Loxias | Loxias 42 Doctoriales X | Doctoriales X
Isabelle Artigues :
L’éducation du lecteur à travers la figure de la métalepse chez Claude Ponti
Résumé
Certains auteurs de littérature de jeunesse reconfigurent, pour de jeunes lecteurs, des thématiques présentes dans le champ de la littérature générale. C’est le cas de Claude Ponti, chez qui les représentations de livres, de lecteurs, de scènes de lecture et d’expériences de lecture sont omniprésentes. Cet aspect de son œuvre a déjà été étudié en partie, mais nous analysons ici plus spécifiquement son utilisation de la métalepse. Dès ses premiers albums, Ponti prend « au pied de la lettre » la figure de la métalepse, avec les personnages d’Adèle et des poussins qui franchissent des frontières entre plusieurs niveaux diégétiques. La nature iconotextuelle de l’album favorise le passage de la métalepse comme figure de discours à une figure de fiction, et des dispositifs sophistiqués invitent le jeune lecteur ou pré-lecteur à interpréter les transgressions métaleptiques comme une métaphore de l’activité de lecture de fiction. L’œuvre de Ponti peut alors se lire comme une initiation à la lecture de fiction car, sans jamais tomber dans le didactisme qui entache parfois la littérature de jeunesse, il rend sensibles et accessibles pour de jeunes lecteurs des processus cognitifs et psychologiques complexes.
Abstract
The education of the reader through Claude Ponti’s use of the figure of speech of metalepsis. A certain number of authors of child literature reconfigurate for their young readers some themes already present in more general literature. This is particularly true of Claude Ponti in whose work various representations of books, readers, reading scenes and experiences of reading are all pervading. This aspect of his work has already been partially studied. What we more specifically analyze here is his use of metalepsis. In his first albums, Ponti chooses to employ metalepsis literally through his characters, Adela and the chicks, who cross the boundaries separating several diegetic levels. The iconic-textual nature of the album makes for this passage from metalepsis as a figure of speech to a figure of fiction while various sophisticated devices invite the young reader, or pre-reader, to interpret metaleptic transgressions as a metaphor of the fiction-reading act. Ponti’s work may then be read as an initiation to the reading of fiction that never falls into the didacticism that sometimes spoils child literature. It thus makes cognitive and psychological processes sensible and accessible to young readers.
Index
Mots-clés : album , fiction, lecture, métalepse, Ponti (Claude)
Géographique : France
Chronologique : Période contemporaine
Texte intégral
1On ne compte plus les œuvres littéraires métafictionnelles qui réfléchissent en leur sein la lecture ou l’écriture. La littérature de jeunesse, qui rejoue souvent dans la cour des petits ce qui se passe dans celle des plus grands, n’échappe pas à cet esprit du temps, dont Béhotéguy rend compte : « Au même titre que le sport, la tolérance, les monstres ou les dragons, la lecture est devenue un objet contemporain de fiction pour la jeunesse1. » Son étude s’appuie sur un corpus de romans visant un lectorat de pré-adolescents ou d’adolescents, mais on pourrait poser le même constat sur des œuvres destinées à de plus jeunes lecteurs, et plus spécifiquement sur la forme album à laquelle nous allons nous intéresser. Citons par exemple, et davantage pour aiguiser la curiosité du lecteur que pour faire le tour de la question, le décapant petit album d’Alain Serres et Bruno Heitz, Comment apprendre à ses parents à aimer les livres pour enfants2, ou encore Un beau livre3 de Claude Boujon, parmi bien d’autres.
2Par ailleurs, la métalepse, « cette attachante figure4 », connaît un regain d’intérêt depuis que Gérard Genette l’a redéfinie comme figure narrative, d’abord assez discrètement dans Figures III5, puis avec plus d’ampleur dans l’ouvrage qu’il lui a consacré à la suite du colloque « La métalepse aujourd’hui » tenu en 2002. Rappelons que la métalepse est une « transgression, figurale ou fictionnelle, du seuil de la représentation6 », ce qui recouvre tous les cas de franchissement de la « frontière mouvante mais sacrée entre deux mondes : celui où l’on raconte, celui que l’on raconte7 », ou encore de « circulation paradoxale entre divers niveaux narratifs8 ». La métalepse a été beaucoup étudiée en littérature générale et au cinéma, mais moins en littérature de jeunesse, où elle n’est pourtant pas rare, notamment dans les albums. Résumons par exemple les principales péripéties des Trois Cochons de David Wiesner9 : les trois cochons, grâce à une salutaire sortie du cadre de leur illustration, s’échappent de l’histoire dans laquelle ils risquent, comme on s’en doute, la mort par dévoration ; ils se retrouvent alors dans un espace blanc parsemé des planches de dessin de leur histoire mais aussi d’autres récits, espace qu’ils explorent, y compris par un regard vers le hors-champ en direction du lecteur réel (« J’ai l’impression qu’il y a quelqu’un ») ; ils s’immiscent dans une autre histoire, en ressortent, pénètrent encore dans un récit dont ils modifient l’intrigue, et finissent par réintégrer, avec quelques nouveaux compagnons rencontrés ici ou là, leur histoire d’origine, non sans en avoir modifié le texte. Dans un exemple comme celui-là, la fonction de la métalepse, par son « entorse au pacte de la représentation10», sa « transgression des canons mimétiques11 », est manifestement d’attirer l’attention du lecteur sur les coulisses de la fiction et de mettre à mal l’illusion mimétique. Ainsi, « la métalepse nous en apprend du même coup beaucoup sur les conditions de fonctionnement normal de la représentation12 ». Il n’est donc pas étonnant qu’on la rencontre en littérature de jeunesse, les jeunes lecteurs ayant encore tout à apprendre.
