Loxias | Loxias 31. Autour des programmes de concours 2011 (agrégation, CPGE) | I. Agrégation de Lettres et d'Anglais, CPGE Lettres |  Montaigne: livre I des Essais 

Josiane Rieu  : 

Les anecdotes dans le livre I des Essais

Plan

Texte intégral

1Si les Essais sont un objet d’étude séduisant, c’est souvent parce qu’on y voit un système complexe d’écriture spéculaire ; une lente et oblique représentation du moi. C’est d’ailleurs le livre III qui reçoit la faveur de la critique, comme celui où l’auteur abandonnerait enfin les collections d’exemples entassés « pêle-mêle », selon Pierre Villey1, et à peine suivis de quelques commentaires, pour développer à loisir et dans leurs méandres ses propres jugements et sa recherche introspective. Pourtant, malgré la présence des trois couches du texte et donc de toutes les étapes de l’écriture de Montaigne dans le livre I, les allongeails ne font souvent qu’ajouter à la liste anecdotes et exemples, là où un lecteur moderne guettait la réflexion personnelle. Or, le principe de la succession d’anecdotes livrée à la méditation est profondément lié à la conception et à la genèse des Essais2. Nous voudrions donc comprendre ce qui faisait l’intérêt de ces anecdotes pour Montaigne lui-même : dans quelle mesure il y puise la matière, le « gibier » d’un enseignement et d’une réflexion philosophique ; dans quelle mesure aussi il a pu trouver dans ces espaces protégés à l’intérieur du tissu discursif une liberté d’écriture, jusqu’à élaborer une véritable poétique de l’anecdote ; en quoi enfin il y inscrit la fin même de sa quête, comme d’une redécouverte du réel, seul lieu de connaissance réciproque d’un moi au corps à corps avec le monde.

Les anecdotes ou le « gibier » de la réflexion

2Nous ferons une distinction entre les anecdotes et les exemples. L’anecdote est une petite histoire autonome, qui relate un fait ponctuel. L’exemple peut évoquer des vérités générales, des coutumes, et se réduire à une simple allusion. L’anecdote est donc une variété particulière d’exemple, qui relève plutôt du genre narratif, et permet de créer de véritables mises en scène. Montaigne, lui, ne semble pas faire de distinction : il emploie indifféremment pour présenter ses anecdotes les mots « exemple », « conte », « trait », « histoire »3. C’est le mot « exemple » qui revient le plus fréquemment.

3De fait, tout récit inclus dans les Essais semble bien jouer le rôle de l’exemplum, c’est-à-dire servir de preuve à l’appui d’un exposé, selon la tradition héritée de l’Antiquité et du Moyen Age4, encore très vivace au XVIe siècle, avec la vogue des recueils d’exempla et le genre didactique des « leçons ». Ces exempla étaient introduits par des formules stéréotypées comme sic, fertur, legitur, sicut ego vidi…, proches de celles de Montaigne5. Ils avaient valeur de témoignage et on les puisait chez les auctores ou dans les souvenirs personnels. Nicole Cazauran écrit que dans les Essais « les narrations, si vives, si plaisantes qu’elles soient, ne sont jamais que des “exemples” dont l’esprit s’empare aussitôt pour en tirer quelque profit »6.En fait, Montaigne essaie de se situer entre deux traditions d’écriture des anecdotes-exempla : la tradition historique d’une collection de faits précis et avérés – sur laquelle s’appuie aussi la jurisprudence, et pour laquelle il importe que les faits soient authentiques –, et la tradition philosophique, dans laquelle l’exemple ne sert que d’illustration, d’ornement… André Tournon a montré comment Montaigne renvoyait dos à dos ces deux types de paroles pseudo-dogmatiques pour faire surgir les matériaux d’une philosophie du contingent7. A cet égard, les anecdotes sont peut-être le lieu d’expérimentation d’une nouvelle écriture philosophique. Si dans la structure de l’essai elles gardent leur position d’exempla, Montaigne va peu à peu déplacer leur fonction initiale, puisqu’il ne s’agit pas pour lui d’exposer le résultat d’une réflexion (plus ou moins illustrée), mais que sa réflexion naît des anecdotes ou « exemples », comme le lieu de la seule véritable investigation possible pour celui qui veut ramener la philosophie, des nues où elle était montée, à la mesure humaine :

Mais venons en aux exemples qui sont proprement du gibier des gens foibles de reins, comme moy (I, 14, p. 58).

