Loxias | Loxias 33 « Qu’il parle maintenant ou se taise à jamais… »: Les effets du silence dans le processus de la création (2) | I. Mise en art du silence 

Ettore Labbate  : 

Giacomo Lubrano, un exemple d’« éloquence muette »

Résumé

Il s’agit d’analyser une partie de l’œuvre en prose et en vers, en italien ou en latin, du poète-prédicateur baroque Giacomo Lubrano (1619-1693), dernier représentant du Baroque littéraire italien, en tant qu’expérience d’un silence poétique, par quoi le texte devient méditation de la lettre, apparition énigmatique d’un langage de chiffres, qui n’est rien d’autre qu’une invitation à l’écoute de la disparition de la langue. L’expérience de son « éloquence muette », pour reprendre un titre d’un de ses sermons (« La muta eloquenza… »), relève d’une part de l’esthétique baroque du ‘concetto’ et de la ‘meraviglia’, et, d’autre part, d’une vision moderne du langage poétique encore actuelle.

Index

Mots-clés : baroque , concetto, Lubrano (Giacomo), meraviglia, silence

Géographique : Italie

Chronologique : XVIIe siècle

Plan

Texte intégral

Des défauts de la langue à la « muta eloquenza » (« éloquence muette »)

Si bégayer c’est, comme dit Gilles Deleuze, être étranger dans sa propre langue1, c’est que ce verbe a toujours représenté la condition, buccale et vocale, nécessaire pour pouvoir articuler ce qui n’appartient pas à la langue, ce qui n’est pas du ressort de la langue : le langage. On se souvient aussi de la lecture de Jean de la Croix par Jankélévitch, qui précise que le balbutiement, tout comme la musique, ne fait qu’exprimer l’inexprimable à l’infini2. À un autre moment de sa théorie, Jankélévitch associe d’ailleurs le bégaiement à la tautologie comme signe d’une « entrevision », d’un vouloir infini et sans solution3. Comme le rappelle toujours Jankélévitch, en partant d’une considération sur la philosophie d’Henri Bergson, l’image de l’aphasie par le balbutiement représente la vision baroque de l’anomalie de tout organe : l’instrument (naturel ou artificiel), contrairement aux sciences empiriques, constitue un obstacle dans l’expérience poétique4.

État symptomatique du poème se confrontant avec les cadences d’un rythme qui ne saurait jamais saisir intégralement et de manière définitive son sujet, le bégaiement représente une limite, une frontière, un bord sur lequel dit et non-dit, son et silence, vide et évidence cohabitent. C’est un double défaut, à savoir simultanément un manque (aphasie par absence de mots adéquats) et une impossibilité (aphasie par impossibilité d’articulation). Chez Giacomo Lubrano, nous avons des exemples de ce double défaut de la langue. Ce double défaut, bien qu’il marque le début de l’apprentissage du langage pour l’infans, est vu plutôt sous l’aspect d’une dégénérescence et la perte de sa maîtrise5 : suspensions et interruptions du discours, répétitions et contradictions lexicales sont la manifestation évidente d’une langue qui fait défaut, d’une impossibilité pour la parole de poursuivre son déploiement, d’aller plus loin que ce qu’elle articule. Voir, par exemple, dans les Prediche Quaresimali, son recueil de sermons écrits pour le Carême( = PQ), le sermon « È più dolce il Paradiso… »(p. 195a-b), pour la répétition de l’opposition contradictoire négation / affirmation « nol so. So » ; ou encore « Il forte de’ crepacuori… » (pp. 261a-262a) pour la répétition du refrain augustinien du « Quidquid dixeris, minus dicis6 »; ou encore, « La mutolezza eloquente… »(p. 140a) pour la répétition du syntagme interrogatif « Carcere in Cielo ? ». Voir aussi le polyptote de « tutto il Tutto » au vers 8 du sonnet CXXX du recueil poétique des ‘Etincelles poétiques’, les Scintille poetiche ( = SPS), l’anaphore négative de « quello, e non quello » (SPS, XIV, v. 12), l’anaphore de « or... or…or… or » (SPS, LIV, vv. 7 sq.) ou encore la redondance de « Non no » (SPS,CXXXV, v. 5).

Ces exemples, qu’il ne faut pas isoler mais considérer plus largement dans le cadre d’une aphasie produite d’une ascèse poétique – au moins depuis Dante Alighieri et jusqu’aux pratiques préconisées par la Ratio studiorum7– ce sont en effet des exercices d’une prononciation aux frontières avec le silence. Expérience d’une aphasie poétique, le langage de Lubrano, qui n’ignore pas la littérature mystique et s’y confronte8, n’est toutefois pas un langage « mystique » ou « extatique », mais l’annonce de ce langage ; c’est pourquoi, l’on retrouve fréquemment chez lui un lexique se rapportant à l’« extase » ou à la « mystique », lorsque le discours se confronte aux mystères indéchiffrables du Verbum : dans le sermon « Né pene né premi… » (PQ, p. 108a), il est question de « Profeti, che ricopiano cifre di misteri nell’estasi » ; l’on retrouve ce lexique dans les SP aussi, comme par exemple « estasi » (SPS, IV, v. 4) ou « mistici » (SPS, XIII, v. 13).

Observation et respect, comme le voulait Loyola, d’un vide linguistique en tant que principe de toute création langagière9, espace vide mystique, vacant entre loquacité et silence10, l’œuvre de Lubrano nous rappelle plus généralement l’essence paradoxale de la poésie soulignée par Dominique Rabaté, selon qui celle-ci consiste à montrer ce qui doit rester offusqué11. La poiêsis de Lubrano se fonde en effet sur un aveu de silence : elle replie le langage dans son impossible articulation, elle est un langage – peut-être – à venir, une invitation au « silence éloquent » (« mutolezza eloquente »), comme le prédicateur lui-même nous le montre dans le sermon intitulé « La mutolezza eloquente nell’orazione mentale ». Ce sermon, véritable flexiloquium12, est un des plus longs des PQ et traite du thème augustinien du facundum et canorum silentium (PQ, p. 145b) : le prédicateur jésuite, se situant dans la tradition de l’éloge jésuite du silence13, veut apprendre à son auditoire que la meilleure manière de prier c’est d’écouter en silence et méditer intérieurement le Verbe divin, attitude qu’il faut privilégier à toute pratique vaine et extérieure de la voix. Ouvrir la bouche devient presque un péché (PQ, p. 140a-b : « Suvvia chiudete la bocca a’ discorsi importuni del senso »), parler à voix haute un blasphème (PQ, p. 144a : « Spezzatevi dunque, o denti di chi bestemmiando tiene per sorda, o bugiarda la liberalissima bontà di Dio »). La parole profane, y compris celle du prédicateur, doit quitter l’exercice purement oratoire et s’abandonner à l’écoute de la parole sacrée pour pouvoir s’entretenir réellement avec le Verbum (PQ, p. 140b : « Le orazioni, che presto sfiatano in parole, nulla impetrano etc. »). À ce propos, la critique contre l’oratoire sacrée qui abuse impertinemment des mots sans laisser la place au silence, est récurrente chez Lubrano, comme par exemple dans une épigramme en latin (SV, I, CII : In Oratorem inepte verborum et sacris abutentem litteris).

