Loxias | Loxias 41 Le fragment en question | I. Le fragment en question 

Jean-François Trubert  : 

Fragments de gestes dans le théâtre musical expérimental et dans Jactations de Georges Aperghis

Résumé

Cette étude interroge le statut du fragment dans le théâtre musical expérimental de la seconde moitié du XXe siècle, pris tour à tour dans le sens d’un matériau de composition, d’un geste de compositeur, et enfin comme figure esthétique multivalente. Considéré d’abord comme un symptôme de l’incapacité à saisir la complexité du monde, le fragment est évalué en tant qu’acte de composition – ou de destruction – puis en tant que figure ou objet. Dans le théâtre musical contemporain, depuis les pièces de Cage et Stockhausen à celles de Georges Aperghis, en passant par celles de Mauricio Kagel, il a acquit un statut privilégié. Mais son utilisation a nécessité de nouvelles conceptions de l’unité et de la cohérence, en particulier parce qu’il s’appuie sur le geste et sur la voix. L’étude se penche alors sur le cas pratique de la 14e section de la pièce Jactations de Georges Aperghis, où la matière musicale unifie en même temps qu’elle isole des fragments de gestes vocaux. L’unité y apparaît comme sous-jacente, dans la possibilité laissée au spectateur de reconstruire des schémas interprétatifs pluriels.

Abstract

This study question the idea of fragment and fragmentation in the Experimental Music Theatre of the second half XXth century. The fragment is first treated as a symptom of the inability to encompass the complexity of the modern era. Then, the study will consider it as an evocative act of composition – as to say: destruction – and further as an aesthetic feature. In the contemporary Music Theatre, from Cage’s works to Kagel’s and Aperghis’, this kind of weird and hybrid material became the composer’s preferred feature. But in the meantime, these compositions made the demonstration of a new conception of unity and coherence by the use of gesture and voice. At least, the study focuses on Georges Aperghis’ Jactations where the vocal gesture determines but unifies fragments towards a new kind of coherence. The unity rises in its ability to let the audience build several semiotic objects in the meantime.

Index

Mots-clés : Aperghis (Georges) , geste, Kagel (Mauricio), théâtre musical, voix

Chronologique : Période contemporaine

Plan

Texte intégral

Considérer le fragment comme une figure esthétique de la musique du second XXe siècle est devenu un lieu commun. On s’est souvent interrogé sur la nature fragmentaire du discours artistique de la scène des arts vivants ces dernières décennies que ce soit dans le cadre de la dramaturgie contemporaine1 ou dans le théâtre dit post-dramatique2. La fracture n’est pourtant pas aussi nette que l’on voudrait le faire croire. L’utilisation de fragments mélodiques exogènes dans des œuvres musicales est une pratique qui remonte au XIIIe siècle, et dès 1790, Goethe publiait un Faust à l’état de fragment. Charles Rosen considère que le projet esthétique de la génération romantique se conçoit en relation à cette notion, à partir des développements du volume Fragments de l’Athenaum de Friedrich Schlegel d’une part (1798), et de l’esthétique implicite du cycle Dichterliebe de Schumann (1840) d’autre part, deux archétypes qui permettent de définir le fragment comme une figure close sur elle-même (Schlegel invoque l’idée du hérisson), se construisant en une unité, accompagné d’une structure supérieure insaisissable qui la transcende, « impliquant un passé avant que la pièce ne commence, et un futur après qu’elle soit terminée3 ». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il est possible de retrouver de telles logiques dans la construction musicale des œuvres de Franz Liszt4 avant qu’au XXe siècle, en assimilant la posture avant-gardiste de la rupture et du choc, de nombreuses formes artistiques se soient ensuite développées non seulement sous le signe de l’hybridation des moyens, mais aussi en morcelant leurs structures internes. C’est particulièrement le cas dans le domaine du théâtre musical dit d’avant-garde5 ou expérimental. La Sequenza III (1963) de Luciano Berio ; les pièces Originale (1961) (1961) de Karlheinz Stockhausen, Music Walk (1958) de John Cage, Antithese (1962), Der Schall (1968) et Acustica (1970) de Mauricio Kagel ; Jactations (2001) ou Luna Park (2011) de Georges Aperghis incitent à considérer ces formes sous la catégorie de la ligne brisée et de l’ordonnancement de ses décombres.

Mais l’apparente liberté de forme et d’esprit qu’offre la mise en fragments pourrait n’être qu’une fine stratégie : cet accroissement de l’entropie pourrait masquer des processus plus agonistiques, où le désordre ne serait en réalité qu’un symptôme d’une architectonique souterraine. Le fragment n’évacue donc pas la question de l’unité, et renvoie à des questions de forme, de sens et d’interprétation. On s’interrogera donc sur la nature de cette forme construite par l’ajustement d’éléments disparates et partiels en apparence ; avant de se demander en quoi l’activité de fragmenter devient un véritable geste compositionnel dans le cadre du théâtre musical d’avant-garde, et d’en évaluer un exemple plus concret dans une œuvre de Georges Aperghis, Jactations (2001). La mise en forme du fragment passe par la création de gestes vocaux spécifiques qui fonctionnent de manière dialectique, en donnant au discours un aspect totalement morcelé tandis qu’ils mettent en évidence un univers de signification spécifique.

Quelle réalité construit-on ?

Lorsque Philippe Albèra dresse l’amer constat de l’évolution de la musique contemporaine dans les dernières décennies du XXe siècle, il renvoie à l’idée du projet créateur et à la difficulté d’en donner une définition stabilisée, car la syntaxe – le langage musical – qui le porte tend vers « une esthétique de l’hétérogène » et son sens se disperse :

Quel projet, finalement, sous-tend la création actuelle ? Ces questions […] proviennent de l’impossibilité pour la musique moderne d’être reliée à une totalité signifiante qu’elle pourrait réfracter dans son langage propre6.