4L’histoire fournit la matière première d’une réflexion d’honnête homme, libre, dégagé des pratiques d’écoles. Les sources des anecdotes sont révélatrices : la moitié vient des recueils d’exempla (dont Plutarque traduit par Amyot, largement en tête, puis Diogène Laerce, Diodore de Sicile, Valère Maxime, et des recueils plus récents comme ceux de Textor, Zwinger, Bodin, Bouaystuau, Stobée…) ; puis des ouvrages d’histoire – histoire antique (Hérodote, Pline, Xénophon, Tite-Live, Suétone, Tacite…) et moderne (les récits de voyageurs, Gomara, Thevet, Jean de Léry ; les Mémoires des Frères Du Bellay, Guichardin, Bouchet, Froissart…) – ; en dernier quelques ouvrages philosophiques, avec une belle place pour Sénèque. Or, ce que Montaigne admire chez Plutarque est qu’il ose comparer des hommes de différentes époques, et donc contrevenir à l’esprit scrupuleusement historique. Il le défend sur ce point :

C’est justement attaquer ce que Plutarque a de plus excellent et louable : car en ces comparaisons […] la fidélité et syncérité de ses jugements égale leur profondeur et leur poids. C’est un philosophe qui nous apprend la vertu (II, 32, p. 726).

5Cette position semble être celle des humanistes, nous trouvons le même type de réflexion chez Amyot, dans sa Préface aux Œuvres de Plutarque. Après avoir rejeté les ouvrages qui apportent seulement une vaine et oiseuse délectation, ainsi que ceux « trop austères » qui ne prennent pas soin « d’adoucir la peine » qu’on prend à en recueillir le profit, Amyot loue « la lecture des histoires comme à celle où il y a plus d’honnête plaisir conjoint avec l’utilité et qui a plus d’efficace pour ensemble plaire et profiter, réjouir et enseigner… »8. L’important, écrit aussi Montaigne, est ce qui peut servir « à nous conduire » (III, 12, p. 1055, C) :

Plutarque nous diroit volontiers de ce qu’il en a faict, que c’est l’ouvrage d’autruy, que ses exemples soient en tout et partout véritables ; qu’ils soient utiles à la postérité, et présentés d’un lustre qui nous esclaire à la vertu, que c’est son ouvrage (I, 21, p. 106).

6Toutes les intrusions étrangères, de même que les « pastissages de lieux communs » (III, 12, p. 1056), ne doivent pas être rapportés tels quels, avec une vénération aveugle, mais éclairés sous un lustre personnel qui les transfigure et témoigne d’une réelle appropriation de ce trésor commun. Les anecdotes sont donc au premier degré des repères proposés à l’imaginaire du lecteur en vue d’un profit moral, et ceci aux trois états du texte. Cependant, dans la mesure où elles ne sont pas subordonnées à une doctrine, mais où chacun est invité à exercer son propre jugement, le rôle de Montaigne va se déplacer. L’organisation des anecdotes entre elles sera aussi « profitable » que leur message interne ; c’est même là qu’elles trouvent leur véritable valeur. Les disfonctionnements, les oppositions, obligent le lecteur à s’élever au-dessus de la multiplicité de l’événementiel pour élaborer sa propre loi morale et se détacher finalement de l’anecdotique. Dans le chapitre 24 (A), Montaigne présente deux exemples de clémence qui ont eu des résultats opposés, puis il cherche la « leçon » :

…Le plus seur […] est à mon advis de se rejetter au parti où il y a plus d’honnesteté et de justice […] comme, en ces deux exemples que je vien de proposer, il n’y a point de doubte qu’il fut plus beau et plus généreux à celuy qui avoit receu l’offence de la pardonner que s’il eust fait autrement. S’il en est mes-advenu au premier, il ne s’en faut pas prendre à ce sien bon dessein… (I, 24, p. 128).

7Ainsi, le sens n’est pas inscrit dans les signes que pourraient être les histoires (comme jusqu’à présent dans la tradition narrative des « exemples ») : il faut aller le chercher en frayant son chemin parmi des « cas » qui ne sauraient constituer à eux seuls la matière d’un enseignement moral9. Si les anecdotes ont toujours la possibilité d’être emblématiques10, comme les personnages d’être des modèles ou « patrons » de tels vices ou vertus, Montaigne préfère laisser en suspens une leçon qui devient problématique. A peine sème-t-il quelques indices, moins pour imposer une interprétation d’ailleurs que pour soulever une interrogation. Le lecteur est obligé de prendre une distance et d’exercer sa réflexion. Ces indices opèrent un renversement de perspective in fine, avec la force d’une pointe. L’histoire d’Edouard 1er d’Angleterre par exemple, est racontée en détail, de manière « objective » : le roi avait ordonné qu’après sa mort, on menât ses os sur les champs de bataille pour porter chance à son peuple. Vient alors une formule incisive qui force le lecteur à méditer sur ce qui attirait seulement sa curiosité : « Comme si la destinée avait fatalement attaché la victoire à ses membres » (I, 3, p. 18). Parfois ce sont les clausules des dernières phrases narratives, ou les hyperbates qui jouent le rôle de délivrance d’une « leçon » naissante, que le lecteur est invité à poursuivre, comme autant d’impulsions pour se dégager de la séduction des histoires11. En ce sens les anecdotes font partie des moyens d’interpellations mis en œuvre dans les Essais, et elles prennent volontiers la forme d’un questionnement direct et pressant :

(A) Quoy celuy qui ne daigna interrompre la lecture de son livre pendant qu’on l’incisoit? […] Quoy? Un gladiateur de Caesar endura tousjours riant qu’on luy sondat et detaillat ses playes […] Meslons-y les femmes. Qui n’a ouy parler à Paris de celle qui se fit escorcher pour seulement en acquerir le teint plus frais d’une nouvelle peau?… (I, 14, p. 59).

