Loxias | Loxias 33 « Qu’il parle maintenant ou se taise à jamais… »: Les effets du silence dans le processus de la création (2) | I. Mise en art du silence 

Julie Dekens  : 

« Und alles schwieg » : l’Orphée rilkéen à l’épreuve du silence

Résumé

Les réécritures du mythe d’Orphée s’attachent en général à explorer les possibilités du chant et ses capacités d’enchantement du monde. Rainer Maria Rilke, dans ses Sonnets, interroge les limites de la musicalité et du son, qu’ils proviennent du personnage, de sa lyre ou bien de la nature qui l’entoure. Le silence, souvent défini comme absence de bruit, devient dès lors un instant où se déploient le son et le sens : loin de n’être que négative, cette notion est ici – comme en musique – nécessaire à l’épanouissement des mots, ainsi qu’à la méditation du récepteur. Avec Orphée, Rilke trouve le silence en soi après un long processus de maturation, depuis Les Cahiers de Malte Laurids Brigge jusqu’aux Elégies de Duino, et s’intéresse à toute la palette de sonorités que lui offre l’espace poétique : silence, chuchotis, bruit, cri, chant… Dans ces vers, le personnage sombre dans le « presque rien », sa mélopée se transforme en murmure indistinct, paradoxalement plus vivant que jamais, car il est ici une trace persistante que suit le poète.

Texte intégral

 « La pression de mon plus infime mouvement
Reste visible dans la soie du silence »1
Rilke, « Le Silence », in Le Livre des images

« Voilà les bruits. Mais il y a ici quelque chose de plus effrayant : le silence2 ». Le narrateur des Carnets de Malte Laurids Brigge (1910), perdu au milieu de Paris, ne s’y trompe pas : le son n’est pas ce qui angoisse le plus l’Homme, c’est son contraire, qui le force à revenir à soi-même. Dans une lettre à Lou Andreas-Salomé, datée du 18 août 1903, le jeune Rilke cite d’ailleurs « A une heure du matin » de Baudelaire, qui se réfère à une sensation tout à fait opposée :

Enfin ! seul ! On n’entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin ! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même3.

Le silence de Baudelaire est ici un soulagement, comme le souligne la répétition de l’exclamation « Enfin ! », un soulagement lié au plaisir de la solitude et à l’absence de son, qui protège le « je » poétique. Ce silence n’a que peu à voir avec celui de Malte, mais la citation nous apprend cependant que Rilke accorde beaucoup d’importance à cette notion dans l’ensemble de son œuvre – poèmes, prose, correspondance –, au point de devenir un fil conducteur de son écriture.

Face au silence, les bruits, sous toutes leurs formes, fascinent le poète autant qu’ils le plongent dans la peur. Les sons du monde l’ouvrent à de nouvelles possibilités, poétiques, qu’il convient d’explorer car

une fois que l’on a découvert la mélodie de l’arrière-plan, on n’est plus indécis dans ses mots, ni obscur dans ses décisions4.

Dans Les Sonnets à Orphée de Rainer Maria Rilke, son(s) et silence trouvent un espace à leur mesure. Ici, la figure mythique est le « dieu-chanteur5 », car « quand cela chante, c’est Orphée6 ». Le poète autrichien respecte le récit antique, dans lequel le personnage « passe pour représenter la perfection de toute musique […] la musique absolue7 » et incarne « les dons les plus caractéristiques de l’esprit grecs : la musique qui apaise et qui transforme, la poésie qui persuade, la poésie si indissolublement liée à la musique, et qui peut exprimer les louanges des dieux et l’histoire des choses depuis les origines8 ». Placer Orphée face au silence relèverait donc a priori d’une prise de risque absolue, puisqu’il incarne l’exact contraire : le son. Au début du vingtième siècle, les réécritures du mythe interrogeant son silence sont peu nombreuses en Europe, si ce n’est inexistantes. En liant ce personnage avec cette notion, Rilke remet en cause non seulement son rapport au mythe, mais aussi sa relation avec la musicalité poétique.

Les définitions du terme sont en général négatives. Dans le Trésor de la Langue Française Informatisé, le silence est « envisagé par rapport au bruit », comme une « absence de bruit9 ». Dans le Duden allemand, nous retrouvons le même type de définition sous l’entrée Schweigen : « Ne plus parler ; ne pas répondre ; ne rien dire10 ». Trois éléments, trois emplois de la négation. Or, en musique, le silence n’est pas une absence, ou un manque, un élément qui aurait dû être là et qui pourtant ne l’est pas : le TLFI indique qu’il s’agit d’un « signe graphique placé sur la portée pour indiquer l’absence ou l’interruption du son ». Le silence existe en lui-même, bien qu’il contraste toujours avec le son (c’est ce que l’on peut comprendre par « signe graphique »). Le silence est une ponctuation, un espace indispensable au déploiement de la musicalité. Sans lui, la mélodie ne peut pas être. C’est pour cette raison que l’article Respiration du TLFI précise : « Pause où doit respirer le chanteur, ce qui lui permet de prendre certaines notes, certains ports de voix afin de respecter un certain phrasé ; endroit marqué par cette respiration (virgule au-dessus de la portée) ». Le dictionnaire en ligne utilise le verbe devoir car effectivement, le chanteur n’a pas le choix : il est obligé de respirer, tout comme la mélodie ne peut se passer de silence. Rilke entend dans Les Sonnets réunir ces deux éléments et rétablir la chaîne naturelle existant entre son brut, chant et silence. La musicalité orphique ne peut selon lui se détacher de ces trois pôles.

Dans les versions originelles, c’est grâce à la musique que le personnage parvient à repousser les limites du possible, en descendant aux enfers pour chercher celle qu’il aime et en remontant sur Terre, sans mourir :

Lorsque le chantre du Rhodope l’eut assez pleurée à la surface de la terre, il voulut explorer même le séjour des ombres ; il osa descendre par la porte du Ténare jusqu’au Styx ; […] après avoir préludé en frappant les cordes de sa lyre il chanta […]11.

Avec son instrument, Orphée défie le monde et les règles qui s’appliquent aux humains : il charme les arbres et les rochers, défie avec succès les sirènes lors de l’expédition des Argonautes, obtient un laissez-passer des dieux de l’Hadès et parvient à chanter une fois décapité. Orphée met en scène la puissance de la musique, incarne l’origine du genre poétique et surtout interroge les limites de l’écriture :

la douleur d’Orphée imposa de nouveau silence à sa musique. […][son] sens primitif semble avoir marqué l’énergie et le pouvoir créateurs. Orphée représente, dans l’opinion de quelques uns, les vents qui arrachent les arbres dans leur course prolongée, en chantant une musique sauvage12.

