Loxias | Loxias 3 (févr. 2004) Eclipses et surgissements de constellations mythiques. Littératures et contexte culturel, champ francophone (2e partie) |  Le devenir du mythe 

Jean-François Mattei  : 

La constellation de l’être chez Heidegger et Hölderlin

Résumé

Le dépassement de la métaphysique auquel s’est attaché Heidegger depuis le célèbre « tournant » de sa pensée semble prendre sa source dans la rencontre, au début des années trente, avec la poésie de Hölderlin. Celle-ci agira comme le révélateur de la pensée heideggerienne : si la marque de la métaphysique tient au déclin de la vérité de l’étant lié à l’oubli de l’être, il est possible de penser la nécessité de ce déclin pour affronter « la durée abrupte du commencement ». Dépasser la métaphysique, dès lors, c’est revenir en deçà d’elle-même pour approcher sa propre vérité : Hölderlin va permettre à Heidegger d’effectuer le « pas en arrière » hors de la métaphysique et de renouer le dialogue avec l’histoire de la pensée.

Index

Mots-clés : métaphysique , poésie

Chronologique : XXe siècle

Texte intégral

1Le dépassement de la métaphysique auquel s’est attaché Heidegger depuis le célèbre « tournant » de sa pensée, comme il l’écrit dans la lettre au R.P. Richardson en avril 1962, semble prendre sa source dans la rencontre, au début des années trente, avec la poésie de Hölderlin. Celle-ci agira comme le révélateur de la pensée heideggerienne : si la marque de la métaphysique tient au déclin de la vérité de l’étant lié à l’oubli de l’être, il est possible de penser la nécessité de ce déclin pour affronter « la durée abrupte du commencement », selon l’expression du texte intitulé « Dépassement de la métaphysique »1. Tout affairée à sa maîtrise de l’étant, la métaphysique prétend se passer du dévoilement de l’être (Des Wesens des Seins) : elle est ainsi, comme une « fatalité » (Verhängnis), le trait fondamental de l’histoire de l’Europe, ou, plus précisément, de l’histoire de l’être. Dépasser la métaphysique, dès lors, c’est revenir en deçà d’elle-même pour approcher sa propre vérité – celle du destin de l’être – et fournir à la pensée la possibilité d’un autre commencement. Hölderlin va permettre à Heidegger d’effectuer le « pas en arrière » (Schritt zurück) hors de la métaphysique et de renouer le dialogue avec l’histoire de la pensée.

2Avant d’envisager la nature de cet autre commencement que Heidegger met peu à peu au jour, il est utile de rappeler, dans ses grandes lignes, la chronologie des textes consacrés au penseur souabe. De 1934 à 1936, Heidegger consacre un cours commun aux hymnes « La Germanie » et « Le Rhin », articulé en vingt-quatre paragraphes, puis prononce la conférence de Rome sur « Hölderlin et l’essence de la poésie », deux textes décisifs pour l’interprétation de l’œuvre du poète. Après trois années d’interruption, de 1939 à 1943, trois discours, « Comme au jour de fête… », « Retour » et « Souvenir », encadrent les deux cours sur l’hymne « Mémoire » et sur l’hymne « Ister ». Puis, après une rupture de seize ans, intervient en 1959 la conférence capitale, « Terre et ciel de Hölderlin » que Heidegger n’hésite pas à répéter quatre fois en sept mois. Enfin, à la suite d’une nouvelle interruption de neuf ans, vient la conférence de 1968 sur « Le poème ».

3Au cours de ces neuf textes, échelonnés sur trente-quatre ans, Heidegger va approfondir son interprétation de Hölderlin en faisant peu à peu apparaître la figure du Quadriparti (Geviert) – Terre et Ciel, Divins et Mortels - qu’il rapporte dès l’origine au « destin » de l’être (Geschick). Mais il ne lui donnera son nom, le Geviert, en interprétant cette instance comme un concert à quatre voix, que dans les quatre conférences du 1er décembre 1949, prononcées le même jour au Club de Brême : Das Ding, Das Gestell, Die Gefhar, Die Kehre. Elles seront réunies en un recueil non publié, Einblick in das, was ist, « Regard dans ce qui est »2. La deuxième et la troisième conférence sont demeurées inédites comme l’ensemble du recueil. Cette tétrade cosmique, accordée au Destin, bien que présente dans ces quatre textes ainsi que dans les commentaires sur Hölderlin, reste ainsi en partie dissimulée dans la mesure où elle apparaît de manière éparse dans l’œuvre heidegerienne. Je voudrais envisager dans cette communication la manière progressive dont Heidegger approche cette figure qui, bien que dépourvue de nom, se met en place dès le premier cours de 1934-1935 sur « La Germanie » et « Le Rhin », puis dans la conférence de Rome de 1936. Elle trouvera une brève, et incomplète formulation cette même année dans le cours sur Schelling où le cosmos sera nommé, en langue grecque, sustéma ex ouranou kai ges, « l’ajointement du ciel et de la terre »3. Ce premier couple appellera bientôt le second couple des Hommes et des Dieux esquissé dans Souvenir en 1943 :