8Ce ballet d’anecdotes a surtout pour fonction de provoquer chez le lecteur un mouvement de détachement salutaire de ce tournoiement vertigineux, où l’entraîne l’accumulation des exemples. C’est un procédé souvent employé et toujours dans le même but :

(A) Je veux icy entasser aucunes façons anciennes que j’ay en mémoire, les unes de mesme les nostres, les autres differentes, afin qu’ayant en l’imagination cette continuelle variation des choses humaines, nous en ayons le jugement plus esclaircy et plus ferme (I, 49, p. 297).

9L’anecdote-exemple est l’occasion d’une véritable thérapie par le vertige. Les récits des voyageurs du Nouveau Monde sont une mine à cet égard. En juxtaposant des images étonnantes pour le lecteur, Montaigne fait éclater les moules que la coutume a artificiellement plaqués sur ses jugements. Il ne s’agit pas d’anecdotes à proprement parler mais le principe est le même. Le lecteur est testé au cours de la relation détaillée du cannibalisme (chapitre 31), jusqu’au renversement de l’échelle des cruautés (nous les jugeons cruels parce qu’ils mangent des morts, alors que nous torturons des vivants). Dans le chapitre 23, « De la coutume de ne changer aisément une loy receue », Montaigne s’amuse visiblement à provoquer son lecteur, par une accumulation de 42 phrases nominales, courtes (pp. 112-114), qui évoquent des coutumes diverses, souvent opposées, à partir de « il est des peuples où…où…où.. » :

Où en mangeant, on s’essuye les doigts aux cuisses et à la bourse des génitoires et à la plante des pieds. Où les enfans ne sont pas héritiers, ce sont les freres et nepveux […]. Où l’on pleure la mort des enfans et festoye l’on celle des viellarts. Où ils couchent en des licts dix ou douze ensemble avec leurs femmes… (I, 23, pp. 112-113).

10Les détails et nuances maintiennent la vraisemblance historique mais contribuent encore au tourbillonnement, comme une provocation stylistique qui double la provocation « morale ». Montaigne aime bousculer pour éveiller. Dans le chapitre 14 il juxtapose une série d’anecdotes comiques relatant des bons mots prononcés par des condamnés à mort pleins d’humour, puis glisse deux exemples plus sérieux : le valet accusé d’hérésie qui se laisse tuer plutôt que de trahir son maître (est-ce un exemple de bêtise?) ; et plus grave encore, la population d’Arras qui préféra se laisser pendre plutôt que de crier « Vive le roi » à Louis XI. Faut-il aussi se moquer de cette dernière loyauté? Mais si on admire le peuple pour ce courage, ne blâme-t-on pas le roi de France?… (I, 14, p. 52). Le lecteur amusé au début doit abandonner son sourire et s’interroger sur sa gêne12.

11On le voit, le profit attendu des anecdotes est bien plus profond que celui d’une édification morale : il s’agit d’engager le lecteur dans une démarche philosophique d’interrogation sur les événements et les actions, ainsi que sur sa propre faculté de juger. Un passage révélateur du chapitre 50 montre l’enjeu réflexif des essais :

(A) Le jugement est un util à tous subjects, et se mesle par tout. A cette cause, aux essais que j’en fay ici, j’y employe toute sorte d’occasion. Si c’est un subject que je n’entende point, à cela mesme je l’essaye, sondant le gué de bien loing ; et puis le trouvant trop profond pour ma taille, je me tiens à la rive ; et cette reconnoissance de ne pouvoir passer outre, c’est un traict de son effect, voire de ceux dequoy il se vante le plus. (p. 301).

12Au terme de cette première étape de notre étude, nous pouvons dire que si Montaigne a d’abord prévu d’exercer son jugement sur des sujets de « dissertations » qui correspondraient aux titres des chapitres et fournissent le fil directeur dynamique de l’essai, il expérimente que ce sont les anecdotes elles-mêmes, ces morceaux de réalité convoquée dans son écriture, qui sont le véritable lieu d’exercice de son jugement. Mais de plus, cet exercice ne peut guère être que ponctuel, comme un coup de sonde, par lequel le sujet et le monde sont mis en présence, et ne peut pas se déployer de manière organisée par le trop lointain et artificiel fil du raisonnement. La structure de l’essai montre la dérive heureuse, aventureuse, d’un projet resté au rivage du titre : et c’est la force de la réalité, la chair du monde qui peut alors nourrir une réflexion vivante, souple et réceptive aux vibrations de l’histoire, – des histoires.

Poétique de l’anecdote

13L’anecdote ouvre un espace de relative liberté narrative dans les mailles du discours. Nous avons vu que Montaigne ne devient jamais simple conteur, qu’il se sert des anecdotes ; néanmoins, il connaît le pouvoir de révélation du récit dramatique, et en fait un lieu de catharsis. Il y orchestre des moments d’éveil du jugement, et met en scène, autant que les personnages, la naissance du philosophe lecteur. Si le dialogue socratique n’est plus possible (faute d’interlocuteur vivant), c’est l’anecdote qui est l’occasion d’une nouvelle maïeutique narrative.

