sans ressources personnelles, mais toujours assoiffé de plaisirs et d’argent, Timarque profite des charges publiques qu’il assume pour toucher des pots de vin ou commettre des malversations et dévorer l’argent de la communauté. Lorsqu’un tel homme fait partie d’un groupe politique, la relation qu’il établit avec ses compagnons (ἑταῖροι) n’a rien d’égalitaire : ce n’est pas assistance mutuelle à l’assemblée et au tribunal, c’est soumission et service contre avantages. C’est son intempérance qui a fait de Timarque un politicien véreux et vendu qui doit être écarté de la tribune. Pour J. Davidson, c’est en termes politiques qu’il faut analyser l’étrange ménage constitué par Hégésandre et Timarque qui appartiennent tous deux à la mouvance antimacédonienne de Démosthène (p. 274-275). La connexion entre le prostitué qui se vend à son amant et le politicien qui se vend à un "parti" était quelque chose que les juges pouvaient parfaitement comprendre… et qu’ils ont compris puisque Eschine a gagné son procès contre Timarque. Il ressort de cette longue analyse que les juges n’ont pas sanctionné le citoyen Timarque parce qu’il était un homosexuel passif, mais parce qu’il avait perdu, à cause de son intempérance, sa liberté politique, cette faculté de parler, de décider et de juger en son nom qui définit le citoyen dans une cité démocratique.

128Après cette conclusion édifiante sur le Contre Timarque, il reste peu à dire ; mais en compagnie de Pierre Brulé90, nous pouvons observer une évolution historique des exigences sociales de virilité dans l’Athènes classique. Cet auteur nous a accompagné en début de sous-partie, le temps de poser une nette antithèse entre féminin et masculin ; or, après un long développement sur la question de l’ἀνδρεία guerrière (que je n’ai pas retenu pour cette revue critique), il s’interroge : tous les auteurs manifestent-ils la même polarisation extrême, ou cette dernière est-elle l’apanage des « conservateurs », auxquels il rattache Aristophane (nous pouvons ajouter Eschine) ? L’auteur analyse un extrait à cet égard significatif de Thucydide (Histoire de la guerre du Péloponnèse, I, 5-6), où une interprétation de l’Histoire montre que la sortie de la barbarie s’est accompagnée, chez les Athéniens, d’une féminisation, si l’on en croit le vocabulaire utilisé, comme

τρυφή91 et tout ce qui l’accompagne : τρυφερός, τρυφερώτερος : "délicat", "splendide", mais aussi "tendre", et aussi "mou", et puis… "efféminé". […] ἁϐρός : "tendre", "délicat", mais aussi… "efféminé". […] Pour qui s’intéresse à la césure de genre au sein des représentations mentales, le processus athénien que décrit Thucydide apparaît comme une féminisation, mais, à la différence de son contemporain comique d’inversion des valeurs vernaculaires de l’ἀνδρεία, cette féminisation revêt un caractère bénéfique. […] Que des Athéniens […] aient préféré une virilité que l’on dira alors "tempérée" à une hyperbolique ἀνδρεία dont Sparte devenait ainsi la championne toutes catégories, cela paraît clair dans le discours d’un Aristophane, qui mêle "démagogiquement" les images dévalorisantes de la femme, des Sophistes, de certains styles musicaux ioniens, de la "nouvelle éducation", de la nouvelle philosophie, de la nouvelle tragédie à la lâcheté à la guerre et au goût pour des rôles passifs dans l’érotique (sans parler du laisser-aller sur la nourriture et la boisson).

129C’est la richesse qui a permis cette évolution, positive pour certains, car elle relègue à un passé jugé barbare une ἀνδρεία trop rugueuse ; négative pour d’autres, qui y voient la perte des valeurs ancestrales, et prennent Sparte comme modèle (se souvenir à cet égard des § 180-181 du Contre Timarque !).

La société athénienne s’était modifiée dans un sens que Thucydide, d’un côté, pouvait considérer comme un apaisement des rapports interpersonnels nés d’une image pacifiée de l’Autre, et que, de l’autre, Aristophane, ses concurrents et ceux qui les applaudissent jugeaient délétère.

130Il y a donc, malgré les conservateurs, une évolution de l’ἀνδρεία dans l’Athènes classique, d’où sûrement les plaintes récurrentes sur « la jeunesse d’aujourd’hui » telles qu’on peut en lire chez Isocrate… Se plaindre des nouvelles générations est sûrement une activité aussi vieille que l’humanité !

C. La pédérastie, art d’aimer ?

131On a vu que les « théoriciens du phallus », comme les appelle James Davidson, s’accordent à dire que la honte, à Athènes, n’est pas dans l’homosexualité en elle-même, mais dans le fait d’être féminin, c’est-à-dire, dans la sexualité, d’être pénétré (position de la femme). Un citoyen adulte digne de son statut ne saurait le tolérer. Comment alors expliquer la pédérastie, cette relation prisée par des adultes libres qui rencontrent des garçons92, pourtant eux-mêmes libres et enfants de citoyens, à la palestre, pour les séduire ? Pierre Brulé93 nous en parle dans son chapitre VII :

Quoi que les Grecs eux-mêmes en aient dit par ailleurs, il n’est pour cela que de lire, entre autres, […] les Nuées d’Aristophane ou le Charmide, l’Euthydème ou le Lysis (avec la forte ambiance érotique de son début) de Platon pour constater combien les palestres attirent les amoureux des corps nus », et il ajoute en note : « Il s’agit le plus souvent de les voir [], mais il est aussi possible de les palper – sous couvert d’athlétisme, s’entend ! –, comme le prouvent les paroles d’Alcibiade dans le Banquet […]. Depuis bien longtemps (milieu VIe siècle), les jeunes sont ainsi disponibles : "Heureux l’amoureux qui fréquente le gymnase, et, de retour chez lui, dort tout le jour avec un bel enfant" (Théognis, Élégies, 1335-1336).

132Cette séduction, conçue comme une agression, irait pourtant à l’encontre des lois les plus élémentaires, comme le rappelle Danièle Auger94 à propos du mythe de Ganymède enlevé par Zeus :

Le dieu est représenté comme un prédateur. Or dans le cadre des relations très codifiées entre l’éraste plus âgé et le jeune éromène, le consentement du jeune homme est indispensable. Un comportement semblable à celui de Zeus serait, dans la vie quotidienne, sévèrement puni [elle mentionne en note Eschine, Contre Timarque, 15-17] et si l’on veut rester sur le plan du mythe, c’est un crime d’une exceptionnelle gravité […]. On peut se demander si l’apparition de l’aigle dans les documents figurés à partir du IVe siècle n’a pas pour fonction de déplacer sur l’animal, l’oiseau de proie par excellence, le caractère prédateur de l’enlèvement.

133Les mythes et les chants n’aident en effet pas toujours les Grecs à se doter de règles de conduite claires, comme l’atteste encore la mention des relations entre Achille et Patrocle sur le sujet de l’amour homosexuel. Mais restons-en à la pédérastie.

134Michel Feher95, en synthétisant la thèse de Michel Foucault telle qu’elle apparaît dans son Histoire de la Sexualité, donne des clefs pour résoudre les contradictions inhérentes à cette pratique. En effet, d’une part, l’éraste ne peut pas explicitement chercher à imposer son désir tel Zeus avec Ganymède ; ce serait une agression impardonnable d’un enfant de citoyen, en plus d’être une manifestation d’appétit non contrôlé. Il ne peut pas non plus inviter, même aimablement, le garçon à se mettre en position de femme. En effet, pour être considérée comme noble, son affection doit se porter vers des garçons qui manifestent des qualités de futur citoyen – c’est-à-dire la fameuse virilité et tout ce qu’elle implique. Non seulement donc l’éraste doit explicitement justifier son amour par l’admiration qu’il a des belles dispositions naturelles du futur citoyen, mais il doit même, pour montrer la pureté de ses sentiments, orienter ces mêmes dispositions, les guider, les nourrir. Les cadeaux qu’il peut faire visent également, de façon désintéressée, à encourager le garçon.

135J’interviens dans mon propre résumé pour expliquer, à la lumière de ce développement, le § 11 du discours : le chorège, un des seuls autorisés à côtoyer les jeunes enfants, doit avoir quarante ans passés, pour que, s’il ἐντυγχάνῃ les enfants (je vous laisse deviner le double sens de ce mot), il soit au moins quelqu’un qui leur transmette de la sagesse (σωφρονεστάτῃ). La fin du § 11 vante indirectement ce modèle, qui produit des hommes utiles à la cité.

136Je reprends l’article : si l’éraste se contente d’encourager toutes les qualités viriles du garçon en affichant son désintéressement, c’est donc bien à l’initiative de l’éromène qu’est censé avoir lieu le rapport sexuel ; et encore, à condition que ce dernier n’y recherche pas le plaisir, car cela l’efféminerait instantanément ; non, la motivation, pour être noble, doit être qu’il accorde à l’éraste ses faveurs par gratitude eu égard à ses bienfaits. Ainsi seulement l’éraste ne corrompt pas le garçon, ainsi seulement il préserve chez son éromène les qualités qui le rendent digne d’être aimé.

Autrement dit, la plupart des érastes dont la littérature classique a dressé les portraits n’ont pas résolu leur dilemme en optant pour de chastes idylles mais plutôt en cherchant le moyen de préserver l’amabilité des jeunes gens qu’ils se proposent de séduire96.

137Michel Feher ajoute en note :

Telle est du moins la préoccupation qui ressort des discours tenus par Pausanias dans le Banquet de Platon, par l’amant d’Épicrate dans l’Éroticos de Démosthène et par Eschine dans son Contre Timarque.

138Je propose les commentaires que cette lecture me conduit à faire : parmi les multiples ambiguïtés intrinsèques à la pédérastie, on voit que l’amateur de garçons, parce qu’il ne peut pousser à l’acte sexuel l’objet de son affection, prétend ne pas conditionner cette dernière à l’obtention de faveurs qu’il désire pourtant ardemment. Ainsi, Eschine, quand il reconnaît sa prédilection et en fait l’éloge § 135-139, emploie ces mots : « Ὁρίζομαι δ᾽ εἶναι τὸ μὲν ἐρᾶν τῶν καλῶν καὶ σωφρόνων φιλανθρώπου πάθος καὶ εὐγνώμονος ψυχῆς ». Toute l’ambiguïté y est résumée : le verbe « aimer » est ici ἐρᾶν, qui exprime le désir ; cependant il parle d’aimer les êtres « beaux et sages », comme s’il s’agissait de contempler à travers eux des idées platoniciennes. C’est là le fait d’un « cœur bienveillant », d’une « âme généreuse », adjectifs qui éludent d’avance tout soupçon de poursuite d’un intérêt personnel : l’égoïsme est absent, le ἐρᾶν à la fois exprime et sublime le désir, lequel n’est plus que le moteur d’un accompagnement attentionné des jeunes espoirs de la cité. Immédiatement à la suite, on lit « τὸ μὲν ἀδιαφθόρως ἐρᾶσθαί φημι καλὸν εἶναι », où l’adverbe ἀδιαφθόρως, que Bailly traduit « chastement », est en fait très révélateur : prise très littéralement, la phrase signifie en effet « j’affirme qu’il est beau d’être aimé d’une façon non corruptrice. » Le plus visible dans ce § 137, c’est certes l’antithèse appuyée avec la prostitution, qui est placée du côté de la corruption, de la honte, etc. ; mais en inversant la perspective, ce passage est bien aussi une définition et un éloge de la pédérastie idéale.