3Notre propos se situe à la rencontre de ces deux champs. Il est en effet des auteurs de littérature de jeunesse qui utilisent la métalepse pour parler de la lecture et de ses effets13. Claude Ponti est de ceux-là. Si la thématique de la lecture dans son œuvre a déjà été étudiée, nous voudrions montrer que l’usage qu’il fait de la métalepse peut s’interpréter comme un discours métafictionnel cohérent.
4Dès la couverture de son premier album, L’album d’Adèle14, Claude Ponti représente une scène de lecture. Sur l’illustration du plat avant, on voit en effet un bébé assis, mains écartées, devant un album ouvert proportionnellement aussi grand que l’album réel. Les objets et les personnages représentés sur l’album fictionnel sont ceux qui seront déclinés dans les pages suivantes de l’album réel. Le bébé, que le paratexte désigne comme Adèle, a l’âge du lectorat visé ; de manière plutôt insolite au seuil d’une œuvre, il est vu de dos, dans la même position que nous par rapport au livre, lequel semble promettre un spectacle de par ses très grandes dimensions ouvrant comme une scène au regard du personnage et au nôtre. Lecteur et album sont ainsi mis en abyme.
5D’autre part, le monde « réel » du bébé est effacé, l’album représenté se détachant sur un fond uni. Quant à sa gestuelle, elle a déjà été commentée par Van der Linden : « la main droite d’Adèle pourrait bien diriger personnages et objets. Adèle, petit démiurge, orchestrerait alors ce sympathique désordre15 ». En effet, on note dans la posture du personnage d’une part une grande stabilité (dos bien droit, jambes légèrement écartées), redoublée par la symétrie de la composition organisée autour de l’axe vertical du personnage coïncidant avec l’axe central de la page et avec la pliure de l’album fictionnel, et d’autre part le seul mouvement suggéré des mains devant les éléments du livre qui semblent s’animer.
6La suite de l’album, analysée par Van der Linden16, joue avec les canons génériques de l’imagier : d’une utilisation (presque) conventionnelle au début à une déconstruction progressive grâce à la mise en mouvement des éléments et à l’invitation constante au tissage de liens créatifs entre les éléments, à la constitution de séries, au comblement des « blancs » pour produire du récit.
7L’ensemble de la page de couverture peut dès lors s’interpréter comme une représentation de l’attitude lectrice, soit une certaine absence au monde « réel », ou du moins une « inversion des hiérarchies entre l’attention au monde et l’attention accordée aux mimèmes17 », et une quasi immobilité physique associée à une intense activité mentale, laquelle permet de « mettre en mouvement » le contenu du livre. C’est-à-dire que l’illustration rend visible une activité invisible, par la médiation d’une métaphore en image, et que la lecture s’annonce à la fois comme spectacle (ce que la première double page thématisera à nouveau), et comme interaction.
8Un autre élément remarquable de cette couverture est la propension des personnages de l’album représenté à sortir de leur livre, qu’ils se situent sur ses marges (un poussin en équilibre sur ce que les relieurs appellent la tranche de tête, un animal appuyé sur la gouttière18) ou dans un entre-deux (un garçonnet qui sort d’entre les pages pour caresser un chat déjà à l’extérieur), ce qui indique une certaine porosité de la frontière entre le monde (prétendu) réel et l’univers assumé comme fictionnel19, porosité accentuée par la localisation indécidable de certains éléments qui « donnent l’impression de flotter devant les pages20 ».
9Nous repérons donc plusieurs métalepses dans ce dispositif liminaire : le personnage lecteur a un pouvoir de modification sur le contenu du livre, et les éléments du livre circulent d’un niveau à un autre, ce que, en termes genettiens, on peut analyser comme un double mouvement de métalepse et d’antimétalepse21. On pourrait ajouter que le statut ambigu d’Adèle, un des très rares personnages anthropomorphes de l’univers pontien, complexifie un peu le dispositif : Claude Ponti avait tout d’abord réalisé cet album pour sa fille Adèle, et, dans cet usage familial, lecteur réel et lecteur représenté étaient appelés à se superposer, dans un mouvement métaleptique du monde réel vers le monde diégétique.
10L’album suivant, Adèle s’en mêle22, présente le même très grand format, le même prénom dans le titre, le même lettrage pour la mise en forme du titre, et surtout une rime visuelle avec la couverture précédente, constituée par la gestuelle des mains du personnage de l’illustration23 : il entre en série avec le premier. Mais nous allons voir que l’introduction de variantes tend à complexifier l’activité du jeune lecteur.
11Le plat avant de couverture représente Adèle un peu grandie, de face cette fois, reconnaissable à ses cheveux frisés, qui semble crever une feuille de papier pour faire une irruption métaleptique dans un monde de peluches et d’êtres bizarres (certains déjà vus dans L’Album d’Adèle), souriants, qui sortent légèrement du cadre, tout comme Adèle. Le titre peut donc s’interpréter de manière métaleptique : Adèle commet un « délit de transgression narrative24 ».
12Après la page de titre25, une page de droite reprend le titre26, centré au-dessus d’une illustration représentant un grand livre posé ouvert sur sa tranche de queue devant lequel Adèle, cette fois de trois-quarts dos, émerge d’un lit dont le feuilleté des draps ressemble aux pages ouvertes d’un livre. La gestuelle des mains est raccord avec la couverture, doigts de la main gauche écartés et index de la main droite agrandissant une fissure ou une déchirure dans le mur-page derrière le personnage. Les trois doubles pages suivantes reprennent le point de vue de la couverture : le bébé est de nouveau vu de face, entrant progressivement dans le monde des personnages fictionnels par la déchirure, agrandie de page en page27.
