Loxias | 52. (Re)lectures écocritiques : l’histoire littéraire européenne à l’épreuve de la question environnementale | I. (Re)lectures écocritiques : l’histoire littéraire européenne à l’épreuve de la question environnementale 

Anne-Gaëlle Weber  : 

« Alexander von Humboldt : un précurseur de l’écopoétique ? »

Résumé

L’analyse de la littérature par la place qu’y occupe la Nature ou l’étude du rôle de la littérature dans la conception et la préservation des espaces naturels ne sont pas choses nouvelles. Elles dictaient déjà l’écriture des histoires du « sentiment » de la nature qui ont fleuri en Europe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce « sentiment de la nature » préside aussi à la composition du Kosmos d’Alexander von Humboldt qui, dès 1845, inscrivait au sein d’une description physique du monde l’histoire des effets de la Nature sur l’art et, corrélativement, l’histoire de la littérature descriptive. Il peut être tentant de faire du naturaliste allemand l’un des précurseurs des études contemporaines d’écocritique. Cela suppose de mesurer alors les enjeux scientifiques et politiques de la définition, par Humboldt, de ce fameux « sentiment de la nature » et de l’analyse de ses manifestations, pour éviter autant que possible l’illusion rétrospective et pouvoir, en retour, mettre en évidence les présupposés de la nouvelle école critique. La recherche d’un modèle historique ne laisse indemnes ni la source décrétée, ni l’avenir des textes qui pourraient s’inscrire dans sa lignée. Ainsi, l’hypothèse suivant laquelle Alexander von Humboldt serait non seulement l’un des inventeurs de l’écologie scientifique mais aussi l’un des précurseurs de l’écocritique conduit à observer, à l’œuvre, l’élaboration de plusieurs voies critiques possibles, touchant autant à l’histoire littéraire qu’au renouvellement des principes poétiques.

Index

Mots-clés : écocritique , écopoétique, histoire littéraire, littérature descriptive, nature, poésie

Géographique : Allemagne

Chronologique : XIXe siècle

Thématique : écocritique , voyage

Plan

Texte intégral

Que Alexander von Humboldt soit l’un des fondateurs de la géographie moderne semble aujourd’hui acquis aux yeux des historiens de la géographie, même si cette annexion rétrospective des œuvres du naturaliste à une discipline en cours de redéfinition a paradoxalement entraîné, comme l’a montré Serge Briffaud, l’oubli du rôle joué par la relation sensible et intellectuelle de l’homme avec la Nature dans la connaissance du monde physique – relation qui préfigure l’un des développements récents de la géographie contemporaine1. Que le même Humboldt soit l’un des principaux ancêtres de l’écologie scientifique va de soi, depuis la publication, en 1991, de l’ouvrage de Jean-Marc Drouin, intitulé L’Écologie et son histoire. Réinventer la nature2. Il peut sembler beaucoup plus vain et arbitraire d’ériger Alexander von Humboldt en précurseur de l’écopoétique qui n’a émergé, comme méthode critique, que dans les années 1990.

La tendance à vouloir intégrer rétrospectivement les travaux d’Alexander von Humboldt à l’histoire d’une discipline ne s’explique pas seulement par l’immensité des connaissances et des savoirs dont témoigne le savant en rédigeant son ouvrage testamentaire, Kosmos. Entwurf einer physischen Weltbeschreibung (1845-1862). Elle s’inscrit dans la logique même des études de Humboldt qui pratique volontiers l’histoire rétrospective des sciences et de la littérature en même temps qu’il les organise en une composition littéraire. À cela s’ajoute qu’Alexander von Humboldt s’est explicitement préoccupé de la manière d’accorder la poétique et l’esthétique à la connaissance de la nature. Dans la préface des Ansichten der Natur, dès 1808, il décrit la composition de son livre comme résultant de choix poétiques supposés révéler ou refléter les grandes lois du monde physique. À l’orée de Kosmos, il se pose en historien de la littérature descriptive (« dichterische Naturmalerei ») et retrace une véritable histoire de la littérature mondiale, depuis l’Antiquité, du point de vue de la représentation de la Nature. Si l’on admet que l’« écopoétique » se propose, entre autres choses, de repenser l’histoire et la définition de la littérature en fonction du rôle qu’elle joue dans la représentation de la Nature et dans la préservation de l’environnement naturel, alors les deux ouvrages cités de Humboldt pourraient bien constituer en des exemples précoces de cette manière de critiquer.

Reste à s’entendre sur les termes de « littérature », de « nature » et d’« écopoétique ». La recherche de modèles historiques a ceci de particulier qu’elle peut influencer non seulement la lecture des œuvres « fondatrices » du passé mais aussi la définition des présupposés et des méthodes des disciplines à venir. Décréter qu’Alexander von Humboldt est un précurseur de l’« écocritique », ou même de l’« écopoétique » revient à la fois à interpréter rétrospectivement les travaux du naturaliste, quitte à en oublier les présupposés, et, à rebours, à nuancer la définition même de l’« écopoétique », voire à en éclairer le devenir.

Le panorama dressé par Nathalie Blanc, en 2008, des diverses « écoles » relevant de l’écocritique permet d’observer les différences des approches et des méthodes et de faire émerger des problématiques générales communes, depuis l’essor anglo-saxon de cette discipline critique dans les années 1990. Nathalie Blanc distingue dans un premier temps les analyses « politiques », représentées notamment par les travaux de Lawrence Buell et d’Alain Suberchicot3 : il s’agit là de mettre en évidence de nouveaux canons littéraires en guettant, dans des écrits parfois méconnus, la manière dont des auteurs s’interrogent sur la possibilité de décrire la nature sans « inscrire en creux la domination humaine4 ». Cela suppose bien de se concentrer sur des thèmes particuliers, voire sur des genres et sur l’histoire d’une littérature qui n’émerge qu’à partir des écrits romantiques. Les tenants de ce type d’approche privilégient bien souvent l’hybridité des textes et s’intéressent fort peu à leur « littérarité ». La seconde école de l’écocritique, représentée par l’essai de Jonathan Bate5, se concentre sur le langage et tente d’établir un parallèle ou une analogie entre le langage poétique et la Nature : la poésie ne se confond alors ni avec la science, ni avec la politique.

Dans les deux cas, l’idée d’envisager les diverses représentations possibles des liens entre l’homme et son environnement et la manière dont ces représentations peuvent influer sur ces rapports, repose sur un certain nombre de présupposés qui touchent à la définition de la littérature et de sa visée. Voir émerger sous la plume de Humboldt et, plus particulièrement, dans Kosmos, une préhistoire de l’écopoétique reviendra pour nous à mettre en évidence, par une lecture contextuelle, les principes qui dictent au savant sa conception de la « littérature », de sa fonction et de ses rapports avec d’autres disciplines savantes. Alors deviendra possible de mesurer la place que Humboldt pourrait jouer dans une « écopoétique » qui ne se limiterait plus à l’étude du langage poétique.

De la Nature au « sentiment de la nature »

Composé en trois tomes, Kosmos. Entwurf einer physischen Weltbeschreibung fait dans un premier temps le tour des disciplines savantes traitant de la Terre et du Ciel avant, dans un second temps, de se consacrer au « reflet du monde extérieur sur l’imagination de l’homme ». Le second volume étudie d’abord la littérature, la peinture et les collections naturelles avant de retracer l’histoire de l’idée de Cosmos.

L’introduction d’Alexander von Humboldt au second tome semble accentuer l’écart entre le monde (étudié par les savants) et sa représentation :

Die Hauptresultate der Beobachtung wie sie, von der Phantasie entblöβt, der reinen Objektivität wissenschaftlicher Naturbeschreibung angehören, sind, eng an einander gereiht, in dem ersten Band dieses Werks, unter der Form eines Naturgemäldes, aufgestellt worden. Jetzt betrachten wir den Reflet des durch die äuβeren Sinne empfangenen Bildes auf das Gefühl und die dichterisch gestimmte Einbildungskraft6.

Dans le premier volume nous avons exposé, sous la forme d’un vaste tableau de la nature, ce que la science, fondée sur des observations rigoureuses et dégagées des fausses apparences, nous a appris à connaître des phénomènes et des lois de l’univers. Mais ce spectacle de la nature ne serait pas complet si nous ne considérions comment il se reflète dans la pensée et dans l’imagination disposée aux impressions poétiques.

La métaphore du « reflet » fait la part des choses entre les découvertes rationnelles et leur influence sur l’imagination : la littérature et la peinture pourraient n’être que des documents, ne valant que par ce qu’ils révèlent de leur lien avec les connaissances du temps, ou par leur capacité à les « vulgariser ». Mais à la métaphore du miroir se surimpose celle du « tableau » ou du « spectacle » qui manifestement complique la simple binarité de la composition. L’auteur affirme in fine que les deux premiers volumes de son ouvrage sont complémentaires, qu’on ne peut donner du cosmos une description physique sans faire place au regard du spectateur ou de l’observateur.

