Loxias | Loxias 30 Doctoriales VII | Doctoriales VII
Patricio Ferrari :
Fernando Pessoa, poète-lecteur-théoricien : des expériences métriques et rythmiques entre-langues
Résumé
En prenant comme point de départ quelques vers inédits de Fernando Pessoa, rédigés en langue portugaise directement dans les marges d’un de ses livres scolaires de latin, cet article s’interroge sur la genèse et les divers enjeux d’un traité de prosodie et de poétique que le poète lusitain devait ébaucher – entre des systèmes métriques différents – à partir des années 1910. C’est à travers l’analyse de quelques strophes d’odes influencées par John Milton et dont l’élément sonore est fort pris en compte, des notes réflexives issues de la relecture de Milton’s Prosody de Robert Bridges et de Classical Metres in English Verse de William Johnson Stone (livres que, comme celui de Milton, Pessoa devait garder sa vie durant) et un certain nombre de scansions réalisées autour de l’éclosion hétéronymique, en 1914, que nous aborderons aussi ce projet pluriel. Et il s’agira d’une pluralité qui ne manque pas de complexité puisque la transposition (ou, du moins, sa tentative) de quelques aspects de la métrique latine à une partie de sa propre production en langue portugaise (et à sa scansion de quelques poètes portugais) devait non seulement inclure un troisième système métrique, l’anglais, mais un système de métrique anglais régis par les nouvelles règles prosodiques que le poète expérimental Robert Bridges commençait à développer à la fin du XIXe siècle.
Index
Mots-clés : Bridges (Robert) , métrique, Pessoa (Fernando), prosodie, rythme
Géographique : Portugal
Chronologique : XXe siècle
Plan
- I. « Tratado de Prosodia e Poetica » chez Pessoa – deux études critiques concernant diverses influences
- II. Le modèle de l’« Ode on the Morning of Christ’s Nativity » de Milton dans des strophes de deux odes de Charles Robert Anon
- III. Pessoa, lecteur-expérimentateur des théories rythmiques élaborées par Robert Bridges et William Johnson Stone
- IV. Études du vers saphique portugais et de la strophe saphique latine
Texte intégral
There is a perennial nobleness, and even sacredness, in work. Were he never so benighted, forgetful of his high calling, there is always hope in a man that actually and earnestly works; in idleness alone is there perpetual despair.
Carlyle1
Dans une des petites feuilles encore lisibles du cahier le plus ancien de Fernando Pessoa2, utilisé essentiellement en 1901, lors du Form IV3, à Durban (Afrique du Sud), nous retrouvons la note suivante : « ? tremblé (music) – | vibrated »4. Entre des chiffres biffés de ce qui semble être le résultat d’un jeu de table et une indication pour un travail scolaire (« Eng[lish] gram[mar] | Analyse »5), cette note peut paraître plutôt insignifiante – une simple traduction d’un mot français, langue étrangère faisant partie du cursus. Et pourtant, lorsque nous y revenons, suite à une lecture attentive de certaines odes de Ricardo Reis, de nombreux poèmes de l’orthonyme (en anglais et/ou en portugais), sa pièce statique O Marinheiro, et de maints passages du Livro do Desasocego, entre autres, nous sommes immanquablement frappés par la valeur matricielle que l’élément acoustique viendra occuper tout au long du développement, si original, de son art poétique.
Il est des lecteurs qui exprimeront leur méfiance : ils diront que la survalorisation de ce qui est à peine une curiosité n’a pas d’enjeu littéraire, et encore moins, de teneur scientifique. Or, ce n’est pas anodin si Pessoa – qui s’essaiera assez souvent à des images et à des effets sonores de vibration – avait senti le besoin, déjà à treize ans, non seulement de traduire le mot « tremblé », mais de comprendre sa signification à partir d’un domaine artistique précis, « music ». C’est à partir et du repérage et de l’analyse de quelques expériences pessoennes autour de la métrique et du rythme entre-langues que nous aborderons l’une de ses entreprises esthétiques les plus déconcertantes : la transposition (achevée ou du moins tentée) du système métrique latin dans la poésie portugaise.6 C’est exactement ce qui semble être à l’œuvre dans les vers transcrits ci-dessous, conçus précisément dans les marges d’un de ses livres scolaires de latin7 :
Nas doridas mãos para teres d’ella
Pensa talvez ella já tendo postos
Olhos fulminantes na vã leveza
Das leves nymphas8
Sans encadrement approprié, la lecture de ce poème (de cette strophe ?) risque de tomber sous le raccourci qui associe tout langage et paysage classiques dans la production de Pessoa à l’autorité sereine de Ricardo Reis – et celle-ci à une influence horatienne, souvent étudiée à partir de certains topoi communs aux deux poètes.9 La critique littéraire alors aborde la poésie de la même façon que la prose, à travers ses thèmes (e.g. Freire, 2004) (ce qui, d’ailleurs, s’avère aussi limitant pour l’analyse de la prose) – sans jamais tendre l’oreille vers l’amont de ces flexions, vers ces « tremblements du sens et des sens », comme écrit le poète et traducteur Patrick Quillier (1988 : 167) qui, depuis une de ses premières études sur Fernando Pessoa, a su signaler un des concepts opératoires les plus féconds de son art poétique : « la vibration » (1988 : 165).
C’est dans les années 1910, probablement aux alentours de l’avènement de l’hétéronymie, en mars 1914, que Pessoa a dû composer les vers que nous venons de citer, en marge d’un livre utilisé précédemment, durant la dernière année de lycée (Form VI), entre février et décembre 1904. Nul hasard. Le fait de créer sur ce manuel scolaire dévoile une posture très pessoenne face à la genèse de sa production : l’écriture à partir d’un modèle, d’une rencontre littéraire, philosophique ou autre – bref, d’une référence (à apprendre, à développer, à modeler, à opposer voire à masquer) cueillie maintes fois de sa bibliothèque personnelle. C’est au dernier chapitre du The Latin Revised Primer (Kennedy, 1898), intitulé « Prosody », que Pessoa, une décennie après ces années de formation en sol africain, reviendra de son propre gré.
Or, avant de nous interroger sur certains aspects esthétiques de ce geste, il serait pertinent de le contextualiser. Si nous acceptons que le style (en poésie) de chaque hétéronyme a été, à part leurs préférences littéraires/philosophiques et leurs thèmes traités, construit par un travail métrique et rythmique, il est difficile de croire que ces marginalia ne correspondent pas aux premières tentatives de façonnement de la voix de Reis – « latinista por educação alheia, e um semi-hellenista por educação propria10 ». Définition du caractère du poète, simple construction de son mythe ? Et pourtant, la confirmation d’un travail auprès de sources latines (et surtout au niveau prosodique) pourrait autoriser un autre regard sur ce passé mythifié. Ces mots, écrits par Pessoa dans sa fameuse lettre testamentaire à Casais Monteiro, le 13 janvier 1935, ne retomberaient-ils pas alors sur un passé moins truqué ? Les vers ne sont pas signés – leur attribution à Reis, sans une étude préalable, serait donc plutôt précipitée. En conséquence, ce qui nous intéresse véritablement c’est de comprendre moins le geste per se que ses enjeux poétiques.
C’est l’existence de nombreux documents portant sur des règles de deux systèmes métriques de nature différente (le latin et le portugais), rédigés sur une même page, qui montrerait des intentions auxquelles nous devons nous tenir lors de notre étude des vers précités. Une des évidences se trouve dans le verso d’un projet intitulé « Tratado de Prosodia e Poetica », où nous lisons la réflexion suivante : « Regras d’accentuação e quantidade determinam as do rhythmo11 ». D’après les mots de Pessoa, ce sont les règles de deux systèmes métriques – du système d’accentuation portugais et du système quantitatif latin – qui déterminent celles du rythme d’un vers. Ces vers (« Nas doridas mãos para teres d’ella / […] »), écrits en haut d’une page où les règles de la strophe saphique latine sont expliquées, nous mènent inexorablement à la question suivante : Pessoa a-t-il tenté d’appliquer une métrique latine à la poésie portugaise ? Autrement dit, a-t-il essayé de quantifier les syllabes portugaises ? Et dans ce cas, en se tenant à quelles règles ? Et qu’en est-il de celles qui régissent la métrique portugaise ?
