Loxias | 54 Doctoriales XIII | I. Doctoriales 

Eric Faure  : 

La chose sur le seuil & le gardien des portes

Résumé

Seuil concret ou abstrait, les portes sont des lieux investis d’une symbolique très forte dans les cultures de tous les âges et de tous les continents. La littérature japonaise offre de nombreux exemples de ce genre de portes mais aucune d’elles n’est aussi célèbre et aussi chargée du point de vue de la symbolique que Rashômon, la porte d’entrée de l’ancienne Capitale du Japon. Le nom Rashômon est connu en dehors du Japon grâce à la nouvelle d’Akutagawa Ryûnosuke et le film éponyme de Kurosawa Akira mais, au Japon, il évoque de nombreuses autres œuvres qui vont des recueils d’anecdotes du temps jadis aux pièces de théâtre nô. Dans cet article, je voudrais présenter les différentes histoires qui ont pour cadre Rashômon et quelques autres portes emblématiques de Kyôto et en profiter pour évoquer également la nature changeante de la « chose » que l’on disait se tenir à leur seuil…

Abstract

In most cultures, doors are considered as being magical pathways that lead to different places or different states of minds. Japanese literature provides many examples of such doors and its most famous is undoubtedly Rashômon, the entrance gate of the former Capital-City of Japan. Outside Japan, Rashômon is mainly known as the title of Akutagawa Ryûnosuke’s novel and Kurosawa Akira’s movie. However, in Japan, the Rashômon gate evokes a much broader ensemble of works ranging from anecdotes compilations to noh plays. In this article, I would like to present stories taking place in front of the Rashômon gate and some other famous gates of Kyôto and introduce some of the “things” that dwell on their thresholds…

Index

Mots-clés : folklore , généalogie, légendes, Sugawara no Michizane

Géographique : Japon

Chronologique : Du VIIIe siècle à nos jours

Plan

Texte intégral

1Pour entrer, nous devons pousser une porte et franchir un seuil qui nous permet de passer d’un lieu à un autre. Le geste est, certes, banal mais ses implications et ses répercutions peuvent être énormes. La prise de conscience du rôle quasiment magique des portes, fussent-elle concrètes ou abstraites, a, semble-t-il, conduit très vite les hommes de tous les continents et de toutes les cultures à les considérer comme des lieux qui symbolisent non seulement le passage d’un lieu à un autre mais aussi celui d’un état à un autre. Le franchissement d’une porte coïncide très souvent avec l’achèvement d’une quête et n’est autorisé qu’après une ultime épreuve à laquelle doit se soumettre le héros. On ne franchit en effet pas une porte source de transformation comme on entre dans un moulin. Pour ce faire, il faut connaître le mot de passe (« Tire la chevillette, la bobinette cherra », « Sésame ouvre-toi ! »), déchiffrer une énigme (Gandalf et les mots « Parlez ami et entrez » pour pénétrer dans les mines de la Moria), rencontrer son gardien divin (Janus aux deux faces adossées, Saint-Pierre se tenant aux portes du paradis) ou monstrueux (le chien cerbère des enfers grecs, le chien-lion des palais chinois)… Le Japon ne fait, bien sûr, pas exception à la règle et possède lui aussi son lot de portes, tant concrètes que symboliques. La plus célèbre de ces portes japonaises est sans aucun doute celle de Rashômon, la porte d’entrée principale de l’ancienne Capitale du Japon, qui a servi de cadre à un nombre considérable d’œuvres dont seules les plus récentes, la nouvelle Rashômon 羅生門 d’Akutagawa Ryûnosuke1 et le film éponyme de Kurosawa Akira, sont généralement connues en Occident. Nous voudrions évoquer, dans cet article, les récits qui ont pour cadre Rashômon et d’autres portes emblématiques de l’ancienne Capitale du Japon, dresser le portrait des individus qui se rencontrèrent sur leur seuil et ainsi tenter de mettre en évidence quelques-unes des particularités du concept de « frontière » au Japon.

Des portes concrètes et une porte invisible à l’œil nu

2Le Fengshui 風水 (littéralement « vent et eau ») est une science très ancienne qui s’est développée il y a des milliers d’années en Chine. Elle affirme, entre autres choses, que les points du compas sont placés sous la protection de Quatre Animaux Mythiques et que certains éléments du relief peuvent symboliser la présence de ces animaux. Le Heike Monogatari 平家物語 (Le Dit du Heike)2, une chanson de geste composée au treizième siècle par un auteur anonyme, rapporte comment l’empereur japonais Kanmu 桓武天皇 (737-806) déplaça la Capitale en l’an treize de l’ère Enryaku (794) et choisit le site de la ville actuelle de Kyôto parce qu’il possédait idéalement les éléments du relief symbolisant la présence des Quatre Animaux Mythiques : une étendue d’eau au sud pour Suzaku, l’Oiseau Rouge protecteur du Sud (le lac Ogura, comblé et transformé en rizière durant la Seconde Guerre Mondiale) ; une montagne au nord pour Gembu, la tortue « Guerrière de l’Obscurité » protectrice du Nord (le Mont Funaoka) ; une voie de communication à l’ouest pour Byakko, le Tigre Blanc protecteur de l’Ouest (la route Sanyô-dô) ; et une rivière à l’est pour Seiryû, le Dragon Vert protecteur de l’Est (la rivière Kamo). La science du Fengshui affirme d’autre part que les principes susceptibles de bouleverser l’harmonie d’un lieu surgissent toujours du nord-est et attribue, pour cette raison, le nom de « Porte des démons » (ki-mon 鬼門) à ce point du compas. Certains documents affirment que l’empereur Kanmu choisit le site de Kyôto non seulement parce qu’il était doté des Quatre Particularités Divines mais aussi et surtout parce qu’il avait, dans son angle nord-est, une montagne qui permettrait de bloquer les principes néfastes : le Mont Hiei 比叡山 (848m). Homme prudent qui aspirait désespérément à trouver le calme et la tranquillité après un début de règne des plus agités, l’empereur Kanmu s’empressa d’y faire construire le monastère Enryakuji 延暦寺 au sommet et d’y nommer des moines qui, par la récitation d’incantations et la tenue de rituels ésotériques, devaient assurer la défense de cette porte abstraite depuis laquelle surgissaient, croyait-on, toutes sortes d’entités surnaturelles et de démons propagateurs d’épidémies. C’est ce que révèle, par exemple, la lecture d’un poème de Jien 慈円 (1155-1226), le 62e recteur du monastère Enryakuji : « Ma montagne [le Mont Hiei] est située dans la direction bœuf-tigre [le nord-est] de la Capitale Fleurie, elle obstrue la porte par laquelle surgissent les démons »3.

