Loxias | 55 (déc. 2016). Autour des programmes de concours 2017 | I. Autour des programmes de concours 2017 

Sylvie Ballestra-Puech  : 

Déclinaisons du Suaue mari magno

Résumé

S’inspirant de l’usage qu’Harold Bloom a fait du clinamen lucrétien comme modèle permettant de penser la déviation que chaque écrivain fait subir au modèle dont il s’inspire, cet article propose un rapide panorama des déclinaisons du Suaue mari magno dans la littérature européenne, de la Renaissance à la période contemporaine, en privilégiant les variations qui mettent l’accent sur les enjeux métapoétiques de l’image. Ce trajet met en lumière le pouvoir heuristique de la métaphore, tel qu’il a été théorisé notamment par Paul Ricœur et Hans Blumenberg.

Index

Mots-clés : clinamen , Lucrèce, métaphore

Chronologique : Antiquité

Plan

Texte intégral

1Lucrèce a donné une forme particulièrement remarquable à ce que le philosophe allemand Hans Blumenberg appelle des métaphores absolues, c’est-à-dire non seulement des métaphores dont la permanence à travers l’histoire de la littérature et de la philosophie est remarquable mais aussi, ceci étant la cause de cela, des métaphores qu’il est impossible de traduire en langage non figuré sans une importante déperdition de sens1. Parmi ces métaphores, celle du Suaue mari magno qui ouvre le deuxième chant du De rerum natura2 a connu une fortune remarquable même si, comme on le verra, nombre de lecteurs de Lucrèce ont oublié — ou feint d’oublier — qu’il s’agissait précisément d’une métaphore.

2On s’attachera tout d’abord à la manière dont la métaphore de la navigation est déclinée dans le poème de Lucrèce avant d’envisager quelques unes de ses déclinaisons ultérieures dans l’histoire de la littérature européenne, en reprenant le modèle du clinamen que le critique américain Harold Bloom, dans son essai de 1973 qui n’a été que récemment traduit en français, L’Angoisse de l’influence, emprunte à Lucrèce pour penser ce que Gérard Genette devait ultérieurement qualifier de relation hypertextuelle : « Le poète dévie de son précurseur en lisant son poème de façon à effectuer un clinamen par rapport à celui-ci3 ». Cette déviation serait donc aussi indispensable à l’expansion de la littérature que le clinamen l’est à la production de la matière par rencontre des atomes chez Lucrèce. Mais Bloom donne aussi pour équivalent de l’usage qu’il fait du mot clinamen l’expression « méprise poétique » (poetic misprision) et nous verrons que la méprise joue effectivement un grand rôle dans la réception des premiers vers du chant II du De rerum natura même si cette méprise peut s’avérer féconde.

3Il ne s’agira pas de faire une présentation systématique de la réception de cette métaphore, ce qui serait d’ailleurs tout à fait impossible, mais de privilégier les variations qui invitent à relire le poème pour y déceler la potentialité signifiante qu’elles actualisent, en mettant tout particulièrement l’accent sur les lectures qui, dès le XVIe siècle ont été sensibles à l’enjeu métapoétique de l’image.

Le réseau des métaphores maritimes dans le poème

4Comme toujours dans le De rerum natura, il faut prendre en compte toutes les occurrences de l’image dans le poème pour en cerner exactement la portée4. Dès le deuxième chant, la dimension heuristique de la métaphore, invalidant rétrospectivement, si besoin était, toute lecture référentielle du Suaue mari magno, devient manifeste dans la comparaison didactique la plus développée de tout le poème, significativement située au centre exact du chant tout en concluant l’exposé relatif au mouvement, à la forme et au nombre des atomes. Lucrèce l’utilise pour démontrer qu’il ne saurait exister aucun être unique dans l’univers. Selon une méthode à laquelle il recourt fréquemment, il montre qu’une telle hypothèse conduit à une aporie :

Quippe etenim sumam hoc <quoque> uti finita per omne
corpora iactari unius genitalia rei
unde, ubi, qua ui, et quo pacto congressa coibunt
materiae tanto in pelago turbaque aliena ?
Non, ut opinor, habent rationem conciliandi :
sed quasi naufragiis magnis multisque coortis
disiectare solet magnum mare transtra, cauernas
antemnas, prorem, malos, tonsasque natantis,
per terrarum omnis oras fluitantia aplustra
ut uideantur, et indicium mortalibus edant,
infidi maris insidias uirisque dolumque
ut uitare uelint, neue ullo tempore credant,
subdola cum ridet placidi pellacia ponti,
sic tibi si finita semel primordia quaedam
constitues, aeuom debebunt sparsa per omnem
disiectare aestus diuersi materiai,
numquam in concilium ut possint compulsa coire
nec remorari in concilio, nec crescere adaucta ;

Car, si j’admets aussi des atomes d’un être unique
épars dans l’univers en nombre limité,
d’où, en quel endroit, par quelle force et comment
viendront-ils, dans le vaste océan de la matière,
se rencontrer et s’unir parmi la foule étrangère ?
Non, je ne pense pas qu’ils aient moyen de se rejoindre.
De même qu’après de grands et multiples naufrages
le vaste océan jette bancs, carènes, antennes,
proues, avirons et mâts partout à la dérive
et qu’au long des côtes flottent les aplustres
proposant aux mortels un exemple des pièges,
violences et ruses de l’océan perfide
pour les garder à jamais de se fier au sourire,
au charme trompeur de ses eaux placides,
de même, si tu limites le nombre de certains atomes,
épars dans l’infini du temps, de tous côtés,
au gré des flux de la matière ils seront jetés,
jamais sous aucun choc ils ne pourront s’unir
ni rester unis et grandir ou se développer. (II, v. 547-564)

5En lisant ces vers, on est d’abord frappé par la continuité entre deux spectacles : à celui de la mer déchaînée et du naufrage imminent, en ouverture du chant, succède ici celui du calme après la tempête et des vestiges du naufrage déposés par les flots sur la rive5. Le premier métaphorise les errements de ceux qui, faute d’avoir eu accès à la sagesse épicurienne, se livrent sans retenue à la vaine quête de la gloire, de la richesse et du pouvoir ; le second représente une théorie erronée et vaine6. La comparaison relie donc éthique et physique et souligne leur étroite imbrication. La nature, en renvoyant sur la rive les restes des bateaux naufragés délivre aux mortels un message clair (indicium mortalibus edant) qui coïncide exactement avec celui délivré par l’épicurisme : il ne faut pas céder au charme trompeur des désirs vains. De façon symétrique, l’image du « vaste océan de la matière » (materiae tanto pelago) éclaire rétrospectivement le Suaue mari magno : c’est bien le poème tout entier de Lucrèce qui offre au lecteur ce spectacle des hommes qui, parce qu’ils ignorent la nature du monde dans lequel ils vivent, courent au naufrage.

6En outre, comme l’a bien souligné Hans Blumenberg, « la grande critique de la culture du cinquième livre7 » vient donner à la métaphore nautique ses ultimes harmoniques. La comparaison célèbre du nouveau-né et du naufragé confirme tout d’abord que c’est bien la condition humaine tout entière qui est visée :

Tum porro puer, ut saeuis proiectus ab undis
nauita, nudus humi iacet, infans, indigus omni
uitali auxilio, cum primum in luminis oras
nixibus ex aluo matris natura profudit,
uagituque locum lugubri complet, ut aecumst
cui tantum in uita restet transire malorum.