Certes, a priori, rien d’extraordinaire dans cette entreprise. Envahis par une ambition latinisante, d’autres hommes de lettres portugais s’y étaient déjà lancés bien avant lui. À commencer par les odes horatiennes d’António Ferreira, au XVIe siècle, et de Pedro António Correia Garção, deux siècles plus tard12, en passant par la brève ébauche prosodique du poète Vicente Pedro Nolasco da Cunha en 1815, et quelques réflexions autour de la cadence et de l’harmonie du vers latin menées par le grammairien António Feliciano de Castilho lors de la deuxième moitié du XIXe siècle13, entre autres – c’est toute une tradition séculaire qui s’adonna à cette tentative. Pratique avec laquelle Pessoa aurait pu prendre connaissance à travers un des passages du Tratado de metrificação portugueza de Castilho (1908)14, nom qu’il cite à côté de quelques-unes de ses scansions de vers portugais où la variété des symboles employés pour scander les syllabes démontrent qu’il s’agit d’un travail beaucoup plus complexe que celui de marquer les accents (atones et toniques) (comme l’on s’y attendrait s’il avait strictement suivi les règles du système métrique portugais)15. Or, il est fort difficile de penser que cette pratique latinisante – du moins en langue anglaise sous la plume de Sir Philip Sidney16 – lui était méconnue. Et c’est bien cette culture autre, l’anglaise, qui fournira au jeune poète Pessoa, comme nous verrons, toute une expérience surgie d’un arrière-plan différent de celui de Castilho et des autres précurseurs lusitains.
C’est l’analyse de quelques-unes des scansions réalisées par Pessoa, à Lisbonne, probablement entre 1912 et 1914, ainsi que leur mise en relation avec certaines notes d’ordre scolaire (vers 1904), des poèmes (vers 1904-1905) et des marginalia (vers 1904 et vers 1914-1915), qui nous permettront d’élucider certains aspects de cette aventure latinisante. Dans cette tâche, et afin de mieux comprendre la singularité de ce parcours, nous commencerons par revisiter deux études critiques qui touchent de tout près à notre sujet, celle de Fernando Lemos (1993) et celle de Pauly Ellen Bothe (2003).
I. « Tratado de Prosodia e Poetica » chez Pessoa – deux études critiques concernant diverses influences
C’est Lemos (1993)17 qui, pour la première fois, a publié une partie des écrits de Pessoa18 portant sur divers aspects de la métrique et du rythme : scansions de vers latins, portugais, anglais et français, règles pour l’adaptation du système de versification latine au système métrique portugais, réflexions esthétiques du rythme, différences entre poésie et prose, entre autres. Cette édition, précédée d’une brève étude, permet de cerner le projet pessoen qui, selon son éditeur, aurait été déclenché par la lecture du traité de Castilho19. En s’appuyant sur certains manuscrits de l’enveloppe cataloguée 122, Lemos explique, de manière générale, les paramètres latins utilisés par Pessoa, passant en revue sa formation latine reçue à Durban et les liens formels entre Reis et Horace. Dans son analyse, quoique reconnaissant la possibilité de « outras influências, nomeadamente de poetas ingleses », l’éditeur-critique ne développera jamais cette hypothèse20. En outre, il ne verra dans ces ébauches qu’un projet expérimental où la seule voix pessoenne à être appelée est celle du néo-classique Ricardo Reis21.
Dix ans plus tard, dans un travail comparatiste autour du rythme de l’« Ode maritime » d’Álvaro de Campos et de la tradition de l’hexamètre gréco-romain, Bothe (2003) signale l’existence d’une autre série d’ébauches, dont quelques-unes placées sous le titre « Leis doRhythmo »22. C’est grâce à ces feuilles23 (complètement absentes, et dans la présentation de Lemos et dans son édition) que Bothe proféra une autre hypothèse concernant l’élément déclencheur de ce projet pessoen de travail entre des systèmes métriques. En étudiant trois types d’analyses métriques que le poète effectue de la première strophe d’un sonnet de Camões24, elle parvient à la conclusion suivante : « [e]n los varios textos sobre ritmo y metrificación que Pessoa nos legó[,] el trazo más sobresaliente es precisamente la explicación del ritmo a partir de una tradición ajena a la portuguesa25 ». Avant d’arriver à cette affirmation et qui souligne le caractère composite du travail de Pessoa en tant que prosodiste, Bothe lançait l’avis suivant :
El autor [Lemos, 1993] indica […] que la lectura que realizó Pessoa del Tratado demetrificación portuguesa de Castilho habría desencadenado el proyecto implícito a los escritos de este ‘envelope 122’[;] esto es posible, pero no menos posible es la hipótesis de que Pessoa intentara una prosodia del verso portugués (o de su propia versificación en portugués) de molde clásico, inspirado por los ejemplos del inglés desarrollados por Bridges y Stone en dos textos que se editaron en conjunto como libro, y que puede encontrarse en el espólio bibliográfico del poeta26.
Cette hypothèse, basée sur l’interprétation de documents originaux27, s’aligne sur une tradition très connue de la critique pessoenne, et qui met en avant la forte influence anglaise28. Or, ce que nous devons souligner chez Bothe, c’est qu’elle conjecture une influence anglaise – non à partir d’une intertextualité issue des lectures de poètes lors des années à Durban, mais plutôt des livres d’ordre technique qui se trouvent dans la bibliothèque personnelle de l’auteur. Cette observation de Bothe est, comme nous le verrons au long de cet article, non seulement juste mais surtout déterminante en ce qu’elle donne une autre place à l’avis de Lemos concernant l’influence du Tratadodemetrificação portugueza de Castilho dans l’entreprise latinisante chez Pessoa.
Bien que rédigées à Lisbonne dans les années 191029, ces écrits divers (ou ébauches plutôt) autour de la métrique et du rythme30 sont des réflexions où trois traditions métriques (l’anglaise, la portugaise et la latine)31 sont assez souvent mises en relation. À la différence de Lemos qui bornait les pratiques de scansions de Pessoa (celles de l’enveloppe 122) à la tradition métrique latine (et à l’usage du développement de la voix de Reis), Bothe, en s’attardant brièvement sur quelques-unes des feuilles d’une autre enveloppe du fonds Pessoa (BNP/E3, 145), s’est vite rendu compte qu’au niveau de l’appropriation et des modulations de modèles métriques, Pessoa ne s’était limité ni au système latin ni à la construction de la poésie de Reis. En se référant à l’« Ode Maritima », Bothe note :
[p]uede descubrirse […] un ritmo dominante en el poema que sigue [« Ode Maritima »], por lo menos, dos modelos provenientes de la versificación en lengua inglesa: el modelo de Whitman y el modelo de Blake. En la base de ambos modelos, que describen un verso que ha sido denominado ‘cadenced verse’ en la tradición inglesa, se encuentra el hexametro, esto es, una tendencia del verso por presentar seis acentos dominantes que determinan seis pies métricos. Esta descripción no excluye la posibilidad de identificar en este ritmo la presencia de versos de tradición portuguesa, como el heptasílabo, el decasílabo, u otros […]32.
C’est à travers une scansion (à partir d’une division en pieds et d’un repérage des syllabes atones et toniques) du 18e vers de l’« Ode Maritima » que Bothe essaiera de montrer la présence dominante du dactyle dans l’hexamètre de Campos33 – mètre qui, nous dit-elle, domine cette ode34. En fait, c’est bien dans l’enveloppe que Lemos avait jugée comme étant vouée exclusivement au développement de Reis (122) que nous retrouvons des hexamètres en portugais. Voyons-en un exemple :
Triste de | tanto sof|frer e de | dôr || mais triste que | nunca.35
L’existence de cet hexamètre parmi les ébauches de Pessoa, divisé en six pieds et dont les trois premiers sont des dactyles (syllabe tonique suivie des deux syllabes atones), renforce l’hypothèse de Bothe vis-à-vis de la manière dont Campos aurait pu penser certains vers de son Ode36. Pourtant, ce que Bothe n’indique pas est que ces pieds pourraient bien être, comme nous nous en apercevrons dans notre troisième partie, l’application d’une des « stress-units » (« [the] falling trisyllabic ») puisée chez le prosodiste anglais Robert Bridges37. Mais pour l’instant, ne perdons pas de vue l’étude de Bothe et l’hexamètre de Campos en tant que mètre modelé, adapté et transformé :
Así como los ingleses crearon su hexámetro a partir del modelo greco-romano que después liberaron poco a poco de su estructura rígida, así Pessoa transponiendo el modelo desarrollado por los ingleses al portugués – sin perder de vista, con todo, el modelo greco-romano, y los ritmos tradicionales de la poesía portuguesa, reconocibles en el interior del nuevo verso – crea un hexámetro flexible o libre de una estructura rígida, tal como lo habrían hecho Blake y Whitman38.