3Dans cette plaine idéalement dotée des Quatre Particularités Divines, l’empereur Kanmu fit procéder à l’édification d’une Capitale dont le plan en damier, avec ses rues se coupant à angle droit, fut inspiré par celui des villes chinoises de Xian et de Luoyang. Toutefois, à la différence des Chinois qui vivaient dans la crainte permanente d’une invasion barbare et qui édifiaient de hautes murailles autour de leurs Capitales, l’empereur Kanmu ne fit pas procéder à la construction de remparts autour de sa Capitale dite de la Paix et de la Tranquillité (Heian-kyô 平安京). Aussi, du réseau de fortifications inspiré des Chinois, il n’en conserva que la porte d’entrée. Par conséquent, la version japonaise de rashômon 羅城門 (littéralement « porte d’entrée de forteresse ») pouvait aisément être contournée et n’avait, en fait, de porte de forteresse, que le nom. La fonction de la porte Rashômon de la Capitale de l’empereur Kanmu était purement décorative car elle servait essentiellement à impressionner les ambassadeurs étrangers par ses dimensions imposantes, à faire office d’arc de triomphe aux troupes rentrant, victorieuses, d’une campagne militaire contre les peuplades rebelles du nord-est et à servir de cadre à des rituels d’exclusion de la maladie hors des limites de la Capitale. Les visiteurs franchissaient, quant à eux, la porte Rashômon et débouchaient sur une avenue large de 84m et longue de 3,7km qui conduisait au pied de Suzakumon 朱雀門 (Porte du Phénix Rouge), la porte d’entrée du palais impérial qui était séparé du reste de la Capitale par un mur d’enceinte fortement gardé.

Différents, certes, mais poètes et musiciens

4Rashômon était un imposant portique peint en rouge vermillon qui faisait 35m de large sur 21m de haut et qui se dressait à l’entrée de la Capitale. Elle possédait cinq portes séparées par sept énormes piliers et avait une galerie couverte qui abritait une statue de la divinité bouddhique Bishamon. Elle fut détruite par une tempête le 16e jour du 8e mois de l’an sept de l’ère Kônin (816), reconstruite, endommagée par une nouvelle tempête le 9e jour du 7e mois de l’an trois de l’ère Tengen (980) puis, les Japonais ayant rompu les relations diplomatiques avec le continent et n’éprouvant, par conséquent, plus le besoin d’impressionner les ambassadeurs étrangers, elle fut laissée à l’abandon. Elle finit par s’effondrer et, en l’an trois de l’ère Jian (1023), le chancelier Fujiwara no Michinaga (966-1027) vint récupérer ses pierres de soubassement afin d’édifier les fondations de sa nouvelle résidence (Shôyûki 小右記4). De nos jours, il ne reste plus rien de Rashômon si ce n’est une stèle commémorative érigée en 1895 à l’occasion des célébrations du 1.100e anniversaire du déplacement de la Capitale sur le site de la ville actuelle de Kyôto. Cette stèle se dresse dans un jardin public de la Neuvième avenue, en un emplacement qui est aujourd’hui contesté par les historiens.

5Les premières références littéraires à la porte Rashômon proviennent de recueils d’anecdotes compilées aux alentours du douzième siècle, le Konjaku Monogatari 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé)5 et le Gôdanshô 江談抄 (Compilation d’anecdotes racontées par Ôe no Masafusa)6 en particulier. Le contenu de ces ouvrages se fait l’écho des conditions de vie des habitants de la Capitale et aussi de la manière dont ils considéraient la porte Rashômon. Pour les gens du peuple, c’était un simple bâtiment qui tombait en ruines et à l’étage duquel ils venaient abandonner leurs morts ou arracher les cheveux des défunts pour s’en faire des perruques (Konjaku Monogatari). Pour les aristocrates de la Cour, Rashômon restait un lieu limitrophe devant lequel ils venaient composer des poèmes (Gôdanshô7 & Jikkinshô 十訓抄, Dix contes moraux8) ou jouer de la flûte (Senjûshô 撰集抄, Notes sélectionnées et assemblées9), parfois en compagnie du « monstre » que l’on disait habiter dans sa galerie. En effet, si l’on en croit ces récits, la porte Rashômon était habitée par un oni 鬼, c’est-à-dire une créature surnaturelle dont le nom signifiait à l’origine « esprit de défunt » et qui était utilisé pour désigner aussi bien les morts que les étrangers ou les habitants des forêts ou des montagnes. Autrement dit, oni faisait référence à tous ceux dont l’apparence, les habitudes ou le style de vie différaient de ceux des habitants de la Capitale.

6Le oni est généralement représenté sous les traits d’un monstre grimaçant (influence des représentations bouddhiques des geôliers des enfers) au front percé de cornes de bœuf et à la taille ceinte d’un pagne en peau de tigre (influence des croyances populaires taoïstes qui appellent le nord-est « porte des démons » ou encore « direction bœuf-tigre »). Or, ici, il n’en est rien. Le « monstre » de la porte Rashômon est à l’image des aristocrates de la Capitale. Il s’adonne à la poésie et à la musique et ses seuls crimes se limitent encore au vol du luth de l’empereur (Konjaku Monogatari10 & Gôdanshô11). Extrêmement cultivé et doté d’une indéniable sensibilité esthétique, le oni de la porte Rashômon offre une flûte à l’aristocrate musicien Minamoto no Hiromasa 源博雅 (918-980) (Gôdanshô12 & Jikkinshô13) et aide l’aristocrate poète Miyako no Yoshika 都良香 (834-879) à terminer un poème. Des œuvres plus tardives telles que l’estampe Suzakumon no tsuki 朱雀門の月 (Lune sur Suzakumon, estampe de la série Tsuki Hyaku Sugata 月百姿, Cent aspects de la lune, 1885-1892) de Tsukioka Yoshitoshi 月岡芳年 (1839-1892) le dépeignent, certes, de dos mais vêtu d’un magnifique habit et coiffé du chapeau des aristocrates de la cour impériale. Remarquons au passage que, comme le suggère le titre de cette estampe, Tsukioka Yoshitoshi déplace l’histoire de Minamoto no Hiromasa de Rashômon à Suzakumon, la porte d’entrée principale du palais impérial. Il s’agit là d’un phénomène que nous retrouvons également dans les vieux recueils d’anecdotes dont les auteurs situent, par exemple, indifféremment l’histoire de Miyako no Yoshika devant la porte Rashômon (Gôdanshô14 et Jikkinshô15) ou devant la porte Suzakumon (Honchô Shinsenden 本朝神仙伝, Biographies des immortels de notre pays16 & Senjûshô17). Ce n’est donc pas une porte en particulier qui semble les intéresser mais plutôt la fonction de la porte en tant que seuil symbolique et lieu de rencontre entre des individus issus de deux mondes différents.

7Ces anecdotes dépeignent le plus souvent des rencontres pacifiques mais certains récits se chargent de rappeler que, même s’il sait se montrer accueillant et généreux, l’occupant de la porte n’est pas de notre monde et possède un système de valeurs sensiblement différent du nôtre. Le Haseo Zôshi 長谷雄草紙 (Rouleau de Haseo)18 raconte par exemple comment le monstre de la porte Suzakumon invite l’aristocrate Ki no Haseo 紀長谷雄 (845-912) à jouer au trictrac et, après avoir perdu la partie, lui offre une femme qu’il a fabriquée à partir de morceaux de cadavres ramassés dans les champs funéraires de la Capitale. Cette histoire rappelle que, même s’il compose des poèmes ou joue d’un instrument de musique, un monstre reste tout de même un monstre. Cette douloureuse impression est confortée par une anecdote du Konjaku Monogatari19 qui relate comment ce même monstre de la porte Suzakumon pénètre nuitamment dans le bois du palais impérial, agresse une femme et en emporte quelques morceaux avec lui.