14Montaigne esquisse lui-même la théorie de ce qui serait un art poétique de l’anecdote, en s’appuyant sur Aristote. Dans un passage célèbre du chapitre 21, il définit son écriture par opposition à celle de l’historien, et même s’il ne prononce pas le mot, c’est au poète qu’il s’assimile :

Il y a des autheurs desquels la fin c’est dire les evenements. La mienne, si j’y sçavoye advenir, seroit dire sur ce qui peut advenir. (I, 21, p. 105-106).

15En fait, Montaigne se réfère ici directement au chapitre IX de la Poétique d’Aristote :

…la différence entre l’historien et le poète […] vient de ce fait que l’un dit ce qui a eu lieu, l’autre ce à quoi l’ont peut s’attendre. Voilà pourquoi la poésie est une chose plus philosophique et plus noble que l’histoire : la poésie dit plutôt le général, l’histoire le particulier. Le général, c’est telle ou telle chose qu’il arrive à tel ou tel de dire ou de faire, conformément à la vraisemblance ou à la nécessité…13.

16Il donne même un équivalent stylistique de ce passage par la juxtaposition de paradigmes, lorsqu’il affirme la valeur du vraisemblable :

Advenu ou non advenu, à Paris ou à Rome, à Jean ou à Pierre, c’est tousjours un tour de l’humaine capacité, duquel je suis utilement advisé par ce récit (p. 105).

17Apprécions cependant les différences : au lieu des indéfinis, Montaigne donne des noms de lieux et de personnes, et substitue au mot « le général », la notion plus précise et incarnée d’« humaine capacité »14. C’est la liberté du poète qu’il revendique, même s’il poursuit une recherche qui ne correspond ni à une discipline ni à une autre (« dire sur ce qui peut advenir »). Il faudrait parler de philosophe du concret, ou d’historien poète, ou de poète du jugement…

18Montaigne suit encore Aristote en matière de composition dramatique. Une anecdote a en général deux parties : une situation présentée jusqu’au moment de l’action, ce qu’Aristote appelle le « nœud », puis la « résolution ». Entre les deux, l’instant décisif du « retournement ». Cette structure est répercutée au niveau même des phrases, lorsque les anecdotes sont très courtes. Une longue phrase épousant les méandres des circonstances, l’origine des personnes, les lieux, etc., présente le sujet et mène jusqu’au moment de l’action. Pour créer un effet de suspens, elle commence par le nom du personnage, séparé du verbe d’action par une série de propositions participiales, relatives, circonstancielles… Puis une phrase plus courte donne la résolution :

(A) Edouard, prince de Galles, celuy qui regenta si long temps nostre Guienne, personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur, ayant esté bien fort offencé par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne peut être arresté par les cris du peuple, et des femmes, et enfans abandonnez à la boucherie, luy criants mercy, et se jettans à ses pieds, jusqu’à ce que passant tousjours outre dans la ville, il apperceut trois gentils-hommes François, qui d’une hardiesse incroyable soustenoyent seuls l’effort de son armée victorieuse. La considération et le respect d’une si notable vertu reboucha premièrement la point de sa cholere : et commença par ces trois, à faire misericorde à tous les autres habitans de la ville (I, 1, p. 7).

19Entre les deux phrases, comme entre les deux attitudes du prince, se situe le sursaut attendu de la conscience qui est supposé susciter en écho chez le lecteur un enseignement. Les anecdotes développées sont encore plus révélatrices du double niveau de suspens dramatique – sur le plan du récit et sur celui d’une révélation intérieure. L’une des plus célèbres est celle du nouement d’aiguillettes : un jeune homme se marie, et l’on craint pour lui la malédiction qui rendrait les jeunes gens victimes de défaillances sexuelles le soir de leurs noces. Pour y remédier, Montaigne lui-même, personnage dans cette histoire, organise une mise en scène proche de la sorcellerie, et dresse une « ordonnance » étrange :

Quand nous serions sortis, qu’il se retirast à tomber de l’eau ; dist trois fois telles oraisons, et fist tels mouvemens ; qu’à chascune de ces trois fois, il ceignist le ruban que je luy mettoys en main, et couchast bien soigneusement la médaille qui y estoit attachée, sur ses roignons, la figure en telle posture… (I, 21, p. 101).

20Le narrateur ménage le suspens, – comme Rabelais pendant les gestes de la sibylle de Panzoust, dans le Tiers Livre –, sans donner la clé ; enfin, après cette description minutieuse, il fait éclater la solution dans une pointe :

Ces singeries sont le principal de l’effect. (ibid.)

21Ce qui était mis en scène ici était la révélation de l’absurdité de telles croyances, alors que le lecteur pouvait s’être pris au jeu du conte, – et non l’histoire elle-même, dont on apprendra accessoirement qu’elle finit bien. La seule vraie mise en scène des Essais est celle de la naissance du jugement.

