Loxias | 81. Le 100e numéro de Loxias! | I. Varia: les membres du CTEL publient
Françoise Salvan-Renucci :
« au service de sa majesté » : présence de Ian Fleming dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine
Résumé
Les romans de Ian Fleming ayant pour héros James Bond trouvent une place de choix dans le discours implicite des chansons de H.F. Thiéfaine, au sein duquel se noue un dialogue fascinant avec les aventures de l’agent secret dont la recréation se superpose en outre régulièrement à celle d’autres références intertextuelles. Les passages concernant l’arme de James Bond ou sa voiture font tout autant l’objet de réécritures précises que les séquences évoquant son rapport à ses partenaires féminines ou à ses adversaires. Dans un registre plus intime, il n’est pas jusqu’aux remémorations de son enfance ou de sa jeunesse qui ne trouvent place dans le discours multivoque, tandis que les évocations de sa nature mélancolique ou de la folie dont se revendiquent ses ennemis s’intègrent tout naturellement dans le traitement approfondi réservé par Thiéfaine à ces deux motifs récurrents de son discours poétique.
Abstract
Ian Fleming’s novels in which James Bond is the main character are intensively represented in the implicit discourse of H.F. Thiéfaine’s songs, in which we discover a fascinating dialog with the adventures of the famous secret agent also including the recreation of other intertextual references. The lines concerning Bond’s revolver or car, but also the sequences focused on his relationship with his female partners or his adversaries are the source of very accurate modified retranscriptions which also include the more intimate rememorations of his childhood and youth. The evocations of Bond’s melancholical nature and of the madness that characterises his enemies also take place in the wide-ranged declination developed for these two recurrent motives in Thiéfaine’s poetical discourse.
Index
Mots-clés : Bond , H.F. ; intertextualité ; réécriture ; polysémie, Ian ; Thiéfaine, James ; Fleming
Texte intégral
Le protagoniste de « sweet amanite phalloïde queen » déclarant « je suis le rebelle éclaté / au service de sa majesté1 » se définit de façon certes allusive, mais délibérément identifiable comme un avatar de James Bond, dont son créateur Ian Fielding intitule précisément l’une des aventures Au service secret de Sa Majesté2. C’est également à un des accessoires essentiels de la panoplie de James Bond que renvoie dans les « confessions d’un never been » la déclaration « je dégaine mon Walther PPK de service3 » : si Adolf Hitler figure également au nombre des utilisateurs récurrents du Walther PPK4, la caractérisation comme arme de service renforce la primeur du renvoi indirect à James Bond, qui utilise quasi exclusivement ce modèle depuis que l’armurerie du Secret Service l’a contraint à abandonner son Beretta initial, sa satisfaction s’exprimant par exemple dans la remarque « À tous, je préfère le Walther PPK 7,65 mm5. »
Ainsi étayée d’emblée par le soulignement quasi explicite de deux caractéristiques essentielles du personnage de James Bond, l’hypothèse d’une rencontre « insoupçonnable & somptueuse6 » avec les romans de Fleming organisée dans le corpus thiéfainien se voit rapidement confirmée au-delà de toute espérance, autorisant la perception d’un réseau particulièrement développé de correspondances mis en place dès les premières chansons de l’auteur et persistant jusqu’à ses productions les plus récentes, et dont la présente contribution se propose d’explorer en détail la déclinaison aussi nourrie que pertinente. Outre l’importance que revêt une telle constatation pour la progression des « inventaires7 » que nous menons depuis plus de dix ans afin de parvenir à une « cartographie des ténèbres8 » et/ou une « cartographie mentale9 » exhaustive, voir Ian Fleming prendre rang en tant que « partenaire » récurrent auprès de Baudelaire, Rimbaud, Nietzsche, Henry Miller, Lucrèce, Ovide, Aristote ou Romain Gary – pour nous limiter à quelques-uns des auteurs les plus représentatifs avec lesquels le discours poétique des chansons établit un dialogue « au long cours10 » au niveau sous-jacent de l’expression poétique –, la réappropriation subtile mise en œuvre par Thiéfaine vient confirmer indirectement – dans la mesure où elle trouve dans les récits centrés sur la figure de James Bond matière à exercer sa faculté de redéfinition virtuose des divers composants de l’intertextualité – la « qualité de l’écriture » et la « sensibilité poétique11 » propres à Ian Fleming, telles que les met en exergue Francis Lacassin dans sa préface à l’intégrale de la série des James Bond, la « brillante jonglerie12 » déployée au fil des différents romans trouvant ainsi un prolongement idéal dans la déclinaison modifiée qu’en opère le corpus des chansons.