Les moines qui se dressent à la « porte des démons »

8Des rituels ésotériques destinés à chasser la maladie étaient organisés en cas de crise ou à dates fixes devant Rashômon ou les portes du palais impérial. Des rituels similaires étaient aussi célébrés au monastère Enryakuji que l’empereur Kanmu avait fait construire au sommet du Mont Hiei afin que ses moines assurent la protection de la « Porte des démons » de la Capitale. On l’aura compris, les craintes des Japonais vivant dans les villes n’étaient pas de celles que des murailles, même les plus hautes, auraient pu apaiser. Ces derniers redoutaient par-dessus tout les « principes néfastes » propagateurs d’épidémies et comptaient sur les moines du monastère Enryakuji pour célébrer des rituels de protection de la Capitale et les protéger à grands coups de prières et d’incantations. Cette lutte des moines du Enryakuji contre les forces du mal débuta, paraît-il, dès l’époque de la fondation du monastère par Saichô 最澄 (767-822). On raconte en effet que, lorsqu’il fit l’ascension du Mont Hiei pour la première fois, celui-ci livra bataille à des hordes de « démons des montagnes et des rivières » et parvint, grâce à un puissant sortilège, à les enfermer dans le sol d’une colline. Ce serait, dit-on, la raison pour laquelle la colline reçut par la suite le nom de Karigome no Oka 狩籠の丘 (Colline de la chasse et de l’enfermement) et fut considérée comme l’un des « Quatre Lieux Maléfiques » (Yonmasho 四魔処) du Mont Hiei.

9Dans les siècles qui suivirent, les successeurs de Saichô n’eurent de cesse de livrer des combats épiques contre les forces du mal et de protéger la Capitale contre les épidémies et autres agressions surnaturelles. L’un des plus célèbres défenseurs de la « Porte des démons » de la Capitale s’appelait Ryôgen 良源 (912-985). Le Tôeizan Kan-ei-ji Ganzan Daishi Engi 東叡山寛永寺元三大師縁起 (Le rouleau illustré du « Mont Hiei de l’Est » Kan-ei-ji qui raconte la vie du Grand Maître du Troisième Jour du Mois du Nouvel An)20 relate en effet comment, à l’époque où il occupait les fonctions de supérieur général du monastère Enryakuji, Ryôgen se métamorphosa en démon cornu et effraya tellement le Dieu des épidémies que ce dernier renonça à venir infester la Capitale. On raconte que Ryôgen confectionna ensuite des amulettes à son image et ordonna à ses disciples d’aller les distribuer aux habitants de la Capitale. La coutume s’est maintenue et, de nos jours encore, il est possible de voir des amulettes dites du Oni Daishi 鬼大師 (Grand maître monstrueux) sur le seuil des maisons des habitants de Kyôto.

10À l’époque de Saichô et de Ryôgen, les maladies étaient attribuées au dieu des épidémies, à des kami furieux d’être négligés ou encore à la malédiction d’outre-tombe de ceux que l’on appelait les « esprits courroucés » (onryô 怨霊). Ces derniers étaient des membres de la famille impériale ou des politiciens de haut rang qui avaient été injustement accusés de crimes, qui avaient connu une mort inique et qui, croyait-on, revenaient pour se venger des responsables de leurs malheurs. Le plus célèbre de ces esprits courroucés s’appelait Sugawara no Michizane 菅原道真 (845-903). Ce lettré confucéen fut accusé de fomenter un coup d’Etat, destitué et envoyé en exil à Dazaifu, dans l’île de Kyûshû. A sa mort, il se changea en esprit courroucé, s’envola en direction du Mont Hiei afin de franchir la « Porte des démons » et pénétrer dans la Capitale pour poursuivre de sa malédiction les artisans de sa déchéance. Le Tenjin-ki 天神記 (Le récit du Dieu Céleste)21, une biographie de Sugawara no Michizane rédigée en l’an cinq de l’ère Kenkyû (1194), raconte comment son esprit courroucé se présenta devant Son.i 尊意 (866-940), le 11e supérieur général du monastère Enryakuji, et lui conseilla de ne pas intervenir dans l’exécution de sa vengeance. Quand le moine lui répondit qu’il était aux ordres de l’empereur, l’esprit de Sugawara no Michizane se mit en colère, saisit une grenade dans une corbeille à fruits, l’avala et la recracha sous la forme d’une boule incandescente qui mit le feu à la pièce. Le moine ne se laissa pas décontenancer. Il forma des gestes cabalistiques avec ses doigts et parvint ainsi à éteindre l’incendie. Le Tenjin-ki se poursuit en racontant comment l’esprit courroucé de Sugawara no Michizane pénétra malgré tout dans la Capitale pour mettre sa vengeance à exécution mais le biographe, désireux, de toute évidence, de sauvegarder la réputation de défenseurs de l’empire des moines du monastère Enryakuji, laisse clairement entendre que, s’il l’avait voulu, le supérieur général Son.i aurait très bien pu l’arrêter. Par la suite, la scène de la confrontation entre Son.i et Sugawara no Michizane fut immortalisée par quantité d’estampes qui en vinrent même à constituer un genre à part entière sous le nom de « Sakuro Tenjin 柘榴天神 » (Dieu Céleste aux grenades) et à fournir la matière à deux pièces de nô intitulées Raiden 雷電 (Tonnerre et foudre) et Kanshôjô 管丞相 (le Ministre Sugawara). Les auteurs de ces pièces, moins soucieux que le rédacteur du Tenjin-ki de respecter la version de l’histoire de Sugawara no Michizane telle qu’elle est narrée dans les biographies « officielles » compilées par les ministres de son culte, n’hésitèrent pas à modifier la fin de l’histoire et à conclure par le triomphe de Son.i qui apaise la vindicte d’outre-tombe de Sugawara no Michizane et parvient à le faire renoncer à sa vengeance22.

On ne joue plus, on trucide

11Aux menaces, invisibles et abstraites, constituées par les épidémies et les esprits courroucés, il en était d’autres, bien plus réelles, qui prenaient la forme de bandits de grands chemins, au sens littéral du terme. Le Konjaku Monogatari23 raconte bien par exemple comment l’aristocrate Minamoto no Hiromasa, encore lui, apaisa les humeurs belliqueuses du bandit Hakamadare mais l’époque n’était plus à la raison et l’âge d’or des courtisans touchait à sa fin. Le climat d’insécurité qui régnait à cette époque à la Capitale reflétait, d’une certaine manière, ce qui se passait, en bien pire, dans les campagnes. Pour protéger leur vie et défendre leurs terres, les seigneurs provinciaux s’initièrent au maniement des armes et imaginèrent ensuite de mettre cette science au service des aristocrates de la Capitale. Ils en firent un moyen d’ascension sociale puis, les rivalités politiques aidant, ils finirent, aux alentours du douzième siècle, par s’affronter sur les champs de bataille. La guerre dite des Taira et des Minamoto se solda par la victoire de ces derniers en l’an trois de l’ère Kenkyû (1192) et l’établissement d’un Gouvernement militaire à Kamakura qui se proposa de diriger le pays au nom de l’empereur. Bien évidemment, ce bouleversement politique influa considérablement sur la nature des histoires qui furent écrites et situées devant la porte Rashômon : la porte d’entrée de la Capitale devint un seuil devant lequel se dressaient maintenant de puissants guerriers, Minamoto ou affiliés dans la plupart des cas, qui en affrontaient son occupant. Ce dernier n’était plus considéré comme une créature extrêmement cultivée en compagnie duquel l’on jouait de la flûte ou composait des poèmes mais un ennemi de l’empire qu’il fallait détruire.