Les représentations, notamment artistiques et littéraires, de la Nature concourent alors à sa connaissance. Inversement, en définissant le premier tome comme un « tableau », Humboldt confère une valeur esthétique à l’histoire des connaissances scientifiques du monde. L’apparente discontinuité de l’ouvrage (qui est aussi, par son titre, le cosmos) se résorbe donc en une unité de fond et de forme, sans que Humboldt ne confonde cependant le discours scientifique et l’écriture littéraire. La complémentarité affichée des sphères savantes et littéraires est éminemment polémique dans un temps où sciences et littératures sont réputées définitivement « séparées ». Mais Humboldt va plus loin : en faisant du premier tome un « tableau » ou une suite de « tableaux », il suggère aussi que le premier volume pourrait figurer à l’intérieur du second chapitre du second volume, consacré à l’étude de la peinture de paysage. La clef de la structure du Kosmos ne résiderait pas alors dans une simple contiguïté des textes, ni même dans des échos thématiques ou formels qui viendraient dessiner une unité formelle ; elle pourrait résulter d’un rapport d’inclusion entre le tout et les parties – chaque partie contenant le tout qui, à son tour, contiendrait chaque partie.

Cela n’empêche pas toutefois une certaine logique linéaire qui se traduit, au seuil du second tome, par un retour sur l’objet du volume et sur son développement. La connaissance du cosmos est l’étude à la fois d’un ensemble d’objets extérieurs et d’objets intérieurs que Humboldt appelle les « sentiments ». Ces sentiments à la fois témoignent d’un goût pour la Nature et pour son étude et l’encouragent :

Wir durchforschen sie, nicht um in diesem Buche von der Natur zu ergründen […] ; sondern vielmehr um die Quelle lebendiger Anschauung, als Mittel zur Erhöhung eines reinen Naturgefühls, zu schildern, um den Ursachen nachzuspüren, welche, besonders in der neuern Zeit, durch Belebung der Einbildungskraft so mächtig auf die Liebe zum Naturstudium und auf den Hang zu fernen Weiten gewirkt haben7.

Nous ne l’explorerons pas, comme le fait la philosophie de l’art […]. C’est assez d’indiquer la source de cette contemplation intelligente qui nous élève au pur sentiment de la nature, de rechercher les causes qui, surtout dans les temps modernes, ont, éveillant l’imagination, à propager l’étude des sciences naturelles et le goût des voyages lointains.

Les trois premiers chapitres du second tome, participent alors d’une histoire du « sentiment de la nature », davantage que d’une histoire des représentations de la Nature. Là prend place l’histoire de la littérature.

Humboldt n’est ni le premier, ni le dernier savant, à s’intéresser à la manifestation du « sentiment de la nature ». En 1866, Élisée Reclus rédige un article intitulé « Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes » où le géographe justifie l’intérêt de ses contemporains pour la nature « sauvage » de la montagne en mesurant les méfaits de l’urbanisation et de l’industrialisation et en montrant la nécessité, pour élever l’esprit, d’un retour à la Nature. Le traitement du sentiment de la nature engage aussi, sous la plume de Humboldt, des prises de position politiques, plus ou moins explicites.

Le savant conclut ainsi le premier tome de Kosmos par des remarques sur les langues et sur les races qui annoncent le chapitre d’histoire littéraire. À la manière d’écopoéticiens tels que Jonathan Bate, dans The Song of the Earth, il suggère que la « sphère de la nature physique » (« die physische Sphäre ») n’est pas étrangère à la structure des langues, dans la mesure où l’intelligence, le sentiment et la Nature sont intimement liés8. Mais Humboldt en déduit une unité de l’espèce humaine qui se meut en une diatribe contre l’esclavage et la colonisation :

Indem wir die Einheit des Menschengeschlechtes behaupten, widersterben wir auch jeder unerfreulichen Annahme von höheren und niederen Menschenracen. Es gibt bildsamere, höher gebildete, durch geistige Kultur veredelte, aber keine edleren Volksstämme. Alle sind gleichmäβig zur Freiheit bestimmt ; zur Freiheit, welche in roheren Zuständen dem Einzelnen, in dem Staatenleben bei dem Genuβ politischer Institutionen der Gesammtheit als Berechtigung zukommt9.

En maintenant l’unité de l’espèce humaine, nous rejetons, par une conséquence nécessaire, la distinction désolante de races supérieures et de races inférieures. Sans doute il est des familles de peuples plus susceptibles de culture, plus civilisées, plus éclairées, mais il n’en est pas de plus nobles que les autres. Toutes sont également faites pour la liberté, pour cette liberté qui, dans un état de société peu avancé, n’appartient qu’à l’individu, mais qui, chez les nations appelées à la jouissance de véritables institutions politiques, est le droit de la communauté tout entière.

Conférer, par l’Histoire, une haute culture aux peuples orientaux est un argument politique contre la hiérarchie des « races » et la colonisation10. Le plaidoyer politique a alors pour conséquence, dans le chapitre « littérature descriptive », le choix de traiter d’une Antiquité qui ne se limite ni aux Grecs, ni aux Latins, mais fait place par exemple aux textes hindous et hébraïques. Cet « élargissement » du corpus littéraire aux littératures orientales n’est pas en soi original : Humboldt souligne d’ailleurs en note ce qu’il doit aux frères Grimm, à son propre frère ou à d’autres philologues allemands qui ont étudié les littératures hindoues, arabes ou hébraïques. Mais placer sur le même plan, au cœur d’une histoire savante de la littérature universelle, les œuvres de l’antiquité grecque et latine et celles des peuples jusqu’alors négligés contribue à conférer à ces civilisations une haute culture en même temps qu’à la célébrer.

Au sein du chapitre consacré à la littérature descriptive, les présupposés politiques de Humboldt surgissent de nouveau pour combler les lacunes affichées de l’histoire littéraire. Le savant déclare ainsi qu’il n’évoquera pas l’Histoire naturelle de Pline l’ancien pour aussitôt combler ce vide en s’attardant sur les villas campagnardes du jeune Pline et surtout, sur son refus d’user d’esclaves dans ses domaines :

Der reiche Mann war nicht bloβ einer der gelehrtesten seiner Zeit, er hatte auch, was im Alterthum wenigstens selten ausgedrückt ist, rein menschliche Gefühle des Mitleids für die unfreien unteren Volksklassen. Auf den Villen der jüngere Plinius gab es keine Fesseln, der Sklave als Landbauer vererbte frei, was er sich erworben11.

C’est que le riche propriétaire n’était pas seulement un des plus savants hommes de son temps, il avait des sentiments d’humanité dont on rencontre rarement l’expression, du moins chez les anciens, et éprouvait une compassion profonde pour les classes du peuple asservies par la pauvreté. Il n’y avait pas, à vrai dire, d’esclave dans les maisons de campagne de Pline : l’esclave qui labourait la terre transmettait librement ce qu’il avait acquis.

Le lecteur, momentanément privé de commentaires attendus, dans le cadre d’une histoire de la littérature descriptive, de l’Histoire naturelle, devra se consoler avec l’évocation de la vie de Pline : l’éloge politique tient lieu ici d’analyse littéraire ou savante.

Humboldt n’est pas exactement le seul savant à avoir composé, dans la première moitié du XIXe siècle, une histoire littéraire du point de vue de l’expression du sentiment de la nature. Mais la tâche est le plus souvent réservée aux « littéraires », comme en témoignent les nombreuses thèses qui fleurissent dans la seconde moitié du XIXe siècle pour célébrer l’émergence et l’évolution de ce sentiment dans la littérature. L’ouvrage consacré par Daniel Mornet au Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre en 1907 semble encore participer de cette vogue.

Ainsi, l’écrivain et académicien Victor de Laprade qui, en 1848, a déjà publié Du sentiment de la Nature dans la poésie d’Homère, livre de 1866 à 1867 Le sentiment de la nature avant le christianisme et Le sentiment de la nature chez les modernes. Laprade, s’il n’ignore ni les arts ni les collections naturelles, se concentre sur la littérature, examinée du point de vue de la Nature et, plus particulièrement, du point de vue de la manière dont la littérature, en décrivant la nature, reflète le Divin. L’auteur répond d’ailleurs dans la seconde édition du dernier de ces volumes, au reproche qu’on lui a fait d’ignorer les études scientifiques en arguant de la séparation des sphères12. Les présupposés politiques, religieux et épistémologiques qui dictent à Laprade l’analyse de son sujet sont précisément ce qui le rapproche et ce qui le distingue de Humboldt. Humboldt n’ignore par la science, au sein du Kosmos, et travaille même à en articuler les méthodes et les visées avec celles de la littérature13. En choisissant de retracer l’histoire du « sentiment de la nature », il érige la littérature en archétype du reflet de la nature sur l’imagination, et fait preuve d’une certaine fidélité à l’idée, sinon du Divin, du moins de l’harmonie universelle qui préside aux lois d’une nature ordonnée (celle du Cosmos).