139Cette dernière, une fois l’éromène arrivé à l’âge adulte, devient, si l’on reprend le fil de la synthèse que fait Michel Feher du propos de Michel Foucault, une φιλία dont la force et la qualité, dans l’idéal toujours, en font l’archétype de l’amitié héroïque, le parangon du ciment social. J’ai pu vérifier qu’Eschine emploie ce mot au § 139, où il explique assez clairement que la φιλία n’est pas pour les enfants, car ils sont incapables de discerner les vrais amis des faux, et qu’il vaut mieux par conséquent réserver ce sujet pour un âge plus avancé : « τοὺς τῆς φιλίας λόγους εἰς τὴν φρονοῦσαν καὶ πρεσβυτέραν ἡλικίαν ἀναβάλλεται ». Les seules autres mentions de φιλία dans le Contre Timarque concernent le couple idéal formé par Achille et Patrocle (§ 133, 142, 146). Je peux donc, pour conclure, abonder dans le sens de Michel Foucault : à supposer que les partisans antiques de la pédérastie soient de bonne foi (ce qui est loin d’être acquis), elle serait la forme la plus sublime d’amour qui puisse exister dans la cité, car elle serait la seule qui exclue la recherche du plaisir pour mieux permettre, dans une intimité privilégiée, la transmission d’une sagesse, et la création in fine d’un lien social et civique renforcé par une affection mutuelle digne des temps homériques.

D. Les femmes, grandes anonymes

140Nous avons abordé sous différents angles la complexité du rapport des hommes athéniens au genre féminin que certains d’entre eux manifestent ou semblent manifester. Nous avons constaté, au passage, avec Thucydide, une certaine évolution de la société, qui a progressivement toléré une marge de moindre virilité dans le comportement du citoyen. Constate-t-on parallèlement, par ricochet, une amélioration de la place de la femme (telles les mères mentionnées aux § 99 et 170 du Contre Timarque) dans cette même société ? L’avis de Maurice Sartre, dans un article consacré aux femmes dans la cité97, est réservé à ce sujet, cité ici par Violaine Sebillotte (2)98 :

L’idéal demeure que les femmes "honnêtes" se montrent le moins possible en public et, lorsqu’elles doivent sortir, le fassent la tête couverte et en compagnie d’une servante. Cet idéal de discrétion va jusqu’à l’ignorance du nom des femmes en dehors de la famille : pour Démosthène, les femmes honnêtes sont celles dont on ne sait pas le nom.

141Violaine Sebillotte ajoute :

Mais cet idéal de discrétion ne peut être atteint par toutes, loin de là. Dans les milieux modestes, la femme travaille souvent aux côtés de son mari, qu’elle l’aide aux champs ou qu’elle soit marchande à l’agora. On connaît le cas de la mère de l’orateur Eschine, qui était marchande de quatre-saisons, ce qui lui vaut les railleries de Démosthène, prompt à faire flèche de tout bois contre son adversaire. Mais dans un plaidoyer conservé sous le nom de Démosthène (Contre Euboulidès), prononcé lors d’un procès en citoyenneté, l’orateur défend avec ardeur la mère de son client, une veuve, en expliquant que la nécessité seule l’a contrainte à se louer comme nourrice avant de vendre des rubans ; mais par respect pour elle, l’orateur évite autant que possible de citer son nom et ce n’est que dans les dernières phrases du plaidoyer que son nom apparaît (Nikarétè) alors qu’il est question d’elle depuis le début. On voit par là que l’idéal de réserve s’impose et que, pour la femme qui s’expose en public, selon les besoins de la cause, l’orateur en tirera soit la preuve de sa bassesse, soit au contraire celle de son courage dans l’adversité. J’ai peine à croire que cela puisse passer pour preuve que la femme athénienne bénéficie d’un statut favorable, lui laissant une certaine liberté d’agir !

142Cette réserve nous permet d’expliquer pourquoi la mère de Timarque (§ 99) n’est pas nommée, alors que tous les hommes concernés par l’affaire le sont.

143On remarque aussi que les témoins convoqués sont uniquement des hommes. Aurélie Damet (3)99 nous procure quelques éclaircissements :

Que les mères athéniennes, en tant que femmes, ne puissent pas ester en justice sans intermédiaire est, on l’a vu, une marque de leur personnalité juridique incomplète. Pour la plupart des spécialistes du droit attique, les femmes ne peuvent pas témoigner en personne mais les plaideurs ont la possibilité d’insérer dans leur discours un témoignage d’une citoyenne garanti par un serment prêté hors du tribunal (Just 1989, p. 33-39). La question du serment comme preuve juridique est d’autant plus intéressante pour notre propos que les témoins prêtent fréquemment serment sur la tête de leurs enfants. Si l’on suit la formulation identique des conclusions de Claude Vial et de Barbara Levick, il semblerait même que, dans le cas des femmes, seules des mères pouvaient prêter un serment, puisque la mention des enfants semble nécessaire.

144En bref, les caractéristiques jugées féminines qui sont constatées chez les hommes préoccupent beaucoup la cité, parce les hommes sont visibles, et leurs vices ont des conséquences sur tous les domaines de la vie de la cité : militaire, politique, économique, judiciaire, religieux ; on en débat, on s’insulte copieusement à ce sujet, on redéfinit régulièrement les limites de la décence. Les femmes, pendant ce temps, ne posent aucun problème, ne suscitent aucun débat, puisqu’elles demeurent invisibles.

Conclusion

145Eschine, en tant que témoin privilégié de son temps, est donc souvent cité dans les articles concernant l’histoire, la politique, la rhétorique et toutes les problématiques anthropologiques et sociales du IVe siècle. La façon dont on étudie ces divers sujets a d’ailleurs beaucoup évolué. L’exemple le plus visible dans la littérature critique est celui des études de genre : grâce à elles, on a pu enrichir la dualité homme-femme par des approches complémentaires telle que la sexualité active-passive et les genres masculin-féminin, dont la combinaison permet de proposer une interprétation cohérente des réactions antiques face aux « débordements », si j’ose dire, dans ces domaines.

146Mais comme l’écrit Francis Larran (2)100, la difficulté est d’« éviter le plus grave des écueils : l’anachronisme. » L’étude du genre dans l’Athènes classique ne risque-t-elle pas en effet d’être biaisée par les enjeux de cette question dans nos cultures actuelles ? L’analyse des positionnements politiques des divers acteurs historiques du IVe siècle est-elle exempte de l’image que nous avons, au XXIe, de la sphère politique, faite de partis et de clientèles ? Quant aux classes sociales, à supposer que le terme lui-même soit pertinent, n’ont-elles pas bien souvent été observées à travers le prisme marxiste, aussi intéressant puisse-t-il être ?

147Si l’on me demandait quelle piste de recherches je jugerais aujourd’hui utile d’explorer davantage, ce serait la question des liens philosophiques et idéologiques entre Socrate, Platon, Isocrate, Xénophon, Démosthène, Eschine, Eubule, Aristote et consorts ; en effet, on a vu, dans la première partie de cette synthèse, qu’après Jacqueline de Romilly les auteurs avaient lutté avec une certaine force de conviction contre l’idée de « parti modéré », voire contre l’idée même d’une différence dans les convictions profondes des deux orateurs rivaux (cf. supra). L’argument de l’opportunisme et de la stratégie rhétorique porte beaucoup de chercheurs à mettre systématiquement en doute la sincérité des orateurs, ce qui est certainement une méfiance légitime, mais qui occulte peut-être trop rapidement les divergences réelles ; or je pense qu’une étude vraiment approfondie, et si besoin élargie à d’autres auteurs et d’autres philosophes contemporains et antérieurs, révélerait des différences significatives entre toutes ces personnalités en ce qui concerne les mots qu’ils utilisent, les nuances de leurs pensées, les références qu’ils font les uns des autres, les idées dont ils sont les relais. Je pense que, pour faire ce travail, il n’est nul besoin de catégories, et qu’on peut étudier, dans le flot de l’histoire des idées, le maillon « Eschine » lui-même pour lui-même et ses connexions aux autres, sans une seule fois recourir aux termes « modéré », « conservateur », « démocrate » ou autre épithète que l’on puisse soupçonner d’anachronisme. Entre deux extrêmes qui sont, d’un côté la distribution forcée des personnalités dans des partis et des écoles, de l’autre la négation de toute divergence idéologique profonde, se trouve un espace qui nous invite à le parcourir encore, celui qui rend à chaque acteur son individualité, son histoire, sa conscience propres, et au-delà des étiquettes, sa participation unique à la grande aventure collective de la cité.

Deuxième partie : Commentaires complémentaires sur le texte

148§ 7 : La fin de ce paragraphe me rappelle ce passage de Maria Vamvouri-Ruffy101, III, 8, où elle cite le Contre Ctésiphon § 75 :

L’inaltérabilité du support [la pierre] donnait à ces textes une certaine solennité tout en leur garantissant une présence permanente dans les lieux publics. À ce sujet, mentionnons les propos éloquents d’Eschine : "la bonne chose (καλόν), citoyens d’Athènes, la bonne chose que la conservation des écrits publics (ἡ τῶν δημοσίων γραμμάτων φυλακή) car ils restent immuables (ἀκίνητον) et suivent dans leur volte-face les transfuges de la politique".

149Rien ne prouve vraiment dans ce paragraphe que les lois mentionnées sont gravées dans la pierre, mais la citation du Contre Ctésiphon est intéressante, surtout si on la met en lien avec ce qui précède dans le Contre Timarque sur la démocratie comparée aux autres régimes (§ 4-6).