Comme le montre M. Finck, dans Poésie moderne et musique, Rilke explore les « notions fondatrices d’écoute, de silence, de voix, de souffle, de trace et de résonnance13 » etaccorde une grande place au son : cris des Ménades et des animaux, bruit(s) du monde, murmure(s), chant et mélodie d’Orphée… La « matière sonore14 » du poème est particulièrement travaillée. Dans Les Sonnets, le personnage se trouve apparemment en possession de ses pouvoirs habituels.

Là s’élançait un arbre. Oh, pur surpassement !
Oh, Orphée chante ! Oh, quel arbre dans l’oreille !15

Le texte allemand accentue « Baum » et « Übersteigung » (« arbre » et élévation »), évoquant un mouvement ascendant, ainsi que les éléments correspondant au son : « singt » et « Ohr » (« chante » et « oreille »). Le vertige des sonorités, entre l’écho lexical de « stieg », issu du verbe allemand steigen qui signifie monter16, et « Übersteigung », élévation, ainsi que l’anaphore de « Oh », au début de trois hémistiches, entraînent d’emblée le lecteur dans une approche poétique par essence musicale. Le chant orphique rilkéen se caractérise par la puissance – qu’elle soit physique ou surnaturelle –, incluse dans l’exclamation17. Sans la musique, le mythe n’a aucun sens. Pierre Brunel, dans son Dictionnaire, analyse ainsi le rapport amoureux qu’entretient le personnage avec elle :

Orphée n’est pas seulement la figure du musicien, il est l’amant de la musique, et cette lyre qu’il tient à la main est sa maîtresse18.

Orphée et la musique forment un couple indissociable et si l’instrument devient un objet de désir et d’envoûtement, Orphée joue avec force et passion.  L’harmonie – issue d’Apollon, son père spirituel dans la mythologie grecque – naît de l’unité phonique, avec les assonances en [i] et [ai] et les allitérations en [v] qui traversent le quatrain et lient les éléments entre eux :

Da stieg ein Baum. O reine Übersteigung!
O Orpheus singt! O hoher Baum im Ohr!
Und alles schwieg. Doch selbst in der Verschweigung
ging neuer Anfang, Wink und Wandlung vor19.

La circulation dans le poème se fait à un niveau bien différent de la lecture linéaire et l’alliance « stieg » / « singt » (« montait » et « chante »), placés sous l’accent en allemand, est riche de sens. Chez Rilke, le chant se caractérise par la verticalité20, celle-là même qui unit Orphée au monde divin. En effet, dans le récit mythique, il est un attribut du dieu Apollon, qui fait de lui un être d’exception, entre humanité et divinité, en lui confiant la lyre fabriquée par Hermès. Fils d’un roi et d’une muse, le personnage incarne ce principe fondamental21, puisqu’il est essentiellement tiraillé entre ces deux états. La verticalité ne possède donc pas qu’un sens musical, car le chant d’Orphée n’est pas une simple mélodie : il est magique, certes, mais il est surtout le signe que la beauté et l’harmonie peuvent vaincre le chaos représenté par les adoratrices de Dionysos.

Toi pourtant, divin, toi, jusqu’à la fin retentissant encore,
là sous l’essaim des Ménades dédaignées,
tu as couvert leurs cris par l’ordre, toi, le beau,
des destructrices monte ton jeu créateur22.

Encore une fois, l’allemand reprend le verbe steigen au dernier vers, car son chant poétique est pure élévation. Ainsi, Rilke réorganise les rôles au sein de l’espace poétique : d’un côté, Orphée chante et enchante, conformément au carmen latin23 ; de l’autre, les hommes l’écoutent.

Juste parce que la haine te démembra et te déchira à la fin,
nous sommes les auditeurs maintenant et une bouche de la nature24 .

La transition entre un passé révolu et un présent novateur (le passage de l’un à l’autre est cristallisé dans l’utilisation des adverbes temporels « zuletzt » et « jetzt » à la sonorité très proche, notamment autour des phonèmes [ε], [t] et [ts]) fait office de révolution poétique. Cette idée traverse l’ensemble des Sonnets et c’est probablement ainsi qu’il faut comprendre la fin du dernier vers du tout premier texte : « temple dans l’écoute25 ». La transition entre le « rugissement » du premier tercet (« Geröhr ») et « l’écoute » du deuxième (« Gehör »)26, placés à la rime, est essentielle car elle embrasse l’écart entre bruit et silence, entre ceux qui produisaient et qui maintenant écoutent : les animaux du deuxième quatrain qui « sortirent des forêts […] / pour entendre.27 ». Le rejet de « Hören », au tout début du tercet, met particulièrement en valeur l’opposition entre leurs cris, en trois temps, « Hurler, crier, rugir28 », et l’amplitude du dernier vers. La structure globale du sonnet confirme d’ailleurs l’idée que le silence du poète est essentiel : la mention de l’oreille dans la première strophe rejoint ainsi celle de l’écoute dans la dernière, créant un écho autour de la proximité lexicale et phonique des deux termes « Ohr » / « Gehör », tandis que le texte est traversé par les assonances en [o], [œ]et [aʊ] qui font office de fils conducteurs :

Da stieg ein Baum. O reine Übersteigung!
OOrpheus singt! O hoher Baum im Ohr!
Und alles schwieg. Doch selbst in der Verschweigung
ging neuer Anfang, Wink und Wandlung vor.

Tiere aus Stille drangen aus dem klaren
gelösten Wald von Lager und Genist;
und da ergab sich, daß sie nicht aus List
und nicht aus Angst in sich so leise waren,

sondern aus Hören. Brüllen, Schrei, Geröhr
schien klein in ihren Herzen. Und wo eben
kaum eine Hütte war, dies zu empfangen,

ein Unterschlupf aus dunkelstem Verlangen
mit einem Zugang, dessen Pfosten beben, –
da schufst du ihnen Tempel im Gehör.29

Les sons des animaux sont encadrés dans les tercets par « Hören » au neuvième vers et « Gehör » au quatorzième, tandis que les deuxième et troisième strophes sont liées entre elles par leurs vers initiaux : d’une part, le silence (« Stille30 » en allemand), d’autre part un substantif dérivé du verbe hören, entendre (« Hören »). Placés de façon symétrique sur le vers comme dans la strophe, ces deux noms entrent en résonnance : pour que l’écoute soit fructueuse, le silence doit se faire autour d’Orphée. Mais que se passe-t-il quand il gagne ce personnage ?

En effet, le silence, à l’origine, correspond au personnage d’Eurydice aux Enfers. Chez Ovide, elle ne parle pas et dans une grande majorité de réécritures, même modernes, le personnage féminin reste muet :

Par ces lieux pleins d’épouvante, par cet immense Chaos, par ce vaste et silencieux royaume, je vous en conjure, défaites la trame, trop tôt terminée, du destin d’Eurydice. […] Ils prennent, au milieu d’un profond silence, un sentier en pente […]. Elle lui adresse un adieu suprême, qui déjà ne peut qu’à peine parvenir jusqu’à ses oreilles et elle retombe à l’abîme d’où elle sortait31.