Le savant allemand est alors sans doute l’héritier à la fois de la pensée rousseauiste dans laquelle Daniel Mornet voit la source du véritable « sentiment de la nature » en France, et de celle de Bernardin de Saint-Pierre. Du second, il ne retient cependant que les lois de l’harmonie, sans céder au Providentialisme. Du premier, il adopte sans doute l’idée que la Nature n’est plus seulement le cadre privilégié des oisifs et des bienheureux mais que l’amour de la nature révèle et exprime ce qu’il y a de plus profond en l’homme14. Mais Humboldt précise et nuance cette idée : le sentiment de la nature est ce qui pousse l’homme à chercher en lui et en dehors de lui l’unité de la Nature. La sphère morale ou sentimentale n’est pas seulement analogue à la Nature au sens où elle n’en serait que le simple reflet ; l’homme est lui-même une partie de la Nature en même temps qu’il est impressionné par elle. En lui s’insinuent les lois générales qui gouvernent le monde physique. Comme l’écrit Serge Briffaud, « pour Humboldt, le sentiment de la nature n’est rien d’autre que la manifestation tangible dans l’homme du grand tout de la nature15. »

Les divergences entre Laprade, Mornet et Humboldt s’expliquent notamment par l’opposition entre une vision exclusive et une vision inclusive de la littérature. Mais elles touchent aussi à la nature des liens entretenus par la littérature avec la nature et, par conséquent, à la nature même de la littérature.

L’« Avant-propos » et la « Conclusion » de la thèse consacrée par Daniel Mornet, en 1907, au Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, comme son sous-titre d’ailleurs – Essai sur les rapports de la littérature et des mœurs, sont à cet égard particulièrement intéressants. Le « sentiment de la nature » est le biais par lequel Mornet se propose de mettre à l’épreuve d’études restreintes les considérations de Taine sur les rapports entre la littérature et les mœurs16.

Dans un premier temps, Daniel Mornet affirme que « ce sont les mœurs qui rencontrent les lettres, non les lettres qui expliquent les mœurs17 » ; la sphère morale influence la sphère littéraire en faisant pénétrer dans des formes souvent anciennes des idées nouvelles qui, accentuant alors la fausseté des manières de dire, contraint les genres à se renouveler. Mais le critique s’attarde ensuite sur la littérature « moderne » et, en particulier, sur l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau qui, selon lui, est la première à corriger les mœurs : « Comme elle a son rôle dans le progrès des mœurs, la littérature nouvelle sert encore à les fixer. Dans le remous des opinions et des goûts, les chefs-d’œuvre littéraires donnent une opinion stable et régulatrice à l’incertitude des idées ambiantes18. »

« Principe de diffusion et principe de stabilité », la littérature peut aussi, selon Mornet, être un « principe d’orientation » comme en témoignent les ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre qui, les premiers, firent connaître la mer aux Français19. La conclusion générale revient à une certaine prudence en nuançant le présupposé d’un progrès de la littérature et celui de la réduction de la littérature, sans hiérarchie aucune, à un document : « Mœurs et littérature suivent donc leur route pour se rencontrer, cheminer côte à côte, se prêter appui et se séparer. La vie comme l’art ont leurs exigences propres et leurs entêtements20. »

Les propos théoriques de Daniel Mornet préfigurent les principes défendus par de nombreux « écopoéticiens » en même temps qu’ils mettent en évidence le préalable théorique nécessaire à toute étude d’écocritique : la nécessité de statuer sur la spécificité du texte littéraire et de sa fonction. Sans trop céder à l’illusion rétrospective, ce que Daniel Mornet suggère est que l’étude de la littérature par la nature ne se limite pas à la prise en compte des descriptions du monde naturel dans l’œuvre littéraire ou à la mesure de leur fidélité, mais qu’elle doit également tenter de mettre en évidence la manière dont la littérature peut ou doit faire évoluer la représentation de la nature ainsi que les rapports de l’homme à son environnement naturel.

Alexander von Humboldt pourrait lui aussi être considéré comme l’un des précurseurs de cette conception complexe des relations de l’art à la nature. Le savant allemand ne se contente pas en effet de séparer la « Nature » de la « Littérature » pour en étudier les rapports, comme si l’un ou l’autre domaines étaient strictement définis ; il opère un dépassement dialectique par lequel « Nature » et « Littérature » se trouvent, à l’endroit de leur articulation, l’une et l’autre renouvelées et redéfinies.

Littérature et « littérature descriptive » : de l’histoire littéraire rétrospective

Le premier chapitre du second tome de Kosmos, intitulé « Littérature descriptive » est à la fois extrêmement ordonné et extrêmement désordonné. Toute logique, chronologique, géographique ou culturelle, est susceptible d’être à un moment transgressée. S’ouvrant sur une citation de Schiller empruntée aux Réflexions sur la poésie naïve et sentimentale et exaltant la peinture de la nature chez les Grecs, l’exposé se clôt sur un éloge de Goethe qui a su renouveler l’alliance entre « la philosophie, la physique et la poésie21 ». Le cheminement, de l’Antiquité grecque à Goethe, donne donc au chapitre l’aspect d’une Histoire dont l’objet peu à peu lui échappe au point de se fondre dans une Histoire plus générale de l’esprit humain, incluant sciences et philosophie. Lus ensemble, ces deux termes traduisent une première tension entre la composition de l’histoire d’une certaine catégorie littéraire et l’histoire de la littérature universelle, chère à Goethe. Ils reflètent également l’hésitation apparente de l’auteur entre un certain déterminisme historique, culturel et géographique et l’élaboration des grandes époques ou de grandes lois. Ils témoignent enfin d’un va-et-vient entre l’analyse poétique de genres définis, et la possibilité d’élargir le corpus littéraire et d’inventer les outils poétiques propres à sa description.

On chercherait en vain dans le récit, malgré son titre même, une définition générale a priori de la « littérature descriptive ». En réalité, c’est l’histoire élaborée par Humboldt qui instaure le genre de la « littérature descriptive » définie par lui. Et cela vaut aussi de la littérature générale et universelle dont Humboldt invente les contours en l’intégrant dans une histoire. En réalité, le chapitre poursuit une double visée : partant de la représentation de la « nature » dans des œuvres littéraires (au sens très large des Belles Lettres), Humboldt retrace une histoire de la littérature universelle et célèbre l’avènement et le développement, au sein de cet ensemble, de ce qui à ses yeux constitue la véritable littérature descriptive. Ce faisant, Humboldt élargit le corpus de la « grande littérature » en inscrivant dans le fil d’une histoire littéraire des ouvrages qui, jusqu’alors, n’y avaient pas droit de cité, et invente un genre en traçant, pour construire son avènement, des généalogies encore inattendues.

Repenser les contours et la logique de l’histoire littéraire, faire droit à des œuvres jusqu’alors considérées comme « mineures » ou exclues, pour des raisons disciplinaires, du domaine des études littéraires, telles sont également les intentions de tenants de l’écocritique tels que Pierre Schoentjes ou Alain Suberchicot22. Il reste que l’histoire littéraire dessinée par Humboldt s’inscrit davantage dans un avenir des études philologiques qu’elles n’illustrent une sélection rétrospective. Non content d’élargir le domaine de l’Antiquité, contre l’avis de Schiller, Humboldt dresse de la littérature classique grecque et latine un tableau surprenant, en négligeant bien souvent les textes canoniques pour leur préférer des « curiosités »23.

D’emblée, cette période réputée fondatrice de la culture occidentale apparaît sur le mode de la déception, comme s’il s’agissait pour l’historien de satisfaire à l’exigence d’un passage obligé :

Was wir, nach dieser Richtung hin, im Gefühl unserer modernen Sinnesart, in jenen Regionen der antiken Welt nur zu sparsam auffinden, bezeugt in keiner Negation weniger den Mangel der Empfänglichkeit als den eines regen Bedürfnisses das Gefühl des Naturschönen durch Worte zu offenbaren24.

Si [le]s traces [de poésie contemplative] sont trop rares au gré des modernes, cela tient moins à l’absence de sensibilité qu’à ce que les anciens n’éprouvèrent pas le besoin d’exprimer par des paroles le sentiment de la nature.

L’épopée homérique ou les grandes tragédies ne sont évoquées que très rapidement, là où Humboldt consacre un long développement au De Natura Rerum de Lucrèce, qui en bonne logique aristotélicienne, ne devrait guère figurer parmi les grandes œuvres de la poïesis. Débarrassé peu ou prou des grands noms de l’« Antiquité », Alexander von Humboldt aborde ensuite la littérature chrétienne pour avouer qu’il consacrera de longues citations aux textes des pères de l’Église grecque, « moins connus sans doute de [ses] lecteurs25 ». Puis il en vient au Moyen Âge européen, très vite complété par les monuments des littératures hindoues, hébraïques et arabes.

Humboldt semble donc opérer une double transgression : il élargit considérablement l’espace géographique des histoires littéraires générales composées avant la sienne en Europe et met à mal le « panthéon » reconnu de la grande littérature, redéfinissant de l’intérieur les grandes catégories de l’histoire littéraire ou, plus exactement, s’emparant des passages obligés pour mieux en renouveler le sens.

