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Jacqueline Assaël  : 

L’Éther initiatique dans l’Andromède d’Euripide

Résumé

L’Andromède d’Euripide dont la représentation a marqué les esprits dans l’Antiquité, nous est parvenue dans un état très fragmentaire. Mais plusieurs passages conservés évoquent soit les profondeurs du ciel nocturne, soit la brûlure accablante du soleil en plein midi. Cette poésie de l’espace aérien définit le temps et le parcours d’une initiation qui conduit Andromède vers l’immortalité d’une métamorphose en astre. Le fragment 9 (J.-V. L.) en particulier décrit le mouvement de Persée fendant l’espace dans un voyage interstellaire. Les destins humains s’inscrivent alors dans le ciel. Ils ne s’y dessinent pas comme sur l’écran d’une rêverie symbolique, mais ils s’y expérimentent dans l’épaisseur des sensations qui sont suggérées et dans l’élan d’un dynamisme répondant aux critères bachelardiens d’une authentique imagination aérienne. Car, dans son essence, le drame mis en scène par Euripide se déroule au sein de la puissance régénératrice de l’Éther.

Index

Mots-clés : Andromède , Éther, Euripide, mythe de la Caverne, Persée, rituels initiatiques

Plan

Texte intégral

LAndromède d’Euripide n’a été conservée que dans un état très lacunaire. Cependant le vocabulaire introduit dans plusieurs fragments montre que, dans la première phase de cette pièce, le regard de l’héroïne est continuellement tourné vers l’éther. Elle est en effet enchaînée par le cou sur un rocher, au bord d’un rivage éthiopien et elle contemple forcément la voûte du ciel. À travers des formules marquées par une poésie mythologique, elle invoque donc tantôt le char de la Nuit, tantôt l’astre solaire et ses flèches brûlantes.

D’autre part, en fonction des données dramatiques, les zones aériennes constituent aussi l’espace d’où vient la libération pour la jeune fille. En effet Euripide représente le personnage de Persée, doté des sandales ailées d’Hermès, survolant la côte où se trouve Andromède1. Elle est menacée par un monstre marin auquel elle a été abandonnée en pâture par ses parents qui y ont été contraints par l’ordre des dieux satisfaisant ainsi la jalousie des Néréides2. Persée est en chemin, après avoir tué la Gorgone. Son attention est attirée par cette scène pathétique. Il met alors pied à terre pour délivrer la jeune fille. Par la suite, l’espace aérien devient aussi le lieu de destination d’Andromède, appelée à se métamorphoser en constellation, à l’issue d’un phénomène de katastérismos. La dramaturgie et les moyens scéniques sont donc engagés pour ne définir la terre que comme un lieu d’escale et de transit entre deux envols dans les profondeurs célestes, et le poète produit une représentation symbolique d’espaces aériens d’où vient la délivrance des épreuves et dans lesquels se dessine un destin immortel.

Le style d’Euripide n’est pas seulement descriptif lorsqu’il évoque l’atmosphère supraterrestre, mais le poète fait aussi entrer en jeu des notations sensorielles, comme s’il partageait les impressions de Persée planant dans la subtilité fluide de l’éther. L’espace aérien est donc traité non pas comme le cadre inaccessible de visions lointaines, mais comme l’infini d’une substance dont le dramaturge inspiré a quelque expérience, quelque perception artistique. Ce phénomène signale les caractéristiques d’un rêve de participation, en quelque sorte, à cette essence transcendante.

De fait, la question de la consistance humaine se pose, à l’occasion de cette pièce. Car, dans la mise en scène d’Euripide, la voix d’Andromède est répercutée par le personnage immatériel d’Écho qui, dans la solitude de ce rivage désolé, répète ses paroles, avant de s’évanouir, à sa demande. D’après ces éléments du drame, il existe donc des formes dégradées de l’être qui habitent au fond de cavernes de pierre et d’autres, sublimées, dans la richesse substantielle de l’Éther. La poésie aérienne illustre ainsi les aspects d’une anthropologie complexe.

Le récit mythologique permet d’imaginer des transports et des métamorphoses, à divers niveaux de l’espace. Mais la pensée d’Euripide, le « philosophe de la scène », interprète nécessairement les structures allégoriques et les métaphores de ces contes merveilleux3. À travers ce mode de représentation, le poète suggère toute une réflexion sur les divers degrés de l’être auxquels l’humain peut accéder.

L’éther « sacré » de la Nuit et du plein midi

Le vocabulaire employé par Euripide prouve que, dans l’Andromède, son évocation de l’éther est liée à une réflexion qui pourrait être qualifiée de mystique, ou plutôt de mystérique, pour éviter tout anachronisme. En effet, la pièce s’ouvre sur une invocation à la Nuit dans laquelle la catégorie du sacré intervient à plusieurs reprises, à travers deux occurrences de l’adjectif au féminin hiéra (ἱερά) et une forme du superlatif de semnos (σεμνός) notamment :

Ô Nuit sacrée (hiéra, ἱερά),
Quelle longue chevauchée, quelle poursuite !
Ton char parcourt la voûte étoilée,
De l’Éther sacré (hiéras, ἱερᾶς)
Dans la majesté (semnotatou, σεμνοτάτου) olympienne4.

Certes Caelius Aurelianus cherche à banaliser le sens de l’expression initiale et à l’interpréter comme une amplification poétique : « les gens appellent ‘sacrée’ l’immensité : la mer est dite ‘sacrée’, une demeure est dite ‘sacrée’, comme le poète tragique parle de ‘la nuit sacrée’, ce qui signifie ‘grande’5 ». Cependant, la cause n’est pas entendue, car dans ce passage d’Euripide, le terme hiéra (ἱερά) est répété et il s’applique à des entités traditionnellement mises en rapport avec la notion de divin, dans la pensée grecque : la Nuit, l’Éther6 ; de plus, dans le contexte immédiat, l’idée de « sainte majesté » exprimée à travers le degré de sens le plus élevé de l’adjectif semnos se rapporte à la sphère olympienne. À ce propos, F. Jouan et H. van Looy précisent : « Le mot ‘Olympe’ ne désigne pas le mont Olympe en Thessalie, mais ‘la demeure des dieux située dans le ciel’7 ». La solennité de cette réplique initiale développant une rêverie sur les profondeurs infinies de l’atmosphère céleste marque la représentation dramatique d’une forte tonalité religieuse.