Le « fox à poil dur » assimilé à « dieu » dans le raccourci provocateur « ce soir je sais que dieu / est un fox à poil dur13 » – opéré dans « première descente aux enfers par la face nord » reflète ainsi la description donnée dans Casino Royale des « hochets suprêmement masculins qui sont en France synonyme de luxe », dans laquelle les « teckels à poils durs couchés au pied de leurs maîtres14 » voisinent avec des « pipes de bruyère répandant l’arôme de miel du tabac anglais » ou encore des « briquets fonctionnels15 ». Dans la mesure où la redéfinition sexuelle implicite qui fait du « fox » le substitut masqué d’une « jolie fille » par le biais du sens familier que possède le substantif en anglais – le « poil dur » ramené au singulier prenant alors la fonction d’une désignation cryptique de la toison pubienne féminine – dépouille le distique cité de sa dimension directement blasphématoire pour en faire l’indicateur de la permutabilité comme de l’équivalence de principe de l’Éros et du divin – conception exposée tant par Lucrèce que par Goethe et que reflète de manière aussi appuyée que programmatique le titre de l’album Eros über alles –, la valorisation de la dimension « suprêmement masculine » rencontrée dans la séquence du roman invite en quelque sorte a contrario à l’adjonction de l’élément féminin – tel qu’il se révèle en effet présent de façon marquée au plan latent du discours de la chanson – en tant que porteur privilégié de la dynamique de redéfinition sous-jacente, conformément au primat de l’accentuation « androgyne16 » qui sous-tend sous des aspects variés la quasi-totalité de la production poétique de l’auteur, apportant dans le cas présent un démenti ironique à la tonalité essentiellement virile de l’univers dépeint par Fleming.
Le même Casino Royale contient en germe ou plus précisément aux trois quarts l’énumération « vichy perrier vittel évian17 » scandée par « robot-bar / le petit roi du minibar » dans « le chaos de la philosophie », où la liste des eaux minérales s’intercale dans la litanie des alcools proposés – ainsi qu’ingurgités – par le protagoniste. L’eau minérale sur laquelle se fonde dans le roman la réputation de la station thermale de Royale-les-Eaux qui héberge le casino est en effet décrite comme étant en perte de vitesse sur le plan commercial, puisqu’« elle ne résista pas longtemps aux efforts combinés de puissances comme Vichy, Perrier et Vittel18. » La conservation de l’ordre de présentation adopté par Fleming va ici de pair avec l’apparition complémentaire d’« évian » dont le choix est d’abord dicté par le schéma des rimes, la strophe se concluant par l’interrogation « peut-être un petit blanc ?19 » qui rétablit en passant la priorité du caractère alcoolisé de l’offre. De même que la grande majorité des clients du casino – à commencer par Bond et les différentes figures avec lesquelles il entre en contact – donne la préférence à l’alcool au détriment de l’eau de quelque provenance qu’elle soit, de même le discours de la chanson passe au prisme radical d’une distorsion grotesco-parodique le phénomène de la consommation « no-limit éthylique20 » poussé au terme de ses conséquences tant physiologico-intellectuelles – « on va finir comme des pingouins givrés / complèt’ment findus & décérébrés21 » – que psychico-affectives – « on va finir en amants déclassés / sur la liste des cœurs désaffectés22 ». Se fait ainsi jour à l’arrière-plan du texte – et sans que sa perception soit absolument nécessaire à l’appréciation jouissive de son caractère de nursery rhythm décalée et transgressive – une corrélation remarquablement précise avec le comportement récurrent du personnage de James Bond, dont les excès tant éthyliques qu’érotico-sexuels font partie intégrante de son aura à la fois séductrice et (auto)-destructrice, et ce d’autant plus que la disparition brutale de son épouse Teresa a bel et bien fait de lui un « cœur désaffecté ».