Il n’hésite pas non plus à bouleverser l’ordre chronologique. Ainsi une longue digression, consacrée à la littérature antique hindoue vient-elle interrompre l’évocation de la poésie médiévale allemande. L’auteur souligne le caractère arbitraire de ce détour, en se passant de toute transition :

Es ist hier der Ort etwas tiefer in das Gebiet der indischen Naturschilderung einzubringen26.

C’est ici le lieu de pénétrer un peu plus avant dans la littérature descriptive de l’Inde.

La place accordée par Humboldt à cette littérature n’est pas en soi originale : Herder défendait déjà la filiation entre les races indiennes et les races germaniques. Mais l’accent mis par Humboldt sur le désordre relatif de son texte est en lui-même suspect et ambivalent. Il pourrait être l’indice de la manière dont Humboldt entend s’affranchir d’une certaine philosophie de l’Histoire reposant sur l’idée du Progrès27. Il témoigne aussi de la volonté poétique d’introduire du désordre dans un ordre établi, de transgresser toute catégorie fixée par avance en en montrant les limites et, dans le même temps, suggère l’existence d’une logique sous-jacente qui pourrait éclairer les choix opérés, à condition que le lecteur sache interpréter le récit.

Or, le point commun entre le lien établi par la contiguïté textuelle entre littérature sacrée hindoue et poésie médiévale germanique et les écrits de Basile ou de Chrysostome est qu’ils illustrent un affranchissement de la « littérature » de tout déterminisme géographique ou culturel. Si les Germains héritent des Indiens, alors il faut bien admettre que les caractéristiques géographiques ou culturelles de ces peuples n’ont rien à voir avec le développement du « sentiment de la nature ». Si les saints de l’Église grecque ont su exprimer avec précision la beauté du monde naturelle, c’est parce qu’ils se sont retirés dans des contrées orientales lointaines dont l’étrangeté les a contraints à s’élever à l’expression du vrai « sentiment de la nature ».

On pourrait en effet supposer que la littérature destinée à refléter le « sentiment de la nature » soit tributaire du cadre naturel dans lequel évoluent les auteurs considérés. La critique liminaire de la citation où Schiller justifie la qualité de la poésie sentimentale des Grecs par l’intimité dans laquelle ils vivaient avec la « belle » nature qui les entourait montre d’emblée que la perspective adoptée par Humboldt est à la fois de mesurer l’influence des paysages sur la littérature des peuples considérés et d’indiquer l’écart qui peut exister entre le cadre naturel et les habitudes culturelles et morales des peuples :

[…] aber das eigentlich Naturbeschreibende zeigt sich dann nur als ein Beiwerk, weil in der griechischen Kunstbildung sich alles gleichsam im Kreise der Menschheit bewegt28.

Mais le genre descriptif n’y est jamais qu’un accessoire. Le paysage n’apparaît que comme le fond d’un tableau au-devant duquel se meuvent des formes humaines.

Deux « déterminismes » s’affrontent ici et rejouent, à l’échelle des peuples, le combat entre « nature » et « culture ». Ainsi le « sentiment de la nature » pourrait-il, chez les Romains, se traduire par la vogue des villégiatures campagnardes si leurs villas ne reflétaient pas l’admiration pour une nature artificielle29.

A contrario, Humboldt s’oppose fermement à ceux qui lient l’amour des Germains et des peuples du Nord, premiers grands représentants, selon lui, d’un « sentiment de la nature » moderne, pour les paysages méditerranéens à la privation qu’ils subissent, pendant de longs hivers, de la jouissance de la nature30. Fort de la lecture des travaux de Gervinus, il argue notamment de la forte présence de la nature « locale » dans les Minnesänger. Il prend aussi l’exemple des déserts et des steppes de la Perse qui n’ont guère empêché, selon lui, le peuple de se livrer à la contemplation et à la représentation de la nature, porté en cela par sa religion et sa culture31. Si les caractéristiques de la nature environnante, nécessairement, influencent le fond des descriptions artistiques, le « sentiment de la nature », lui, dépend autant de la culture que de la nature physique : ainsi les poètes arabes, confrontés à des contrées où manquent les forêts, auront tendance, parce que leurs traditions littéraires et religieuses autorisent l’expression du sentiment de la nature, à se préoccuper surtout des phénomènes atmosphériques et, du même coup, à élargir au cosmos la définition de la Nature32.

Il n’en demeure pas moins que l’historien, jusqu’à l’époque moderne, a choisi de présenter le panorama historique de la littérature descriptive en énumérant, en fonction de l’époque retenue, l’ensemble des peuples concernés. Il n’y a là nulle contradiction : mettant l’accent sur les analyses de détail des manifestations artistiques de cultures et de territoires divers, le savant entend moins ériger des lois générales de l’influence de la Nature sur la littérature que limiter la portée de telles logiques :

Ich habe in diesem Abschnitt fragmentarisch zu entwickeln gesucht, wie die Auβenwelt, d. h. der Anblick der belebten und unbelebten Natur, zu verschiedenen Zeitepochen und bei verschiedenen Volksstämmen ungleichartig auf die Gedanken und Empfindungswelt eingewirkt hat33.

J’ai essayé jusqu’ici d’exposer de manière partielle comment le monde extérieur, c’est-à-dire l’aspect de la nature animée et inanimée, a pu agir diversement sur la pensée et l’imagination à différentes époques et chez des races différentes.

Ces quelques lignes de conclusion partielle précèdent l’entrée dans la littérature moderne et pourraient sonner comme l’aveu d’un échec : en réalité, l’histoire de la « littérature descriptive » inventée par Humboldt est du progrès de l’esprit humain, résultant d’un affranchissement, de tout déterminisme, culturel, géographique et historique.

Le désordre apparent, généré dans le texte par l’enchevêtrement des ères chronologiques et des aires culturelles et géographiques, ne saurait dissimuler que l’histoire littéraire entreprise par Humboldt peut se résumer à trois grandes époques du « sentiment de la nature », parfaitement mises en évidence par Serge Briffaud. Le premier moment du « sentiment de la nature » serait celui d’un sentiment trop vague, se heurtant de plus à la pesanteur de la tradition. Ce « premier moment » est à la fois le moment de l’Antiquité grecque et latine et celui de l’âge classique où l’autorité antique l’emporte encore sur l’invention de nouvelles formes poétiques. La seconde époque serait celle où les peuples s’affranchissent précisément de déterminismes culturels et se trouvent confrontés à une nature étrange qui nécessite de nouvelles connaissances et de nouvelles manières de dire : les premiers voyages d’exploration et la découverte du continent américain sont les événements historiques qui président au développement de l’étude précise et rigoureuse des composantes naturelles et au renouvellement poétique et thématique de la littérature. Enfin, la dernière époque serait celle de l’union des arts et des sciences au service de la compréhension de l’unité de la Nature, celle où l’accroissement des découvertes scientifiques vient confirmer et renforcer l’intuition d’une unité de la Nature en la transformant en une vérité positive : l’homme, capable de saisir l’ordre du monde dans la contemplation de n’importe quel paysage particulier, contemple aussi l’ordre de la sphère morale34.

Si la « littérature descriptive » est bien celle qui illustre ces grandes phases du sentiment de la nature, alors se font jour, derrière l’histoire générale, de nouvelles généalogies et de nouveaux corpus. Au sein d’un panorama général de la littérature universelle passée au crible de la place de la nature dans les œuvres, se dessine rétrospectivement un nouveau parcours qui permet de saisir une définition en extensité de la « littérature descriptive ». Les étapes de ce cheminement sont les œuvres qui, de tout temps et dans tous les pays, incarnent selon Humboldt le « véritable » sentiment de la nature, même si elles ne sont pas exemplaires de la « littérature » de leur époque. Les grands ancêtres antiques de la catégorie de « littérature descriptive » sont ainsi à la fois le De Natura Rerum de Lucrèce et la poésie descriptive et sacrée des hindous. Le premier ouvrage embrasse le monde dans son entier, ne le cantonnant pas au monde naturel, et unit en son sein la forme poétique et les abstractions philosophiques et savantes35 préfigurant ainsi par le fond et la forme, l’idéal de la poésie descriptive de la dernière époque. Les Védas parviennent à rendre compte d’impressions particulières et, tout en procédant d’une véritable observation de la Nature, glorifient l’ordre divin. Les pères de l’Église grecque constituent l’étape suivante, dans le temps, de la « littérature descriptive » : s’ils ne sont pas à proprement parler des voyageurs, ils sont du moins des auteurs qui, retirés dans des contrées lointaines, ont été confrontés à une Nature inconnue qu’ils glorifient tout en méprisant les œuvres de l’art. Loin de la rhétorique classique, les lettres et homélies de ces saints hommes témoignent d’une éloquence tirée de la nature même36. Les Minnesänger allemands constituent un jalon supplémentaire et annoncent, parce qu’ils émanent d’auteurs « errants », les textes des grands voyageurs.