Dans Les Sonnets, la dédicace initiale « Ecrits comme un monument funéraire pour Wéra Ouckama Knoop au château de Muzot, en février 192232 » relie le texte à la figure d’Eurydice. Dans le sonnet I, 25, Rilke s’adresse directement à la jeune danseuse :

Toi, à présent je veux, ô toi que j’ai connue
Comme une fleur dont je ne connais pas le nom,
Me souvenir de toi encore une fois et te montrer à eux,
O disparue, belle compagne de jeux au cri invincible33.

Eurydice est la grande absente du texte rilkéen car ce poème est une exception : Les Sonnets ne sont pas un chant d’amour, ni l’évocation désespérée d’un être cher. Le « je » poétique s’adresse au chantre de Thrace à la deuxième personne, Eurydice a presque disparu... Du personnage, on n’entend rien, comme dans le mythe, et elle continue à incarner le silence. Est-elle dans ce cas une figure complémentaire d’Orphée ? Aussi silencieuse que sa mélodie est puissante ? Femme face à un homme ? Morte alors qu’il s’épuise à vivre sans elle ?

Dans le mythe comme en musique, le silence correspond à une absence, l’exact inverse du son, mais surtout, il est indispensable. Or, dans Les Sonnets, Rilke prend en compte cet aspect de la musicalité et soumet Orphée à l’épreuve du silence. Ce dernier se construit sur une tension fondamentale, à la fois constructive, puisqu’il n’existe pas de chant sans silence, et destructrice, car le silence est aussi ce que l’on pourrait appeler la mort du son34. De la même manière, le silence au sein du mythe se tient entre la construction d’une réécriture fidèle à l’origine – avec l’image d’une Eurydice muette – et la destruction progressive du personnage : un Orphée muet mettant en danger l’ensemble du récit.

Les apparitions de la lyre, élément essentiel du mythe antique, don d’Apollon au jeune chantre de Thrace, peuvent troubler le lecteur. Ce sont les prémices du silence dans l’espace poétique rilkéen : elle n’est plus qu’une « lyre étroite35 » et ses cordes forment une « grille36 ». Comme le note Johana J.S. Aulich,

il traite la lyre comme un objet mécanique […] un musicien aime son instrument et ne pourrait jamais le définir par des mots durs. […] Comme représentation symbolique, la possibilité évoquée ci-dessus est irréaliste : […] les cordes qui se croisent suppriment automatiquement toute résonnance37.

Le silence d’Eurydice fait partie du personnage, mais ici il gagne son époux, ce qui a de quoi surprendre le lecteur. Comment chanter et enchanter dans ces conditions ? Si l’instrument est entravé, si la musicalité ne peut s’épanouir, que devient le mythe ? La musique doit naître ailleurs. C’est la raison pour laquelle le poète tend l’oreille et reste attentif au son du monde.

De ce fait, Orphée se transforme : il choisit le chant au chaos et affronte le silence comme il défie les Ménades. Car, semble-t-il, la musicalité poétique se tient depuis « Sainte38 » de Mallarmé entre son et silence : Rilke les fait coïncider car « le ton n’est pas la voix de l’écrivain, mais l’intimité du silence qu’il impose à la parole.39 » Au troisième vers d’un recueil consacré à Orphée, père de la musique et de la poésie, la formule « Et tout se tut.40 » a de quoi surprendre… Pourquoi introduire si rapidement la notion de silence dans le texte poétique ?

Là s’élançait un arbre. Oh, pur surpassement !
Oh, Orphée chante ! Oh, quel arbre dans l’oreille !
Et tout se tut. Cependant, même dans le mutisme
Naît un nouveau commencement, signe et métamorphose41.

La rupture est opérée au troisième vers, avec une courte phrase déclarative, qui contraste avec les trois exclamations précédentes. Le chant se manifeste dans l’éclat, le silence dans le calme. Il s’étend à l’horizontale, avec l’enjambement des vers trois et quatre. Si, dans un premier temps, on peut penser que « O Orpheus singt! » et « Und alles schwieg. » s’opposent, il n’en est rien : Rilke ne les considère pas comme contraires, chez lui ils sont complémentaires. Ces deux vers sont construits sur le même modèle. Tout d’abord, le premier hémistiche est composé d’une courte phrase, limitée à une syntaxe basique. Nous trouvons ce que nous pourrions appeler un élément « neutre » – l’interjection « O » et la conjonction « Und » –, puis le sujet grammatical et enfin le verbe. Certes, l’un est au présent, l’autre au passé, mais leur emplacement sous l’accent nous invite à les associer et même à revenir au premier vers. « Stieg », « singt » et « schwieg » forment une triade essentielle, celle de la définition de la musicalité poétique des Sonnets. Deux éléments pour le chant, un pour le silence ? En réalité, « stieg » et « schwieg », élévation et silence, forment un duo. « Singt », le chant, est ce qui les relie, comme un facteur distributif. Pour Rilke, laisser une place au silence, ce n’est pas délaisser le son, bien au contraire : il s’agit de rétablir un équilibre naturel et de faire le choix audacieux de donner à lire le silence. Rilke écrit au-delà du son et saisit la problématique dans son ensemble : il envisage le son avec le silence, et non pas contre lui.  

Au vers un, Rilke reproduit le même type de jeu42 entre « schwieg » et « Verschweigung » (« se tut » et « mutisme ») qu’entre « stieg » et « Übersteigunug » (« montait » et « élévation »). Avec le « Und » initial et l’assonance en [i] contenue dans « stieg » / « singt » / « schwieg » / « Wink » (« monte » ; « chante » ; se tut » ; « signe »), Rilke associe chant et silence, car la musique ne peut se passer de lui, et les deux éléments sont complémentaires. En effet, pour que le chant se fasse entendre, le silence doit tout d’abord préexister : sans lui, l’écoute ne serait pas possible.

Les animaux du silence sortirent de la forêt
[…] pour entendre43.

Rilke pose ainsi la question de l’enchantement en se plaçant du côté du récepteur : le charme opère parce qu’il existe un public, que ce soient les animaux de la forêt, ou bien les lecteurs de ce recueil. En se mettant lui-même dans cette  position, Rilke renverse la réécriture orphique. Habituellement, notamment dans les productions de la période romantique en Europe44, le poète est celui qui devient Orphée : or dans Les Sonnets, ce n’est pas le cas. Le « je » poétique observe à distance le « dieu-chanteur » et s’adresse à lui à la deuxième personne45 :

Tu leur as érigé un temple dans l’écoute46.

Le « je » poétique et le personnage ne se confondent pas, ils coexistent et se nourrissent l’un de l’autre. Leur relation est donc basée sur le silence, certes relatif, du « je » et la production d’Orphée, qui est toujours associé au son :

pendant que ton chant reste dans les lions et les rochers,
et dans les arbres et les oiseaux. De là tu chantes encore à présent47.