13Nous interprétons à un double niveau ces pages liminaires. Tout d’abord, l’entrée métaleptique d’Adèle dans le monde du livre correspond à l’installation du « moi fictionnel » du lecteur dans la fiction : « moi fictionnel » parce qu’il évolue parmi les personnages fictionnels, au prix d’une transformation que l’image représente par une diminution de taille28. Et nous n’aurons plus accès qu’à l’album tel que reconfiguré par l’expérience de lecture29 d’Adèle, un mixte de l’œuvre et des apports du lecteur, son « texte singulier30 ».
14À un autre niveau, la série de retournements dans les premières pages nous invite à un échange de places réversible avec le personnage d’Adèle, à percevoir le monde fictionnel en oscillant entre deux points de vue complémentaires : celui de spectateur lorsque le personnage nous apparaît de face, celui d’acteur « par-dessus son épaule » lorsque nous le voyons de dos. Tout comme dans L’Album d’Adèle, le lecteur est convié à accompagner Adèle dans son exploration de l’album, mais le dispositif est plus complexe ici, puisque deux modalités de lecture, deux rapports possibles au monde fictionnel sont représentés.
15Par ailleurs, la nature iconique des métalepses dans ces deux premiers albums sans texte donne un statut particulier à cette figure. Rappelons que Gérard Genette introduit des différences de degré entre les réalisations métaleptiques selon qu’elles sont « banales et innocentes » ou plus « hardies »31. Plus radicalement, Marie-Laure Ryan distingue la métalepse rhétorique32, « opération [qui] n’a rien de contaminant » car « elle ouvre une petite fenêtre sur un autre monde, mais elle la referme aussitôt », de la métalepse ontologique, « transgression qui permet l’interpénétration de deux domaines censés rester distincts33 ». Qu’il y ait une gradation ou un saut ontologique, on passe de la figure à la fiction, « une fiction n’[étant] en somme qu’une figure prise à la lettre et traitée comme un événement effectif34 ». Or, comme le remarque Genette, l’image a « une véracité présumée », et « ce que je vois ne peut être que (fictionnellement) vrai35 ». Les métalepses en images que nous venons de commenter chez Ponti apparaissent bien comme des « événements effectifs », de véritables « tours de fiction36 ».
16Cette mise en fiction de la lecture chez Ponti nous semble remarquablement cohérente avec les travaux théoriques sur la phénoménologie de la fiction. Ainsi, Schaeffer montre bien qu’« une fiction ne fonctionne comme fiction que pour autant qu’elle est intériorisée à travers un […] processus d’immersion mimétique37 ». De plus, le personnage d’Adèle réintègre son monde « réel » après son périple, ce qui nous semble métaphoriser l’activité du lecteur qui revient dans le monde réel après une expérience d’immersion fictionnelle.
17Mais ce retour, dans la tradition du conte, n’est pas un retour à l’identique : Adèle, revenue dans son lit, est entourée de la plupart des personnages rencontrés dans l’album. Expérience enrichissante, donc, que nous interprétons comme l’acquisition d’une culture, ce que semble confirmer ce passage, tout aussi métaleptique, de la dédicace de Claude Ponti au début du Château d’Anne Hiversère38, où il rend hommage aux créateurs en littérature de jeunesse qui ont bercé son enfance et nourri sa bibliothèque intérieure :
Longtemps je me suis couché de bonheur, avec mes livres et ma lampe de poche. Dès que j’allumais ma lampe, les personnages sortaient d’entre les pages. En foule. Avec les voisins, les chevaux, les oiseaux, les martiens ambidextres, les héros peureux, les maléfiques, les surpuissants, les traîtres, les anodins, les ensorcelés, les injustement condamnés, les invisibles, les souterrains, les faces d’ange, les princesses à délivrer. Personne ne saura jamais combien nous étions sous la couverture.
18Dans Adèle s’en mêle, on relève un autre élément remarquable : l’étrange vie d’un des livres présents dans la diégèse. Un tas de livres, dont un arborant le Petit Chaperon rouge sur sa couverture verte, figurait déjà dans L’Album d’Adèle parmi les êtres et objets de l’imagier, et les premiers poussins pontiens commençaient à s’en emparer pour les lire. On retrouve le même groupe de livres dans Adèle s’en mêle, à nouveau associé aux poussins, d’abord sagement représenté comme dans l’album précédent, mais ensuite davantage exploité puisqu’une petite histoire parallèle se développe de page en page : le Petit Chaperon rouge, en même temps que son portrait a disparu de la couverture, semble s’extraire d’entre les pages de son livre39 pour se tourner dans la même direction que la marche des autres personnages ; double page suivante, il se bat avec conviction contre le loup, lui aussi sortant du livre. Les pages suivantes poursuivent cette petite histoire parallèle40 avec une joyeuse débauche de sévices infligés au loup par le Petit Chaperon rouge et les poussins. Cette activité frénétique semble efficace puisque le loup ne réapparaît plus dans les dernières pages, notamment lors du retour d’Adèle dans son lit où seuls les personnages sympathiques et rassurants semblent être admis.
19Les livres représentés dans la fiction peuvent donc être le support de métalepses, leurs personnages franchissant allègrement la frontière entre leur univers fictionnel et l’univers dans lequel leurs livres sont présents. Nous reviendrons sur ces transfusions entre univers. Remarquons pour l’instant que cet épisode se déroule, au prix d’un déplacement métaleptique des personnages, dans l’espace repéré comme étant celui de la lecture d’Adèle. Dès lors, l’escalade de la violence à l’encontre du loup, l’acharnement consacré à le mettre hors d’état de nuire, nous semblent représenter les pulsions de la lectrice Adèle, une activité fantasmatique mise ici en images, que nous rapprochons des analyses de Bettelheim pour qui l’efficacité du conte réside, entre autres, dans la punition infligée au personnage dangereux dont la menace doit, à la fin, être radicalement écartée41. Est ainsi mise en abyme une conception cathartique de la lecture de fiction.