À cette « pré-histoire » de la littérature descriptive succèdent au XVe siècle des « œuvres littéraires inconnues des temps antérieurs » qui illustrent toutefois les progrès de l’observation scientifique37. Pour illustrer cette seconde étape du sentiment de la nature et l’avènement de la littérature descriptive, Humboldt choisit de commenter et de citer longuement le journal de Christophe Colomb, écrivain d’autant plus intéressant pour lui qu’il était « dépourvu de toute culture littéraire38 ». Dans la citation retenue, Colomb, précisément, se plaint, en une préfiguration de l’esthétique pittoresque, de ne pouvoir trouver les mots pour dire ce qu’il décrit. Les Lusiades de Camoens rejoignent ensuite le panthéon de la littérature descriptive, en ce que l’art du poète n’atténue ni la vérité des observations de détail ni l’exactitude de la peinture des grandes masses.

Le XVIIIe siècle est à la fois celui des progrès de l’histoire naturelle et celui de l’émergence d’une prose descriptive qui a acquis une précision et une force nouvelles, illustrées par les œuvres de Jean-Jacques Rousseau, Buffon, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand, Playfair et Forster39. Les références aux œuvres de Goethe complètent ce tableau. Ajoutons qu’au moment d’évoquer l’importance du récit de voyage de Georg Forster pour le développement de la littérature descriptive, Humboldt n’hésite pas à faire référence à la relation de voyage de Charles Darwin40, qui relève de la catégorie très polémique alors du récit de voyage scientifique, considéré parfois comme relevant de la littérature, parfois comme relevant de l’histoire naturelle.

Les choix de textes et d’auteurs opérés par le naturaliste allemand constituent une première définition en extensité de la catégorie de « littérature descriptive ». Se dessine en effet un nouveau corpus littéraire, transgénérique et transdisciplinaire qui participe d’un élargissement considérable et d’un renouvellement des corpus canoniques de l’histoire littéraire, en incluant des œuvres étrangères méconnues qui se voient accorder un rôle essentiel et en mettant sur le même plan des textes littéraires et des textes réputés savants, au moment où la séparation des sphères littéraires et savantes devrait interdire une telle confusion. Mais Humboldt ne s’en tient pas là.

Poétique de la nature

Les commentaires qui entourent les œuvres et les auteurs supposés incarner les grandes étapes de la « littérature descriptive » fourmillent d’appréciations esthétiques : la « littérature descriptive » ne se réduit pas alors à une somme finie de textes passés et présents ; apparaissent en sous-main des critères génériques, poétiques et esthétiques qui permettent au savant d’élaborer de manière implicite une définition en extension de cette littérature et d’assigner à cette définition une visée prospective.

L’appréciation esthétique et poétique de la « littérature descriptive » témoigne d’une méfiance très romantique à l’égard des genres et de leur usage. Paradoxalement, les genres « traditionnels » qui, par « nature » semblaient devoir illustrer le mieux la poésie descriptive, sont ceux qui sont le plus violemment condamnés par le savant. En témoigne par exemple le traitement réservé à la « poésie didactique et descriptive ». Dans la Grèce antique, la poésie didactique n’est, selon Humboldt, qu’un faible rejet de la vraie poésie qui se serait éteinte avec la « vie publique » : elle se voue « à la transmission de la science », mais

Es fehlt aber allen diesen Beschreibungen das innere Leben, eine begeisterte Anschauung der Natur, das, wodurch die Auβenwelt dem angeregten Dichter fast unbewuβt ein Gegenstand der Phantasie wird41.

Il manque à tous ces poèmes la vie intérieure, l’art de passionner la nature, et cette émotion à l’aide de laquelle le monde physique s’impose à l’imagination du poète sans même qu’il en ait clairement conscience.

Les héritiers latins des poètes grecs n’ont gardé de leurs maîtres que la sécheresse oratoire et l’ornementation rhétorique et poétique :

[D]ie poetischen Bestrebungen [waren], vom Zauber schöpferischer Phantasie entblöβt, auf die nüchternen Realitäten des Wissens und des Beschreibens gerichtet42.

[L]’art des vers, dépouillé du charme de l’imagination, ne s’attache plus qu’à décrire minutieusement les réalités arides de la science.

Les derniers tenants de la « poésie descriptive » ne sont pas non plus épargnés ; ils deviennent les derniers représentants d’une forme stérile et caduque qui, appliquée à la nature, révèle l’écart qui peut exister entre l’application servile de règles poétiques et rhétoriques et la complexité du monde naturel :

Hat man die Naturschilderungen, deren sich die neuere Zeit, vorzüglich in der deutschen, französischen, englischen und nordamerikanischen Literatur, erfreut, mit den Benennungen “beschreibender Poesie und Landschaftsdichtung” tadelnd belegt, so bezeichnen diese Benennungen wohl nur den Miβbrauch, welcher vermeintlichen Grenzerweiterungen des Kunstgebietes Schuld gegeben wird. Dichterische Beschreibungen von Naturzeugnissen, wie sie am Ende einer langen und rühmlichen Laufbahn Delille geliefert, sind bei allem Aufwande verseinerter Sprachkunst und Metrik keineswegs als Naturdichtungen im höheren Sinne des Worts zu betrachten. Sie bleiben der Begeisterung und also dem poetischen Boden fremd, sind nüchtern und kalt, wie alles was nur durch aüβere Zierde glänzt43.

Si l’on a souvent appliqué en mauvaise part le terme de « poésie descriptive » aux reproductions de la nature en faveur chez les modernes, particulièrement chez les Allemands, les Français, les Anglais et les Américains du Nord, ce blâme ne peut porter que sur l’abus qu’on a fait du genre, en croyant de bonne foi agrandir le domaine de l’art. Malgré le mérite de la versification et du style, les descriptions des produits de la nature auxquelles Delille consacra la fin de sa longue carrière, et qui furent si applaudies, ne peuvent être confondues avec la poésie de la nature, pour peu que l’on prenne ces mots dans un sens élevé. Elles sont étrangères à toute inspiration, et par conséquent à toute poésie. Elles sont sèches et froides, comme tout ce qui brille d’un éclat emprunté.

Apparaissent deux acceptions de la « poésie descriptive » : celle, ancienne, qui se confond avec un genre prédéfini et une forme vide de sens ; celle, nouvelle et inventée par Humboldt, qui se définit justement par le refus de l’application servile de règles poétiques et génériques préétablies.

La « poésie » de Humboldt doit être entendue en son sens premier de Poïesis et ne s’incarne pas nécessairement dans les vers : elle transcende non seulement les classifications génériques, mais aussi l’opposition entre prose et poésie. Elle est même ce qui, d’une certaine manière, révèle les limites de la rhétorique et de la poétique, entendues comme un ensemble de règles et de préceptes. Si le poids de la tradition littéraire et de l’imitation des Anciens contribue à dénaturer l’expression du véritable sentiment de la nature en creusant l’écart entre une forme vide de sens et un fond toujours singulier, il en résulte que la grande « poésie de la nature » sera celle où l’objet dicte sa forme au sujet. Le risque, alors, est qu’à chaque objet particulier et à chaque sujet particulier (même si la subjectivité de l’observateur, selon Humboldt, ne se confond pas avec la sentimentalité), corresponde nécessairement un texte unique qui ne puisse viser ni à la postérité, ni à la reproductibilité. Le discours littéraire se rapproche alors du discours savant, supposé calquer sa structure sur les composantes de l’objet décrit et obéir ainsi à la référentialité la plus exigeante ; mais il court alors le danger de devoir renoncer à la postérité de l’art. Reste que la complexité de la nature et la diversité de ses composantes, sinon leur individualité, ne pourraient alors se dire que dans des textes désordonnés, prenant au mieux la forme de la liste ou de la compilation.

Or, il semble bien que Humboldt ne renonce pas a priori à concevoir ou à renouveler des critères poétiques qui soient aussi des principes d’écriture. Humboldt entend dans son ouvrage peindre le « cosmos », c’est-à-dire étymologiquement, une nature belle et ordonnée et à composer pour ce faire une histoire du « sentiment de la nature » qui n’est autre que l’expression, dans l’homme, de l’unité du monde naturel et de l’intuition d’un ordre supérieur. Le problème qui se pose au savant est de concevoir une poétique reposant moins sur la vraisemblance que sur l’analogie avec la Nature, et qui puisse concilier la discontinuité de la liste et l’harmonie universelle. Savants et écrivains doivent contribuer à l’expression de cette harmonie : en ce sens, la poétique descriptive inventée par Humboldt, devrait s’appliquer aussi bien au discours savant qu’au texte littéraire.