Le propos est étayé par le recours à l’exemple biblique du prophète devenu muet par excellence, Moïse. Celui-ci incarne l’extase du son muet (PQ, p. 143a : « la mutolezza suoni […] si riconcentra in profondi silenzii, non parla, quasi alienato da’ sensi […] taciturne preghiere […] estasi ») et la puissance de la pensée intérieure qui dépasse les sens et les « accents » (PQ, p. 143b : « Gridava […] co’ pensieri, non con gli accenti »). On voit la « tacita orazione » de Moïse qui n’articule que des « soupirs » (PQ, p. 144a). Ce n’est d’ailleurs par un hasard si, dès le début du sermon, le thème du silence éloquent est mis en parallèle avec celui du vide : il s’agit de la distinction entre le vide temporel et le vide spirituel (PQ, p. 137a-b). Lubrano veut montrer que le silere représente une action rhétorique éloquente qui, quittant toute vanité temporelle, peut atteindre, par le vide linguistique, le Vacuum spirituel. Se taire c’est créer un vide, c’est faire stationner la parole dans un creux intérieur, c’est localiser l’éloquence dans sa puissance inactuelle et dans l’abandon de l’expression – ou plutôt otium14, que nous entendons ici moins au sens culturel de retranchement solitaire et méditatif (à savoir comme opposé de negotium) qu’au sens d’abandon extatique et philosophique (à savoir comme passivité créatrice qui renonce à l’action ou qui renonce à l’actualisation de la puissance). Comment définir, d’ailleurs, l’« orazione mentale » ou la « mutolezza eloquente » (PQ, p. 145b) si ce n’est en acceptant l’inexpressivité barbare du paradoxe, son étrangeté dans la langue (« vocabolo barbaro », ibidem) et, faute d’orateur sacré digne de ce nom15, en concluant par le débordement d’un syntagme-valise (PQ, p. 146a-b : « orazione mentale, loquace, ma senza voci ») ?

Pour ne pas s’enliser dans cette impasse, dans la vanité des mots qui veulent extérioriser ce qui doit rester secret, Lubrano appelle à l’éloge du silence (comme dans l’épigramme intitulée Silentii encomium, in SV, VII, XCIV :) mais surtout à sa pratique, à savoir à l’exercice ignacien des pleurs et des images internes16. L’écoulement silencieux des larmes rejoint et déchiffre celui silencieux de l’encre (PQ, p. 147a : « discifrando con calde lacrime ogni goccia d’inchiostro »), et les « illustrazioni interne » (PQ, p. 147b) mènent aux « Meditazioni divote » (ibidem). Il y a ici, de manière plus générale, le sens du silence comme ascèse poétique, « ascèse » au sens propre d’« exercice », comme aphasie d’une image interne : le silence poétique n’est pas silence au sens où la poésie n’extériorise pas / n’est pas l’extériorité d’une image, mais au sens où elle intériorise, place le langage dans une intériorité, dans le secret de ce qui passe sous silence – comme nous le verrons de manière plus évidente dans le style énigmatique et chiffré de Lubrano ainsi que dans le recours au nominalisme et à l’anagramme.

L’énigme du dire : le chiffre comme langue ‘évidée’

Partons de deux étymologies : celle de « chiffre », mot issu de l’arabe sifr, signifiant « vide », « zéro », et celle d’« énigme », dont le mot grec ai1nigma (aïnigma) désigne une parole construite sur un système de signification extrêmement complexe, qui reste donc obscur et incompréhensible. Nous allons en effet analyser dans l’œuvre de Lubrano le topos de l’hendiadyin « chiffre-énigme », derrière lequel l’on peut voir la tentative la plus extrême chez notre poète-prédicateur d’unir le dire et le silence. Dans cette réduction du langage au vide du chiffre et à l’obscurité d’une parole tellement chargée de signification qu’elle finit par devenir énigmatique, l’on retrouve une vision apophatique du langage, dont l’expression symbolique ou métaphorique n’est pas à entendre comme révélation mais comme négation de l’expression elle-même, comme énigme et non pas comme analogie17.

Certes, même si en ceci Lubrano n’est pas loin d’une certaine poiêsis mystica, il faudrait situer son approche du langage dans un cadre littéraire plus large d’origine déjà humaniste car le topos du chiffre et de l’énigme, manifestation de l’interruption de la chaîne signifiante du langage et donc de l’unité du dire et du silence, se trouve déjà, par exemple, chez l’humaniste Celio Calcagnini18. L’on verra en effet que chez Lubrano la diffraction du sens du mot en tant qu’énigme indéchiffrable correspond à une poétique de la lettre qui, dans ses différentes articulations et épuisements combinatoires, relève de ce que Roland Barthes a appelé la « sémiophanie »19, à savoir de la manifestation vaine du signe en tant que sêma auto-signifiant. Lire le langage de Lubrano comme l’évidement d’une voix chiffrée et énigmatique, c’est revenir, étymologiquement parlant, au ‘degré zéro’ de l’écriture. Nous nous contenterons d’en souligner quelques exemples.

Marques d’une zone limite de l’expression, les mots « cifra » et « enimma » paraissent souvent à des endroits frontaliers avec le silence, comme l’incipit de SPS, XIII (« Cifra ») et XC (« Cifre »), le titre de SPS, XIV (« Il baco è un enimma di naturali prodigii ») ou encore le premier vers de SPS, XIX (« O glorioso Enimma ! un morto seme »). Signes d’une concentration lexicale qui annonce l’évanescence du sens, les mots deviennent en effet la présence langagière d’un vide obscur, la trace éphémère et ineffable d’une lumière qui s’éteint dès qu’elle apparaît (les « viscere » précèdent l’ « ombra » qui finit en « mistici » : SPS, XIII, vv. 2, 6, 1320) ou qui prend son envol dès qu’elle meurt : les « viscere » sont suivies de « lucente », « sepolto » de « vita » et « novello », et enfin, dans une double concentration syntagmatique créée sur l’oxymoron, l’« incenerito lume » anticipe en chiasme « Fosforo Avello » (SPS, XIX, vv. 6-14).

Cette concentration lexicale nous renvoie aussi à une concentration syllabique et purement sonore d’un langage qui, faute de pouvoir nommer l’innommable (à savoir la double syllabe latine de DEUS21), ne fait que creuser son propre vide ; d’où la réversibilité syllabique des paronomases constantes et la structure en palindrome de vers ou syntagmes, qui brouillent les sons et leur direction. Le langage poétique use la langue (SPS, II, 10, 14 : « arSUraaureaUSura »), ne peut vaincre son propre balbutiement (SPS, XIII, v. 3 : « invittoventuRiERo inERmE »), tente de circonscrire sa propre vacuité, de centrer « un » seul vide (SPS, CXXX, v. 10 : « COvaunvaCuO »). La condition nécessaire pour aller au-delà du sens, c’est en effet de le perdre en se perdant dans les sonorités antinomiques du langage : le préfixe « Anti- » du premier vers de SPS, LIV devient alors la clé de lecture du vers tout entier (« AntiPOde del senNO, OPPiO desenSI », où notamment la syllabe « -no » de « senno » s’oppose à la syllabe « -si » de « sensi », et où la syllabe « -po- » de « antipode » est reprise dans la syllabe palindrome « op- » de « oppio »).