20Ces premiers albums délivrent donc, en même temps que leur contenu fictionnel, ce qu’on pourrait appeler leur mode d’emploi, livre et leçon de lecture42 dans le même mouvement. Et la métalepse, fictionnalisant le processus d’immersion fictionnelle, est au cœur de ce dispositif.
21Les albums suivants opèrent des variations à partir de cette matrice initiale. Ainsi, dans Pétronille et ses 120 petits, où on retrouve Adèle, plus grande, lisant « dans sa forêt-bibliothèque43 », un poisson fait un saut métaleptique hors du livre que tient la fillette. Mais ce sont surtout les personnages des poussins qui retiendront notre attention, pour les développements de la figure qu’ils autorisent. Ils sont, dès l’origine, associés aux livres et à la lecture : de nombreux poussins lecteurs émaillent les albums, plus ou moins discrètement. Mais surtout, ils sont les seuls à connaître « les pages secrètes du livre » dans Parci et Parla44, ce que l’album Mille secrets de poussins, qui se présente comme une sorte de traité de « poussinologie pontienne », explicite ainsi : « Seul Blaise45 a le pouvoir d’ouvrir les portes magiques et les passages secrets dans les livres pour les traverser46. »
22L’illustration des premières pages de Mille secrets de poussins représente ces « portes magiques » et « passages secrets » : on y voit des poussins entrer dans des livres ou en sortir par de petites portes qui y sont pratiquées, et un poussin se penche au bord de l’illustration d’un des ouvrages de droite (celui qui laisse apparaître un fragment du texte d’Alice au pays des Merveilles), c’est-à-dire qu’il est sur la frontière entre le monde « réel », celui de la pièce où se trouve la bibliothèque, et le monde (assumé comme) fictionnel du livre. On remarque également que l’angle de la bibliothèque ouvre sur un espace dont on ne voit pas les limites, paysage citadin entièrement fait de livres, dans lequel quelques poussins se livrent à leurs activités favorites (lire, se cacher, faire des glissades…), tandis qu’un poussin, assis sur le bord de l’étagère, dans un entre-deux mondes, scrute la scène avec des jumelles.
23Cette activité métaleptique des poussins nous semble métaphorique à plus d’un titre. D’une part, elle fictionnalise à nouveau la lecture comme processus d’entrée dans l’œuvre / sortie de l’œuvre, immersion / émersion : si le texte précise que « les poussins vivent dans un immense pays, de l’autre côté des livres47 », l’illustration, quant à elle, montre qu’ils circulent entre l’univers de la bibliothèque et l’intérieur des livres, et entre l’« immense pays » qu’on aperçoit « de l’autre côté des livres » et le monde « réel », voire se tiennent sur la frontière entre les deux. Or, on ne peut qu’être frappé par l’analogie entre ces déplacements et les « renégociations permanentes entre immersion et attention distancée accordée au mimème » par lesquelles Schaeffer décrit « l’état mental scindé48 » caractéristique de l’immersion fictionnelle. Ainsi les poussins, personnages métaleptiques par essence, sont une représentation du lecteur. Et comme leurs jeux, leur espièglerie, leurs bêtises, leur activité exploratoire constante en font également une figuration de l’enfance, on peut dire qu’ils sont les représentants, dans l’univers pontien, de l’enfant lecteur auquel le lecteur réel est convié à s’identifier.
24D’autre part, les poussins « peuvent aller d’un livre à l’autre, en passant au travers de tous les livres de tous les pays du monde entier. Ils sont partout.49 » Cela nous semble figurer l’activité du lecteur dans sa dimension intertextuelle. Et, justement, les albums de Claude Ponti requièrent une agilité lectorale de ce type de la part de leurs lecteurs50, lesquels doivent convoquer leur culture encyclopédique et littéraire pour apprécier les clins d’œil, les noms propres dérivés de noms existants, les réminiscences d’un patrimoine de littérature de jeunesse, voire les citations ou allusions à ses propres albums, que Ponti multiplie. En ce sens, toute lecture, appelée à se mouvoir d’un univers fictionnel à l’autre et du réel à la fiction, est d’essence métaleptique par l’acceptation de « faire univers commun » en pensée avec le monde de la fiction. C’est ce que développait Sophie Rabau lors du colloque de 2002 :
C’est peut-être même parce que nous sommes capables de présupposer un univers où notre existence n’est pas incompatible avec celle d’Homère ou de Molière, d’Ulysse ou de Madame Jourdain, que nous sommes capables de lire des fictions et de nous y intéresser. Ce que l’on nomme parfois l’identification reposerait alors sur des opérations de métalepse que le lecteur fait subir à l’œuvre. […] C’est le fait même d’interpréter l’œuvre, voire de la lire, qui entraîne la superposition d’univers hétérogènes51.
25Nous voudrions enfin commenter un motif qui prend son origine dans une séquence de Parci et Parla. Parci et Parla arrivent dans une forêt. « Là, ils rencontrent le Petit Chaperon rouge qui est aveugle parce que personne n’a ouvert le livre de son histoire depuis mille ans. Et qu’il y fait trop noir52. » On découvrira quelques pages plus loin que la faute en incombait à « Tonnenplon, l’idiot qui était assis là, sur le livre, depuis mille ans53. » Une fois le monstre supprimé, le Petit Chaperon rouge, personnage décidément bien métaleptique, peut réintégrer son histoire et tout rentre dans l’ordre. Ce motif de l’histoire arrêtée qui paralyse le monde est repris dans L’Écoute-aux-portes54. Un soir, en enfilant sa chemise de nuit, Mine se retrouve tout à coup dans un monde tout blanc et nu.