22Dans la structure dramatique philosophique que Montaigne inscrit dans ses anecdotes, il y a bien deux temps : le « nœud » qui dispose les circonstances et les événements, et la « résolution » non de l’action mais de la réflexion, en contre-champ du texte. Dans ce glissement de domaines, du narratif au philosophique, est attendu le moment « profitable » de l’éveil de la faculté de juger, – véritable foyer dramatique (décentré) des anecdotes.

23Ce moment peut être réintégré à l’action par le biais de discours rapportés, où l’un des personnages tire lui-même la leçon de l’histoire15. L’anecdote de la clémence du duc de Guise est aussi intéressante à ce propos (I, 24, pp. 124-125). On peut y distinguer trois moments. D’abord une longue phrase de treize lignes expose la situation jusqu’à la mise en présence des personnages : le duc, averti d’un complot visant à le tuer, fait appeler son meurtrier présumé. A partir de là, tout se joue dans les discours directs du duc (l’autre n’a droit qu’à des discours indirects, moins efficaces sur le plan dramatique). Second acte : le duc confond le gentilhomme et par ses questions le mène à concevoir l’injustice et l’absurdité qu’il allait commettre. Dernier acte : « résolution », le duc choisit la clémence dans un discours qui contient lui-même trois moments, – récapitulation de l’histoire mise en abyme pour faire éclater tous les enjeux du drame ; décision de pardon ; et ultime leçon de discernement :

Or, suyvit ce Prince, je vous veux montrer combien la religion que je tiens est plus douce que celle dequoy vous faictes profession. La vostre vous a conseillé de me tuer sans m’ouir, n’ayant receu de moy aucune offence ; et la mienne me commande que je vous pardonne, tout convaincu que vous estes de m’avoir voulu homicider sans raison. Allez-vous en, retirez-vous, que je ne vous voye plus icy ; et si vous estes sage, prenez doresnavant en voz entreprinses des conseillers plus gens de bien que ceux-là (I, 24, p. 125).

24Mais si Montaigne utilise toutes les ressources de l’art dramatique, il ne laisse jamais l’émotion du lecteur livrée à elle-même. Aux points les plus forts du pathos, la voix du narrateur vient parasiter le discours direct, en réintroduisant une distance. Par exemple lorsque le duc confond le gentilhomme :

Vous savez bien telle chose, et telle (qui estoient les tenans et aboutissans des plus secretes pièces de cette menée) ; ne faillez sur vostre vie à me confesser la vérité… (I, 24, p. 124).

25Ou bien lorsqu’Auguste confond Cinna :

Ouy, tu as entrepris de me tuer, en tel lieu, tel jour, en telle compagnie, et de telle façon ! (I, 24, p. 126).

26Le narrateur, sous apparence d’épargner les circonstances inutiles rappelle que l’essentiel n’est pas dans les fils de l’enquête policière ni des péripéties romanesques, mais dans l’enseignement que révèlent les attitudes des personnages. L’anecdote devient le lieu d’un savant dosage entre la force de l’émotion dramatique et la mise à distance réflexive, dans l’exacte mesure où elle vise aussi à opérer l’alchimie herméneutique de la création d’un sens à partir de l’événementiel. Cette mesure est la marque du choix philosophique de Montaigne, et de son renoncement à la grandeur pathétique où il sait pourtant mener son lecteur. Il existe un renoncement à la poésie dans les Essais tout autant qu’une fascination pour cette autre voie, plus éblouissante, de la révélation. Car la poésie, pour laquelle Montaigne a « une inclination particulière » est aussi associée aux élans de fureur : elle est « au dessus des règles et de la raison. Elle ne pratique point nostre jugement ; elle le ravit et ravage » (I, 37, p. 232). Et si lui-même aime « l’allure poétique à sauts et à gambades » (III, 9, p. 994), il reste en deçà, inventant là encore une position intermédiaire, celle de l’équilibre du jugement et de la gestion de la mediocritas.

27En effet, Montaigne ne cesse de mettre en avant sa faiblesse, et d’exposer comme siens les défauts qu’Aristote attribuait aux mauvais poètes :

…ennemy juré d’obligation, d’assiduité, de constance ; qu’il n’est rien si contraire à mon stile qu’une narration estendue : je me recouppe si souvent à faute d’haleine, je n’ay ny composition, ny explication qui vaille […] pourtant ay-je prins à dire ce que je sçay dire, accommodant la matière à ma force (I, 21, p. 106).

28Il invente la bienséance interne du locuteur par rapport à son sujet, déplaçant les règles du principe d’imitation : il ne s’agit plus d’imiter un objet extérieur posé devant soi, mais de trouver une poétique de l’écrivain lui-même, où le style imite l’allure interne de la pensée16. C’est ainsi que la composition n’est plus liée au sujet étudié mais au rythme mobile de celui qui cherche (« C’est l’indiligent lecteur qui perd mon subject, non pas moy » III, 9, p. 994)17.