F. Jouan et H. van Looy interprètent ces quelques vers comme une indication sur la composition de la trilogie représentée en 412, à laquelle appartiennent très probablement Andromède et Hélène : « L’invocation à la nuit […] suggère qu’Andromède a été représentée au lever du jour comme première pièce de la trilogie, avant Hélène8 ». Toutefois cette conclusion n’est pas absolument convaincante, car dans la pièce perdue se déroulait toute la durée d’une action dramatique dont le début, avec l’acte de libération effectué par Persée, ne se situait pas avant la chaleur du plein midi. En effet, dans la deuxième partie du fragment 7 (J.-V. L.), Andromède déplore son sort, enchaînée qu’elle est sur ce rocher en bord de mer et soumise à la brûlure des rayons solaires :

Puissent l’astre, en l’Éther, et sa charge de flamme
M’anéantir, moi la barbare !
Non, je n’aime plus voir
La lumière immortelle (ἀθανάταν φλόγα) ; car suspendue
Étranglée et meurtrie, par les dieux (δαιμόνων) je suis vouée
Bientôt à un voyage chez les morts9.

Cette réplique indique les sentiments de la jeune fille dont le regard est tourné vers le ciel. Elle révèle là encore la nature religieuse de la vision du personnage mythologique, non seulement à travers la référence faite à la volonté des dieux, mais aussi à travers l’imagination de l’espace aérien, traditionnellement conçu comme un lieu d’immortalité.

De fait, la situation de la jeune fille ainsi liée à la gorge évoque à bien des égards le sort des prisonniers de la Caverne, chez Platon. Car eux aussi, comme Andromède, sont enchaînés par le cou. De même, l’initiation du captif qui échappe à son aliénation se déroule progressivement, en plusieurs temps : hors de la grotte obscure, forcé à tourner la tête et à lever les yeux vers la lumière10, il apprend à voir la réalité, et non plus seulement des silhouettes vaines, tout d’abord dans la pénombre nocturne qui ne l’aveugle pas, avant de pouvoir contempler en définitive le plein éclat de la vérité, dans la lumière du soleil :

Je pense qu’il aurait besoin d’habitude avant de voir les objets de la région supérieure. Tout d’abord il distinguerait le plus facilement les ombres, puis les reflets des hommes, etc. à la surface des eaux, ensuite les réalités elles-mêmes. Après cela, il pourrait, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même, que pendant le jour le soleil et sa lumière […]. À la fin, j’imagine, ce serait le soleil […] qu’il pourrait voir et contempler tel qu’il est11.

Les éléments dramaturgiques et le déroulement du temps dans la pièce d’Euripide suggèrent la valeur ésotérique qu’elle a dû prendre lorsqu’elle fut représentée auprès des spectateurs du théâtre de Dionysos. Une comparaison systématique entre le texte platonicien et les fragments de l’Andromède confirme que la protagoniste se tourne vers l’éther comme pour réaliser à travers cette vision une initiation qui lui procurera la plénitude de son essence humaine.

L’Andromède d’Euripide et le mythe platonicien de la Caverne : l’Éther mystérique

Dans le mythe de la Caverne, la découverte de la véritable consistance du réel advient au cours d’une montée qui conduit jusqu’à la lumière du soleil. Pour que cette ascension puisse se réaliser, les prisonniers doivent être arrachés à leur douloureuse captivité par des amis qui les délivrent de leurs chaînes :

Mais si, dis-je, on le tirait de là par force, si on lui faisait gravir la montée rude et escarpée, et si on ne le lâchait pas avant de l’avoir sorti et tiré jusqu’à la lumière du soleil, ne souffrirait-il pas vivement, et ne s’indignerait-il pas de ces violences12 ?

Cette représentation s’inspire des doctrines pythagorico-orphiques, connues de Platon, qui prônent une purification de l’âme déchue sur la terre et qui lui enseignent à retourner vers la nature des espaces originels, éternels13. Or, dans l’Andromède, des éléments significatifs montrent que l’héroïne s’engage dans un tel processus d’accomplissement qui l’entraîne et la tourne vers la plénitude de l’Éther.

Ainsi, la jeune fille enchaînée ne supporte plus d’entendre le son de sa voix répercuté par la nymphe Écho, au fond d’un antre :

Toi, au fond des antres,
Cesse !
Laisse-moi, Écho, me rassasier de gémissements avec mes amies14.

Dans sa parodie, Aristophane reprend plaisamment et longuement cette idée de l’intervention de l’écho15. F. Jouan et H. van Looy prêtent quant à eux une valeur pathétique à cette originalité dramatique d’Euripide :

Pour accentuer la solitude totale d’Andromède, le poète avait inventé l’écho, qui, invisible, répondait aux plaintes de la pauvre victime : maintenant que le chœur est là pour participer aux plaintes de la jeune fille, son rôle est terminé et Andromède supplie la nymphe Écho de se taire16.

Cependant, cette explication fondée sur l’analyse psychologique, sur la distribution des personnages et sur le dessin d’une mise en scène ne tient pas compte de la nature particulière de l’écho, qui ne saurait se taire sur commande… En revanche, le phénomène de son extinction se justifie pleinement si, comme dans la caverne platonicienne, la progression initiatique de l’héroïne la conduit vers la connaissance et l’acquisition des formes substantielles et essentielles de son être17. Car dans la République, le philosophe définit clairement l’écho comme la forme inconsistante et dégradée que perçoivent les non-initiés :

Et si la paroi d’en face avait un écho, chaque fois que l’un des passants parlerait, crois-tu qu’ils penseraient entendre autre chose que l’ombre qui passerait devant eux18 ?

Mais cette illusion se dissipe lorsque les prisonniers prennent conscience de l’existence de la réalité qui les entoure. Pour sa part, Andromède ne tolère plus les simulacres et cette réaction indique qu’elle revendique un accès à la vérité de l’être19.