Le retour au pays est l’apprentissage au cours duquel s’apprend le libre usage de ce que les fils de la Terre ont en propre - et ce qu’ils ont en propre, les habitants du Ciel eux-aussi en ont l’usage4.

4Quant au discours « Pourquoi des poètes ? », prononcé en 1946 en mémoire du vingtième anniversaire de la mort de R.M. Rilke, il fera une mention discrète, à propos de Dionysos qui sauvegarde le fruit du cep, de « l’originaire appartenance réciproque du ciel et de la terre, en tant que lieu férial de l’union des dieux et des hommes5 ».

5Dans l’introduction au cours sur « La Germanie » et « Le Rhin », auquel je me limiterai dans mon exposé, Heidegger affirme que Hölderlin est l’un de nos plus grands penseurs parce qu’il est notre plus grand poète : il pense en effet « vers l’origine, vers le plus lointain et le plus ardu »6, bien que cette origine demeure dissimulée. Le fragment du poème tardif, que cite Heidegger dans son premier paragraphe, dit en effet :

Sur le plus haut, j’entends me taire.

6Heidegger, pour sa part, tente de laisser entendre « le plus haut », en étudiant le Dichten, l’acte de poésie qui fait apparaître le monde à travers le langage « sur le mode du signe qui rend manifeste »7. Or, les dieux font signe par cela même qu’ils sont : les signes sont « la langue des dieux » ou encore les « gestes des dieux »8. La poésie – que les hommes « ont en propre » alors que les dieux « en ont l’usage » – déploie naturellement cette langue en l’homme en l’exposant, dit le paragraphe 7 du texte, à « l’étant en son entier »9, c’est-à-dire en le mettant au monde. Heidegger appuie ici son interprétation sur cinq passages de Hölderlin comme, l’année suivante, il exposera l’essence de la poésie de Hölderlin à partir de cinq leitmotive10. Il conclut qu’une « unité originelle »11 lie l’ensemble de ses réflexions sur la poésie et la langue ; la suite du cours va faire apparaître insensiblement cette unité, déployée en quatre instances où s’inscrira ultérieurement le Quadriparti, ou en une figure cosmique complète à cinq pôles, les quatre instances, opposées deux à deux, s’ordonnant en une articulation d’ensemble autour du milieu unique dont elles sont issues. On le constate déjà avec la récapitulation des analyses sur la poésie, à la fin du paragraphe 7, lorsque Heidegger insiste une nouvelle fois sur les « cinq passages décisifs » de Hölderlin12 : 1. la langue est pour l’homme le plus périlleux des biens ; 2. la langue porte par essence le déclin en elle ; 3. la langue détermine entièrement le Dasein de l’homme ; 4. la langue peut se retourner contre les dieux pour sauvegarder le rapport à eux ; 5. la langue est ce qui possède l’homme et non ce qui, à l’inverse, est possédé par lui. Ce découpage en cinq passages, que reprendra à plusieurs reprises Heidegger dans son œuvre, est le premier indice de la figure totale du monde que la partie du cours consacrée au Rhin va explicitement dessiner.

7Après cette première méditation d’ordre général sur la langue, nous abordons un second chapitre sur le « ton fondamental » de la poésie dans La Germanie : il mettra en place le principe de lecture qui gouvernera plus rigoureusement encore l’interprétation du poème Le Rhin. Ce « ton » (Stimmung) détermine (be-stimmt) l’instauration de l’être : il est à la fois ce qui donne le ton, ce qui dans le ton est accordé ainsi que le rapport réciproque de l’accordé et de l’accordant. Comme dans un accord musical, la note fondamentale donne naissance aux notes supérieures pour les unifier dans une même tonalité. Hölderlin pense un tel ton comme « le sacré », comme le montre le vers 6 de « La Germanie » sur le « deuil sacré » : le sacré nomme ici la totalité de la nature ou de l’être qui repose sur sa propre harmonie, « le pur désintéressement »13. Les analyses suivantes établiront que le « ton » n’est placé ni dans le sujet (le poète) ni dans l’objet (la nature) ; ce sont au contraire l’homme et l’étant qui sont jetés dans le ton qui traverse et englobe tout. Une telle tonalité est portée chez Hölderlin par les fleuves – le Rhin, le Neckar, l’Ister et le Danube – qui tracent les voies pour aller à la rencontre des dieux attendus, ceux qui portent le sens et donnent un destin à la terre de la patrie.