Ainsi, Lubrano essaie-t-il d’ébaucher un tracé géométrique de la parole qui, confrontant l’extension de la ligne droite (la loquacité) à la non extension du point (le silence), est constamment tendue vers un au-delà qui dépasse sa perceptibilité sensible et immédiate : son langage opère en effet dans cet entre-deux de la courbe, dans l’« entrevoir » d’un parcours poétique et extatique, aurait ditJankélévitch22, diffraction d’une lumière qui reste néanmoins obscure, effraction de la fiction qui, en créant du vide, finit par se confondre, selon la poétique de la maraviglia, avec la vérité, ou même la remplacer. L’on retrouve le topos des lignes opposées aux points donnant forme à la figure de la courbe, dont la concavité ou convexité ne fait que rappeler la vacuité de l’écriture dans SPS, IV, XIV, XXXI, XLI et SPO, VII, vv. 100, 111 et 147. Quant à la définition de la « vera maraviglia », nous renvoyons à PQ, « Il duello della morte… » (p. 626a-b), notamment la description du pavement décoré par Meccasin Beccafumo dans la cathédrale de Sienne, véritable graphisme du vide où « la superficie si riempie nel vacuo » et permet ainsi « al falzo [d’être] più verisimile del vero 23 »(« au faux d’être plus vraisemblable que le vrai »).

L’inconsistance du mot et de la lettre : du nominalisme à l’anagramme

Pour terminer notre analyse de l’évidement de la voix chez Lubrano, nous proposons la lecture de quelques poèmes manuscrits et de certaines anagrammes latines des SV (III, XL ; VIII, I et II) : les premiers, marqués par un style nominal exacerbé, nous montreront le caractère inconsistant du mot ; les deuxièmes, celui de la lettre. La réversibilité de la lettre dans l’anagramme ou celle du mot dans la poésie nominale, si elle suggère l’idée de l’instabilité d’un monde impossible à lire et à écrire, exprime avant toute chose une modalité d’être d’un langage qui ne peut se résoudre si ce n’est dans la vacuité du texte.

Dans les sonnets manuscrits, comme « Il pulce », « La cicala » ou encore « Il pallone », l’excès des définitions nominales qui les caractérise signale un défaut de langage, une indéfinition lexicale, l’écriture d’un silence. Dans « La cicala », par exemple, le lexique sonore (ci-dessous souligné) devient peu à peu celui d’une musique en souffrance, d’une absence de musique (ci-dessous en caractères gras) :

Arpicordo silvestre, organo alato,
Sensibile armonia,
stridor vagante,
Picciol’ tromba de’ bruti, arpa volante,
Salterio musical,
tedio animato.

De l’estivo bollor campestre Eràto,
Volatile
sussurro, asma cantante ;
Canzoniero
calor, spasmo sonante,
Cicaliero del Sol Cigno
spennato.

Salamandra che vive al Sol cocente,
Garrulità de l’ali, estro del canto,
Isfogo musical de l’aria ardente :

Tu, se lagrima il Ciel, perdi ogni vanto,
E
sfogata così mostri al vivente
Che il canto in terra ha per confine
il pianto.

La cigale devient alors la figure du silence de la parole qui ne peut plus chanter ou qui ne peut chanter que le défaut du chant ; en ce sens, la structure nominale du sonnet qui tend à séparer et isoler les champs lexicaux (sauf à trois reprises : cf. les mots soulignés et en gras) ressemble à l’ébauche d’une partition inachevée, à une approximation harmonique de mots privés de leur mélodie, à un stade limite du langage (« confine », v. 14) au-delà duquel il y a le silence des pleurs (« il pianto », ibidem).

L’on retrouve le même type de clausule, à savoir la disparition de la voix dans le silence, dans le sonnet « Il pulce ». Ici le caractère nominal de la composition souligne le repliement microscopique du langage dans une acuité qui ne tente pas de percer le concept, d’éclairer une matière obscure, mais qui au contraire s’efface et s’amoindrit dans la plus petite nomination possible (ci-dessous soulignée). On va jusqu’à la disparition dans la verticalité du silence et l’anéantissement du texte : celui-ci devient dès lors invisible. Ce n’est pas par hasard que « nulla » soit le dernier mot du sonnet, annoncé déjà dans le premier quatrain par la vacuité finale du chiffre, « Zifra … epilogo », v. 4) :

Animata puntura ognor vagante,
Raggruppata molestia, ombra pungente,
Spruzzo degli escrementi, ago vivente,
Zifra de bruti, epilogo saltante.

Sanguisuga Pigmèa, punto incostante,
Vivo emblemma del poco, anzi del niente,
Nana mordacità priva di dente,
Abozzato martirio, atomo errante.

Sanguigno svegliarin che il sonno sgombra,
Pungolo abbbrevïato in cui trastulla
Schizzo di sangue che toccando adombra ;

Pulce, sei più de l’uom quand’ei s’annulla :
Tu sei spirto fugace, e noi siam ombra,
Tu sei Poco saltante, e noi siam nulla.

Dans le sonnet « Il pallone », Lubrano fait coïncider la forme et le fond : la rondeur de l’objet nommé (le ballon), exaspérée par le même champ lexical (ci-dessous souligné) et l’assonance obsessive en « o » qui termine tous les vers, se superpose, véritable degré zéro du signe, à la rondeur du « Zero » (v. 11) :

Idropico volante, orbe animato,
Sferica frenesìa, aëreo mondo,
Globo vertiginoso, impeto alato,
Mobile precipizio e lieve pondo.

D’inqüieto respir corpo invasato,
Anima circolar, spirto rotondo,
Cupa Eölia del Ciel, corporeo fiato,
Di sublimi cadute Anteo fecondo.

Fantastico Mercurio, alto corsiero
E volubile Omega, Euro tornito,
Etra rotante, e saltellante Zero.

Regno pensil de’ vènti, impulso ardito,
D’aure fugaci emulator Guerriero,
Piccola eternità, breve infinito.

Effacer la parole dans et par la parole en tant que signe auto-signifiant, où il n’y a plus de distinction entre forme et fond, c’est à la fois circonscrire la vacance du langage, l’annuler dans le silence des « larmes » – comme dans « La cicala » – ou du « néant » – comme dans « Il pulce », tout en l’ouvrant à son infinité (« infinito » est le dernier mot de « Il pallone »), à un silence qui est présence d’un langage intérieur et toujours en puissance. C’est-à-dire que la critique du langage que nous venons de souligner est, donc, à la fois négative et positive, le silence étant toujours absence de noms de par leur propre et vaine extériorisation, défaut du langage dans sa propre ‘excédence’.

L’on retrouve cette idée du langage vain qui n’aurait de fin que dans son infinitude, dans les œuvres « Le spine » et « I fiori24 », deux autres compositions poétiques manuscrites, qui constituent les deux volets d’un seul et même diptyque nominal, organisé chacun en dix-sept sixains, qui alternent, comme dans une chaîne infinie, un septénaire à un endécasyllabe (7, 11, 7, 11, 7, 11). Dans « Le spine »,la fréquence de synérèses (par exemple aux vv. 2, 4, 6, 38, 41) et de diérèses (par exemple aux vv. 2, 18, 21, 37, 39, 40), ainsi que l’allitération en « s, z, f » et l’assonance en « i », marquent une tension constante entre les différents propos nominaux : la voix détend et lie, déplie et replie, se fond à tel point qu’elle confond les noms avec les adjectifs ou les compléments du nom, les noms tout simplement avec les noms, plus généralement le thème avec le propos. Pour donner juste quelques exemples, dans « Istrici vegetanti », v. 1, et « Sanguisughe frondose », v. 10, l’animal est confondu avec le végétal ; dans « saëtte, aste », v. 2, et « Cittadini…Inurbani », vv.7-12, les noms se confondent entre eux par paronomase ou par opposition lexicale placée à l’incipit du premier et dernier vers de la même strophe. Toutes les appositions nominales qui sont égrenées pendant les cent deux vers du poème, finissent par faire oublier le nom auquel elles s’apposent : s’il n’y avait pas le titre, l’on serait tenté de dire que toutes ces appositions se réfèrent à un nom manquant, à l’absence nominale du nom, et qu’elles ne seraient finalement que l’apposition des « fantaisies scabreuses » (« scabrose fantasie ») du vers final. Comme le poète lui-même l’avoue dans ce dernier vers de « Le spine », tout ce qu’il a pu écrire n’est que le fruit de sa fantaisie, le vide gratté et creusé par sa plume qui, comme l’étymologie de l’adjectif « scabrose » nous le montre25, nous donne une image de la création poétique plus proche d’un palimpseste remettant sans cesse en cause la page écrite – et révélateur donc d’un vide vocal – que d’une composition finie et close – manifestation éclatante de la voix.