La signification de sa situation et la valeur symbolique de l’écho sont aussi éclairées par les effets parallèles introduits par Euripide dans l’Hélène, qui fait partie de la même série de représentations théâtrales. En effet, les motifs se décalquent les uns sur les autres dans ces deux pièces. Ainsi, à Pharos, Hélène est retenue prisonnière par les assauts pressants dont l’assiège Théoclymène auquel elle se refuse ; lorsque Ménélas la retrouve, ils apprennent simultanément la disparition de l’eidôlon, cette figure inconsistante que le roi de Sparte avait ramenée de Troie, la prenant pour sa femme. Le spectateur apprend alors, ce qui n’avait nullement été précisé auparavant, que cette silhouette vaine avait été mise à l’abri dans une grotte de la côte où le navire de Ménélas avait abordé. Sans plus d’explication, à travers une remarque destinée à des spectateurs avertis, cet antre est même qualifié de « sacré »20. De fait, comme si l’héroïne était parvenue à une étape décisive de son initiation, un envol d’Hélène se produit, qui la conduit hors de cette caverne, dans l’éther, vers l’immortalité21. Dans cette pièce, la reine captive est délivrée par son époux qui l’entraîne hors du monde des désirs illicites, donc impurs ; elle peut ainsi poursuivre son initiation et la substance de son être s’affermit. L’eidôlon correspond, sur le plan visuel, à la perception auditive de l’écho fantomatique de la voix d’Andromède. D’ailleurs, le même schéma dramatique structure les deux œuvres : Persée joue en effet un rôle salvateur équivalent à celui de Ménélas, selon les mêmes impératifs de la doctrine orphique qui réclame l’intervention d’un être aimé et aimant pour libérer les prisonniers du monde illusoire de la Caverne, comme le montre Platon22.

D’autre part, dans le mythe de la Caverne, la condition du prisonnier n’est pas isolée, de même que dans ces pièces d’Euripide. Car Andromède, comme Hélène, sont entourées d’un chœur de compagnes qui, de manière originale dans la tragédie grecque, partagent directement leur sort, c’est-à-dire leur captivité et leurs aspirations de fuite, mais qui ne réussissent pas encore à s’engager dans le processus d’évasion vers l’univers purifié de la transcendance. Andromède les interpelle avec affection, mais elle les quittera :

Chères jeunes filles, mes amies23,

et dans Hélène, les choreutes célèbrent le départ de l’héroïne comme un privilège :

Ah ! si nous pouvions
Nous envoler dans les airs,
Comme des oiseaux de Libye24.

L’évadé de la caverne platonicienne est lui aussi favorisé :

Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la ‘sagesse’ en vigueur dans ces lieux, et de ceux qui y furent alors ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu’il se réjouirait du changement et qu’il les plaindrait25 ?

Le destin du héros initié se détache ainsi de la condition commune des mortels aveuglés sur le sens de l’existence.

De manière caractéristique, l’ensemble des éléments de l’Andromède conservés notamment grâce à la parodie d’Aristophane correspondent à la dramatique de l’initiation telle qu’elle est représentée dans le mythe platonicien. De plus, certaines indications suggèrent fortement que la pièce traite des tribulations d’une âme en voie de purification, comme dans un rituel éleusinien. Car, lorsqu’il est question d’une Sirène :

Quels flots de larmes, quelle Sirène <chante ici ses lamentations>26,

la thématique rappelle le chœur de l’Hélène dans lequel sont évoquées de telles créatures, compagnes de Perséphone27. Or, H. Grégoire précise que « ces figures ailées représentent l’âme qui survit au corps et qui habite la tombe28 » et le scholiaste commente par ailleurs cette occurrence du mot Seirèn (Σειρήν), dans l’Andromède, en notant un terme qu’il juge équivalent : psychè (ψυχή), « l’âme29 ». Manifestement, les deux pièces d’Euripide mettent en scène le sort des âmes humaines en voie d’initiation.

Un autre fragment renforce cette interprétation de l’Andromède comme un drame ésotérique. En effet, lorsque Persée aborde au pays de la jeune fille, en la voyant enchaînée sur son rocher, il lui semble voir une statue :

Hé ! quel est ce rivage que je vois,
Encerclé et battu d’écume marine ? Et la figure d’une vierge
Formée de blocs de pierres brutes,
Une statue d’une main d’artiste30.

Achille Tatius décrit avec précision la jeune fille attachée dans un creux du rocher et il commente l’impression produite par ces images :

en admirant cette vision, on aurait eu tendance à comparer sa beauté à une statue qui vient d’être sculptée, mais en voyant les chaînes et le monstre, on s’apercevait que [cette grotte] ressemblait plutôt à une tombe improvisée31.

F. Jouan et H. van Looy signalent à propos de ce passage l’influence évidente exercée par le texte d’Euripide, notamment conservé dans le fragment 10. Dans les mythes grecs de résurrection mystérique, avant que le personnage qui traverse la mort initiatique soit ranimé pour atteindre le degré de vie de l’adepte qui a connu la suprême révélation divine, il demeure immobile comme une statue32. Mais de plus, dans ce texte, la comparaison de la silhouette d’Andromède avec une statue de pierre rappelle la formule platonicienne inspirée des orphiques : sôma sêma, « le corps est un tombeau33 ». De fait, dans les rituels éleusiniens, l’initié est censé passer par un état de mort à lui-même avant d’atteindre la connaissance et l’état de la plénitude du vivant. Ainsi, la remarque de l’héroïne aspirant à sa propre mort en tant que Barbare (fr. 7 J.-V. L.), prendrait-elle tout son sens selon cette lecture de la pièce : car elle souhaite alors parvenir à ce stade d’humanité interdit à ceux qui ignorent l’accomplissement de l’humain atteint, par exemple, à Éleusis34.

Lorsqu’un adepte parvient à s’échapper de ses chaînes et réussit à contempler la beauté lumineuse de la substance qui l’entoure dans le cosmos, Platon affirme qu’il ne retournerait pour rien au monde dans sa situation antérieure :

N’aurait-il pas le même sentiment que le héros d’Homère et ne préférerait-t-il pas bien plutôt n’être « qu’un valet de charrue servant comme thète auprès d’un citoyen déshérité », et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions et de vivre comme il vivait35 ?

