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Cécile Vilvandre  : 

La saynète d’entreprise : une mise en abîme décalée et humoristique du monde du travail

Résumé

Par l’adaptation au public qu’il implique, le théâtre d’entreprise s’adresse au plus près de la réalité des spectateurs avec le verbatim, les tabous et les rites du milieu professionnel dont ils procèdent. C’est cette connivence avec le public qui le rapproche essentiellement du théâtre de boulevard. Dans cette modalité dramatique les éléments matériels de la représentation sont réduits au strict minimum, tout repose par conséquent sur le texte, la mise en scène et les comédiens. L’objectif de la saynète d’entreprise est de faire en sorte que le spectateur se reconnaisse dans ce qui est joué devant lui, grâce à l’effet miroir qui facilite cette prise de conscience. Il s’agit donc d’un outil émotionnel de « mise à distance » de sujets délicats qui sont relativisés par l’humour, et dans le même temps, de prise de conscience et de remise en question individuelle.

Abstract

By the adaptation of the audience it involves, Business theatre reflects as precisely as possible the reality of spectators with the verbatim, taboos or rites of the workplace they come from. The complicity with the audience is mainly what brings Business theatre closer to Boulevard plays. In this theatrical proposal, stage performance is reduced to a minimum, and it all rests on the scripts, humour, and inventive actors who, through gesture and other non-verbal skills, can interpret a wide range of roles and emotions. So the purpose of Business theatre is to ensure that the employees of a company recognize themselves thanks to its “mirror effect” that encourages a much greater awareness. It is, therefore, an emotional tool used as a vector for mirroring and distancing the performance at the same time. This type of (live) theatre is used to teach conflict management and conflict resolution. 

Index

Mots-clés : didactisme , entreprise, humour, satire, théâtre

Keywords : business , didactic tool, humour, satire, theatre

Plan

Texte intégral

Le théâtre d’entreprise est né dans les années dix-neuf cent quatre-vingts, en France à l’initiative de Michel Fustier, et simultanément au Canada avec Christian Poissonneau, chacun ayant fondé sa propre société de théâtre d’entreprise. De formation littéraire, M. Fustier a travaillé au sein d’une firme de produits chimiques pendant trente ans comme directeur administratif, puis de l’extérieur comme consultant chez des clients de toutes professions. Il a, par ailleurs, écrit de nombreux ouvrages techniques, notamment sur la créativité. Dans sa recherche d’outils de formation innovants, il comprend qu’à une époque où la formation est devenue un élément essentiel de son progrès, l’entreprise peut tirer du théâtre un effet positif pour son propre fonctionnement. Il écrit alors de courtes pièces sur la vie professionnelle, qui sont autant de miroirs dans lesquels les salariés de l’entreprise – cadres et employés confondus – se voient reflétés. En 1986, un de ses amis, René Drouin, ingénieur dans une grosse société métallurgique, entend à la radio une de ses pièces intitulée Pertes et profits ou le mystère des coûts cachés. Il lui téléphone car il veut absolument que cette pièce soit jouée lors du prochain congrès de l’Association Française pour la Qualité qu’il est chargé de préparer. Rapidement la pièce est montée et, lors du congrès en question le succès est immédiat. Les congressistes sont conquis par l’intérêt du thème abordé, la justesse des propos et le recours à l’humour. C’est ainsi qu’est né en France le théâtre d’entreprise. Par la suite M. Fustier publie certaines de ses pièces dans deux ouvrages L’entreprise mise en pièces… de théâtre (1989) et Sept comédies aigües (1991), et représente, à travers la France, un catalogue de plus de cinquante pièces avec sa société Théâtre et congrès qu’il a créée à Lyon.