29Le même effort philosophique qui le pousse à élaborer une sagesse individuelle, à sa mesure, fait que lorsqu’il suit les conseils d’Aristote en matière de construction dramatique, Montaigne ramène à sa mesure l’art du poète de la tragédie antique (rêvée) à l’anecdote, plus directement en contact avec le quotidien et le réel.

« Un sujet voué au monde »

30« Le monde est non ce que je pense mais ce qui je vis, je suis ouvert au monde […] mais je ne le possède pas, il est inépuisable » ; « …l’homme est au monde, c’est dans le monde qu’il se connaît » ; «Quand je reviens à moi […] je trouve non pas un foyer de vérité intrinsèque, mais un sujet voué au monde »18 : ces phrases de Maurice Merleau-Ponty ne peuvent laisser indifférent un lecteur des Essais. Nous ne saurions entreprendre ici une étude philosophique, néanmoins, la place que font les Essais aux anecdotes comme source et tremplin d’une perception du jugement en train de s’essayer et de se révéler n’est pas sans implications quant aux relations du sujet et du monde. On sait combien Montaigne condamne les sciences coupées du réel, et fondées sur les créations artificielles de la raison, « subvertissans la vérité de l’expérience » (II, 12, p. 571). Il apporte toute son attention à ses relations avec le réel :

(B) Je ne me tiens pas bien en ma possession et disposition. Le hasard y a plus de droict que moy. L’occasion, la compagnie, le branle mesme de ma voix tire plus mon esprit que je n’y trouve lors que je le sonde et employe à part moy.
[…] (C) Ceci m’advient aussi : que je ne me trouve pas où je me cherche ; et me trouve plus par rencontre que par l’inquisition de mon jugement (I, 40, p. 40).

31Ces « hasards » qui favorisent la révélation du sujet à soi-même sont toutes les sources de contact avec le monde : les choses qui arrivent, la communication avec autrui, et la relation à son propre corps en tant qu’il fait partie du monde (le son de ma voix). L’homme qui regarde en soi se découvre rempli de chimères, de vanité, et ne peut que se perdre au labyrinthe des illusions :

(A) Ainsi est-il des esprits. Si on ne les occupe à certain subject qui les bride et contreigne, ils se jettent desreiglez par-cy par-là, dans le vague champ des imaginations […] L’âme qui n’a point de but estably, elle se perd (I, 8, p. 32)19.

32S’il s’agit là d’une observation psychologique, doublée d’un lieu commun de la littérature spirituelle, qui y voit le signe de la corruption de l’esprit de l’homme privé de Dieu, la récurrence du thème dans les Essais invite à aller plus loin. Car ce que Montaigne exprime en termes de psychologie ou de morale engage une attitude phénoménologique avant la lettre. Dès le début, Montaigne n’a jamais voulu « régler » la dérive intérieure par la raison ordonnatrice : son dessein implique la curiosité et la quête. Dans le chapitre 8 « De l’oisiveté » il ne parle que d’enregistrer et de contempler les « monstres fantasques », c’est-à-dire non son univers imaginaire mais les productions de son esprit, ses pensées à l’état naissant, avant toute réorganisation logique (p. 33) ; ce qui suppose une dissociation entre des états de conscience et un cogito au pouvoir synthétique. Dans les Essais le sujet s’appréhende au présent de l’exercice du jugement, dans un corps à corps avec le réel dont le présent du texte donne une image. Cette dimension quasi antéprédicative apparaît bien dans toutes les métaphores corporelles par lesquelles Montaigne évoque cet exercice du jugement :

De cent membres et visages qu’a chaque chose, j’en prens un tantost à lécher seulement, tantost à effleurer, tantost à pincer jusqu’à l’os (I, 50, p. 302).

33D’un « sujet » d’étude sur le modèle des dissertations philosophiques, Montaigne est passé à « chaque chose », avec une anthropomorphisation qui rend bien compte de la révélation du sujet dans un monde qui lui permet de se saisir lui-même à l’instant du contact. La co-naissance est ici réciproque.

34Les anecdotes, dans la démarche philosophique de l’écriture de Montaigne, sont un peu la part du monde concret qui vient étayer l’insoutenable légèreté de l’être, et lui offrir le miroir où s’appréhender. La phrase si souvent citée hors de son contexte comme preuve d’une crise ontologique peut alors être considérée sous un autre jour :

Pendant que nous nous remuons, nous nous portons par préoccupation où il nous plaist : mais estant hors de l’estre, nous n’avons aucune communication avec ce qui est (I, 3, p. 17).