12Le plus célèbre de ces pourfendeurs de monstres en tous genres s’appelait Minamoto no Yorimitsu 源頼光 (948-1021). Aristocrate provincial dont l’Histoire n’a quasiment rien retenu, celui-ci devint pourtant, dans le monde des légendes japonaises, un héros intrépide dirigeant une milice avec laquelle il protégeait la Capitale et qui était, pour cette raison, comparée aux divinités bouddhiques protectrices des points cardinaux. La version dite Yashirobon du Dit du Heike (Yashirobon Heike Monogatari 屋代本・平家物語)24 raconte, par exemple, comment Minamoto no Yorimitsu et ses vassaux trucidèrent une « araignée de terre » géante (tsuchigumo 土蜘蛛). Le terme « araignée de terre » est très ancien et apparaît dans les vieilles chroniques historiques où il ne désigne pas des animaux mais est utilisé de manière discriminatoire pour désigner les populations rebelles qui s’opposent aux forces unificatrices du premier empereur du Japon. Cette même chronique guerrière raconte d’autre part comment un vassal de Minamoto no Yorimitsu, l’impétueux Watanabe no Tsuna 渡辺綱 (953-1024), affronta un oni sur le Pont de la première avenue et lui trancha un bras (Yashirobon Heike Monogatari)25. Le pont est un autre de ces lieux hautement symboliques qui permet de passer d’une berge à une autre, d’un monde vers un autre. C’était d’autant plus vrai pour celui de la Première avenue de qu’il était situé au nord-est du Palais impérial, dans cette fameuse direction dite de la « Porte des démons », et qu’il avait aussi été le théâtre de plusieurs incidents d’ordre surnaturel. Le plus célèbre de ces incidents consista en un rituel de résurrection qui fut conduit avec succès par le moine Jôzô 浄蔵 (891-964) afin de rappeler son père d’entre les morts et qui fut d’ailleurs à l’origine du surnom du pont : Modori-bashi 戻り橋 (Pont du retour). Bref, situer l’affrontement de Watanabe no Tsuna en un lieu qui se trouvait dans « la porte des démons » du palais impérial n’avait, bien sûr, rien d’innocent car il illustrait, de manière symbolique, le rôle de protecteur de l’empire que les militaires se proposaient de jouer en ce temps-là.

13Cette dimension symbolique de l’histoire n’échappa pas aux auteurs et aux dramaturges qui la reprirent dans leurs œuvres, en déplacèrent quelquefois le lieu de l’action mais prirent toujours soin de la situer en des seuils marquant la frontière entre deux mondes : à l’orée d’une forêt près de Nara (Taiheiki 太平記, L’histoire de la grande paix)26, au carrefour des avenues Shichijô et Horikawa (conte Shûtendôji 酒呑童子)27, ou, bien sûr, devant la porte Rashômon (pièce de nô Rashômon 羅生門)28. Remarquons au passage que Kanze Nobumitsu (1435-1516), l’auteur présumé de la pièce Rashômon, modifie la graphie du nom de la porte et remplace le caractère « shô 城 » (château) par un autre qui se lit pareillement « shô 生 » mais qui signifie « vie » et qui ajoute, du coup, une nouvelle dimension à l’œuvre : Rashômon n’est plus seulement une porte au pied de laquelle un guerrier affronte un ennemi de l’empire, c’est aussi et d’abord un lieu de transition où se décide la vie ou la mort d’un homme. Cette idée, nous y reviendrons, sera largement exploitée dans le film éponyme de Kurosawa Akira.

14Minamoto no Yorimitsu et ses Rois Célestes sont aussi les héros d’une œuvre intitulée Ôeyama 大江山 qui raconte comment ils trucidèrent un roi oni qui s’appelait Shutendôji 酒呑童子 (Enfant buveur de saké) et dont le palais se trouvait au sommet du « Mont Ôe. » Les spécialistes de la question ne s’entendent pas sur l’emplacement précis de cette montagne. Certains la situent dans le nord du département de Kyôto, d’autres dans l’ouest de la ville de Kyôto (l’actuel col Ôi-no-saka 老いの坂), en un lieu qui correspondait jadis à l’un des postes-frontière érigés en bordure des sept voies d’accès de l’ancienne Capitale. Inutile de dire que nous penchons en faveur de la seconde hypothèse car le poste frontière remplit la même fonction symbolique qu’une porte ou un pont, à savoir celle de servir de lieu de transition. Nous l’aurons compris, les œuvres qui mettent en scène Minamoto no Yorimitsu et sa célèbre milice dépeignent toutes des guerriers affrontant des créatures surnaturelles en des lieux limitrophes et se font, ainsi, l’écho de la situation politique du pays qui était dirigé, en ce temps-là, par des guerriers qui se proposaient de protéger l’empire et de gouverner au nom de l’empereur. Si certaines de ces « Raikô-mono 頼光物 (œuvres à propos de Yorimitsu) » sont des créations originales, d’autres furent écrites à la demande des maîtres du pays. Il serait toutefois quelque peu hâtif de les considérer comme des œuvres de propagande car elles bénéficiaient d’une audience des plus limitées à l’époque de leur création. Non, c’était tout simplement des œuvres créées par des auteurs afin de satisfaire les maîtres du pays qui étaient aussi leurs mécènes, afin de flatter l’égo de ces derniers en représentant les exploits d’un guerrier qu’ils revendiquaient comme ancêtre (Minamoto no Yoritomo, fondateur du Gouvernement de Kamakura en 1192, et Ashikaga Takauji, fondateur du Gouvernement de Muromachi en 1338, prétendaient tous deux descendre de Minamoto no Yorimitsu). Il n’en demeure pas moins vrai que ces œuvres revenaient à légitimer la prise du pouvoir par les militaires ; et leurs auteurs, visiblement alarmés par cet état de fait, n’hésitaient pas, à l’occasion, à glisser des nuances de reproches dans leurs récits. C’est le cas par exemple du nô Ôeyama 大江山 (Le Mont Ôe)29, dans lequel son auteur, Zeami (1363-1443), prend la cause des onis massacrés suite à un stratagème indigne d’un samurai et place dans la bouche du shite Shutendôji une phrase à double sens qui pourrait se traduire par : « les onis, eux, ne font pas de coups tordus ! »

15Au fil du temps, les aventures de Minamoto no Yorimitsu se diffusèrent au sein de la population, elles furent adaptées sous forme de contes (otogizôshi 御伽草子), de pièces de théâtre et d’estampes et les lieux qui leur avaient prétendument servi de cadre furent progressivement mentionnés dans les guides touristiques de la ville ! C’est ainsi que les descriptions du site de la porte Rashômon ou du « Pont du retour » que l’on y trouve contiennent systématiquement une référence au combat que Watanabe no Tsuna y a mené contre un oni et, de même que les gens vont aujourd’hui visiter une ville ayant servi au tournage de quelque film célèbre, les visiteurs de la Capitale ne manquaient pas de se rendre sur les lieux de ces histoires célèbres. La lecture des vieux guides touristiques de Kyôto permet d’autre part de comprendre que cet engouement pour « les lieux à histoires » ne fut pas sans conséquences sur les temples et les sanctuaires environnants. Ne tardant pas à réaliser tout le bénéfice économique à retirer de cet engouement, leurs prêtres imagèrent d’adapter ces histoires à leur convenance, de les rattacher à leurs temples ou sanctuaires et d’attirer ainsi les touristes et leurs oboles.