Curieusement, si bien des modèles anglais (Blake et Whitman) ont influencé Pessoa, comme le démontre Bothe dans son étude, pour l’écriture de certains vers d’Álvaro de Campos, sa première rencontre avec l’hexamètre a eu lieu à travers les vers d’un autre poète qui, d’ailleurs, devait pratiquer ce mètre d’une manière beaucoup plus restreinte. Il s’agit de John Milton, l’auteur le plus représenté dans le deuxième tome de l’anthologie établie par Francis Turner Palgrave39 et que Pessoa utilisa lors du Form VI, à Durban40. C’est exactement ce mètre que nous retrouvons dans le dernier vers de chaque strophe du « Hymn » de l’« Ode on the Morning of Christ’s Nativity »41, composée en 1629. Non traités chez Bothe, plusieurs documents portent les traces de cette rencontre effectuée encore dans un cadre scolaire.42 Dans un texte non-signé, rédigé en anglais, Campos nous est présenté comme un « Walt Whitman with a Greek poet inside » (Tricórnio43 ; Sensacionismo e Outro Ismos44). Or, lorsqu’il sera question de ses vertus en tant qu’organisateur de longue haleine (« [i.e.] Naval Ode [Ode Maritime], which covers 22 pages of Orpheu, is a very marvel of organisation45 »), c’est le nom de Milton (maître de la forme selon différents témoignages de Pessoa46) qui apparaîtra comme paramètre de comparaison. Mais à quoi bon toucher à l’influence de l’ode miltonienne, si la question qui a déclenché notre étude a été celle de la latinisation (et non de l’anglicisation) du vers portugais ? La raison ne manque pas de complexité : (1) s’agissant d’un processus créatif entre langues (mais aussi entre des traditions métriques différentes), c’est sans exclusion que nous devons l’aborder ; (2) l’étude de Milton, au lycée, en 1904, a vite débouché sur certaines lectures autour de la prosodie, dont celle de Bridges.
II. Le modèle de l’« Ode on the Morning of Christ’s Nativity » de Milton dans des strophes de deux odes de Charles Robert Anon
Dans un autre cahier utilisé, en partie, lors du deuxième séjour à Durban (entre 1902 et 1905), nous retrouvons une liste de six types de strophes d’ode sous le titre suivant :
« Forms of Ode. Stanzas »47. C’est la première de ces formes (que nous citons ici en entier) qui servira à Pessoa de modèle pour quelques strophes de deux odes écrites probablement entre 1904 et 1905 :
(BNP/E3, 153-51v ; Cadernos, 2009 : I, 140)48
La première question qui se pose naturellement est celle de la source des modèles. En d’autres termes, sommes-nous devant une forme existante chez un autre poète, ou s’agit-il d’une construction pessoenne ? Et encore, dans un cas comme dans l’autre, qu’est-ce qui est en jeu ? Une partie de cette question trouve réponse lorsque nous lisons le mot biffé entre le titre « Forms of Odes. Stanzas » et le premier modèle : « <References> »49. Il faudrait donc étudier la provenance de ces références. En voyant les signes utilisés pour la scansion de la poésie latine (syllabes longues et brèves, notées à droite des divers pieds iambiques), spontanément, le premier nom qui pourrait nous venir à l’esprit est celui d’Horace. Non seulement parce qu’il est la référence habituelle, canonique, du vers chez Reis, mais aussi parce que le premier vers de l’Ode IX du Livre Premier50 se trouve traduit dans ce même cahier51. Toutefois, aucun des six modèles ne se conforme à la strophe utilisée par le poète de l’ancienne Venusia.
Au lieu d’associer d’emblée ce modèle à Horace, passons plutôt à l’écoute des quelques-uns des poètes anglais, étudiés par Pessoa lors du Form VI, qui devaient pratiquer l’ode : Cowley, Milton, Marvell, Dryden, entre autres. Et c’est bien chez le jeune Milton, celui qui adapta l’ode pindarique dans son « Ode on the Morning of Christ’s Nativity »52, que nous retrouvons et le modèle et ces marginalia de l’apprenti poète Pessoa :
Fig. 1. Détail de la page 415. John Milton. The Poetical Works of John Milton, [s.d.] (CFP, 8-359)
L’annotation marginale « [English Alexandrine] »53, faite sûrement au lycée54, illustre l’importance donnée à la compréhension de la métrique lors de son éducation scolaire reçue à Durban. C’est bien dans cette ode, nous semble-t-il, que Pessoa aurait, pour la première fois, abordé l’étude de l’hexamètre anglais (connu plutôt comme English Alexandrine). Selon Arthur Wilson Verity, un des éditeurs du poète anglais au XIXe siècle, cette forme de strophe est une particularité spécifiquement miltonienne :
In the Hymn the metrical arrangement, so far as we know, is entirely Milton’s invention. It is an eight-line stanza composed of verses of four different lengths. Lines 1 and 2, 4 and 5, are rhymed couplets of three feet: lines 3 and 6 have five accents and are rhymed: lines 7 and 8 rhyme, 7 being a verse of four feet, and 8 an Alexandrine55.
Concernant la structure du poème, Milton devait se fonder (en introduisant la rime et en abandonnant la forme tripartie de l’ode) sur l’irrégularité du vers pindarique. Or, c’est précisément cette adaptation anglaise que Pessoa copie en haut de la liste dans son cahier et qu’il reprend, sous le nom de Charles Robert Anon56, pour l’écriture de la première strophe de l’« Ode to the Storm »57 et pour deux des strophes finales de l’« Ode to the Sea »58. De cette dernière, nous transcrivons59 l’« Antepenultimate Stanza60» :
Could I describe thy might
In fitting words, and right
Methinks the earth should feel some horrid blow,
But thy too awful61 tones
Are not in words, but moans,
And man knows not the rumblings of thy woe.
For could thy rage in words be spun62
In broken parts the earth should strike the waning sun63.
Le modèle est suivi à la perfection. Or, qu’en est-il des notes prises par Pessoa à côté des vers (1, 2, 4 et 5) de ce modèle d’ode ?64 Dans son introduction, Wilson Verity a indiqué que Milton suivait librement l’exemple du poète Geoffrey Chaucer, soit « a foot consisting of a single syllable at the commencement of a line »65. Tel est ainsi le cas du cinquième vers de la strophe VIII (« That the mighty Pan ») (cf. fig. 1) dont le premier pied (« That ») est composé par une syllabe. Si nous lisons la note laissée par Pessoa à côté de la grille métrique reproduite plus haut et relisons le vers de Milton, nous voyons que la notation des syllabes correspond aux accents (syllabes atones et syllabes toniques) ; le signe « ˘ » signalant que la syllabe est atone et le signe « – » qu’elle est tonique. Voici le vers de Milton :
Voyons maintenant le début de l’« Ode to the Storm ». C’est dans la première strophe de cette ode que le modèle miltonien que nous venons de citer (et avec cette même variation chaucérienne) est encore repris. Par variation, nous entendons que dans un des trimètres iambiques (chez Anon c’est également dans le cinquième vers, « On the steps of day »)66, il y aura une syllabe (au lieu de deux) dans le premier pied – « to make meter more rapid », selon l’indication de Pessoa67. Ainsi la métrique du vers construit-elle la thématique (dans ce cas le mouvement) de la strophe. Dans le vers de Milton que nous venons de citer (cf. strophe VIII, v. 5), il s’agit de lancer la venue rapide du « mighty Pan », laquelle interrompt le calme, la sérénité des gardiens de troupeaux. Et qu’en est-il de la strophe ouvrant l’« Ode to the Storm » ?
I.
Too early day has fled,
With soiléd rays of red
The sun hath sunk beneath its dismal shroud,
In gathering storm array.
On the steps of day
The storm-fiend heaps a cloud upon a cloud,
As in some dreary poet’s tale
The horrid hordes hell-torn of flocking phantoms pale68.
Si nous lisons avec attention, cette strophe (portant le numéro « I. » dans l’original) suit exactement le premier modèle des six strophes transcrites par Pessoa dans le cahier cité plus haut69. Nous avons vu comment, dans deux odes différentes, Anon a suivi le modèle miltonien, appris probablement en cours d’anglais en vue de la préparation de l’Intermediate Examination. Or, il existe encore une autre question qui attire notre attention dans la structure métrique de cette ode, notamment le quatrième vers avec sept syllabes et sa scansion particulière. Voyons donc ce quatrième vers tiré de la première strophe de l’« Ode to the Storm » en suivant la scansion qui figure dans la grille reproduite plus haut :
Chez Pessoa, la scansion indiquerait les accents des syllabes (les atones et les toniques) – indication respectée dans l’écriture de ce vers. Et bien que le quatrième vers de sept syllabes (dont la quatrième syllabe est en –ing) n’existe pas dans cet Hymn de Milton, il est difficile de croire que ces deux strophes de l’« Ode to the Sea » et celle de l’« Ode to the Storm » n’ont pas subi une influence miltonienne ; d’autant plus, lorsque nous nous apercevons que cette dernière (« Ode to the Storm ») avait d’abord porté le titre « Hymn to the Storm »70. Mais pourquoi Pessoa a-t-il fait en sorte qu’Anon prêtât l’oreille à ce modèle miltonien, forme réputée surtout par la singularité de son hexamètre ? Autrement dit, qu’est-ce qui l’a séduit dans son rythme au point de l’adopter pour une de ses premières personnalités littéraires anglaises ?