De son côté Christian Poissonneau fonde Théâtre à la carte en 1984 alors qu’il exerçait comme comédien au Québec. Une amie, également comédienne, lui propose d’intervenir dans le cadre d’un colloque en milieu scolaire. Il s’associe à un groupe de comédiens et rencontre des professionnels de l’enseignement. À la suite d’entretiens et d’une enquête de terrain, il écrit un scénario qui met en scène la réalité quotidienne de ces enseignants. L’intervention théâtrale est également un succès car elle marque les esprits et ses moments forts restent en mémoire. Ainsi encouragé par les effets positifs du théâtre qu’il pratiquait en milieu scolaire, il développe une activité de théâtre en entreprise au Canada, avec Théâtre à la Carte (TAC), société qu’il exportera en Ile-de-France en 1991. De part et d’autre nous observons que le nom que respectivement M. Fustier et C. Poissonneau ont choisi pour leur société définit bien l’orientation du théâtre qu’ils offriraient à l’entreprise : d’un côté Théâtre et Congrès offre un théâtre « sur catalogue » ou « clé en main », qui conserve une valeur générale et qui prendra naissance lors d’un congrès, et d’un autre, un théâtre à la carte ou encore « sur mesure », c’est-à-dire des pièces écrites pour un commanditaire, et traitant d’un problème spécifique concernant sa société. Nous voici donc face à deux types d’écriture de saynètes qui se démarquent d’autres pratiques de théâtre en entreprise interactives comme le micro-socio théâtre, la clown analyse, le théâtre-forum et le théâtre-action parmi tant d’autres. En ce qui les concerne, les saynètes de commande ou « sur mesure » répondent, comme leur dénomination l’indique, à une problématique spécifique à une entreprise, et se différencient des pièces dites de catalogue, ou encore « clé en main », conçues au gré de l’inspiration de l’auteur, dans une optique de recherche sur un sujet de la sphère professionnelle. En effet ces dernières sont générales car elles peuvent être adaptées à toutes sortes d’organisations ou d’institutions. En dehors de M. Fustier et de C. Poissonneau, précurseurs du théâtre d’entreprise, retenons aussi comme auteurs reconnus de scénarios d’entreprise, les noms de Philippe Détrie, auteur d’une étude qui fait depuis référence1 sur le sujet, Jean-Louis Rapini de la célèbre société de théâtre d’entreprise Guichets fermés, et Laurent Lesavre qui a aussi récemment publié un ouvrage2 sur cette modalité théâtrale. Mais la distinction entre théâtre « clé en main » et théâtre « sur mesure » n’est pas définitive car le théâtre « sur mesure » termine souvent par rejoindre les catalogues de saynètes que les sociétés de théâtre d’entreprise offrent aux organisations dans le cadre de leurs actions de formation et de communication interne. Selon la définition que propose Laurent Lesavre, le théâtre d’entreprise consiste en « la mise en scène orientée sur une problématique dans un contexte d’entreprise pour attirer l’attention sur la problématique en question et encourager une attitude favorisant le changement 3 ». Ces pièces portent généralement sur des thèmes managériaux qui relèvent de l’actualité d’une organisation. Elles ont pour vocation d’amener le public à réfléchir sur son propre vécu, en abordant des sujets sensibles de la sphère professionnelle. Par l’adaptation au public qu’il implique, le théâtre d’entreprise permet de s’adresser au plus près de la réalité des spectateurs avec leur langage, les rites, les anecdotes historiques du milieu professionnel dont ils procèdent. En ce sens cette modalité théâtrale se rapproche du théâtre de boulevard tel que l’analyse Stanislas Chollat : « c’est un genre de l’immédiateté [qui] divertit et rassemble sans diviser4 ». L’objectif de la saynète d’entreprise est de faire en sorte que le spectateur se reconnaisse dans ce qui est joué devant lui, grâce à l’effet miroir qui favorise cette prise de conscience. Il s’agit donc d’un outil émotionnel de « mise à distance » de sujets délicats qui sont relativisés par l’humour, et qui dans le même temps, facilite une remise en question individuelle. Tout comme le théâtre de boulevard parisien a présenté à une société bourgeoise le miroir de sa morale, la saynète d’entreprise tend à son public le miroir de ses propres revers. En ce sens moralisme, didactisme, primauté du sujet sont les traits qui rattachent le théâtre d’entreprise au théâtre de boulevard. Par ailleurs la primauté du discours de ce théâtre, avec ses orientations stratégiques pour faire passer un message, ou pointer un problème, ne laisse guère de place à l’exploitation de catégories proprement théâtrales telles que l’espace, le temps, les objets ; ni surtout aucune autonomie aux personnages qui ont des caractéristiques identifiées, des objectifs contradictoires, des obstacles et donc un conflit dont il faut réussir à sortir. Pour finir nous observerons que la saynète d’entreprise est un théâtre satirique, un théâtre humoristique pour désamorcer les conflits qui, comme dans le théâtre de boulevard, est « le reflet de notre société avec le choix d’en faire rire plutôt que pleurer », comme le déclare encore Pierre Barillet5.

La tradition du théâtre de Boulevard a souvent ramené la comédie dans le cadre de la maison du riche bourgeois et fait du décor de cette maison et de ses mœurs des objets de théâtre reconnus. Comme le souligne Michel Corvin :

Il intervenait directement dans les problèmes du temps (divorce, émancipation des filles), prenait parti, préconisait des solutions […]. […] Le théâtre va se faire l’écho et plus encore l’amplificateur et l’anticipateur de ces remuements profonds : la position d’un Brieux, d’un Bataille, d’un Hervieu est ouvertement féministe6.

Depuis l’Antiquité il y a toujours eu dans le théâtre une tradition d’intervention sociale qui a contribué à poser et à tenter de résoudre les problèmes des sociétés. Dorénavant le théâtre s’intéresse aux affaires de l’entreprise tout comme il se mêle des affaires de la société. Laurent Lesavre a défini comment le théâtre peut soutenir le changement au sein de l’entreprise :

Cela va du simple éveil de l’attention des publics à la suggestion des voies de changement. Pour nous rapprocher d’objectifs dits de communication, on peut constater des objectifs de nature cognitive – qui apportent de la connaissance aux cibles, de nature affective, qui modifient l’opinion, la perception des cibles – et de nature conative – qui incitent à un comportement7.

Pour citer quelques-uns des exemples qu’il propose, dans le but de sensibiliser son public, le théâtre peut présenter une situation qui permettra à celui-ci de prendre conscience d’un élément de sa vie professionnelle, comme la concurrence qui n’est parfois perçue que théoriquement par un service qui n’est pas directement en contact avec la clientèle. Poursuivant un objectif affectif, il peut aussi illustrer des réalités délicates à exprimer pour rassurer le public sur un phénomène et inverser une crainte en motivation positive. Finalement dans un but conatif, pour inciter au changement, il développe une formule proche du théâtre-forum avec une implication du public qui pourra réagir et dire aux comédiens comment rejouer la scène.

En fin de compte le théâtre d’entreprise est un théâtre de quasi immédiateté, qui va à l’essentiel, car il transpose à la scène des événements et des images que les spectateurs côtoient tous les jours, ce qui justifie le minimalisme de sa facture : la boîte noire, quelques éléments de décor qui rappelle symboliquement l’univers professionnel, tout repose sur le jeu du comédien, son corps et sa parole. C’est une forme d’art transportable, susceptible d’aller à la rencontre du spectateur dans les lieux d’exercice de la vie professionnelle – ateliers, salles de réunions, bureaux, centres de congrès –. Comme le souligne M. Fustier :

N’était-il donc pas possible d’opérer un nouveau transfert et de faire de l’entreprise, des machines de l’entreprise, de ses méthodes, de ses règles, de son langage d’aussi valables objets de théâtre… Les passions dans l’entreprise sont après tout aussi fortes que dans la maison bourgeoise, si ce n’est plus, les intérêts encore plus puissants, quantitativement et qualitativement, les cultures infiniment plus variées, les conflits d’une intensité sans égale, l’enjeu – la production d’une civilisation – sans commune mesure… Les « feux de l’amour », lieu commun favori du théâtre classique, y brillent eux-mêmes parfois avec beaucoup d’éclat et de liberté8.