8Le paragraphe 9 esquisse la figure de « la terre » préparée pour « les dieux », encore nommés « les célestes », vis-à-vis desquels « les mortels » touchent à « l’abîme ». Sans être encore constitué en une communauté, le Quadriparti se met en place en une énumération apparemment éparse à l’aide d’une série d’images plastiques destinées à éviter l’abstraction du discours philosophique. Seul un tel mode de langage, en accord avec le ton fondamental, peut approcher le recueillement du monde qui apparaît chez les Grecs, « le peuple recueilli qu’animait l’esprit des dieux », selon l’expression de Hölderlin dans le poème Archipel14. C’est à ce moment que Heidegger fait appel à Héraclite pour mettre en évidence, dans le recueillement de l’être, la force des puissances antagonistes dont la manifestation première est celle des dieux et des hommes selon le fragment 53 : « Le combat est le père de toutes choses : les uns, il en fait des dieux, les autres des hommes ». Heidegger commente en ces termes la parole du penseur grec :

Seul un tel combat fait apparaître les dieux comme dieux, les hommes comme hommes, dans leur opposition réciproque et par suite dans leur harmonie intime15.

9Nous sommes confrontés au premier couple du Geviert, celui des dieux et des hommes ; l’année suivante, la conférence sur « L’origine de l’œuvre d’art » décrira l’affrontement du Monde et de la Terre pensé comme un « combat »16. « Monde » (Welt) nomme ici ce que les textes ultérieurs nommeront « Ciel » dans l’unité du terme grec d’ouranos. Le Monde est pensé comme l’ouverture qui permet à un peuple d’entrer dans l’histoire, et la Terre comme le repli en son sein. Le combat est ainsi l’unité rassemblante des puissances hésiodiques, Gaïa et Ouranos, mais aussi celle des puissances olympiennes, les Dieux et les Hommes. Bien que les deux couples ne soient pas encore assemblés en une quadrature, l’unité cinquième se laisse entrevoir au cœur de leur assemblement : l’Abîme (Abgrund), l’être sans fond, ou le Sacré (das Heilige), autour duquel l’étant trouve son être dans « l’oscillation pendulaire du combat »17.

10Cette première partie du cours sur « La Germanie » s’achève, au paragraphe 11, par une récapitulation de la démarche. Le ton fondamental qui conduisait l’interprétation se déploie cette fois selon « quatre éléments essentiels » comme si la tonalité déterminait une partie concertante à quatre voix harmonisées les unes avec les autres. Le ton est en premier lieu qualifié d’emportement vers les dieux et d’importation vers la terre dès qu’il ouvre l’étant en tant que tel. L’ouverture de l’étant tout entier se forme à partir du ton fondamental – l’Unique – dont la scission emporte et importe les hommes dans leur relation tonalisée aux dieux18. Grâce au ton, hommes et dieux sont ajointés à la trame de tout l’étant dans un double mouvement d’emportement vers les célestes et d’importation vers la terre. Énumérés à partir de la scission, les Quatre ne constituent pas une énumération arbitraire, mais l’unique constellation du monde qui présente quatre éléments essentiels : à l’emportement vers les Dieux et l’importation vers la Terre, Heidegger ajoute maintenant l’ouverture vers le Ciel et la fondation de l’Homme, en pensant la puissance ouvrante comme puissance du ciel, qui détermine un monde, et la puissance fondatrice comme puissance qui place le Dasein sur ses bases.

11Le Geviert, s’il n’est pas encore nommé, est présent dans ce premier texte sur Hölderlin sous la forme croisée de deux couples antagonistes Dieux / Terrre et Ciel / Hommes, alors qu’il sera croisé par la suite de façon différente en distinguant les puissances archaïques des puissances olympiennes : Terre / Ciel et Dieux / Hommes. Si le Dasein demeure toujours accordé à une tonalité fondamentale, en ses quatre accords sur lesquels Heidegger revient en conclusion – « l’unité de sa puissance emportante, importante, ouverte et fondatrice »19 – cet accord initial est celui de la quadruplicité des régions de l’étant dont l’être se retire au cœur de leur manifestation commune.