Il faut savoir que Milton est un des héritiers de l’hexamètre, mètre introduit dans la langue anglaise, d’abord, par Edmund Spencer71. Pour l’usage de ce dernier, selon Kenneth Gross, l’hexamètre « subtly extends the prosodic and syntactic movement before the verse comes to rest on the final rhyme72 ». D’après Gross, ce mètre devait apporter au poème épique de Spencer la possibilité d’élever (de rendre plus présent dans le vers) sa vision de changement et de continuité ; ce fut un moyen musical d’orienter le lecteur vers des réalités accompagnées par des figures mythologiques tout en ralentissant la fin de la strophe par le biais de ce mètre plus long. Bien que musicale comme chez son prédécesseur, son utilisation sera différente chez Milton : « [i]nstead of seeking the gentle marriage of time and eternity, Milton forces them into more radical, often violent and oxymoronic unions […] and his voice echoes not through woods but between earth and sky73 ». Il faut aussi signaler que l’hexamètre chez Milton (si bien placé à la fin de la strophe comme le pratiqua Spencer) n’est pas employé après huit vers de rythme régulier (pentamètres iambiques), mais arrive après une alternance variée (cf. la grille copiée par Pessoa et transcrite ci-dessus). La disjonction miltonienne (qui ne tient pas qu’au schéma de la strophe) sera souvent placée dans l’hexamètre, où, par ce biais, il revisitera, justement, l’usage spencérien (à titre d’exemple voir les strophes III et X du « Hymn »). De même, Anon, dans la fin de son « Ode to the Sea » s’en servira pour y faire le champ où cette tension entre le ciel et la terre aura lieu.
Quant au contenu de l’hexamètre chez Milton, il faut signaler qu’il sera plus étrange que le paysage décrit par Spencer. La Nativity Ode sera constamment traversée par une atmosphère remplie de mystère, d’étrangeté.Et si nous observons la première strophe de l’« Ode to the Storm » de Charles Robert Anon, citée plus haut, simultanément avec la strophe XXVI du Hymn de Milton, l’écho est sans nul doute évident :
So when the sun in bed,
Curtained with cloudy red,
Pillowed his chin upon an orient wave,
The flocking shadows pale
Troop to the infernal jail,
Each fettered ghost slips to his several grave,
And the yellow-skirted fays
Fly after the night-steeds, leaving their moon-loved maze74.
Et si nous nous sommes attardés sur cette relation intertextuelle entre Milton et Pessoa (Charles Robert Anon), c’est bien parce que pour l’un et l’autre la métrique est une partie inhérente du sens – de ce qui fait sens dans le vers. C’est à ce phénomène que le prosodiste anglais Robert Bridges avait été sensible dans son Milton’s Prosody (1901) ; lecture déterminante que Pessoa devait rencontrer avant de quitter l’Afrique du Sud et de l’emporter avec lui s’embarquant pour Lisbonne en août 1905.
III. Pessoa, lecteur-expérimentateur des théories rythmiques élaborées par Robert Bridges et William Johnson Stone
En 1901 un livre assez controversé venait de paraître – Milton’s Prosody, écrit par un contemporain de Pessoa, le prosodiste et poète anglais Robert Bridges75. C’est à partir de certaines lois élaborées dans cette étude d’une centaine de pages, rencontrées à Durban mais reprises des années plus tard, à Lisbonne, que nous voudrions nous rapprocher d’avantage de cette entreprise métrique entre langues chez Pessoa.76 Ces lois, présentées dans la quatrième partie, où Bridges nous explique un nouveau système prosodique afin de traiter de l’accentual verse, naissent d’un fond où la teneur sonore du langage est fort prise en compte. Au début de l’appendice intitulé « Rules of Stress-rhythms », Bridges note : « These laws are merely the tabulation of what my ear finds in English stressed verse77 ». Et sur ce type de « stress » il ajoute : « [it] must all be true speech-stress78 ». Or, l’approche si originale de Bridges concernant la scansion des vers (en particulier sur des vers de Heber, Shelley, Clough, Longfellow et Milton) se fonde essentiellement sur le trait suivant : les syllabes n’ont pas toutes le même poids. Autrement dit, les syllabes ne sont pas toutes égales, ce qui le conduit à leur distinction en trois types : « stressed », « heavy » et « light »79. C’est ce qu’il utilise pour distinguer « the quantitive value of syllables80 ». Ce faisant, Bridges, se détache de la scansion traditionaliste de l’accentual verse81, c’est-à-dire de celle qui différencie tout simplement la syllabe accentuée de la syllabe non-accentuée.
C’est ce contact initial avec les réflexions et les scansions de Bridges qui servira à Pessoa lors de son projet métrique entrepris à Lisbonne82. Et si bien des noms de critiques littéraires comme celui d’Addison83 et de Hazlitt84 apparaissent dans les marges de certains poèmes de Milton et servent à une compréhension au niveau du lexique, d’autres marginalia de l’époque du lycée montrent que l’aspect prosodique était intrinsèque à l’analyse poétique85. La lecture de Bridges devait montrer au jeune Pessoa une possibilité autre d’aborder le vers anglais (surtout celui du Milton de Paradise Lost mais pas seulement) en dehors des règles traditionnelles de l’accentual verse system. Également, la lecture de William Johnson Stone (dont le livre accompagna l’édition de Bridges de 1901) devait lui apporter « suggestions for a quantitative English Prosody86 ». D’ailleurs, dans l’exemplaire existant dans sa bibliothèque personnelle, nous retrouvons un passage marqué par lui, où Stone, justement, définit la différence entre le mètre ancien et le mètre moderne : « in the one the verse scans by quantity alone, the accent being used only as an ornament, to avoid monotony : in the other the functions are exactly reversed, the accent deciding scansion, the quantity giving variety87 ». À côté de cette phrase, Pessoa écrit : « N[ota] B[ene] ». En d’autres termes, d’après cette réflexion, nous dirons que quantity et accent (et c’est ce que Pessoa a dû prendre en compte lors de son entreprise latinisante du vers portugais) ne s’excluent pas nécessairement.
Ce contact avec les deux prosodistes mériterait bien un approfondissement – surtout lors de l’analyse de la poésie anglaise composée à partir de 1905. Mais pour la tâche qui nous occupe ici, suivons Bothe88 et passons à certaines ébauches pessoennes de cette deuxième époque (Lisbonne). C’est d’emblée que nous nous apercevons de la source et de la notation et du langage utilisé89. Dans la vingtaine de feuilles portant sur différentes études prosodiques90 référencées par Bothe, nous observons comment Pessoa déclenche (et fait avancer) son travail à côté des pages de Bridges. Le poète expérimental et prosodiste anglais définit une série de « stress-units or feet » que Pessoa devait reprendre (en grande partie) sous le titre de « Pés rhythmicos91 » mais aussi dans une des feuilles de la fameuse enveloppe 12292. Nous ne transcrivons ici que les unités de la page 97 du livre de Bridges reprises par Pessoa :
Fig. 2. Détail de la page 97. Robert Bridges Milton’s Prosody (1901) (CFP, 8-64).
Même si Pessoa se montre dubitatif vis-à-vis de certaines formes93, c’est en se tenant tout près de la pensée de Bridges qu’il établira une de ses lois du rythme : « Nenhum pé rhythmico pode ter mais de 5 syllabas »94. Voyons un des exemples donnés par Pessoa (sur une partie de vers de Camões) afin d’illustrer ledit pied pentasyllabique95 :
Bridges utilise grosso modo trois symboles : celui donné par « ^ » et qui « denotes a stressed syllable whether light or heavy » ; le deuxième symbole dans son système prosodique est « – » (i.e. « heavy syllable », qui retarde la syllabe « whether by virtue of the length of the vowel […] or by an overcrowding of consonants ») ; et le troisième, « ˘ » nommé « light syllable », et utilisé pour indiquer la syllabe courte « though classicaly long by position, [but] not much retarded by consonants96 ». Ce sont deux de ces symboles que Pessoa utilise pour scander l’exemple du pied pentasyllabique donné ci-dessus. Or, qu’en est-il dans cet autre vers des Lusíadas ?
(BNP/E3, 145-37v)97
Nous voyons que dans cette scansion, et au contraire de la scansion traditionnelle portugaise, ce sont deux mots qui, pris ensemble, forment un pied. La syllabe accentuée (signalée par « ^ ») est la quatrième : « Velloso aMIgo » et « Responde o ouSAdo » et non la deuxième (« VeLLOso amigo » et « ResPONde o ousado »). Or, en tenant compte du fait que la deuxième syllabe des mots « VeLLOso » et « ResPONde » est aussi accentuée (mais, pour Pessoa, moins que « amigo » et que « ousado », il se sert du système de Bridges et les marque « – » (« heavy»), c’est-à-dire comme étant des syllabes qui ralentissent la lecture. Autrement dit, à la Bridges98, le lusitain scande la poésie portugaise en « stress-units », et, ce faisant, l’aborde aussi en tenant compte de paramètres nés à partir d’un autre système métrique.