Ce processus d’écriture nominale, comme fragment fini d’une chaîne lexicale mais qui pourrait se déployer à l’infini, est repris dans le deuxième volet du diptyque, « I fiori ». Bien que cette composition semble à une première lecture répéter les mêmes modalités d’écriture que la précédente par l’égalité du nombre des vers et des strophes d’une part (septénaires suivis d’endécasyllabes) et par sa structure nominale d’autre part, elle varie et complète ce que l’on a pu annoncer dans « Le spine ». La fréquence presque systématique des enjambements, surtout dans les premières strophes (cf. strophes 3 à 5, 8 et 9, pour un total de quatorze enjambements), qui sont moins réguliers dans « Le spine » (cf. vv. 19-22 ; 25-28 ; 55-56 ; 59-60 ; 77-80, pour un total de huit enjambements), et surtout l’enchaînement sonore des rimes internes qui lient les mots, les vers et les strophes, soulignent encore plus le caractère instable du thème et l’infinitude de la chaîne nominale. Voici quelques exemples tirés des quatre premiers sixains (entre parenthèses le nombre des vers) :

Vanaglorie (1) se lie à Vaghezze (3), Vaghezze à Delizie (5), et Delizie à Grazie (11) ;

amene (2) se lie à gemme (6), et gemme à germi (8) ;

prato (7) continue en Parto (8) ;

poppe (10) continue en pompe (12), pompe en sponde (15) et sponde en Moribondi (18) ;

spiaggie gioconde (13) continuent en Germoglianti (16), stagion (19) et giuliva (21) ;

fregi (16) se lie à frali (18) ;

enfin, le son de l’incipit en « va » revient en fin de vers avec viva (19) et giuliva (21) pour terminer en vanità (24).

Ainsi, les strophes, les vers, les mots et les lettres ne semblent-ils plus avoir de différence, le caractère nominal du poème mettant au même niveau tout signifiant, et faisant du langage le signe hallucinatoire d’une tabula rasa, qui ne fait que tourner autour d’elle-même, autour du vide qu’elle déploie. Nous sommes en effet dans l’esthétique baroque du ruban, des guirlandes (« ghirlande » est la clausule des « I fiori ») qui, se déployant à l’infini, suspendent toute différenciation entre fin de la parole et commencement de la parole, déploiement et repliement du discours, son et silence de la voix. Lubrano nous semble parcourir les mêmes chemins que ceux empruntés par des fondateurs de cette esthétique de la modernité dans la culture occidentale26.

L’on retrouve cette image de la guirlande dans le latin « orbiculo » (SV, VIII, I), si l’on rappelle que orbiculus signifie « petit cercle, roulette », du verbe orbiculor, qui signifie « faire tourner en rond ». Faire tourner la langue dans les jeux du langage, c’est épuiser un mouvement circulaire où les deux forces opératoires du style de Lubrano – celle centrifuge de dépliement et celle centripète de repliement – s’annuleraient. A travers l’analyse des anagrammes latines des SV, exemples de réversibilité de la lettre,nous allons voir comment Lubrano réussit à atteindre ce degré zéro du signe – au sens où l’entend Barthes – de la langue qui se ferme dans la plénitude de son épuisement27.

Les anagrammes qui traitent d’un sujet profane (SV, III, XL) ou hagiographique (SV, VIII, II) sont impures, c’est-à-dire que les lettres changent de position avec quelques imperfections. Dans le suaviludium sur la mort d’une noble femme de Brienza (bourg de Basilicata), Diana Caracciola (SV, III, XL : « In funere D. Dianae Caracciolae, quam Lunae comparavimus Eclypsim passae ») l’on assiste à une double anagramme : le syntagme « Diana Caracciola domina Burgensiae »se transforme d’abord en« Ah bona Luna, Accendi amica sidera rogi. »avec l’ajout d’un “h”, et ensuite en« Argentea Luna abii, occidi, dona aram. »avec la suppression de trois lettres (c, s, t). Entre la première anagramme (« Ah bona Luna, Accendi amica sidera rogi. ») et la deuxième (« Argentea Luna abii, occidi, dona aram. »), il y a d’abord un déplacement syntaxique qui montre comment, après avoir changé l’ordre des lettres, l’on peut aussi changer celui des mots : l’anagramme « Ah bona Luna, Accendi amica sidera rogi. »change en « Sidera amica rogi accendi pius, ah bona Luna. » L’épuisement de l’agencement des lettres et celui de l’ordre des mots, au-delà de confronter le langage avec le mystère de la mort, expriment avant tout le balbutiement propre au deuil de la langue muette, incarnée ici par le cadavre de la mère (elle n’a plus droit à la parole, si ce n’est celle poétique de l’anagramme) et la douleur du fils. Il s’agit d’un silence qui, comme il est confirmé par le chiasme du vers suivant (« Ardent mille tibi lumina, mille madent ») dont la lumière (« lumina ») paraît close dans sa position centrale, ne s’exprime que par cet enfermement de la langue bloquée dans ses différentes segmentations (l’homotéleute des lettres « dent » entourent l’anaphore des mots « mille »).

Les SV, tout comme les SP, contiennent à la fois des compositions sur des sujets « bas » ou de circonstance et aussi des vers dédiés à la prédication de la foi chrétienne (éloge de saints et de prédicateurs, par exemple ; citons ici le cas de SV, VIII, II, autre anagramme imparfaite qui montre que le nom de Saint Laurent contient les derniers mots qu’il aurait prononcés pendant son supplice avant de mourir, à savoir que le nomen, le signifiant,et le numen, le signifié, coïncident28). Néanmoins, si dans les SP Lubrano traite de sujets de théologie, se rapportant directement aux dogmes de l’Eglise et se confrontant même au Verbe de Dieu (c’est le cas de la série de l’« Ego sum, qui sum », cycle de sonnets portant sur le sujet ineffable par excellence, à savoir celui de la nomination de ‘Dieu’), dans les SV, œuvre profane écrite en latin, ce genre de thèmes est évité, sauf une fois, dans la seule anagramme parfaite (« purum ») du recueil (SV, VIII, I : « Eucharistia Sacramentum. »). Faut-il croire qu’en faisant rentrer dans le genre humble des épigrammes latines les mystères du Verbe, l’on risquait de rivaliser avec le latin de la Bible ? Si dans ses PQ Lubrano cite toujours la Bible dans le texte, à savoir sans la traduire, dans les SV il ose une seule fois jouer avec les lettres divines : le mystère de l’« Eucharistia Sacramentum » cache en lui sa propre explication ; le syntagme devient en effet « Ecce Saturitas animarum. », qui subit – tout comme la première anagramme de SV, III, XL – une variation syntaxique au dernier vers (« Saturitas animarum ecce »). L’anagramme est « pure », parfaite : toutes les lettres qui la composent et décomposent sont nécessaires et suffisantes ; de même le nomen coïncide avec le Numen (v. 1), c’est-à-dire que le sens d’un nom réside dans ce même nom, le signe « pur » marquant l’effacement de tous les signes, l’impossibilité même d’avoir une réponse ultime si ce n’est dans la littéralité de la lettre. Le « Dio » de SPS, LXXVIII, v. 14 et le « DEUS » du sermon « È più dolce il Paradiso… » (PQ, p. 193a), en tant que clausule et arrêt du discours, vont d’ailleurs dans le sens de Michel De Certeau qui nous rappelle que la manifestation verbale de « Yahvé » par le buisson ardent exprime l’acte même qui brûle tous les signes29.