Et l’enfant ? Comme un marin par les flots cruellement
rejeté, il gît par terre, nu, incapable de parler,
sans secours pour vivre, dès qu’aux rives du jour
la nature en travail hors du ventre maternel l’a vomi.
De vagissements lugubres il emplit l’espace,
justes plaintes quand la vie lui réserve tant de maux. (V, v. 222-227)

7Ces vers s’inscrivent dans la longue réfutation de la création divine du monde et constatent la prématurité du petit d’homme, par opposition aux autres animaux que la daedala natura a pourvu des ressources nécessaires pour survivre dans leur environnement naturel. La métaphore du naufragé prend ici une résonance particulière si on la rapproche de celle de l’océan de la matière du chant II. Complémentaires, ces deux images ne peuvent manquer d’être mises en relation avec le Suaue mari magno. Il en va de même pour l’image de la bataille que Lucrère utilise, après celle du naufrage, pour métaphoriser la vaine agitation de ceux qui courent après le pouvoir et la gloire mais qu’il reprend peu après dans l’évocation des grains de poussière dans un rayon de soleil :

Contemplator enim, cum solis lumina cumque
inserti fundunt radii per opaca domorum
multa minuta modis multisn per inane uidebis
corpora misceri radiorum lumine in ipso,
et uelut aeterno certamine proelia, pugnas
edere turmatim certantia, nec dare pausam,
conciliis et discidiis exercita crebris ;

Quand les lumières, quand les rayons du soleil
se glissent dans l’obscurité d’une chambre, contemple.
Tu verras parmi le vide maints corps minuscules
Se mêler de maintes façons dans les rais de lumière
Et comme les soldats d’une guerre éternelle
Se livrer par escadrons batailles et combats
Sans s’accorder de trêve et toujours s’agitant,
Au gré des alliances et séparations multiples. (II, v. 112-124)

8La présence du mot contemplator au début du premier vers invite encore plus nettement le destinataire du poème à mettre en parallèle le spectacle offert au sage par l’agitation insensée des hommes et celui que constitue le mouvement des atomes tel qu’on peut l’imaginer. Alain Gigandet a clairement formulé le paradoxe qui en résulte et la manière dont l’épicurisme le résout :

[…] la physique, qui sert donc de fondement à l’éthique, m’enseigne avant tout, on le sait, le mouvement universel des éléments, la mobilité sans fin du monde. Comment une éthique du lieu retranché invulnérable et de l’ataraxie, c’est-à-dire de l’absence de trouble et, pour tout dire du repos, peut-elle prendre appui sur une telle leçon ?
La solution épicurienne consiste en un déplacement : il ne s’agit pas d’agir sur les choses mais sur leur perception, et, par là, sur la manière dont elles nous affectent. Puisqu’il est vain de bâtir un rempart contre l’intrusion du danger extérieur, le salut résidera en un retour intérieur sur la façon dont nous même nous y disposons, et nous y exposons8.

9Enfin les trois dernières occurrences de l’image nautique dans ce cinquième chant confirment que l’accès aux templa serena implique une « ascèse des désirs9 ». La première intervient au terme du tableau d’une humanité primitive, vivant de cueillette et de chasse, ne connaissant ni lois ni médecine. Pourtant, si rude que fût alors la lutte pour la survie, l’humanité échappait du moins aux deux tourments évoqués dans le Suaue mari magno, la guerre et le naufrage :

At non multa uirum sub signis milia ducta
una dies dabat exitio, nec turbida ponti
aequora lidebant nauis ad saxa uirosque ;
sed temere incassum frustra mare saepe coortum
saeuibat, leuiterque minas ponebat inanis,
nec poterat quemquam placidi pellacia ponti
subdola pellicere in fraudem ridentibus undis.

Mais on ne voyait pas les humains, enrôlés par milliers,
en un jour livrés au trépas, ni les flots tourmentés
briser sur les écueils les navires et leurs équipages.
En vain s’enflait, en vain se déchaînait la mer
et délaissait étourdiment ses menaces vides ;
les traîtres enchantements de l’océan placide
ne prenaient jamais l’homme au piège d’une onde rieuse. (V, v. 1226-1332)

10Ce passage confirme que guerre et naufrage sont indissolublement liés dans l’imaginaire lucrétien, peut-être en tant que double visage de l’épopée homérique. En résulte une figure duelle dont la fonction heuristique10 se révèle dans les occurrences suivantes. En effet, l’image revient ensuite, alors que l’humanité a découvert l’usage du feu, s’est sédentarisée et que la notion de richesse est apparue. S’interrogeant sur l’origine des religions et des superstitions, Lucrèce abandonne un instant son approche historique pour dresser un tableau au présent de la tendance humaine à se tourner vers les dieux lorsqu’elle est confrontée au déchaînement des forces naturelles. Le motif de la guerre et celui du naufrage, qui jusque-là se succédaient, se confondent désormais en une unique image, celle du naufrage d’une escadre militaire :

Summa etiam cum uis uiolenti per mare uenti
induperatorem classis super aequora uerrit
cum ualidis pariter legionibus atque elephantis,
non diuom pacem uotis adit ac prece quaesit
uentorum pauidus paces animasque secundas ?
Nequiquam, quoniam uiolento turbine saepe
correptus nihilo fertur minus ad uada leti.

Quand les vents déchaînent leur fureur sur la mer,
balayant à travers les flots les puissantes légions
et leur troupes d’éléphants, le commandant de l’escadre
n’invoque-t-il la paix des dieux, oui, plein d’effroi,
n’implore-t-il une accalmie et des vents favorables ?
En vain, puisque saisi par un fort tourbillon
au gouffre de la mort il n’en est pas moins jeté. (V, v. 1226-1232)

11Ce passage montre bien que ce n’est pas la fonction référentielle qui importe dans les images de Lucrèce mais leur composition par combinaison de motifs, sur le modèle de la combinaison atomique. La victime du naufrage cumule ici toutes les erreurs d’un point de vue épicurien : choix du métier des armes, poursuite du pouvoir et de la gloire (il s’agit du commandant de l’escadre et non d’un simple soldat), navigation et, pour finir, crainte superstitieuse. La répétition du mot paix (pacem/paces) n’est pas exempte d’ironie dans un tel contexte. C’est lorsqu’il est trop tard que celui qui s’est laissé séduire par les vains désirs recherche la paix alors que le sage épicurien en fait d’emblée l’objet de sa quête et adopte la position de spectateur distancié des passions humaines qui en est le corollaire.

12Enfin la conclusion du cinquième chant déploie une dernière fois la métaphore nautique, dans le registre collectif mais aussi ouvertement philosophique :

Tunc igitur pelles, nunc aurum et purpura curis
exercent hominum uitam belloque fatigant ;
quo magis in nobis, ut opinor, culpa resedit.
Frigus enim nudos sine pellibus excruciabat
terrigenas, at nos nil laedit ueste carere
purpurea atque auro signisque ingentibus apta,
dum plebeia tamen sit, quae defendere possit.
Ergo hominum genus in cassum frustraque laborat
semper, et <in> curis consumit inanibus aeuom,
nimirum quia non cognouit quae sit habendi
finis et omnino quoad crescat uera uoluptas ;
idque minutatim uitam prouexit in altum,
et belli magnos commouit funditus aestus.