C’est dans le domaine complémentaire de l’auto-médication – intervenant dans les deux cas à la suite ou au cours d’une scène du type de celles qu’on vient précisément d’évoquer – que le protagoniste de « paranoïd game » en proie à une « transe mortelle in vitro, extase en solitaire / entre deux guronsan & trois alka-seltzer23 » renouvelle – en inversant l’ordre des remèdes et en modifiant le second d’entre eux – le geste de James Bond décrit dans Opération Tonnerre : « Bond mit à fondre dans une verre trois Alka-Seltzer et chercha le flacon d’Eno24. » S’il est permis de supposer que la substitution du Guronsan à l’Eno – soit de la combinaison vitamine C + caféine à l’antiacide – prend en compte le manque de familiarité de l’auditeur français avec le médicament absorbé par Bond, la mention des « trois alka-seltzer » établit à elle seule le lien avec la formulation du roman et par là même avec la problématique spécifiquement liée dans celui-ci au mode de vie du personnage principal, dont la consommation excessive tant d’alcool que de tabac met sa santé et ses performances professionnelles en danger, au point qu’il se voit contraint de suivre une cure de remise en forme. Un des éléments centraux de l’intrigue trouve également sa place dans la constellation de la chanson avec les « stratoforteresses25 » annoncées par le protagoniste dès la première strophe, et qui font directement écho au rôle de premier plan joué dans le roman par les deux bombardiers porteurs de bombes nucléaires, dont la disparition inexpliquée met sur les dents le Secret Service et son meilleur agent. L’ambiguïté de leur présentation, telle qu’elle découle du fait qu’elles sont censées « pleuvoir » au même titre que toute une série d’objets ou d’êtres vivants à caractère onirico-fantastique dont elles viennent précisément clore la liste – « qu’il va encore pleuvoir des crânes & des abbesses / des sorcières, des dragons, des stratoforteresses26 » –, ouvrant ainsi la voie à deux interprétations opposées du phénomène telle qu’elles suggèrent soit le largage de leur cargaison de bombes soit l’éventualité de leur écrasement au sol, les deux modalités d’appréhension déclinant chacune à sa manière le thème de la menace inéluctable que s’efforce de détourner Bond. Ainsi s’installe dans le texte de Thiéfaine une atmosphère empreinte de « tension-danger27 » analogue à celle décrite dans le roman, où elle apparaît susceptible de faire basculer à tout moment les personnages de Fleming – qu’il s’agisse de James Bond lui-même ou de ses adversaires du moment – dans le « paranoïd game » qui donne son titre à la chanson. Non contente de prendre en compte avec précision tant le profil énonciatif que le contexte situationnel du substrat flemingien, la réaccentuation menée au plan implicite du discours de la chanson devient également le support d’une élucidation des arrière-plans psychologiques et événementiels de l'action d’Opération Tonnerre, accédant par là même au rang d’un authentique apport herméneutique tout en procédant à une redéfinition radicale des indicateurs exégétiques mis en place par Fleming : l’issue heureuse marquée par le rétablissement complet de James Bond et le succès éclatant de sa mission – qui débarrasse le monde du danger incarné par les bombardiers disparus et leur cargaison nucléaire – s’inverse ici en un double accomplissement de la menace initiale, qui fait coïncider dans un raccourci visuel saisissant lui-même évocateur d’un crash aérien la dynamique de destruction générale, sur le pressentiment de laquelle s’ouvre la première strophe avec son « étrange rassemblement de crapauds sur la route28 », et le processus d’anéantissement du protagoniste, quel que soit le plan où l’on choisit de situer ce dernier. Le mal-être physique individuel – tel qu’il conduit à l’absorption des « trois alka-seltzer » qui constituent le point de contact le plus immédiatement décelable entre les deux œuvres – subit une aggravation notable par rapport à la notation lapidaire de Fleming en prenant la forme d’une « transe mortelle in vitro29 » – formulation dans laquelle l’expression latine renvoie étymologiquement au « verre » dans lequel boit le personnage, ainsi qu’à travers son acception usuelle aux expérimentations débouchant sur la mise au point de substances toxiques de toute sorte, au nombre desquelles figure également les dérivés de l’atome –, tandis que la déflagration finale que réussit à empêcher Bond s’accomplit bel et bien à travers sa transposition symbolique à la situation du protagoniste, dont les vers « dégagez les trottoirs, libérez les poubelles / t’as un moteur en flammes & du plomb dans les ailes30 » actent l’effondrement à la fois physique et psychique, qu’on choisisse de le considérer comme réel, figuré ou fantasmé. Témoignant de la précision de la réécriture sous-jacente, la contamination des deux sphères de l’action – catastrophe mondiale et dégradation individuelle du personnage principal – place au centre de l’agencement discursif un élément du récit qui se révèle essentiel pour l’articulation des éléments de la constellation dramatique, puisque l’un des participants au complot séjourne dans la même clinique de remise en forme que celle dans laquelle a été envoyé James Bond, que cette rencontre de pur hasard amène alors à troquer son rôle initial de patient se bornant à suivre le traitement qu’on lui a imposé contre celui d’acteur principal de l’entreprise de riposte au projet dévastateur. On terminera ces développements en rappelant que malgré la place centrale qui leur est dévolue sur le plan tant atmosphérique que structurel dans le fonctionnement du discours de « paranoïd game », les constituants énonciatifs renvoyant au texte de Fleming sont à appréhender – ainsi qu’on le constate pour l’ensemble des « dialogues » poétiques mis en œuvre dans le corpus thiéfainien – non sous l’aspect d’éléments indépendants et autonomes, mais à travers leur intégration dans un entrelacement intertextuel aussi développé que complexe, et qui mobilise à ce titre toute une série de correspondances implicites qu’il est certes exclu de retracer dans le cadre du présent article, mais dont il importe de garder constamment l’existence présente à l’esprit pour parvenir à une perception adéquate de la richesse référentielle autour de laquelle s’articule le processus discursif.