M. Fustier évoque dans de courtes pièces d’une durée de vingt à cinquante minutes, les thèmes qu’il a bien connus. Le sujet principal d’une majorité de ses pièces est la qualité, sujet d’actualité dans les années 1980. Mais ses saynètes touchent aussi à un grand nombre d’autres thèmes, ce qui permet de les utiliser dans d’autres circonstances, c’est pour cette raison qu’elles ont été définies comme des pièces de catalogue. Par exemple dans Pertes et profits ou le mystère des coûts cachés sont évoqués la motivation, le problème de la promotion du personnel d’exécution, les coûts cachés (absentéisme, turn-over, grèves), les connaissances de ceux qui sont sur le tas, le chef capable de se remettre en cause et l’impact de la formation.

Dans la majorité des cas les saynètes d’entreprises sont des comédies bien agencées qui tendent au conservatisme. À ce propos il ne faut pas oublier que « le théâtre d’entreprise n’est pas une fin en soi. Il ne cherche pas une finalité générale, c’est un instrument au service d’une finalité d’entreprise9 ». Comme le rappellent Christian Poissonneau et Isabelle Moisan, l’enjeu de ce théâtre est d’« ouvrir un canal de communication10 » avec les collaborateurs d’entreprise. Même si l’intervention théâtrale doit être validée par le commanditaire, pour répondre à un objectif que le scénariste aide à définir avec précision, souvent en collaboration avec un comité de pilotage issu de l’entreprise, « le principe d’équilibre est essentiel »11 : les membres de l’entreprise sont invités à négocier leurs divergences dans cet espace intermédiaire que constitue le dispositif dramaturgique en prise direct sur la réalité : les paroles dites peuvent être (re)tenues, grâce aux images du théâtre, entendues par le groupe en audience et travaillées dans un échange. Donc cette modalité dramatique ne saurait se réduire à la volonté du seul commanditaire :

En définitive, le théâtre d’entreprise ne peut pas servir uniquement les intérêts des dirigeants, ce qui se retournerait contre eux. Il porte en lui une nécessité de dialogue entre les différentes strates de l’entreprise et en crée les conditions. Pour être entendu de l’Autre, il faut l’entendre d’abord. Voici ce qui pourrait résumer la vocation du théâtre en entreprise12.

En premier lieu, nous verrons que la saynète d’entreprise suit le schéma dramaturgique classique du théâtre de boulevard, agencée pour les besoins de la démonstration.

Un schéma dramaturgique traditionnel 

Dans ce théâtre l’action est unique et progresse sans qu’aucune péripétie secondaire n’interfère. De prime abord, le titre de la pièce de M. Fustier, Le Maillagement13, produit du télescopage entre « management » et « maillage », indique à lui seul qu’il s’agit d’une sorte de moralité illustrant quelle doit être la bonne gestion d’entreprise. En l’absence de son père parti passer ses vacances en Afrique et capturé par des « rebelles », Brigitte se voit subitement contrainte de lui succéder à la tête de la société. Pour ce faire elle devra mettre à profit le savoir-faire de tout son personnel et appliquer ainsi un nouveau style de management très efficace à savoir, comme le souligne l’auteur, « le management participatif ». Au moment où débute l’action, on apprend que Monsieur Chatard, gardé prisonnier pendant treize mois sans aucun contact avec les siens, vient d’être libéré par ses ravisseurs, et sa fille Brigitte le tient au courant du sort qu’a subi l’entreprise familiale depuis son absence. Cette pièce, qui commence in media res, repose principalement sur la discussion de ces deux personnages – père et fille – qui s’affrontent, s’interrogent et s’expliquent. La saynète est divisée en dix sections. La narration suit ainsi une ligne et c’est le lien entre les sections, leur succession qui s’ordonne dans le sens d’une tension et d’une progression. Dès son entrée (section I), Chatard est totalement désorienté et abasourdi : il ne reconnaît pas son bureau que Brigitte a totalement transformé et débarrassé des meubles anciens qu’il y avait pour s’y installer. Cette modification des lieux matérialise aussi les grands changements qu’a subis son entreprise. Pour commencer Brigitte a congédié M. Ségurot qui était l’homme de confiance de Chatard. Et utilisant une procuration pour les P&T, que son père lui avait laissée pour recevoir les lettres recommandées, Brigitte est parvenue à obtenir l’autorisation de prendre la direction de l’entreprise. Ce qui ne manque pas d’affoler Chatard (section II) :

M. Chatard Mais c’est une catastrophe. Tu n’y connais rien, tu n’as absolument pas été préparée à ça... Excuse-moi mon petit... Il y faut une expérience, des compétences, une autorité... Alors où en sommes nous : règlement judiciaire ? Dépôt de bilan ?
Brigitte Mais pas du tout... Je ne te dirai pas que ça va très bien : mais ça va... bien. Mieux en tout cas qu’à ton départ, excuse-moi à ton tour !14