Le « je » poétique est un auditeur, presque comme les autres, compris dans un « nous » généralisant et un pluriel qui le fait disparaître dans la multitude :

Juste parce que la haine te démembra et te déchira à la fin,
nous sommes les auditeurs maintenant et une bouche de la nature48.

Cependant, il serait faux de croire que la relation du « je » poétique avec Orphée se limite à l’audition, car si son chant est évoqué dans Les Sonnets, nous n’y avons pas accès directement : à aucun moment Rilke n’ouvre les guillemets et la seule voix qui perce ici est bien la sienne. Le chant d’Orphée n’est qu’une rumeur lointaine, la « trace infinie !49 » évoquée dans le dernier tercet du sonnet I, 26. Mais alors quelle est la nature de son mutisme ? Soit le silence d’Orphée est dû à un silence en soi, c’est-à-dire que le mythe s’est tu et que l’on ne peut y accéder que par des versions antérieures, qui permettent de le réactiver ; soit le silence d’Orphée est un silence relatif et son chant est réservé aux seuls initiés, comme le poète. Dans ce dernier cas, la mélodie orphique est encore accessible par le biais d’un intermédiaire, que serait le « je » poétique. Si l’on accepte que le chant orphique ait besoin d’un médium – ce qui au fond a toujours été le cas, lorsque l’on se réfère à l’orphisme antique – le poète devient un intercesseur entre l’humain et le divin. Finalement, si ce type de définition n’a rien d’original, la démarche l’est bien davantage. Le silence relatif d’Orphée demande la production du poète, qui lui-même a dû se taire pour écouter. La relation entre les deux est basée sur ce va-et-vient entre chant et silence :

Mais à toi, Seigneur, oh ! que te vouer, dis-moi,
Toi qui as enseigné l’écoute aux créatures ? –
Mon souvenir d’un jour de printemps,
Sa soirée, en Russie –, un cheval…
[…]
Il chante et il écoute –50

L’animal est capable de « sentir51 » la mélodie du monde, celle-là même qui échappe aux hommes communs. L’objectif est donc bien de faire se rejoindre silence et chant, comme le met en valeur Armel Guerne au sonnet I, 20 en traduisant l’article « der » par « tout » :

Tout chant et toute écoute –, ton cycle légendaire
était en lui fermé52.

Refermer le cercle (Kreis en allemand, dans le texte « Sagenkreis »), voir se rejoindre vie et mort, Orphée et Eurydice, silence et chant : n’est-ce pas l’essence du mythe ? Cette vision traverse l’œuvre de Rilke qui, dès ses Notes sur la mélodie des choses (1898), avait une conception du même ordre :

Sinon, si une intense douleur ne rend pas les humains également silencieux, l’un écoute plus, l’autre moins, de la puissante mélodie de l’arrière-fond. Beaucoup ne l’entendent plus. Ils sont comme des arbres qui ont oublié leurs racines et qui croient maintenant que le bruissement de leurs branches vient de leur force et de leur vie. Beaucoup n’ont pas le temps d’écouter. Ils ne supportent pas d’heure autour d’eux. Ce sont de pauvres sans patrie qui ont perdu le sens de l’existence. Ils tapent sur les touches des jours et jouent toujours la même monotone note diminuée53.

Dans cette citation, nous retrouvons la métaphore de l’arbre – « Baum im Ohr », « arbre dans l’écoute » – qui ouvre le recueil de la maturité (1922) : le silence est lié aussi à ce motif, car tous deux symbolisent l’élévation et la vie, l’un en tant qu’être vivant, l’autre comme respiration. Pour Rilke, l’essentiel est d’écouter « l’arrière-fond », car « toujours derrière toi veille une ample mélodie, tissée de milliers de voix, dans laquelle ton solo ne trouve de place que de temps à autre54 ». Les Sonnets donnent ainsi parfois à voir ce processus, le poète à l’écoute du monde :

Attendez…, ce goût… Il est déjà parti.
… Un peu de musique seulement, un trépignement, un fredonnement – 55

Dans ces vers, la méditation du poète est matérialisée par l’emploi des points de suspension et du tiret. La recherche du mot juste, qui fait appel au silence et à la réflexion, se voit. Face au silence, le son s’étouffe progressivement, jusqu’à mourir (« Il est déjà parti. »). Il ne reste alors de la mélodie d’Orphée qu’un chant atténué, comme le souligne l’emploi conjoint de l’adjectif « wenig » et de l’adverbe « nur ». Il semble difficile de nommer ce que le « je » poétique entend : le mouvement ternaire a ici une valeur corrective, qui rend compte de la méditation du « je », devenue possible dans le souffle et le silence.

Déjà, écoute, tu entends les premiers râteaux
à l’œuvre ; à nouveau le rythme humain
dans le silence où se tient la terre forte
qui précède le printemps56.

Le contraste entre les termes qui désignent le son, reliés par l’écho entre « Harken » et « Takt » placés tous deux en fin de vers, et le silence, « Stille », qui est à comprendre dans le double sens de silence, mais aussi de calme, met en avant les échanges entre la nature (paisible dans ce sonnet) et les hommes, présents dans l’adjectif « menschlich » associé au nom musical « Takt ». Le dialogue entre musique et silence permet alors de concevoir l’unité du monde dans un espace poétique basé sur la circulation de la voix :

Ô vous, si tendres, cheminant parfois
dans le souffle qui ne signifie rien pour vous,
laissez-le se diviser sur vos joues,
après vous, il tremble, puis s’unit57.

Le souffle représente une poésie dont seul le « je » poétique peut atteindre le sens caché. Le deuxième vers du quatrain sous-entend la capacité du poète à lever le mystère. Le souffle est quelque chose de trop mince, de trop imperceptible, c’est la raison pour laquelle il échappe à l’Homme : dans les tercets, Rilke construit une forte opposition entre les éléments désignant la lourdeur, dont le poids pèse particulièrement sur le sens du sonnet de par leur nombre (Gewicht/poids ; Schwere/lourdeur ; schwer/lourd, répété trois fois), et l’élément faisant référence à la légèreté (Lüfte/air). Celle-ci est associée au souffle et à la respiration, représentée par la ponctuation, tandis qu’à la fin du sonnet, le regard s’élève vers le ciel, direction que prennent les arbres du dernier tercet en grandissant. Si le chant poétique se tient dans ce souffle, entre son et silence, ciel et terre, alors effectivement, il ne peut appartenir à n’importe qui. Comme le chant d’Orphée, il est le signe d’une élection.

En vérité, chanter est un autre souffle.
Seulement un souffle. Une brise en Dieu. Un vent58.