Si l’autre attribut marquant du personnage de James Bond qu’est sa voiture n’est sollicité dans le corpus thiéfainien que d’une façon marginale – plus précisément par le biais d’un accessoire spécifique sur lequel se focalise la dynamique de recréation, ainsi qu’on pourra aisément s’en rendre compte dans la suite immédiate du présent développement –, il n’en va pas de même de l’histoire passée du véhicule en question telle qu’elle a ensuite conduit à son acquisition par Bond, ainsi que le relate Opération Tonnerre avec un luxe de détails remarquablement propice au déploiement de la technique de recréation pratiquée dans le discours des chansons : « Bond avait la voiture la plus personnelle de toute l’Angleterre. C’était une Bentley Continental Mark II avec laquelle un riche idiot était allé embrasser un poteau télégraphique sur l’autoroute de l’Ouest31. » Faisant directement écho à la fin de la séquence de Fleming, la localisation « sur l’autoroute de l’Ouest » de l’action de « 22 mai » – « sur l’autoroute de l’Ouest / un séminariste à moto / j’ai bien dit à moto / roule à toute vitesse vers un point non défini32 » – trouve ici une possibilité d’ancrage référentiel d’autant plus fructueuse que la suite de l’action parachève le processus de redéfinition éclatée de la même phrase du roman, reproduisant du même coup au plan de l’élaboration discursive la dynamique de désintégration qui accompagne la survenue de l’accident : « le séminariste perd le contrôle de sa motocyclette / & vient percuter de plein fouet / un pylône garé en stationnement illicite sur le bas-côté de l’autoroute33 ». Si la substitution de la « moto » à la « Bentley » est davantage en phase avec la situation financière probablement peu avantageuse du « séminariste », il ne faut pas oublier de reconnaître en ce dernier également le porteur d’une « semence » qui rencontre de surcroît des circonstances idéalement adaptée à sa diffusion : l’indication « le printemps qui refleurit / fait transpirer le macadam34 » invite à identifier dans le « macadam » – à travers la fonction d’indicateur de filiation qui est celle du préfixe « mac » en gaélique – le « fils d’Adam » en tant que représentant symbolique d’une humanité encore inapte à l’élévation et/ou sublimation de ses pulsions physiologiques, la séquence se muant au plan implicite en un rappel de l’effervescence sexuelle qui coïncide avec l’arrivée du printemps. Portant à un paroxysme inattendu le phénomène de dispersion tous azimuts des constituants verbaux de la séquence de Fleming, la « Bentley » ainsi retranchée du paysage verbal de « 22 mai » réapparaît de façon aussi inopinée que délibérément anachronique au sens propre du terme dans « affaire rimbaud » où l’exclamation « ô bentley ô châteaux35 » confère une accentuation évocatrice de la haute société britannique à un contexte d’ensemble placé en quasi-totalité sous le signe de la recomposition de diverses séquences rimbaldiennes, dont la redisposition calculée suffit à déboucher sur des offres herméneutiques aussi éclairantes que souvent diamétralement opposées aux options de lecture suggérées par le substrat d’origine. Faisant littéralement irruption comme un corps étranger dans le « puzzle déglingué36 » des réminiscences poétiques, le clin d’œil aux décors flemingiens – du moins pour les parties des romans se déroulant en Grande-Bretagne – signale au plan implicite un rapport d’identification inattendu entre la figure de Rimbaud et celle de James Bond, dont le dénominateur commun est constitué par les « flingues37 » – vendus par l’ex-poète et utilisés constamment par l’agent secret. La tonalité britannique est ici renforcée par le refrain « horror harrar arthur38 » dont une répétition précède immédiatement le vers consacré à la « Bentley » et qui se dévoile comme une variation-dérivation homophonique de la triple exclamation « Horror, horror, horror ! » prononcée dans Macbeth lors de la découverte du corps du roi Duncan. Horreur qui atteint « la jambe de rimbaud / de retour à marseille39 », mais aussi horreur déferlant sur le monde et plus particulièrement sur « les derniers danakils40 » ainsi qu’horreur affrontée voire déclenchée par James Bond – l’ensemble du référentiel « britannique » se superpose ici à l’univers rimbaldien pour en accentuer le caractère de « saison en enfer41 », tandis que la dénonciation implicite du luxe exacerbé représenté par l’association de la « Bentley » et des « châteaux » connaît une intensification spectaculaire dans la condamnation finale des entreprises à grand spectacle prétendument organisées pour venir en aide aux populations démunies : « les poètes aujourd’hui / ont la farce plus tranquille / quand ils chantent au profit / des derniers danakils42 ».