Pour justifier pertinemment, au passage, le licenciement de Ségurot, on apprend qu’il faisait des ventes sans factures pour son propre compte. Poursuivant son compte rendu de la situation (section III), Brigitte prône les bienfaits du travail en équipe et en profite pour reprocher à son père son attitude individualiste. De son côté, Chatard n’en revient pas que son entreprise ait pu tenir et même s’améliorer sans lui. Il manifeste son inquiétude face à l’avenir et doute que le personnel l’accepte à nouveau (section IV). Mais Brigitte tente de le rassurer et lui explique avec bienveillance que c’est aussi grâce à lui qu’elle a su faire prospérer l’entreprise. Tout comme la procuration pour la poste, c’est un autre fait anodin mais en tout cas providentiel (deuxième coup de théâtre, à la section V), qui a permis à Brigitte de « sauver les meubles » : c’est grâce à un article de journal que Chatard avait découpé et rangé dans son tiroir que sa fille a pu prendre les bonnes décisions pour redresser l’entreprise. Il s’agit des « dix commandements des super patrons » que Brigitte débite progressivement au cours de la conversation :

Premier commandement, faire un diagnostic sérieux.
Deuxième commandement : changer l’équipe de direction.
Troisième commandement : changer les structures.
Quatrième commandement : parler avec le personnel, lui dire la vérité.
Cinquième commandement : fermeté à l’égard des syndicats15.

À ce stade (section VI) Chatard n’y tient plus :

M. Chatard Mais vous êtes fous à lier ! […]
M. Chatard C’est le monde à l’envers !16

Inquiète, Brigitte ajoute le sixième, devinant que son père va comprendre qu’elle a supprimé le seul produit qui restait du grand-père :

Quant au sixième commandement...
M. Chatard Quel sixième commandement : œuvre de chair ne désireras... ?
Brigitte Mais non. Le sixième commandement des redresseurs d’entreprise : la gamme de produits allégeras... Là, je vais te faire de la peine.
M. Chatard Parce que tu t’imagines que jusqu’à présent... Enfin, si tu me garantis vraiment qu’il va y avoir du bénéfice... Vas-y, dis-moi tout... Tu as supprimé le Diabolo ?
Brigitte Tu vois que tu le savais.
M. Chatard C’est le seul produit qui nous restait de ton grand-père !17

À partir de la section VII, le rythme s’intensifie et Brigitte cite dans le désordre les dernières actions qu’elle a entreprises et passe directement au dixième commandement : la qualité. La section IX dresse le bilan final de la situation. Tout s’est si bien passé qu’on pourrait penser que cela devait arriver. L’auteur nous laisse même envisager que cette histoire était peut-être un coup monté de Chatard pour abandonner son entreprise en difficultés et partir. Dans la dernière section le dénouement présente simplement un constat. Désormais rien ne sera plus pareil. Chatard a compris qu’il était temps de passer le témoin à la nouvelle génération. Sur quoi sa fille l’emmène retrouver ses employés qui l’attendent. Ici le dénouement est relié au début de la pièce pour souligner par cette boucle le cycle parcouru. Cette saynète ne manque pas de nous rappeler évidemment la célèbre comédie en deux actes, Potiche, de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy, créée le 17 septembre 1980 au Théâtre Antoine qui a certainement inspiré notre auteur. En effet dans cette pièce de théâtre, Suzanne Pujol, femme soumise d’un riche industriel, prend la place de son époux désavoué par son personnel qui l’a d’ailleurs séquestré. Mal en point, Robert fait une attaque et Suzanne n’a d’autre choix que de prendre les commandes de l’usine. Avec l’aide de ses deux enfants, de la secrétaire de son mari, et sous les conseils de son entourage, elle s’avère être une excellente directrice et une femme de tête et d’action.

Dans une autre saynète, intitulée La Patronne est de retour, M. Fustier traite le même sujet mais cette fois-ci c’est l’ancienne génération qui donne des leçons à la plus jeune. Madame Reboul a fondé une entreprise d’articles ménagers qui, avec le temps, est devenue une très grosse affaire. À l’âge de soixante ans, devenue très riche, elle s’est retirée pour se livrer à sa passion des voyages et a laissé la direction de l’entreprise à son fils Julien. Sept ans après, rien ne va plus. Le fils n’a pas le pouvoir charismatique de sa mère et, de caractère trop technocratique, il a négligé la « dimension humaine » de l’entreprise. La mère revient en urgence pour reprendre les choses en main. Tout au long de la pièce le fils adopte une attitude plutôt effacée mais le dénouement nous réserve une surprise décevante : alors que Madame Reboul s’apprête à reprendre son tour du monde, après avoir redressé la situation et replacé, avec indulgence, son fils à la tête de l’entreprise, ce dernier décide de ne pas suivre ses conseils et de reconstituer ailleurs le centre de recherche qu’elle n’approuvait pas :

Julien (prenant le téléphone) Allô, c’est toi ... Elle vient de sortir. C’est bien ce que je pensais. Madame Mère se prépare à nous refaire sa guerre de quatorze. Elle est parfaitement sûre d’elle et elle balance la Recherche. Les vieux ne savent faire que ce qu’ils ont déjà fait... Et en plus, elle est têtue comme une bourrique. Elle finira par crever sur son tas de fumier. Réfléchis de ton côté : moi, je me tire. Je vais tâcher de reconstituer le service Recherche hors de sa portée... Si tu veux venir avec moi et si tu n’as pas peur de quelques années de vache enragée, je t’emmène. L’avenir est à nous18.

La fin heureuse que l’on attend habituellement dans le théâtre d’entreprise ne se produit pas ici. Fustier réserve au contraire à sa pièce un dénouement amer qui suscite l’émotion du spectateur.