Elle rencontra une tortue qui poussait le monde et lui raconta ce qui lui était arrivé avec sa chemise de nuit. // La tortue répondit : ‘Si ta chemise est déréglée, c’est à cause d’une histoire… Une histoire très ancienne, qui doit toujours être racontée entièrement… elle ne doit jamais s’arrêter… Aujourd’hui, quelqu’un s’est endormi en la lisant…’ La tortue soupira, puis elle murmura : ’Je n’en peux plus… // …le monde devient si lourd… Il faut remettre cette histoire en route, il faut…’ Mine n’entendit pas la suite : la tortue, épuisée, s’était endormie55.
26On apprendra ensuite l’origine de ce drame planétaire : un père s’est endormi en lisant l’histoire du soir à son fils ! La quête de Mine la conduira à arpenter un paysage chaotique fait de grands livres aux pages blanches et de lettres amassées dans les pliures ou à leur pied : « Bientôt, elle vit que les rochers qui l’entouraient étaient des livres. Les pages craquaient lorsqu’elle marchait dessus et toutes les lettres de leurs mots étaient tombées56. » Au passage, des fées métaleptiques, qui « habitaient les dernières images encore visibles » de deux livres « et luttaient de tous leurs pouvoirs pour les empêcher de disparaître57 », jouent le rôle d’adjuvants pour l’héroïne : elles l’interpellent et lui donnent des indications précieuses pour la suite de sa quête, ainsi qu’un sac de graines magiques. Mine devra ensuite délivrer « les personnages de toutes les histoires du monde » qui « étaient prisonniers sur le Mont-Sitoubli58 » et surtout retrouver l’histoire arrêtée, la traverser pour arriver dans la chambre où le père de Sébastien Bigoulet s’est endormi et réveiller le lecteur pour qu’enfin le cosmos soit « remis en ordre avec toutes ses étoiles à leurs places59 ».
27Une ultime variante du motif nous semble réapparaître dans Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron60, là aussi élargi à une dimension planétaire, mais également à l’ensemble des productions artistiques. En effet, le Bouffron-Gouffron a avalé la Terre, et Bih-Bih, vêtue comme Alice, plonge à l’intérieur du monstre pour un périple qui la conduira à arpenter les vestiges « sens dessus dessous61 » des civilisations humaines. Dans ces monceaux de monuments, de sculptures, de peintures retraçant, en vrac, l’histoire humaine, on repère différentes formes d’écritures et de supports, et beaucoup de livres (parmi lesquels L’Album d’Adèle, p. 19 !). Et Bih-Bih doit « passer par » ces vestiges, comme l’y invitent des statues62, pour que le monde se reforme.
28Finalement, une double page du Nakakoué63 condense ce motif : vers la fin de sa quête d’identité, Zouc arrive « au Bord du Monde ». Le texte précise, s’il en était besoin : « C’était un endroit terrible où personne ne pouvait avoir envie d’aller exprès64. » L’illustration représente, sous un ciel chargé de lourds nuages noirs, un paysage dévasté : troncs d’arbres morts cassés, un tronçon de colonne antique à terre, une sorte de château en ruines, un champ truffé de cratères (bombardé ?)… Au loin, quelques tourelles et une clôture de barbelés « ancrent cette apocalypse dans l’histoire moderne […] : c’est bien du nazisme et de la barbarie dont il est question », d’autant plus que les « pierres éparses évoqu[ent], à gauche de l’image, les cimetières juifs65 ». Et, « tache vive » qui « tranche avec l’ensemble des couleurs sombres66 », un petit livre bleu enflammé muni de pieds semble tenter de fuir cet univers de désolation. Si aucun rapport de cause à conséquence n’est posé entre le livre en feu et l’univers d’apocalypse que traverse le personnage, la réminiscence intertextuelle du roman de Bradbury67 fonctionne ici, du moins pour le lecteur adulte, comme une matrice, et le livre en feu résume le sens des livres et de la lecture dans l’univers pontien : là où l’on brûle les livres, là où l’on s’arrête de lire, le monde meurt.
29La métalepse aura peut-être semblé un peu loin des derniers exemples cités. Mais l’unité est à chercher du côté du pouvoir des livres et de la lecture, et de la culture en général, sur le monde, pouvoir dont on conviendra qu’il est métaleptique par essence puisqu’il suppose une rétroaction des œuvres d’art sur le monde réel, ce que La Nuit des Zéfirottes68 thématisera à nouveau : Paris est menacé de destruction ; seule peut le sauver Adèle, sous sa forme zéfirotte, Burle-Bise, car il faut « être une humaine et vivre dans deux mondes, sur terre et dans les livres. Burle-Bise, qui vivait à Paris et dans ses albums, était la seule à pouvoir sauver Paris69 ». Si « toute fiction est tissée de métalepses » parce qu’elle est, inévitablement, « nourrie et peuplée d’éléments venus de la réalité, matériels ou spirituels70 », nous ajouterions pour notre part que l’univers de Claude Ponti suggère que la réalité est métaleptiquement tissée de fiction, et, plus généralement, des œuvres de l’art et de la pensée humaine qui nous habitent et médiatisent notre rapport au monde.