Alors même qu’il parvient au terme de son histoire de son étude en évoquant les œuvres de ses contemporains, Humboldt se permet une ultime digression où s’ébauche la possibilité d’ériger de nouveaux critères poétiques, sur le modèle aristotélicien. Une dernière condamnation de la « forme artificielle de l’idylle, du roman pastoral et de la poésie didactique44 » chez des auteurs du XVIIIe siècle, dans les cinq dernières pages de l’essai historique, est en effet immédiatement suivie d’un retour au Moyen Âge qui amorce une histoire restreinte du récit de voyage au sein de l’histoire plus large de la « littérature descriptive ». Là Humboldt semble sacrifier à l’usage du critère de l’unité, plus ou moins hérité de La Poétique d’Aristote, analyser l’évolution du genre du récit de voyage. Il oppose alors l’intérêt dramatique des voyages anciens aux défauts de composition des voyages « modernes » et savants :

In Hinsicht auf Composition hatten demnach die vergessenen Reisen des Mittelalters, die wir hier schildern, bei aller Dürftigkeit des Materials viele Vorzüge vor unseren meisten neueren Reisen. Sie hatten die Einheit, welche jedes Kunstwerk erfordert : alles war an eine Handlung geknüpft, alles der Reisebegebenheit selbst untergeordnet45.

Sous le rapport de la composition, ces relations, oubliées aujourd’hui, avaient plusieurs avantages sur la plupart des voyages modernes : elles avaient l’unité nécessaire à toute œuvre d’art ; tout se rattachait à une action, tout était subordonné aux événements du voyage.

Les savants contemporains, condamnés à observer, se doivent de rendre compte de leurs découvertes sous la forme de descriptions et doivent se résigner à « reléguer au second plan » l’intérêt dramatique.

La conséquence serait alors que les récits de voyages modernes et contemporains, ne satisfaisant plus aux exigences aristotéliciennes de la grande littérature, doivent de facto être exclus de ce domaine. Mais leur infériorité « est bien rachetée par l’abondance de ces observations, par la grandeur des aperçus généraux sur le monde, par de louables efforts tentés pour relever la vérité des descriptions46 ». Humboldt suggère alors, après avoir un temps emprunté à Aristote, qu’il est temps, peut-être, pour traiter d’une littérature nouvelle, d’inventer de nouveaux critères poétiques, qui auraient à voir à la fois avec le pittoresque des descriptions de détail et la grandeur des vues. L’expression la plus parfaite de cette écriture descriptive et littéraire est le récit de voyage de Georg Forster, dont le naturaliste allemand souligne qu’il est à la fois celui qui a ouvert la « voie nouvelle des voyages scientifiques » et qu’il est un « écrivain » (« Schriftsteller47 »). C’est dire que Humboldt ne renonce pas, loin de là, à considérer qu’un texte descriptif, tel que le voyage savant, peut relever de la « grande » littérature et de la science la plus rigoureuse.

Faut-il pour autant renoncer à l’unité, si elle est, comme l’affirme Humboldt, essentielle à toute œuvre d’art ? Comment résoudre, par la composition du discours, le problème de la nécessaire discontinuité de la succession d’observations pittoresques et de l’hétérogénéité du discours évoluant entre exposés généraux et « tableaux » ? À ces deux questions, Alexander von Humboldt a déjà répondu lors de la parution de ses Ansichten der Natur en 1808. Ces Tableaux de la Nature, très tôt traduits en français et souvent réédités, comportent une préface où le savant revient sur la structure de son livre :

Jeder Aufsatz sollte ein in sich geschlossenes Ganze ausmachen, in allen sollte Eine und dieselbe Tendenz sich gleichmässig zeigen. Diese ästhetische Behandlung naturhistorische Gegenstände hat, trotz der herrlichen Kraft und Biegsamkeit unserer vaterländischen Sprache, grosse Schwierigkeiten der Composition48.

Chaque mémoire devait composer un tout, dans tous on devait aussi sentir l’unité du but auquel ils tendent constamment. Cette manière de traiter l’histoire naturelle présente de grandes difficultés que n’ont pu toujours vaincre l’énergie et la souplesse de la langue allemande dans laquelle j’ai écrit mon ouvrage.

Ce que Humboldt décrivait alors comme l’application de préceptes esthétiques à un fond savant peut aussi apparaître comme l’exact équivalent poétique d’un principe scientifique. Par-delà la discontinuité apparente de l’énumération de tableaux ou d’exposés généraux, l’unité de l’ouvrage naît de l’identité de la « logique » ou de la « tendance » qui préside à l’écriture de chacun des chapitres. Chaque « vue » de détail reflète ainsi par sa structure une « loi » générale de la nature que reflète aussi l’ensemble. Et cette structure ou cette forme logique pourrait bien refléter l’ordre de la Nature qui, sans être révélé a priori par l’auteur, n’apparaîtrait que dans la description qu’il en donne.

Le chapitre « Littérature descriptive » du Kosmos contient en effet de nombreux indices du fait que son auteur entend proposer en acte le modèle de l’écriture de la Nature et ériger ses propres ouvrages en archétypes de la poétique de la nature. Le fait même de revenir in fine sur le voyage scientifique n’est sans doute pas anodin : Humboldt est l’auteur du Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent (1814-1825) qu’il inscrit par là-même dans la catégorie littéraire qu’il étudie. Comment ne pas penser que l’auteur s’inclue lui-même dans le groupe de ceux qui, ayant donné des descriptions animées de la zone équinoxiale, ont « jeté de nos jours sur l’étude de la nature un irrésistible attrait49 » ? Ceux-là, précisément, occupent le dernier paragraphe du chapitre et incarnent de facto l’aboutissement et l’idéal de la « littérature descriptive » dont Humboldt retrace l’avènement et l’évolution.

L’historien, dans son texte, pose à la fois en homme, en lecteur et en auteur. Aux Tableaux de la Nature, il réserve une place de choix, dans le chapitre consacré non à la littérature mais à la peinture de paysage, en se livrant à une longue auto-citation50 de ce texte vieux « d’un demi-siècle » qui, cependant, retrouve une certaine actualité au sein du Kosmos. L’essai sur la littérature comporte des allusions plus ou moins explicites à d’autres ouvrages de Humboldt. Le commentaire du Journal original de Christophe Colomb, dont Humboldt fait l’un des précurseurs de la véritable « littérature descriptive », est ainsi immédiatement précédé de la mention de l’Examen critique de l’histoire de la géographie au XVe et au XVIe siècle. La juxtaposition de ces deux textes suggère un lien intime, non seulement entre les deux écritures, mais aussi entre les auteurs. Humboldt avertit son propre lecteur que seuls sont à même d’apprécier l’expression du sentiment de la nature dans la prose de Colomb, ceux « qui comprennent toute l’énergie de cette vieille langue espagnole51 ». L’auteur du Kosmos est précisément de ceux-là et le prouve en citant les dernières lignes du texte en langue originale. Il y a plus : Christian Helmreich a mis en évidence le plaisir avec lequel Humboldt, discrètement, aimait à rappeler que l’explorateur espagnol était l’un de ses ancêtres52. Serait-il exagéré de suggérer que Humboldt s’accorde, en matière de développement de la littérature descriptive, la même place que celle qu’occupe Colomb et qu’il désigne ses propres écrits comme des modèles de l’époque à venir de la littérature descriptive ?

D’autres remarques, au fur et à mesure du développement de l’histoire littéraire, visent à conférer une certaine actualité aux textes anciens et à dessiner, par-delà l’histoire, des points communs entre la situation de leurs auteurs et celle de Humboldt. L’admiration du naturaliste pour l’épopée de Camoens s’achève par une citation du poète, reprise à son compte par l’historien :

Die Schriftgelehrten, sagt der Dichter (und er sagt es fast auch zum Spott der jeβigen Zeit), die Schriftgelehrten mögen versuchen, der Welt verborgene Wunderdinge zu erklären, da, vom Geist allein und von der Wissenschaft geleitet, sie so gern für falsch ausgeben, was man aus dem Munde des Schiffers hört, dem einziger Leiter die Erfahrung ist53.

Quant à expliquer ces mystères merveilleux de la nature, cela appartient, dit le poète, dont les paroles semblent encore être la critique du temps présent, aux écrivains de profession qui, fiers de leur esprit et de leur science, témoignent tant de dédain pour les récits recueillis de la bouche des navigateurs sans autre guide que l’expérience.

Se rejoue donc la querelle des voyageurs naturalistes et des savants en cabinet, si vive encore dans la première moitié du XIXe siècle54. Car Humboldt aime à se peindre en voyageur, autant qu’en lecteur, tout au long de ses critiques littéraires. Ainsi la peinture des tropiques, dans Paul et Virginie, évoque immédiatement en l’historien le souvenir de son voyage en Amérique du Sud avec Aimé Bonpland :

Viele Jahre lang ist es von mir und meinem teuren Begleiter und Freunde Bonpland gelesen worden : dort nun (man verzeihe den Anruf an das eigene Gefühl) in dem stillen Glanze des südlichen Himmels, oder wenn in der Regenzeit am Ufer des Orinoco, der Blitz krachend den Wald erleuchtete, wurden wir beide von der bewundernswürdigen Wahrheit durchdrungen, mit der in jenen kleinen Schrift die mächtige Tropennatur in ihrer ganzen Eigenthümlichkeit dargestellt ist55.