On retrouve encore dans son théâtre des vécus douloureux qui alternent avec d’autres apparemment plus désinvoltes de différents travailleurs confrontés à la dramatique situation d’annonce de licenciement. Une pièce à sketches, L’Art de congédier, vingt variations à l’usage des chefs d’entreprise, reproduit le modèle musical des variations sur un thème donné. Sur le modèle thématique d’annonce de licenciement, l’auteur multiplie vingt-deux situations qui exposent ce qui pourrait se passer entre un chef du personnel et l’employé qu’il est chargé de mettre à la porte. Les sketches qui lui succèdent sont autant d’exemples de licenciement qui pourraient se multiplier à l’infini : licenciement pour motif économique ou pour motif personnel ou pour faute grave comme dans L’histoire de Pol Pot.

le chef du personnel Bonsoir. Ça va ? C’est pour une embauche ?
Chazette Non, c’est pour un licenciement.
le chef du personnel Bon, ça ne fait rien. Asseyez-vous là. Vous vous appelez comment ? Et surtout ne vous prenez pas pour un cas particulier.
Chazette Chazette.
le chef du personnel Ah oui ! Chazette, je suis au courant… Oui, ici ça va, ça vient. Il y en a qui entrent et il y en a qui sortent… Tenez : la dame que vous avez croisée dans l’antichambre, c’était pour entrer. Et vous, Chazette, c’est pour sortir. Suffit de maintenir l’équilibre… Mais il y en a tant qui veulent entrer maintenant : ceux qui sortent on les attend au tournant, fatalement. Chazette… Ah ! Voilà. Mais selon les cas, ça va, ça vient plus ou moins vite, c’est écrit dans les astres. (Lisant) « Licenciement immédiat pour faute grave ». Alors vous, vous étiez drôlement pressé. Qu’est-ce que vous avez fait ? (Lisant) « Quinze jours d’invalidité au contremaître de l’atelier des presses ». Ah ça ! Dites donc, mais c’est bien, ça. Vous avez boxé Pol Pot ?
Chazette Et oui ! J’ai boxé Pol Pot.
le chef du personnel Cet hippopotame, ce paquet de linge sale, cette graisse gluante, ce poulpe en chaleur…
Chazette Comme vous dites ! 19

Ces sketches fournissent des éclairages sur des relations patron/employés : du plus joyeux, comme dans L’avenir est à vous, au plus désenchanté dans Tout s’écroule ; évoquant tour à tour la colère, la détresse ou même le recours au chantage de l’employé, ou la mauvaise foi de l’employeur comme dans Je vous donnerais bien ma place ; l’auteur y caricature aussi l’effet du licenciement sur un cadre dynamique dans Les deux amis :

le chef du personnel […] Tiens, tu veux ton chèque ?
Hervé Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? Demande à Geneviève de le faire verser sur mon compte.
le chef du personnel Entendu. Mais ça ne partira pas avant lundi. Elle sort à quatre heures le vendredi.
Hervé Je n’en suis tout de même pas à ça près. Et à part ça, tout est réglé ?
le chef du personnel Oui, je crois.
Hervé […] Excuse-moi, je file. Je suis en retard. Je dois rencontrer Jurine.
le chef du personnel Jurine… Promotion 53 ?
Hervé Oui, c’est ça. Il est au Ministère.20

Dans le théâtre d’entreprise le choix des noms n’est jamais neutre car ils reflètent souvent les caractéristiques identitaires et les traits de personnalité convenus des nationalités et des milieux sociaux évoqués. Les personnages principaux sont habituellement nommés par leur prénom – dans les cas présents Brigitte, Julien ou encore Hervé – ou par leur patronyme. La caractérisation des noms propres rend l’histoire plus vivante et moins abstraite. Ainsi les noms de Chazette et Pol Pot évoquent ici des situations du milieu ouvrier qui, selon les mots de l’auteur, « malgré la gravité du sujet sont traitées sur le mode héroï-comique. Et naturellement chacune de ces situations est une tranche de vie où se reflètent les mœurs de la société française en 198521 ». Face à ces personnages comiques et sympathiques, le chef du personnel, tantôt immuable, tantôt inadapté à la situation, face aux multiples réactions des employés licenciés, est réduit à sa fonction et s’accorde avec la simplification d’un comportement social de « petit chef hargneux » que l’auteur satirise. La caractérisation des personnages comprend habituellement leur sexe, leur âge approximatif, leur position professionnelle. Un trait de caractère est quelquefois signalé dans leur présentation avant le texte de la pièce. À ce propos l’auteur a voulu que Madame Reboul probablement dénommée ainsi car elle roule sa bosse par le monde, soit « à mi-chemin entre Marcel Dassault et les vieilles dames de Faizant : […] une septuagénaire efficace, autoritaire, décidée, inventive, avec assez de distinction naturelle pour se permettre d’employer un langage très décontracté22 ». Le théâtre dédié à l’entreprise de M. Fustier est très verbal et présente un dialogue souvent un peu trop explicatif, qui gagnerait en densité s’il présentait plus souvent ses personnages à travers des actions et réactions qui feraient avancer le conflit. Dans ce cadre dramaturgique classique l’efficacité dramatique passe par une intrigue, des rebondissements, des retournements de situation. Ainsi profitant comme dans le théâtre classique, que les actes sont souvent le signe de la division temporelle, l’auteur use de l’ellipse dans La Patronne est de retour, et d’une scène à l’autre, accélère le rythme et favorise l’intensification de l’action, ce qui entraîne d’ailleurs le dénouement inattendu que nous avons évoqué. À la scène 2 qui se déroule huit jours après le début de l’action, Madame Reboul a fait l’inspection de toutes les filiales de la société. À la scène 3, encore quelques semaines après, elle n’en a pas fini de bouger et a repéré à Reims le Centre de Recherche que son fils a fait construire sans l’en avertir ; cette contrariété constitue d’ailleurs la goutte d’eau qui fait déborder le vase et entraîne sa décision de destituer temporairement son fils de ses fonctions.