30La métalepse est une figure aux effets paradoxaux. D’un côté, relevant d’une « esthétique de la rupture71 », elle désengage le lecteur du fantasme mimétique. D’un autre côté, métaphorisant la perméabilité des univers, elle thématise la lecture comme participation. Dorrit Cohn, s’interrogeant sur l’effet de trouble, voire d’angoisse, produit sur le lecteur par certaines métalepses, conclut que « si une fiction au second degré peut agir sur une fiction au premier degré (comme le meurtre dans le conte de Cortázar), la fiction au premier degré peut agir sur la réalité », suscitant chez le lecteur réel « l’angoisse d’une lecture trop immergée » : alors que « même le lecteur le plus immergé sait qu’il lit un roman », la transgression métaleptique suggère « l’absence potentielle de cette duplicité72 ». Or, l’usage que fait Claude Ponti de la métalepse, bien que destiné, selon notre interprétation, à produire les mêmes effets de sens (l’influence de la fiction sur la vie réelle), ne comporte pas cette dimension dysphorique. C’est toujours sur le mode ludique que la lecture est présentée : sourires des personnages qui accueillent Adèle dans leur album, facéties constantes des poussins pour qui la lecture est une activité intégrée dans les jeux, et surtout fins euphoriques dans la tradition du conte, les « histoires arrêtées » finissant toujours par se remettre en marche et le monde en ordre. La parenté avec l’univers du jeu n’est selon nous pas un hasard : les poussins facétieux symbolisent le « cadre pragmatique » de « feintise ludique73 » qui délimite la réception de la fiction. En ce sens, « les métalepses », et surtout le double mouvement de métalepse et d’antimétalepse, « non seulement ne sont pas incompatibles avec l’immersion fictionnelle, mais […] d’une certaine façon, elles en sont l’emblème74 », la lecture étant « le plus inventif des sauts métaleptiques75 ». Dans les albums de Ponti, qui eux aussi « rivalis[ent] avec les traités savants sur la fiction76 », les personnages métaleptiques d’Adèle et des poussins initient le jeune lecteur à ces jeux par le biais d’une mise en images qui constitue une mise en fiction. Claude Ponti nous semble ainsi éviter l’écueil du didactisme repéré dans le roman par Béhotéguy77.
31Les enfants ne s’y trompent pas, eux qui, bien souvent, plébiscitent les albums de Claude Ponti. Le lecteur adulte peu familier de la littérature de jeunesse pensera sans doute que son œuvre est trop complexe pour de jeunes lecteurs ou pré-lecteurs. Et, s’il est permis d’évoquer notre expérience de formatrice auprès de professeurs des écoles en formation initiale ou continue, nous dirons que ce sentiment est parfois partagé par les enseignants, qui s’avouent déconcertés… alors même que leurs élèves semblent entrer de plain-pied dans l’univers pontien. Car pour qui accepte le temps de relectures indispensable, l’épaississement progressif du sens, le tissage auquel l’œuvre convie sans cesse, l’ensemble des albums de Claude Ponti développe une véritable éducation du lecteur, suffisamment loin d’une « mythographie78 » convenue pour être efficace, et dont la métalepse n’est que l’aspect le plus sophistiqué :
Machines de haute précision, les albums de Claude Ponti ont besoin d’experts pour les faire fonctionner. Leur dispositif d’écriture, l’inflexion conjointe du texte et des images, l’articulation des pages et l’activation de correspondances et de réseaux entre les livres, prennent en charge cette formation supérieure : loin de s’adapter à des non-savoirs, ils parient sur des forces en devenir et, comme ils les préfigurent, ils les génèrent79.
32Nous terminerons sur les effets particulièrement inventifs de Parci et Parla80. La plupart des pages y sont partagées en deux : des images cadrées racontent une journée des héros éponymes, alors que, au-dessus et parfois en dessous, sur fond perdu blanc, des poussins miment (Schaeffer dirait « réinstancient81 ») les affects et actions des personnages ou les intègrent dans leurs propres jeux. Et, à un moment, ils se lancent dans un démontage très métafictionnel du cadre des images. Comment mieux montrer l’état mental scindé de l’immersion fictionnelle ?
Notes de bas de page numériques
1 Gilles Béhotéguy, « Le livre et la scène de lecture dans le roman français contemporain pour la jeunesse », Mémoires du livre, vol. 2, n°2, 2011.
2 Alain Serres et Bruno Heitz, Comment apprendre à ses parents à aimer les livres pour enfants, Voisins-le- Bretonneux, Rue du monde, 2008.
3 Claude Boujon, Un beau livre, Paris, L’école des loisirs, 1990.
4 Gérard Genette, Métalepse. De la figure à la fiction, Paris, LeSeuil, 2004, p. 128.
5 Gérard Genette, Figures III, Paris, Le Seuil, 1972.
6 G. Genette, Métalepse, p. 14.
7 G. Genette, Figures III, p. 245.
8 Frank Wagner, « Glissements et déphasages. Note sur la métalepse narrative », Poétique, n° 130, 2002, p. 236.
9 David Wiesner, Les Trois Cochons, Paris, Circonflexe, 2001.
10 Sous-titre du colloque de 2002 consacré à la métalepse : John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS, 2005.
11 F. Wagner, « Glissements et déphasages. Note sur la métalepse narrative », 2002, p. 237.
12 John Pier et Jean-Marie Schaeffer, « Introduction. La métalepse aujourd’hui », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS, 2005, p. 12.
13 Catherine Tauveron a commenté quelques-unes de ces œuvres, et parfois leur réception en classe, dans plusieurs articles (voir bibliographie).
14 Claude Ponti, L’album d’Adèle, Paris, Gallimard, 1986.
15 Sophie Van der Linden, Claude Ponti, Paris, Être, 2000, p. 18.
16 S. Van der Linden, Claude Ponti.
17 Jean-Marie Schaeffer, « Métalepse et immersion fictionnelle », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS, 2005, p. 332.
18 Les tranches sont les trois côtés d’un livre où apparaissent les bords des feuilles. La tranche de tête est le haut du livre et la (tranche de) gouttière le côté opposé au dos.