Ce sonnet est encore l’occasion d’apporter une nouvelle révélation, comme l’indique le complément prépositionnel initial. Le « je » poétique, héritier d’Orphée, délivre une vérité par le biais de ce souffle, qualifié d’« autre ». Il est chez lui ce murmure d’un autre ordre, ce presque rien qui fait basculer le sens dans l’absence de son. Ainsi, au début du poème, une question fondamentale est posée :

Mais comment un homme, dis-moi, pourrait-il
le suivre par cette étroite lyre ?59

Il existe une profonde séparation entre ces deux formes de musicalité, qui se cristallisent à la fin du texte dans la métaphore de l’air, c’est-à-dire l’anadiplose de « Hauch » (souffle) et la variation autour du vent, par l’emploi d’un terme générique « Wind » et d’une occurrence plus spécifique « Wehn ». Rilke définit le chant en deux temps dans ce poème : au vers 7, « Le chant est existence60 » ; au vers quatorze, « Seulement un souffle61 ». Les deux définitions sont par ailleurs toujours liées à la présence de Dieu62. Le souffle, base de la mélodie orphique, est donc bien le signe matériel d’une élection.

Lui, le silencieux, se tient dans la pause du souffle
De tout l’argent, qui éveillé ou endormi, respire.
[…]
Dicible uniquement par le chanteur.
Audible uniquement par le divin63.

La poésie n’est pas un art accessible à tous, car sa force se trouve dans l’adverbe « nur », répété à deux reprises. Elle opère une sélection parmi les auditeurs, puisque le vulgaire n’est pas capable de prêter l’oreille : elle est quelque chose qui ne s’ouvre qu’à l’initié, celui qui parvient à porter en soi le silence. Déjà dans ses Notes sur la mélodie des choses Rilke annonçait :

Je ne peux pas m’imaginer plus heureux savoir
Que dans celui-là seul :
Qu’il faut devenir un initiateur64.

Rilke, sur les traces d’Orphée, se transforme dans ses Sonnets en cet initiateur qu’il désirait plus que tout être à l’âge de vingt-trois ans. Le lecteur n’a plus qu’à suivre les deux figures et progresser dans le recueil, jusqu’au cogito final adressé au « silencieux ami de multiples lointains65 » :

Je coule.
[...] Je suis66.

Le silence du poète et d’Orphée est un silence en soi, une tâche qu’ils portent à chaque instant et qui ne peut être confiée qu’à eux : comme avec le Weltinnenraum, où le monde rejoint l’intime, Rilke se tend entre la mélodie du monde et le silence en-dedans :

– à l’intérieur empli de silence et de lamiers –67

Les tirets encadrent le vers et délimitent un intérieur à la fois clos sur lui-même et ouvert sur le monde. En effet, les tirets ne referment pas la phrase, ils excluent une partie de cette dernière afin de la mettre en valeur68. Le poète trouve ainsi dans le silence l’abri évoqué dans le sonnet I, 1, qui lui permet de se retirer en lui-même et de créer :

Et où il n’y
Avait presque qu’un abri, pour l’accueillir,

Un antre au creux du plus obscur désir […]69

Accueillir le chant demande de lier silence et solitude, comme dans ce poème du Livre des images :

« Le Silence »

Entends-tu, aimée, je lève les mains –
entends-tu ces murmures…
Quel geste pourraient faire les solitaires
sans que ne les guette une foule de choses ?
[…]
Mais toi, la seule à qui je pense,
je ne te vois pas70.

Silence et solitude71, deux thématiques essentielles de la création rilkéenne, fondent l’écriture poétique car ils sont nécessaires pour entrer en soi-même, s’ouvrir au Weltinnenraum et approcher le chant d’« un autre souffle72 », issu d’Orphée et d’Apollon. Ainsi, dans Les Lettres à un jeune poète, le courrier daté du 17 février 1903 est assez clair sur ce point :

décrivez vos tristesses et désirs, les pensées qui vous traversent l’esprit et la croyance en une beauté, quelle qu’elle soit – décrivez tout cela avec une franchise profonde, silencieuse, humble et utilisez pour vous exprimer les choses de votre environnement, les images de vos rêves et les objets de vos souvenirs. […] Essayez de lever les sensations englouties de votre passé lointain ; votre personnalité sera affermie, votre solitude sera élargie et deviendra un logis somnolent où le bruit des autres passe au loin73.

Cette solitude propice au silence – ou bien est-ce le silence propice à la solitude ? – est un recueillement74. Le silence serait donc quelque chose qui doit appartenir au poète : comme Dieu, que Rilke veut posséder personnellement – et non anonymement – il peut être apprivoisé, contrairement à la musique :

Toi, l’étrangère : musique75

La mise à distance passe par l’utilisation de l’apostrophe, le sémantisme du nom, la ponctuation forte et l’absence de déterminant dans le second segment : la musique est ce que le poète ne peut rejoindre. Au mieux peut-il l’entendre, tout comme il peut écouter le silence :

Des voix, des voix. Ecoute, mon cœur, comme seuls
les saints écoutaient […]
Mais écoute le souffle,
La nouvelle ininterrompue, qui se construit dans le silence76.

Le poème rilkéen ne peut exister que dans cet espace presqu’inexistant, où le lecteur sent le souffle du silence :

Respiration, ô toi invisible poème !
[…]
Combien de ces emplacements d’espaces furent déjà
En moi. Beaucoup de vents
Sont comme mon fils77.

Comme la traduction française, l’allemand utilise un adjectif avec un préfixe privatif : « unsichtbar », qui rend bien compte de la nature du silence. En effet, le parallèle qu’établit Rilke entre le visuel (visible/invisible) et le sonore (audible/inaudible) est essentiel : le silence serait dans ce cas l’exact correspondant de « l’invisible », à ceci près que lui, au même titre que la respiration, s’entend. C’est précisément ce qui fonde son intérêt. Le silence n’est pas seulement imperceptible, car Rilke lui donne une profondeur, un « espace pur78 » où se développer : le poème. Ce sont le souffle et la respiration qui définissent l’espace poétique, qu’il soit unique ou multiple79, car ils possèdent la caractéristique de pouvoir traverser les lieux, puisqu’ils appartiennent à la fois à tous et à l’individu, comme au vers douze :

Me reconnais-tu, air, toi, encore plein d’endroits qui furent à moi ?80

Mieux encore, Rilke établit une correspondance entre l’air – fortement spatialisé au vers 9 –, l’espace et les mots, grâce à la rime entre « Orte » et « Worte » qui clôt le sonnet. Le texte poétique devient de ce fait le lieu où peut se déployer le silence, comme dans le sonnet I, 4 où les points de suspension referment le poème tout en laissant visible la méditation du « je », mais aussi celle du lecteur, à venir :

Mais l’air… mais les espaces…81

La métaphore spatiale fonde un nouveau rapport au monde et au poème, ce nouvel espace à géométrie variable, entre la verticalité du chant – avec les points d’exclamation qui ouvrent le recueil – et l’horizontalité du silence – symbolisée par les tirets et points de suspension qui tissent la toile du texte. Le cadre du sonnet, forme fixe aux limites prédéfinies, évolue alors en profondeur et la continuité entre chaque poème ne s’établit pas dans le son, on l’aura bien compris, mais dans le silence. Ici, c’est bien la musique, les murmures et les cris qui viennent le perturber et non l’inverse. Dans cette réécriture, ce ne sont ni les Ménades, ni le chant d’Orphée, ni Dionysos, ni Apollon, qui remportent la victoire finale : le grand vainqueur est l’écoute. Chez Rilke, il semble donc que la poésie cristallise un incessant besoin de se pencher sur le silence, et non sur la profération82 : Les Sonnets sont un langage du silence et rejoignent par là l’idée que la poésie, cette musique muette des mots, est avant tout un genre qui se lit, une expérience intime pour le lecteur qui voit sa conscience entrer en résonnance avec l’« Innenraum » d’un autre.