150§ 9 : Ce paragraphe est cité par Claude Valentin102 :

L’ancienne éducation donnée aux jeunes Athéniens de sept à quatorze ans concernait essentiellement les garçons qui étaient confiés à des précepteurs, quand la situation économique de la famille était florissante, puis à des maîtres choisis et rémunérés par les parents dans le cadre d’un enseignement collectif, à partir de la fin du VIe siècle av. J.-C. L’éducation était privée et payante. Le siècle suivant voyait l’épanouissement de la παιδεία, qui restera très aristocratique103, à l’inverse du régime politique en place. On attend de l’éducation l’instauration de vertus morales. La législation sur les écoles et les palestres visait à protéger les enfants contre les entreprises de séduction sexuelle des adultes dans le cadre scolaire. À cette fin, les lois scolaires athéniennes étaient strictes. [C’est là qu’il cite ce paragraphe.] […] Cette éducation était tournée vers l’idéal éthique que réunissait le héros grec, homme beau, bon et vertueux. Cet intérêt donné à l’éducation ne préjuge en rien d’une singularité reconnue à l’enfant. "L’éducation était avant tout, pour les Grecs, une construction sociale et culturelle", plus que la maturation d’un sentiment, affirme dans ce sens Bernard Legras. Le héros des récits homériques sert d’exemple104.

151§ 15 : Aurian Delli Pizzi (2)105 utilise ce passage dans un article où il tente de circonscrire ce qu’est une impiété :

Moreover, a comparison between ἀσέβεια and ὕβρις ("outrage") may be helpful, as we find in two rhetorical passages the mention of a "procedural" law against ὕβρις. The first one is in Aeschines, who refers to a law that we do not know (the few lines after λέγε τὸν νόμον are spurious) and summarizes it as such: "In this law it is written explicitly: if someone commits ὕβρις against a child – and indeed the hiring man commits ὕβρις – or a man or a woman, or any free person or slave, and commits something illegal towards one of them, it stipulates that there should be a γραφὴ ὕβρεως and it adds the penalty that he should suffer or pay"106.

152§ 20 : κηρυκευσάτω. Ce paragraphe est cité par Catherine Goblot-Cahen107, qui rapporte, en note p. 280, la scholie :

À Athènes, il y a quatre sortes (ou γένη) de hérauts : la première est celle des hérauts très sacrés des mystères, qui descendent de Kêryx fils d’Hermès et de Pandrose fille de Kékrops ; la deuxième est celle des hérauts qui officient dans les jeux ; la troisième, celle des hérauts qui officient dans les processions ; et la quatrième, celle des hérauts qui officient sur les marchés et pour les ventes.

153Elle fait aussi tout un développement sur les différents genres de hérauts, leurs fonctions et leurs apparences. Mais à quelle catégorie de la scholie Eschine fait-il allusion ici ? La première, certes non, car c’est un groupe fermé et dynastique ; la dernière n’est pas digne d’un citoyen ; la seconde me paraît improbable ici ; resterait la troisième. Ou plus probablement, la scholie est inutile et, dans le contexte immédiat de la phrase, il faut comprendre « porter des messages officiels » en tant qu’envoyé dans d’autres cités, πρεσβευσάτω juste après désignant plutôt une mission de dialogue, une ambassade donc.

154§ 28 : Ce paragraphe est cité par Jean-Baptiste Bonnard (2)108 :

Nous en devons déduire, nous semble-t-il, que dans les mentalités des Grecs de l’époque préclassique qui a vu naître ces mythes [ceux que l’auteur a commentés précédemment], déposséder son père du pouvoir ou enfreindre la γηροτροφία [devoir de subvenir aux besoins élémentaires de ses parents dans leur vieillesse] sont des fautes d’une gravité telle qu’elles méritent la mort, alors que la législation athénienne ne prévoit, depuis Solon, "que" l’ἀτιμία [privation des droits de citoyen] en répression de la κάκωσις γονέων [mauvais traitement ou négligence envers ses parents].

155J’ajoute un extrait supplémentaire riche en détails d’Aurélie Damet (3)109 :

L’Athénien doit à ses parents un respect unanimement reconnu par le droit, la société, les individus et les dieux : l’atteinte à la mère comme au père, figures à "honorer à l’égal des dieux" (Eschine, I, 28), apparaît comme une violence scandaleuse et largement conspuée, à tel point que la sanction d’un tel comportement est minutieusement prévue par la législation athénienne, par le biais d’une procédure particulière, la γραφὴ κακώσεως γονέων. […] Ce forfait est traité par le biais d’une γραφή qui peut être intentée par n’importe quel citoyen athénien (ὁ βουλόμενος). Contrairement aux autres γραφαί concernant les affaires de famille, […] la γραφὴ κακώσεως γονέων n’entraîne pas de pénalité (ἀζήμιος), sous forme d’amende de mille drachmes, dans le cas où celui qui intentait l’action ne remportait pas un cinquième des suffrages. L’esprit de la loi est ici d’encourager au maximum la traque des mauvais fils par la communauté citoyenne et ce sans redouter un possible acquittement. […] La κάκωσις γονέων couvre plusieurs délits à l’encontre des ascendants : le refus de nourriture, μὴ τρέφειν (Xénophon, Mémorables, II, 2, 13 ; Eschine, I, 13 ; Démosthène, XXIV, 107) et de logement, μὴ παρέχειν οἴκησιν (Eschine, I, 13), mais aussi les coups portés aux parents, τύπτειν, et le non-respect des devoirs funéraires, τοὺς τάφους μὴ κοσμεῖν (Xénophon, Mémorables, II, 2, 13 ; Lycurgue, I, 147). Les individus convaincus d’un tel délit encourent la perte des droits civiques, une atimie partielle sans confiscation des biens, l’interdiction de prendre la parole à l’Assemblée, de déambuler sur l’agora et de briguer une magistrature (Voir […] Eschine, I, 28-32). Lysias et Démosthène vont jusqu’à évoquer la peine de mort. Le fils suspecté d’être ingrat ou violent envers son père ou sa mère prend le nom juridique de πατραλοίας et de μητραλοίας. Mais, si la cité encourage bien à dénoncer les mauvais garçons, elle ne permet pas qu’on calomnie un individu sur la base d’une grave accusation de κάκωσις γονέων. Ainsi, ces termes mêmes de μητραλοίας et de πατραλοίας figurent parmi la liste des mots interdits à fin diffamatoire, les ἀπόρρητα : celui qui abusait d’une telle accusation pour insulter un autre citoyen était passible d’un procès, la δίκη κακηγορίας […]. L’absence d’amende pour utilisation abusive de la γραφὴ κακώσεως γονέων, les peines prévues à l’issue de cette accusation publique et enfin la mention des garnements parmi les ἀπόρρητα montrent bien que la cité athénienne considérait l’atteinte aux parents comme un délit particulièrement sérieux, dépassant le strict cadre de l’οἶκος. Ce même principe d’imbrication entre sphère privée et sphère publique s’applique au cas des docimasies, examens préliminaires obligatoires, notamment pour briguer une magistrature athénienne, et qui délivrent un "certificat de bonnes mœurs". À Athènes, parmi les docimasies politiques, quatre examens de contrôle se préoccupent particulièrement des relations familiales et privées de l’impétrant : celui des magistrats, des archontes, des bouleutes et des orateurs. Bon citoyen selon une liste de critères bien précis, le candidat doit être patriote et en règle avec le fisc, en plus d’être un bon fils […] (Aristote, Constitution d’Athènes, XLV, 3 ; LV, 2-3 ; Eschine, I, 28).

156§ 34 : Ce paragraphe est cité par Noémie Villacèque (1)110 qui fait un développement intéressant, lequel peut également concerner d’autres passages du discours :

Le seul tumulte des citoyens assemblés peut faire battre en retraite un orateur, ou même inciter les prytanes à donner l’ordre de l’expulser de la tribune : il peut donc permettre au δῆμος d’imposer massivement son avis [plein d’exemples]. Deux épisodes, déjà évoqués, le confirment : en 425, lorsque Cléon doit accepter la stratégie que lui cède Nicias ; et en 406, lorsque l’Assemblée délibère au sujet de stratèges revenus des îles Arginuses, c’est par le θόρυϐος et non par le vote que le peuple impose sa décision. D’ailleurs, s’ils demandent parfois le silence [références], les orateurs eux-mêmes, tel Démosthène, ne contestent pas la légitimité du θόρυϐος, loin s’en faut [citation, puis références supplémentaires, dont ce § 34]. Ainsi le chahut de l’assemblée relève de l’exercice normal de la liberté de parole et constitue un régulateur du fonctionnement des institutions collectives, tandis que son contraire, le silence religieux de la masse, est le propre des peuples soumis et des régimes autoritaires. […] La tranquillité et le silence semblent être aux régimes oligarchiques ce que le brouhaha est à la démocratie (Platon, Lois, III, 700c 4-d 2). Les adversaires du régime athénien pointent ainsi du doigt une théâtralisation de la politique qui aurait eu lieu à partir de 429 et dont les démagogues seraient les artisans. Face à cette exubérance théâtrale à laquelle se livreraient les démagogues, le peuple, complice, réagit effectivement en spectateur. Loin d’être abrutis par les beaux discours, les citoyens se comportent comme au théâtre, font du tapage, en un mot, participent. Si les adversaires du régime athénien s’exaspèrent du θόρυϐος des assemblées politiques et judiciaires, c’est que celui-ci témoigne de la liberté de parole et de la souveraineté du δῆμος. […] Le δῆμος athénien, loin de se laisser gouverner (ἄρχεσθαι), était souverain (κύριος) : si ce sont en général les citoyens appartenant à l’élite qui prennent la parole à l’Assemblée, et s’ils sont donc un petit nombre à exercer leur droit de parole, le pouvoir de décision revient, de fait, à la masse des citoyens, qui participent nombreux aux assemblées politiques et judiciaires, en dépit de conditions matérielles souvent difficiles. Quand les détracteurs du régime athénien qualifient le δῆμος de spectateur, lui reprochant de confondre la Pnyx ou les tribunaux et le théâtre de Dionysos, ce n’est pas pour l’accuser d’apathie, mais bien au contraire pour déplorer qu’il soit toujours en position de délibération. Dans les tribunaux, des jurys populaires de plusieurs centaines de citoyens écoutaient les parties, puis votaient à bulletin secret, sans délibération préalable, formellement du moins. Dans les faits, celle-ci se déroulait pendant l’audience. De même, à l’Assemblée, les citoyens ne disposaient pas d’un temps spécifiquement réservé à la délibération (Sintomer, 2011, p. 261-263). Ils débattaient entre eux, de façon spontanée, informelle et souvent tumultueuse, alors même que les orateurs prononçaient leurs discours à la tribune, avant de voter à main levée. […] Où qu’ils s’assemblent, les Athéniens forment un "public délibérant", pour reprendre l’heureuse formule de Bernard Manin (2011, p. 107)111.