Comme les peaux jadis, aujourd’hui l’or et la pourpre
tourmentent la vie des hommes, l’épuisent dans les guerres.
C’est donc sur nous, je crois, que pèse la plus grande faute,
car sans peaux, nus comme ils étaient, le froid torturait
ces fils de la terre et pour nous il n’est souffrance aucune
à n’avoir habit de pourpre aux grands ramages d’or,
pourvu que nous protège une étoffe plébéienne.
Le genre humain peine donc en vain, en pure perte,
toujours consumant son âge en futiles soucis.
C’est qu’il ne connaît pas de limite à la possession,
il ne sait pas jusqu’où le vrai plaisir peut croître.
Tel est le mal qui peu à peu nous entraînant au large
déchaîna sur nos vies les grands orages de la guerre. (V, v. 1423-1435)

13L’effet d’écho avec le début du chant II est manifeste ainsi que la construction en chiasme : là où le Suaue mari magno ouvrait le chant sur le spectacle du naufrage pour stigmatiser ensuite la vaine quête de la gloire et des richesses, un mouvement symétrique fait passer, en cette fin du cinquième chant, de la dénonciation de la cupidité à une tempête dont le caractère métaphorique est désormais patent tandis que la fusion de la thématique maritime et de la thématique guerrière se trouve entièrement réalisée. L’efficacité heuristique de la métaphore atteint alors son plus haut degré et révèle son véritable enjeu : « ce qui pousse l’homme vers la haute mer est en même temps le franchissement de la limite de ses besoins naturels11 » et la méconnaissance de la limite inhérente au plaisir, au delà de laquelle celui-ci se nie lui-même par ses conséquences destructrices. Mais si ces vers achèvent la démonstration éthique commencée au début du chant II, ce sont les suivants, sorte d’épilogue au chant V, qui confirment, quant à eux, la valeur métapoétique de l’image.

14Épilogue mais aussi second volet d’un diptyque dont le contraste avec le premier pourrait sembler frôler la contradiction pure et simple. Au sombre tableau d’une humanité que la cupidité voue à la violence guerrière et au naufrage imminent succède, en effet, l’évocation du progrès des connaissances et des arts :

At uigiles mundi magnum uersatile templum
sol et luna suo lustrantes lumine circum
perdocuere homines annorum tempora uerti
et certa ratione geri rem atque ordine certo.
Iam ualidis saepti degebant turribus aeuom,
et diuisa colebatur discretaque tellus,
tum mare ueliuolis florebat nauibus ponti,
auxilia ac socios iam pacto foedere habebant,
carminibus cum res gestas coepere poetae
tradere ; nec multo prius sunt elementa reperta.
Propeterea quid sit prius actum respicere aetas
nostra nequit, nisi qua ratio uestigia monstrat.
nauigia atque agri culturas, moenia, leges,
arma, uia, uestes, <et> cetera de genere horum,
praemia, delicias quoque uitae funditus omnis,
carmina, picturas et daedala signa polita
usus et impigrae simul experientia mentis
paulatim docuit pedetemptim progredientis.
Sic unumquicquid paulatim protrahit aetas
in medium ratioque in luminis erigit oras ;
namque aliquid ex alio clarescere corde uidebant,
artibus ad summum donec uenere cacumen.

Mais ces vigies du monde, le soleil et la lune,
dont la lumière parcourt la grande voûte tournante,
ont appris aux hommes que les saisons tour à tour reviennent
et qu’un système régulier gouverne la nature.
Désormais, ils vivaient à l’abri de tours solides
et cultivaient un sol divisé et mis en partage.
Déjà la mer était fleurie de voltigeants voiliers,
déjà les traités assuraient alliances et secours
quand les poètes confièrent les exploits à leurs chants ;
ce n’est guère plus tôt que l’on inventa l’écriture.
Aussi les faits antérieurs échappent-ils à notre époque,
sauf pour les traces que la raison nous fait entrevoir.
Navigation, culture des champs, murailles et lois,
armes, routes, vêtements et autres biens de ce genre,
tous les réconforts, toutes les délices de la vie,
poèmes et peintures, statues d’un art achevé,
l’usage mais aussi l’effort et l’invention de l’esprit
l’enseignèrent aux hommes suivant leurs lents progrès.
Ainsi le temps produit peu à peu les diverses choses
que la raison élève aux rivages de la lumière.
les voyant l’une après l’autre s’éclairer dans leur cœur,
ils parvinrent enfin à la perfection de tous les arts. (V, v. 1436-1457)

15Comment concilier un tel tableau de la civilisation avec celui qui le précède immédiatement ? Sans doute faut-il y voir une célébration très consciente du pouvoir que possède l’art de substituer à la séduction funeste des vains désirs une expérience esthétique qui pourrait aussi donner accès aux templa serena. En tant que transgression des limites imparties à l’homme par la nature, la navigation était sous le signe du naufrage et de la violence des éléments ; du point de vue de l’artiste et du poète, elle n’offre plus que l’agréable spectacle de « la mer fleurie de voltigeants voiliers » (mare ueliuolis florebat nauibus ponti). Si la thèse erronée de l’être unique produisait l’image inquiétante des naufrages sur l’océan de la matière, la connaissance exacte des phénomènes naturels a, au contraire, le pouvoir de dissiper les vaines craintes. Aux débris des naufrages rejetés sur la rive s’oppose ce « que la raison élève aux rivages de la lumière », la reprise littérale des mots utilisés dans l’évocation de la naissance de l’enfant (luminis oras) n’étant pas fortuite : c’est bien à une véritable renaissance que Lucrèce convie son lecteur lorsqu’il chante en vers lumineux une doctrine obscure.

Déclinaisons modernes et contemporaines du motif

16La réception du Suaue mari magno témoigne de la richesse de l’image lucrétienne dans la mesure où elle tend souvent à délier les nombreux fils que Lucrèce avait réussi à nouer dans sa comparaison, ce qui implique souvent un appauvrissement pouvant aller jusqu’au contresens, appauvrissement dont témoigne la réduction de l’ouverture du chant II aux deux premiers vers, en un lieu commun, dans l’acception péjorative du terme, tel qu’on le trouve dans les pages roses du Larousse : « Ces mots s’emploient pour marquer la joie qu’on éprouve à être soi-même exempt des périls auxquels les autres sont exposés ». Néanmoins si cet usage réducteur traverse les siècles, permettant notamment un usage ironique du topos, il coexiste avec des exploitations beaucoup plus complexes de l’image lucrétienne qui en déploient les potentialités au confluent de l’éthique et de l’esthétique.