La reconstitution du récit de l’accident réalisée mutatis mutandis dans le texte de « 22 mai » – la Bentley étant évincée comme on l’a signalé plus haut au profit de la « moto » que l’on peut également considérer via son sens étymologique comme un indicateur de l’impulsion motrice qui anime le personnage, et qu’on peut alors aisément transposer au plan de l’activité corporelle déployée dans le processus de rapprochement sexuel – conserve les deux principales notations contenues dans la séquence d’Opération Tonnerre tout en en modifiant subtilement le potentiel d’évocation par le biais de substitutions de termes en apparence anodines, mais qui infléchissent nettement la dynamique énonciative dans le sens d’une exacerbation de la dimension érotico-sexuelle, telle qu’elle s’installe d’entrée de jeu avec la redéfinition cryptique du « printemps » et du « macadam ». C’est d’ailleurs la formulation même proposée par Fleming qui invite à la réinterprétation du processus sous l’aspect d’un corps-à-corps sexuel, le verbe « embrasser » utilisé dans le roman dans son acception figurée devenant ici susceptible d’une lecture littérale dont il ne s’agit alors plus que de porter à son intensité maximale l’impact signalétique, ouvrant ainsi la voie à la pleine réalisation de l’étreinte physique que le roman assigne au seul plan métaphorique. La première étape du processus de corporalisation implicite réside en effet dans le remplacement de la formule « était allé embrasser » par « vient percuter de plein fouet » dans laquelle il importe d’appréhender l’infinitif « percuter » dans son sens originel de « traverser la peau » – sur le modèle du latin percutare –, la séquence rejoignant les sollicitations directes du motif de la perméabilité de la peau en tant que symptôme d’un bouleversement affectif, dont le vers « cette nana tu l’as dans la peau43 » de « court-métrage » ou son pendant inversé « & soudain j’ai si froid dans ma peau44 » de « redescente climatisée » forment les deux pôles opposés. L’activation du sens étymologique de « percuter » révèle toute sa pertinence voire son urgence herméneutique à travers la possibilité de rapprochement qu’elle offre avec l’injonction « laisse tomber ta cuti deviens ton mécano45 » de « 713705 cherche futur », dans laquelle l’option de lecture basée sur l’acception latine réoriente le vers dans le sens d’un appel à une mue, un dépouillement de l’ancienne peau dont on a alors le loisir d’explorer les implications mythologico-symboliques – bien que l’on doive y renoncer ici pour des raisons évidentes de cohérence de l’exposé46. Tout en offrant un équivalent parfaitement adéquat du « poteau télégraphique » flemingien, le « pylône garé en stationnement illicite sur le bas-côté de l’autoroute » renforce la présence sous-jacente de la sphère physico-sexuelle dans la mesure où la transformation du « poteau » en « pylône » – soit en « porte » d’après le sens étymologique renvoyant au grec πυλων (grande porte) lui-même dérivé de πυλη (porte) – fait basculer la séquence vers le motif de la porte fermée – ou dont on se propose d’obtenir voire de forcer l’ouverture avec plus ou moins de succès – en tant que transcription imagée du processus de rapprochement physique tel qu’il donne à l’homme accès au corps de la femme, le point de départ de la redéfinition résidant bien évidemment dans la situation d’approche dans laquelle l’amant se tient devant la porte de la femme qu’il courtise. Alors que sa déclinaison notamment par Archiloque et Ovide fait du motif de la porte fermée un topos de la poésie érotique de l’Antiquité classique, son renouvellement régulier dans le corpus thiéfainien donne lieu à une série de variations qui laissent transparaître le profil énonciatif du modèle gréco-latin tout en le détournant en profondeur par le biais de son intégration dans un contexte actualisé qui finit par occulter à dessein les constellations d’origine, laissant à l’auditeur-lecteur le soin de rétablir le lien avec la tradition littéraire dans laquelle s’inscrit de plein droit chacun des textes concernés. Si l’alexandrin « j’ai gardé mon turbo pour défoncer les portes47 » rencontré dans « autoroutes jeudi d’automne » réinterprète la scène familière sous l’angle du renvoi à l’univers des machines et notamment de l’automobile – dimension également essentielle à la peinture du personnage de James Bond et qu’on continuera d’approfondir dans la suite de ces réflexions – tout en faisant résonner en arrière-plan la note du « trouble », du « désordre » ou de la « sottise » apportée par le latin turbo48, la tonalité mélancolico-élégiaque qui prédomine – en harmonie avec l’atmosphère générale de la chanson – dans la séquence « j’ai trop traîné devant tes nuits / dont les portes m’étaient fermées49 » de « fenêtre sur désert » contraste avec l’injonction sans fard « libère-toi / & casse ta porte / j’suis pas fan / des escortes à cloportes50 » de « émeute émotionnelle », où le langage en apparence direct et familier adopté à l’occasion spécifique de l’écriture de l’album Amicalement blues favorise plutôt qu’il ne l’inhibe le traitement à la fois ludique et profondément cohérent du motif traditionnel, puisque les « cloportes » servent de travestissement aux « portes closes » dont le protagoniste déplore le statut par le biais de la litote « j’suis pas fan », tandis que les « escortes » renouent avec le latin scortum, pluriel scorta, employé de façon privilégiée par les poètes érotiques pour désigner une courtisane ou une prostituée – le terme d’escort-girl pouvant tout aussi bien s’y substituer pour satisfaire aux exigences du contexte à la fois moderne et américain dans lequel choisit de se placer l’album. Complétant la démarche de redéfinition sexuelle qui sous-tend la retranscription modifiée du récit de Fleming, la notation « percuter un pylône » voit l’immédiateté plastique que lui confère la réaccentuation implicite encore accrue par la précision « de plein fouet » – dont l’énonciation est accompagnée en scène dans les concerts de la tournée des 40 ans (2018-2019) d’un geste remarquablement éloquent pour peu qu’on ait perçu les implications latentes du texte – qui met véritablement en regard la « porte » d’entrée dans le corps féminin avec les sens complémentaires du « fouet » que sont la « verge » ou la « queue » ou toute autre désignation du membre viril. La situation même du « pylône garé en stationnement illicite sur le bas-côté de l’autoroute » participe enfin elle aussi du repositionnement sous l’aspect corporel, « l’autoroute » étant comme la « route » un substitut récurrent du corps féminin – lecture également fondée sur le plan étymologique par le renvoi au latin via rupta – alors que le « bas-côté » renvoie pour sa part de façon relativement transparente au « bas corporel » féminin, ainsi qu’on en trouve un autre exemple avec le vers « sur une couronne d’épines qui poussait sur le bas-côté51 » par lequel le protagoniste de « 27e heure : suite faunesque » évoque le moment où il succombe à la « tentation » incarnée par « la jolie démonesse52 ». Il se révèle ainsi paradoxal – mais particulièrement éclairant pour ce qui regarde l’organisation du discours poétique de Thiéfaine – que le potentiel sexuel contenu in nuce mais évidemment laissé inactivé dans l’évocation de Fleming doive sa pleine exploitation dans le discours thiéfainien non pas à la reprise de la possibilité de désignation directe offerte par le verbe « embrasser » dont il suffirait en fait de rétablir le sens propre, mais bien à son élimination en faveur de termes a priori dénués de toute connotation érotique, mais dont la lecture étymologique et la consolidation réciproque des différentes lectures implicites installent à côté du récit détaillé de l’accident tel que le propose aussi le texte de la chanson une manière d’univers parallèle où le choc du « séminariste » contre le « pylône » se voit transmué en un paroxysme de l’Éros – réinterprétation qui concorde pleinement avec le halo de séduction dont sont régulièrement nimbées les aventures de James Bond, et que la réécriture thiéfainienne fait accéder à une visibilité sans détour une fois appréhendées les modalités de fonctionnement du discours sous-jacent.
On remarque enfin – en guise de post-scriptum à ces développements autour de « 22 mai » – qu’il n’est pas jusqu’au « chinois de hambourg / déguisé en touriste américain53 » rencontré dans la suite du texte qui n’évoque les travestissements multiples et/ou nationalités d’emprunt auxquels recourent les agents secrets – James Bond y compris – qui évoluent dans les romans de Fleming. Si le « Parisien de Carcassonne54 » de Corbière ou l’« Anglais de Marseille55 » de Feydeau peuvent légitimement être comptés au nombre des préfigurations du personnage de la chanson, la place éminente occupée par le substrat flemingien dans l’organisation du discours implicite de celle-ci incite à lui donner la primeur au sein du triple entrelacement référentiel, alors même que les deux autres offres concurrentes conservent toute leur validité du seul fait qu’elles relèvent chacune d’un dialogue poétique structuré et nourri dont on a retracé ailleurs le déroulement (pour Corbière56) ou se propose d’en révéler sous peu la teneur (pour Feydeau, les matériaux rassemblés n’attendant plus qu’une occasion favorable à leur publication écrite ou orale).