Je l’ai relu pendant bien des années avec mon compagnon et mon ami Bonpland. Que l’on veuille bien me pardonner ce rappel d’impressions toutes personnelles. Là, tandis que le ciel du Midi brillait de son pur éclat, ou que par un temps de pluie, sur les rives de l’Orénoque, la foudre en grondant illuminait la forêt, nous avons été pénétrés tous deux de l’admirable vérité avec laquelle se trouve représentée, en si peu de pages, puissante la nature des tropiques, dans tous ses traits originaux.

Dans cet extrait, la prose du savant se mêle à celle de Bernardin de Saint-Pierre et la remplace peu à peu : l’histoire littéraire, le temps d’évoquer le ciel de l’Orénoque ou l’orage, s’informe en une énumération de morceaux de littérature descriptive, au moment même où se surimpose, par le jeu des « impressions personnelles », à Paul et Virginie, le souvenir du Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent. L’écrivain-voyageur, dans le livre de Humboldt, transparaît à travers l’écriture de l’historien et du critique.

Humboldt intervient aussi dans son texte en tant qu’auteur du Kosmos en revenant régulièrement sur la logique de son propos. Ce méta-texte résulte sans doute de la nécessité de transformer les conférences données à Berlin en un texte continu56. Il n’en demeure pas moins que l’écrivain, en ces moments de récapitulation, exhibe les principes de la composition de son texte et se désigne comme l’ultime ordonnateur du propos57.

Interrompus pour un temps, les tableaux des trois âges de la poésie descriptive retrouvent leur place dans la structure générale du chapitre qui, elle-même, semble bien refléter la structure d’ensemble du livre – chaque composante des parties, des chapitres ou des tomes reproduisant l’ordre du Cosmos, entendu à la fois comme livre et comme monde. Ainsi les trois périodes qui rythment la naissance et le développement de la « littérature descriptive », non seulement coïncident avec les grandes étapes qui scandent le chapitre consacré à la peinture de paysage mais reproduisent, dans le domaine « restreint » de l’art littéraire et de son histoire, les grandes phases de la « science du Cosmos » ébauchées par Humboldt dès l’« Introduction de son ouvrage » : à une première époque de contemplation extérieure où l’harmonie du monde est révélée à l’homme par « un vague pressentiment », succèdent un premier « réveil de la réflexion », puis celui des « civilisations avancées » où l’homme, armé de multiples observations, accède à la compréhension des lois qui président aux phénomènes et saisit l’ordre et l’harmonie de la nature58.

Ultime manifestation (au moment où Humboldt écrit), de cette dernière période, Kosmos, que l’auteur présente dès sa préface comme un livre testamentaire, se doit de refléter dans ses diverses parties l’harmonie de la nature et d’y participer : il n’y a rien d’étonnant à ce que l’auteur se manifeste directement dans l’ouvrage, fidèle en cela à l’idée que l’homme est lui-même partie prenante de l’harmonie naturelle. La « Préface de l’auteur » pose précisément la question de l’écriture du livre et de sa composition et le désigne comme un ouvrage relevant de la littérature :

Bei der reichen Fülle des Materials, welches der ordnende Geist beherrschen soll, ist die Form eines solchen Werkes, wenn es sich irgendeines literarischen Vorzugs erfreuen soll, von groβer Schwierigkeit. Den Naturschilderungen darf nicht der Kauch des Lebens entzogen werden, und doch erzeugt das Aneinanderreihen bloβ allgemeiner Resultate einen eben so ermühenden Eindruck als die Anhäufung zu vieler Einzelheiten der Beobachtung59.

La composition d’un tel ouvrage, s’il aspire à réunir au mérite du fond scientifique celui de la forme littéraire, présente de grandes difficultés. Il s’agit de porter l’ordre et la lumière dans l’immense richesse des matériaux qui s’offrent à la pensée, sans ôter aux tableaux de la nature le souffle qui les vivifie ; car si l’on se bornait à donner des résultats généraux, on risquerait d’être aussi aride, aussi monotone qu’on le serait par l’exposé d’une trop grande multitude de faits particuliers. 

Mais à cette préface font aussi directement écho les dernières lignes du chapitre consacré à l’histoire littéraire. Là, le savant dispense des conseils aux futurs écrivains de la nature :

Naturbeschreibungen, wiederhole ich hier, können scharf umgrenzt und wissenschaftlich genau sein, ohne daβ ihnen darum der belebende Hauch der Einbildungskraft, entzogen bleibt. Das Dichterische muβ aus dem Gefühl der Allverbreitung, der gegenseitigen Begrenzung und der Einheit des Naturlebens hervorgehen60.

On peut donner aux descriptions de la nature, je le répète ici à dessein, des contours arrêtés et toute la rigueur de la science, sans les dépouiller du souffle vivifiant de l’imagination. Que l’observateur devine le lien qui rattache le monde intellectuel et le monde sensible, qu’il embrasse la vie universelle de la nature et sa vaste unité par delà les objets qui se bornent l’un l’autre ; telle est la source de la poésie.

La dimension prospective de ces dernières lignes, par les échos tissés, vaut ouverture et invitation à la relecture, non seulement du chapitre, mais aussi de tout le Kosmos : car ces directives, rétrospectivement, font apparaître l’ouvrage de Alexander von Humboldt comme une première tentative pour illustrer en acte les préceptes poétiques de la grande littérature descriptive, capable à la fois de refléter par son ordre et sa structure l’harmonie du monde physique et de la faire advenir.

*

Kosmos. Entwurf einer physischen Weltbeschreibung contient donc toute la littérature descriptive en même temps qu’il en incarne, en acte, la poétique. Mais cela permet-il alors de faire d’Alexander von Humboldt le précurseur des études d’écopoétique ? Si l’ouvrage connut une certaine postérité, il n’eut guère d’imitateur : il faut bien avouer que rares sont les savants qui, comme Humboldt, peuvent maîtriser un savoir encyclopédique et que la spécialisation des disciplines savantes contemporaines est a priori un obstacle à toute entreprise visant à recomposer un Kosmos. La définition de la Nature à laquelle se réfère le savant allemand, comme son approche de la littérature ou son plaidoyer en faveur de l’articulation des sciences et de la poésie devraient empêcher toute appropriation critique rétrospective de l’œuvre. Mais le propos d’Alexander von Humboldt est aussi précisément l’étude de la manière dont l’esprit humain s’affranchit de tout déterminisme. Ne pourrait-on y lire une invitation à comprendre aussi le Kosmos en dehors de toute contextualisation ?

Humboldt pourrait alors figurer parmi les précurseurs de l’écopoétique, à double titre. En ce qu’il est le premier à dessiner une histoire comparatiste de la littérature universelle, du point de vue de la Nature, qui en élargisse les corpus et la définition. En ce qu’il incite son lecteur à découvrir dans la composition même de son ouvrage une poétique de l’écriture de la nature, voire à fabriquer pour la décrire les outils critiques nécessaires. On peut, en partant du texte même de Kosmos, élaborer les grandes lignes de cette « poétique » humboldtienne. L’écriture de la nature, quels que soient son époque, son genre ou son mode, serait celle qui engagerait un rapport au monde ne reposant plus sur la vraisemblance, mais sur l’analogie. Loin d’accorder le privilège au récit et à la narration, les écopoéticiens devraient travailler à l’élaboration d’une structure descriptive, où, y compris dans le domaine du roman, la narration serait subordonnée à la description. En d’autres termes, par-delà l’analyse de la conformité de la structure du langage à la structure de la Nature, les écopoéticiens pourraient, à l’instar de Humboldt, rechercher les modèles littéraires possibles de la conformité de la composition des textes à la composition de la Nature.

Notes de bas de page numériques

1 Serge Briffaud, « Le temps du paysage. Alexander de Humboldt et la géohistoire du sentiment de la nature », in Hélène Blais et Isabelle Laboulais (éd.), Géographies plurielles. Les Sciences géographiques au moment de l’émergence des sciences humaines (1750-1840), Paris, L’Harmattan, 2006, p. 275-301.

2 Jean-Marc Drouin, L’Écologie et son histoire. Réinventer la nature, Paris, Desclée de Brouwer, 1991.

3 Cf. notamment, de Lawrence Buell, The Environmental Imagination (Cambridge, Harvard University Press, 1995), Writing for an Endangered World (Harvard, Harvard University Press, 2001) et The Future of Environmental Criticism (Malden, Blackwell Publishing, 2005) et de Alain Suberchicot, Littérature américaine et écologie (Paris, L’Harmattan, 2002) et Littérature et environnement. Pour une écocritique comparée (Paris, Honoré Champion, 2012).

4 Nathalie Blanc, Denis Chartier et Thomas Rughe, « Littérature & écologie : vers une écopoétique », Écologie & politique, 2008, n°36, p. 19.

5 Jonathan Bate, The Song of the Earth, London, Picador, 2000.

6 Alexander von Humboldt, Kosmos. Entwurf einer physischen Weltbeschreibung, Stuttgart und Tübingen, J. G. Gott’ascher Verlag, 1847, t. II, p. 3 ; Cosmos, essai d’une traduction physique du monde [1848], trad. fr. Charles Galusky, t. II ; rééd. Paris, Utz, 2000, t. I, p. 346.