Anthropologie du spectateur

17La réduction de la métaphore lucrétienne à un simple constat d’ordre anthropologique semble statistiquement la plus répandue mais elle fait déjà apparaître des positionnements très divers des auteurs qui la citent, tantôt pour confirmer l’exactitude de l’observation, tantôt pour la contester radicalement. Ainsi Montaigne cite les deux premiers vers du chant II pour illustrer la présence en l’homme de « qualités maladives », dans une approche qui peut sembler préfigurer la mise en lumière par Freud d’une composante sadique inhérente au psychisme humain mais qui, dans le contexte du XVIe siècle convoque plus probablement le dogme du péché originel :

Notre être est cimenté de qualités maladives : l’ambition, la jalousie, l’envie, la vengeance, la superstition, le désespoir, logent en nous d’une si naturelle possession, que l’image s’en reconnaît aussi aux bêtes : Voire et la cruauté, vice si dénaturé : car au milieu de la compassion, nous sentons au-dedans, je ne sais quelle aigre-douce pointe de volupté maligne, à voir souffrir autrui : et les enfants le sentent :
Suaue, mari magno turbantibus aequora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem
12

18Pour Frank Lestringant ce passage constitue un « extraordinaire exemple d’une citation prise délibérément à contresens » car « tout se passe comme si Montaigne relisait à présent Lucrèce avec les lunettes de saint Augustin13 ». Comme l’a montré Antoine Compagnon, cette vision désabusée d’une humanité déchue triomphe largement dans ce qu’il a appelé « l’inflexion moderne d’un lieu commun », de Lautréamont à Proust14. Elle a, en revanche, été contestée, pour des raisons très différentes, aussi bien, par exemple, par Voltaire que par Chateaubriand. Le premier oppose au plaisir censé naître du retour sur soi et de la comparaison celui de la curiosité qui n’exclurait pas la compassion. Après avoir ouvert l’article « Curiosité » des Questions sur l’Encyclopédie sur la citation des treize premiers vers du chant II, il enchaîne :

Pardon, Lucrèce, je soupçonne que vous vous trompez ici en morale comme vous vous trompez toujours en physique15. C’est à mon avis la curiosité seule qui fait courir sur le rivage pour voir un vaisseau que la tempête va submerger. Cela m’est arrivé ; et je vous jure que mon plaisir mêlé d’inquiétude et de malaise, n’était point du tout le fruit de la réflexion ; il ne venait point d’une comparaison secrète entre ma sécurité et le danger de ces infortunés ; j’étais curieux et sensible16.

19Madame d’Épinay avait envoyé ce texte à l’abbé Galiani qui, tout en faisant l’éloge de Voltaire, rend justice à Lucrèce :

J’avoue que le morceau curiosité de Voltaire est superbe, sublime, neuf et vrai ; j’avoue qu’il a raison en tout, si ce n’est qu’il a oublié de sentir que la curiosité est une passion, ou, si vous voulez une sensation qui ne s’excite en nous que lorsque nous nous sentons dans une parfaite sécurité de tout risque. Le moindre péril nous ôte toute curiosité, et nous ne nous occupons plus que de nous-mêmes et de notre individu. […] Or donc, Lucrèce n’a pas tout à fait tort. Quoiqu’il n’y ait pas un vrai retour sur soi-même, ni un développement de la sensation de notre bonheur, lorsque la curiosité commence en nous, il est très vrai que, par instinct, elle ne saurait s’exciter sans ce préambule17.

20Chateaubriand, quant à lui, rejette plus radicalement l’image lucrétienne et la recherche épicurienne de l’ataraxie à laquelle il oppose la valorisation chrétienne de la compassion :

Je n’ai jamais pu comprendre le sentiment exprimé par Lucrèce :
Suaue mari magno, magno turbantibus aequora ventis,
E terra magnum alterius spectare laborem
Loin d’aimer à contempler du rivage le naufrage des autres, je souffre quand je vois souffrir des hommes : les Muses n’ont alors sur moi aucun pouvoir, si ce n’est celle qui attire la pitié sur le malheur.18

Métaphysique du naufrage

21Chateaubriand ne se contente pas de contester l’affirmation qui ouvre le chant II du De rerum natura. Il lui oppose sa propre expérience du voyage maritime et renverse la perspective lucrétienne en choisissant le point de vue du naufragé en puissance :

Les nuits passées au milieu des vagues, sur un vaisseau battu de la tempête, ne sont point stériles pour l’âme, car les nobles pensées naissent des grands spectacles. Les étoiles qui se montrent fugitives entre les nuages brisés, les flots étincelants autour de vous, les coups de la lame qui font sortir un bruit sourd des flancs du navire, le gémissement du vent dans les mâts, tout vous annonce que vous êtes hors de la puissance de l’homme, et que vous ne dépendez plus que de la volonté de Dieu. L’incertitude de votre avenir donne aux objets leur véritable prix ; et la terre, contemplée du milieu d’une mer orageuse, ressemble à la vie considérée par un homme qui va mourir19.

22L’inversion de l’image correspond à un positionnement philosophique strictement antagoniste de celui de Lucrèce et Chateaubriand est manifestement ici l’héritier de Pascal qui interdisait déjà à son lecteur la possibilité de la retraite épicurienne ou, en l’occurrence, sceptique, en proclamant : « Oui, mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire. Vous êtes embarqué20. »

23En revanche, la réflexion sur le sublime qui convoque le spectacle de la tempête dès le XVIIIe siècle21 aboutit chez Schopenhauer à une interprétation métaphysique du motif qui rejoint mutatis mutandis la vision lucrétienne dans sa valorisation de l’attitude contemplative :

[…] ou bien encore c’est le spectacle de la mer que nous voyons au loin remuée par la tempête : des vagues hautes comme des maisons surgissent et s’effondrent ; elles frappent à coups furieux contre les falaises, elles lancent de l’écume bien loin dans l’air ; la tempête gronde, la mer mugit ; les éclairs percent les nuages noirs ; le bruit du tonnerre domine celui de la tempête et celui de la mer. C’est devant un pareil spectacle qu’un témoin intrépide constate le plus nettement la double nature de sa conscience : tandis qu’il se perçoit comme individu, comme phénomène éphémère de la volonté susceptible de périr à la moindre violence des éléments, dépourvu de ressources contre la nature furieuse, sujet à toutes les dépendances, à tous les caprices du hasard, semblable à un néant fugitif devant des forces insurmontables, il a en même temps conscience de lui-même à titre de sujet connaissant, éternel et serein ; il sent qu’il est la condition de l’objet et par suite le support de ce monde tout entier, que le combat redoutable de la nature ne constitue que sa propre représentation et que lui-même demeure absorbé dans la conception des idées libre et indépendant de tout vouloir et de toute misère. Telle est à son comble l’impression du sublime22.

Le spectacle de l’histoire

24C’est dans une perspective beaucoup plus historique que métaphysique qu’Agrippa d’Aubigné, affirme, avant Pascal, l’impossibilité de rester spectateur lorsqu’on se trouve en proie à la violence politique. Il s’agit, en effet, d’inviter le lecteur à s’engager dans le combat :

Voyez la tragédie, abbaissez vos courages :
Vous n’êtes spectateurs, vous estes personnages :
Car encor’ vous pourriez contempler de bien loin
Une nef sans pouvoir lui aider au besoin,
Quand la mer l’engloutit, et pourriez de la rive ;
En tournant vers le ciel la face demi-vive,
Plaindre sans secourir ce mal oisivement :
Mais quand dedans la mer, la mer pareillement
Vous menace de mort, courez à la tempeste :
Car avec le vaisseau vostre ruine est preste23.