Parallèlement, Andromède accepte de suivre Persée dans l’évasion qu’il lui propose, quel que soit le statut qu’il lui réserve :

Emmène-moi, étranger, que tu me veuilles comme servante,
Comme épouse ou comme esclave36.

D’après l’ensemble des indications contenues dans les fragments conservés de cette pièce, Andromède vit une initiation mystérique.

D’ailleurs, Persée constate le mutisme de la jeune fille, qui correspond aux impératifs présidant au déroulement de ces cérémonies :

Tu te tais ; le silence n’aboutit pas à l’interprétation (ἑρμενεύς) de nos paroles37.

Mais le héros juge nécessaire de dépasser cette phase de l’apprentissage, pour clarifier le message et l’échange. Il confie alors au langage une fonction herméneutique. Ce terme rappelle les symboles manifestant la présence symbolique d’Hermès auprès des personnages. En effet, passeur des âmes entre le monde physique et un au-delà transcendant, ce dieu joue un rôle dans l’initiation d’Hélène que, selon Euripide, il dépose à Pharos après lui avoir fait traverser les couches les plus subtiles de l’atmosphère, dans lesquelles elle galvanise son être, en quelque sorte, écartant ainsi d’elle toute atteinte d’une quelconque souillure38. En correspondance, dans l’Andromède, Hermès a confié ses sandales ailées à Persée, le faisant ainsi explorateur du monde éthéré, et psychopompe, comme lui-même l’est.

Par la suite, Persée enlève Andromède dans les profondeurs sacrées de l’éther où elle se métamorphosera en astre, tout comme la reine de Sparte, réalisant sa pleine initiation à travers ce katastérismos39. En effet, dans la pensée orphique mise en œuvre lors des mystères d’Éleusis, l’âme déchue prend une forme humaine à la surface de la terre, mais au terme de son parcours, elle retourne dans l’espace originel de la transcendance et elle retrouve la forme sphérique qui est le signe de la perfection40. Ce type de représentation mythologique illustré par Euripide favorise, en fait, l’expression de la spiritualité éleusinienne.

Dans ce cadre de pensée, l’Amour intervient traditionnellement comme principe fondamental41. Il figure en effet parmi les premières entités des théogonies orphiques. Dans la parodie que produit Aristophane, dans les Oiseaux, Éros éclot d’un œuf, fils de la Nuit et du Chaos :

jusqu’à l’éclosion de l’Éros, tout se passe dans le noir et dans le repos. La lumière jaillit avec l’Éros tourbillonnant. Qu’on se représente donc l’Éros de cette tradition comme du vent brassant une atmosphère saturée de lumière : principe dynamique, force de jaillissement de la lumière et à la lumière42 !

Or, dans la pièce d’Euripide, la puissance de l’Amour est invoquée à travers la divinisation de l’Éros :

Et toi, Éros, qui règnes en maître sur les dieux et sur les hommes…43,

ainsi qu’à travers la mise en scène de Persée qui devient l’amoureux d’Andromède. Un témoignage antique indique l’équivalence, en quelque sorte, entre ces deux modes de représentation. Car lorsque, manifestement influencé par la tragédie d’Euripide, Philostrate décrit un tableau évoquant la victoire de Persée sur le monstre marin, il note que l’artiste a interprété la pièce de manière à proposer l’image d’Éros délivrant la jeune fille44. Comme dans la doctrine orphique, le poète indique donc le rôle de l’amour dans la libération de l’âme captive qui cherche à rejoindre la perfection originelle de l’Éther.

Pour accomplir cette échappée, l’initié doit se soustraire à l’emprise des passions qui l’attachent au domaine terrestre, grossièrement matériel. D’après la symbolique mythologique, le monstre marin représente les dangers de ces pulsions qui assaillent l’âme. Ennius reprenant la source euripidéenne décrit de manière détaillée l’allure de cet animal marin qui tourmente Andromède :

scrupeo investita saxo, atque ostreis squamae scabrent
(<le dos> couvert de rocailles et les écailles hérissées de coquilles)45.

Or, cette image correspond à celle que Platon dessine pour évoquer l’état de l’âme encore unie au corps, avant d’avoir pu s’en dégager et s’en purifier ; il use alors de cette comparaison :

nous la contemplons dans le même état que ceux qui voient Glaucos le marin. Il ne serait plus guère possible de reconnaître sa nature primitive ; car des anciennes parties de son corps les unes sont cassées, les autres usées et totalement abîmées par les vagues, tandis que de nouvelles s’y sont ajoutées, des coquillages, des algues, des pierres, de sorte qu’il ressemble plus à n’importe quelle bête sauvage qu’à ce qu’il était par nature46.

Une multitude d’indices convergents invite donc à lire l’Andromède dans sa dimension allégorique, selon une intelligence du mythe qui renvoie à l’idée d’un parcours de personnages en voie d’accéder à une nouvelle pureté, dans l’éther.

La dernière phase de la pièce d’Euripide, très agitée, est également conforme au schéma de l’initiation présenté dans le mythe de la Caverne. En effet, Platon imagine le retour de l’être éclairé parmi les prisonniers qui sont demeurés enchaînés. De son point de vue, le contact risque d’être rude :

Et s’il lui fallait de nouveau disputer, pour juger ces ombres, avec ceux qui sont toujours prisonniers, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux se soient remis (or l’accoutumance à l’obscurité demanderait un temps non négligeable), n’apprêterait-t-il pas à rire à ses dépens, et ne diraient-ils pas que, de son élévation vers les hauteurs, il est revenu avec la vue ruinée, et que ce n’est même pas la peine d’essayer d’y monter ? Et si quelqu’un tentait de les délier et de les conduire en haut, et qu’ils puissent s’emparer de lui et le tuer, ne le tueraient-ils pas47 ?