12*

13Cette interprétation du monde comme quadrature accordée au ton fondamental qui l’engendre selon un accord de quinte se trouve renforcée dans la seconde partie du cours consacrée au poème « Le Rhin ». Dès sa remarque préliminaire, Heidegger distribue le poème de Hölderlin selon « une articulation en cinq parties » susceptible de mettre en évidence la « ligne architecturale unitaire » des quinze strophes20 : 1. la strophe I, 2. les strophes II à IX, 3. les strophes X à XIII, 4. la strophe XIV, 5. la strophe XV.

14On voit aussitôt que cette « distribution extérieure au poème », comme l’écrit Heidegger qui ne la justifie à aucun moment, est dissymétrique : la première partie se limite à une seule strophe, la deuxième en a huit, la troisième quatre, la quatrième et la cinquième à nouveau une seule. Sans reprendre l’ensemble de l’analyse heideggerienne, je me contenterai d’indiquer que ces cinq parties, qualifiées d’extérieures, dessinent pourtant la totalité de la figure du Quadriparti. La strophe I du « Rhin » présente en premier la Terre, pensée à partir du massif des Alpes ; les strophes II à IX sont orientées vers les « hauteurs propices » du Ciel et le « rai de lumière » envoyé par les « Célestes » ; les strophes X à XIII sont explicitement consacrées, selon Heidegger, aux « demi-dieux » qui tiennent le Milieu entre le Ciel et la Terre ; la strophe XIV, qui constitue la quatrième partie, chante « les dieux éternels », alors que la strophe XV, cinquième et dernière partie, revient au Dasein affermi de l’homme avec l’adresse du poète à son ami (« A toi […] mon Sainclair… »).

15Quoi qu’il en soit de cette correspondance de la figure du monde avec les cinq parties du poème, sur laquelle Heidegger reste muet, on notera que « l’extériorité » de la division en cinq parties répond à « l’intériorité de la poésie » et, par conséquent, du ton fondamental qui régit « Le Rhin » comme « La Germanie ». En outre, l’articulation du « Rhin » en cinq parties reproduit exactement le découpage de la conception hölderlinienne de la langue en « cinq passages décisifs », dans « La Germanie », sans que Heidegger ne s’explique sur ce parallélisme, comme il annonce l’interprétation de l’essence de la poésie à partir de « cinq leitmotive » de Hölderlin et de leur « connexion interne » dans la conférence de Rome de 193621. Lors du premier poème, Heidegger mentionnait « l’unité interne » des cinq passages qui devait se révéler d’elle-même ; dans le second poème, en écho, Heidegger parle de « l’intériorité de la poésie » impliquée dans l’articulation des « cinq parties » pour aboutir au ton fondamental de l’être22.

16On peut éclairer la signification de cette architecture interne du « Rhin » en cinq parties en relevant que Heidegger, au paragraphe 12, indique que « l’axe sur lequel la poésie entière est en giration »23, se trouve au début de la strophe X. Un tel axe, à l’évidence, n’est pas central : neuf strophes le précèdent, cinq seulement le suivent : en outre Heidegger ne consacre que deux pages à cette strophe, la laissant ainsi dans la pénombre, sur les cent trente pages du cours sur « Le Rhin ». Ce n’est donc pas sa position dans le poème qui commande la position giratoire de la strophe X, mais bien son sujet : or, cette strophe est explicitement consacrée aux « demi-dieux », entendons aux poètes, qui se situent entre les « Célestes » de la strophe VIII et les « Fils de la Terre » de la strophe XI. Une figure quadripartite, ordonnée autour du centre giratoire invisible des demi-dieux de la strophe X, s’ébauche donc tant dans la configuration externe du poème que dans sa détermination intérieure, laquelle reproduit le ton fondamental et ses quatre « éléments essentiels » précédemment évoqués.

17Pour approcher les demi-dieux, il faudra poser une série de quatre questions : 1. qu’est-ce qui est pensé avec ces demi-dieux ? 2. Dans quelle situation cette pensée a-t-elle lieu ? 3. Quel être se voit là instauré ? 4. Quel ton fondamental règne dans cette pensée24 ? L’important paragraphe 12 est consacré à ces quatre questions issues de la Grundstimmung. Ces demi-dieux sont, indique Heidegger, ceux qui pour Hölderlin maintiennent l’unité des dieux et des hommes en rapprochant ce qui est situé en haut de ce qui est placé en bas, comme en témoigne le poème « L’Unique » :

… Toujours se tient quelque
Un entre les hommes et [le Père]
Et par degrés incline
Le céleste vers le bas25.