IV. Études du vers saphique portugais et de la strophe saphique latine
Dans ce même cahier où figurait la forme métrique de l’ode miltonienne utilisée par Anon, il existe (une vingtaine de pages avant) deux autres modèles de strophes d’odes qui avaient intéressé Pessoa en Afrique du Sud, notamment ceux présents chez Horace : la strophe saphique et l’alcaïque99. Ces modèles latins (avec leurs règles) avaient été directement copiés des pages 207 et 208 du The Revised Latin Primer de Kennedy (1898).100
C’est sans doute dès le début de son travail sur les lois rythmiques du vers portugais (environ de 1912 à 1914-1915) que Pessoa se tourne vers Bridges et Stone (1901), mais aussi vers Kennedy (1898). C’est chez ce dernier, précisément en marge des règles pour les strophes saphique et alcaïque101, qu’il écrira les vers avec lesquels nous avons ouvert notre article :
Nas doridas mãos para teres d’ella [Nas doridas mãos [↑ mãos] para teres d’ella]
Pensa talvez ella já tendo postos [<Só> Pensa talvez <†> † [↑ ella já] tendo postos]
Olhos fulminantes na vã leveza [Olhos lucescentes [↓ fulminantes] na vã leveza]
Das leves nymphas
Fig. 3. Détail de la page 207. Benjamin H. Kennedy. The Revised Latin Primer (1898)102
L’existence de ces marginalia, écrites sur la même page que cette strophe saphique d’Horace (Carminvm, Liber Primvs, II, l. 5-8), nous mène d’emblée à la question de savoir si Pessoa a essayé de suivre le système métrique latin lors de cette composition portugaise. Or, avant d’analyser cette présupposée strophe saphique, nous nous attarderons encore sur un travail comparatiste, réalisé par Pessoa, des scansions d’une strophe de Camões103. Nous nous en tenons tout simplement à la scansion du premier vers :
Il s’agit dans 1 (« stress ») : de suivre (sauf pour le pied pentasyllabique) des unités existantes chez Bridges ; dans 2 (« accentuação ») : d’une scansion (syllabes atones, toniques et marque des pauses rythmiques et de la césure) respectant le système traditionnel de la métrique portugaise ; dans 3 (« quantidade ») d’une application pessoenne de règles quantitatives (entre la prosodie latine et portugaise). Et dans ses expériences comparatistes, Pessoa ne se borne pas aux poètes classiques.
C’est la première approche (selon le « stress » et suivant Bridges) que Pessoa utilisera pour scander un vers saphique portugais écrit par Antonio Soares de Passos104. Il faut dire que le vers saphique (à ne pas confondre avec la strophe saphique latine) employé par cet auteur suivait parfaitement le décasyllabe, celui-ci étant obligatoirement accentué sur les 4ème, 8ème et 10ème syllabes. Dans différentes feuilles, Pessoa en effectue une scansion birythmique et deux trirythmiques, respectivement105. Voyons une des scansions trirythmiques106 et essayons de comprendre la raison pour laquelle Pessoa ajoute « peculiar sapphic »107 à son côté :
Le signe « ´ » marque l’accentuation et équivaut, en reprenant la notation de Bridges utilisée dans les stress-units, à ce que Pessoa (dans ses pieds rythmiques et suivant le prosodiste anglais) avait transcrit par « ^ ». D’ailleurs, si nous regardons attentivement ce dernier modèle vis-à-vis du livre de Bridges (fig. 2), nous nous apercevrons que deux des pieds (le deuxième, ˘ ˘ ´ et le troisième, ˘ ´ ˘) sont des calques108. Il n’y a que le premier pied, le pentasyllabique, qui ait été façonné par Pessoa. Nous voyons aussi que la première syllabe du mot « alta » est scandée comme étant « heavy » (notée « – ») et que l’accent principal ne tombe pas sur la quatrième syllabe (ce sera ainsi dans les deux autres scansions109) mais sur la cinquième (ergo « peculiar sapphic »). Mais qu’est-ce qui lie exactement cette scansion d’un vers de Soares de Passos à partir de stress-units et les vers rédigés dans le livre de latin (« Nas doridas mãos para teres d’ella / […] ») ? Retranscrivons les vers écrits in Kennedy (1898) avec la scansion que Pessoa (via Bridges) a faite du vers d’António Augusto Soares de Passos :
Les syllabes accentuées (5ème, 8ème et 10ème) correspondent à celles du modèle dit « peculiar sapphic », selon la scansion de Pessoa110. En écrivant ces vers (« Nas doridas mãos para teres d’ella » / […]), nous ne devrions pas exclure la possibilité, d’un schème rythmique construit à partir des lois de Bridges. En outre, le dernier vers (« Das leves nymphas ») suit le même pied pentasyllabique cité plus haut (˘ ˘ ˘ ^ ˘) et que Pessoa avait appliqué pour la troisième unité rythmique du vers de Camões (« que te partiste »)111. Nous pourrions alors nous poser la question suivante : si dans la composition de ces vers Pessoa avait suivi Bridges, pourquoi l’aurait-il fait dans son manuel de latin ?
Il existe un plan dactylographié portant le titre Da Quantidade, e do Verso Quantitativo, em Portuguez. La septième partie s’intitule « Do Verso Quantitativo em Portuguez112 ». Nombreuses sont les études (scansions) que Pessoa effectue et qui auraient été envisagées pour cette section du projet intitulé « Tratado de Prosodia e Poetica113 ». L’une d’elles est précisément une autre scansion de ce vers de Soares de Passos que nous avons cité plus haut. Cette fois-ci, Pessoa ne suivra ni une scansion du vers saphique portugais en segmentation en pieds à la Bridges (« stress ») ni au niveau des accents selon le système métrique portugais (« accentuação »). Il le scandera (comme nous l’avions déjà trouvé plus haut avec l’exemple du vers camonien114) de manière quantitative :
BNP/E3, 122-31; in Lemos, 1993 : 120
Si ce n’est pas par hasard que ces vers (sans être scandés) apparaissent dans d’anciennes marginalia de l’époque de Durban, à l’intérieur de la couverture d’un de ses livres de cours de latin, The Georgics of Virgil (Book IV) (1892), la compagnie de Bridges et ses stress-units (où l’aspect quantitatif des syllabes avait été pris en compte) signifie beaucoup plus qu’une simple inspiration.
Dans cette entreprise en études métriques, Pessoa se tourne systématiquement vers ses livres de Durban. Il fouille dans sa bibliothèque, il expérimente et il ébauche. Et lors de cette scansion quantitative du vers d’António Augusto Soares de Passos, il semble se rendre vite compte que ce qui est saphique en portugais ne l’est pas forcément selon les règles de versification latine. Le vers saphique de ce jeune poète de Porto, scandé de manière quantitative par Pessoa, se lit ainsi :
alors que les trois premiers vers de la strophe saphique latine se scandent ainsi :
Sur cette même feuille où Pessoa scande quantitativement le vers de Soares de Passos, en haut, il avait non seulement copié le modèle de la strophe saphique latine, mais aussi écrit (et scandé) une strophe saphique selon le modèle métrique latin:
[→ E] Eu\ Ess<e>/a,
† | velho115.
BNP/E3, 122-31; cf. in Lemos, 1993 : 120
Ici (comme dans la dernière scansion du vers saphique de Soares de Passos) Pessoa essaiera d’appliquer des règles quantitatives. Mais comment le fait-il ? À partir de quelles règles prosodiques ? C’est dans son manuel de latin (Kennedy, 1898), utilisé lors du Form VI, qu’il note, probablement entre 1912 et 1914-1915, quelques règles prosodiques pour la langue portugaise. Sur la page où figurent les règles pour les syllabes latines116, nous lisons cette annotation marginale : « Em portuguez são longas : ã, á ; breves à, ă (já, părăr) ». Nombreuses seront les feuilles où Pessoa établira (et biffera) des règles pour la quantité des voyelles et des syllabes en portugais117.
Mélange de systèmes métriques latins et portugais ? Et qu’en est-il de l’usage du système anglais via Bridges ? A-t-il également été utilisé dans cette aventure latinisante ? C’est l’étude prosodique minutieuse de cette entreprise entre-langues (et entre-systèmes-métriques), qui nous permettra de cerner les règles suivies pour l’écriture de ces vers rédigés dans la marge du livre de Kennedy118, et pour cette strophe qui commence par : « Desgraças minhas, só de vêrme triste », ainsi que de comprendre, ce qui importe bien plus encore, jusqu’où (et par quel biais) Pessoa a porté cette expérience latinisante dans l’analyse et la création poétique en langue portugaise.