Une caractéristique remarquable – telle que la décrit Fleming dans Opération Tonnerre – de la Bentley de James Bond est constituée par le « double tuyau d’échappement » dont les « tuyaux de six centimètres de calibre » produisent un « grognement puissant57 » fort apprécié par son propriétaire. La mise en exergue tant de la qualité acoustique voire proprement musicale de l’échappement que de la satisfaction que son bruit procure à Bond est également décelable dans Casino Royale, où s’élabore à la marge une dynamique de redéfinition tendant au soulignement de la puissance et/ ou de la performance sexuelle, telle que l’incarne le marqueur de virilité que représente la voiture de prestige pilotée par le personnage. Si le véhicule semble lui-même animé d’une vie propre dans la séquence « le battement lent du gros tuyau d’échappement de cinq centimètres de diamètre éveillait un écho régulier le long du boulevard planté d’arbres, puis dans la grand-rue très fréquentée de la petite ville et à travers les dunes, en allant vers le sud58 », c’est le ressenti jouissif de James Bond installé au volant qui passe au premier plan dans les scènes de poursuite où le plaisir de la traque se combine avec celui de la conduite : « Il passa rapidement les vitesses et s’installa pour la poursuite, écoutant avec délice l’énorme échappement dont l’écho rebondissait sur les deux rangées de maisons qui bordaient la grand-rue59. » La description à visée technique s’efface à nouveau un peu plus loin devant la double image d’une existence autonome de la voiture et de la volonté de puissance exacerbée de son pilote, réunissant dans une culmination spectaculaire les techniques exploitées séparément dans les deux passages cités en premier lieu : « Sur les lignes droites le compresseur Amberst Villiers éperonnait les vingt-cinq chevaux de la Bentley et le moteur lançait une plainte aiguë dans l’air de la nuit. Puis il poussa encore le régime du moteur jusqu’à dépasser 180 et frôler le 20060. » L’alliance spécifique de la précision descriptive et de la tendance sous-jacente au basculement du domaine de la mécanique automobile vers celui d’une sexualité appréhendée d’abord sous le signe d’une virilité triomphante est la base sur laquelle s’élabore la réécriture synthétique des trois séquences proposée par Thiéfaine dans « camélia : huile sur toile », dans laquelle – en accord avec le contenu explicite des formulations de Ian Fleming – les performances techniques et acoustiques de l’échappement apparaissent comme l’élément dominant de l’évocation d’un parcours qui présente également des points communs révélateurs avec ceux réalisés par James Bond – et ce avant même que ne surgisse la question de la réaccentuation sexuelle ainsi que des différences que laisse apparaître celle-ci avec le modèle flemingien : « camélia & délire fatal / bruit du flat-six & longue-distance / autoroutes septentrionales / dans le cambouis de nos silences61 ». La transformation de la Bentley en Porsche suggérée par la mention du « flat-six » conserve voire augmente encore la faculté du véhicule à affronter des déplacements au long cours, la cohérence avec le décor de Casino Royale se marquant ici par le biais de l’épithète « septentrionales » – confirmée dans la strophe suivante par l’indication de direction « vers ce vieux nord toujours frileux62 » qui fait écho (entre autres possibilités d’assignation référentielle qu’on a déjà eu l’occasion de recenser63) à la localisation du roman dans le nord de la France, qui occulte logiquement la direction « vers le sud » empruntée par Bond à cet instant précis de l’action. Un déplacement significatif de la perspective – qui installe la recréation thiéfainienne dans l’ambivalence d’un rapport de confirmation-opposition au schéma directeur de l’évocation flemingienne – a lieu d’entrée de jeu avec le passage de la troisième personne du roman centrée sur la figure de James Bond au « nous » qui non seulement installe au centre de la constellation la figure féminine complémentaire du protagoniste masculin, mais fait du moment critique de la « fin d’histoire d’amants déchirés64 » le pivot d’un déroulement onirique qui se termine « au carnaval des cœurs déchus65 ». L’approfondissement marqué de la dimension érotico-sexuelle, mais aussi de son corollaire psychologique et affectif non seulement révèle pleinement la charge érotico-affective déjà présente de façon latente dans le texte du roman, mais revisite sous des auspices diamétralement opposés l’amorce flemingienne associant célébration de la vitesse et confiance en soi aussi appuyée qu’autocentrée du héros masculin. Si ce dernier prend également corps dans la suite de la chanson à travers l’indication « tu croises une ombre solitaire66 », c’est précisément moins sa propre solitude – qui le rapprocherait alors de la figure de James Bond – qui fait l’objet de l’évocation que celle de sa rencontre de hasard, tandis que les formulations au pluriel continuent de maintenir un lien au moins symbolico-verbal entre les « amants » ou les « cœurs » dont le texte explore la relation marquée par l’échec.