Ce positionnement de Philippe Albèra7 se trouve alors renvoyé à lui-même par un changement d’échelle :

En un ultime geste de salut, la totalité de l’être est mobilisée dans l’immédiateté expressive du tragique, dans le montage d’éléments fragmentaires, souvent traités sur un mode critique ou ironique, dans la superposition aléatoire des bribes de notre présent8.

Le fragment se justifie en regard du sens englobant qu’il est supposé évoquer de manière partielle : une situation musicale qu’illustrent bien les expérimentations des années soixante, en particulier celles qui ont visé à la spectacularisation du fait musical. Quel meilleur endroit que la scène pour construire une expérience qui serait peut-être moins celle d’une représentation de « la totalité de l’être », car dans le domaine des musiques expérimentales ce paradigme semble de toute façon s’épuiser, que celle de sa « présentation9 » ? Cette idée est reprise par Hans-Thies Lehmann lorsqu’il qualifie la performance : « le comédien du théâtre post-dramatique n’est plus le représentant d’un rôle mais le performer qui offre sa présence sur la scène à la contemplation10 ». Certaines personnalités du monde musical d’alors, que l’on a érigé en archétype pour pouvoir mieux les opposer, se sont particulièrement illustrées dans ce domaine : John Cage comme Karlheinz Stockhausen se sont intéressés de près au domaine du théâtre musical expérimental, au travers de pièces emblématiques qui sont basées sur la mise en présence d’éléments disparates, hétérogènes, de situations artistiquement équivoques.

Dans la pièce Music walk (1958) de Cage, qui a été célébrée par Heinz-Klaus Metzger comme la première pièce de théâtre instrumental11, on dispose un ensemble de sources sonores (instruments divers) et de postes de radio dans une salle autour d’un piano. La partition se présente sous la forme de pages comportant un nuage de points. L’interprète place un rectangle transparent doté de 5 lignes parallèles sur cette page, au hasard, et en fonction de l’intersection entre chaque ligne et chaque point, il va alors déclencher des événements : la première ligne indique par exemple qu’il faut jouer sur les cordes du piano, la deuxième qu’il faut effectuer un glissando sur des cordes, puis allumer la radio, l’éteindre, jouer d’une source sonore quelconque, tourner le bouton de sélection de fréquences, etc. Il en résulte une série d’actions, plus ou moins longues, accompagnées de mouvements qui déclenchent des bribes de sons, des fonds sonores, espacés ou non, simultanés ou à distance dans le temps, puisque les interprètes peuvent changer de place quand ils le veulent12. Le clavier du piano par exemple, qui représente en soi une totalité organisée – et même socialement organisée depuis que le piano est accordé au tempérament égal, c’est-à-dire que tous les intervalles entre chaque touche sont considérés comme égaux – n’est plus que partiellement parcouru, voire réduit à n’être perçu qu’à travers des sons incomplets, déformés (jeu sur les cordes du piano au lieu du clavier) ou absents (frappes sur le bois du cadre du piano). La représentation d’une totalité socialement organisée est détournée au profit de la présentation de l’objet lui-même – le piano – au travers des actions des interprètes, qui utilisent toutes ses possibilités sonores. Ainsi, comme le suggère la partition, seul compte l’ensemble des points et les relations qu’ils entretiennent entre eux : ils définissent des fragments de temps qui existent pour eux-mêmes et comme expérience subsumée en un « nuage » d’événements.

Un cas encore plus emblématique se rencontre dans l’œuvre de Stockhausen, en particulier dans sa pièce de théâtre musical Originale 1961 : le mot Originale en allemand a plusieurs sens. Il désigne comme en français la chose première, mais aussi le modèle. Il peut également s’appliquer aux modes de comportement lorsque ceux-ci sont particulièrement remarquables, et sous cette forme renvoyer aux caractères ou aux personnages. En jouant sur cette ambiguïté de sens, différentes "tranches de vie" qui se juxtaposent et s'entrechoquent sont invoquées dans cette pièce – comme le chanteur de rue13 – qui incorpore divers matériaux, à partir du morcellement de Kontakte (1958-60). Ceci permettait l’insertion d’actions théâtrales – des Happenings – accompagnées de déplacements dans l’espace de la scène et du public. La pièce est prévue pour des acteurs et performers (dont Alfred Feussner, Nam June Paik et l’artiste Mary Bauermeister lors de la création), un pianiste (David Tudor pour la création), un percussionniste (Christoph Caskel lors de la création), et une bande préenregistrée, mais dont la manipulation se fait en direct (déclenchement des sons, arrêt, modulation du son). L’ensemble est coordonné par un système de cartes – gérés par Stockhausen – qui déclenchent des séries d’actions en fonction des choix initiaux. Ici s’exerce une opération de fragmentation et de collage de situations totalement hétérogènes et n’ayant rien à voir les unes avec les autres : si bien qu’effectivement, le spectateur se trouve face à de véritables « événements de la vie14 » constitués d’une polyphonie d’instants présents, de situations de marchés forains (comme la vendeuse de journaux), un peu comme s’il se retrouvait lui-même au milieu de la foule agitée. Dans le théâtre à l’italienne, le rideau qui s’ouvre laisse entrevoir le monde – représenté – dans le cadre, mais avec un tropisme, avec une orientation et une séparation nette. Ici, c’est un peu comme si le monde extérieur avait convergé vers les spectateurs à travers les pores imaginaires des murs de la salle. Mais il est ici comme filtré par le compositeur, et c’est au final une certaine représentation du monde, et non un hypothétique reflet, qui prend forme : « tout est composé ; tout manifeste15 ».

Deux perspectives, en apparence opposées, sont ici rapprochées de manière associative : d’une part le « nuage » indéterminé d’actions, qui renvoie à notre propre ontologie ; d’autre part, l’« écho » d’une urbanisation régulée par un ensemble de règles qui vont en modifier les conditions d’existence et la remodeler. Dans les deux cas, des unités qui se suffisent à elles-mêmes sont en même temps des parties d’un tout absent, et sont livrées dans l’essence de leur qualité propre, pour ce qu’elles manifestent un désordre ou un ordre insaisissable.