16Prenons l’exemple de l’histoire du guerrier Watanabe no Tsuna affrontant un oni et lui tranchant un bras devant la porte Rashômon ou sur le Pont du retour en fonction des versions. Les prêtres du Furui Jinja 布留井神社 se mirent à raconter que leur sanctuaire ne s’appelait pas « Furui » parce qu’il était consacré au kami des récoltes Furui Mitama no Kami mais parce que le cheval de Watanabe no Tsuna s’était mis à trembler (« furui » en japonais) devant leur sanctuaire tandis qu’il chevauchait en direction de la porte Rashômon30… Les moines de l’annexe Hakushû Mizuya 白州水屋 du temple Nishi Honganji 西本願寺 présentaient aux visiteurs un bassin aux ablutions rituelles et leur expliquaient que c’était « en fait » le coffre de pierre (Oni no Chôzubachi 鬼の手水鉢) dans lequel Watanabe no Tsuna avait déposé le bras tranché du oni de la porte Rashômon31… Les prêtres du Kitano Tenmangû 北野天満宮 racontaient, quant à eux, que la lanterne qui se dressait dans la cour de leur sanctuaire était celle que Watanabe no Tsuna avait offerte à leurs prédécesseurs au terme de son combat victorieux contre le oni du Pont de la Première avenue (Watanabe no Tsuna no sekitôrô 渡辺綱の石燈籠) et que l’épée Oni-kiri 鬼切 (Tranche monstre) exposée dans leur musée était celle qu’il avait utilisée à cette occasion pour lui trancher le bras… Il est aujourd’hui difficile de savoir dans quelle mesure les gens croyaient à l’authenticité de ces reliques mais il n’en demeure pas moins vrai qu’elles attiraient les foules. Pour preuve, cette scène du Tôkaido-chû Hiza Kurige 東海道中膝栗毛 (A pied sur le Tôkaidô)32 où les deux protagonistes de ce roman de Jippensha Ikku (1765-1831) visitent le Kitano Tenmangû, s’émerveillent devant la lanterne de Watanabe no Tsuna et s’exclament : « Cette lanterne de pierre nous rappelle, aujourd’hui encore, le nom de Tsuna. Son blason à trois étoiles nous rappelle, aujourd’hui encore, le temps jadis ».

De « nouveaux vieux classiques »

17Minamoto no Yorimitsu et ses fidèles vassaux redevinrent brusquement à la mode à l’époque de Meiji. Ce n’est certainement pas un hasard si d’aussi ardents défenseurs de la cause impériale reprirent du service à une époque où un empereur revenait au pouvoir après des siècles de Gouvernement militaire et célébrait le culte des héros de la cause impériale en érigeant des sanctuaires en leur honneur ou en faisant frapper de la monnaie à leur effigie. Ce n’est pas non plus un hasard car l’époque de Meiji fut aussi une période de grands bouleversements durant laquelle le Japon se tourna désespérément vers les « choses européennes », renia des pans entiers de sa culture et suscita, chez certains artistes, un fort courant de nostalgie pour les « choses japonaises » d’antan. Ce fut le cas de Tsukioka Yoshitoshi qui revisita les classiques de la littérature japonaise et peignait ses plus fameuses séries d’estampes. Ce fut aussi le cas de Kawatake Mokuami 河竹黙阿弥 (1842-1910) qui écrivit deux pièces de kabuki qui furent très vite considérées comme deux des « dix nouveaux vieux classiques du théâtre » (Shinko Engeki Jisshu no uchi 新古演劇十種の内) et qui devinrent, par la suite, des… classiques du genre : Modori Bashi 戻り橋 (Le Pont du Retour)33 et Ibaraki 茨木34. La première pièce raconte comment Watanabe no Tsuna affronte le oni Ibaraki sur le Pont de la première avenue (le « Pont du retour ») et lui tranche un bras. La seconde pièce raconte comment Ibaraki assume l’apparence de la vieille tante de Watanabe no Tsuna pour s’introduire chez lui et récupérer son bien.

18À la même époque, le jeune Akutagawa Ryûnosuke 芥川龍之介 (1892-1927) rendit pareillement hommage à la littérature classique japonaise et publia dans le journal Teikoku Bungaku 帝国文学 une nouvelle qu’il intitula Rashômon 羅生門35. Pour écrire cette nouvelle où il retranscrivit le nom de la porte avec l’idéogramme « vivre » à la place de celui de « forteresse », Akutagawa Ryûnosuke s’inspira de deux anecdotes tirées du Konjaku Monogatari qui racontaient respectivement comment un voleur montait à l’étage de Rashômon et rencontrait une vieille femme occupée à voler les cheveux d’une morte36 et comment une vieille femme tuait des serpents et les vendait aux gardes de la capitale en leur faisant croire que c’étaient des poissons37. Il rassembla ces deux anecdotes en une même histoire et raconta comment un homme monta dans la galerie de la porte Rashômon et rencontra une grand-mère occupée à arracher les cheveux du cadavre d’une femme qui vendait des serpents en guise de poisson. Quelques années plus tard, il renouvela l’expérience et s’inspira d’une autre anecdote du Konjaku Monogatari qui racontait comment le bandit de grands chemins Hakamadare trucidait et dévalisait un aristocrate à la barrière d’Ôsaka-yama 逢坂山 (le poste situé à frontière des provinces de Yamashiro et d’Ômi)38. Il intitula sa nouvelle Yabu no naka 藪の中 (Dans le fourré)39 et la publia en janvier 1922 dans le magazine Shinchô 新潮. Sous sa plume, l’histoire prit la forme d’une enquête menée par un lieutenant de police qui enquête sur un crime survenu à la barrière d’Ôsaka et interroge, pour ce faire, un bûcheron, un moine itinérant, un mouchard, une vieille femme, l’assassin (rebaptisé Tajômaru), la veuve et… le mort (par l’intermédiaire d’une voyante). Ces deux nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke offrent une vision particulièrement noire du l’humanité. Les lieux de transition que l’on y découvre (la porte Rashômon et le poste frontière d’Ôsaka) se dressent au milieu d’une ville tombant en ruines et servent uniquement à déshumaniser des personnages déjà passablement déshumanisés (le voleur et la vieille femme de la porte Rashômon qui ne reculent devant aucune extrémité pour (sur)vivre, même si cela implique le vol, le mensonge ou le meurtre) ou à les faire passer de vie à trépas (le guerrier de la barrière d’Ôsaka).