Derrière cette combinatoire ludique du langage, il faudrait donc voir une vision ou pensée du poème comme « chant du sourd-muet », pour utiliser une expression de Jacques Rancière30 : le signe, tension vers la coïncidence indifférenciée entre signifiant et signifié, dans sa correspondance inséparable avec la lettre où il trouve sa seule réponse possible, ne serait pas quelque chose à décrypter ou à interpréter, mais vanité de toute opération de décryptage et donc rythme de la vacuité de la voix ou, cela revient au même, tout comme dans l’orbiculus sous lequel tourne l’anagramme pure (SV, VIII, I, v. 4), de la vocalité du vide.

Conclusion

La solution d’un texte réside dans la dissolution des mots qui le composent. En analysant la pratique de l’évidement de la voix dans la langue et l’œuvre de Lubrano, nous nous sommes rendus compte que le poème n’est pas simplement un jeu de translatio, un changement « arguto » et plaisant de la forme, mais aussi une transfiguratio, c’est-à-dire un aller au-delà des figures et donc de la parole. Chez Lubrano, l’abandon total dans le langage « metaforuto » est aussi l’abandon inconditionné de la métaphore : la fiction (le poème) finit par être vraie, car le langage revient à sa littéralité. Les mots doivent laisser la place au texte, celui-ci étant le lieu de cette non-affirmation des mots.

Nous avons vu que si, d’une part, Lubrano reste l’exemple d’un écrivain, poète et prédicateur, qui ressent, comme tant d’autres, l’urgence de la poésie dite ‘sacrée’ car c’est au XVIIe siècle – comme le remarque Salazar31 – que se développe l’idée de la poésie comme espace de la voix intérieure et de l’ineffable, d’autre part Lubrano semble être aussi l’exemple même de l’écrivain moderne. Sa vision de la lettre en tant que suppression de la voix, véritable invitation à la lecture muette et silencieuse du texte, est surtout un appel aphasique à l’écoute de l’ineffable, d’un discours qui perd ses visées et qui ne vise que le rythme d’une oralité intérieure à la lettre, au gramma, comme le souligne Giorgio Agamben en parlant du tétragramme imprononçable « IHVH » et qu’il nous paraît important de citer, et avec qui nous concluons, pour la clarté avec laquelle il nous parle du poème comme rythme de la lettre :

« Ce qui est ici [Agamben se réfère au tétragramme IHVH] pensé comme expérience mystique suprême de l’être et comme nom parfait de Dieu (la « grammaire » du verbe être dont il est question dans la théologie mystique), est l’expérience de signification du gramma même, de la lettre comme négation et exclusion de la voix (nomen innominabile, « qui s’écrit mais ne se lit pas »). En tant que nom innommable de Dieu, le gramma est la dimension ultime et négative de la signification, expérience non plus de langage, mais du langage même, c’est-à-dire de son avoir-lieu dans la suppression de la voix. Il existe ainsi également une « grammaire » de l’ineffable : l’ineffable est, en fait, simplement la dimension de signification du gramma, de la lettre comme fondement négatif ultime du discours humain32. »

Notes de bas de page numériques

1  Gilles Deuleuze, Critique et clinique, Paris, Les éditions de Minuit, 1993, chap. XIII.

2  Vladimir Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, Paris, Seuil, 1980, I, « La manière et l’occasion », p. 53.

3  Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, éd. cit. , III, « La volonté de vouloir », p. 55.

4  Pour cette idée de l’organe-obstacle comme présence d’un mystère insondable dans la philosophie de Henri Bergson, cf. Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, éd. cit., II, « La méconnaissance. Le malentendu », p. 81 et passim).

5  Cf. à ce propos Suaviludia (=SV), I, LXXXVI (Ad senem assa voce affectate balbutientem); IX, XLVIII (Ad Lectorem). Pour les références bibliographiques complètes des œuvres de Lubrano citées ainsi que pour la liste des abréviations, voir la bibliographie à la fin de cet article (annexes, section II).

6  L’on retrouve l’aveu de l’inutilité de la parole, du sujet a1fatojautour duquel tourne le sermon, qui, pour cette raison, est obligé d’adopter un style surabondant et énumératif, dans les homélies pascales de Basile de Séleucie (Vème siècle) ; cf. Hésychius de Jérusalem, Basile de Séleucie, Jean de Béryte, Pseudo-Crysostome, Léonce de Constantinople, Homélies Pascales (cinq homélies inédites), Michel Aubineau (dir.), Paris, Ed. du Cerf, 1972, pp. 2O6 (a1fatoj marque l’incipit du sermon) et 210 (pour un exemple de style interrogatif et énumératif proche de celui de L.).

7  Voir Mario Costanzo, I segni del silenzio e altri studi sulle poetiche e l’iconografia letteraria del Manierismo e del Barocco, Roma, Bulzoni Editore, 1983, chap. “I segni del silenzio”.

8  Voir les exemples cités dans PQ, « La mutolezza eloquente… », pp. 145b-146a: “[fin de la page 145b] In questa interna orazione si addottarono le Terese per Maestre de’ Ritiramenti Monastici nel Carmelo Religioso; per Teologhe le anime idiote de’ Spiridioni ne’ Concilii Niceni. Questa per mesi interi fè cittadini della gloria le Maddalene de Pazzis, le Rite di Cassia sollevate a mezz’aria [page 146a], Angele del Carmelo; scavò Teatri di delizie a’ Filippi Neri nelle Catacombe di Roma, fiamme di Empireo a’ Xaverii negl’inferni dell’Indiana barbarie.”

9  Cf. Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Seuil, 1971, pp. 8 sqq. et 55.

10  Telle est la définition de la poésie, dans une lecture mystique, par José Angel Valente, La pierre et le centre, tr. de l’espagnol par J. Ancet, Paris, J. Corti, 1991.

11  Dominique Rabaté Poétiques de la voix, Paris, José Corti, 1999, p. 39.

12  Après la Contre-Réforme, le flexiloquium est une pratique dans l’oratoire sacrée, où le prédicateur sait adapter son discours à son auditoire, et que l’on retrouve notamment lorsque le thème du silence est abordé, comme chez le dominicain Giacomo Affinati, auteur du sermon « Muto che parla »(1601). Cf. à ce propos Linda Bisello, Sotto il « manto » del silenzio. Storia e forme del tacere (Secoli XVI-XVII), Firenze, Olschki, 2003, p. 28. 

13  Voir par exemple l’œuvre du jésuite Andreas Schott, De bono silentii religiosorum et saecularium libri II, Antverpiae, apud P. et I. Belleros Fratres, 1619. Pour l’analyse de cette œuvre voir Bisello, Sotto il « Manto » del silenzio, pp. 121 sqq.