Le fragment comme geste de rupture

Au projet esthétique qui engage l’art à refléter la vie, se substitue celui qui le ramène à l’action sur le réel, au processus. L’universalisme prôné par Philippe Albèra ne correspond pas forcément à l’arrière-plan qui, historiquement, a conduit à la disposition fragmentaire. On peut admettre qu’il existe une pluralité de styles et de grammaires musicales au XXe siècle. Mais celles-ci, au lieu de se référer à une « totalité signifiante », ne reflètent-elles pas au contraire son éclatement ? Charles Rosen relève une situation similaire au XIXe siècle :

Le fragment romantique et la forme qu’il inspire permet à l’artiste de braver le chaos et le désordre de l’existence, non en le reflétant, mais en lui permettant de faire une brève mais néanmoins suggestive apparition dans l’œuvre16.

Les mots en « ismes », liés aux avant-gardes qui ont émaillé cette histoire17, reprennent ces positionnements. La fragmentation est alors vécue comme une opération jubilatoire de préhension d’un monde violent et agressif. Deux idées s’en dégagent : d’abord celle qui attache au fragment une vertu énergétique et primitive, comme chez les futuristes italiens ou russes, et que l’on retrouve liée à l’idée du corps et à sa présentation performative18. En effet, le morceau, libéré de sa gangue de signification ou du poncif académique, se trouve livré à lui-même et révèle au monde la souveraineté de sa structure propre. La seconde, c’est celle de la critique de l’ordre : le fragment est irrégulier et imparfait. En faire le symbole même d’une construction par le montage ou le collage, c’est faire de sa morphologie un nouveau modèle structurel19. Ces deux idées se trouvent exprimées et présentes dans le théâtre épique de Brecht, mais aussi dans les écrits théoriques de l’un de ses collaborateurs musiciens, Kurt Weill, lorsqu’il développe l’idée de caractère gestuel de la musique20. On retrouvera d’ailleurs chez Georges Banu et chez Marcel Jousse cette même valorisation du corps comme unité ineffable et inaliénable de l’expression21, un modèle que la voix et l’articulation vocale rendent tangible :

Les gestes propositionnels des innombrables langues du monde sont tous biologiquement propulsés par des explosions énergétiques qui intensifient, plus ou moins brutalement, certaines syllabes à des intervalles plus ou moins réguliers, plus ou moins métriques22.

Une voix qui, comme le précise Roland Barthes23, porte le vécu du corps, un vécu irrégulier, fragmentaire et asymétrique. C’est ce modèle structurel – hérité du cabaret et des interprétations vocales de Lotte Lenya mais aussi de Carola Neher – qu’adopteront Weill24 et Brecht25 pour briser la linéarité de l’intrigue en interpolant des songs et des moments d’interruption. La dramaturgie qui en résulte est composite, elle est le fruit d’un collage de moments de tailles différentes mais également animés de temporalités contrastées, qui lui confère cette valeur de critique sociale. La brisure imprime une action sur la forme en tant que symbole objectivé d’un ordre social. Et donc dans cet esprit, la fragmentation correspond en soi à un geste, à une action directe du compositeur sur une unité qui lui est donnée au départ et sur laquelle il entend imprimer ses propres contraintes individuelles. Hans-Thies Lehmann rappelle que la simultanéité et la déconstruction, le montage, font que « le parcellement de la perception devint […] une expérience incontournable26 ». Cette expérience rend le spectateur mais aussi l’acteur – ou le performer – responsable de sa propre interprétation des événements :

Si est abandonné le principe d’une seule et unique action, c’est en vertu de la tentative de créer des événements où, pour le spectateur, demeure une sphère du libre choix et de la libre décision ; il veut demeurer réceptif aux événements s’offrant simultanément, et en même temps, il ressent la frustration de percevoir le caractère réducteur de cette liberté27.

En musique aussi, on investit la simultanéité et la polyglossie – autre terme cher à Hans-Thies Lehmann – vers un débordement spectaculaire. Au sens musical s’ajoute celui du geste, de l’expression, de la situation réelle ou fictionnelle, ou bien celle de l’exploit technique ou virtuose. Le corps qui était un modèle est ici directement invoqué dans l’univers compositionnel. À titre d’exemple, l’idée première de Mauricio Kagel était de mettre les sources sonores en mouvement28, au même titre que dans le studio de musique électronique on tournait un bouton pour activer un nouvel effet sonore. Sur le plateau du concert, le geste de contrôle du potentiomètre est devenu le mouvement de l’interprète lui-même, qu’il investit son propre vécu. De là l’idée de performance qui s’applique désormais à des interprètes musiciens dans le cadre de compositions scéniques, comme celles de Kagel, d’Aperghis ou bien de Heiner Goebbels ou Manos Tsangaris. Le musicien n’est plus seulement le médiateur d’un système, il peut être un musicien-acteur29 ou bien se représenter lui-même, pour lui-même. Dans la pièce Zwei-Mann Orchester (1973) de Mauricio Kagel, tous les mouvements du corps de l’interprète musicien sont décomposés en unités discrètes. Mouvements du cou, de la tête, des avant-bras, bras, mains, cuisses, pieds, sont individualisés et notés : ils deviennent alors des variables en étant assujettis à un contrôle rigoureux. Relié à l’ensemble d’un dispositif instrumental hétéroclite et iconoclaste par un jeu de ficelles et d’appareils qui s’attachent à ses bras, ses pieds, ses jambes ou ses poignets, le moindre mouvement du musicien se transforme immédiatement en son mais aussi en unité spectaculaire. La représentation porte une dimension agonistique : l’interprète est menacé par la mécanisation et par la perte d’un soi qui deviendrait purement spectaculaire et visuel, tandis qu’une structure du son, acoustique et bien réelle (puisqu’elle fait partie intégrante du travail d’interprétation et de réalisation), sous-tend l’ensemble de manière subliminale.

