Loxias | Loxias 6 (sept. 2004) Poésie contemporaine: la revue Nu(e) invite pour son 10e anniversaire Bancquart, Meffre, Ritman, Sacré, Vargaftig, Verdier... |  Autour des poètes 

Serge Ritman  : 

Ta Main nue (extraits)

Résumé

Ces poèmes sont extraits d’un livre, Ta main nue, à paraître aux éditions de l’Inventaire. Ce livre bilingue, français et roumain, a été écrit avec Nicoleta Manucu. Seul le premier poème figure avec sa version roumaine.

Plan

Texte intégral

vers l’absente amante toujours encore
son amant encore toujours

ta main s’envole et j’accours
sans t’avoir jamais vue autrement que dans tes mots
silences et élans
un regard lie alors nos lunettes
avant que nos yeux le prennent au vol

tu es auto-exilée dans ma voix silanxieuse
je suis étrangement dans ta voix si familière
je t’emporte par-dessus tout
et tu portes avec moi notre inconnu(e)
dans mon cœur qui bat ton angoisse
ton cœur qui me bat de vitesse
dans l’ivresse de tes doigts
et la myopie de tes yeux
ils nous voient dans un baiser
sans équivoques faciles
puisque je ne saurai jamais si je t’ai
rencontrée
de l’autre côté de ton exil

ai-je fouetté un chat
mais l’aiguille me perce
il n’y a pas de quoi
fou je chante à tu
et à toi

tu dis que ton innocence perdue chaque jour
rend dure
avec tes mains tu approches
quand je confonds roumain et roman
et tes yeux luisent de douleur
je t’entends sourire dans ta voix enfin
mais le rire est loin
jusqu’à me tendre la main
que je serre avec un baiser des doigts

ta souffrance me retourne
je gagne ton innocence quand tu perds
mon amitié que tu risques
mais tu me laisses tes yeux qui gardent
tes perles jusqu’à la descente de ta gorge
j’ai senti ton pied quand le titre
obscène de cette revue d’avant-garde
met mon bras face à tous ceux qui nous empêchent
d’oublier
une table qui est dure avec nos mains

comment faut-il revenir à toi qui est nous
quand tu oublies que je ne t’ai pas vue
deux volumes me cachent
la honte qui t’empêche de me montrer
tes beautés
éclatantes jusque dans mon corps
tu m’as donné les mots
que je t’ai écrits
je ne peux oublier ce baiser qu’on cherche
en déchiffrant cette écriture manuscrite de l’ouest
et ta main m’écrit
je l’ai vue dans ton regard qui m’a tenu
par la main

tu me fais lire avec tes mains
les noms que je cherche dans mes lectures
perdues ou trouvées
elles viennent avec toi dans ces voix
de si loin si longtemps

mina ta strabate aerul, eu alerg
fara sa te fi vazut vreodata altfel decit printre cuvinte
taceri si elanuri
o privire leaga miopia noastra
inainte ca ochii nostri sa o prinda in zbor

esti auto-exilata in vocea mea silanxioasa
eu sunt –ciudat! -in vocea ta atit de familiara
te port cu mine  mai presus de orice
tu porti in mine necunoscuta noastra
in inima-mi ce bate angoasa ta
inima ta ma bate cu putere
in betia degetelor tale
miopia ochilor tai
ne vede intr-un sarut
fara echivocuri facile
pentru ca nu voi sti niciodata daca te-am
intilnit
dincolo de exilul tau

in franceza « Am alte  pisici de biciuit » spui tu
cind ai alte preocupari
un ac ma patrunde
nebun, fara sa stiu, te cint si iti cint

tu spui ca inocenta ta pierduta cu fiecare zi
e dur de suportat
cu miinile tale te apropii
cind eu confund român si roman
privirea ta straluceste de durere
aud un surîs în vocea ta în final
dar rîsul e departe
intinzi o mîna pe care o strîng cu un sarut de degete

cum sa revin spre tine care e un noi
cînd uiti ca eu nu te-am vazut
doua volume imi ascund
rusinea care te împiedica sa-mi arati
frumusetea ta
translucida in corpul meu

tu mi-ai dat cuvintele
in care eu ti-am scris
nu pot sa uit un sarut pe care îl cautam
descifrînd aceasta scriitura-manuscrisa à l’Ouest
mîna ta ma scrie
am vazut asta in privirea ta care m-a tinut de mîna

ma faci sa citesc cu mîinile tale
numele pe care le caut in lecturile mele
pierdute sau regasite
ele vin cu tine in aceste voci
atit de departe atit de demult