18La langue poétique, en son ton fondamental, celui des poètes comme demi-dieux, est l’intervalle originel à mi-distance du céleste et du terrestre, du Père des dieux et des hommes. Heidegger nomme « Destin » (Schiksaal) le mode d’être des demi-dieux, en reprenant le terme hölderlinien du vers 11, nommé « la parole fondamentale » du poème26. L’être des demi-dieux déploie en effet « un cercle assez ample et assez profond pour pouvoir y penser l’être à la fois des dieux et des hommes », mais aussi, en même temps, l’être du ciel et de la terre. Heidegger développe alors sa méditation sur le Destin comme milieu de l’étant, dans ce paragraphe 12 qui est lui-même situé au milieu des 24 paragraphes du commentaire du « Rhin », comme ce qui convient à tous (das Schikliche) ou encore, selon l’expression de Hölderlin dans une lettre à son frère du 1er janvier 1799, comme « harmonie universelle ». Heidegger revient alors, à la fin de ce paragraphe, sur le ton fondamental du poème qui possède, nous dit-il, les « quatre propriétés essentielles » du transport extatique dans l’étant tout entier, de la rentrée pour trouver place dans la terre, de l’ouverture de l’étant et de la fondation de l’être. Heidegger avance ici pour la première fois que le ton fondamental conduit Hölderlin à penser « le milieu de l’être », le Destin, à partir de quoi « l’entier de l’étant » s’ouvre à neuf comme « les dieux, les hommes, la terre » en omettant ici le ciel27. Mais il appuie aussitôt son interprétation des Quatre, implicite dans les quatre éléments essentiels du ton approchés à travers les quatre questions, sur une nouvelle citation de « L’Unique » :

Ceux du ciel sont
Et les vivants, les uns après les autres, tout le temps. Un grand homme
Même au ciel, s’éjouit d’un autre, sur terre. Sans cesse,
Vaut ceci, que tout entier est le monde.

19A partir de cette interprétation des quatre voix du ton fondamental, Heidegger étudie en détail les quinze strophes, tout en rappelant une nouvelle fois l’importance de sa distribution en cinq parties28. Sans reprendre ici l’étude détaillée du poème, je noterai simplement que la méditation sur le destin, croisant celle sur l’origine comme surgissement, porte sur la totalité de l’Être instauré par la langue poétique qui embrasse « les dieux, la terre, les hommes »29. Le paragraphe 16 se penche de nouveau sur le ton fondamental en l’appréhendant cette fois, dans la lignée des quatre éléments essentiels, à partir des quatre questions du paragraphe 12 qui sont reprises tout en étant précédées d’une « question préalable ». Avec le paragraphe 19, consacré à la seule strophe IV, Heidegger atteint l’énigme initiale du monde, dans son surgissement soudain qui se dévoile dans « l’origine de la poésie ». Le dire poétique est en effet parole d’énigme et parole du Tout, comme le révèlent les vers de Hölderlin :

Énigme est bien ce qui pur a surgi. Même
Le Chant, à peine est-il licite de le dévoiler.30

20Et, de nouveau, Heidegger utilise la même grille d‘interprétation pour entendre l’énigme de ces deux vers : « une quadruple chose est ici énoncée et ajointée en sa corrélation interne ». Or, nous savons déjà que cette corrélation est disposée, selon le ton fondamental, dans les « quatre éléments essentiels » des puissances emportante, importante, ouvrante et fondatrice. Les quatre déterminations de l’énigme sont ici « ce qui surgit purement », « cela même en tant que secret », « le chant, c’est-à-dire la poésie », « cette dernière comme ayant à peine permission de dévoiler le secret de ce qui a purement surgi »31. Nous sommes en présence d’une nouvelle quaternité formée de deux couples : le surgissement et son énigme, du côté du monde, le chant et son dévoilement, du côté du poète. Soit, si nous la rapprochons de la quaternité de la terre et du ciel, des hommes et des dieux : le surgissement du monde comme ouverture céleste confrontée au secret de la terre comme repli, et le chant des poètes comme source de la poésie affronté à la permission des dieux de dévoiler l’énigme. Ces quatre points sont longuement développés dans le paragraphe 19 qui forme, avec le paragraphe 12, les deux paragraphes décisifs de l’interprétation heideggerienne du « Rhin ». Au centre exact du texte, le paragraphe 12 instaure le milieu, comme Destin, des hommes et des dieux, sans le rapporter encore explicitement au second couple. C’est au paragraphe 19 que le second couple apparaît comme « les deux puissances déterminantes », entendons la Terre-Mère et le « rai de lumière » du Ciel. Leur mutuel antagonisme, pensé comme l’unité d’un être, fonde la naissance du monde, à partir de ceux que Hölderlin appelle, au vers 27 du « Rhin », les « parents » : « la Terre-Mère » et « le Tonnant » (Zeus).