En quête de l’unité

Selon Charles S. Pierce, un signe se réfère à un objet (idée de référence, abstraite ou non, existante ou non) et porte en lui ce que Pierce appelle un interprétant, c’est-à-dire l’idée donnée par le signe lui-même30. Par rapport à la traditionnelle polarité du signifiant et du signifié, Pierce introduit l’idée qu’il puisse y avoir une nuance dans la dynamique qui va de l’objet au signe, et du signe à son interprétant. Dans le cadre d’expériences artistiques contemporaines ou avant-gardistes, la différence se situe en cela que cette relation triadique n’est pas ajustée, et ce qui constitue l’interprétant du signe rentre dans un cadre plus ouvert. Pierce explicite certaines de ces qualités dans le cadre de l’œuvre musicale :

Le premier effet signifié propre d’un signe est un sentiment que le signe produit. Il y a presque toujours un sentiment que nous finissons par interpréter comme étant la preuve que nous comprenons l’effet propre du signe, bien que le fondement de vérité en soit fréquemment très peu solide. Cet “interprétant affectif”, comme je l’appelle, peut être beaucoup plus que ce sentiment de reconnaissance, et, dans certains cas, il est le seul effet signifié propre que le signe produit. L’exécution d’un morceau de musique de concert est un signe. Elle communique, et ce intentionnellement, les idées musicales du compositeur ; mais celles-ci d’ordinaire consistent seulement en une série de sentiments31.

On ne rentrera pas ici dans le débat lié à la condition ou non des « sentiments » en musique. Ce qui nous intéresse, c’est que soit évoquée la possibilité par Charles S. Pierce qu’un signe puisse susciter par sa seule condition de signe, un effet de reconnaissance purement « affectif » et abstrait. Il peut même se doubler d’autres situations :

Si un signe produit un autre effet signifié propre, il le produira par le moyen de l’interprétant affectif, et ce nouvel effet impliquera toujours un effort. Je l’appelle l’interprétant énergétique32.

Tout instant, en musique, du moment qu’il est pris dans un système, du moment qu’il va susciter par le biais d’éventuels rapports associatifs une certaine reconnaissance, renverra à un interprétant affectif, doublé d’un interprétant énergétique, si tant est qu’il y ait mouvement. Ainsi, la partie – ou le fragment – accède à un certain niveau de sens, même abstrait, à partir du moment où il véhicule cette reconnaissance affective et énergétique. Ceci est particulièrement important dans le cadre du théâtre musical et instrumental contemporain, car le geste musical, composite, doté d’une fonctionnalité mais aussi d’une qualité spectaculaire, possède une valeur autonome. Dans la pièce Acustica (1970) de Mauricio Kagel, trois instrumentistes doivent utiliser des instruments différents dans un ordre indéterminé, tandis qu’un quatrième protagoniste manipule une bande électroacoustique en fonction des actions effectuées33. Le choix des différentes parties s’effectue au moment de la représentation. Seules sont déterminées précisément chaque action au moyen des cartes différentes qui indiquent l’instrument à utiliser, quel son produire avec lui et éventuellement quel déplacement ou geste effectuer. Le travail de composition de Mauricio Kagel34 montre qu’il a commencé par réunir un matériau composite – au sens propre du terme – issu des objets qu’il avait à disposition (tuyaux, orgues, tourne-disques, etc.) puis qu’il s’est livré à des décompositions des actions possibles avec chaque objet. Lors de l’utilisation du tourne-disque, Mauricio Kagel imagine un ensemble de situations ou différents résonateurs sont utilisés avec un des petits outils de plastiques qui transmettront les vibrations du disque directement à la bouche (planche 6 de la partition) ou même au corps d’une guitare (planche 11). Le geste effectué possède une continuité dans l’ensemble des planches : il s’agit d’une exploration, en quelque sorte un recueil de possibilités de jeu dont chaque déclinaison fait l’objet d’une fiche particulière. Comme le choix est indéterminé, on assiste alors à la recomposition d’objets hybrides et d’un montage de différentes situations instrumentales et performatives. Les gestes eux-mêmes apparaissent ainsi comme dénués de fondement – des gestes incidentaux pourrait-on dire35 – alors qu’ils partagent un référent commun en regard de l’acoustique. En effet, soit les gestes sont de nature vibratoire ou mécanique – ils forment des mouvements utilitaires producteurs de son – soit ils transforment la résonance du son, soit ils sélectionnent des sons dans un dispositif. Sauf que, recomposés, distribués de manière aléatoire dans la conduite du spectacle, ils apparaissent soudain pour eux-mêmes avec une dimension visuelle supplémentaire qui perturbe la compréhension du sens premier qui était cependant explicite – le sens acoustique, d’où le titre, Acustica – pour proposer un sens multivalent, que le spectateur recompose lui-même – ou non.

Le fragment oppose une unité quasi phénoménologique au chaos apparent de l’œuvre tout entière. Il se pose lui-même comme une unité, dotée d’un interprétant affectif et énergétique propre. L’élément synthétique qui confère au signe sa totalité et qui porte ces interprétants affectifs et énergétiques c’est le geste, qui dans le théâtre musical contemporain, depuis le naturel vocal du Gestus brechtien jusqu’aux frappes organiques de ? Corporel de Vinko Globokar (1985), absorbe toutes les fonctions possibles, à la fois structurelles, formelles esthétiques et sémiotiques.

L’unité recomposée : Jactations d’Aperghis

Eisenstein apporte un éclairage à la question du sens lorsqu’il décrit les effets du montage :

Deux fragments quelconques, mis bout à bout, se conjuguent immanquablement en quelque chose de nouveau qui naît de cette juxtaposition en tant que qualité nouvelle36.

On multiplie dès lors les degrés d’interprétation :

Il ne s’agit pas du tout d’un cas propre au cinéma, mais d’un phénomène qu’on rencontre forcément chaque fois qu’on a affaire à la juxtaposition de deux faits, deux événements, deux objets37.