25D’Aubigné ne conteste pas l’affirmation lucrétienne mais souligne que la douceur inhérente à la position spectatrice est tout simplement impossible dans certaines circonstances historiques24.

26Herder marquera à son tour la limite au-delà de laquelle la position spectatrice n’est plus tenable en caractérisant la situation des Allemands par rapport à la Révolution française : « Nous pouvons regarder la Révolution française comme on regarde en sécurité depuis le rivage un navire qui au milieu d’une mer étrangère fait naufrage, à condition que notre mauvais génie ne nous précipite pas nous-mêmes dans la mer contre notre gré25 ». Pour l’historien Jakob Burckardt, qui propose plusieurs variations sur la métaphore lucrétienne26, le Suaue mari magno pourrait figurer le détachement comme idéal de l’historien : « Si nous pouvions renoncer entièrement à notre individualité et considérer l’histoire des temps qui viennent avec autant de détachement que nous regardons de la terre ferme le spectacle de la mer déchaînée par une tempête, il nous serait peut-être donné de participer à la vie de l’un des chapitres les plus importants de l’histoire de l’esprit27. » Mais il ne s’agit là que d’un idéal inaccessible dès lors que l’historien lui-même appartient à la vague de l’histoire : « Dès que nous prenons conscience de notre situation, nous nous sentons sur une embarcation plus ou moins disloquée voguant à l’aventure sur l’une des innombrables vagues de l’Océan. Cette vague, pourrait-on dire aussi, nous en faisons partie nous-mêmes28 ».

27Enfin c’est dans une perspective proche de celle qui se dégage des vers d’Agrippa d’Aubigné que Camus conteste à son tour le Suaue mari magno dans La Peste, tout en reconnaissant la nécessité de préserver des instants de douceur, même en temps de combat, pour que ce combat conserve un sens : si la métaphore filée de la tempête lors de l’agonie de l’enfant sous les yeux du médecin et du prêtre apporte un cinglant démenti à l’affirmation lucrétienne, la parenthèse que constitue le plaisir partagé de la baignade du docteur Rieux et de Tarrou rend justice à l’épicurisme dans une œuvre où la référence à Lucrèce est des plus explicites29.

28Mais la variation de D’Aubigné inaugure aussi une autre tradition très importante dans la réception du Suaue mari magno avec la comparaison explicite entre le spectateur du naufrage et celui de la tragédie qui implique également le lecteur, ce qui est d’ailleurs très probablement déjà le cas chez Lucrèce.

Au confluent de l’éthique et de l’esthétique

29En effet, suave, à l’attaque du vers et du chant, convoque, dans la composition musicale du De rerum natura, un thème qui a été longuement développé dans l’apologie du poème du premier chant avec la métaphore du miel des Muses filée par Lucrèce pour caractériser et justifier sa création poétique, d’où le choix de José Kany-Turpin de remplacer l’adjectif par le substantif correspondant, seul moyen de lui conserver sa place doublement inaugurale. La triple occurrence de ce suaue dans les cinq premiers vers, bientôt relayé par dulcius, comparatif de dulcis qui semble en être un strict équivalent du point de vue sémantique dans le poème, renchérit sur la mise en valeur si bien qu’elle ne saurait échapper au lecteur.

30Un écho plus discret mais non moins significatif fait entrer en résonance les templa serena fortifiés par le savoir des sages et les noctes serenas propices à la création poétique évoquées dans le premier chant :

Sed tua me uirtus tamen et sperata uoluptas
Suauis amicitiae quemvis effere laborem
Suadet, et inducit noctes uigilare serenas,
Quaerentem dictis quibus et quo carmine demum
Clara tuae possim praepandere lumina menti
Res quibus occultas penitus conuisere possis.

Mais ta valeur, ton amitié, doux espoir de plaisir,
M’incitent aux plus grands efforts :
Dans le calme des nuits, je cherche les mots, le poème
Qui répandront dans ton esprit une vive lumière,
Pour te révéler enfin le profond secret des choses. (I, v. 140-144)

31La figure étymologique sur suauis/suadere au début du vers se terminant sur l’expression noctes uigilare serenas semble bien constituer la matrice sémantique et sonore à partir de laquelle se développe le début du chant II : au « doux labeur » du poète philosophe vient s’opposer le douloureux et vain labeur (Noctes atque dies niti praestante labore) de ceux qui se laissent emporter par la quête effrénée de la richesse et du pouvoir.

32Ce jeu très concerté de correspondances entre le Suaue mari magno et l’apologie du poème permet à Lucrèce de justifier une entreprise dont on a souvent souligné le caractère paradoxal : composer un poème pour transmettre l’enseignement d’un philosophe connu pour sa défiance envers la poésie. En instaurant un rapport d’homologie entre la douceur du poème et celle dont jouit le sage épicurien, Lucrèce suggère avec force que le miel poétique doit donner un avant-goût du plaisir promis par l’épicurisme30. Si la peinture de la souffrance humaine sous toutes ses formes tient une large place dans le poème, c’est aussi et peut-être surtout parce qu’il s’agit d’offrir au lecteur le spectacle des tourments auxquels la sagesse épicurienne lui permettra d’échapper.

33Dès le XVIe siècle, la suauitas que goûte le spectateur du naufrage chez Lucrèce est comparée au plaisir que procure la lecture. On le voit dans la longue préface que Jacques Amyot écrit pour sa traduction de Vies de Plutarque, où il substitue la distance temporelle à la distance spatiale31, substitution que l’on retrouvera ultérieurement, notamment chez Schopenhauer32.  On retrouve surtout la comparaison chez Jean-Antoine de Baïf, à propos du récit de voyages maritimes, ceux du navigateur Nicolas Nicolaï, ce qui rend la comparaison d’autant plus naturelle et éloquente :

Mais animé d’un désir de connaître
De quelles mœurs la nature fait naître,
Chacune gent aux terres plus lointaine
En éprouvant ces hasards et ces peines
Toi seul pour nous, des dangers tu rapportes,
(Ayant passé de périls mille sortes)
Hors des dangers tu rapportes ce livre
Où chacun peut de tout danger delivre
Sans voyager avoir la jouissance
De ton labeur et de ta connaissance.
Qui à couvert regarde du rivage
En pleine mer le navire en naufrage,
Il est heureux : qui tes écrits veut lire
Il voit du bord aux vagues le navire33.