19Quelques années plus tard, en 1950, Kurosawa Akira adapta les deux nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke pour le grand écran et réalisa le film Rashômon. Le tournage se déroula dans les studios de la Daiei à Kyôto et en extérieurs, dans une forêt près de Nara et au temple Komyoji de la ville toute proche de Nagaoka. Pour reconstruire la fameuse porte qui donnait son nom au film, Kurosawa Akira ne lésina pas sur les moyens. Il fit reconstruire Rashômon à taille réelle et poussa le perfectionnisme jusqu’à faire fabriquer 4000 tuiles gravées des mots « an 17 de l’ère Enryaku » (794, l’année du déplacement de la capitale à Kyôto et de la construction de la porte Rashômon). Dans son film qui combine habilement le contenu des nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke, Kurosawa Akira met en scène un passant, un bûcheron et un moine qui viennent s’abriter de la pluie sous les ruines de la porte Rashômon et parlent d’un incident qui s’est produit quelque temps plus tôt : le meurtre d’un guerrier et le viol de sa femme à la barrière d’Ôsaka. Le bûcheron, le moine et le passant ont été interrogés au tribunal, de même que le meurtrier présumé (merveilleux Mifune Toshirô), l’épouse violée et le mari assassiné (par l’intermédiaire d’une prêtresse spécialisée dans la possession rituelle), mais il apparaît très vite que tous ont menti et donné une version des faits tronquée en fonction de leurs intérêts personnels. Ce terrible constat nous ramène à la noirceur des nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke et conduit le moine du film de Kurosawa Akira à perdre le peu de foi en l’humanité qui lui restait.

20Toutefois, l’histoire n’en reste pas là car Kurosawa Akira est un formidable humaniste qui garde intacte sa foi en l’humanité. De même que les œuvres originelles situées devant la porte Rashômon mettaient systématiquement en scène une « chose sur le seuil » (the thing on the threshold) pour reprendre cette expression chère à Lovecraft qui influait sur le destin des aristocrates ou des guerriers qu’elle approchait, Kurosawa Akira introduit pareillement dans son film un instrument du destin qui va permettre à ses protagonistes de regagner leur humanité perdue : un bébé abandonné sous la porte. Le bûcheron propose spontanément de l’adopter, arguant du fait qu’il a déjà six enfants et que, « quand il y en a pour six, il y en a pour sept. » Dans un premier temps, le moine refuse puis, se rappelant que le bûcheron a menti pour cacher le fait qu’il avait volé le couteau de l’aristocrate assassiné afin de le vendre et nourrir sa famille nombreuse, il finit par accepter et s’exclame : « Ton geste m’a redonné foi en l'humanité. » A l’inverse des protagonistes des nouvelles d’Akutagawa Ryûnosuke qui passaient de vie à trépas ou finissaient de perdre le peu d’humanité qui leur restait en des lieux limitrophes, ceux de Kurosawa Akira accomplissent le voyage initiatique inverse et, de par leur franchissement de Rashômon, sont sauvés, physiquement pour le bébé abandonné, spirituellement pour le bûcheron et le moine. Ils ont retrouvé leur humanité perdue et justifient ainsi pleinement le recours au caractère « shô » (vie) pour retranscrire le nom de la porte Rashômon dans le film.

En conclusion

21Ce rapide survol des histoires qui ont la porte Rashômon pour cadre nous a permis de comprendre que, dès l’époque de son édification, la porte d’entrée principale de l’ancienne capitale du Japon joua un rôle purement symbolique. Contrairement à ce que son nom laisse attendre, elle ne gardait pas l’entrée d’une ville entourée de remparts et servait essentiellement à impressionner les ambassadeurs étrangers et à servir de cadre à des histoires où des aristocrates se livraient à d’élégantes joutes artistiques avec la créature que l’on disait habiter dans sa galerie. C’était une vraie porte mais elle ne remplissait pas réellement sa fonction de seuil car elle pouvait être aisément contournée. Inversement, il y avait, dans l’angle nord-est de la Capitale, une porte abstraite qui était pourtant investie d’une existence bien concrète et qui avait conduit l’empereur Kanmu à en confier la garde aux prêtres du monastère Enryakuji. La porte Rashômon servit ensuite de cadre à des histoires qui mettaient en scène des guerriers chassant des monstres aux portes de la Capitale et qui se faisaient ainsi l’écho de la situation politique du pays à l’époque de leur création. Les exploits du célèbre chasseur de monstres Minamoto no Yorimitsu fournirent la matière à quantité d’œuvres dont, outre celles que nous avons présentées dans l’article, un film très librement inspiré par les exploits de son vassal Watanabe no Tsuna. Yabu no naka no kuroneko 藪の中の黒猫 (The Black Cat), c’est son nom, fut présenté en compétition à Cannes mais il ne connut pas les honneurs de la sélection car le festival de cette année-là fut annulé en raison des « évènements de mai 68. » Et c’est bien dommage car ce film de Shindo Kaneto reprend à son compte deux thèmes récurrents de la littérature classique japonaise, à savoir ceux de la porte et de la métamorphose d’une femme en démon, et s’en sert pour raconter l’histoire de deux femmes qui se transforment en « chats fantômes » (bake-neko 化け猫) et rodent dans les environs de la porte Rashômon afin d’attaquer et de tuer les soudards qui les ont violées. Notre évocation des histoires situées devant la porte Rashômon a aussi révélé que ces histoires sont quelquefois déplacées en d’autres lieux qui présentent, cependant, toujours le point commun de correspondre à des seuils : la porte Suzakumon, le Pont de la première avenue (le Pont du Retour) ou encore la barrière d’Ôsaka pour ne citer que les plus célèbres. Il existait, bien sûr, d’autres portes considérées comme des seuils dans l’ancienne Capitale du Japon, d’autres telles que celle dite de « l’enfer » qui a inspiré le nom de l’un des plus célèbres films japonais : Jigokumon 地獄門 (La porte de l’enfer, 1954) de Kinugasa Teinosuke. A l’origine, cette porte était celle d’un temple, le Hôsshôji 法性寺 (temple imprégné de la sagesse de la loi bouddhiste), qui se dressait à la croisée des routes conduisant à Kyôto, Uji et Nara et qui reçut ce terrible surnom après que la tête tranchée du moine Shinzei (1106-1160) y ait été accrochée pour servir d’exemple et décourager toute velléité de rébellion. Kinugasa Teinosuke montre la « porte de l’enfer » à trois reprises dans son film et s’en sert à chaque fois pour symboliser les différents états d’âme de son héros, un guerrier nommé Endô Moritô (1139-1203) dont l’amour insensé pour une femme mariée poussera cette dernière au suicide. Les versions originelles de cette célèbre histoire d’amour ne mentionnent pas « la porte de l’enfer. » Il s’agit-là d’un ajout effectué par Kinugasa Teinosuke qui ne manquera pas de retenir toute notre attention car il rend, d’une certaine manière, hommage, à ces bonnes vieilles histoires du temps jadis qui faisaient de la porte Rashômon un lieu de transition, physique ou spirituelle.

Notes de bas de page numériques

1 Akutagawa Ryûnosuke, Rashômon 羅生門, [1914], Rashômon et autres contes, éd. Connaissances de l’Orient, trad. Mori Arimasa, Paris, Gallimard Unesco, 1965, pp. 76-83.