21Ces deux puissances, Terre et Tonnant, ou encore Naissance et Rai de Lumière, sont engendrées par le Différend – le nouveau nom de la Différence ontologique –, mais restent encore imprécises dans la terminologie heideggerienne qui les assimile à la Terre et aux Dieux. Les textes suivants, dès « L’origine de l’œuvre d’art », parleront plutôt de la Terre et du Ciel. Mais sous la légère imprécision des termes, les quatre intuitions maîtresses de Heidegger demeurent fermes :

221. le monde est donné dans l’antagonisme des puissances cosmiques de l’origine ;

232. cet antagonisme prend la forme de l’ouverture du monde et du retrait de la terre ;

243. l’antagonisme se dédouble lorsque le monde accède au langage : la poésie fait apparaître deux nouvelles régions de l’étant, les hommes et des dieux, de chaque côté de l’entre-deux qui les destine l’un à l’autre tout en les tenant à distance ;

254. ce double antagonisme – ouverture / retrait, proximité / distance – constitue « l’unité d’un être » rendue apparente par sa « corrélation interne »32. Les Quatre ne sont pas encore unifiés par leur nombre (vier) ni nommés en leur unité (Geviert). Mais ils sont présents dans l’ensemble de la démarche, encore hésitante, de Heidegger.

26A la suite d’un formidable effort d’unification, Heidegger va néanmoins faire surgir les Quatre dans ce même paragraphe 19 consacré à l’énigmatique strophe IV, en dessinant sous la forme d’un diagramme croisé leur quadruple détermination autour de leur centre destinal. Il fait cette fois appel, pour compléter les puissances de la « naissance » et du « rai de lumière » des vers 51 et 52 du « Rhin », à deux nouveaux mots du poète, aux vers 49 et 50, l’« urgence » et l’« élevage » du nouveau-né. Qu’est-ce que cette urgence (Not) ? Non pas la contrainte du fortuit, mais celle du nécessaire qui appartient à l’énigme du surgissement du monde. Qu’est-ce que l’élevage (Zucht) ? La tendance à se laisser lier soi-même dans la « loi statutaire ». Heidegger croise ici en chiasme les propriétés de l’urgence et de l’élevage afin de comprendre « l’urgence comme élevage externe et l’élevage comme urgence interne »33. Sous ces déterminations hölderliniennes au premier abord obscures, Heidegger pense les dieux comme urgence – ou nécessité – et les hommes comme élevage – ou liberté – en une unique articulation autour de ce que le poème nomme le « nouveau né » (v. 53).

27Le déploiement de ce croisement singulier des puissances de l’origine – l’urgence comme l’élevage et l’élevage comme urgence – fait apparaître dans cette même page une détermination quadripartite décisive, d’abord nommée « naissance et rai de lumière, urgence et élevage », avant que ce chiasme ne soit qualifié d’« entrecroisement ». Un tel entrecroisement des quatre, note Heidegger, n’est pas une dispersion de divers contraires, mais une « originale unicité » à laquelle il faut conférer le caractère de la « béatitude » (Seligkeit). La béatitude naît de l’adversité des contraires dès lors qu’ils se tendent et se déploient dans la figure unique du monde.

28Aussi la suite du paragraphe 19 déploie-t-elle effectivement cette figure sous la forme d’« une ébauche pour la structure essentielle » du pur surgissement du monde. Nous assistons à la première manifestation du Geviert articulé clairement autour de son centre énigmatique où naît la voix des demi-dieux - la quadruple voix du Destin.

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29Ce que Heidegger nomme une « ébauche » et un « schéma »34 présente l’entrecroisement des quatre puissances de l’origine dans toutes les directions : dans la langue de Hölderlin, la Naissance et le Rai de Lumière évoquent la Terre et le Ciel, dans la langue d’Hésiode ; ce sont les figures du monde préhomériques de la Terre-Mère dont tout est issu et du Ciel souverain qui dispense à toutes choses sa lumière. L’Urgence et l’Élevage évoquent pour leur part, la première les Dieux, le second les Hommes, c’est-à-dire les figures olympiennes qui sont tenues à distance par leur langage commun. Sur un autre axe, Naissance et Urgence se rapportent l’une à l’autre, car ce qui arrive de toute nécessité comme dieu prend sa source dans la terre, celle en qui tout repose ; parallèlement, le Rai de Lumière du ciel, c’est-à-dire selon Heidegger, l’éclair, est ce qui porte aux hommes la tendance à lier leur propre humanité en la soumettant à la liberté. Enfin, la Terre comme Naissance va à la rencontre des Hommes soumis à l’Élevage, en croisant, au centre de l’énigme, le rai de lumière du Ciel qui conduit l’Urgence des Dieux. Tous quatre se croisent et s’entrecroisent, dit Heidegger, autour et au centre du « purement surgi », l’énigme sur laquelle le penseur ne nous dit rien ici. Nous savons seulement que le cours sur « Le Rhin » identifie le centre aux Demi-dieux et au Destin, c’est-à-dire au pur surgissement du sens qui nous est destiné.