Avec l’Orphée rilkéen, nous apprenons à voir83 : le silence ne s’entend plus, il se découvre avec les yeux.

Notes de bas de page numériques

1  Rainer Maria Rilke, Sämtliche Werke (I), Insel-Verlag, 1955, p. 379 : «Der Abdruck meiner kleinsten Bewegung / bleibt in der seidenen Stille sichtbar ». Sauf mention contraire, les traductions sont personnelles.

2  Rainer Maria Rilke, Die Aufzeichnungen des Maltes Laurids Brigge, Stuttgart, Reclam, 1997, p. 8 : « Das sind die Geräusche. Aber es giebt hier etwas, was furchtbarer ist: die Stille. »

3  Rilke, Die Aufzeichnungen des Maltes Laurids Brigge, Stuttgart, Reclam, 1997, p. 287.

4  Rainer Maria Rilke, Notes sur la mélodie des choses, Paris, Allia, 2008, p. 52 : « sobald man einmal die Melodie des Hintergrundes gefunden hat, nicht mehr ratlos ist in seinen Worten und dunkel in seinen Entschlüssen. »

5  Rilke, Les Sonnets à Orphée, Paris, Seuil, 2006, p. 102 : « Singender Gott ».

6  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 108 : « ists Orpheus, wenn es singt. ».

7  Pierre Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, Editions du Rocher, 1988, p. 1102.

8  Eva Kushner, Le Mythe d’Orphée dans la littérature française contemporaine, Paris, AG Nizet, 1961, p. 53.

9  Nous surlignons.

10 Duden Deutsches Universalwörterbuch, Mannheim, Dudenverlag, 2007, p. 1510, Schweigen: «nicht [mehr] reden; nicht antworten ; kein Wort sagen». Nous surlignons.

11  Ovide, Les Métamorphoses, Paris, Folio, édition de Jean-Pierre Néraudau, traduction de Georges Lafaye, 1992, p. 320.

12  Mallarmé, Les Dieux antiques, in Œuvres complètes, II, Edition de Bertrand Marchal, Paris, Nrf / Gallimard, 2003, p. 1526.

13  Michèle Finck, Poésie moderne et musique – «Vorrei e non vorrei », Paris, Champion, 2004, p. 106.

14  Michèle Finck, Poésie moderne et musique, p. 10.

15  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : «Da stieg ein Baum. O reine Übersteigung! / O Orpheus singt! O hoher Baum im Ohr!».

16 Duden Deutsches Universalwörterbuch, Mannheim, Dudenverlag, 2007, p. 1607 : «1. sich aufwärts-, in die Höhe bewegen; hochsteigen. 2. a) sich gehend an einen höher od. tiefer liegenden Ort […] begeben. b) sich mit einem Schritt […] an einen höher od. tiefer liegender Platz bewegen. 3. a) im Niveau höher werden, ansteigen. b) sich erhöhen […]» ; Traduction : « 1. Bouger en haut, en hauteur ; s’élever. 2. a) arriver dans un endroit situé plus haut ou plus bas. b) se déplacer en un pas vers un emplacement plus haut ou plus bas. 3. a) se trouver au niveau supérieur, monter. b) augmenter. »

17  Jean-Michel Maulpoix, La Voix d’Orphée – Essai sur le lyrisme, Paris, en lisant en écrivant, José Corti, 1989 : J-M. Maulpoix définit le lyrisme comme le « mouvement escaladant de la parole par lequel le sujet se fraie un passage vers l’idéal » (p. 18) et cite Tel quel de Paul Valéry : « le lyrisme est le développement d’une exclamation » (p. 71). Ce signe graphique serait selon lui un élément qui « reproduit graphiquement l’élévation de [l]a voix, signifie sa présence et manifeste l’emportement du lyrisme » (p. 72).

18  Pierre Brunel, Dictionnaire des mythes littéraires, p. 1093.

19  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Là s’élançait un arbre. Oh, pur surpassement ! / Oh, Orphée chante ! Oh, quel arbre dans l’oreille ! / Et tout se tut. Cependant même dans ce mutisme / naît un nouveau commencement, signe et métamorphose. »

20  Pour M. Finck, il s’agit d’ouvrir le texte à l’« expérience de la verticalité ouverte, de vitalité ascensionnelle offerte, indissociable du chant », p. 119. Ce type d’analyse, du poème comme chant lié à l’exclamation, se retrouve dans La Voix d’Orphée de Jean-Michel Maulpoix, aux pages 74 et suivantes.

21  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 110 : « Non, il tient / l’ampleur de son être des deux règnes. » (« Nein, aus beiden / Reichen erwuchs seine weite Natur. »). On retrouve le même type de métaphore dans le sonnet I, 9 : « Ce n’est que dans le double empire / que les voix deviennent / éternelles et douces. » (« Erst in dem Doppelbereich / werden die Stimmen / ewig und mild. »), p. 116. Orphée est une figure qui passe de l’un à l’autre, du divin à l’humain, des morts aux vivants, du silence au son.

22  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 150 : « Du aber, Göttlicher, du bis zuletzt noch Ertöner, / da ihn der Schwarm der verschmähten Mänaden befiel, / hast ihr Geschrei übertönt mit Ordnung, du Schöner, / aus den Zerstörenden stieg dein erbauendes Spiel. ».

23  F. Gaffiot, Dictionnaire Latin-Français, Paris, Hachette, 1934, p. 267 : « Carmen » : « 1. Chant, air, son de la voix ou des instruments […] 2. Composition en vers, vers, poésie […] paroles magiques, enchantement : carmina vel caelo possunt deducere lunam, VIRG. B. 9, 69, les paroles magiques peuvent même faire descendre la lune du ciel. »

24  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 150 : « Nur weil dich reißend zuletzt die Feinschaft verteilte, / sind wir die Hörenden jetzt und ein Mund der Natur. ».

25  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Tempel im Gehör ».

26  Cette « métamorphose » est analysée par M. Finck dans Poésie et musique, comme « une éducation harmonique fondée sur le binôme silence / écoute » (p. 125).