***
Assurément, cette étude mérite d’être fort approfondie avant de parvenir à des conclusions définitives sur les implications des Rules of Stress-rhythms venues de Bridges aussi bien que sur celles du système de versification latin pour la scansion et l’écriture de certains vers en portugais. Une telle analyse, nous semble-t-il, nous rapprocherait davantage de la poétique de Pessoa qui n’est jamais quitte d’une pensée matricielle résonnante, de préoccupations d’ordre sonore, d’une écoute mentale.
En revanche, il nous paraît que le principal apport de cet article est le fait d’avoir remis en évidence l’intrication d’une des articulations les plus subtiles chez ce poète et qui relève de son étude minutieuse dans (et entre) des traditions métriques différentes. En guise de conclusion, nous dirons volontiers – Eduardo Lourenço l’a exprimé bien avant nous119 – que tout, chez cet écrivain, aboutit à une littérature qui rebondit sur l’expérience littéraire elle-même. Quant au procédé, il faut souligner qu’il s’agit d’une expérience littéraire de diction, d’un processus et d’une manière de dire et de se dire : d’une recherche de style – corrélat premier de l’écoute, du cheminement vers l’hétéronymie ? Ces ébauches de règles et ces marginalia, ces scansions et ces notes en lambeaux, font partie de cette dynamique pessoenne que – dans la mesure où elle se nourrit de ressources sonores – l’on devra patiemment apprendre à ausculter.
Notes de bas de page numériques
1 En marge de cet incipit, Pessoa a écrit : « Bravo ! » (in Virgile, 1902, p. iv). C’est dans la Casa Fernando Pessoa (CFP) que se trouvent la plupart des livres/revues que Pessoa possédait à la date de sa mort (30 novembre 1935). Dans la bibliographie, lorsqu’il s’agit d’un exemplaire de sa bibliothèque personnelle, nous donnons toujours la cote existante précédée du sigle (CFP). Une partie de cette bibliothèque, composée par une totalité de quelques 1300 titres, se trouve chez ses héritiers et dans le fonds Pessoa (BNP/E3) à la Bibliothèque Nationale du Portugal (BNP). Pour consulter le catalogue de sa bibliothèque personnelle voir Pizarro, Ferrari et Cardiello (2010).
2 Cet article est le produit final d’une brève conférence intitulée « Rythmes latins chez Fernando Pessoa : L’expérience de Charles Robert Anon et de Ricardo Reis » tenue le 16 novembre 2007 à l’« Internationaler Kongress : IV. Dies Romanicus Turicencis – Kontaminationen » organisé par l’Universität Zürich.
3 Ce Form équivaut à la classe de seconde du lycée français de nos jours.
4 BNP/E3, 144B-23v ; Cadernos, 2009 : I, 35. Au cours de cet article, lorsqu’il s’agit de citer Pessoa, nous renvoyons d’abord directement à la cote du document original (manuscrit, dactylographié ou mixte) du fonds Pessoa (E3) qui se trouvent à la Bibliothèque Nationale du Portugal à Lisbonne. Nous donnerons ensuite la première publication dudit document. Pour les éditions de Fernando Pessoa (qui sont dans la plupart des cas des publications posthumes – faites par des éditeurs différents), nous avons opté pour faire référence au titre du livre et non à celui de Pessoa. Exemple : (BNP/E3, [cote] ; Cadernos, 2009) au lieu de (BNP/E3, [cote] ; Pessoa, 2009).
5 BNP/E3, 144B-23v ; Cadernos, 2009 : I, 35.
6 Visant à éviter l’alourdissement d’une présentation qui se veut plutôt synthétisante (et descriptive) de ce travail de Pessoa entre des systèmes métriques, cet article n’abordera en détail ni la théorie latinisante de Robert Bridges (dont il sera brièvement question surtout dans la troisième partie de cet article) ni son statut dans la linguistique de nos jours. De même, il ne s’agira pas de confronter les théories pessoennes (et l’application en vers) à celles de la linguistique, générative ou autre. Ce croisement sera dûment réalisé dans ma thèse de doctorat, prévue pour être soutenue à l’Universidade de Lisboa en 2012.
7 Toutes les transcriptions/révisions des documents originaux utilisés dans cet article ont été faites en collaboration avec Jerónimo Pizarro. Pour lesdites transcriptions/révisions, nous avons suivi les signes employés dans l’édition critique de Fernando Pessoa publiée par l’Imprensa Nacional-Casa da Moeda (INCM) : □ espace en blanc laissé par l’auteur ; * lecture conjecturée par l’éditeur ; / / passage mis en doute par l’auteur ; † mot illisible ; < > mot/phrase/segment biffé par l’auteur ; < > / \ substitution par écriture par dessus (<substitution> /substituant\) ; < > [↑] substitution par rayure et addition dans l’entreligne au-dessus ; [↑] addition dans l’entreligne au-dessus ; [↓] addition dans l’entreligne en dessous. Lorsque Pessoa souligne un mot dans l’original, cette mise en évidence sera rendue en italique. Exemple : « Pessoa »au lieu de « Pessoa ».
8 Marginalia de Fernando Pessoa annotées in Kennedy (1898, p. 207). Leur existence (sans transcription) avait été initialement remarquée par Severino (1983, p. 271-272, n. 10).
9 Nous pensons à une des premières études portant sur l’influence horatienne chez Reis (cf. Rocha Pereira, 1950). Presque quarante ans plus tard, dans une conférence sur les odes de Reis, Rocha Pereira abordera brièvement certains aspects du rythme. Elle y mentionne l’utilisation de l’enjambement dans un vers du poète, la théorie de Campos vis-à-vis de la métrique classique et l’avis de Pessoa sur le vers blanc. Rocha Pereira y fait même allusion à l’existence d’annotations scolaires sur l’adaptation de mètres latins (fac-similés in Lopes, 1985, p. 83). Pourtant, elle tombe, à nouveau, dans le discours encyclopédique des références intertextuelles, sans jamais approfondir les enjeux des influences latines sur le plan rythmique (voir 1986, pp. 49-70).
10 Cartas entre Fernando Pessoa e os directores da presença, 1998, p. 257.
11 BNP/E3, 122-16r et 16v ; in Lemos, 1993, pp. 505-106.
12 Voir Rocha Pereira, 1950, p. 6.
13 Voir Lemos, 1993, pp. 15-16.
14 Castilho publia son Tratado de metrificação portugueza en 1851. En 1878, Castilho changea d’avis par rapport à l’application d’une métrique latine au système portugais : “Entretanto, agora, quatro annos depois da 4.a edição [1874], reflectindo novamente na materia, confessamos que a exclusão absoluta que fazíamos da metrificação latina para o portuguez, já nos não parece tão bem fundada. | Subsiste, sim a objecção de não haver em nossa Língua as quantidades, como havia no latim […]” (1908, p. I, 41 ; cf. Lemos, 1993, p. 67, n. 5). C’est dans la 5ème édition (1908) que Castilho insère cette affirmation.
15 Voir BNP/E3, 122-16v, 33 et 34 ; cf. in Lemos, 1993, p. 106, 122 et 124.
16 Pour les expériences du vers quantitatif en anglais menées par Sidney, voir l’étude de Hanson (2001) référencée par Duffell (2008, p. 125).
17 Lorsque nous citons des écrits de Pessoa publiés chez Lemos, nous mettons in. Exemple (in Lemos, 1993). C’est par opposition à (Lemos, 1993), qui fera référence à la brève étude qui précède son travail d’édition. Nous ferons de même avec Bothe (1993). Si notre transcription est différente nous mettrons cf.
18 BNP/E3, 122-1r à 44v.
19 Voir Lemos, 1993, p. 16 ; voir Castilho, 1908, p. I, 41.
20 Lemos, 1993, p. 16. Il nous semble que Lemos doit cette autre hypothèse à l’article de Maria Rocha Pereira (« Leituras de Reis »), où, à son tour et sans jamais développer sa conjecture, elle écrit : « Supomos, efectivamente, que é na não menos rica tradição inglesa que deve buscar-se uma parte considerável da aprendizagem [da adaptação da ode clássica] de Fernando Pessoa » (1950, p. 56). Or, Lemos soutiendra que les formations gréco-romaine et anglaise n’ont pas, dans ce projet, la même importance (voir 1993, p. 23).
21 Voir Lemos, 1993, p. 15 et 17.
22 BNP/E3, 145-32r ; in Bothe, 2003, p. 78.
23 L’existence de ces textes dans le fonds Pessoa (BNP/E3, 145-31 à 55) lui avait été signalée par Jerónimo Pizarro (voir Bothe, 2003, p. 78, n. 31).
24 Voir BNP/E3, 145-39r. Il s’agit du sonnet qui commence par « Alma minha gentil que te partiste », scandé à partir du « stress », de l’« accentuação » et de la « quantidade ». C’est dans notre dernière partie que nous expliquerons ces trois types de scansion.