30On saisit alors l’unité de l’interprétation heideggerienne de Hölderlin, et à travers lui, de la poésie et du monde. Au beau milieu du cours, au paragraphe 12, l’étude du Destin qui conduit les Demi-dieux au cœur de la strophe X, l’axe giratoire du poème et du monde. Tout est centré, le monde, le poème et son interprétation à partir du Destin qui déploie à chaque reprise un unique Quadriparti, dans le commentaire, dans « Le Rhin » et dans le cosmos : les quatre éléments du ton fondamental, les quatre questions sur les demi-dieux, les quatre traits de l’énigme, les quatre puissances de l’origine chez Hölderlin, enfin, répercutent à tous les échos ce que Hölderlin nomme dans l’hymne Grèce « les voix du Destin »35. Heidegger peut alors récapituler, dans le paragraphe 19, les quatre points qui ont conduit toute sa démarche (« Nous avons nommé une quadruple chose ») en nouant l’énigme en ses quatre liens : 1. le surgissement (du Monde). 2. le secret (de la Terre). 3. le chant (du poète). 4. la permission (du Dieu). De nouveau, les Quatre, envisagés dans leur acte essentiel : le monde surgit, la terre dissimule, le poète chante, le dieu permet. Dans toutes ces déterminations quadripartites du « Rhin » – emportement, importation, ouverture et fondation, surgissement, secret, chant et permission, rai de lumière, naissance, élevage et urgence – nous reconnaissons le Geviert de Ciel, Terre, Hommes et Dieux qui relève d’« un entrecroisement d’adversités au sein de ce qui a purement surgi », d’« un antagonisme original » et d’« une unité originale » dont l’énigme a été présentée sous la forme de « l’esquisse qui dessine l’être des demi-dieux »36.

31D’un même mouvement, Heidegger dénoue et dissimule l’énigme. Il l’esquisse, certes, en une figure croisée très reconnaissable, mais il refuse d’expliquer l’énigme, c’est-à-dire de la dé-plier à partir de son esquisse qui doit rester secrète. Il faut plutôt l’entendre, en restant attentif au quatre voix de la tonalité fondamentale. « Expliquer est la perversion d’entendre. Entendre l’énigme, donc, ne peut vouloir dire la déchiffrer, mais au contraire maintenir l’inexplicable »37. Aussi ne trouverons-nous jamais, pas plus dans ce premier texte sur Hölderlin que dans les textes tardifs, le moindre déchiffrage de Heidegger des Quatre : il les nomme, les déploie, et laisse résonner leurs quatre voix, mais il ne dit rien sur leur mode d’apparition dans sa propre pensée ou sur leur cheminement à travers les doubles oppositions qu’il entrecroise de plus en plus souvent et de plus en plus énigmatiquement. Il parsème cependant son texte d’indices pour permettre à ses lecteurs de se porter au bord de l’entente de l’énigme de l’être. Et l’indice le plus troublant de la pensée heideggerienne – de l’autre pensée – tient à cette faveur de la poésie qui accorde le poète aux quatre voix de la tonalité fondamentale de telle sorte que le monde advient – ou surgit – dans le mot. Aussi la poésie est-elle bien l’instauration de l’être : elle doit l’instaurer parce qu’elle n’est au fond rien d’autre que, dans l’antagonisme éternel des Quatre, « le grand bruit d’armes de la Nature même, l’Être qui s’amène à soi-même dans le mot »38.

32*

33Grâce aux poètes, ces voix mystérieuses qui tracent les énigmatiques voies du Destin, le Dasein de l’homme accède au milieu du temps. La figure du Geviert, déjà esquissée dans les premiers essais sur Hölderlin, n’est autre en définitive que celle du temps. Heidegger ne pensera plus, dans la suite de son œuvre, sur le mode d’Être et Temps, Sein und Zeit, mais dans la tonalité de Geviert und Geschick, Quadriparti et Destin. Ces quatre termes – Sein, Zeit, Geviert, Geschick – nomment la même entente : l’ouverture du monde, mais en deux modalités de parole différentes. Il s’agit bien toujours du même monde, celui que nous habitons ; mais ce monde est pensé différemment, comme être et temps dans la langue métaphysique, comme destin et quadriparti dans la langue pensante.