                             N. M.

tout pulse depuis ton souffle
les mouvements de mon sang augmentent le volume de mon corps
ses limites : l’illimité de ton corps amoureux

tout pulse depuis ton souffle
les gestes de mes yeux élargissent le regard de notre rencontre
son horizon : la ligne infinie de tes doigts

il y a déjà des années et aura suffi
un moment convulsif sans même nous toucher
il y a toute ton ardeur dans ta venue
ma retenue

aucun futur antérieur
que de l’inaccompli
tu es dans ce qui vient
notre excédent de vie

tout pulse depuis ton souffle
les rythmes de mes phrases volubiles emportent ton corps
sa voix : ta résonance qui m’écrit

tout pulse depuis ton souffle
les caresses de tes doigts écrivent notre étreinte
sa venue : toujours un resouvenir en avant toujours

l’endroit le plus doux
ne cesse de s’envoler ma colombe
notre cicatrice est le poème voyageur
jamais arrêté

l’as-tu vu passer dans ta main
elle l’accompagne toujours et tu l’oublierais
prends ce soin
jusque dans tes caresses

il monte l’endroit
et il nous pénètre ensemble
avec son poison qui nous rêve
je ne te lâche plus la main où je suis perdu

insupportable pour chacun
mais ta main est pour deux et je t’écris
sur ta main qui nous élève
tu respires avec mon mouvement

la pauvreté de mon poème
la précarité de ma vie
la faiblesse de mes ressources
l’innocence de mon raisonnement
la déraison de ma pensée
la vitalité de mes ennemis
les prouesses de mes démons
les démangeaisons de ma peau
les douleurs de mon ventre
l’emportement de mon sexe
le blanc de mes nuits
l’ancien soliloque de ma déesse
l’incertitude des demains

ton revers me renverse tout ça
ta main y met son désordre
je te suis jusqu’au bout des lignes
de fuite de vie de sang
ta main m’ensauvage me délie
m’échauffe
ne prends pas froid avec ce doigté maladroit
sens ma bouche t’avaler
jusqu’à ce que je te rende tout ce que je suis
une suite de ta main
une pauvre fourrure qui la sollicite
ne prends pas froid avec mes poils usés
je la croyais morte ma bête vit dans ta fourrure

(chanson)

même en été j’ai froid
dans ton amour de loin
viens chercher ma main
avec moi mon petit roi

avec moi mon petit roi
cherche ma vie ma cicatrice
ne confond pas tes caprices
et nos sublimes émois

et les sublimes émois
renversent tout par terre
même la plus belle théière
car j’ai trop peur de moi

oui j’ai trop peur de moi
et pourtant je te prends
sans te laisser le temps
même en été j’ai froid

quand ta nudité crie en pleine chaleur couvre-moi de toutes mes fourrures alors ta main appelle en s’éloignant dans le ciel d’été sous la nuée d’étoiles file file file ma lente ma très lente et frissonnante pour qu’il soit happé par ton envolée elle répète cette volée de bois vert qui chauffe chauffe le ciel je le surmonte jusqu’au septième dans ton allongement effroyable sur les nuées qui traversent le continent de mes noirceurs soudainement alors éclairées par l’aube de ton érotisation tu imprègnes les vapeurs du thé que je viens de te servir en tremblant de tout mon corps il te rappelle que je ne sais rien tenir sans effroi tu me tiens au plus profond ma promesse s’écrie s’écrie dans les lignes de ta main avec tes doigts trace trace mes lignes d’écriture en plein ciel nous nous tenons nus face à l’inconnu son infini mystère est une lampe brûle brûle notre soleil de l’été éternel nous allons érotiser notre effroi dis-tu

jeter dans jeter le sort de tes yeux
mes yeux sur tes lèvres ma bouche
pleine mon doigt dans ta bouche
nos mains couvrent tous nos seins
pour jeter dans jeter nos vêtements

tomber dans tomber au sol de ta peau
toute mouillée par mille baisers
de bouche et d’étoiles qui tombent
de partout nos mains crient nos cris
pour tomber dans tomber jusqu’à toi

rouler dans rouler les têtes renversées
mes cuisses jusqu’aux bords de l’air
battent tes bras volent nos cheveux
soufflent sur toutes les chaudes fourrures
pour rouler dans rouler nos deux folies

Pour citer cet article

Serge Ritman, « Ta Main nue (extraits) », paru dans Loxias, Loxias 6 (sept. 2004), mis en ligne le 15 septembre 2004, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=68.

Auteurs

Serge Ritman