34Néanmoins il semble que ce soit surtout à partir des Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture [1719] de Jean-Baptiste du Bos que le Suaue mari magno ait « fourni une scène à la réflexion esthétique des Lumières34 ». Du Bos, qui préconise une esthétique fondée sur l’émotion, utilise les vers de Lucrèce d’une manière tout à fait paradoxale dont témoigne sa traduction de « suaue » par « touchant » :

Cette émotion naturelle qui s’excite en nous machinalement, quand nous voyons les dangers et les malheurs des autres hommes, n’a d’autre attrait que celui d’être une passion dont les mouvements remuent l’âme et la tiennent occupée ; cependant cette émotion a des charmes capables de la faire rechercher malgré les idées tristes et importunes qui l’accompagnent et qui la suivent. Un mouvement que la raison réprime mal, fait courir bien des personnes après les objets les plus propres à déchirer le cœur. [exemple des supplices].
C’est le même attrait qui fait aimer les périls où l’on voit d’autres hommes exposés sans avoir part à leurs dangers. Il est touchant, dit Lucrèce, de voir du rivage un vaisseau lutter contre les vagues qui le veulent engloutir, comme de regarder une bataille d’une hauteur d’où l’on voit en sûreté la mêlée35.

35Dubos inaugure ainsi un débat qui se poursuit tout au long du siècle et dont on entend encore l’écho dans le supplément à l’article « Tragédie » de l’Encyclopédie, écrit par Marmontel :

Lorsqu’on a lu ces beaux vers de Lucrèce : [citation en latin de II, 1-4], on croirait avoir trouvé dans le cœur humain le principe de la tragédie ; mais on se trompe. Il est bien vrai que l’homme se plaît naturellement à s’effrayer d’un danger qui n’est pas le sien, et s’affliger en simple spectateur sur le malheur de ses semblables. Il est vrai aussi que la joie secrète d’être à l’abri des maux dont il est témoin, peut contribuer par réflexion au plaisir que le spectacle de ces maux lui cause. Mais d’abord, les enfants, qui ne font pas certainement cette réflexion, ont un plaisir très vif à être émus de crainte et de pitié par des récits terribles et touchants : ce plaisir n’est donc pas, dans la simple nature, l’effet d’un retour sur soi-même ; […]
Principe de la tragédie. Le vrai plaisir de l’âme, dans ses émotions, est essentiellement le plaisir d’être émue, de l’être vivement sans aucun des périls dont nous avertit la douleur. Ainsi, la sûreté personnelle, tui sine parte pericli, est bien une condition sans laquelle le spectacle tragique ne serait pas un plaisir, mais ce n’est pas la cause du plaisir qu’on y éprouve ; il naît de l’attrait naturel qui nous porte à exercer toutes nos facultés et du corps et de l’âme, c’est-à-dire, à nous éprouver vivants, intelligents, agissants et sensibles. C’est cet exercice modéré de la sensibilité naturelle qui rend les enfants si avides du merveilleux qui les effraie […]36.

36On ne peut qu’être frappé par les lectures divergentes que Dubos et Marmontel font des mêmes vers : ce qui servait à justifier, moyennant, on l’a vu, la traduction de suaue par « touchant », une esthétique fondée sur l’émotion, est rejeté par Marmontel, qui n’en retient que la dimension réflexive, au nom du primat de la sensibilité.

37Il en va tout autrement chez Francis Ponge qui, dans une lecture beaucoup plus complète du De rerum natura, choisit l’ouverture du deuxième livre pour tresser l’éloge de Lucrèce et celui de son ami le peintre Georges Braque, dans un texte qui a aussi valeur de manifeste esthétique pour sa propre production littéraire. La contemplation retrouve une dimension sensible et même sensuelle pour faire de l’œuvre d’art le moyen d’accès privilégié aux templa serena. Le texte s’achève sur la citation en latin des vers de Lucrèce, suivie de ces mots :

Oui.
Et pour les templa serena
que vous nous proposez,
merci, Braque
37.

38Pour arriver à cette conclusion, Ponge a montré les affinités entre la peinture de Braque et l’épicurisme tels qu’il se manifeste dans les vers de Lucrèce. Il a aussi rappelé le lien étymologique entre contemplation et templum dont il a commenté la signification première de délimitation d’un espace dans le ciel par les augures38.

39Pascal Quignard rapproche aussi le templum et le cadre de la représentation picturale dans la variation sur le Suaue mari magno à laquelle il se livre dans Le sexe et l’effroi :

Que veut dire le mot suauis en romain ? Quand Lucrèce ouvre le second livre De la nature des choses, cherchant à définir la sagesse grecque d’Épicure (l’eudaimonia accessible à l’homme) il décrit la suauitas (la douceur). Il commence ainsi : Suaue est observer du rivage le naufrage d’autrui. Suaue est contempler du haut du bosquet les guerriers qui s’entretuent dans la plaine. Suaue est replonger le monde dans la mort et contempler la vie en se soustrayant à tous les liens et à tous les effrois. Lucrèce ajoute que la suauitas n’est en aucun cas la crudelitas (la cruauté) : la crudelitas consiste en la uoluptas devant la souffrance des humains.
La suauitas, c’est l’instant de mort mais c’est l’instant de mort auquel on participe même lorsqu’il vous épargne. La contemplation de la mort soigne les hommes, disaient les Épicuriens aussi bien que les Stoïciens, à partir d’argumentations diamétralement opposées. […]
Toute beauté rassemble en îlot, en entité insulaire, atomique, se dissociant du regard qui la contemple. Les encadreurs sont des faiseurs de frontière. C’est faire un lieu sacré. La fenêtre comme le cadre fait un temple d’un morceau du monde. […]
Une représentation de la vie immiscible à la vie signifia du vivant (zôè) mis à mort (zô-graphia).
Ce mouvement est en lui-même déjà une « anachorèse ». La peinture retire du monde39.

40Quignard s’était déjà arrêté sur le Suave mari magno dans un texte antérieur40 et en avait proposé une interprétation encore plus originale en s’appuyant sur le vers 17 et l’image de la nature qui aboie (naturam latrare) :

Les raisons qu’invoque Lucrèce ont été commentées durant des siècles par la tradition de la façon la plus sèche, la plus moralisante. Ils ont été jugés comme cyniques ou insuffisants. Le finale pourtant en révèle le secret : n’entendez-vous pas « ce qu’aboie la nature » ? […]
À partir de l’aboi qui ferme le texte, le suavis, le suave présente aussitôt un sens beaucoup plus concret que les arguments eux-mêmes très idéologiques et tri-fonctionnels que Lucrèce produit : le suavis est moins l’éloignement que le texte décrit, que la conséquence sonore du lointain. Le texte ne répète trois fois qu’une seule chose : on est trop loin pour entendre. Les naufragés, on n’entend pas leurs cris. On est sur le rivage. […] On n’entend même plus l’aboi lui-même des chiens, ni le ahanement du travail, ni le ventre qui lui aussi, à Rome, comme la nature « aboie » sa faim (latrans stomachus), ni le piétinement des troupeaux qui rentrent, ni les cheminées qui ronflent : mais le silence des atomes qui pleuvent dans l’espace nocturne et les lettres muettes de l’alphabet alignées sur les paginae (les sillons) des volumen. L’auctor comme le lector n’entendent pas crier ou aboyer les litterae. La litteratura est le langage qui se sépare de l’aboi. Telle est la suavitas. La suavitas n’est pas une notion visuelle, mais auditive41.