Les possibilités sont multiples : l’opération de fragmentation, la taille des objets, leur assemblage, le sens conscient ou non – comme dans certains jeux de lettres ou certaines expériences des surréalistes – et enfin la participation créatrice du spectateur38, autant de degrés qui concourent à catalyser l’unité de manière détournée. Dans l’œuvre de Georges Aperghis, un simple élément peut soudain devenir le vecteur de l’imagination créatrice : un son, un mot, une phrase, qui formeront son point départ. À partir de là, le compositeur considère le plateau de scène dans son ensemble comme un matériau – le comédien, la scénographie, les interprètes musiciens – où lors des répétitions et de la mise en espace, tout événement peut faire sens : 

J’aime beaucoup ce hasard qui provoque des surprises, et qui me permet de faire coexister des éléments que, sans cela, je n’aurais pas pensé à mettre en présence39.

Ce jeu sur l’interprétation des éléments en présence, et sur le degré de lisibilité qu’ils peuvent avoir pour le spectateur est également à l’œuvre dans Jactations, une pièce vocale pour baryton seul composée en 200140. Elle est constituée de 14 sections pouvant être interprétées séparément. L’ensemble forme une unité stylistique basée sur la relation entre le geste vocal et la syllabe qui se combinent afin de dessiner des unités d’ordre supérieur, des morphèmes, des lexèmes, des syntagmes signifiants ou non. Le texte a été écrit par le compositeur. Chacune des sections (numérotées de 1 à 14) produit un effet unique, car le compositeur y explore une modalité particulière, une destruction du sens ou une recomposition. Chaque phonème représente une unité en soi, qui peut exister comme telle, pour être juxtaposée sans transition avec le suivant. Par exemple dans la Jactation numéro 10, les syllabes s’enchaînent, mettant en valeur leur sonorité propre :

Vé na ché na vé j éché tou na fé jé ra na joss fé ssa hou loss joss sa hou loss tou

Mais il peut aussi s’installer des formes de continuité de sens comme dans la Jactation 8 :

Par-lez c’est trop long-temps se tai … se tai-re.

Il existe aussi des constructions plus abstraites, des processus de composition qui peuvent rappeler des procédés stylistiques littéraires. L’érosion et l’allitération dans la Jactation 7 : il faut attendre le troisième système pour que se fasse percevoir le syntagme « lui sem-ble-ront trop courts », alors que les syllabes « courts », « longs », « jours » émaillent tout ce mouvement, et que le même syntagme raccourci, « lui sembleront trop » revienne en fin de section. La verbigération, la répétition, le métaplasme, le bégaiement : toutes les opérations visant à la transformation des mots et de leurs sons respectifs sont utilisées par le compositeur et façonnent également la texture musicale. Il en résulte un ensemble de fragments qui placent chaque événement à la limite de l’interjection, au bord du sens, dessinant des éclats de geste vocal expressif.

Les Jactations se rapprochent donc des Récitations (1979), mais en apportant bon nombre d’innovations techniques : des signes particuliers de notation sont introduits par Georges Aperghis afin de permettre une grande variation dans la sonorité vocale. Par exemple, des notes qui d’habitude devraient avoir une tête noire sont dénigrées afin d’indiquer un son avec du souffle ajouté, ou encore s’il faut le produire en inspirant. Un soin particulier est apporté à cette variation de l’émission vocale, comme en témoigne les quelques lignes explicatives de la page d’introduction à la partition :

Dans la jactation 8, l’interprète choisira quatre sonorités, dont quatre émissions différentes pour les noires, rondes, triangulaires et carrées41.

Georges Aperghis joue donc sur cette interaction entre matière musicale et syllabes, entre les lexèmes et leur empreinte sonore. C’est en effet grâce à cette texture particulière que le compositeur parvient à fragmenter le sens et à multiplier les degrés d’interprétation. Cela devient plus apparent dans la Jactation 14.

Il y a dans cette section un problème de composition sous-jacent. Dans une œuvre où, globalement, la cohérence naît justement de cet aspect multivalent et juxtaposé d’unités contrastées, comment isoler ces unités, et les rendre sensibles en tant que telles ? Cela ne va pas de soi, car la voix risque à tout moment de donner au propos une homogénéité : celle de la voix éduquée, qui chante dans un univers de sons formés ; ou bien celle de la voix parlée, qui ajuste les phonèmes et les syllabes dans un flux homogène du discours, qui ramène tout au corps producteur de son. La tâche du compositeur est ici de donner à la fois une identité corporelle à certains syntagmes ou syllabes, et de les rendre perceptibles en tant que fragments ou que partie.

Le texte de la Jactation 14 est composé de plusieurs syntagmes juxtaposés. La totalité de la Jactation se présenterait ainsi – sans la musique :

Ils nous ont appris ne tremble pas ils nous ont appris nous on a ils nous ont appris on apprend ils nous ont appris de la peur et de ne tremble pas nous on a un jour et il nous ont appris si on a plus de nous on a on apprend de la peur et de répondre ils nous ont appris pour que la mort on  de la peur et de un jour et si on a plus de on ne joue ils nous ont appris on ne joue pour que la mort si on a plus de on a un jour et de la peur et de à nous battre pour nous on a de la peur et de à nous battre pour répondre on apprend [etc.]

On voit que, par la répétition, des unités se dégagent d’elles-mêmes comme « ils nous ont appris » par exemple, une locution qui rythme cette Jactation. Mais cette impression ne devient véritablement effective, concrètement, que par la mise en son du texte. Chaque système syntagmatique ne devient une véritable unité que lorsqu’il est identifié par une figure sonore particulière, or celle-ci reste toujours identique : elle correspond à une image gestuelle particulière. Par exemple, « ils nous ont appris » est systématiquement proféré en quintolet de triples croches, sous les notes ré # – ré – do # – [sol # – la] (les crochets indiquent une intonation montante). Le syntagme « ne tremble pas » s’énonce en triolet de triples croches, sous les notes [la # – ré] – ré # la. Ceci permet d’isoler de manière extrêmement précise chacune de ces unités de sens, et de les assigner à un geste vocal unique et contrastant : par exemple, « nous on a » se joue sur deux notes si – mi en doubles croches et triple, avec du souffle dans la voix. Comme une sorte de mosaïque à la fois vocale et gestuelle, chacun de ces éléments s’isole du suivant et s’ajuste à la fois avec lui ; leur articulation se réalise dans l’immédiateté, et ce montage fait percevoir leur caractère hétérogène.