Le contraste est sans doute le moyen d’expression le plus efficace dans une saynète d’entreprise qui est une forme de théâtre avant tout didactique. À ce propos Isabelle Grolier, scénariste, comédienne-formatrice chez Théâtre à la Carte présente la saynète Non au burn-out !23 :

Ce sont des sketches au travers desquels on découvre un collaborateur montrant différents signes avant-coureurs du burn-out. On observe ensuite comment son manager et ses collègues réagissent. On découvre les réactions qui peuvent aggraver la situation et celles qui pourraient déjouer le syndrome. […]
Le rire dans la saynète Non au burn-out ! n’est pas un but, c’est un moyen de retenir un geste, une parole, une attitude qui peut entraîner le changement vers le positif. Le rire est une des vertus du théâtre et il agit dans des zones émotionnelles que les discours n’atteignent pas. On n’oublie rarement ce qui nous a fait rire. Le rire permet de graver dans son esprit des informations très sérieuses. […]
Tout ce qui est dit est la synthèse de témoignages et de conclusions d’experts qui se sont penchés sur le phénomène. Je les ai mis en situation en y glissant l’humour. Je n’ai rien déformé pour faire rire car en général on fait rire lorsque la situation est juste24.

La clé de l’antagonisme

Dans le schéma dramaturgique de la saynète d’entreprise il faut donc une opposition, une contradiction pour faire avancer l’action : contraste des attitudes, des caractères, des situations, des idées. Les personnages, dans le cadre du conflit qui les oppose, apportent les informations nécessaires pour que l’action progresse. Dans une saynète de catalogue intitulée Les subordonnés relatifs, écrite par Laurent Lesavre, la scénographie traduit déjà un contraste entre la sphère privée et la sphère professionnelle :

Trois espaces sont à vue du public ; à cour on trouve un espace représentant l’entreprise, lieu public avec une table basse, des dossiers et des journaux, deux chaises, un éclairage tendant vers le froid. À jardin : un lieu privé, une chaise et un éclairage plus chaud, au centre un espace mi-privé, mi-public, une salle de gym. Deux espaces « off » : un bureau du directeur coulisse à cour et un intérieur de maison coulisse jardin25.

Sur la scène seuls deux personnages sont présents : François Campanella, cadre intermédiaire et M. Dutilleul, dirigeant non-propriétaire de l’entreprise et supérieur hiérarchique de François. Les autres personnages sont absents mais fortement évoqués. F. Campanella rend visite à Dutilleul pour lui demander une augmentation de salaire mais surtout s’imposer face à Galand un de ses subordonnées qui semble vouloir gravir trop vite l’échelle hiérarchique. Dutilleul est d’ailleurs lui aussi victime de son supérieur absent, le président de la société. Campanella et Dutilleul se méfient l’un de l’autre et sont aussi l’un et l’autre le subordonné de quelqu’un. Ce rapport de force entre le supérieur et son subordonné est constant dans la saynète. Lors de l’entretien de négociation, Dutilleul domine la situation et ne laisse parler Campanella. Il lui offre un cigare, à quoi l’autre répond qu’il ne fume pas. Et Dutilleul de reprendre par opposition « Moi je fume comme un pompier26 ». D’autre part chacune des deux rencontres des deux personnages est suivie d’un épisode qui reproduit le cauchemar que fait chacun d’entre eux – le cauchemar de François à l’acte 2, et le cauchemar de Dutilleul à l’acte 4 –. Dans son rêve François use de la flatterie avec son supérieur et le manipule pour que ce dernier signe le rapport qu’il lui a apporté afin d’obtenir le licenciement de Galand. Cette manipulation est soulignée par l’auteur dans la mise en scène :

Une autre version a été réalisée où le subordonné manipulait le directeur assis en marionnette, le subordonné assurant tout le dialogue, jouant successivement son rôle et celui de Dutilleul, avec une inversion au moment où le directeur dit « vous, vous me flattez ! » ; le directeur devenant alors le manipulateur qui finit par étrangler sa marionnette ce qui provoquait le réveil27.

Quant à Dutilleul, sa scène de cauchemar est, comme le souligne l’auteur « à l’image de cet enfant qui, après avoir torturé l’insecte, fait le cauchemar de sa culpabilité28 », car il éprouve du remords pour avoir finalement licencié François :

Dutilleul Vous êtes vraiment trop con François ! (en frappant Campanella mais en le regrettant) […] (Remonte Campanella en lui tirant les cheveux ou le crâne)29.

Finalement il reçoit un coup de téléphone du Président qui lui annonce son propre licenciement et qui utilise les mêmes phrases toutes faites tirées d’ouvrages de management que lui-même avait employées avec François.

Nous observons combien la satire est au cœur du théâtre d’entreprise comme du théâtre de mœurs car elle pique l’attention, amuse et fait réfléchir.