157§ 40 : On se rappelle en lisant ce paragraphe les propos de Nicolaus cité par Ruth Webb (cf. supra, I, D), à savoir qu’Eschine préfère parfois suggérer des informations plutôt qu’en donner la liste précise, pour ne pas donner l’impression fâcheuse qu’il a obtenu ces renseignements d’un peu trop près. C’est un exercice d’équilibriste entre dire assez (pour convaincre) mais pas trop (pour éviter de se salir au passage).

158§ 64 : ἡσυχίαν ἔσχεν. Je ne pense pas qu’il y ait de l’ironie dans ce passage (le « εὖ ἐβουλεύσατο » semble sincère), donc ἡσυχία ici, c’est sûrement le silence, c’est-à-dire l’arrêt des poursuites judiciaires que Pittalacos intentait à Hégésandre. C’est pourtant une occasion pour moi, complètement arbitraire, de parler de l’ἡσυχία comme idéal philosophique et civique de la tranquillité d’esprit (la maîtrise de soi et l’attitude qui conviennent à un citoyen). D’après Paul Demont112, cette ἡσυχία est « un topos des plaideurs dans l’éloquence attique », qui « est fait pour donner une image positive de soi dans la démocratie ». Il cite même Eschine et Démosthène :

Se présenter comme un simple particulier est utile pour se défendre, et que cela peut servir de déguisement même pour un orateur professionnel comme Eschine. Car […] Eschine est en fait évidemment condamnable de se présenter comme un ἰδιώτης [simple particulier], alors qu’il est capable de surgir brusquement comme orateur professionnel, comme Démosthène le dit haut et fort en vitupérant sa conception frelatée et gangrenée de la tranquillité [ἡσυχία].

159Malheureusement les références précises manquent (lesquelles renverraient de toute façon à d’autres discours que le Contre Timarque). Même s’il n’y a aucun lien avec ce paragraphe précis, ces considérations peuvent en réalité éclairer notre lecture du Contre Timarque. Dans le § 141 par exemple, avec le ἡμεῖς Eschine s’inclut dans le δῆμον qu’il va donc représenter en matière de culture littéraire, ce qui le met en valeur en tant qu’ ἰδιώτης. Quant à la tranquillité en tant que maîtrise de soi digne d’un citoyen, elle est contenue en creux dans beaucoup de ses propos.

160§ 73 : νὴ τὸν Ποσειδῶ. Christian Bouchet113 commente cette « invocation surprenante » :

Νὴ τὸν Ποσειδῶ renvoie à la comédie et inscrit ainsi tout le développement qui va suivre dans le registre du rire. En effet, cette expression est fréquente chez Aristophane, qui l’emploie à 19 reprises. Si, le plus souvent, elle n’intervient que pour ponctuer un discours, elle peut aussi constituer par elle-même un élément comique, comme dans les Nuées, 83114.

161§ 77 : διαψηφίσεις. Jean-Baptiste Bonnard (1)115 cite ce paragraphe :

En 445/4 un διαψηφισμός (révision des registres des démotes [citoyen athénien membre d’un dème]) est pratiqué à Athènes pour savoir qui peut prétendre bénéficier du don de blé du pharaon Psammétique : "Lorsque le roi d’Égypte envoya au peuple un présent de quarante mille médimnes de blé et qu’il fallut en faire le partage aux citoyens, une foule de procès furent, en vertu de cette loi, intentés aux bâtards, qui jusqu’alors passaient inaperçus et échappaient à l’attention" (Plutarque, Périclès, XXXVII, 4) ; en 403-2 un décret d’Antiphon et Nicoménès rendit sa vigueur à la loi de Périclès116, ce qui indique qu’elle n’était pas rigoureusement appliquée auparavant (Athénée, 577b) ; en 346 le décret de Démophilos ordonna un autre διαψηφισμός (Eschine, Contre Timarque, 77).

162Eschine évoque donc ici un événement civique rare (le contrôle rigoureux des registres de citoyens) à la symbolique forte.

163§ 101 : Pour expliquer la stratégie du père de Timarque, il faut rappeler (cf. supra) que, depuis Solon, l’appartenance à une classe sociale et par conséquent l’éligibilité à une charge publique se décident non sur la richesse totale (le capital) mais sur la richesse produite (les diverses sources de revenus). En revendant des domaines qui lui rapportent beaucoup, le père grossit son capital, mais diminue ses revenus, et c’est ce dernier point qui compte pour esquiver les charges. C’est en tout cas mon interprétation ; James Davidson (cf. supra) en propose une différente, mais qui n’est pas incompatible : le père a « transformé une partie de ses "biens apparents" (les biens immobiliers) en "biens cachés" (les réserves monétaires et les prêts à intérêts). »

164§ 111-112, et 164 : Andrew Wallace-Hadrill117 nous donne des précisions sur cette récompense :

La composante essentielle du système honorifique athénien – et qui éclaire le mieux l’analogie avec le sport – était la couronne (στέφανος). Le débat de 330 av. J.-C. entre Eschine et Démosthène sur la couronne apporte des indications précieuses. […] Nous pouvons relever différents points. L’attribution des honneurs était contrôlée par la loi attique. Elle existait à tous les niveaux de la πόλις : tout corps législatif (dème, φυλή, βουλή, δῆμος) pouvait décerner une couronne. Les récipiendaires étaient des compatriotes aussi bien que des étrangers, d’autres πόλεις et leurs citoyens. La récompense saluait un don, un geste qui dépassait les devoirs d’un bon citoyen ; toutefois, à mesure qu’ils se banalisèrent, les honneurs furent peu à peu attribués à des magistrats, des prêtres, des organisateurs de jeux, des éphèbes, etc. Enfin, on attachait beaucoup d’importance aux circonstances : le théâtre à la période des Dionysies était très prisé en raison des foules d’étrangers et de citoyens qu’il attirait. Cette récompense avait une valeur purement symbolique : certes, la couronne était d’ordinaire en or, mais la loi exigeait qu’elle soit dédiée à la déesse Athéna.

165La couronne n’était pas la seule récompense ni la plus prestigieuse (il y avait également le Prytanée, les Hermès etc.), mais c’était l’honneur le plus courant.

166§ 114 : Le serment de Timarque est décrit par plusieurs termes ici. Il y a d’abord l’ordinaire, ὀμόσας, « ayant juré ». Pierre Brulé118, dans son chapitre XV, écrit : « Déméter appartient à la triade du serment "officiel" à Athènes, où elle figure en troisième rang après Zeus et Apollon (ainsi le serment des héliastes dans Démosthène, C. Timokratès, 151, avec Poséidon en lieu et place d’Apollon). ». Certains jurent aussi sur leurs enfants, d’après Aurélie Damet (3)119, mais Timarque n’en a guère…

167On constate ensuite des termes plus puissants : τὴν ἐξώλειαν ἐπαρασάμενος ἑαυτῷ. Le verbe est un composé d’ἀρᾶσθαι signifiant « faire des imprécations », et ἐξώλειαν est la destruction. Catherine Darbo-Peschanski120 remarque en effet dans son article que le sacrifice, qui est une consécration, c’est-à-dire qu’on voue aux dieux un objet ou un animal, se fait toujours par destruction partielle ou totale de cet objet ou de cet animal. Qu’en est-il donc quand on se met soi-même en jeu dans un serment ?

On ne s’étonnera pas que lorsqu’on se voue entièrement, ce soit sur le mode de la consécration funeste et que le vœu prenne alors la forme d’une imprécation. C’est essentiellement le champ lexical d’ἀρᾶσθαι qui sert dans ce registre. À l’époque classique, par "les grandes et fortes imprécations", l’agent du vœu appelle sur lui-même, sur sa lignée et sur toute sa maison, l’ἐξώλεια autrement dit la destruction totale (nom à rattacher au verbe ἐξόλλυμι : être entièrement détruit, détruit sans reste) ou demande à être ἐξώλης (anéanti).

168Eschine fait donc une gradation pour insister sur la ferveur avec laquelle Timarque a juré, et faire un contraste d’autant plus fort avec le parjure qui suit directement. Quant à l’objectif d’un tel serment :

L’imprécation […] appelle sur chaque acteur le danger de la destruction […]. Il s’agit en effet pour les juges de se décharger sur la partie à laquelle ils ont donné la victoire des dangers de l’imprécation au cas où celle-ci aurait commis un parjure.

169Reste à savoir si Timarque avait vraiment besoin pour le procès dont Eschine parle de faire des imprécations que la chercheuse associe à des situations extrêmes telles que des procès pour homicides ; ou s’il en a fait davantage que nécessaire. Comme il jure sur τὰ ἱερά, je serais tenté de dire que l’imprécation a sa place ici, et que le but de la gradation dans les participes est surtout le choc qu’Eschine a préparé avec la proposition principale.

170§ 125 : De ces Hermès, qui sont des statues honorifiques, Pauline Schmitt-Pantel (2)121 fait un signe de l’acte privé (ἴδιον) qui a une portée publique (δημόσιον).

L’exemple le plus abouti d’une consécration privée de statues par un homme politique athénien du Ve siècle célébrant un acte civique est sans doute l’autorisation donnée par le peuple à Cimon de consacrer trois Hermès en marbre après la victoire d’Eion (en 470-469 av. J.-C). [Puis Plutarque est cité au sujet des inscriptions glorieuses qui figurent sur chaque Hermès.] Eschine dans le Contre Ctésiphon [§ 183] fait explicitement allusion à cette histoire en précisant que "le peuple leur accorda des honneurs qui passaient à cette époque pour insignes : l’érection de trois Hermès de pierre dans le portique des Hermès, à condition qu’on n’y inscrirait pas leurs noms, pour éviter que l’inscription ne parût glorifier ces stratèges plutôt que la nation (δῆμος)". […] Ces dédicaces sont faites par un particulier mais au nom de la cité : le δῆμος a sans doute voté un décret. Les thèmes des inscriptions sont intéressants, replaçant la victoire d’Eion dans le continuum des actes héroïques des Athéniens. La première inscription évoque la victoire contemporaine, la seconde en fait un modèle pour le futur, la troisième la rattache au passé héroïque des Athéniens, depuis la guerre de Troie, soit depuis les origines de l’histoire. Depuis toujours et pour toujours en quelque sorte les Athéniens sont des maîtres en fait de gloire et de vaillance. Permettre à un citoyen d’offrir des Hermès commémorant une victoire collective, c’est bien inscrire une pratique de dédicace privée au cœur du processus public de la formation de l’idéologie civique démocratique. De plus ces Hermès sont consacrés sur l’agora, lieu δημόσιον par excellence.