2 Anonyme, Heike Monogatari 平家物語 (Le Dit du Heike), [vers 1250], éd. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris, Publications orientalistes de France, 1978, pp. 209-210.

3 Jien, Shûgyokushû 拾玉集 (Recueil de perles choisies), [1340], rééd. Waka Bungaku Taikei, Tôkyô, Meiji Shoin, 2011, p. 121, poème 4800.

4 Fujiwara no Sanesuke, Shôyûki 小右記 (Notes du ministre de droite de la maison Ono), [982-1032], rééd. Dai Nihon Kokiroku, Tôkyô, Tôkyô Daigaku, 1973, pp. 19-20.

5 Anonyme, Konjaku Monogatari 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000. Quelques nouvelles ont été traduites en français par Bernard Frank en 1968 (Connaissance de l’Orient, Gallimard Unesco) mais aucun de celles présentées dans cet article.

6 Ôe no Masafusa, Gôdanshô 江談抄 (Compilation d’anecdotes racontées par Ôe no Masafusa), [1104-1107], rééd. Gôdanshô Kenkyûkai, Tôkyô, 1983, Musashino Shoin.

7 Ôe no Masafusa, Gôdanshô, 江談抄 (Compilation d’anecdotes racontées par Ôe no Masafusa), [1104-1107], rééd. Gôdanshô Kenkyûkai, Tôkyô, 1983, Musashino Shoin, pp.136-137.

8 Rokuhara Nirôzaemon, Jikkinshô 十訓抄 (Dix contes moraux), [1252], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Taikei, Tôkyô, Iwanami Shoten, 1997, pp. 393-394, X-06.

9 Anonyme, Senjûshô 撰集抄 (Notes sélectionnées et assemblées), [1183], rééd. Gendai Shichôsha, Tôkyô, 1987, pp. 206-207, VIII-03.

10 Anonyme, Konjaku Monogatari, 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000, pp. 308-311, XXIV-24.

11 Ôe no Masafusa, Gôdanshô, 江談抄 (Compilation d’anecdotes racontées par Ôe no Masafusa), [1104-1107], rééd. Gôdanshô Kenkyûkai, Tôkyô, 1983, Musashino Shoin, p.105, III-58.

12 Ôe no Masafusa, Gôdanshô, 江談抄 (Compilation d’anecdotes racontées par Ôe no Masafusa), [1104-1107], rééd. Gôdanshô Kenkyûkai, Tôkyô, 1983, Musashino Shoin, p.103, III-50.

13 Rokuhara Nirôzaemon, Jikkinshô , 十訓抄 (Dix contes moraux), [1252], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Taikei, Tôkyô, Iwanami Shoten, 1997, pp. 409-410, IX-20.

14 Ôe no Masafusa, Gôdanshô, 江談抄 (Compilation d’anecdotes racontées par Ôe no Masafusa), [1104-1107], rééd. Gôdanshô Kenkyûkai, Tôkyô, 1983, Musashino Shoin, pp. 136-137.

15 Rokuhara Nirôzaemon, Jikkinshô , 十訓抄 (Dix contes moraux), [1252], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Taikei, Tôkyô, Iwanami Shoten, 1997, pp. 393-394, X-06.

16 Ôe no Masafusa, Honchô Shinsenden 本朝神仙伝 (Biographies des immortels de notre pays), [12e siècle], rééd. Kokon Setsuwashû, Tôkyô, Asahi Shimbun-sha, 1967, pp. 268-269, VI-16.

17 Anonyme, Senjûshô 撰集抄 (Notes sélectionnées et assemblées), [1183], rééd. Gendai Shichôsha, Tôkyô, 1987, pp. 206-207, VIII-03.

18 Anonyme, Haseo Zôshi 長谷雄草紙 (Rouleau de Haseo), [14e siècle], rééd. Nihon no Emaki, Tôkyô, Chûôkôronsha, 1994.

19 Anonyme, Konjaku Monogatari, 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000, pp. 37-38, XXVII-08.

20 Anonyme, Honchô Shinsenden Tôeizan Kan-ei-ji Ganzan Daishi Engi 東叡山寛永寺元三大師縁起 (Le rouleau illustré du « Mont Hiei de l’Est » Kan-ei-ji qui raconte la vie du Grand Maître du Troisième Jour du Mois du Nouvel An), [1680], rééd. Zoku Tendaishû Zensho, Shiden II, Tôkyô, Shunshusha, 1988, pp. 226-253.

21 Anonyme, Tenjin-ki 天神記 (Récit du Dieu Céleste), [1194], rééd. Shintô Taikei, Jinja-hen 11 : Kitano, Tôkyô, Shintô Taikei Henshûkai, 1978, pp. 103-131.

22 Fukui Eiichi, Oni Raijin Onmyôji 鬼・雷神・陰陽師 (Oni, Kami du tonnerre et maîtres du yin-yang), éd. PHP Shinsho, Tôkyô, Shintô Taikei Henshûkai, 2004, pp. 126-129.

23 Anonyme, Konjaku Monogatari, 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000, pp. 348-350, XXV-07.

24 Anonyme, Yashirobon Heike Monogatari 屋代本・平家物語 (édition Yashirobon du Dit du Heike), [13e siècle], rééd. Kôya-bon Yashiro-bon taishô Heike Monogatari, Tôkyô, Shintensha, 1993, volume III, pp. 516-547.

25 Anonyme, Yashirobon Heike Monogatari 屋代本・平家物語 (édition Yashirobon du Dit du Heike), [13e siècle], rééd. Kôya-bon Yashiro-bon taishô Heike Monogatari, Tôkyô, Shintensha, 1993, volume III, pp. 516-547.

26 Kojima, Taiheiki 太平記 (L’histoire de la grande paix), [1368-1375], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Taikei, Tôkyô, Iwanami Shoten, 1998, pp. 57-63.

27 Anonyme, Shûtendôji 酒呑童子, [17e siècle], rééd. Otogizôshi, Tôkyô, Chikuma Shobo, 1991, pp. 176-202.

28 Kanze Nobumitsu, Rashômon 羅生門, [vers 1532], rééd. Yôkyoku Taikan, Tôkyô, Meijisho.in, 1931, volume 5, pp. 3345-3357.

29 Zeami, Ôeyama 大江山 (Le Mont Ôe), [15e siècle], rééd. Yôkyoku Taikan, Tôkyô, Meijisho.in, 1931, volume 1, pp. 553-571.

30 Hakue, Sanshû Meiseki-shi 山州名跡志 (Ecrits sur les vestiges célèbres du Yamashiro), [1711], rééd. Shinshû Kyôto Sôsho, Kyôto, Rinzen Shoten, 1969, pp. 304-305.

31 Inoue Yoritoshi, Kyô no Nanafushigi 京の七不思議 (Les sept merveilles de Kyôto), rééd. Kiroku Sôsho, Kyôto, Kyôdo Bunka Kenkyûkai, 1944.

32 Jippensha Ikku, Tôkaido-chû Hiza Kurige 東海道中膝栗毛 (A pied sur le Tôkaidô), [1711], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 1995, p. 424.