27  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « drangen aus dem klaren / gelösten Wald […] / aus Hören. ».

28  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Brüllen, Schrei, Geröhr ».

29  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Là s’élançait un arbre. Oh, pur surpassement ! / Oh, Orphée chante ! Oh, quel arbre dans l’oreille ! / Et tout se tut. Cependant même dans ce mutisme / naît un nouveau commencement, signe et métamorphose. // Animaux du silence, oubliant gîte et nid, / sortirent des forêts  claires et délivrées / et là on comprit qu’ils ne se taisaient pas autant / par malice ni par peur, // mais pour entendre. Hurler, bramer, rugir / leur semblait petit à leur cœur. Et où il n’y avait / qu’un abri, pour l’accueillir, // un antre du plus profond désir / avec un seuil, dont les piliers tremblent, – / là tu leur as érigé un temple dans l’écoute. »

30  La question de la traduction de Stille et Schweigen est problématique, puisque le français est moins précis et ne possède pas d’exacts équivalents. Stille désigne non seulement le silence, mais à ce sens premier s’ajoute le sème essentiel de paix et de calme. Schweigen possède un sens plus fort et renvoie à l’absence totale de son. De plus, d’un côté, le silence est passif, de l’autre il émane d’une volonté.

31  Ovide, Les Métamorphoses, pp. 321-322.

32  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 98 : « Geschrieben als ein Grab-Mal für Wéra Ouckama Knoop ».

33  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 148 : « Dich aber will ich nun, Dich, die ich kannte / wie eine Blume, von der ich den Namen nicht weiß, / noch ein Mal erinnern und ihnen zeigen, Entwandte, schöne Gespielin des unüberwindlichen Schrei’s. »

34  Le son est un élément vivant : il dispose d’une existence complète, naît, vit meurt, car il dispose d’un commencement, d’une durée et d’une fin. Encadré par le silence, le son se déploie dans un espace-temps déterminé. Le silence est ainsi ce que l’on pourrait appeler un état initial.

35  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 104 : « schmale Leier ».

36 Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 108 : « Der Leier Gitter ».

37  Johana J.S. Aulich, Orphische Weltanschauung der Antike und ihr Erbe bei den Dichtern Nietzsche, Hölderlin, Novalis und Rilke, German Studies in Canada, Band 10, 1998: « er handelt die Leier als ein mechanisches Objekt […] ein Musiker liebt sein Instrument und könnte es niemals mit harten Worten umschreiben. […] als symbolistische Darstellung ist die obige Möglichkeit unrealistisch : […] die gekreuzten Saiten eleminieren automatisch die Resonanz ».

38  Mallarmé, Poésies, Paris, Nrf / Gallimard, 1992, p. 41 : « À la fenêtre recélant / Le santal vieux qui se dédore / De sa viole étincelant / Jadis avec flûte ou mandore, // Est la Sainte pâle, étalant / Le livre vieux qui se déplie / Du Magnificat ruisselant / Jadis selon vêpre et complie : // À ce vitrage d’ostensoir / Que frôle une harpe par l’Ange / Formée avec son vol du soir / Pour la délicate phalange // Du doigt que, sans le vieux santal / Ni le vieux livre, elle balance / Sur le plumage instrumental, / Musicienne du silence. »

39  Maurice Blanchot, L’Espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955, p. 18.

40  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Und alles schwieg. ».

41  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Da stieg ein Baum. O reine Übersteigung ! / O Orpheus singt! O hoher Baum im Ohr ! / Und alles schwieg. Doch selbst in der Verschweigung / ging neuer Anfang, Wink und Wandlung vor. ».

42  La traduction française ne rend malheureusement pas compte de la parenté entre les verbes et les substantifs, notamment la variation vocalique de [ai] à [i].

43  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Tiere aus Stille drangen aus dem klaren / gelösten Wald […] sondern aus Hören. »

44  Eva Kushner, dans Le Mythe d’Orphée dans la littérature française contemporaine, explique ainsi que le Romantisme allemand avait fait d’Orphée la « représentation idéale de la poésie vivante et créatrice » (p. 74).

45  Ceci explique la tournure du titre : Die Sonette an Orpheus.

46  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « da schufst du ihnen Tempel im Gehör. ».

47  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 150 : « während dein Klang noch in Löwen und Felsen verweilte / und in den Bäumen und Vögeln. Dort singst du noch jetzt. ».

48  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 150 : « Nur weil dich reissend zuletzt die Feindschaft verteilte, / sind wir die Hörenden jetzt und ein Mund der Natur. ».

49  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 150 : « unendliche Spur! ».

50  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 138 : « Dir aber, Herr, o was weih ich dir, sag, / der das Ohr den Geschöpfen gelehrt ? - / Mein Erinnern an einem Frühlingstag, / seinen Abend, in Russland –, ein Pferd… / […] Der sang und der hörte – ».

51  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 138 : « fühlte ».

52 Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 138 : « Der sang und der hörte –, dein Sagenkreis / war in ihm geschlossen. ».

53  Rilke, Notes sur la mélodie des choses, p. 28-30 : « XX. Sonst, wenn nicht ein schwerer Schmerz die Menschen gleich still macht, hört der eine mehr, der andere weniger von der mächtigen Melodie des Hintergrundes. Viele hören sie gar nicht mehr. Sie sind wie Bäume welche ihre Wurzeln vergessen haben und nun meinen, dass das Rauschen ihrer Zweige ihre Kraft und ihr Leben sei. Viele haben nicht Zeit sie zu hören. Sie dulden keine Stunde um sich. Das sind arme Heimatlose, die den Sinn des Daseins verloren haben. Sie schlagen auf die Tasten der Tage und spielen immer denselben monotonen verlorenen Ton. »

54  Rilke, Notes sur la mélodie des choses, XVI, p. 24 : « immer wacht hinter mir eine breite Melodie, aus tausend Stimmen geworben, in der nur da und dort dein Solo Raum hat. ».

55  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 128 : « Wartet…, das schmeckt… Schon ists auf der Flucht. / … Wenig Musik nur, ein Stampfen, ein Summen – »

56 Rilke, Les Sonnets à Orphée,  p. 206 : « Schon, horsch, hörst du der ersten Harken / Arbeit ; wieder den menschlichen Takt / in der verhaltenen Stille der starken / Vorfrühlingserde. ».

57  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 106 : « O ihr Zärtlichen, treten zuweilen / in den Atem, der euch nicht meint, / lasst ihn an euren Wangen sich teilen, / hinter euch zittert er, wieder vereint. »

58  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 104 : « In Wahrheit singen, ist ein andrer Hauch. / Ein Hauch um nichts. Ein Wehn im Gott. Ein Wind. »

59  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 104 : « Wie aber, sag mir, soll / ein Mann ihm folgen durch die schmale Leier? »

60  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 104 : « Gesang ist Dasein. »

61  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 104 : « Ein Hauch um nichts. »

62  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 104 : « Für den Gott ein Leichtes » ; « Ein Wehn im Gott ».