171§ 131 : Cité par Jérôme Wilgaux122 :

Les orateurs attiques ne disent pas autre chose : les vêtements portés peuvent être critiqués s’ils sont trop luxueux ou paraissent efféminés [référence : Eschine, Contre Timarque 131], mais ce sont avant tout l’allure générale, la démarche, la voix, le comportement en public, sur l’agora ou à l’assemblée, qui sont soumis à l’examen et stigmatisés : ainsi en est-il de Midias, auquel Démosthène reproche "l’attitude, le regard, le ton de la voix" (τῷ σχήματι, τῷ βλέμματι, τῇ φωνῇ), mais aussi ses cris, ses vociférations, ou le fait qu’il ne puisse rester calme et garder ses bras le long de son corps.

172Il ajoute en note :

Le calme et la dignité des "orateurs de l’ancien temps", dont les mains restaient dissimulées sous le manteau, sont volontiers opposés au débraillement et à la gestuelle désordonnée des démagogues. Cf. Eschine, Contre Timarque 25-26 ; Démosthène, Sur les forfaitures de l’ambassade 23, 251-252 et 255 ; Aristote, Constitution des Athéniens XXVIII, 3 ; Plutarque, Nicias VIII, 6 ; Plutarque, Phocion IV, 3-4. Le même topos se retrouve dans la littérature latine.

173§ 138-139 : Passage cité par Florence Gherchanoc (1)123 :

Les activités athlétiques sont, pour [les Grecs], des "mœurs" (ἐπιτηδευμάτων) et des "occupations naturelles" (τῶν ἐκ φύσεως ἀναγκαίων). Aussi, à Athènes, la loi interdit-elle aux esclaves de s’exercer nus (γυμνάζεσθαι) et de se frotter d’huile (ξηραλοιφεῖν) dans les palestres [références en note : Eschine, Contre Timarque 138 ; Plutarque, Solon I, 6]. Autrement dit, comme pour l’esclave (cf. aussi Artémidore I, 62 et 54), les exercices et les concours gymniques lui sont interdits. Autrement dit, le corps d’un esclave ne peut et ne doit surtout en aucun cas rivaliser avec celui d’un citoyen. La nudité athlétique lui est interdite. Défense est ainsi faite aux esclaves de pratiquer une activité gymnique (elle-même associée au fait de s’oindre le corps), ainsi que "d’être amoureux d’un garçon de condition libre ou de le suivre, sous peine de recevoir publiquement cinquante coups de fouet" [référence en note : Eschine, Contre Timarque 139], autre privilège du mâle adulte athénien. Le corps du citoyen est idéalisé, son comportement normé. Instrumentalisé, son corps est censé incarner des valeurs civiques et grecques. Parallèlement, le corps de l’esclave, la conduite de ce dernier et, en particulier, l’usage qu’il peut faire de son corps témoignent de son statut d’inférieur [Ajout en note : Cette règle, dans l’Athènes classique, s’applique sans doute également aux bâtards et aux métèques, bref à tous les non citoyens]. De telles dispositions concernent tous les ἄτιμοι, qu’ils fussent citoyens ou non. Elles sont connues pour Athènes à l’époque classique [En note : Contre ceux qui se prostituent : Eschine, Contre Timarque 13, 19, 21, 29, 51, 52, 160, 163 et 165].

174§ 163 : καταλευσθήσεται, « sera lapidé ». À propos de ce genre de châtiment, Laurent Gourmelen124 écrit :

Comme la lapidation, la précipitation tend à anéantir entièrement la victime […] : il s’agit de nier l’ennemi, de refuser son existence même.

175§ 166-169 : Au sujet de ce passage sur le jeune Alexandre, nous trouvons, dans l’article d’Élias Koulakiotis125, un long développement qu’il est profitable de lire en entier :

Même si l’argumentation du discours concerne pro forma la vie privée de Timarque et même si l’affaire de l’ambassade ne se tient qu’en arrière-plan, on peut aisément comprendre que plus que Timarque c’est Démosthène, le véritable ennemi, qui est visé. Le nom d’Alexandre n’est cité qu’en passant (§ 166-169), dans la partie du discours où Eschine, dans son intention d’éviter la participation de Démosthène au procès en tant que défenseur de Timarque, essaye de convaincre les juges de l’exclure de la procédure et d’imposer à Timarque de se défendre lui-même. Cela est, bien sûr, un indice de la crainte d’Eschine pour la droiture oratoire et politique de Démosthène. Il est caractéristique que dans sa démarche, Eschine identifie Démosthène à Timarque : d’après lui, Démosthène est lui aussi un prostitué (§ 131 : "Βάταλος, κίναιδος"), et par conséquent lui non plus n’a aucun droit de parler devant la cour, et encore plus d’entreprendre (en tant que logographe), la défense d’un autre : K. Dover, Greek Homosexuality, Londres, 1978, p. 19-57. Et pourtant, Eschine sait bien que Démosthène va non seulement intervenir, mais essayer de faire passer la discussion du plan civique au plan politique. C’est pourquoi il essaye de retracer l’argumentation potentielle et les artifices oratoires de Démosthène126.

176L’auteur, on le voit, n’évoque pas la possibilité, pourtant très possible, qu’Eschine ait rajouté des développements ultérieurement, pour la publication du discours sous forme écrite. Mais ce n’est pas son propos : il s’interroge sur la stratégie à l’œuvre ici.

Le chef du clan antimacédonien, selon Eschine, va tout faire pour présenter le procès contre Timarque comme une action menée par Eschine afin de prouver son amitié pour Philippe et Alexandre, et sa haine pour Démosthène (§ 169) : "Si, dans le Conseil, j’ai blâmé Démosthène, ce n’était pas pour faire ma cour au jeune prince, mais dans la pensée que, si vous approuviez les procédés de mon adversaire, notre ville paraîtrait rivaliser d’inconvenance avec cet orateur". Mais Démosthène, continue Eschine, ne va pas seulement accuser Philippe, ce qui est habituel et ce à quoi on peut s’attendre ; il ira plus loin, en exposant ses méchancetés et ses calomnies contre son fils Alexandre, qui avait alors onze ans, et cela sous une forme inacceptable (§ 166-167) : "Mais s’il introduit dans son exposé des développements sans rapport avec le procès et capables de compromettre les droits de notre état, nous pourrons à juste titre nous en indigner… Et lorsqu’il insinuera, en un langage détourné, d’odieux soupçons au sujet du fils, il couvrira notre cité de ridicule." Ce qui irrite le plus Eschine est que Démosthène, un débauché dépourvu de toute virilité, se moque d’un enfant avec des paroles équivoques (μεταφοραῖς ὀνομάτων). Nous retiendrons essentiellement dans cette digression les "calomnies" de Démosthène contre le petit Alexandre : "II (se. Démosthène) affirme qu’en entendant les railleries adressés par lui au jeune Alexandre (παιδὸς Ἀλεξάνδρου), je me suis mis en colère comme si j’étais un des proches du prince, et non pas un simple membre de l’ambassade. Il a prononcé cette allégation récemment, ce certain jour où il entretenait le Conseil du jeune homme, racontant comment celui-ci avait joué de la lyre dans un banquet, récité des tirades et échangé des répliques avec un autre garçon (ῥήσεις καὶ ἀντικρούσεις), et faisait ainsi part aux membres du Conseil de tout ce qu’il pouvait connaître sur ce sujet" (§ 168). Or, cette phrase sur les échanges peut avoir une signification aussi bien physique que verbale. Il n’est pas facile d’interpréter exactement ce que Démosthène entendait par là et quel jeu de mots il voulait faire, mais le simple fait qu’il utilise un langage peu clair et insinuant, ayant le caractère d’une offense (σκώμμασιν), nous amène à l’hypothèse que la connotation de ce commentaire est sans doute sexuelle. Eschine nous le laisse entendre, quand il présente les attaques démosthéniennes comme des soupçons malhonnêtes (αἰσχρὰς ὑποψίας), et quand il réagit contre ces calomnies, "comme s’il était un parent et non un envoyé". Un autre élément qui nous conduit dans cette direction est le sujet même du discours. La vie privée de Timarque, qui était seulement le prétexte du procès, aurait donné à Démosthène la possibilité d’argumenter sur le même plan contre ses adversaires. Et ces derniers ne sont pas seulement Eschine et Philippe, mais également Alexandre. Ce n’est que dans un tel contexte que le commentaire de Démosthène sur la vie privée d’Alexandre serait justifié. Si notre interprétation est juste, nous avons ici, pour la première fois, une allusion à la vie intime d’Alexandre, et plus précisément à son homosexualité127.

177On voit comment l’auteur met en évidence la double cible de ces allusions de Démosthène : Eschine, qui n’est pas crédible en attaquant Timarque, vu ses propres mœurs (homosexualité déréglée à la macédonienne) ; et Alexandre le dépravé (et à travers lui toute la Macédoine, Philippe en tête). Reste à savoir, avec Élias Koulakiotis toujours, comment un citoyen athénien écoutant Démosthène comprenait les sous-entendus.

Que pouvait signifier pour les Athéniens d’entendre qu’un enfant de cet âge avait des "relations sexuelles" ? À l’époque, Alexandre venait d’accéder au stade où chaque adolescent noble (παῖς) pouvait devenir l’ἐρώμενος d’un homme adulte. Cela était valable non seulement à Athènes et dans d’autres cités grecques, mais également en Macédoine. Il est vrai qu’il s’agit ici du fils du roi, mais, comme cela a été bien montré, ce rite de passage était connu à la cour de Pella. Mais ce n’est pas le cas de la relation entre ἐρώμενος et ἐραστής qu’Eschine décrit : il parle de deux παῖδες qui jouent successivement le rôle actif et passif (ῥήσεις καὶ ἀντικρούσεις). Apparemment, ce dernier cas pouvait choquer les Athéniens qui, officiellement du moins, rejetaient un tel comportement en dehors du cadre moral, social, politique, voire culturel de la cité, où un jeune homme devait passer d’un stade d’activité sexuelle passive (παῖς) au stade supérieur, actif et viril (νεανίσκος puis νέος). De telles pratiques sexuelles caractérisaient le monde sauvage et barbare. Voilà ce que Démosthène voulait évoquer devant le public athénien et ce ne serait pas, d’ailleurs, la première fois qu’il noircissait les mœurs de la cour macédonienne128.

178J’ajoute une interprétation. Eschine écrit que Démosthène disait au Conseil « ce que lui-même se trouvait savoir sur ce sujet » (καὶ περὶ τούτων ἃ δή ποτε αὐτὸς ἐτύγχανε γιγνώσκων). Ce segment est a priori inutile : ne sous-entendrait-il pas que Démosthène s’y connaît bien, justement, en matière d’« échanges » homosexuels ?