41Le clinamen évoqué par Harold Bloom semble ici très important : le texte dévie et même dérive très librement par rapport aux vers de Lucrèce. Et pourtant, sans sa dérive même, il retrouve l’enjeu métapoétique de la comparaison lucrétienne, notamment par le parallèle entre les atomes et les lettres qui fait écho à l’analogie des elementa si importante et récurrente (I, v. 823-829 et 907-914 ; II, v. 688-694) dans le De rerum natura. Elle permet à Lucrèce d’instaurer une correspondance entre le texte du poème et l’univers42 qu’il évoque et donc entre la lecture du premier et la contemplation du second43. Et s’il n’y a sans doute pas lieu d’exclure la dimension visuelle pour célébrer la dimension sonore, il est vrai, en revanche, que la poésie de Lucrèce mise sur les pouvoirs du son autant que sur ceux de l’image : « Douceur des sons, caresse sonore, telle est la suavitas44 ».

Notes de bas de page numériques

1 Hans Blumenberg, « Perspectives pour une théorie de l’inconceptuabilité », Naufrage avec spectateur [Schiffbruch mit Zuschauer, 1979], trad. L. Cassagnau, Paris, L’Arche, 1994, p. 93-115. Voir aussi la mise en perspective très éclairante de J.-C. Monod, « La Patience de l’image. Éléments pour une localisation de la métaphorologie », postface à Hans Blumenberg, Paradigmes pour une métaphorologie [1960], trad. D. Gammelin, Paris, Vrin, 2006, p. 171-195.

2 Lucrèce, De la nature / De rerum natura, II, v. 1-13, texte latin édité par Alfred Ernout, traduction de José Kany-Turpin, Paris, Aubier, 1993, rééd. Flammarion GF, 1997, revue 1998. Toutes les citations seront faites dans cette édition.

3 Harold Bloom, L’Angoisse de l’influence [The Anxiety of Influence, 1973], trad. M. Shelledy et S. Degachi, Paris, Aux forges de Vulcain, 2013, p. 63-64.

4 C’est notamment ce qui ressort de l’étude de Claudia Schindler, Untersuchungen zu den Gleichnissen im römischen Lehrgedicht : Lukrez, Virgil, Manilius, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, « Hypomnemata. Untersuchungen zur Antike und ihrem Nachleben » 129, 2000 p. 102-107. Je reprends ici l’analyse que j’ai proposée dans Templa serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge, Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 2013, p. 193-204.

5 Voir Phillip De Lacy, « Distant views : The Imagery of Lucretius 2 », Classical Journal, 60 (1964), p.  53.

6 Ce que néglige De Lacy, comme le souligne Claudia Schindler, Untersuchungen zu den Gleichnissen im röhmischen Lehrgedicht…, p.  107, note 118.

7 Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur, p. 36.

8 Alain Gigandet, Lucrèce. Atomes, mouvement : physique et éthique, Paris, P.U.F., « Philosophies », 2001, p. 99-100.

9 Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, « Folio essais », 1995, p. 183.

10 La pratique de Lucrèce illustre parfaitement la fonction poétique de la métaphore selon Paul Ricœur : « redécrire la réalité par le chemin détourné de la fiction heuristique » (La Métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, rééd. « Points », 1997, p.  311).

11 Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur, p. 36.

12 Montaigne, Essais, III, 1 « De l’utile et de l’honnête », éd. Jean Céard, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de poche classique », 2002, p. 9.

13 Frank Lestringant, « La tempête de près et de loin : la place du spectateur chez Rabelais, Rondard, D’Aubigné et Montaigne », L’Événement climatique et ses représentations (XVIIe-XIXe siècle) : histoire, littérature, musique, peinture, éd. E. Le Roy Ladurie, J. Berchtolf, J.-P. Sermain, Paris, Desjonquères, 2007, p. 117 et 118.

14 Antoine Compagnon, « Suave mari magno. Exégèse d’un lieu commun », Le mythe en littérature. Essais en hommage à Pierre Brunel, éd. Yves Chevrel et Camille Dumoulié, Paris, P.U.F., 2000, p. 305-318.

15 C’est surtout la conception d’un univers qui ne serait pas l’œuvre d’un dieu créateur qui est inadmissible pour Voltaire comme le montrent les deux dialogues dans lesquels il met en scène la victoire de Posidonius sur Lucrèce, contraint de reconnaître l’existence de l’être suprême. Voir Voltaire, Dialogues entre Lucrèce et Posidonius, éd. Jean Mayer, Œuvres complètes, 45B, II, Oxford, Voltaire Foundation, 2010, p. 375-401.

16 Voltaire, article « Curiosité », Questions sur l’Encyclopédie, par des amateurs [1770-1775], IV, éd. N. Cronk et C. Mervaud, Œuvres complètes, 40, Oxford, Voltaire Foundation, 2009. Cet article, comme les autres, fut intégré dans le Dictionnaire philosophique dans l’édition des Œuvres complètes par Beaumarchais, Kehl, Société littéraire typographique, 1784-1789, t. 39, p. 221.

17 Abbé Galiani, lettre à Madame d’Épinay du 31 août 1771, Correspondance inédite de l’abbé Ferdinand Galiani avec Madame d’Epinay, le baron d’Holbach, le baron de Grimm, Diderot, et autres personnages célèbres de ce temps, Paris, Dentu, 1818, t. I, p. 255.

18 François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, Œuvres romanesques et voyages, éd. Maurice Regard, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1969, p. 902.

19 François-René de Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, p. 1157-1158.

20 Blaise Pascal, Pensées, éd. Philippe Sellier, Paris, Librairie générale française, Le Livre de Poche, 2000, fr. 680. 

21 Voir Baldine Saint Girons, « Du sublime de la tempête », L’eau, les eaux, éd. Jackie Pigeaud, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, p. 129-145.

22 Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, III, §39, trad. A. Burdeau, Paris, P.U.F., 1966, p. 265.

23 Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques [1616], « Aux lecteurs », éd. A. Garnier et J. Plattard, Paris, STFM, 1990, t. I, p. 9.

24 Pour un commentaire de ce texte, à la fois dans le contexte des guerres de religion, et notamment du rapport à Ronsard, et dans la perspective plus large de la réflexion sur le spectateur, voir Frank Lestringant, « La tempête de près et de loin […] », p. 115-117.

25 Johann Gottfried von Herder, Briefe zu Beförderung der Humanität [1793], Sämtliche Werke, éd. B. Suphan, Hildesheim, G. Olms, XVIII, 1967, p. 315 : « Wir können der Französischen Revolution wie einem Schiffbruch auf offenem, fremden Meer vom sicheren Ufer herab zusehen, falls unser böser Genius uns nicht selbst wider Willen ins Meer stürzte. » Je traduis.

26 Voir Hans Blumenberg, Naufrage avec spectateur, p. 79-85.

27 Jakob Burckhardt, « Heur et malheur en histoire » [1871], Considérations sur l’histoire universelle, traduit de l’allemand par Sven Stelling-Michaud, Paris, Allia, 2001, p. 264-265.

28 Jakob Burckhardt, Fragments historiques, traduit de l’allemand par Maurice Chevallier, Genève, Droz, 1965, p. 204. Il s’agit d’un fragment écrit le 6 novembre 1871.