En effet, le philosophe imagine la réaction hostile d’humains toujours attachés à la satisfaction de leurs désirs physiques et à une interprétation du monde grossière et erronée, face à des initiés qui se réclament désormais d’autres valeurs et de critères de jugement plus hauts, en relation avec la qualité du monde éthéré. En parallèle, l’Andromède met en scène Persée s’adressant aux parents de la jeune fille, après qu’il l’a libérée. Il souhaite l’épouser mais sa requête est rejetée en raison de sa pauvreté et de son humble naissance48. Céphée, le père d’Andromède, privilégie la richesse matérielle et il semble tout ignorer du sens qu’un philosophe ou un initié peut donner au mot « liberté » :

Je veux surtout avoir de l’or dans mes demeures.
Même esclave, un riche est honoré,
Mais un homme libre dans le besoin n’a aucun pouvoir49.

La dispute est violente et Euripide ne saurait mieux mettre en évidence l’aveuglement de ceux qui ignorent les révélations mystériques que d’autres ont acquises sur l’essence d’une vie en plénitude.

Dans cette pièce, le conflit est réglé par l’apparition d’Athéna qui prédit, ex machina, le katastérismos de Persée et d’Andromède, c’est-à-dire leur destination finale dans un espace céleste où leur être sera divinisé, immortalisé. Compte tenu du schéma dramatique mis en œuvre dans la pièce, l’éther constitue alors le lieu ultime du parcours initiatique où l’existence subtile des humains rejoint l’état de transcendance originel dans lequel s’inscrit la vie, selon la vision noétique d’une cosmologie inspirée50.

Le dynamisme de l’évocation poétique de l’Éther, dans l’Andromède

Lorsque Persée intervient dans le drame, il vient du monde supraterrestre. À travers le récit que le personnage fait de sa traversée des couches éthérées s’exprime l’onirisme du poète lui-même. Or, manifestement, Euripide ne contemple pas seulement le ciel nocturne comme une surface lisse sur laquelle glisse le regard, mais il évoque un contact substantiel avec l’Éther. Il imagine en effet les impressions produites par un vol rapide au sein de ces espaces. La vitesse du corps qui se transporte ainsi met en évidence le caractère physique de l’éther subtil. Car, dans son envol, le héros « coupe » et « taille » sa route (τέμνων), il se fraye un chemin comme dans la densité du cosmos51 :

Ô dieux, vers quelle terre barbare nos promptes sandales
Nous ont-elles conduit ? Car c’est au sein de l’Éther
Que je fraye ma route et pose un pied ailé.
Et au-dessus des courants de l’Océan, au-dessus des Pléiades,
Moi, Persée, je vogue vers Argos, transportant la tête
De la Gorgone52.

En même temps, la fluidité de ce déplacement s’inscrit dans un infini dont les contours indéterminés situent l’être qui le traverse exactement en son sein, en son « milieu » (διὰ μέσου). De la sorte, si Persée ressent la vive résistance de l’air, il éprouve aussi une sensation de bien-être, voire de confort, dans cet élément où il plane comme on « vogue » (ναυστολῶν) dans la mer, soutenu par la pression des masses liquides.

Le personnage, emporté par la griserie de son essor, semble ne pas se résoudre à mettre pied à terre. Dans un large corpus de textes, G. Bachelard a constaté que l’authentique idée poétique d’une énergie en vol est illustrée par l’image d’ailes fixées aux pieds des personnages et non pas dans leur dos. Avec le motif des sandales d’Hermès attachées aux pieds du héros, la mythologie grecque favorise cette impression d’une navigation puissante dans les airs53. Parvenu au-dessus du pays des Éthiopiens qui lui apparaît comme une destination provisoire, Persée demeure pendant un temps en arrêt au-dessus de la terre, comme dans un heureux vertige aérien, au sein d’un espace dans lequel il éprouve une légèreté et une puissance inconnues sur la terre.

En composant un texte qui n’est pas seulement descriptif mais qui suggère des sensations, Euripide propose en quelque sorte à ses spectateurs une participation expérimentale à l’aventure de Persée, à la découverte d’une existence allégée et métamorphosée54. Pour sa part, le héros a déjà gagné les hauteurs éthérées, élevant en quelque sorte la nature de l’humain, dans une force et un bien-être inégalés. La progression dramatique qui aboutit ensuite à l’annonce de la métamorphose des personnages principaux en constellations donne à la pièce le sens cohérent d’une conquête imaginaire des espaces aériens, pour vaincre le tragique d’une condition sans cela vouée à une déchéance qui l’aveugle et à propos de laquelle elle est aveuglée.

Conclusion

Dans l’Andromède, l’évocation de l’Éther fait naître ce que Bachelard appelle une « réalité onirique ». En effet, cet espace ne correspond pas au cadre imaginaire d’une fiction mythologique. Mais le regard ou l’appel de l’héroïne en attente d’une libération se tournent constamment dans la direction de cet infini où successivement l’obscurité et l’éclat du jour éduquent les perceptions et la faculté de connaissance. La dramatique théâtrale se situe et se réalise d’ailleurs à partir de cette altitude d’où surgit Persée, maître de la Gorgone, dompteur de l’assaut des monstres, initiateur d’une vie lumineuse ; puis les couches éthérées représentent en définitive la destination que les protagonistes atteignent, au terme de leur expérience d’accomplissement de l’humain. Le symbolisme et le fonctionnement allégorique des images renvoient à l’enseignement des doctrines mystériques qui prônent l’élévation et l’ascension des essences vivantes jusqu’à la substance céleste originelle, immatérielle.

L’Éther, défini d’emblée dans la pièce comme une réalité sacrée, se révèle donc inaccessible, sauf à travers l’initiation ou la création poétique. Pour sa part, Euripide atteste de la vertu proprement poïétique des images oniriques qu’il produit, car elles expriment et suscitent des sensations comme au contact de cet espace à la physique inconnue, porteuse d’une navigation aérienne subtile et fluide. L’aspect dynamique de sa rêverie communique l’idée et les impressions imaginaires d’un réel voyage initiatique dans l’épaisseur et les profondeurs d’une atmosphère infinie.

Notes de bas de page numériques

1 Clément d’Alexandrie (Protrept. II, 14, 301. 11 [Stählin]) et Pollux (Onom. 4, 128 [204, 32, Bethe]) attestent l’usage de la méchanê pour la mise en scène aérienne de Persée.