14  Silentium est effectivement associé à otium in Suaviludia, VII, XCIV.

15  Page 145b : « Chi mi trapianta nel Pulpito o le Quercie di Chiaravalle, o gli Eremi della Certosa, o le Rupi di Alvernia, o la Spelonca di Manresa, dove i Bernardi, i Brunoni, i Celestini, i Romualdi, i Benedetti, i Franceschi, gl’Ignazii, meditando devotamente quel che Sant’Agostino chiamò Facundum, et canorum silentium, tutti in sé raccolti, ed abbracciati con Dio s’impossessarono delle dolcezze del Verbo co’ meriti del silenzio! Che potrò mai dire di quella mutolezza eloquente, domestica Sibilla della ragione etc. » - remarquons comment la figure profane de la Sibylle, incarnant la pure présence vocale mais aussi la totale absence du corps, résume en s’opposant les figures précédentes, dont l’absence est souligné par l’antonomase.

16  Bisello, Sotto il « Manto » del silenzio, pp. 127-9 rappelle les origines bénédictines de ces pratiques jésuites de la taciturnité, dont la custodia locutionis s’opposait au péché de la parole (l’evagatio linguae, c’est-à-dire des excès de parole comme le vaniloquium ou le multiloquium). Sur la “muta eloquenza”, et sur la voix comme recueillement dans une image intérieure, voir aussi ibidem, pp. 33 sqq.

17  Voir à ce propos les remarques de Charles André Bernard, Théologie mystique, Ed. du Cerf, Paris, 2005, pp. 174 sqq. et Carlo Ossola, Pour un vocabulaire mystique au XVIIe siècle, Séminaire du Professeur Carlo Ossola, textes réunis par F. Trémolières, Torino, Nino Aragno Editore, 2004, pp. 35 sqq.

18  Cf. Michel De Certeau, La Fable mystique, 1 (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Gallimard, 1982, p. 134 n. 72 ; Celio Calcagnini (1479-1541), humaniste à Ferrara, est l’auteur d’une Descriptio silentii (= Opera aliquot, 1544, pp. 491-494) publiée en 1544 après sa mort.

19  Barthes, Sade, Fourier, Loyola, pp. 8 sqq. et 59.

20  Dans le même registre, l’on pense aussi à la séquence lexicale de SPS, IV, vv. 2-4 (« sensi … sen… estasi »), qui tend ainsi de renfermer le sens dans la sortie du sens.

21  Cf. PQ, « È più dolce il Paradiso... » = annexe 9, 3, l. 118.

22  Jankélévitch, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, « La manière et l’occasion », p. 97 (« L’opération poétique dont toute la vertu est de poser et « reposer », de créer et recréer, pourrait se comparer à une extase. ») et passim.

23  Domenico Beccafumi (1486-1551), peintre italien maniériste de la première moitié du XVIe siècle, fut l’auteur de dessins pour le pavement du Duomo de Sienne.

24  Cf. ces deux compositions mises en miroir dans les annexes de cet article.

25  Du latin scabere (« gratter ») et du grec ska/ptw (creuser).

26  Cette esthétique, comme l’a montré Douglas Hofstadter, Gödel, Escher, Bach. Les Brins d’une Guirlande Eternelle, tr. fr. J. Henry / R. French, Paris, Dunod, 2000, constitue un fondement de la culture occidentale moderne, que ce soit au niveau artistique ou scientifique, comme par exemple les canons dits ‘cancrizans’ – pouvant se lire dès le début à la fin ou de la fin en remontant jusqu’au début – de J.-S. Bach et le ruban de Möbius, au XVIIIe siècle, ou comme les dessins d’Escher et les théories mathématiques sur l’indécidabilité de Gödel au XXe siècle.

27  Barthes, Sade, Fourier, Loyola, p. 80.

28  « Sanctus Laurentianus Diaconus Romanus, et Martyr » = « Sic ustus morior versa Tyranne manducans latus. »). Saint Laurent, né vers 210-220 à Huesca en Aragon mourut martyr sur un gril à Rome en 258.

29  M. de Certeau, Fable mystique, p. 243.

30  Jacques Rancière, La parole muette. Essais sur les contradictions de la littérature, Paris, Hachette Littératures, 1998, p. 141 sqq. : « […] le cœur de la littérature et de sa contradiction, ce n’est pas l’autotélisme du langage, le règne refermé sur lui-même de la lettre. C’est la tension de la lettre et de son esprit. Cette tension a commencé quand l’ancien édifice poético-rhétorique de l’inventio, de la dispositio et de l’elocutio s’est rabattu sur le seul plan de l’elocutio. Ce plan n’est pas celui des jeux formels du langage, il est celui des tropes. Le trope est la différence du langage à lui-même, le renvoi de l’espace des mots à l’espace de ce qu’ils disent. [Puis en reprenant les théories de Vico] les poèmes ne sont pas des livres de sagesse cryptés, ils ne sont que des poèmes. […] L’essence du poème [c’est] d’être une parole qui dit autre chose que ce qu’elle dit, qui dit en figures l’essence de la parole. » Rancière voit cette essence de la parole dans ce qu’il appelle la « pensée du poème », à savoir le poème comme représentation de l’esprit, comme silence, comme manifestation sourde et muette de la « profondeur de ce qui donne lieu à la parole » (p. 142) ; d’où sa définition du poème comme « chant du sourd-muet » (ibidem).

31  Philippe-Joseph Salazar, Le culte de la voix au XVIIe siècle. Formes esthétiques de la parole à l’âge de l’imprimé, Paris, H. Champion, 1995, pp. 284 sqq.

32  Giorgio Agamben, Le langage et la mort, Paris, Ch. Bourgois, 1997, p. 66 [les italiques sont de l’auteur]. D’autre part, sur les rapports entre la lecture silencieuse et la naissance de l’écrivain, cf. l’analyse de La Mothe Le Vayer par Salazar, Le culte de la voix au XVIIe siècle, pp. 148 sqq.

Bibliographie

 Œuvres citées de Giacomo Lubrano

NB : en gras, les abréviations utilisées dans cet article.

- Suaviludia Musarum ad Sebethi ripam. Epigrammaton libri X Jacobi Lubrani e Societate Jesu Neapolitani, Napoli, Giacomo Raillard, 1690 = SV.

- Scintille poetiche, Venezia, Andrea Poletti, 1692 [deuxième et troisième impression] ; cf. la récente édition : Scintille poetiche o poesie sacre e morali, aggiunta La Mutevolezza eloquente e una scelta di poesie sparse, Marzio Pieri (éd.) ; con una nota sul Lubrano melico di Luana Salvarani ; contenente le Prediche Quaresimali (1703) su CD ROM, Trento, La Finestra, 2002 = SP (SPS pour la partie “Sonetti”, SPO pour la partie “Odi” et SPM pour la partie “Composizioni per musica”).

- Prediche quaresimali postume del p. Giacomo Lubrano della compagnia di Gesù,con due indici l’uno dei temi, l’altro delle cose notabili, Padova,Giovanni Manfrè, Stamperia del Seminario, 1703 = PQ.

- Poèmes manuscrits : “La cicala”, “Il pallone”, “Il pulce”, “Le spine”, “I fiori” [pour le catalogage de ces manuscrits, cf. C. SENSI , L’“Arcimondo” della parola. Saggi su Giacomo Lubrano, Padova, Liviana, 1983 ; pour les textes, cf. Scintille poetiche o poesie sacre e morali, Marzio Pieri (éd. 2002), op. cit.].

 Bibliographie critique sur Giacomo Lubrano (par ordre chronologique) :

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ROUSSET Jean (éd.), Poètes baroques italiens, Marseille, Cahiers du Sud, 1955, pp. 3 sqq. .

FERRERO Giuseppe Guido, Marino e i Marinisti, Milano-Napoli, Ricciardi, 1954.