7 Alexander von Humboldt, Kosmos, t. II, op. cit., p. 3-4 ; Cosmos, [1848], trad.fr. Ch. Galusky ; rééd., Paris, Utz, 2000, t. I, p. 345. 

8 Alexander von Humboldt, Kosmos, Stuttgart und Tübingen, J. G. Gotta’scher Verlag, 1845, t. I, p. 385 ; Cosmos, [1846], trad. H. Faye ; rééd. Paris, Utz, 2000, t. I, p. 342.

9 Kosmos, t. I, p. 385 ; Cosmos, t. I, p. 341.

10 Cf. Jean-Marie Valentin, « Alexander von Humboldt – une icône du monde globalisé », Alexander von Humboldt. 150e anniversaire de sa mort, Études germaniques, 2011, n°1, p. 16. Sur ce sujet, nous renvoyons notre lecteur à l’ouvrage de Rex Clark et d’Oliver Lubrich (éd.), Cosmos and Colonialism : Alexander von Humboldt in Cultural Criticism, Berghahn Books, New York, 2012, ainsi qu’à l’article de Bertrand Guest, « Par-delà (Bon) sauvage et civilisé : sur la piste d’un savoir nouveau », Elohi, 2012, p. 32 notamment.

11 Alexander von Humboldt, Kosmos, t. II, p. 24 ; Cosmos, t. I, p. 364.

12 Victor de Laprade, Le Sentiment de la nature chez les modernes, Paris, Librairie Académique, 1870, p. iii-v.

13 Cf. Bettina Hey’L, Das Ganze der Natur und die Differenzierung des Wissens. Alexander von Humboldt als Schriftsteller, Walter de Gruyten, Berlin, 2007.

14 Daniel Mornet, Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, Paris, Hachette, 1907, p. 184.

15 Serge Briffaud, « Le temps du paysage. Alexandre de Humboldt et la géohistoire du sentiment de la nature », op. cit., p. 345.

16 Daniel Mornet, Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, Paris, 1907, p. 7.

17 Daniel Mornet, Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, p. 443.

18 Daniel Mornet, Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, p. 446.

19 Daniel Mornet, Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, p. 448.

20 Daniel Mornet, Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre, p. 448.

21 Alexander von Humboldt, Kosmos, t. II, resp. p. 6 et p. 75 : « Philosophie, Physik und Dichtung » ; Cosmos, t. I, resp. p. 349 et p. 405.

22 Dans Ce qui a lieu. Essai d’écopoétique (Éditions Wildproject, 2015), Pierre Schoentjes remet ainsi au goût du jour des écrivains oubliés ou ignorés de la tradition littéraire, tels l’écrivain belge Robert Goffin, auteur de romans « animaliers » ou Pierre Gascar « auteur quasiment invisible aujourd’hui alors même qu’il a signé une cinquantaine de livres » (p. 66). Dans Littérature et environnement. Pour une écopoétique comparée (Paris, Honoré Champion, 2012), Alain Suberchicot interroge quant à lui la spécificité du rôle joué par la littérature dans les questions environnementales tout en mettant en évidence, dès l’étude des romans de Rachel Carson, l’insuffisance de nos catégories poétiques et disciplinaires (p. 19-21).

23 Cf. à ce propos Ottmar Ette, Weltbewusstsein. Alexander von Humboldt und das unvollendete Projekt einer anderen Moderne, Vellbrück Wissenschaft, Weilerswist, 2002.

24 Alexander von Humboldt, Kosmos, t. II, p. 9 ; Cosmos, t. I, p. 351.

25 Kosmos, t. II, p. 27 : « da sie meinen Lesern gewiβ weniger bekannt sind » ; Cosmos, t. I, p. 366.

26 Kosmos, t. II, p. 38 ; Cosmos, t. I, p. 375.

27 De la « philosophie de l’Histoire » de Humboldt, Christian Helmreich fait une analyse critique et circonstanciée dans « La philosophie de l’Histoire d’Alexandre de Humboldt », Alexander von Humboldt. 150e anniversaire de sa mort, Études germaniques, 2011, n°1, p. 107-122, notamment p. 114-118.

28 Kosmos, t. II, p.7 ; Cosmos, t. I, p. 350.

29 Kosmos, t. II, p. 23 ; Cosmos, t. I, p. 364.

30 Kosmos, t. II, p. 32 ; Cosmos, t. I, p. 370.

31 Kosmos, t. II, p. 32 ; Cosmos, t. I, p. 370.

32 Kosmos, t. II, p. 42 ; Cosmos, t. I, p. 385.

33 Kosmos, t. II, p. 50-51 ; Cosmos, t. I, p. 386.

34 Serge Briffaud, « Le temps du paysage. Alexander de Humboldt et la géohistoire du sentiment de la nature », op. cit., p. 13-15.

35 Kosmos, t. II, p. 17 ; Cosmos, t. I, p. 357.

36 Kosmos, t. II, p. 27-28 ; Cosmos, t. I, p. 369.

37 Kosmos, t. II, p. 55 : “ in litterarischen Werken, deren Formen der Vorzeit unbekannt waren” ; Cosmos, , t. I, p. 390.

38 Kosmos, t. II, p. 57 : “aus dem Tagebuch eines litterarisch ganz ungebildeten Seemannes” ; Cosmos, t. I, p. 391.

39 Kosmos, t. II, p. 65 ; Cosmos, t. I, p. 399.

40 Kosmos, t. II, p. 73 ; Cosmos, t. I, p. 403.

41 Alexander von Humboldt, Kosmos, t. II, p. 13, Cosmos, t. I, p. 354.

42 Kosmos, t. II, p. 21 ; Cosmos, t. I, p. 361 : “ ». 

43 Kosmos, t. II, p. 73 ; Cosmos, t. I, p. 403.

44 Kosmos, t. II, p. 69 ; Cosmos, t. I, p. 400.

45 Kosmos, t. II, p. 70 ; Cosmos, t. I, p. 401.

46 Kosmos, t. II, p. 71 : “durch den Reichtum des Beobachteten, die Gröβe der Weltansicht und das rühmliche Bestreben die Eigenthümlichkeit jeder vaterländischen Sprache zu anschaulichen Darstellungen zu benuβen » ; Cosmos, t. I, p. 402.

47 Kosmos, t. II, p. 72 ; Cosmos, t. I, p. 403.

48 Alexander von Humboldt, Ansichten der Natur, Tübingen, J. G. Gotta’schen Behandlung, 1808, t. I, p. VI ; Tableaux de la Nature, trad. fr. J. B. B. Eyriès, Paris, F. Schoell, 1808, t. I, p. vj-vij.

49 Kosmos, t. II, p. 74 : “in unseren Tagen dem gesammten Naturstudium einen mächtigen Reiz verschafft” ; Cosmos, t. I, p. 405.

50 Kosmos, t. II, p. 90-91 ; Cosmos, t. I, p. 419.

51 Kosmos, t. II, p. 56 : « welche mit der alten Kraft der Sprache jener Zeit vertraut sind ; Cosmos, t. I, p. 390.

52 Christian Helmreich, « La philosophie de l’histoire d’Alexandre de Humboldt », op. cit., p. 119.

53 Kosmos, t. II, p. 60 ; Cosmos, t. I, p. 393.

54 Marie-Noëlle Bourguet, « La collecte du monde : voyage et histoire naturelle (fin XVIIe siècle – début XIXe siècle) », C. Blanckaert, C. Cohen, P. Corsi et J.-L. Fisher (éd.), Le Muséum au premier siècle de son histoire, Paris, Éditions du Muséum, 1997, p. 136-198. 

55 Kosmos, t. II, p. 68 ; Cosmos, t. I, p. 400.

56 Sur l’origine de Kosmos, cf. Juliette Grange, « Préface », in Cosmos, Paris, Utz, 2000, t. I, p. 10.

57 Kosmos, t. II, p. 33 et p. 49 ; Cosmos, t. I, p. 374 et p. 386, notamment.

58 Alexander von Humboldt, Kosmos, Stuttgart und Tübingen, J. G. Gotta’schen Verlag, 1845, t. I, p. 4-5 et p. 17-18 ; Cosmos [1846], trad. fr. H. Faye, t. I ; rééd. Paris, Utz, 2000, t. I, p. 38 et p. 50.

59 Alexander von Humboldt, “Vorrede”, Kosmos, t. I, op. cit., p. viii ; “Préface de l’auteur”, Cosmos, t. I, p. 34.

60 Kosmos, t. II, p. 74 ; Cosmos, t. I, p. 404.

Bibliographie

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Pour citer cet article

Anne-Gaëlle Weber, « « Alexander von Humboldt : un précurseur de l’écopoétique ? » », paru dans Loxias, 52., mis en ligne le 13 mars 2016, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=8289.

Auteurs

Anne-Gaëlle Weber

« Textes et cultures », Université d’Artois