179§ 169 : À propos du conflit entre l’intérêt privé et l’intérêt général, j’ajoute ici un extrait d’Alain Duplouy129 :

Pareille tension entre intérêts individuels et civiques se perçoit en effet à d’autres moments de la carrière de Périclès, notamment lorsque les troupes péloponnésiennes s’apprêtent à envahir l’Attique pour la première fois en 431. Comme le rapporte Thucydide (II, 13, 1), le stratège se méfia alors du tort que pourrait lui causer face à ses concitoyens les relations d’hospitalité qu’il entretenait avec Archidamos. […] De la même manière, un siècle plus tard, Démosthène […] reprocherait à Eschine d’avoir accordé plus de prix à sa φιλία avec Philippe II qu’au salut de sa cité, alors que lui se félicitait d’avoir préféré le bien commun des Grecs aux cadeaux du roi de Macédoine. Pour Gabriel Herman, deux idéologies concurrentes sont ici en jeu : l’une, archaïque et prépolitique, privilégie les relations entre hôtes de même condition, l’autre, née de la vie en cité, voit les intérêts communs des citoyens passer devant.

180§ 170 : Aurélie Damet (3)130 cite ce paragraphe dans un développement plus général à propos de la place des femmes dans la société athénienne, où les veuves constituent une exception notable :

La mère de Démosthène compte bien sur le succès judiciaire de son fils afin de récupérer une fortune familiale qui permettrait entre autres de marier et doter la sœur de l’orateur […] : ces précisions apportées par Démosthène sont assez inédites dans le sens où les sources insistent d’habitude sur le rôle du père ou du frère, des figures masculines, dans l’organisation économique d’un mariage et de l’octroi de la dot au futur époux. Kléoboulè présente la particularité d’être une mère veuve, une situation qui, semble-t-il, induit une indépendance certaine dans la gestion de l’οἶκος (Mossé 1989 ; Cudjoe 2010, p. 57-85). C’est précisément ce que remarque Eschine, dans sa diatribe venimeuse contre Timarque et Démosthène, en évoquant les mères affranchies par le décès de leur époux [citation]. Ainsi que le remarquent Schaps (1979, p. 15-16 et n. 104, p. 117) et Cudjoe (2010, p. 80), cette assertion n’a pas de valeur légale en soi mais laisse entrevoir une situation de fait courante à Athènes, à savoir le rôle non négligeable de mères veuves dans la sphère économique.

181§ 173 : Si l’on admet que l’appellation « sophiste » est péjorative et qu’Eschine est sincère (ce qui est, on le sait, très loin d’être assuré), ce paragraphe peut surprendre de la part d’un élève de Platon qui a repris en partie, cf. supra, les positions de son maître en matière de politique grecque. Donc soit il s’est éloigné de Platon pour se rapprocher d’Isocrate, ce qui est cohérent avec sa position pro-macédonienne présente, soit il feint. Dans tous les cas, Franco Ferrari131 nous rapporte un commentaire de Zina Giannopoulou132 sur ce paragraphe :

Eschine nell’orazione Contro Timarco (composta nel 345) etichetta Socrate come "sofista", individuando la ragione della condanna da parte della democrazia da poco tornata al potere nel suo coinvolgimento nell’educazione di Crizia, uno dei leaders del governo oligarchico dei Trenta Tiranni (Tim. 173). L’attribuzione a Socrate dell’appellativo di "sofista" riecheggia, come noto, l’immagine del filosofo che percorre le Nuvole di Aristofane e alla quale Socrate stesso allude all’inizio dell’Apologia.

182§ 183 : Florence Gherchanoc (2)133 cite ce paragraphe à propos des pratiques vestimentaires lors des fêtes de la cité :

Dans un contexte rituel où une parure luxueuse signale le statut honorable des femmes, c’est l’absence de ces ornements qui caractérise les femmes licencieuses. Ainsi, on attribue à Solon, archonte en 594 avant notre ère à Athènes, la décision d’avoir interdit aux femmes adultères de revêtir des ornements et de prendre part aux célébrations de la cité. Si elles n’obéissaient pas, elles étaient dépouillées de leurs belles parures : [citation d’Eschine]. Ne pas s’habiller de belles parures, notamment dans les fêtes de la cité, est une marque infamante, un signe d’atimie. Cette mesure est politique puisqu’elle vise celles qui compromettent par leur comportement la reproduction du corps civique134.

183§ 186 : τοῖς παισὶ καὶ τοῖς μειρακίοις. Eschine insiste sur la nécessité d’éduquer les enfants en tant que futurs bons citoyens. Ceci dit, même s’il parle d’enfants, c’est bien à des adultes que s’adresse son discours. C’est donc une façon indirecte d’éduquer les adultes sans heurter leur fierté. C’est ce que Lycurgue souhaite faire aussi, si l’on en croit Vincent Azoulay (1)135 :

Lui qui était alors [vers 330] âgé d’une soixantaine d’années entendait se transformer en père bienveillant, soucieux de l’éducation des Athéniens : comme l’a souligné S. Humphreys, Lycurgue ne s’adresse désormais plus à des citoyens actifs, participant à la défense de la cité à la guerre et aux assemblées en temps de paix, mais à des éphèbes qui demandent encore à être guidés et éduqués.

184Eschine n’est pas paternaliste à ce point, mais l’orateur est souvent proche de jouer le rôle d’un professeur de démocratie, ou d’un guide moral, ou d’un répétiteur d’Homère etc. ; il doit donc, pour compenser, souvent exhorter l’assemblée à s’affirmer en tant qu’hommes qui ne s’en laissent pas compter par le premier prétentieux venu. On n’est pas à un paradoxe près…

185§ 190-191 : Jusqu’à présent, Eschine n’a parlé des dieux que pour blâmer ceux qui mentent aux juges malgré le serment. Là, il minimise le rôle des dieux dans les catastrophes. Doit-on en déduire une spécificité d’Eschine dans son positionnement religieux ? Ce positionnement est-il partagé par ses contemporains ? Je donne la parole à Aurian Delli Pizzi (1)136, dans son compte-rendu sur un article de Gunther Martin137 :

En conclusion, chez Démosthène, les références religieuses constituent rarement un argument en soi, mais servent à étayer des critiques d’ordre politique, civique ou social, tandis que d’autres orateurs se montrent plus prolixes en critiques proprement religieuses [exemples de Lysias et de Lycurgue]. En revanche, Eschine accorde peu d’importance à ce rôle divin mais insiste davantage sur l’idée de souillure et associe impiété et immoralité. […] L’auteur conclut de ces différents cas de figure que la manière dont les arguments religieux sont traités dépend du statut de l’orateur : Lycurgue, dont l’autorité en matière religieuse est reconnue en vertu des charges qu’il a exercées, peut davantage se permettre d’insister sur le rôle des dieux dans la punition du coupable, alors qu’Eschine, qui ne jouit pas de la même autorité, n’évoque pas les dieux eux-mêmes. En réalité, pour ce type de discours, les orateurs ont des motifs qui leur sont propres, en fonction de leur position dans la communauté, et qu’ils appliquent quelle que soit la situation. L’utilisation de ces motifs diffère donc peu selon le contexte. De même, le statut des orateurs peut leur imposer certaines limites à ne pas transgresser, afin d’emporter l’approbation du public : décrire en détail un dieu et son rôle n’est pas à la portée de tous.

Notes de bas de page numériques

1 Je remercie Jacqueline Assaël, professeure à l’Université Nice Sophia Antipolis (Université Côte d’Azur, CTEL), pour sa relecture méticuleuse.

2 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », Revue des Études Anciennes, t. 81, 1979, n° 1-2, p. 19-36, lien.

3 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », p. 22.

4 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », Revue des Études Grecques, t. 67, f. 316-318, 1954, p. 327-354, lien.

5 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », p. 327.

6 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », p. 327.

7 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », p. 329.

8 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », p. 21-22.

9 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », p. 337.

10 On retrouve cette idée au § 26 : αἰσχυνθέντας ὑπὲρ τῆς πόλεως, εἰ τοιούτοις συμβούλοις χρώμεθα, « qui avaient honte de la cité, si nous utilisons de tels conseillers » et au § 167 : quand Démosthène se ridiculise en public, καταγέλαστον τὴν πόλιν ποιεῖ, « il rend la cité ridicule ».

11 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », p. 337-338.

12 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », p. 339-343.

13 Jacqueline de Romilly, « Les modérés athéniens vers le milieu du IVe siècle : échos et concordances », p. 353-354.

14 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », p. 30.

15 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », p. 31.

16 Eschine, Sur l’ambassade infidèle, § 69.

17 Démosthène, Sur les forfaitures de l’ambassade, § 145.

18 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », p. 34.

19 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », p. 36.

20 Slobodan Dusanic, « Platon, la question messénienne et les guerres contre les Barbares », Esclavage, guerre, économie en Grèce ancienne, Pierre Brulé et Jacques Oulhen (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1997, coll. « Histoire », p. 75-86, lien.

21 Claude Mossé, « L’entourage des πολιτευόμενοι : clientèle privée ou factions politiques ? », Individus, groupes et politique à Athènes de Solon à Mithridate, Jean-Christophe Couvenhes et Silvia Milanezi (dir.), Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2007, p. 133-139, lien.

22 Patrice Brun, « Les ἐπιεικεῖς à Athènes au IVe siècle », Individus, groupes et politique à Athènes de Solon à Mithridate, Jean-Christophe Couvenhes et Silvia Milanezi (dir.), Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2007, p. 141-153, lien.

23 George Law Cawkwell, « Eubulus », Journal of Hellenic Studies, t. 83, 1963, p. 47-67.

24 Claude Mossé, La fin de la démocratie athénienne, Presses Universitaires de France, 1962, p. 226.

25 Joele Sadourny, « À la recherche d’une politique ou les rapports d’Eschine et de Philippe de Macédoine de la prise d’Olynthe à Chéronée », p. 34-36.

26 Jean-Marie Bertrand (1), « Mélanges experts et pouvoir dans l’Antiquité (III). Réflexions sur l’expertise politique en Grèce ancienne », Revue historique, n° 620, 2001, p. 929-964, lien.

27 Jean-Marie Bertrand (1), « Mélanges experts et pouvoir dans l’Antiquité (III). Réflexions sur l’expertise politique en Grèce ancienne », p. 933 et p. 940.

28 Ruth Webb, « Eschine et le passé athénien : narration, imagination et construction de la mémoire », Cahiers des études anciennes, t. 46, 2009, p. 129-147, lien.