2 Sur le contenu de la légende, cf. François Jouan et Herman van Looy, Euripide. Fragments, I, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 147-152 et Vincenzo Pagano, L’Andromeda di Euripide, Alessandria, ed. dell’Orso, 2010, p. 1-24 ; sur l’Andromède, cf. Frank Bubel, Euripides. Andromeda, 1991, Stuttgart, ed. F. Steiner
, 1991 ; Richard Kannicht, Tragicorum Graecorum Fragmenta, V, 1, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2004, p. 233-260, Christopher Collard et Martin Cropp, Euripides, Fragments, Aegeus-Meleager, Harvard University Press, 2008.

3 La trame dramatique de l’Andromède a été identifiée comme une illustration du schéma adopté par les contes populaires évoquant les héros tueurs de dragons qui délivrent ensuite une princesse (cf. Antti Aarne-Stith Thompson, The types of Folktales, Helsinki, The Finnish Academy of Science and Letters, 1961, p. 88-89, n° 300). Mais, dans son théâtre, Euripide charge les traditions folkloriques dont il s’inspire de significations symboliques, ésotériques ou philosophiques. Cf. Jacqueline Assaël, « La résurrection d’Alceste », REG 117, janvier-juin 2004, p. 37-58.

4 Fr. 1 (J.- V. L.) = 114 Kannicht (Kn.) = 164 M. (Hans Joachim Mette, LG, XIV, 1152, 8 : ΑΝΔΡΟΜΕΔΑ). La scholie au vers 1065 des Thesmophories d’Aristophane qui parodie de longs passages de l’Andromède dans cette comédie indique que ce fragment correspond aux premiers vers du prologue de la pièce tragique. Cf. François Jouan-Herman van Looy, Euripide. Fragments, p. 155 et 168 ; Richard Kannicht, Tragicorum graecorum fragmenta, p. 238. – Les traductions introduites dans cet article sont personnelles, sauf indication contraire.

5 « majora enim vulgus sacra vocavit – sacrum dictum mare, sacra domus, velut tragicus poeta sacram noctem, hoc est magnam » (De morbis chronicis, I, 4, 60, p. 478 Drabkin). Cf. Richard Kannicht, Tragicorum graecorum fragmenta, p. 239.

6 Cf. Clémence Ramnoux, La Nuit et les enfants de la Nuit dans la tradition grecque, Paris, Flammarion, 1986, Chapitre 1 : « Les Nuits saintes de la Grèce », p. 17-61.

7 Euripide. Fragments, p. 168, n. 48. Dans le même sens, cf. Richard Kannicht, Tragicorum graecorum fragmenta, p. 239.

8 Euripide. Fragments, p. 155. Sur la date de la représentation et sur la composition de la trilogie, cf. Henri Grégoire, Euripide. V, Hélène, Paris, Les Belles Lettres, (1950) 1973, p. 9-10 ; William Allan, Euripide, Helen, New York & Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 4 ou Christine Amiech, Euripide. Hélène, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011, p. 16.

9  = Thesmophories, v. 1051-1056. Dans ces vers d’Aristophane, la mesure de l’influence littérale exercée par la source euripidéenne est difficile à estimer, car les scholiastes ne précisent pas en quel point le poète comique peut s’écarter de son modèle. C’est pourquoi Richard Kannicht, par exemple, ne maintient pas ces vers parmi la collection de ses fragments (cf. p. 245), quoique le vocabulaire et certains rythmes rappellent clairement ceux de la tragédie (sur la composition de ce texte, cf. Rainer Klimek-Winter, Andromedatragödien : Sophokles, Euripides, Livius Andronicus, Ennius, Accius, Stuttgart, Teubner, 1993, p. 171 sqq.). Toutefois, dans son envol, Persée ne peut voir la jeune fille qu’en plein jour. Donc les indications de temporalité doivent remonter au texte original, au moins en substance. De plus, la représentation comporte quelques particularités qui ne correspondent pas à la vision traditionnelle d’Andromède fondée sur l’observation du ciel. En effet, les poètes astronomes Aratos et Avienus imaginent la jeune fille liée par les mains, d’après le dessin des constellations. Aratos évoque ses « mains fatiguées » (μογεραὶ χεῖρες, Phénomènes, v. 704. Cf. aussi v. 200-202) et Avienus précise sa description, v. 468-469 : « dans le vaste empyrée elle étend ses bras écartés, que jusque dans le ciel maintiennent des liens, car des nuées légères serrent ses bras de liens compliqués » (Les phénomènes d’Aratos, trad. Jean Soubiran, Paris, Les Belles Lettres, C. U. F., 1981, p. 113). Ce ne sont pas les besoins du drame mis en scène par Aristophane qui motivent l’originalité de la ligature par le cou. Ce détail provient donc certainement du texte d’Euripide.

10 Cf. Rép., X, 515 c.

11 Rép., X, 516 ab.

12 Rép, X, 515 e-516a.

13 Sur l’influence orphique manifeste dans le mythe de la Caverne, cf. Pierre-Maxime Schuhl, Études sur la fabulation platonicienne, Paris, P.U.F., 1947, p. 57, Pierre Boyancé, « Les mystères d’Éleusis », REG, 75, 1962, p. 464, Abel Jeannière, Lire Platon, Paris, Aubier, 1990, p. 50-57.

14 Fr. 6 (J.-V. L)= 168 M.= 118 Kn.

15 Cf. Thesmophories, v. 1018 sqq.

16 Euripide. Fragments, p. 156.

17 Iégor Reznikoff a souligné la valeur initiatique de l’utilisation de l’écho dans des grottes, dès la préhistoire : « Et la question se pose : dans quelle direction avancer ? […] Il est alors naturel d’aller dans la direction de la meilleure résonance obtenue » ; il évoque ainsi « un chemin d’initiation dans cette intimité avec le sol, la terre, les ténèbres et la profondeur sonore (au point de résonance) » (« L’existence de signes sonores et leurs significations dans les grottes paléolithiques », in Jean Clottes [dir.], L’art pléistocène dans le monde, Actes du Congrès IFRAO, Tarascon-sur-Ariège, septembre 2010, Société préhistorique Ariège-Pyrénées, 2012, p. CD-1742).