25 Bothe, 2003, p. 78-79.
26 Bothe, 2003, p. 43, n. 33.
27 Voir BNP/E3, 145-31 à 55.
28 Cf. Sena, 1982, p. I, 89-96.
29 Dans une de ces feuilles, il est question de décrire le type de rythme utilisé par le « mestre » Caeiro (voir BNP/E3, 122-8 ; voir in Lemos, 1993, p. 99). Au verso d’un texte sur le rythme (voir BNP/E3, 122-10v ; voir in Lemos, 1993, p. 101), il y a une référence à la revue Orpheu dont le premier numéro est sorti en 1915 à la fin mars et le deuxième à la fin juin de la même année. Dans cette enveloppe, il existe également des manuscrits (autour de ce sujet) qui ont été rédigés dans des époques différentes. E.g. : en 1904, à Durban (voir BNP/E3, 122-44 ; voir in Lemos, 1993, p. 128) et après 1923, à Lisbonne (voir BNP/E3, 122-8 ; voir in Lemos, 1993, p. 99-100). Ce dernier fait partie d’un texte qui se trouve dans l’enveloppe 14E.
30 Voir BNP/E3, 122 et 145-31 à 55.
31 Il existe certains cas isolés en français (e.g., voir BNP/E3, 122-20r et 43r ; voir in Lemos, 1993, p. 109 et 127) et qui seront abordés dans ma thèse de doctorat.
32 Bothe, 2003, p. 107.
33 Bothe, 2003, p. 81.
34 Voir Bothe, 2003: 41.
35 tudo [↑ nunca] . BNP/E3, 122-43r ; cf. in Lemos, 1993, p. 127.
36 Voir Bothe, 2003, p. 81.
37 Robert Bridges, William Johnson Stone,Milton’s prosody. Classical metres inEnglish Verse, Oxford, Henry Frowde, 1901, p. 97.
38 Bothe, 2003, p. 82.
39 Voir William Bell (ed.), Palgrave’s Golden Treasury of Songs and Lyrics, London, Macmillan and Co., 1902.
40 Voir Alexandrino Severino,Fernando Pessoa na África do Sul (a formação inglesa de Fernando Pessoa), Lisboa, Dom Quixote, 1983, p. 218.
41 Voir David B. Morris, « Drama in Stasis in Milton’s “Ode on the Morning of Christ’s Nativity” », Studies in Philology, vol. 68, 1971, p. 212.
42 Severino signale (à un niveau thématique pourtant) l’influence miltonienne sur Campos dans ses « Dois Excer[p]tos de Odes » (voir 1983, p. 235-251).
43 Ce document n’existe pas dans le fonds Pessoa ; c’est de la revue où il avait été initialement publié (Tricórnio, 15 de novembre 1952) que Jerónimo Pizarro le cite dans son édition.
44 2009, p. 216.
45 2009, p. 216.
46 Voir BNP/E3, 49B5-35r.
47 Pessoa a lu cette « Ode on the Morning of Christ’s Nativity » dans deux livres différents et qui sont encore présents dans sa bibliothèque personnelle. Voir (Bell, 1902) et (Milton, [s.d.]).
48 Nous corrigions le troisième accent du quatrième vers, paru dans l’édition critique comme étant long (« – ») (cf. BNP/E3, 153-51v ; Cadernos, 2009 : I, 140).
49 BNP/E3, 153-51v ; Cadernos, 2009 : I, 140.
50 “Vides ut alta stet nive candidum” (Horace, 1909, p. 21) a été rendu par “Thou seest then how clear yon mountain standeth now” (BNP/E3, 153-38v ; Cadernos, 2009 : I, 132).
51 Voir BNP/E3, 153-38v ; Cadernos, 2009 : I, 132.
52 Voir Severino, 1983, p. 209-210.
53 <False> [↑ English] Alexandrine
54 Cette ode de Milton se trouvait parmi celles que Pessoa était censé préparer pour l’Intermediate Examination (fin 1904) (voir Severino, 1983, p. 131-32).
55 Milton, 1918, p. XXV et XXVI.
56 La signature « Charles Robert Anon » n’apparaît que dans une des parties de l’« Ode to the Sea » (cf. 13-14r ; Poemas Ingleses, 1997, p. II, 444). Bien qu’absente dans les autres parties (aucune n’est signée) de cette ode, nous l’attribuons à cette personnalité littéraire. Le même problème d’attribution se présente avec l’« Ode to the Storm ». Vu que la première strophe de l’« Ode to the Storm » suit le même format miltonien employé dans l’antépénultième et la dernière strophes de l’« Ode to the Sea », et que nous avons attribué celle-ci à Anon, il nous semble que dans l’« Ode to the Storm » nous devons reconnaître le même auteur.
57 Cf. BNP/E3, 49B2-91r ; Poemas Ingleses, 1997, II, p. 176 et 448.
58 Cf. BNP/E3, 144S-3v et 4r ; Poemas Ingleses, 1997, II, p. 175 et 447.
59 Nous citons de l’édition Cadernos (2009) et non de Poemas Ingleses (1997). Les deux strophes de quatre vers chacune (voir Poemas Ingleses, 1997, p. 175) doivent se lire comme une seule strophe (cf. Cadernos, 2009, p. 168). En outre, le mot « woes » (voir Poemas Ingleses, 1997, p. 175) doit se lire « woe » (cf. Cadernos, 2009, p. 168). Notre lecture respecte la forme de la strophe miltonienne suivie dans cette composition.
60 BNP/E3, 144S-3v ; Cadernos, 2009 : I, 168.
61 <horrid> [↑ awful]
62 <might> [↑ <voice>] [↓ rage] in words be spun [↑ <done>]
63 <The> /In\ broken parts the <earth> [↓ world] [↓ earth] would [↑ should] strike the waning [↑ waning] sun.
64 Voir BNP/E3, 153-51v ; Cadernos, 2009 : I, 140.
65 Milton, 1918 : xxvi.
66 Milton a également utilisé une syllabe dans un des pieds du deuxième vers de la strophe XVIII (« Full and perfect is ») (Milton, [s.d.], p. 417). Ceci est en accord avec la règle marquée par Pessoa : « (See line 5 below) » (cf. transcription dessus).
67 BNP/E3, 153-51v ; Cadernos, 2009 : I, 140.
68 BNP/E3, 49B2-91r; Poemas Ingleses, 1997 : II, 176 et 448.
69 BNP/E3, 153-51v, 52r et 52v ; Cadernos, 2009 : I, 140-143.
70 BNP/E3, 153-40v ; Cadernos, 2009 : I, 133 et 316.
71 Cf. le poème épique, The Faerie Queene, publié d’abord en trois livres en 1590 et en six livres en 1596, est connu pour sa forme de strophe spencérienne, composée de 9 vers (au schéma de rimes ababbcbcc) dont 8 sont des pentamètres iambiques suivis par un hexamètre iambique ou alexandrin.
72 Kenneth Gross, « ‘ Each Heav’nly Close ’ : Mythologies and Metrics in Spenser and the Early Poetry of Milton », PMLA, vol. 98, nº 1, January 1983, p. 23.
73 K. Gross, 1983, p. 27.
74 Milton, [s.d.], p. 419.
75 Quoique le livre de Bridges ait paru en 1889 et ait été revu pour la dernière fois en 1921, c’est dans l’édition de 1901 que, pour la première fois, il publie l’analyse de la « Stress Prosody » et le chapitre sur le « English accentual hexameter ». Nous nous servons de l’exemplaire qui se trouve dans la bibliothèque personnelle de Pessoa (CFP, 8-64), paru avec Classical Metres in English Verse, par William Johnson Stone.
76 Signé « F. A. N. Pessôa », la calligraphie de cette signature est la même que nous repérons dans d’autres livres achetés à Durban, peut-être entre la fin de 1904 et août de 1905 (cf. Macaulay ; CFP, 8-327 et 8-328 / cf. Emerson ; CFP, 8-172). Severino est de cet avis (voir 1983, p. 297-298). En dehors de la signature, les marginalia (toutes des scansions) dans le livre de Bridges et Stone (1901) sont au crayon et dateraient d’une période postérieure à Durban. Ce livre est cité dans une liste rédigée à Durban, intitulée « Works on Milton » (49B6-43v; fac-similé, sans le numéro d’archive, in Jennings, 1984, p. 209).
77 Bridges, 1901, p. 88.
78 Bridges, 1901, p. 91.
79 Bridges, 1901, p. 90.
80 Bridges, 1901, p. 89.
81 L’accentual verse a un nombre fixe d’accents par vers (ou strophe) (en dépit du nombre de syllabes) – C’est le cas dans des langues dites stress-timed comme l’anglais. A cela s’oppose le syllabic verse, commun dans les langues dites syllable-timed comme le français.