29 Francis Larran (2), dans « Théomnestos au tribunal ou l’injure comme arme du citoyen », Cahiers « Mondes anciens », 2014, en ligne, lien, nous permet de faire des connexions entre Solon et d’autres personnalités historiques souvent utilisées dans les discours : « Les dérapages des démagogues athéniens qui ont sévi lors du conflit [la guerre du Péloponnèse] permettent effectivement aux Athéniens du IVe siècle d’opposer le modèle idéalisé de l’ancien orateur au maintien grave et solennel, à l’image de Solon, d’Aristide, de Thémistocle, de Miltiade ou de Périclès, à son contre-modèle détestable bâti à partir du personnage de Cléon. » Sophie Gotteland (2), dans « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », Revue des Études Grecques, t. 119, juillet-décembre 2006, p. 588-608, lien, pense d’ailleurs qu’Eschine fait lui aussi indirectement référence à Cléon quand il parle de Démosthène : « dans le portrait qu’il nous dresse de lui à la tribune, ici et ailleurs, on pense beaucoup plus au personnage de Cléon. Ce dernier, lui aussi, est présenté comme un orateur qui crie, qui menace, qui gesticule. » Et elle cite Thucydide, Aristophane et Aristote pour appuyer cette dernière affirmation.

30 Solon, mort en 558, est considéré, par ses réformes, comme le père de la démocratie athénienne, et il était compté parmi les Sept Sages, avec la devise « Rien de trop » (Μηδὲν ἄγαν). Il abolit l’esclavage pour dettes, fit une réduction de dettes privées et publiques, et affranchit les terres de certains paysans de redevances. Concernant les réformes politiques, il mit en place le tribunal du peuple, l’Héliée. Tous les citoyens eurent accès aux jurys. Les jurys étaient constitués par tirage au sort. Le tribunal est principalement une cour d’appel. Aristote considère qu’il était déjà le lieu du contrôle des magistrats par le peuple. Il étendit le droit de défense et d’accusation à n’importe quel citoyen. Il écrivit un nouveau code de lois, qui concernent ce que les catégories modernes nomment droit privé, droit criminel et procédure légale. Ce qu’on appelle généralement les « classes soloniennes » existaient avant Solon. Mais ces quatre classes furent désormais définies par un critère de richesse, plus exactement, le critère pour être éligible fut fondé sur la fortune produite (à distinguer du capital), et non plus sur la naissance. Seules les trois premières classes, autrement dit les plus riches, peuvent accéder aux magistratures. En revanche, toutes les classes ont accès à l’assemblée du peuple et au tribunal. L’élection des magistrats ayant probablement lieu à l’Assemblée du Peuple, l’on peut considérer que dès Solon, le suffrage était universalisé parmi les citoyens, et c’est un point important pour comprendre la genèse de la démocratie à Athènes. La procédure d’accès à l’archontat semble combiner élection préalable puis tirage au sort. Mais pour l’ensemble des magistratures, c’est bien l’élection qui semble avoir la prépondérance. Par ailleurs, Solon aurait créé le conseil des 500. Son existence est controversée. Les oligarques du IVe siècle ont pu être tentés, pour légitimer leurs réformes, d’inventer un passé : ils réalisaient ainsi le retour à la « constitution des anciens ». Il faut attendre Plutarque pour avoir des renseignements sur ses attributions. Ce conseil aurait eu des fonctions probouleumatiques, autrement dit, il aurait été chargé d’introduire les débats à l’assemblée du peuple, exactement comme le conseil des cinq cents (la Boulè) que créa Clisthène par ses réformes de 508. Concernant l’Aréopage, Plutarque attribue sa création à Solon, tout en nuançant lui-même son propos. Quant à Aristote, il pense que l’Aréopage existait avant Solon – mais Aristote, suspecté d’être plutôt oligarque, n’est peut-être pas enclin à ajouter du mérite à une telle figure de la démocratie.

31 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », Revue des Études Grecques, t. 119, juillet-décembre 2006, p. 588-608, lien.

32 On remarquera la formulation qui illustre bien l’analyse de Ruth Webb ci-dessus.

33 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », p. 597.

34 Démosthène, Sur les forfaitures de l’ambassade, 252 et 255.

35 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », p. 598.

36 Catherine Psilakis, « Comment une élégie de Solon influence l’écriture de Démosthène dans son discours Sur les forfaitures de l’ambassade (251-256) », Poètes et orateurs dans l’Antiquité. Mises en scène réciproques, Hélène Vial (dir.), Presses Universitaires de Clermont, 2013, coll. « ERGA/Recherches sur l’Antiquité », p. 89-102, lien.

37 Francis Larran, « Théomnestos au tribunal ou l’injure comme arme du citoyen », Cahiers « Mondes anciens », 2014, en ligne, lien.

38 Sophie Gotteland, « Rumeur et politique dans la cité grecque à l’époque classique », Hypothèses, t. 1, f. 4, 2001, p. 267-279, lien.

39 Sophie Gotteland, « Rumeur et politique dans la cité grecque à l’époque classique », p. 267-268.

40 Sophie Gotteland, « Rumeur et politique dans la cité grecque à l’époque classique », p. 269-270.

41 Sophie Gotteland, « Rumeur et politique dans la cité grecque à l’époque classique », p. 271.

42 Malgré ces distinctions très claires qui tendent à laver la vraie rumeur anonyme de tout soupçon, les fausses rumeurs existent, et c’est Démosthène qui le déplore : « certains d’entre nous déambulent dans les rues et disent que Philippe, de concert avec les Lacédémoniens, travaille à détruire Thèbes et à dissoudre la fédération des cités ; d’autres qu’il a envoyé des ambassadeurs au grand roi ; d’autres encore qu’il fortifie des cités en Illyrie ; […] chacun d’entre nous déambule dans les rues en inventant des nouvelles ». Et les citoyens sont trop influençables, « individus plongés dans un profond sommeil, incapables de réagir, comme s’ils avaient bu de la mandragore ou absorbé quelque autre drogue ». Pour lui, ces fausses rumeurs sont issues d’individus corrompus, la corruption étant son principal leitmotiv.

43 Sophie Gotteland, « Rumeur et politique dans la cité grecque à l’époque classique », p. 274.

44 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », Ktèma, n° 35, 2010, p. 315-328.

45 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », p. 315.

46 Ce serait essentiellement F. R. Wüst dans Philipp II von Makedonien und Griechenland in den Jahren von 346 bis 338, Munich, 1938, p. 47-49.

47 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », p. 316.

48 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », p. 316.

49 L’auteur ne pense pas, en effet, que l’interdiction de rire soit une loi ; il y voit plutôt une règle de conduite.

50 L’auteur donne en exemple οἰκόπεδα (constructions) et λάκκοι (citernes) qui rappellent ὀρχίπεδα (le bas-ventre et les testicules) et λακκόπεδα (les bourses), mais avance que d’autres jeux de mots et sous-entendus obscènes nous échappent.

51 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », p. 321.

52 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », p. 326.

53 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », p. 327.

54 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », Revue des Études Grecques, t. 119, juillet-décembre 2006, p. 588-608, lien.

55 Je précise quelques repères chronologiques : Aristote est contemporain d’Eschine et Théophraste, né en 371, est l’élève du premier.

56 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », p. 590-591.

57 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », p. 593.

58 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », p. 600.

59 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », p. 601.

60 Sophie Gotteland, « La sirène et l’enchanteur : portraits croisés d’Eschine et de Démosthène à la tribune », p. 608.

61 Sandrine Bueche, « Vox, conditio sine qua non… », Langages et métaphores du corps dans le monde antique, Jérôme Wilgaux et Véronique Dasen (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, coll. « Histoire », p. 107-117, lien.

62 Fernand Delarue, « Pathétique et Grand Style à Rome (premiers siècles avant et après J.-C.) », Émotions et discours, Michael Rinn (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, coll. « Interférences », p. 21-35, lien.

63 Éléonore Salm, « Écouter l’orateur dans le monde gréco-romain », Pallas, t. 98, 2015, p. 199-213, lien.

64 Fernand Delarue, « Cicéron et l’invention du regard », L’information littéraire, t. 56, 2004, p. 32-41, lien.

65 Françoise Frontisi-Ducroux, Du masque au visage, aspects de l’identité en Grèce ancienne, Paris, Flammarion, 1995, p. 63.

66 Fernand Delarue, « Cicéron et l’invention du regard », p. 37.

67 Pierre Chiron, « La bête et l’histrion », Philologia. Mélanges offerts à Michel Casevitz, Pascale Brillet-Dubois et Édith Parmentier (dir.), Lyon, Maison de l’Orient, 2006, p. 169-179, Collection de la Maison de l’Orient méditerranéen, lien.

68 Pierre Chiron, « La bête et l’histrion », p. 169-170 et note 33 p. 178-179.

69 Catherine Saint-Pierre : « Compte-rendu sur Noémie Villacèque, Spectateurs de paroles ! Délibération démocratique et théâtre à Athènes à l’époque classique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, 432 p. », Revue historique, n° 675, 2015, p. 667-669, lien.

70 "Tumulte" ; voir aussi mes notes sur le § 34, dans l’Annexe.

71 Catherine Saint-Pierre : « Compte-rendu sur Noémie Villacèque, Spectateurs de paroles ! Délibération démocratique et théâtre à Athènes à l’époque classique », p. 669.

72 Vincent Azoulay, « Lycurgue d’Athènes et le passé de la cité : entre neutralisation et instrumentalisation », Cahiers des études anciennes, t. 46, 2009, Marie-Rose Guelfucci (dir.), Action politique et écriture de l’histoire I, p. 149-180, lien.

73 Manuel Sanz Morales, « El Homero de Esquines », L’antiquité classique, t. 70, 2001, p. 49-67, lien.

74 Jean-Fabrice Nardelli, « Citations épiques chez les orateurs attiques : le cas d’Eschine », Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce archaïque, t. 7, 2003, p. 355-377, lien.

75 Je remercie Nicolas Bertrand, professeur à l’Université Nice Sophia Antipolis, qui a confirmé et nourri ces interrogations.

76 Vincent Azoulay et Aurélie Damet, « Paroles menaçantes et mots interdits en Grèce ancienne : approches anthropologiques et juridiques », Cahiers « Mondes anciens », 2014, en ligne, lien.

77 Jean-Marie Bertrand, « À propos de l’identification des personnes dans la cité athénienne classique », Individus, groupes et politique à Athènes de Solon à Mithridate, Jean-Christophe Couvenhes et Silvia Milanezi (dir.), Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2007, p. 201-214, lien.

78 Adele Christina Scafuro, « Witnessing and false witnessing : proving citizenship and kin identity in fourth-century Athens », Athenian Identity and Civic Ideology, Baltimore, 1994, p. 156-197.

79 Noémie Villacèque, « Ta mère ! Insulte et généalogie à la tribune démocratique », Cahiers « Mondes anciens », 2014, en ligne, lien.

80 Francis Larran, « Théomnestos au tribunal ou l’injure comme arme du citoyen », Cahiers « Mondes anciens », 2014, en ligne, lien.