19 Nous empruntons certaines expressions à Genette (Métalepse, pp. 25-26) : « La relation entre diégèse et métadiégèse fonctionne presque toujours, en fiction, comme relation entre un niveau (prétendu) réel et un niveau (assumé comme) fictionnel ».
20 S. Van der Linden, Claude Ponti, p. 17.
21 G. Genette, Métalepse, p. 27. John Pier (« Métalepse et hiérarchies narratives », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS, 2005, p. 252) parle d’intramétalepse (passage du niveau extradiégétique vers le niveau intradiégétique) et d’extramétalepse, mouvement inverse qui correspond à l’antimétalepse chez Genette.
22 Claude Ponti, Adèle s’en mêle, Paris, Gallimard, 1987.
23 On remarque une sorte de faux raccord entre les deux couvertures, puisque les mouvements des mains droite et gauche sont inversés par rapport à l’album précédent, mais cela conduit à disposer les deux mains de la même façon sur les deux albums, donc à accentuer cette rime visuelle.
24 G. Genette, Métalepse, p. 46.
25 C. Ponti, Adèle s’en mêle, p. 5. Nous adoptons, pour les albums non paginés, une pagination identique à celle des albums paginés. Ainsi, le plat avant de couverture est la page 1, la page de titre correspond à la page 5, et le corps de l’album débute généralement en page 7.
26 C. Ponti, Adèle s’en mêle, p. 7. Habituellement, il n’y a pas de page de faux titre dans les albums de Ponti. Ici, le dispositif adopté conduit à répéter le titre une fois « de trop », et ce, là où commence habituellement le corps de l’album : Adèle s’en mêle est donc mis en abyme.
27 C. Ponti, Adèle s’en mêle, pp. 8-15.
28 On reconnaît là, bien sûr, l’intertexte carrollien dans son interprétation pontienne, qui sera maintes fois décliné dans l’ensemble de l’œuvre.
29 Nous marquons une différence entre « scène de lecture » et « expérience de lecture ». La scène de lecture est en focalisation externe, l’expérience de lecture en focalisation interne.
30 L’expression est empruntée à Pierre Bayard, Enquête sur Hamlet : le dialogue de sourds, Paris, Minuit, 2002.
31 G. Genette, Figures III, pp. 244-245.
32 L’exemple classique, repris par Ryan et par bien d’autres à la suite de Genette, est ce passage d’Illusions perdues : « Pendant que le vénérable ecclésiastique monte les rampes d’Angoulême, il n’est pas inutile d’expliquer… ». Genette précise que l’énoncé, dans ce cas, peut être « traduit » en un énoncé littéral (G. Genette, Métalepse, p. 24).
33 Marie-Laure Ryan, « Lecture culturelle de la métalepse, ou la métalepse dans tous ses états », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS, 2005, p 207.
34 G. Genette, Métalepse, p. 20.
35 G. Genette, Métalepse, p. 122.
36 G. Genette, Métalepse, p. 47. Ponti traite de même les syllepses : des images représentent effectivement une madeleine qui pleure ou un rideau de pluie dans Pétronille et ses 120 petits, des personnages qui « font le pavé » dans Adèle et la pelle, un Touim’s qui « fait » une émission de télévision dans Ma Vallée, de la neige sur l’écran de télévision du Père Noël dans L’Écoute-aux-portes…
37 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Le Seuil, 1999, p. 198.
38 Claude Ponti, Blaise et le château d’Anne Hiversère, Paris, L’École des loisirs, 2004, p. 3.
39 Il s’agit donc d’une métalepse intérieure, « qui se produit entre deux niveaux de l’histoire elle-même », alors que le passage d’Adèle de l’extradiégèse à la diégèse était une métalepse extérieure (Dorrit Cohn, « Métalepse et mise en abyme », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS, 2005, p. 122).
40 La forme album invite manifestement à reconsidérer les modalités d’insertion d’un récit métadiégétique. Il est fréquent qu’un récit enchâssé, (apparemment) sans lien avec l’intrigue principale, se déroule dans une portion des images, de page en page, donc en parallèle avec le récit intradiégétique, ce que ne permet pas, en principe, un texte non illustré.
41 Par exemple : « Le réconfort exige que l’ordre normal des choses soit rétabli ; il faut donc que le méchant soit puni, autrement dit, qu’il soit éliminé du monde du héros, et que plus rien n’empêche ce dernier de vivre heureux jusqu’à la fin de ses jours. » (Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Pocket, 1999, p. 222).
42 L’avancée du personnage, de la gauche vers la droite, mimant le sens de lecture, du feuilletage, contribue aussi à ce guidage du lecteur. En suivant le personnage principal, le jeune lecteur est invité à épouser son désir de progression, sa curiosité de savoir ce qu’il y a plus loin, et le « plus loin » de la fiction correspond à « plus loin » dans la matérialité de l’album.
43 Claude Ponti, Pétronille et ses 120 petits, Paris, L’École des loisirs, 1990, p. 25.
44 Claude Ponti, Parci et Parla, Paris, L’École des loisirs, 1994, pp. 34-35.
45 Blaise est le poussin masqué qui apparaît dans de nombreux albums, héros également d’une série qui porte son nom.
46 Claude Ponti, Mille secrets de poussins, Paris, L’École des loisirs, 2005, pp. « 4-5 » = pp. 8-9. Mais comme « la vérité du secret numéro un de Blaise c’est que c’est le poussin qui porte le masque de Blaise qui devient Blaise » (Mille secrets de poussins, pp. « 976-977 » = pp. 34-35), tous les poussins ont ce « pouvoir ». (Nous donnons la pagination fantaisiste de l’auteur entre guillemets et ensuite une pagination plus conventionnelle.)