34Dans les deux cas, Heidegger pense toujours l’ajointement de l’être dans son unité, comme il le confiera en conclusion de son cours sur « La Germanie » et « Le Rhin », à propos des penseurs de la Grèce. Le plus haut de leur mission, c’était d’« ajointer l’Être en harmonie de l’œuvre »39. Un tel ajointement sera effectué dès l’année suivante, en 1936, dans le cours sur Schelling et son traité sur l’essence de la liberté humaine, dont le titre sera Ajointement et Système. C’est là que, pour la première fois, Heidegger nommera le Tout en son unité, sustéma ex ouranou kai ges, sans encore y intégrer le couple des dieux et des hommes. Il faudra attendre les textes des années quarante, culminant dans les quatre conférences de 1949, pour voir définitivement établie la figure croisée du Geviert, substituée au sustéma. Elle laissera résonner les voix du destin aux quatre coins du monde pour dire en secret ce que Hölderlin hésitait encore à faire entendre :

Du plus haut, je veux faire silence.
Fruit interdit comme le laurier…40.

Notes de bas de page numériques

1 Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », notes des années 1936 à 1946, Essais et conférences, trad. fr. Paris, Gallimard, 1961, p. 83.
2 Cf. l’avertissement de Heidegger au fascicule Die Technik und die Kehre, Opuscula I, Neske, 1962, trad. fr., « Le tournant », Questions IV, Paris, Gallimard, 1976, p. 140.
3 Heidegger, Schelling, trad. fr. Paris, Gallimard, 1977, p. 64.
4 Heidegger, « Souvenir », Approche de Hölderlin, trad. fr., Paris, Gallimard, 1962, p. 150.
5 Heidegger, « Pourquoi des poètes », Chemins qui ne mènent nulle part, trad. fr., Paris, Gallimard, 1962, p. 222.
6 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin : Le Rhin et La Germanie, trad. fr., Paris, Gallimard, 1988, p. 16.
7 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin : Le Rhin et La Germanie, p. 41.
8 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin : Le Rhin et La Germanie, p. 43.
9 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin : Le Rhin et La Germanie, p. 65.
10 Heidegger, « Hölderlin et l’essence de la poésie », Approche de Hölderlin, op. cit., pp. 66-72.
11 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 73.
12 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin,  p. 78.
13 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin,  p. 89.
14 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 116.
15 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin,  p. 122.
16 Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, p. 37.
17 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 123.
18 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 134.
19 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 135.
20 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 153.
21 Heidegger, « Hölderlin et l’essence de la poésie », Approche de Hölderlin, op.cit., p. 43.
22 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin : les cinq parties sont soulignées pp. 66, 67-72, 78, pour « La Germanie » et pp. 153, 188, 211, 240 pour « Le Rhin ».
23 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 154.
24 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, pp. 155-172 pour les quatre questions.
25 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 155.
26 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 162.
27 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 171.
28 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 174.
29 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 199.
30 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 220.
31 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 221.
32 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 221.
33 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 226.
34 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin : le diagramme ou « ébauche » de Heidegger se trouve p. 226, le terme de « schéma » p. 229.
35 Les quatre éléments essentiels du ton fondamental, pp. 133-136 ; les quatre questions sur les demi-dieux, pp. 155-172, reprises avec une question préalable pp. 208-210 ; les quatre traits de l’énigme ou « la quadruple chose », pp. 221-240 ; les quatre puissances de l’origine, pp. 223-229. Les voix du destin sont citées dans le poème Grèce, au premier vers : « O vous, voix du destin, vous, chemins du voyageur ». Heidegger commente ce vers dans « Terre et ciel de Hölderlin », Approche de Hölderlin, op.cit., p. 212, et voit dans les Quatre les voix du Destin. « Elles sont quatre, les voix qui résonnent : le ciel, la terre, l’homme, le dieu », p. 222.
36 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 228.
37 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 229.
38 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 236.
39 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 268.
40 Heidegger, Les Hymnes de Hölderlin, p. 269 in fine. Ce fragment 17, IV, 249 de Hölderlin est cité à deux reprises par Heidegger dans l’ouvrage, une première fois au paragraphe I de son introduction (p. 16), une seconde fois au paragraphe 24 en conclusion (p. 269). Le cours sur les hymnes de Hölderlin est ainsi tout entier tendu entre les deux paroles de silence du poète.

Pour citer cet article

Jean-François Mattei, « La constellation de l’être chez Heidegger et Hölderlin », paru dans Loxias, Loxias 3 (févr. 2004), mis en ligne le 07 mai 2009, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=2671.


Auteurs

Jean-François Mattei

Centre de Recherches en Histoire des Idées, Crhi, Université de Nice-Sophia Antipolis