81 Aurélie Damet, « La domination masculine dans l’Athènes classique et sa remise en cause dans les crises intrafamiliales », Siècles, f. 35-36, 2012, en ligne, lien.

82 Violaine Sebillotte-Cuchet, « Régimes de genre et Antiquité grecque classique (Ve-IVe siècles av. J.-C.) », Annales. Histoire, Sciences Sociales, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 2012/3, p. 573-603, lien.

83 Violaine Sebillotte-Cuchet, « Régimes de genre et Antiquité grecque classique (Ve-IVe siècles av. J.-C.) », p. 578-579.

84 Patrice Brun, « Les ἐπιεικεῖς à Athènes au IVe siècle », Individus, groupes et politique à Athènes de Solon à Mithridate, Jean-Christophe Couvenhes et Silvia Milanezi (dir.), Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2007, p. 141-153, lien.

85 Cela nous rappelle tout le développement d’Eschine dans le Contre Timarque § 28-31

86 Cf. les prétéritions évoquées dans la partie précédente, c’est-à-dire l’art de reprocher à l’autre ce que l’on pratique soi-même assidûment.

87 Pierre Brulé, La Grèce d’à côté, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, lien.

88 James Davidson, Courtesans and Fishcakes. The Consuming Passions of Classical Athens, Londres, Harper & Collins, 1997.

89 Claudine Leduc et Pauline Schmitt-Pantel, « Prostitution et sexualité à Athènes à l’époque classique. Autour des ouvrages de James Davidson et d’Elke Hartmann », ProstituéEs, Christine Bard et Christelle Taraud (dir.), Clio. Histoire, femmes et sociétés, n° 17, Belin, 2003, p. 137-161, lien.

90 Pierre Brulé, La Grèce d’à côté, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, lien.

91 Cf. § 105 du Contre Timarque.

92 La παιδεραστία concerne les παῖδες, c’est-à-dire les moins de 18 ans, puisqu’à 18 ans ils deviennent ἔφηϐοι jusqu’à 20 ans. J’ai suivi là les arguments de Jules Labarbe, La Loi navale de Thémistocle, Liège, Presses universitaires de Liège, 1957, chapitre II, lien ; car en réalité les sources se contredisent sur les différents âges légaux dans l’Athènes classique ; mais qu’ils devinssent éphèbes à 16, 17 ou 18 ans, les jeunes Athéniens libres ne jouissaient de leurs pleins droits de citoyens qu’à la fin de l’éphébie.

93 Pierre Brulé, La Grèce d’à côté, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, lien.

94 Danièle Auger, « Ganymède dans la poésie grecque : une histoire sans paroles », Véronique Gély (dir.), Ganymède ou l’échanson. Rapt, ravissement et ivresse poétique, Nanterre, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2008, p. 37-54, lien.

95 Michel Feher, « Les laboratoires de l’amour. Le dilemme de l’éraste. », Vacarme, n° 29, 2004, p. 110-117, lien.

96 Michel Feher, « Les laboratoires de l’amour. Le dilemme de l’éraste », p. 111.

97 Maurice Sartre, « Prière d’Hippolyte à Zeus ou les femmes dans la cité », Histoires grecques, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 125-135.

98 Violaine Sebillotte, « Les noms de femmes chez Démosthène : respect, pudeur, exceptions (selon M. Sartre) », site Eurykleia, 2014, en ligne, lien.

99 Aurélie Damet, « Le statut des mères dans l’Athènes classique », Cahiers « Mondes anciens », 2015, en ligne, lien.

100 Francis Larran, « Théomnestos au tribunal ou l’injure comme arme du citoyen », Cahiers « Mondes anciens », 2014, en ligne, lien.

101 Maria Vamvouri-Ruffy, La fabrique du divin, Maria Vamvouri-Ruffy (dir.), Liège, Presses universitaires de Liège, 2004, coll. « Kernos suppléments » n° 14, lien.

102 Claude Valentin, « La fabrique de l’enfant », Revue d’éthique et de théologie morale, t. 249, 2008, p. 71-117, lien.

103 Il semble opposer implicitement l’image du collectif que donne l’idée de démocratie et les modèles d’exceptionnalité, enseignés aux enfants, qu’offre une poésie de l’héroïsme épique ou à la manière de Pindare, par exemple.

104 Claude Valentin, « La fabrique de l’enfant », p. 78-80.

105 Aurian Delli Pizzi, « Impiety in Epigraphic Evidence », Kernos, t. 24, 2011, p. 59-76, lien.

106 Aurian Delli Pizzi, « Impiety in Epigraphic Evidence », p. 74.

107 Catherine Goblot-Cahen, « S’habiller et se déshabiller en Grèce et à Rome (II). Le héraut entre l’éphèbe et le satyre », Revue historique, 2007, n° 642, p. 259-283, lien.

108 Jean-Baptiste Bonnard, « Au nom du père : la malédiction paternelle en Grèce ancienne », Cahiers « Mondes anciens », 2014, en ligne, lien.

109 Aurélie Damet, « Le statut des mères dans l’Athènes classique », Cahiers « Mondes anciens », 2015, en ligne, lien.

110 Noémie Villacèque, « Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l’Athènes classique », Participations, n° 3, De Boeck, 2012, p. 49-69, lien.

111 Noémie Villacèque, « Chahut et délibération. De la souveraineté populaire dans l’Athènes classique », p. 63-65.

112 Paul Demont, « Socrate et l’ἀπραγμοσύνη chez Platon », Études platoniciennes, 2009, p. 43-54, lien.

113 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », Ktèma, n° 35, 2010, p. 315-328.

114 Christian Bouchet, « Rire devant l’Aréopage ? (Eschine, I, 84) », p. 320.

115 Jean-Baptiste Bonnard, « Un aspect positif de la puissance paternelle : la fabrication du citoyen », Alexandre le Grand, religion et tradition, Paris-Athènes, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales (Daedalus), 2003, coll. « Mètis », p. 69-93, lien.

116 Pour accéder à la citoyenneté avec cette nouvelle loi de 451, il faut être fils de père citoyen mais également, de mère ayant eu un père citoyen. Cette réforme montre en fait des préoccupations sociales et démographiques, Périclès craignant sûrement que l’accroissement progressif du nombre de citoyens depuis les réformes clisthéniennes n’entraîne irrémédiablement un fonctionnement de plus en plus mauvais des institutions.

117 Andrew Wallace-Hadrill, « Arcs de triomphe romains et honneurs grecs : le langage du pouvoir à Rome », Rome, les Césars et la ville, Nicole Belayche (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, coll. « Histoire », p. 51-84, lien.

118 Pierre Brulé, La Grèce d’à côté, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, lien.

119 Aurélie Damet, « Le statut des mères dans l’Athènes classique », Cahiers « Mondes anciens », 2015, en ligne, lien.

120 Catherine Darbo-Peschanski, « La contrainte du vœu », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 1998, en ligne, lien.

121 Pauline Schmitt-Pantel, « Les pratiques religieuses dans la construction de l’image des hommes politiques athéniens du Ve siècle avant J.-C. : de l’ἴδιον au δημόσιον », Ἴδια καὶ δημόσια, Les cadres "privés" et "publics" de la religion grecque antique, Véronique Dasen et Marcel Piérart (dir.), Liège, Presses Universitaires de Liège, 2005, coll. « Kernos suppléments » n° 15, p. 83-97, lien.

122 Jérôme Wilgaux, « De l’examen des corps à celui des vêtements, les règles de civilité en Grèce ancienne », S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales (Daedalus), 2008, coll. « Mètis », p. 57-74, lien.

123 Florence Gherchanoc, « Nudités athlétiques et identités en Grèce ancienne », S’habiller, se déshabiller dans les mondes anciens, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales (Daedalus), 2008, coll. « Mètis », p. 75-101, lien.

124 Laurent Gourmelen, « Le meurtre des hérauts perses (Hérodote, VII, 133-137) : écrire et réécrire l’histoire », Récits d’ambassades et figures du messager, Gérard Jacquin (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, coll. « Interférences », p. 21-45, lien.

125 Élias Koulakiotis, « Devenir adulte, un défi perdu pour Alexandre. Sur quelques témoignages des orateurs attiques », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen Âge, t. 112, f. 1, 2000, p. 13-26, lien.

126 Élias Koulakiotis, « Devenir adulte, un défi perdu pour Alexandre. Sur quelques témoignages des orateurs attiques », p. 14-15.

127 Élias Koulakiotis, « Devenir adulte, un défi perdu pour Alexandre. Sur quelques témoignages des orateurs attiques », p. 15-17.

128 Élias Koulakiotis, « Devenir adulte, un défi perdu pour Alexandre. Sur quelques témoignages des orateurs attiques », p. 17.

129 Alain Duplouy, « Du voisinage à la sphère internationale : cercles de collectivité et niveaux d’énonciation des modes de reconnaissance sociale dans l’Athènes classique », Individus, groupes et politique à Athènes de Solon à Mithridate, Jean-Christophe Couvenhes et Silvia Milanezi (dir.), Tours, Presses universitaires François-Rabelais, 2007, p. 35-55, lien.

130 Aurélie Damet, « Le statut des mères dans l’Athènes classique », Cahiers « Mondes anciens », 2015, en ligne, lien.

131 Franco Ferrari, « Zina Giannopoulou, Plato’s Theaetetus as a second Apology », Études platoniciennes, 2015, en ligne, lien.

132 Zina Giannopoulou, Plato’s Theaetetus as a Second Apology, Oxford University Press, 2013.

133 Florence Gherchanoc, « Beauté, ordre et désordre vestimentaires féminins en Grèce ancienne », Costumes, Sophie Cassagnes-Brouquet et Christine Dousset-Seiden (dir.), Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 36, Belin, 2012, p. 19-42, lien.

134 Florence Gherchanoc, « Beauté, ordre et désordre vestimentaires féminins en Grèce ancienne », p. 33-34.

135 Vincent Azoulay, « Lycurgue d’Athènes et le passé de la cité : entre neutralisation et instrumentalisation », Cahiers des études anciennes, t. 46, 2009, Marie-Rose Guelfucci (dir.), Action politique et écriture de l’histoire I, p. 149-180, lien.

136 Aurian Delli Pizzi, « Gunther Martin, Divine Talk. Religious Argumentation in Demosthenes », Kernos, 2010, p. 384-386, lien.

137 Gunther Martin, Divine Talk. Religious Argumentation in Demosthenes, Oxford University Press, 2009.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Jean-François Vivicorsi, « Eschine, Contre Timarque : essai de bilan critique », paru dans Loxias, 59., mis en ligne le 27 janvier 2018, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8867.


Auteurs

Jean-François Vivicorsi

Étudiant à l’Université Nice Sophia Antipolis.