18 515 b. Sur le statut des simulacres dans le mythe de la Caverne, cf. Jean-François Mattéi, La puissance du simulacre. Dans les pas de Platon, Paris, éd. François Bourin, 2013, p. 26-35.

19 L’interprétation héraclitéenne du mythe de la Caverne, mise en œuvre en premier lieu par les stoïciens, montre clairement à quel point l’écho, dans la représentation de Platon, représente une forme dégradée de la réalité, car il ne constitue qu’un pâle reflet du Logos qui est un principe premier dans la pensée de l’Éphésien. Sur ce point, cf. Abel Jeannière, Lire Platon, p. 191-195.

20 Cf. Hélène, v. 605 sqq.

21 Sur cette interprétation de l’Hélène d’Euripide, cf. Jacqueline Assaël, « L’Hélène d’Euripide, un drame initiatique », La Parola del Passato, 2012, à paraître et « Dans l’Hélène d’Euripide, comment l’eidôlon rejoint l’héroïne, au firmament », in Actes du colloque international : "Héros voyageurs et constructions identitaires" (Perpignan, 21-24 novembre 2012), à paraître.

22 Sur la nécessité de l’intervention d’un être aimé, à ce stade de l’initiation, cf. Victor Magnien, Les Mystères d’Éleusis. Leurs origines. Le rituel de leurs initiations, Paris, Payot, 1929, p. 186 : « la pente qu’il doit remonter est rude et pleine d’obstacles. Il lui faut un être Aimé qui l’aide […]. Il ne peut arriver jusqu’au sommet par ses propres forces et a besoin d’une aide. Il doit donc chercher quelqu’un qui l’aime assez pour l’aider à monter. Ainsi cette phase de l’initiation consiste en une course pour atteindre l’Aimé ». À ce propos, cf. aussi Walter Burkert, Les cultes à mystères dans l’Antiquité, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 49, avec les références à Andocide, I 132, et Platon, Lettres, VII, 333e notamment, qui évoque le rôle des thiases, ces communautés dans lesquelles les adeptes éprouvent toute l’importance d’un « attachement mutuel ».

23 Fr. 5 J.-V. L. = 171 M. = 117 Kn.

24 Hélène, v. 1478 sqq.

25 Cf. Platon, Rép., 516 c.

26 Fr. 4 (J.-V. L.) = 166 M. = 116 Kn. Pour l’interprétation de ce vers mutilé, cf. J.-V. L., p. 169, n. 49.

27 Cf. Hélène, v. 169 sqq. Dans le mythe et dans la symbolique éleusinienne, Perséphone est promise à un passage du Royaume des ombres vers la lumière.

28 Cf. Euripide. Tragédies. V. Hélène. Les Phéniciennes, Paris, Les Belles Lettres, 1950, rééd. 2002, p. 57, n. 1 et sur la fonction des Sirènes dans le rituel initiatique, cf. Jacqueline Assaël, Pour une poétique de l’inspiration, d’Homère à Euripide, Louvain/Namur, Peeters, 2006, p. 189-206.

29 Sch. p. 37, 16 Stein.

30 Fr. 10 (J.-V. L.)= 175 M.= 125 Kn.

31 Les aventures de Leucippé et Clitophon, III, 7.

32 Sur la thématique de la statue représentant l’initié qui n’est pas encore « ressuscité » par l’accession à la connaissance suprême, à travers les mythes de Protésilas et de Laodamie, ou d’Alceste, cf. Jan Kott, Manger les dieux. Essai sur la tragédie grecque et la modernité, Paris, Payot, 1975, p. 143 et Jacqueline Assaël, « La résurrection d’Alceste », REG, 117, 2004, p. 43.

33 Cf. Phédon, 82c-83b ; Cratyle, 400c ; Phèdre 250c ; Gorgias, 493a. Cette théorie platonicienne est clairement identifiée comme orphique, cf. Alberto Bernabé, Poetae Epici Graeci. Testimonia et Fragmenta. Pars II, Berlin, Walter de Gruyter, 2004-2007. Orph. I, p. 352, fr. 423-435.

34 Fr. 7, v. 1052. Le texte ne peut pas être attribué à Euripide avec sûreté dans sa littéralité complète. Cf. supra, n. 9. La notion de barbarie appliquée au comportement des parents non-initiés d’Andromède figure aussi dans un fragment répertorié par François Jouan et Herman van Looy (fr. 31), ainsi que Hans Joachim Mette (fr. 179) et auparavant August Nauck (fr. 139), mais considéré comme douteux et rejeté à ce titre par Richard Kannicht. Cf. aussi fr. 9 (J.-V. L.), mais l’occurrence de la notion de barbarie est moins significative, car elle fournit avant tout une indication géographique.

35 516 d.

36 Fr. 15 (J.- V. L.) = 181 M = 129 a Kn.

37 Fr. 11 (J. – V. L.) = 180 M = 126 Kn.

38 Cf. Hélène, v. 44. Sur la valeur initiatique de ce passage dans l’éther, cf. Plutarque : « l’âme élevée dans cette région y est affermie et fortifiée par l’éther qui environne la lune, et elle y prend de la vigueur, comme les instruments de fer en reçoivent de la trempe qu’on leur donne » (De la face qui paraît sur la lune, 943d). Sur la fonction d’Hermès psychopompe, cf. Françoise Frazier, Poétique et création littéraire en Grèce ancienne : la découverte d’un ‘nouveau monde’, Presses de l’Université de Franche-Comté, 2009, chap. 4 : « Les prodromes d’une autonomie de l’imaginaire. L’exemple de l’Hélène d’Euripide », p. 142.

39 Cf. Hélène, v. 1665-1669.

40 Cf. Marcel Detienne, « La légende pythagoricienne d’Hélène », RHR, 152, 2 (1957), p. 136-137.

41 Cf. Luc Brisson, art. « Éros », in Dictionnaire des mythologies (dir. Y. Bonnefoy), Flammarion, Paris, 1981, t. 1, p. 357 sq. ; Claude Calame, « Éros initiatique et la cosmogonie orphique », in Philippe Borgeaud [éd], Orphisme et Orphée, en l’honneur de Jean Rudhardt, Genève, Droz, 1991, p. 230 ; Thomas Morvan, Éros et le lien cosmique : Lecture ancienne et nouvelle du Banquet de Platon, Paris, L’Harmattan, 2013.