33 Kawatake Mokuami, Modori Bashi 戻り橋 (Le Pont du Retour), [1890], rééd. Meisaku Kabuki Zenshû, Tôkyô, Sogen Shinsha, 1969, volume 18, pp. 332-343.

34 Kawatake Mokuami, Ibaraki 茨木, [1883], rééd. Meisaku Kabuki Zenshû, Tôkyô, Sogen Shinsha, 1969, volume 18, pp. 320-331.

35 Akutagawa Ryûnosuke, Rashômon, 羅生門, [1914], Rashômon et autres contes, éd. Connaissances de l’Orient, trad. Mori Arimasa, Paris, Gallimard Unesco, 1965, pp. 76-83.

36 Anonyme, Konjaku Monogatari, 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000, pp. 436-437, XXIX-18.

37 Anonyme, Konjaku Monogatari, 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000, pp. 568-570, XXXI-31.

38 Anonyme, Konjaku Monogatari, 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000, pp. 356-359, XXIX-23.

39 Akutagawa Ryûnosuke, Yabu no naka 藪の中 (Dans le fourré), [1922], Rashômon et autres contes, éd. Connaissances de l’Orient, trad. Mori Arimasa, Paris, Gallimard Unesco, 1965, pp. 84-94.

Bibliographie

Akutagawa Ryûnosuke, Rashômon 羅生門, [1914], Rashômon et autres contes, éd. Connaissances de l’Orient, trad. Mori Arimasa, Paris, Gallimard Unesco, 1965.

Akutagawa Ryûnosuke, Yabu no naka 藪の中 (Dans le fourré), [1922], Rashômon et autres contes, éd. Connaissances de l’Orient, trad. Mori Arimasa, Paris, Gallimard Unesco, 1965.

Anonyme, Haseo Zôshi 長谷雄草紙 ( Rouleau de Haseo), [14e siècle], rééd. Nihon no Emaki, Tôkyô, Chûôkôronsha, 1994.

Anonyme, Heike Monogatari 平家物語 (Le Dit du Heike), [vers 1250], éd. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, Paris, Publications orientalistes de France, 1978.

Anonyme, Honchô Shinsenden Tôeizan Kan-ei-ji Ganzan Daishi Engi 東叡山寛永寺元三大師縁起 (Le rouleau illustré du « Mont Hiei de l’Est » Kan-ei-ji qui raconte la vie du Grand Maître du Troisième Jour du Mois du Nouvel An), [1680], rééd. Zoku Tendaishû Zensho, Shiden II, Tôkyô, Shunshusha, 1988.

Anonyme, Konjaku Monogatari 今昔物語 (Histoires qui sont maintenant du passé), [1120-1140], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 2000.

Anonyme, Senjûshô 撰集抄 (Notes sélectionnées et assemblées), [1183], rééd. Gendai Shichôsha, Tôkyô, 1987.

Anonyme, Shûtendôji 酒呑童子, [17e siècle], rééd. Otogizôshi, Tôkyô, Chikuma Shobo, 1991.

Anonyme, Tenjin-ki 天神 (Récit du Dieu Céleste), [1194], rééd. Shintô Taikei, Jinja-hen 11 : Kitano, Tôkyô, Shintô Taikei Henshûkai, 1978.

Anonyme, Yashirobon Heike Monogatari 屋代本・平家物語 (édition Yashirobon du Dit du Heike), [13e siècle], rééd. Kôya-bon Yashiro-bon taishô Heike Monogatari, Tôkyô, Shintensha, 1993, volume III.

Fujiwara no Sanesuke, Shôyûki 小右記 (Notes du ministre de droite de la maison Ono), [982-1032], rééd. Dai Nihon Kokiroku, Tôkyô, Tôkyô Daigaku, 1973.

Fukui Eiichi, Oni Raijin Onmyôji 鬼・雷神・陰陽師 (Oni, Kami du tonnerre et maîtres du yin-yang), éd. PHP Shinsho, Tôkyô, Shintô Taikei Henshûkai, 2004.

Hakue, Sanshû Meiseki-shi 山州名跡志 (Ecrits sur les vestiges célèbres du Yamashiro), [1711], rééd. Shinshû Kyôto Sôsho, Kyôto, Rinzen Shoten, 1969.

Inoue Yoritoshi, Kyô no Nanafushigi 京の七不思議 (Les sept merveilles de Kyôto), rééd. Kiroku Sôsho, Kyôto, Kyôdo Bunka Kenkyûkai, 1944.

Jien, Shûgyokushû 拾玉集 (Recueil de perles choisies), [1340], rééd. Waka Bungaku Taikei, Tôkyô, Meiji Shoin, 2011.

Jippensha Ikku, Tôkaido-chû Hiza Kurige 東海道中膝栗毛 (A pied sur le Tôkaidô), [1711], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Zenshû, Tôkyô, Shoggakan, 1995.

Kanze Nobumitsu, Rashômon 羅生門, [vers 1532], rééd. Yôkyoku Taikan, Tôkyô, Meijisho.in, 1931, volume 5.

Kawatake Mokuami, Ibaraki 茨木, [1883], rééd. Meisaku Kabuki Zenshû, Tôkyô, Sogen Shinsha, 1969, volume 18.

Kawatake Mokuami, Modori Bashi 戻り橋 (Le Pont du Retour), [1890], rééd. Meisaku Kabuki Zenshû, Tôkyô, Sogen Shinsha, 1969, volume 18.

Kojima, Taiheiki 太平記 (L’histoire de la grande paix), [1368-1375], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Taikei, Tôkyô, Iwanami Shoten, 1998.

Ôe no Masafusa, Gôdanshô 江談抄 (Compilation d’anecdotes racontées par Ôe no Masafusa), [1104-1107], rééd. Gôdanshô Kenkyûkai, Tôkyô, 1983, Musashino Shoin.

Ôe no Masafusa, Honchô Shinsenden 本朝神仙伝 (Biographies des immortels de notre pays), [12e siècle], rééd. Kokon Setsuwashû, Tôkyô, Asahi Shimbun-sha, 1967.

Rokuhara Nirôzaemon, Jikkinshô 十訓抄 (Dix contes moraux), [1252], rééd. Shinpen Nihon Koten Bungaku Taikei, Tôkyô, Iwanami Shoten, 1997.

Zeami, Ôeyama 大江山 (Le Mont Ôe), [15e siècle], rééd. Yôkyoku Taikan, Tôkyô, Meijisho.in, 1931, volume 1.

Notes de l'auteur

Remarque : pour ne pas surcharger le texte inutilement, nous indiquons seulement les idéogrammes des personnes, lieux et œuvres importants pour notre propos.

Pour citer cet article

Eric Faure, « La chose sur le seuil & le gardien des portes », paru dans Loxias, 54, mis en ligne le 16 septembre 2016, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8526.


Auteurs

Eric Faure

Eric Faure est enseignant dans les universités de Ritsumeikan et de Doshisha (Kyôto) et auteur de plusieurs ouvrages sur les traditions et les légendes du Japon. Il prépare actuellement un doctorat à l’Inalco sous la direction de M. François Macé. Sa thèse s’intitule « De Kyôto à Dazaifu : sur les traces de Sugawara no Michizane » et consiste en une étude des légendes qui se sont formées autour de Sugawara no Michizane.