Grâce à cette identification par le geste vocal, chacun des syntagmes listés ci-après possède une forme sonore et corporelle propre. La partition se présente alors comme l’agencement libre de ces entités énoncées, qui s’entrechoquent les unes aux autres dans une sorte de permutation libre : un moyen de renouveler le temps musical à partir d’un matériau fixe. Notre indexation par lettre tient compte de l’ordre d’apparition, les chiffres entre parenthèses indiquent les occurrences dans toute la section, les soulignés indiquent des syntagmes énoncés sur la même cellule musicale et vocale, les énoncés en gras ont une parenté de sens (sémèmes) :

a. Ils nous ont appris (15)
b. Ne tremble pas (7)
c. Nous on a (16)
d. On apprend (10)
e. De la peur et de (11)
f. Un jour et (6)
g. Si on a plus de (9)
h. Répondre (5)
i. Pour que la mort (5)
j. On a (5)
k. On ne joue (5)
l. À nous battre pour (8)
m. Peur et de la mort (5)
n. Terre ne tremble (3)
o. Pour et de la mort (1)
p. À se battre pour (3)

Dans cette Jactation 14, ces 16 morceaux de phrases répétés forment un ensemble de 114 éléments, juxtaposés par permutation les uns après les autres. L’élément « ils nous ont appris » ouvre la section, et « nous on a » clôt le cycle : d’après notre tableau, on voit également que ces deux éléments sont les plus présents dans cette Jactation.

À partir de là, un deuxième niveau de variation va faire évoluer le geste vocal et le sens au sein de cette section. Nous avons vu que deux gestes vocaux émergent par le truchement de leurs répétitions. Le premier geste vocal récurrent, celui qui revient un plus grand nombre de fois est celui de la première unité, sur « ils nous ont appris » : le quintolet de triples croches (5 triples croches dans l’espace de durée d’une croche – ce qui créé une énonciation rapide et nerveuse). Il apparaît en vérité 35 fois, car le texte sur lequel il se répète change et évolue au cours du temps (en surligné dans notre liste, cf. supra). Du coup, à un autre degré, après avoir contribué à dissocier des portions de phrases, la structure musicale et le geste vocal concourent à rapprocher des syntagmes précis par une identité sonore. Cela induit une logique de construction d’un ordre supérieur, et la séquence suivante apparaît alors, comme si elle devenait logique, puisqu’elle est à chaque fois énoncée sur les mêmes notes et les mêmes rythmes – seule situation de ce type :

Ils nous ont appris / à nous battre pour / peur et de la mort / terre ne tremble / pour et de la mort / à se battre pour.

Cet ordonnancement particulier éclaire d’un jour nouveau ces juxtapositions, et incite le spectateur à leur donner un sens.

L’autre geste vocal où l’on trouve des variations porte le fragment « nous on a » – deuxième élément le plus récurrent dans cette section. Celui-ci, comparé aux autres figures musicales dessinées, constitue une exception à plus d’un titre. Dans la structuration interne des hauteurs d’abord. « Nous on a » se déploie sur un intervalle de quinte descendante si – mi, avec une petite note intermédiaire pour le « on », un la #, ces notes si – mi (soit « nous […] a ») devant être effectuée en ajoutant un souffle. Cette configuration d’intervalle tranche avec la majorité des autres figures où l’on trouve soit des sauts d’intervalles très grands (et techniquement difficile à réaliser, ce qui ajoute à la spécificité de ces gestes vocaux) soit des chromatismes contribuant à amplifier l’aspect parlando de certaines unités. Mais surtout, on trouve dans l’évolution de cette unité « nous on a » le seul cas de transformation rythmique de tout ce mouvement 14. Elle est construite sur la configuration suivante : double croche [si]-petite note-triple croche [pour la note mi]. Soit en terme métrique, longue, brève – brève, une forme de dactyle42. Cette figure va ensuite subir une dilatation temporelle. Avec les mêmes mots, on aura toujours un dactyle, mais qui va s’étendre sur des durées plus longues : noire pointée (vaut 6 doubles croches) – petite note – croche (vaut 4 triples croches) : Longue[x6]-brève-brève[x4], comme si un effet de ralentissement du temps se faisait sentir. Ici, le geste vocal semble vouloir retenir l’inéluctable, marquant encore plus l’opposition entre deux plans. Il se dessine deux unités de sens. D’un côté, celle suggérée par les phrases « ils nous ont appris / à nous battre pour », un ensemble qui, de manière partielle dessine l’entité d’un EUX implicite, menaçant, qui parce qu’il n’est pas affirmé comme unité, s’immisce à l’intérieur du NOUS. Celui-ci forme l’autre plan, à travers le « nous on a », qui est incomplet, menacé, tente de ralentir le temps, et à travers ce geste vocal, cherche justement une unité perdue, éclatée, dissociée.

La texture musicale isole ces gestes vocaux, elle fragmente le discours, en permettant l’identification de ces unités élémentaires. Elle redessine autant un sens qu’elle laboure le contenu signifiant de ces morceaux de phrases par leur répétition : à force ces mots se vident aussi de leur sens, et ne valent plus que par leurs sonorités, accentuant un peu plus l’angoisse latente de la perte qui apparaît en filigrane derrière cette Jactation.