82 Il se peut que ce livre ait été acheté une fois le lycée fini. Non seulement il ne porte pas de marginalia de cette époque (mis à part la signature de Pessoa), mais l’allusion au Form VI (d’habitude noté par Pessoa dans ses livres scolaires) est aussi inexistante. Toutefois, étant un ouvrage qui – incompatible avec le traitement prosodique de Milton par la critique de l’époque, notamment avec celui de George Saintsbury – avait fait du bruit, il est bien probable que cette référence a été faite dans un de ses cours d’anglais.
83 In Milton, [s.d.], p. 27.
84 In Milton, [s.d.], p. 18 et 47.
85 Au début de la Nativity Ode Pessoa note quelques remarques autour de la « conception and arrangement » de l’ode. Elles avaient été tirées d’un autre livre, aujourd’hui absent de la bibliothèque de Pessoa, A History of English, de E. J. Mathew (voir Ferrari, 2009, p. 212). Les marginalia écrites avec de l’encre noire datent du Form VI. Celles au crayon (concernant les unités de stress) pourraient être de 1912-1914/1915. Certains vers porteront en marge le nombre de syllabes de la première unité de stress (selon le langage de Bridges) aussi bien qu’une petite barre marquant leurs pauses grammaticales (virgule, point-virgule, point et deux points), (in Milton, [s.d.], p. 27, l. 717-730).
86 Stone, Milton’s Prosody, 1901, p. 117.
87 Stone, Milton’s Prosody, 1901, p. 117-118.
88 Voir Bothe, 2003, p. 78-80.
89 Voir quatrième partie du livre de Bridges, appendice J, intitulée « [r]ules of Stress-rhythms », 1901: 88-104.
90 BNP/E3, 145-31 à 55, in Bothe, 2003, p. 79.
91 BNP/E3, 145-37v.
92 Voir BNP/E3, 122-24r ; voir in Lemos, 1993, p. 112.
93 Voir BNP/E3, 145-37v.
94 Nenhum pé [↑ rhythmico pode ter] tem mais de 5 syllabas. BNP/E3, 145-32r ; cf. Bridges, 1901, p. 97.
95 Si nous lisons le chapitre V de Castilho (1908 : I, pp. 53-71), nous voyons bien que les pieds rythmiques de Pessoa (via Bridges) ne ressemblent pas du tout au schème syllabique des mètres élémentaires et mètres composés présenté par le grammairien portugais. Ceci démontre davantage que l’hypothèse de Lemos n’était pas correcte.
96 Bridges, 1901, p. 90.
97 De même, « Velloso amigo » est tiré directement du chant V (XXXV, troisième vers : « Ó lá, Velloso amigo, aquelle outeiro »). « Responde o amado » est tiré du cinquième vers : « Sim, é, (responde o ousado aventureiro) ».
98 Pour le « Five-syllable foot » Bridges ne donne que le format suivant « ˘ ˘ ^ ˘ ˘ ». Le dernier que nous venons de citer (« ˘ ˘ ˘ ^ ˘ ») serait donc une adaptation-modulation pessoenne.
99 Voir BNP/E3, 153-35v ; voir Caderno, 2009 : I, p. 130-131.
100 Il se peut que ce livre ait été utilisé à partir du Form IV (février-juin 1901). Sur une des feuilles du premier cahier, celui datant essentiellement de 1901, nous lisons : « Lat[in] gram[mar], p. 222 | Rules 1, 2, 3 ». Les pages 222 et 223 du The Revised Latin Primer (1898) portent des règles numérotées 1, 2 et 3 (BNP/E3, 144B-17r ; Cadernos, 2009 : I, 30).
101 Voir 1898, p. 207.
102 CFP, 8-295 (fac-similé in Cadernos, 2009 : I, 131.
103 Voir Bothe, 2003, p. 79-80.
104 Il s’agit du premier vers de la « Balada » paru dans O noivado do sepulcro en 1858 (voir Lemos, 1993, p. 18). Ce n’est pas par hasard que Pessoa examine ce poème. Il étudie sa métrique à partir d’un poème qui traite précisément de la voix, de l’écoute et de la vibration.
105 BNP/E3, 145-37r, 33r et 37v ; cf. Bothe, 2003, p. 80.
106 BNP/E3, 145-37v.
107 Dans son étude Bothe (2003) ne mentionne pas la « peculiar sapphic » (BNP/E3, 145-37v).
108 BNP/E3, 145-37v; cf. Bridges, 1901: 97.
109 Voir BNP/E3, 145-37r et 33r.
110 cf. BNP/E3, 145-37v.
111 BNP/E3, 145-37v.
112 BNP/E3, 122-13 ; in Lemos, 1993, p. 103.
113 BNP/E3, 122-16r ; in Lemos, 1993, p. 105.
114 Voir BNP/E3, 145-39.
115 Ce vers avait été écrit (et scandé de la même manière) en premier.
116 Voir Kennedy, 1898, p. 202.
117 Voir BNP/E3, 122 ; cf. in Lemos, 1993, p. 97-128.
118 Kennedy, 1898, p. 207.
119 In Fausto, 1988, p. iii.
Bibliographie
Corpus
Pessoa Fernando, Cadernos, Lisboa, Imprensa Nacional-Casa da Moeda, 2009, « Edição de Jerónimo Pizarro, Edição Crítica de Fernando Pessoa, Série Maior, Volume XI, Tome I »
Pessoa Fernando, Sensacionismo e Outros Ismos, Lisboa, Imprensa Nacional-Casa da Moeda, 2009, « Edição de Jerónimo Pizarro, Edição Crítica de Fernando Pessoa, Série Maior, Volume X »
Pessoa Fernando, Cartas entre Fernando Pessoa e os directores da “presença”, Lisboa, Imprensa Nacional-Casa da Moeda, 1998, « Edição e estudo de Enrico Martines, Colecção Estudos, Volume II »
Pessoa Fernando, Poemas de Alexander Search, Lisboa, Imprensa Nacional-Casa da Moeda, 1997, « Edição de João Dionísio, Edição Crítica de Fernando Pessoa, Série Maior, Volume V, Tome II »
Pessoa Fernando, Fausto: Tragedia Subjectiva (Fragmentos), Lisboa, Editorial Presença, 1988, « Edição de Teresa Sobral Cunha, Prefácio de Eduardo Lourenço »
Bibliographie de la bibliothèque personnelle de Fernando Pessoa
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Horace, Œuvres d’Horace, [1906], Paris, Libraire Hachette et Cie, 1909 (3ème éd. revue), « avec une étude biographique et littéraire, sur la métrique et la prosodie dans les Odes et Épodes, des notes critiques, un index des noms propres et des notes explicatives par F. Plessis et P. Lejay ». (CFP, 8-263).
Kennedy Benjamin Hall, The Revised Latin Primer, London, New York, Longmans, Green and Co, 1898. (CFP, 8-295).
Milton John, The Poetical Works of John Milton, London, Routledge and Sons, [s.d.], « Edited by Thomas Newton ». (CFP, 8-359).
Virgil, TheGeorgics of Virgil, Book IV, London, Blackie and Son, 1902, « Edited by Samuel Edward Winbolt ». (CFP, 8-560).
Bibliographie complémentaire
Bothe Pauly Ellen, Poesía y musicalidad en las poéticas modernistas de Fernando Pessoa y T.S. Eliot: la Ode marítima, Lisboa, Universidade de Lisboa, 2003, « Tese de mestrado em Literatura Comparada »
Castilho Antonio Feliciano de, Tratado de metrificação portugueza (para em pouco tempo e até sem mestre se aprenderem a fazer versos de todas as medidas e composições, seguido de considerações sobre a declamação e poética), [1851] Lisboa, Empreza da Historia de Portugal, 2 volumes, 1908 (5ème édition)
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Pour citer cet article
Patricio Ferrari, « Fernando Pessoa, poète-lecteur-théoricien : des expériences métriques et rythmiques entre-langues », paru dans Loxias, Loxias 30, mis en ligne le 19 septembre 2010, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=6464.
Auteurs
DEA en Littérature Comparée à l’Université de la Sorbonne Nouvelle. Il a publié des articles sur la bibliothèque personnelle de Fernando Pessoa (Portuguese Studies, 2008) et sa relation avec la genèse hétéronymique (O Guardador de Papéis, 2009 ; entre autres). Ses publications récentes portent sur des aspects métriques/rythmiques chez Pessoa et Pizarnik (Bulletin of Spanish Studies, 2011) aussi bien que sur leur poésie française (Bilinguisme, double culture, littératures, 2011). Co-directeur du projet de digitalisation de la bibliothèque de Pessoa et co-auteur de A Biblioteca Particular de Fernando Pessoa (2010). Éditeur de Os Sonetos Completos de Antero de Quental accompagnés d’une traduction partielle en langue anglaise par Pessoa (2010). Doctorant en linguistique à l’Université de Lisbonne, il mène une étude dans les fonds Pessoa dans une approche interdisciplinaire en métrique comparée. Boursier de la FCT depuis 2008.