29 Voir S. Ballestra-Puech, « Lucrèce et Tchouang-tseu : Albert Camus lecteur du De rerum natura », Loxias-Colloques, « Camus : "un temps pour témoigner de vivre" », mis en ligne le 23 mars 2015, URL : http://revel.unice.fr/symposia/actel/index.html?id=697.

30 Voir Michael Franz, Von Gorgias bis Lukrez. Antike Ästhetik und Poetik als vergleichende Zeichentheorie, Berlin, Akademie Verlag, 1999, p. 647.

31 Jacques Amyot, « Aux lecteurs », préface de la traduction des Vies de Plutarque [1559], éd. G. Walter, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1951 : « […] le tout représenté si vivement, qu’en le lisant nous nous sentons affectionnés, comme si les choses n’avaient pas été faites par le passé, mais se faisaient présentement, et nous en trouvons passionnés de joie, de pitié, de peur et d’espérance, ni plus ni moins que si nous étions sur le fait, sans être en aucune peine ou danger, mais avec le contentement qu’apporte la recordation en sûreté des maux que l’on a autrefois endurés, et avec l’aise que décrit Lucrèce en ses vers : [trad. de II, v. 1-8] ».

32 Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, §58, trad. A. Burdeau, Paris, P.U.F., p. 404.

33 Jean-Antoine de Baïf, « À Nicolas Nicolaï », v. 90-105, Quatrième livre des poèmes [1573], Œuvres complètes, éd. J. Vignes, Paris, Champion, t. I, 2002, p. 293.

34 Marc Labussière, « Naufrages avec sauveteur chez Prévost : théories esthétiques et tempêtes romanesques à l’ombre du Suave mari magno », L’Événement climatique et ses représentations (XVIIe-XIXe siècle) : histoire, littérature, musique, peinture, éd. E. Le Roy Ladurie, J. Berchtolf, J.-P. Sermain, Paris, Desjonquères, 2007, p. 402.

35 Jean-Baptiste Dubos, Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture [1719], « De l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion », 1732 p. 7.

36 Marmontel, Encyclopédie, « Tragédie » IV [1777], Éléments de littérature [1787], éd. S. Le Ménahèze, Paris, Desjonquères, 2005, p. 1086.

37 Francis Ponge, « Braque ou Un méditatif à l’œuvre » [1971, L’Atelier contemporain [1977], Œuvres complètes, éd. B. Beugnot, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t.  II, 2002, p. 721.

38 J’ai commenté ce texte dans le dernier chapitre de Templa serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge.

39 Pascal Quignard, Le sexe et l’effroi, Paris, Gallimard, 1994, rééd. Folio, 1997, ch. II, « La peinture romaine », p. 71.

40 Michel Delon est le premier, à ma connaissance, qui ait attiré l’attention sur ce texte, à la fin de son article « Naufrages vus de loin : les développements narratifs d’un thème lucrétien », Rivista di Letterature moderne e comparate (Pise), 51/2 (1988), p. 91-119.

41 Pascal Quignard, « Les Larmes de Saint-Pierre. Musique et Pavor » [1983], remanié dans La Haine de la musique, Paris, Calmann-Lévy, 1996, rééd. Gallimard, « Folio », 1997, rééd. 2006, p. 78-81.

42 Voir Duncan Kennedy, Rethinking Reality : Lucretius and the Textualization of Nature, University of Michigan Press, 2002.

43 Lucrèce apporte donc une contribution décisive au devenir d’une autre métaphore absolue, celle de la lisibilité du monde qui a également été étudiée par Hans Blumenberg, La Lisibilité du monde [Die Lesbarkeit des Welt, 1983], trad. P. Rusch et D. Trierweiler, Paris, Cerf, 2007.

44 Cette expression qui figurait dans la première version du texte de Pascal Quignard publiée en 1983 n’a pas été conservée dans la dernière.

Bibliographie

Lucrèce, De la nature / De rerum natura, II, v. 1-13, texte latin édité par Alfred Ernout, traduction de José Kany-Turpin, Paris, Aubier, 1993, rééd. Flammarion GF, 1997, revue 1998

Bibliographie critique

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Ballestra-Puech Sylvie, « Le miel et l’absinthe : la poétique de la douceur selon Lucrèce », La douceur en littérature de l’Antiquité au XVIIe siècle, études réunies par Hélène Baby et Josiane Rieu, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 463-479.

Ballestra-Puech Sylvie, Templa Serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge, Genève, Droz, « Histoire des idées et critique littéraire », 2013.

Bloom Harold, L’Angoisse de l’influence [The Anxiety of Influence, 1973], trad. M. Shelledy et S. Degachi, Paris, Aux forges de Vulcain, 2013.

Blumenberg Hans, La Lisibilité du monde [Die Lesbarkeit des Welt, 1983], trad. P. Rusch et D. Trierweiler, Paris, Cerf, 2007.

Blumenberg Hans, Naufrage avec spectateur. Paradigme d’une métaphore de l’existence [Schiffbruch mit Zuchauen, 1979], trad. Laurent Cassagnau, Paris, L’Arche, 1994.

Blumenberg Hans, Paradigmes pour une métaphorologie [1960], trad. D. Gammelin, postface de Jean-Claude Monod, Paris, Vrin, 2006.

Brillaud Jérôme, « Épicurisme et tragédie au XVIIIe siècle : le De rerum natura de Lucrèce », in La Littérature française au croisement des cultures, éd. Madeleine Bertaud, Boulogne, ADIREL, « Travaux de littérature 22 », diffusion Genève, Droz, 2009, p. 41-50.

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Lestringant Frank, « La tempête de près et de loin : la place du spectateur chez Rabelais, Ronsard, d’Aubigné et Montaigne », L’Événement climatique et ses représentations (XVIIe-XIXe siècle) : histoire, littérature, musique, peinture, éd. E. Le Roy Ladurie, J. Berchtolf, J.-P. Sermain, Paris, Desjonquères, 2007, p. 102-125.

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Notes de la rédaction

Cette contribution a été prononcée dans le cadre d’une journée de préparation à l’agrégation de lettres classiques, organisée par Sabine Luciani (département des Sciences de l’Antiquité de l’université d’Aix-Marseille et le Centre Paul-Albert Février : UMR 7297, AMU, CNRS), le 16 novembre 2016. Voir http://www.compitum.fr/evenements/details/4761-journee-de-preparation-a-lagregation-de-lettres-classiques

Pour citer cet article

Sylvie Ballestra-Puech, « Déclinaisons du Suaue mari magno », paru dans Loxias, 55 (déc. 2016)., mis en ligne le 11 décembre 2016, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8574.


Auteurs

Sylvie Ballestra-Puech

Sylvie Ballestra-Puech est professeur de littérature comparée à l’Université Nice Sophia Antipolis, membre d’Université Côte d’Azur, et appartient au Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature et des Arts vivants (C.T.E.L.). Elle a notamment publié _Lecture de La Jeune Parque_ (Klincksieck, 1993), _Les Parques. Essai sur les figures féminines du destin dans la littérature occidentale_ (Éditions Universitaires du Sud, 1999), _Métamorphoses d’Arachné. L’artiste en araignée dans la littérature occidentale_ (Droz, 2006) et _Templa Serena : Lucrèce au miroir de Francis Ponge_ (Droz, 2013).