ARON-ROBERT Danièle, Giacomo Lubrano : poeta lirico del Seicento, dir. Paul Renucci, mémoire de D.E.S. en Études Italiennes, Université de Paris III, 1959.

GETTO Giovanni, « Introduzione ai Lirici marinisti », in Opere scelte di Giovan Battista Marino e dei Marinisti, Torino UTET, 1954, vol. II : I Marinisti, p. 53-54. ( = id., Barocco in prosa e in poesia, Milano, Rizzoli, 1969).

CROCE Franco, La lirica tardo barocca dell’Artale, del Lubrano e del Dotti . II : « Giacomo Lubrano », in Tre momenti del Barocco letterario italiano, Firenze, Sansoni, 1966, pp. 268-322.

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ORTESTA Cosimo, « Giacomo Lubrano : il tempo del verme », in Paragone , 326, Firenze 1977, pp. 18-27.

OSSOLA Carlo, « Apoteosi ed ossimoro », in Mistica e Retorica, studi raccolti a cura di Franco Bolgiani, Firenze, Olschki, 1977, pp. 47-103 [cf. notamment les pp. 82-87 sur la rhétorique des Panegirici sacri].

SENSI Claudio, « Cultura barocca tra consenso e polemica : Gli epigrammi latini di Giacomo Lubrano », Esperienze Letterarie, 1978, III, n. 2, pp. 31-54.

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SENSI Claudio, recensione alle Scintille poetiche, ed. Pieri, Lettere italiane, XXXV 1983, n. 3, pp. 394-402.

SENSI Claudio, « La retorica dell’apoteosi : arte e artificio nei panegirici di Lubrano », Studi Secenteschi, XXIV (1983), pp. 69-152.

SENSI Claudio, L’”Arcimondo” della parola. Saggi su Giacomo Lubrano, Padova, Liviana, 1983.

SENSI Claudio, La tralucenza dell’antico : La classicità in Lubrano, Parma, Zara, 1984.

DURANTI Alessandro, « Da un dizionario secentesco. Lubrano, Accetto, Pallavicino », Paragone, 414, 1984, pp. 11-42.

BONITO Vitaniello, « Le pieghe del verme », Critica letteraria , 23, 1995, pp. 153-163.

GUGLIELMINETTI Marziano, « Giacomo Lubrano poète baroque », XVIIème siècle, n° 197, 1997, 49ème année, n° 4, pp. 715-725.

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BONITO Vitaniello, Il canto della crisalide. Poesia e orfanità, Bologna, CLUEB, 1999.

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FRASCA Gabriele, « L’angelica farfalla frai riflessi », in G. ALFANO/G. FRASCA (a cura di), Giacomo Lubrano. In tante trasparenze. Il verme setaiuolo e altre scintille poetiche, Napoli, Cronopio, 2002, pp. 123-174.

PIERI Marzio, « La voce soppressa. Introduzione al Lubrano », in Giacomo Lubrano, Scintille Poetiche, Trento, La Finestra, 2002, pp. IX-XXV.

SALVARANI Lidia, « Simultaneità lubraniane », in Giacomo Lubrano, Scintille Poetiche, Trento, La Finestra, 2002, pp. XXIX-XLIII.

RUFFINO Alessandra, « Nebbie edificate in mondi. Note su Giacomo Lubrano », in Critica Letteraria, 2003, n. 2, pp. 359-366.

GUERCIO Vincenzo, « A proposito di recenti edizioni lubraniane », in Testo, 2003, n. 46, pp. 95-114.

La voix dans le vide. Sonnets de Giacomo Lubrano (1619-1693) – textes choisis, traduits et annotés par Ettore Labbate ; introduction de Claudio Sensi ; postface de Silvia Fabrizio-Costa, Paris, Édition bilingue des Cahiers de Galliffet – Istituto Italiano di Cultura di Paris, 2009.

 Autres ouvrages cités

AGAMBEN Giorgio, Le langage et la mort, Paris, Ch. Bourgois, 1997.

BARTHES Roland, Sade, Fourier, Loyola, Paris, Le Seuil, 1971.

BASILE DE SÉLEUCIE, in HÉSYCHIUS DE JÉRUSALEM, BASILE DE SÉLEUCIE, JEAN DE BÉRYTE, PSEUDO-CRYSOSTOME, LÉONCE DE CONSTANTINOPLE, Homélies Pascales (cinq homélies inédites), AUBINEAU Michel (dir.), Paris, Éditions du Cerf, 1972.

BERNARD Charles André, Théologie mystique, Paris, Éditions du Cerf, 2005.

BISELLO Linda, Sotto il « manto » del silenzio. Storia e forme del tacere (Secoli XVI-XVII), Firenze, Olschki, 2003.

COSTANZO Mario, I segni del silenzio e altri studi sulle poetiche e l’iconografia letteraria del Manierismo e del Barocco, Roma, Bulzoni Editore, 1983.

DE CERTEAU Michel, La Fable mystique, 1 (XVIe-XVIIe siècle), Paris, Gallimard, 1982.

DELEUZE Gilles, Critique et clinique, Paris, Les éditions de Minuit, 1993.

HOFSTADTER Douglas, Gödel, Escher, Bach. Les Brins d’une Guirlande Eternelle, tr. fr. J. Henry / R. French, Paris, Dunod, 2000.

JANKÉLÉVITCH Vladimir, Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien, Paris, Seuil, 1980.

OSSOLA Carlo, Pour un vocabulaire mystique au XVIIe siècle, Séminaire du Professeur Carlo Ossola, textes réunis par F. Trémolières, Torino, Nino Aragno Editore, 2004

RABATÉ Dominique, Poétiques de la voix, Paris, José Corti, 1999.

RANCIERE Jacques, La parole muette. Essais sur les contradictions de la littérature, Paris, Hachette Littératures, 1998.

SALAZAR Philippe-Joseph, Le culte de la voix au XVIIe siècle. Formes esthétiques de la parole à l’âge de l’imprimé, Paris, H. Champion, 1995.

SCHOTT Andrea, De bono silentii religiosorum et saecularium libri II, Antverpiae, apud P. et I. Belleros Fratres, 1619.

VALENTE José Angel, La pierre et le centre, tr. de l’esp. par J. Ancet, Paris, J. Corti, 1991.

Annexes

 Deux poèmes manuscrits : « Le spine » et « I fiori »

[La transcription de ces deux poèmes, tout comme celle des autres poèmes manuscrits cités dans l’article, est celle de Giacomo Lubrano, Scintille Poetiche, M. Pieri (éd.), Trento, La Finestra, 2002, pp. 355 sqq.].

Le spine

Istrici vegetanti,
Rusticali saëtte, aste nascenti ;
Angoscie serpeggianti,
Intoppi dolorosi, aghi crescenti ;
Pugnaletti selvaggi,
Verdeggianti molestie, ispidi oltraggi.

Cittadini dei sassi,
Dure malignità dei colli alpestri,
Carnefici dei passi,
Sanguisughe frondose, Arpie silvestri ;
Spurii dai campi ameni,
(12) Inurbani puntigli dei terreni.

Officine del duolo,
Densissimi steccati de le belve ;
Vituperii del suolo,
Dispettose fatture de le selve,
Tormenti del sentiero,
Verdi tentazïon’ del passaggiero.

Dei faticosi aratri
Avventizii travagli, agresti pene,
Dei selvosi tëatri
Intermedii funesti, orride scene ;
Parentesi natìe
(24) Del commercio comun tra campi e vïe.

De la terra inarata
Rigide bizzarrìe, capricci austeri,
De la siepe affamata
Scherzi rapaci, acerbi foraggieri,
De le valli infelici
Ràbidi abitatori, informi amici.