Un théâtre satirique et humoristique

Qui dit satire dit objet de satire : en d’autres termes il faut qu’il y ait dans une pièce un individu ou une institution qui soient tournés en ridicule. Nous avons vu que M. Fustier exerce souvent le processus satirique vis-à-vis du pouvoir, c’est-à-dire vis-à-vis du patron ou du directeur et de son encadrement. Il considère, en effet, qu’en raison même de leur prééminence, ceux-ci portent la responsabilité principale des dysfonctionnements que le théâtre d’entreprise a pour objet de dénoncer. Dans Les Subordonnés relatifs, pièce plus actuelle, la satire ne s’exerce contre personne en particulier, et il n’a pas non plus de vision manichéenne des faits, car, au fond, on se demande qui manipule qui dans cette pièce. Est-ce les personnages invisibles mais très présents dans les dialogues ? Marie Campanella ambitieuse pour son mari ? Le Président et sa présence invisible et lointaine ? Serge Galand, le jeune cadre ambitieux qui semble user des outils de Machiavel en s’appropriant le travail d’autrui ? Où est le bien, le mal ? En tout état de cause chaque personnage est comme il est avec ses contraintes, ses traumatismes et ses faiblesses, comme dans la vie même. Dans cette saynète il s’agit plutôt de pointer, par la satire, les enjeux relationnels et émotionnels de chaque situation de la vie professionnelle pour encourager une remise en question et aider les collaborateurs à mieux appréhender leur travail et améliorer leur gestion du sujet. Heureusement aussi, le théâtre apporte à l’entreprise la dose d’humour qui est nécessaire pour qu’à la fois des opinions trop catégoriques s’assouplissent, et pour faciliter la remise en cause dont il est question ; en effet le canular a pour but dans ce contexte de mettre en lumière des comportements inefficaces. Il y a d’abord des traits comiques classiques comme les déformations du nom, comme dans Les Subordonnés relatifsCampanella devient tour à tour « Colupella », « Columella », puis « Capamella » et enfin « Ce brave Mmmnella ». Puis il y en a d’autres plus ancrés dans l’univers professionnel comme dans une autre saynète de L. Lesavre, L’Achat du crayon (version 1) : l’intégrisme des procédures, une pièce basée sur l’absurdité d’un besoin immédiat de crayon à papier face à la rigidité d’une réponse technologique :

la cadre […] Bonjour Jérôme, j’voudrais un crayon à papier s’il te plaît.
Le responsable du stock Hein ? ! Un crayon de papier mais pour quoi faire, avec les agendas numériques, t’en as pu b’soin […] c’est complètement révolu le crayon de papier.
la cadre […] Et moi ça fait quinze ans que je mâchouille mon bout de crayon de papier, je ne peux pas m’arrêter comme ça, du jour au lendemain, tu m’vois mâchouiller la souris de l’ordinateur ? 30

Conclusion

Rossella Magli remarque que « le théâtre d’entreprise a choisi de s’inspirer, dès sa naissance, du théâtre de boulevard par correspondance naturelle avec les formes théâtrales les plus répandues et socialement acceptées dans notre époque et dans cette partie du globe31 ». Ce rapprochement de la saynète d’entreprise avec la tradition du théâtre de boulevard pourrait peut-être aussi se justifier par ce que souligne M. Corvin à propos de l’appellation du théâtre de boulevard qui aujourd’hui tient peut-être à une évolution des lois de la réception théâtrale :

Sans doute une œuvre ne pouvait-elle être reçue d’un assez large public que si elle s’appuyait sur de fortes béquilles classiques au sens le plus culturel du terme : cohérence, progressivité, clarté, rationalité, amplification discursive et rhétorique32.

Comme la comédie de boulevard, la saynète d’entreprise est bâtie sur une intrigue et multiplie les quiproquos et les hasards extraordinaires ; par contre ses personnages sont réduits à des emplois, étant donné le champ étroit où ils évoluent pour servir un objectif précis : des situations conflictuelles, ou des situations en lien avec des problématiques de travail qu’il s’agira de résoudre.

Pour décrire son évolution nous pourrions dire que le théâtre d’entreprise était, à ses débuts, plus explicatif notamment dans le répertoire qu’offre M. Fustier. Mais au fil des années, ce théâtre a gagné en densité : son style d’écriture est désormais plus riche en émotions et en nuances. D’après Carole Santo, directrice artistique de Théâtre à la Carte, ce sont les clients qui ont permis au théâtre d’entreprise d’évoluer en demandant cette exigence de réalisme. Mais le fait de « dire théâtralement » en se servant des atouts narratifs du théâtre comme la parabole, l’humour, le ton décalé, permet aussi de prendre du recul et de favoriser la réflexion. Car le maître-mot est ici « l’effet-miroir » : pouvoir rire de soi et des autres dans les situations professionnelles représentées, de la même manière que le théâtre de boulevard parisien a présenté à une société le miroir de sa morale, miroir devant lequel elle a abondamment ri et s’est souvent sentie provoquée.

Dernièrement le théâtre d’entreprise est même revenu aux sources du vaudeville car, comme dans ce dernier, des chansons, quelquefois conçues par les collaborateurs en entreprise eux-mêmes, sont fréquemment introduites dans les saynètes, ce qui dote le spectacle d’une énergie et d’un impact décuplés. Car si le théâtre touche à l’émotionnel, le théâtre musical lui ajoute un rythme intérieur que le spectateur s’approprie par sa propre connaissance des mélodies utilisées. En 2005, s’inspirant de leur propre vécu en entreprise, Philippe Détrie et Hervé Sérieyx ont créé une comédie musicale sur l’entreprise, empreinte de réalisme, mais surtout d’humour et d’autodérision où ne manque pas l’intrigue amoureuse que reprend la chanson « Le duo des amours de bureau ». Ce théâtre musical d’entreprise se rapproche à bien des égards de ce qu’Anouilh fera dire à Adolphe dans Le Boulanger, la boulangère et le petit mitron : « Il n’y a que les vaudevilles qui soient tragiques et qui ressemblent à la vraie vie33 ».

Notes de bas de page numériques

1 Béatrice Aragou-Dournon, Philippe Détrie, Le Théâtre d’entreprise : quand l’entreprise se met en scène, Paris, Les éditions Liaisons, 1998, « Collection Entreprise et Carrières ».

2 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation ».

3 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation », p. 22.