63  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 194 : « Er, der Schweigende, steht in der Atempause / alles des wach oder schlafend atmenden Gelds. […] Nur dem Aufsingenden säglich. / Nur dem Göttlichen hörbar. »

64  Rilke, Notes sur la mélodie des choses, p. 8 : « Ich kann mir kein seligeres Wissen denken, / als dieses Eine: dass man ein Beginner werden muss. »

65  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 214 : « Stiller Freund der vielen Fernen ».

66  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 214 : « Ich rinne. / […] Ich bin. »

67  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 118 : « – innen voll Stille und Bienensaug – ».

68  Martin Riegel, Jean-Christophe Pellat, René Rioul, Grammaire méthodique du français, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, p. 74 : « Quand il est répété, le tiret joue le même rôle que les parenthèses ; il sert à isoler dans un texte un élément (mot, groupe de mots, phrase) introduisant une réflexion incidente, un commentaire, etc. Mais, à la différence des parenthèses, il met en relief l’élément isolé […]. La rupture énonciative semble moins forte qu’avec les parenthèses et l’élément entre tirets peut avoir un rapport syntaxique plus étroit (parallélisme) avec le reste de la phrase. »

69  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 100 : « Und wo eben / kaum eine Hütte war, dies zu empfangen, / ein Unterschlupf aus dunkelstem Verlangen ».

70  Rainer Maria Rilke, Œuvres poétiques et théâtrales, Paris, NRF Pléiade, Gallimard, 1997, p. 199.

71  Dans Les Carnets de Malte Laurids Brigge, le cinquante-troisième fragment oppose aux solitaires le vacarme du monde, dans une description assez proche de la fin du mythe d’Orphée : « Ils ont excité les choses contre lui, afin qu’elles fassent du bruit et couvrent sa voix. » (« Sie haben die Dinge aufgereizt gegen ihn, dass sie lärmten und ihn übertönten. », Reclam, p. 155, nous soulignons). La lutte entre bruit et silence, matérialisée dans l’emploi du verbe übertönen (Cf. Les Sonnets, p. 150 : « hast ihr Geschrei übertönt mit Ordnung, du Schöner » / « Tu as couvert leurs cris avec l’ordre, ô toi le beau », nous soulignons.), est une question centrale de l’œuvre rilkéenne. La citation de Baudelaire, dans la lettre à Lou Andreas-Salomé du 18 août 1903, qui ouvre notre propos, met en valeur le rapprochement qu’établit Rilke entre silence et solitude.

72  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 104 : « ein andrer Hauch. ».

73  Rainer Maria Rilke, Lettes à un jeune poète / Briefe an einen jungen Dichter, Paris, Poésie / Gallimard, 1993 (traduction personnelle) : « schildern Sie Ihre Traurigkeiten und Wünsche, die vorübergehenden Gedanken und den Glauben an irgendeine Schönheit – schildern Sie das alles mit inniger, stiller, demütiger Aufrichtigkeit und gebrauchen Sie, um sich auszudrücken, die Dinge Ihrer Umgebung, die Bilder Ihrer Träume und die Gegenstände Ihrer Erinnerung. […] Versuchen Sie die versunkenen Sensationen dieser weiten Vergangenheit zu heben; Ihre Persönlichkeit wird sich erweitern und wird eine dämmernde Wohnung werden, daran der Lärm der anderen fern vorüber geht. »

74  Blanchot, L’Espace littéraire, p. 11 : « Nous ne viserons pas davantage la solitude de l’artiste, celle qui, dit-on, lui serait nécessaire pour exercer son art. Quand Rilke écrit à la Comtesse de Solms-Laubach (le 3 août 1907) : "Depuis des semaines, sauf deux courtes interruptions, je n’ai pas prononcé une seule parole ; ma solitude se ferme enfin et je suis dans le travail comme le noyau dans le fruit", la solitude dont il parle n’est pas essentiellement solitude : elle est recueillement. »

75  Rainer Maria Rilke, Œuvres poétiques et théâtrales, p. 1025.

76  Rainer Maria Rilke, Les Elégies de Duino, Paris, Seuil, 2006, p. 12 : « Stimmen, Stimmen. Höre, mein Herz, wie sonst nur / Heilige hörten […] Aber das Wehende höre, / die ununterbrochene Nachricht, die aus Stille sich bildet. »

77  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 154 : « Atmen, du unsichtbares Gedicht ! / […] Wieviele von diesen Stellen der Raüme waren schon / innen in mir. Manche Winde / sind wie mein Sohn. »

78  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 154 : « Sein rein eingetauschter Weltraum. ».

79  Dans ce sonnet, Rilke utilise ainsi le pluriel pour parler de la spatialité du texte et du silence (« Räume », au vers 9). C’est aussi le cas dans un poème de la première partie, fortement lié à celui qui ouvre la seconde. En effet, dans le sonnet I, 4, il est question à nouveau d’espaces (« Räume » au dernier vers), comme de vents (« Lüfte », au même vers).

80  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 154 : « Erkennst du mich, Luft, du, voll noch einst meiniger Orte? ».

81  Rilke, Les Sonnets à Orphée, p. 106 : « Aber die Lüfte… aber die Räume… ».

82  Nous prenons ici appui sur l’argument avancé par Jean-Michel Maulpoix, La Voix d’Orphée, p. 17 : « le lyrisme traduit un besoin incessant de langage. » Si l’on admet que le silence soit une autre forme de langage, il semble que nous rejoignons alors cette remarque.

83  Rilke, Die Aufzeichnungen des Maltes Laurids Brigge, p. 8 : « Ich lerne sehen. » (« J’apprends à voir »).

Pour citer cet article

Julie Dekens, « « Und alles schwieg » : l’Orphée rilkéen à l’épreuve du silence », paru dans Loxias, Loxias 33, mis en ligne le 02 juin 2011, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=6668.

Auteurs

Julie Dekens

Agrégée de lettres modernes, doctorante en littérature comparée à l’université de Zurich et de Paris - La Sorbonne, sous les directions de Patrick Labarthe et de Jean-Yves Masson, Julie Dekens travaille sur la figure d’Orphée dans la création poétique moderne et contemporaine de langue française, allemande et suédoise. Quelques articles à paraître abordent ainsi les notions de mythocritique, de réécriture et d’interdisciplinarité, comme « Le fantôme d’Orphée : traces et survivances d’un mythe dans Le Violon enchanté de Fernando Pessoa et Les Sonnets à Orphée de Rainer Maria Rilke » dans la revue Conserveries Mémorielles de l’université de Laval (Canada), ou encore « Réécrire l’origine poétique au vingtième siècle : l’expérience du Bestiaire ou cortège d’Orphée. Étude comparée avec Les Métamorphoses d’Ovide », dans la revue de l’université de Laval.