35En fait, si la mort – car c’est de cela qu’il s’agit –, prive de toute communication avec « ce qui est » et non pas avec « l’être », tant que l’homme vit dans ce monde, il a une relation avec l’étant, qu’il établit là encore sur le modèle concret du déplacement du corps dans l’espace : «nous nous portons par préoccupation où il nous plaist». Dans cette promenade de la conscience, le sujet ne se construit pas comme synthèse, il se perçoit temporellement comme existant dans la succession dynamique de ces points de rencontre. Il ne peint pas l’être parce que celui-ci est insaisissable hors du « passage » où il s’intuitionne de manière interne. C’est pourquoi le philosophe crée des mises en situations (ou mises en scène) favorisant la réalisation d’une vérité : celle de l’être humain plongé dans le monde, révélé dans l’essai discontinu d’un jugement qu’il multiplie à l’infini, tant qu’il y a de la vie en lui. Le lecteur à son tour ne saurait se contenter du miroir écrit de cette expérience, mais est invité à faire lui aussi le cheminement individuel, unique, où il expérimentera l’élaboration de la vérité naissante, non pas donnée mais « laborieuse », avec « la même exigence de conscience,… la même volonté de saisir le sens du monde ou de l’histoire à l’état naissant »20 :

Et combien y ay-je espandu d’histoires qui ne disent mot, lesquelles qui voudra esplucher un peu ingénieusement, en produira infinis Essais. Je ne les regarde pas seulement par l’usage que j’en tire. Elles portent souvent, hors de mon propos, la semence d’une matière plus riche et plus hardie, et sonnent à gauche un ton plus delicat, et pour moy qui n’en veux exprimer d’avantage et pour ceux qui rencontreront mon air» (I, XL, p. 251).

36Les Essais sont l’un des ouvrages qui tiennent le plus compte de l’œuvre de lecture, et de la rencontre, à mi-chemin, de plusieurs subjectivités actives, dans une approximation de l’idéale intersubjectivité.

37Ainsi, le jugement s’exerce d’abord sur les anecdotes, et c’est dans un second temps seulement qu’il peut y avoir une interrogation sur le sujet lui-même, lorsque toute illusion d’établissement d’un cogito ou d’un être transcendant préalable est écartée, et qu’il peut alors rendre compte plus abondamment des points de contacts internes qu’il expérimente. Pour le lecteur, les réflexions de Montaigne deviennent une gigantesque anecdote « in medias res », où la réalité de l’unique personnage est restituée dans sa complexité et son mystère. Tout de même, cette attitude phénoménologique sous-jacente invite à reconsidérer le repli qualifié parfois de « narcissique » de Montaigne sur lui-même. La démarche philosophique nouvelle de l’écriture des Essais implique l’invention d’une forme spécifique pour la situation du sujet-dans-le-monde, se découvrant tendu vers l’extérieur. Dès la couche A, lorsque Montaigne conseille de trouver son harmonie en soi, il ajoute que ce serait une folie de se retirer dans la solitude sans s’y être préparé : or, se préparer consiste à peupler son univers intérieur, à se faire un théâtre où pourront s’affronter plusieurs interlocuteurs :

(A) ..presentez-vous tousjours en l’imagination Caton, Phocion et Aristides […] et establissez les contrerolleurs de toutes vos intentions. (I, 39, pp. 247-248).

38La parole des Essais inclut en permanence une structure dialogique : « (A) Vous et un compagon estes assez suffisans théâtre l’un à l’autre, ou vous à vous mesme » (I, 39, p. 247). Or, le théâtre est bien le lieu où l’individu se révèle exclusivement dans sa relation à l’extérieur, aux autres, jusque dans ses monologues. Plus que la révélation de soi, les Essais disent la révélation de l’altérité. Si l’anecdote était d’abord un exemple-emblème où les personnages étaient des « patrons », elle s’ouvre à la reconnaissance de l’autre dans sa différence et son individualité :

(C) Je descharge tant qu’on veut un autre estre de mes conditions et principes et le considère simplement en luy-mesme, sans relation, l’estoffant sur son propre modelle. Pour n’estre continent, je ne laisse d’advouer sincèrement la continence des Feuillans et des Capuchins et de bien trouver l’air de leur train : je m’insinue, par l’imagination, fort bien en leur place.
Et si les ayme et les honore d’autant plus qu’ils sont autres que moy. Je desire singulièrement qu’on nous juge chascun à part soy, et qu’on ne me tire en conséquence des communs exemples (I, 37, p. 229).

39Garder le contact avec l’autre ou le monde, dans son irréductible mystère, est la garantie d’une relation vraie, que l’on peut seulement guetter au moment de sa naissance. La discontinuité de la parole – à laquelle participent la succession des anecdotes et leur brièveté –, garantit aussi cet effet de réel21 .

40Au terme de cette étude, il apparaît que les anecdotes jouent un rôle de révélation du projet même de Montaigne au cours de son écriture. La pression de l’exemplum était énorme, mais dans les Essais l’anecdote attire à elle une réflexion philosophique qui, si elle veut avoir quelque validité, ne peut naître qu’a posteriori, ponctuellement, et rester ouverte comme le réel même à toutes les réflexions des lecteurs potentiels. Montaigne qui aime et a pratiqué l’art dramatique y met en scène parallèlement à une action précise, l’éveil du jugement : le sien ou celui d’un lecteur vivement interpellé, qui peut tester sa lucidité ainsi que la séduction qu’exerce sur lui le « divertissement » des narrations. Les effets de réel même ont une fonction philosophique : car l’anecdote est d’autant plus efficace qu’elle permet l’épiphanie du jugement, et donc de l’être insaisissable, sinon dans le « passage » ou le mouvement du surplomb réflexif. L’anecdote est ainsi un moyen d’inventer un positionnement relationnel du sujet, en permettant de l’ancrer solidement, à chaque fois, au corps du monde.