42 Cf. Clémence Ramnoux, La Nuit et les enfants de la Nuit, Paris, Flammarion, coll. Champs, 1986, p. 184.

43 Cf. fr. 21 J.-V. L. (= 190 M.= 136 Kn).

44 Philostrate, Images, I, 29. Cf. François Jouan-Herman van Looy, p. 166-167.

45 Cf. J.-V. L., Appendice, fr. 3, p. 189.

46 Platon, République, X, 611 c-d. Sur les aspects symboliques du personnage de Glaucos, cf. Bernard Deforge, « Le destin de Glaucos ou l’immortalité par les plantes », in Visages du destin dans les mythologies. Mélanges Jacqueline Duchemin, (éd. François Jouan), Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 21-39 et particulièrement sa note 5, p. 39 où il établit le rapport de ces représentations mythologiques de Glaucos avec les doctrines orphico-pythagoriciennes sur l’immortalité de l’âme.

47 Rép., X, 516e-517a.

48 Cf. fr. 24-33 J.-V.L.

49 Cf. fr. 25 J.-V. L. (= 194 M= 142 Kn).

50 Cette interprétation de la pièce comme drame ésotérique est confortée et fondée par le traitement parodique que lui fait subir Aristophane, précisément dans le cadre des Thesmophories où les mystères de Déméter sont en question. Quatorze fragments de l’Andromède sont dus aux références qu’y fait le poète comique. Dans la même trilogie, l’Hélène présente aussi tous les caractères d’une pièce reflétant le processus de cérémonies initiatiques (cf. supra, n. 21). De plus, plusieurs textes évoquant le succès de l’Andromède dans l’Antiquité présentent caricaturalement les effets cathartiques et purgatifs d’une pièce desséchant les non-initiés d’une fièvre de connaissance inextinguible et brûlante. Cf. Lucien, Comment on écrit l’histoire, I (3, 287 Macleod) et Eunape : « En même temps une diarrhée incontrôlable les frappa avec une telle violence qu’ils gisaient dans les ruelles ‘épuisés par la faute d’Andromède’« , fr. 54 Dindorf (48 Blocley), cités dans Jouan-van Looy, p. 161-163. La pièce joue alors en quelque sorte le rôle d’une propédeutique à des mystères pour lesquels il faut se purifier corporellement, si l’on veut y assister. Cf. Franz Cumont : « Nous croyons volontiers que les purifications furent à l’origine toutes matérielles, destinées à débarrasser le néophyte des souillures produites par un contact supposé sordide et néfaste, mais sans aucun doute, quand les idées religieuses s’élevèrent, on exigea du myste la pureté de l’âme, plutôt que celle du corps » (« Les mystères d’Éleusis », Journal des Savants, 1915, p. 69).

51 Cf. Gaston Bachelard : « En effet, avec l’air, le mouvement prime la substance. Alors, il n’y a de substance que s’il y a mouvement » (L’air et les songes, Paris, Corti, [1943]1990, p. 16).

52 Fr. 9 J.-V. L. = 174 M. = 124 Kn.

53 Cf. Gaston Bachelard : « Souvent le rêve des ailes battantes n’est qu’un rêve de chute. On se défend contre le vertige en agitant les bras, et cette dynamique peut susciter des ailes sur l’épaule. Mais le vol onirique naturel, le vol positif qui est notre œuvre nocturne n’est pas un vol rythmé, il a la continuité et l’histoire d’un élan, il est la création rapide d’un instant dynamisé. Dès lors, la seule rationalisation, par l’image des ailes, qui puisse être d’accord avec l’expérience dynamique primitive, c’est l’aile au talon, ce sont les ailerons de Mercure, le voyageur nocturne. Réciproquement, les ailerons de Mercure ne sont rien autre chose que le talon dynamisé […]. Quand un poète, dans ses images, sait suggérer ces ailes minuscules, on peut avoir quelque garantie que son poème est en liaison avec une image dynamique vécue. Alors il n’est pas rare que l’on reconnaisse à ces images poétiques une consistance particulière qui n’appartient pas à des images assemblées par la fantaisie. Elles sont douées de la plus grande des réalités poétiques : la réalité onirique » (op. cit., p. 39).

54 Cf. Gaston Bachelard commentant les images aériennes de l’élévation ou de la chute : « ces images sont d’une singulière puissance : elles commandent la dialectique de l’enthousiasme et de l’angoisse » (L’air et les songes, p. 18) et « l’air imaginaire est l’hormone qui nous fait grandir psychiquement. Nous nous efforcerons donc, dans cet essai de psychologie ascensionnelle, de mesurer les images par leur montée possible. Aux mots eux-mêmes, nous essaierons d’adjoindre le minimum d’ascension qu’ils suscitent, bien convaincu que si l’homme vit sincèrement ses images et ses mots il en reçoit un bénéfice ontologique singulier » (L’air et les songes, p. 19-20).

Pour citer cet article

Jacqueline Assaël, « L’Éther initiatique dans l’Andromède d’Euripide », paru dans Loxias, Loxias 45., mis en ligne le 15 juin 2014, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=7817.

Auteurs

Jacqueline Assaël

Jacqueline Assaël est professeur de langue et littérature grecques à l’Université Nice Sophia Antipolis. Elle appartient au Centre Transdisciplinaire d’Épistémologie de la Littérature (EA 6307, Axe Poiéma). Elle est l’auteur de deux ouvrages sur Euripide : Intellectualité et théâtralité dans l’œuvre d’Euripide (1993) et Euripide, philosophe et poète tragique (Prix Zappas 2001) ainsi que d’une trentaine d’articles sur le théâtre grec. Elle s’intéresse actuellement aux relations entre des pièces comme Alceste, Hélène, Andromède et la pensée des mystères. En préparation : « Euripide. Alceste », pour les Silves grecques, 2014-2015.