4 Nathalie Simon, « Les beaux jours du théâtre de boulevard », Le Figaro.fr Culture, 26/07/2013.

5 Nathalie Simon, « Les beaux jours du théâtre de boulevard », Le Figaro.fr Culture, 26/07/2013.

6 Michel Corvin, Le théâtre de boulevard, Paris, PUF, 1989, p. 3, p. 9.

7 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation », p. 30.

8 Michel Fustier, L’entreprise mise en pièces… de théâtre. 5 comédies sur la qualité, Paris, Les Éditions d’organisation, 1989, p. 13.

9 Béatrice Aragou-Dournon, Philippe Détrie, Le Théâtre d’entreprise : quand l’entreprise se met en scène, Paris, Les éditions Liaisons, 1998, « Collection Entreprise et Carrières », p. 14.

10 Christian Poissonneau et Isabelle Moisan, Le travail mis en scène. Idées reçues sur le théâtre d’entreprise, Paris, Le Cavalier bleu éditions, 2011, p. 86.

11 Christian Poissonneau et Isabelle Moisan, Le travail mis en scène. Idées reçues sur le théâtre d’entreprise, Paris, Le Cavalier bleu éditions, 2011, p. 86.

12 Christian Poissonneau et Isabelle Moisan, Le travail mis en scène. Idées reçues sur le théâtre d’entreprise, Paris, Le Cavalier bleu éditions, 2011, p. 91.

13 http://theatrentreprise.free.fr (consulté le 28 décembre 2016).

14 Michel Fustier, http://theatrentreprise.free.fr (consulté le 28 décembre 2016).

15 Michel Fustier, http://theatrentreprise.free.fr (consulté le 28 décembre 2016).

16 Michel Fustier, http://theatrentreprise.free.fr (consulté le 28 décembre 2016).

17 Michel Fustier, http://theatrentreprise.free.fr (consulté le 28 décembre 2016).

18 Il s’agit d’un texte inédit que m’a remis l’auteur lui-même.

19 Michel Fustier, Sept comédies aigües, Lyon, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, p. 125.

20 Michel Fustier, Sept comédies aigües, Lyon, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, p. 118.

21 Michel Fustier, Sept comédies aigües, Lyon, Éditions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, p. 107.

22 Michel Fustier, Texte inédit.

23 Voici un extrait d’une vidéo de la saynète : Non au burn-out !, http://theatrealacarte.fr/prestation/les-signes-avant-coureurs-des-risques-psychosociaux/.

24 « Le burn-out n’est pas une fatalité ! », interview à Isabelle Grolier,http://theatrealacarte.fr/temoignage/leburn-out-nest-pas-une-fatalite/ (consulté le 17 avril 2017).

25 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation », p. 63.

26 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation », p. 67.

27 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation », p. 72-73.

28 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation », p. 90.

29 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble Presses Universitaires de Grenoble, 2013, « Collection Management & Innovation », p. 80.

30 Laurent Lesavre, Scènes de management. Le théâtre au service de l’entreprise, Grenoble, PUG, « Collection Management et Innovation », 2011, p. 105-106.

31 Rossella Magli, Le théâtre d’entreprise, Quaderni, n° 32, printemps 1997, « Italie, pouvoir et communication », p. 36.

32 Michel Corvin, Le théâtre de boulevard, Paris, PUF, 1989, p. 65.

33 Oliver Barrot et Raymond Chirat, Le Théâtre de Boulevard. « Ciel mon mari ! », Paris, Gallimard, Collection Découvertes n° 359, Série Littératures, 1998, p. 67.

Bibliographie

aragou-dournon Béatrice, detrie Philippe Le théâtre d’entreprise. Quand l’entreprise se met en scène, Paris, Éditions Liaisons, 1998.

barrot Olivier et chirat Raymond Le Théâtre de Boulevard. « Ciel mon mari ! », Paris, Gallimard, Collection Découvertes n° 359), Série Littératures, 1998.

corvin Michel, Le théâtre de boulevard, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ?, 1989.

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poissonneau Christian, moisan Isabelle, Le travail mis en scène. Idées reçues sur le théâtre d’entreprise, Paris, Le Cavalier Bleu Éditions, coll. « Idées reçues », 2011.

simon Nathalie, “Les beaux jours du théâtre de boulevard”, Le Figaro.fr Culture, 26/07/2013.

« Le burn-out n’est pas une fatalité ! », interview à Isabelle Grolier,http://theatrealacarte.fr/temoignage/leburn-out-nest-pas-une-fatalite/ (consulté le 17 avril 2017).

Non au burn-out !, http://theatrealacarte.fr/prestation/les-signes-avant-coureurs-des-risques-psychosociaux/ .

Pour citer cet article

Cécile Vilvandre, « La saynète d’entreprise : une mise en abîme décalée et humoristique du monde du travail », paru dans Loxias, 57., mis en ligne le 09 juin 2017, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8670.

Auteurs

Cécile Vilvandre

Cécile Vilvandre est actuellement Maître de conférences en Langues et littératures romanes (espagnol) à l’Université de Toulouse 2 Jean Jaurès. Elle est rattachée au Laboratoire de recherches LLA CRÉATIS. Auteur d’une thèse en espagnol sur La réception du théâtre d’Eugène Ionesco en Espagne (1955-1997), elle est aussi qualifiée en section 10 (littératures comparées). Elle a coédité un ouvrage publié en Espagne, intitulé L’esthétique de la transgression : révisions critiques du théâtre d’avant garde. Elle a été enseignant-chercheur à l’Université de Castilla-La Mancha (Espagne) et ses recherches ont essentiellement porté sur le théâtre de l’absurde et la comédie espagnole des années quarante. Dernièrement sa recherche porte sur l’application du théâtre à la réalité quotidienne de l’entreprise. cecilevilvandrecanizares@gmail.com