47 C. Ponti, Mille secrets de poussins, pp. « 4-5 » = pp. 8-9.
48 J.-M. Schaeffer, « Métalepse et immersion fictionnelle », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, p. 333.
49 C. Ponti, Mille secrets de poussins, pp. « 4-5 » = pp. 8-9.
50 C’est tout l’objet du livre d’Yvanne Chenouf, Lire Claude Ponti encore et encore, Paris, Être, 2006.
51 Sophie Rabau, « Ulysse à côté d’Homère. Interprétation et transgression des frontières énonciatives », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, EHESS, 2005, p. 71.
52 C. Ponti, Parci et Parla, pp. 20-21.
53 C. Ponti, Parci et Parla, pp. 26-27. Tonnenplon est la figure inversée des poussins.
54 Claude Ponti, L’écoute-aux-portes, Paris, L’École des loisirs, 1995.
55 Claude Ponti, L’écoute-aux-portes, pp. 11-13.
56 Claude Ponti, L’écoute-aux-portes, p. 19.
57 Claude Ponti, L’écoute-aux-portes, pp. 20-21.
58 Claude Ponti, L’écoute-aux-portes, p. 30.
59 Claude Ponti, L’écoute-aux-portes, p. 40.
60 Claude Ponti, Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, Paris, L’École des loisirs, 2009.
61 Claude Ponti, Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, p. 14.
62 Claude Ponti, Bih-Bih et le Bouffron-Gouffron, pp. 32-33.
63 Claude Ponti, Le Nakakoué, Paris, L’École des loisirs, 1997.
64 Claude Ponti, Le Nakakoué, pp. 30-31.
65 S. Van der Linden, Claude Ponti, p. 266.
66 S. Van der Linden, Claude Ponti, p. 266.
67 Ray Bradbury, Fahrenheit 451, Paris, Denoël, 1955.
68 Claude Ponti, La nuit des Zéfirottes, Paris, L’École des loisirs, 2006.
69 Claude Ponti, La nuit des Zéfirottes, p. 29.
70 G. Genette, Métalepse, p. 131.
71 F. Wagner, « Glissements et déphasages. Note sur la métalepse narrative », Poétique n° 130, 2002, p. 241.
72 D. Cohn, « Métalepse et mise en abyme », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, pp. 129-130.
73 J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, p. 146.
74 J.-M. Schaeffer, « Métalepse et immersion fictionnelle », in John Pier et Jean-Marie Schaeffer (dir.), Métalepses. Entorses au pacte de la représentation, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2005, p. 331.
75 Catherine Tauveron, « Voyages transgressifs au-delà des frontières et autres métalepses dans la littérature de jeunesse », Repères 33, 2006, p. 196.
76 Catherine Tauveron, « Trois petits traités ludiques de fiction », Strenæ 2, 2011, http://strenae.revues.org/348, paragraphe 13.
77 G. Béhotéguy, « Le livre et la scène de lecture dans le roman français contemporain pour la jeunesse », Mémoires du livre, Vol. 2, N°2, 2011.
78 Le mot est emprunté à la dénonciation de G. Béhotéguy, « Le livre et la scène de lecture dans le roman français contemporain pour la jeunesse », paragraphe 36, concernant le roman.
79 Y. Chenouf, Lire Claude Ponti encore et encore, p. 360. Voir l’ensemble du chapitre « Lecteurs en formation » (pp. 320-361).
80 C. Ponti, Parci et Parla.
81 J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?
Bibliographie
Œuvres de Claude Ponti
Ponti Claude, L’album d’Adèle, Paris, Gallimard, 1986
Ponti Claude, Adèle s’en mêle, Paris, Gallimard, 1987
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Autres œuvres
Boujon Claude, Un beau livre, Paris, L’école des loisirs, 1990
Bradbury Ray, Fahrenheit 451, Paris, Denoël, 1955
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Études
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Béhotéguy Gilles, « Le livre et la scène de lecture dans le roman français contemporain pour la jeunesse », Mémoires du livre, vol. 2, n° 2, printemps 2011
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Tauveron Catherine, « Voyages transgressifs au-delà des frontières et autres métalepses dans la littérature de jeunesse », Repères 33, 2006, pp. 177-196
Tauveron Catherine, « Lecture d’une littérature qui met en scène la littérature au cycle 3 : le cas de la métafiction métaleptique », Actes (CDRom) de la 7ème rencontre des chercheurs en didactique de la littérature, Parler, lire, écrire dans la classe de littérature : l’activité de l’élève / le travail de l’enseignant / la place de l’œuvre, IUFM de Montpellier, 6 au 8 avril 2006
Tauveron Catherine, « Trois petits traités ludiques de fiction », Strenæ 2, 19 juin 2011, http://strenae.revues.org/348 (cons. le 25 juin 2011)
Van der Linden Sophie, Claude Ponti, Paris, Être, 2000
Wagner Frank, « Glissements et déphasages. Note sur la métalepse narrative », Poétique n° 130, 2002, pp. 235-253
Pour citer cet article
Isabelle Artigues, « L’éducation du lecteur à travers la figure de la métalepse chez Claude Ponti », paru dans Loxias, Loxias 42, mis en ligne le 15 septembre 2013, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=7550.
Auteurs
Isabelle Artigues est PR.AG à l’ESPÉ d’Aix-Marseille Université où elle intervient dans la formation des professeurs des écoles. Elle prépare une thèse de doctorat en didactique de la littérature (sciences de l’éducation) sous la direction de Nicole Biagioli, dans le laboratoire I3DL de l’Université Nice Sophia Antipolis : « Des représentations de la lecture et des figures du lecteur dans la littérature de jeunesse à la construction de postures de lecteur chez les élèves ».