Discussion

Cette focalisation sur l’instant de la présence et sur la dimension microscopique du son renvoie à notre place dans le monde, en en proposant une vision imaginaire qui soulève des questions. Et il semble alors difficile, que ce soit au travers de ces expériences esthétiques comme au travers de l’expérience personnelle, de définir si du monde lui-même émanerait une totalité signifiante dont le projet créatif pourrait se prévaloir, et qu’il pourrait réfracter grâce aux nombreuses possibilités de sa propre expression. Ainsi, le matériau de la musique du XXe siècle se constitue à partir de bribes et de fragments, seuls à même de refléter la tendance au désordre qui habite le monde présent, ou d’y renvoyer. La totalité n’est accessible qu’à travers ses fragments, eux-mêmes ne constituant que les reflets imparfaits et partiels de la réalité à laquelle ils se réfèrent. Si ces conditions sont vraies, n’existerait-il qu’une seule réalité de référence possible ? Si non, peut-on envisager une situation de double référent ou de référents multiples ou des glissements de sens ? La diversité des sémèmes que génèrent les opérations de fragmentation dans le théâtre contemporain repose sur la capacité de l’interprète à rendre ces gestes crédibles et porteurs eux-mêmes de ces unités de sens – voire à se démultiplier lorsqu’il s’agit d’énoncer des gestes vocaux contrastés comme chez Aperghis. Loin d’avoir évacué l’idée de forme et de construction, ces fragments ont simplement déplacé ces questions selon un nouvel angle de vue, cherchant à modeler leurs agencements dans une structuration du temps différente, mais non moins effective : chaque pièce conserve une identité au milieu du chaos apparent, un ordre supérieur qui n’appartient qu’à elle – et qui nécessite la coopération totale et entière du spectateur. Rappelons comment Deleuze et Guattari définissaient l’idée du rhizome dans l’introduction à Mille Plateaux43 : « Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu ». Les ramifications de ces rhizomes ne sont plus apparentes, et il est impossible de s’auto-définir comme spectateur en fonction d’une figure globalisante, mais plutôt comme témoin d’une expérience particulière du corps dans un temps structuré par grains, dans un temps fragmenté.

Notes de bas de page numériques

1  Laurent Feneyrou (éd.), Musique et dramaturgie : esthétique de la représentation au XXe siècle, Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2003.

2  Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre post-dramatique, [1ère édition 1999], trad. Philippe-Henri Ledru, Paris, L’Arche, 2002.

3  Charles Rosen, The Romantic Generation, Harvard University Press, 1998, p. 51.

4  Ramon Satyendra, « Liszt’s Open Structures and the Romantic Fragment », Music Theory Spectrum (Automne 1997), vol. 19, n°2, p. 193-194.

5  Giordano Ferrari, Les Débuts du théâtre musical d’avant-garde en Italie : Berio, Evangelisti, Maderna, Paris, L’Harmattan, 2001.

6  Philippe Albèra, « Médiations », dans Musiques en création, textes et entretiens réunis par Philippe Albèra, Genève, Contrechamps, 1997, p. 10.

7  Il ne s’agit nullement ici de cautionner ces propositions, qui par ailleurs sont discutables.

8  Philippe Albèra, « Médiations », p. 11.

9  Voir à ce propos l’article de Morag Josephine Grant, « Experimental Music Semiotics », International Review of the Aesthetics and Sociology of Music (2003), vol. 34, n°2, p. 187-189.

10  Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre post-dramatique, 1ère édition 1999, trad. Philippe-Henri Ledru, Paris, L’Arche, 2002, p. 217.

11  Heinz-Klaus Metzger, « Europas Oper », Musik-Konzepte n° spécial, John Cage II, ed. par Heinz-Klaus Metzger et Rainer Riehn, 2e éd., Munich, Text+Kritik, 1990, p. 73.

12  John Cage, Music Walk (partition), Peters, 1958, EP7281. Voir également David Nicholls (éd.), The Cambridge Companion to John Cage, Cambridge, Cambridge University Press, 2002, p. 106 et Jean-Yves Bosseur, John Cage, 1ère édition 1993, Paris, Minerve, 2000, p. 70. Voir également William Fetterman, John Cage’s Theatre Pieces, Notations and Performances, Contemporary Music Studies vol. 11, Amsterdam, Harwood Academic Publishers, 1996, p. 44-56.

13  Voir Karlheinz Stockhausen, « Originale (1961) », dans Aufsätze 1952-1962, zur musikalischen Praxis, Texte zu eigenen Werken zur Kunst Anderer Aktuelles, Vol. 2, Cologne, DuMont, 1975, p. 107-127.

14  « Ereignisse des Lebens » : Karlheinz Stockhausen, « Originale (1961) », p. 109.

15  « Alles ist komponiert ; jedes meint » : Karlheinz Stockhausen, « Originale (1961) », p. 109.

16  « The romantic fragment and the forms it inspired enabled the artist to face the chaos or the disorder of experience, not by reflecting it, but by leaving a place for it to make a momentary but suggestive appearance within the work » (nous traduisons) : Charles Rosen, The Romantic Generation, p. 95.

17  Esteban Buch, « Avant-gardes historiques : la question des noms », dans Avant-Gardes : Frontières, Mouvements, vol. 1 : Délimitations, Historiographies, éd. par Jean-Paul Aubert, Serge Milan et Jean-François Trubert, Sampzon, Delatour, 2013, p. 27-43.

18  Voir à ce sujet Günter Berghaus, « L’art-action : les pratiques performatives dans les soirées futuristes », dans Avant-Gardes : Frontières, Mouvements, vol. 1 : Délimitations, Historiographies, éd. par Jean-Paul Aubert, Serge Milan et Jean-François Trubert, Sampzon, Delatour, 2013, p. 194-195.

19  Jean-François Trubert, « Mahagonny, a living mask », The Brecht-Yearbook (2004), vol. 29, p. 205-207.

20  Kurt Weill, « Über den gestischen Charakter der Musik », Musik und musikalisches Theater, éd. Stephen Hinton, Mainz, Schott, 2000,p. 85 ; trad. française dans Pascal Huynh, De Berlin à Broadway, Paris, Plume, 1993.

21  « Par la coprésence de la voix chantée et de la voix parlée, par la souplesse physique, le chanteur livre une image globale de l’homme, de l’être dans sa totalité » : Georges Banu, De la parole aux chants, Arles, Actes Sud, 1995, p. 30-31.