Germi facinorosi,
Che sempre in truppa van con l’armi ai lati ;
Esuli disdegnosi,
Che non voglion né pure esser toccati ;
Impertinenze acute,
(36) Di ràbido terren smanie fronzute.

Anime curïose,
Che corron dietro a chi lor passa avanti,
Piante litigïose,
Che contrastan la strada ai vïandanti ;
Arboscelli inumani,
Che vengon con ciascun tosto a le mani.

Gabellieri silvestri,
Che ti ferman ogn’or per contrabando,
Satelliti campestri,
Che addosso ad ora ad or ti van cercando,
Confinanti ferini,
(48) Che t’attaccan ogn’or co’ suoi uncini.

Rampoli inospitali,
Sterilissimi obbrobrii del giardino ;
Fecondissimi mali,
Incivili spalliere del cam<m>ino ;
Mostri orrendi dei prati,
De la verde stagion parti dentati.

Primogeniti adonchi
De l’inamenità, germogli edaci,
Fuorusciti de’ tronchi,
Rudi perversità, sterpi mordaci,
Cilicii, che al terreno
(60) Con assiduo martìr rodono il seno.

Acùlei de le frondi,
Terrori de lo sguardo, àsperi oggetti ;
Colpe de’ lidi immondi,
Scabrose qualità dei monti infetti ;
Pullulanti Tiranni,
Sanguinarie verdure, irsuti affanni.

Vómiti de le pietre,
De la sterilità spolpati eredi,
Selvareccie ferètre,
Tenacissime rèmore dei piedi,
Vizî di glebe impure,
(72) Irte calamità de le culture.

Hami de le foreste,
Zanne con cui stràccian le siepi ingorde ;
Strali di piante infeste,
Denti con cui la terra afferra e morde ;
Stili, che nudi allato
Porta senza licenza il campo irato.

Intrattàbili aborti
Di spiaggia incólta, estratti del rigore,
Discortesie de gl’orti,
Piante per cui l’amenità sen’muore,
Virgulti faretrati,
(84) Ramose iniquità, smeraldi armati.

Rigorosi escrementi,
Peccati rei de la campagna impura ;
Inameni accidenti,
Imperfette armonie de la Natura ;
Muniti alabardieri,
Rozze lance spezzate, incólti arcieri.

Selvatici embrïoni,
Strozzatori de l’erbe, unghiuti nodi,
Boscarecci speroni,
Stimoli de le selve, arborei chiodi ;
Pentimenti del tatto,
(96) Rustiche idee d’un arsenal mal fatto.

Germinanti tenaglie,
Pungenti insidie, aculëati orrori,
Rastri de le boscaglie,
Artigli del terren, tarli de’ fiori,
Furie del campo rio ;
Scabrose fantasie del plettro mio.

I fiori

Vanaglorie fiorite,
Maraviglie attillate, amene effigî,
Vaghezze colorite,
Caduche bizarrie, tenui prodigî,
Delizie agonizanti,
Momentanee entità, gemme spiranti.

Tesoriere del prato,
Parto del suol, glorie di germi illustri,
Vezzi del tempo ornato,
Culle del miel, poppe de l’api industri,
Grazie de l’erbe molli,
(12) Lascivie del terren, pompe de’ colli.

De le spiaggie gioconde
Brevi felicità, risi fugaci,
De le nobili sponde
Germoglianti livree, fregi vivaci ;
De le stelle immortali
Moribondi ritratti, abozzi frali.

De la stagion più viva
Lieti disegni, amabili fatiche,
De la terra giuliva
Pargoletti trïonfi, imprese aprìche ;
De’ campi effeminati
(24) Ingenue vanità, lussi odorati.

De le Furie gelate

Con cui sfoga Aquilon, prede innocenti,
De l’aurette bëate
Con cui sfiata il mattin, scherzi ridenti,
De gli abiti pomposi
Con cui s’adobba il suol, nastri vezzosi.

Tenerezze di Clori,
Virtüosi tributi de le valli ;
Pullulanti stupori,
Delicatezze de’ men rozi calli ;
Miracoli odorosi,
(36) Söavi cortesìe dei piani erbosi.

Secretarii d’Amore,
Tazze in cui versa il Ciel le sue ruggiade ;
Depositi d’odore,
Veraci idee d’una Beltà che cade ;
Magisteri de l’erbe,
Apparenze del suol vane, e superbe

Di coltura gentile
Eccellenti lavori, opre ingemmate,
De l’anno giovanile
Capricciosi cimier’, gale sfoggiate ;
De’ feminili petti
(48) Molli albagìe, portatili diletti.

Di campagne felici
Dipinte qualità, mostre festive,
d’ingegnose radici
Spiritosi concetti, arguzie vive ;
Emblemi de l’Aurora,
Fiaccolette d’April, raggi di Flora.

Patricii dei giardini,
Verdi cifre, con cui parla l’Amante ;
Ornamento dei crini,
Cari vezzi, con cui ridon le piante ;
Olezanti conforti,
(60) Presti lampi, con cui balenan gli orti.

Lusinghe de le nari,
Trastulli de le Ninfe e dei pastori,
Arredi de gli altari,
Impastate allegrie di più colori ;
Doti del prato culto,
Fastosetti pensier’ de l’Anno adulto.

Madreperle pratensi,

Fragranti odor’ di fertile costiera ;
Geroglifici ortensi,
Dipinte vanità di Primavera ;
Pregi d’amabil dito,
(72) Passatempi de l’occhio, occhi del lito.

Incensiere dei vènti,
Pulite fantasie de la Natura,
Stravaganze avvenenti,
Transitorie beltà de la pianura,
Vegetanti baleni,
Porporate superbie dei terreni.

Fantasme leggiadrette,
Con cui l’amenità gli occhi delude,
Urne industrïosette,
In cui Favonio i suoi profumi chiude,
Iridi campagnole,
(84) Che spuntan co ‘l mattin, spiran co ‘l Sole.

Profumiere ricchezze,
Di pendici Sabèe piacer’ nativi,
Ridenti debolezze,
De ‘l bosco sensüal sfoggi lascivi ;
Miracoli nascenti,
Vivezze inferme, amenità cadenti.

Ceremonie dei monti,
Gentilezze civil’ dei boschi urbani ;
Alunni de le fonti,
Cólte galanterìe dei verdi pianti ;
Vivi terreni lampi,
(96) Giornalieri spettacoli dei campi.

Dilettose fatture,
Capricci ch’a riccamo April lavora,
Smalti de le verdure,
Sorrisetti con cui Maggio innamora ;
Astri che l’Alba spande,
Perché n’intrecci al MANNI mio ghirlande.

Pour citer cet article

Ettore Labbate, « Giacomo Lubrano, un exemple d’« éloquence muette » », paru dans Loxias, Loxias 33, mis en ligne le 16 juin 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=6768.

Auteurs

Ettore Labbate

Ettore Labbate est docteur ès Lettres en Langues et Littératures Romanes (thèse sur le poète baroque italien Giacomo Lubrano à l’Université de Caen Basse-Normandie, où il est actuellement chercheur au sein du L.A.S.L.A.R – ‘Lettres, Arts du Spectacle, Langues Romanes’). Il consacre sa recherche à la littérature (notamment à la poésie baroque et contemporaine italienne) par une approche comparée et pluridisciplinaire. Il est également traducteur (traductions françaises de Giacomo Lubrano, Antonia Pozzi, Cosimo Ortesta) et écrivain (« Géographie » est son dernier recueil poétique).