Notes de bas de page numériques

1  Introduction à l’édition des Essais, P.U.F., 1924, p. XXII. Toutes nos références au texte de Montaigne renvoient à cette édition.

2  Cf. en couche C : « Si j’estoy faiseur de livres, je feroy un registre commenté des morts diverses » I, 20, p. 90.

3  « Conte » (I, 3, p. 11,19…), « trait » (I, 3, p. 17), « histoire » (I, 24, p. 124 : « Jacques Amyot, grand aumosnier de France, me récita un jour cette histoire à l’honneur d’un Prince des nostres…) », « exemple » (I, 1, deux fois p. 8, deux fois p. 9 ; I, 3, p. 18…).

4  Voir J. Th. Welter, L’Exemplum dans la littérature religieuse et didactique du Moyen Age, Paris - Toulouse, 1927

5  « (A) Nous apprenons par tesmoin très digne de foi que… » (I, 14, p. 60) ; « (C) Gens qui l’ont veu l’ont escrit et me l’ont juré » (ibid.) ; « Témoin le peuple Thébain… » (I, 1, p. 8) ; « (B) Je vis en mon enfance…» (I, 24, p. 130)…

6  Précis de littérature française, P.U.F., 1991, p. 142.

7  « Advenu, non advenu… » Montaigne et l’histoire, Actes du colloque de Bordeaux, Klincksieck, 1991.

8  Préface à la traduction des Vies des hommes illustres,de Plutarque, 1559.

9  Remarquons une évolution de la pensée de Montaigne à ce sujet. Dans les textes de la couche A, la conscience morale semblait être le seul rempart contre l’absurde succession des choses ; en couche C, Montaigne ouvre la possibilité d’un sens caché des choses, auquel nous ne pouvons avoir accès, mais qui renoue avec l’idée chrétienne de Providence : « (C) Dieu nous voulant apprendre que les bons ont autre chose à espérer et les mauvais autre chose à craindre que les fortunes ou infortunes de ce monde, il les manie et applique selon sa disposition occulte » (I, 32, p. 216).

10  Par exemple au chapitre 24 : « (B) Ce qu’Alexandre représenta bien plus vivement par effct […] quand, ayant eu advis par une lettre de Parménion que Philippus son plus cher medecin, estoit corrompu par l’argent de Darius pour l’empoisonner, en même temps qu’il donnoit à lire sa lettre à Philippus, il avala le breuvage qu’il luy estoit présenté. Fut-ce pas pour exprimer cette sienne résolution que si ses amys le vouloient tuer, il consentoit qu’ils le peussent faire? Ce prince est le souverain patron des actes hasardeux… » (p. 129)

11  I, 5, p. 25 (A) ; I, 19, p. 78…

12  Dans le chapitre I, 47, De l’incertitude de nos jugements, Montaigne donne plusieurs exemples suivis chacun de deux interprétations plausibles et contradictoires : autre épreuve de libération du jugement par rapport à ses structures, ses habitudes…

13  Aristote, Poétique, traduction Michel Magnien, Le Livre de poche classique, 1990, p. 117.

14  «Ainsi, en l’estude que je traitte de nos moeurs et mouvements, les tesmoignages fabuleux, pourvu qu’ils soient possibles, y servent comme les vrais» (p. 105) : il s’agit d’une anthropologie ou d’une éthologie, a-t-on dit.

15  Montaigne inclut de nombreux discours ou monologues dans ses anecdotes, sur le modèle des anciens. Il passe facilement du récit au discours des personnages, sans marque stylistique autre que « : » (cf. I, 5, p. 28 B).

16  On le voit, Montaigne détourne au profit de sa démarche “philosophique” au sens large, les structures stylistiques comme les grandes lignes de la poétique.

17  Et même s’il risque l’obscurité « laquelle à parler en bon escient, je hay […] et l’éviterois si je me savois éviter » (III, 9, p. 994).

18  Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, collection Tel, 1945 : citations extraites de l’Introduction, pp. XI-XII, et p. V.

19  (A) Il semble que l’âme esbranlée et esmeue se perde en soy-mesme si on ne luy donne prinse : et faut tousjours luy fournir d’object où elle s’abutte et agisse (I, 4, p. 22) ; voir aussi I, 53, pp. 309-310, et citation latine.

20  Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Gallimard, collection Tel, 1945, Introduction, p. XVI.

21  Nous sommes bien consciente qu’il s’agit d’un effet de réel, pour lequel Montaigne a mis en place toute une stratégie de l’écriture, comme nous l’avons un peu vu à propos de la poétique.

Pour citer cet article

Josiane Rieu, « Les anecdotes dans le livre I des Essais », paru dans Loxias, Loxias 31., mis en ligne le 15 décembre 2010, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=6539.


Auteurs

Josiane Rieu

Université de Nice-Sophia Antipolis, CTEL