22  Marcel Jousse, Anthropologie du Geste, vol. 1, Paris, Gallimard, 1974, p. 150.

23  « Le grain, c’est le corps dans la voix qui chante » : Roland Barthes, « Le grain de la voix », L’Obvie et l’Obtus, Essais critiques III, Paris, Le Seuil, 1982, p. 243.

24  Kurt Weill, « Über den gestischen Charakter der Musik », p. 85.

25  Voir Walter Benjamin, « Qu’est-ce que le théâtre épique ? », Œuvres III, (trad. française de Maurice de Gandillac, Pierre Rusch et Rainer Rochlitz), coll. Folio/essais, Paris, Gallimard, 2000, p. 323-324.

26  Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre Post-dramatique, p. 138.

27  Hans-Thies Lehmann, Le Théâtre Post-dramatique, p. 139.

28  Mauricio Kagel, « Über das instrumentale Theater », dans Neue Musik, Kunst und Gesellschaftskritische Beiträge, vol. III, 1961, p. 3-4 ; trad. française dans Mauricio Kagel, « Le théâtre instrumental », trad. Antoine Goléa, dans La Musique et ses problèmes contemporains, Cahiers de la compagnie Renaud-Barrault, n°41, Paris, Julliard, 1963, p. 285-287et dans Mauricio Kagel, Tam-Tam, éd. par Jean-Jacques Nattiez, Paris, Christian Bourgois, 1983, p. 105-106. Pour une étude de ce texte voir Jean-François Trubert, « Dans les coulisses du Théâtre Instrumental de Mauricio Kagel », Propositions pour une historiographie critique de la création musicale après 1945, éd. par Anne-Sylvie Barthel-Calvet, Metz, Éditions du CRULH, 2011, p. 164-169 et J.-F. Trubert, « “Quietsche Geräusche” : approche critique de la notion de “théâtre instrumental” chez Mauricio Kagel », dans Écrits de Compositeurs : une autorité en question (XIXe et XXe siècles), édité par Michel Duchesneau, Valérie Dufour et Marie-Hélène Benoit-Otis, Paris, Vrin, p. 383-398.

29  Werner Klüppelholz, « Le musicien-acteur », Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. 1, éd. par Jean-Jacques Nattiez, Arles, Actes Sud, 2003, p. 468-473.

30  Pierce parle également du representamen, c’est-à-dire ce qui dans un signe, garantit la relation entre l’objet et l’interprétant (ce qui dans le signe permet de susciter l’idée de l’objet visé) : « ma définition d’un representamen est la suivante : UN REPRESENTAMEN est le sujet d’une relation triadique avec un second appelé son OBJET, POUR un troisième appelé son INTERPRETANT [élément constitutif du signe], cette relation triadique étant telle que le REPRESENTAMEN détermine son interprétant à entretenir la même relation triadique avec le même objet pour quelque interprétant », Charles S. Pierce, Écrits sur le Signe (rassemblés, traduits et commentés par Gérard Deledalle), Paris, Le Seuil, coll. L’Ordre Philosophique, 1978,p. 117.

31  Charles S. Pierce, Écrits sur le Signe, p. 130.

32  Charles S. Pierce, Écrits sur le Signe, p. 130.

33  Mauricio Kagel, Acustica, für experimentelle Klangerzeuger und Lautsprecher : 1968-1970, partition, UE 18429, Wien, Universal Edition, 1968 (édition 1989). La première a lieu pendant les concerts des séries « Muzik der Zeit » à Cologne le 26 février 1970. La pièce a été réalisée dans le cadre du festival Printemps des Arts en 2007 à Monaco, et a été enregistrée sous deux versions représentant des choix différents dans l’ordre des séquences. Voir Mauricio Kagel, Acustica, interprété par le TAM Theater, Krefeld, enr. 1er avril 2007, CD Audio, Zig-Zag Territoires, ZZT080403.

34  D’après un travail réalisé en archives, Collection Mauricio Kagel, Fondation Paul Sacher, Bâle.

35  En référence à la pièce de George Brecht, Incidental Music.

36  Serge Eisenstein, « Montage 1938 » (trad. par Bernadette Ducrest), dans Steven Bernas, Montage créatif et processus esthétique d’Eisenstein, Paris, L’Harmattan, p. 188.

37  Serge Eisenstein, « Montage 1938 », p. 188.

38  Au sens de sa collaboration, ce qui suppose aussi un spectateur particulier comme le décrit Umberto Eco : Umberto Eco, Lector in Fabula, 1ère édition 1979, Paris, Grasset et Fasquelle, 1985, p. 70-72.

39  Georges Aperghis, « Noyaux, matrices, oignons (…et corbeille), entretien avec Nicolas Donin et Jean-François Trubert », dans Genesis (2010), n° 31, p. 69.

40  Georges Aperghis, Jactations, partition, Paris, Durand-Salabert, 2006.

41  Georges Aperghis, Jactations.

42  Avec une nuance toutefois, que la dernière brève est plus longue que la brève intermédiaire.

43  Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille Plateaux. Capitalisme et Schizophrénie 2, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1980, p. 36-37.

Pour citer cet article

Jean-François Trubert, « Fragments de gestes dans le théâtre musical expérimental et dans Jactations de Georges Aperghis », paru dans Loxias, Loxias 41, mis en ligne le 16 juin 2013, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=7488.

Auteurs

Jean-François Trubert

Jean-François Trubert est Professeur des Universités en musicologie à l’Université Nice – Sophia Antipolis et membre du CTEL (Centre Transdisciplinaires en Épistémologie de la littérature et des Arts Vivants, EA6307). Il développe des recherches sur l’opéra et le théâtre musical contemporains centrées sur les techniques de composition et sur la notion de geste, en s'intéressant aux compositeurs Hanns Eisler, Mauricio Kagel, Luciano Berio et Georges Aperghis. Co-directeur de la collection Avant-Garde aux éditions Delatour, il est responsable pour l’UNS du programme blanc ANR GEMME (Geste Musical : Modèles et expériences) dans le cadre duquel il a publié l’article « Fragments de gestes […] » du numéro 41.