C’est cependant la mention de la « rature finale67 » – qui répond en écho inversé à la « rature fœtale » de la première strophe – qui fait resurgir contre toute attente le parallèle flemingien à travers le jeu de mots qui autorise sa lecture sous la forme de la « rupture finale », telle qu’elle constitue précisément pour James Bond l’aboutissement obligé de toutes ses tentatives visant à s’installer avec sa partenaire du moment dans un rapport amoureux durable. La tonalité virile et narcissique qui domine dans les descriptions des trajets au volant contraste ainsi fortement avec le bilan désabusé dressé plus loin dans Casino Royale, et que le texte de « camélia : huile sur toile » intègre dans la dynamique de réécriture combinée qui le fait fusionner au plan sous-jacent avec les éléments d’inspiration technico-virile. L’énumération désabusée qui embrasse « le gâchis qui menait finalement à la rupture », « la lassitude, l’amertume finale » ainsi que les étapes marquantes du délitement de la relation représentées par « les dérobades, les alibis et pour finir la rupture violente sur le pas d’une porte, sous la pluie68 » fait ainsi l’objet d’une transposition poétique qui en gomme les contours réalistes au profit d’une musicalité onirique, telle qu’elle imprègne la succession des séquences « lèvres glacées, masque animal », « visages figés, fleur cannibale », « visages fermés, couleur de haine » au cours de laquelle le « délire fatal » mentionné plus haut est relayé par un « désert astral » voire par la présence inquiétante d’un « désir obscène / de luminosité blessée », le terme de l’évolution destructrice étant atteint avec la constatation des « amours défuntes & desséchées69 ». Notons toutefois qu’une proximité plus marquée – sur le plan des modalités de formulation s’entend dans la mesure où la teneur des passages concernés est identique – avec le bilan décevant tiré par Bond de ses expériences amoureuses se profile dans « amour désaffecté » avec la séquence « c’est juste la fin maintenant / d’un amour qui tombe en poussière / c’est juste la fin maintenant / d’un amour sinistre & désert70 », dans laquelle la désillusion finale a cependant lieu à dans le matin à contre-jour71 » et non « sous la pluie » comme le prescrit le texte de Fleming – indication que suit par contre à la lettre « camélia : huile sur toile » où l’« errance au milieu de la nuit » se déroule « dans la tristesse des soirs pluvieux72 », créant à nouveau un dénominateur commun d’importance avec l’ambiance des ruptures vécues par Bond. Il semble ici opportun de s’attarder plus longuement sur la notation « dans le cambouis de nos silences73 » telle qu’elle résume de façon appropriée le « mélange de laconisme et de passion74 » qui caractérise l’attitude de James Bond en amour, tout en se voyant dotée à travers le terme « cambouis » d’une connotation renvoyant au monde de l’automobile – assurant ainsi le lien avec l’évocation du « flat-six » intervenue un peu plus haut ainsi qu’avec la prédominance du motif de la voiture dans le substrat flemingien –, mais en outre d’une possibilité fructueuse de transposition à la sphère de la sexualité obtenue par le biais des acceptions diverses du vocable, qui désigne aussi bien « l’huile servant à lubrifier les organes d’un moteur » que la « graisse dont on munit les organes frottants d’un moteur » que la « matière sébacée qui s‘accumule dans le fourreau de la verge du cheval75. » La retraduction thiéfainienne des présupposés narratifs à l’œuvre dans l’écriture du roman opère à nouveau une réévaluation des priorités discursives en conférant – certes au seul plan de la verbalisation latente, mais en conformité ce faisant avec les modalités d’élaboration de l’écriture plurivoque, qui concède implicitement une manière de priorité herméneutique aux strates sous-jacentes une fois ces dernières identifiées par le lecteur – une charge sémantico-symbolique accrue – telle qu’elle ressort de la richesse du halo associatif du terme sélectionné dans ce but – au renvoi à la sexualité par rapport au discours de surface installé dans l’univocité apparente de la notation à caractère naturaliste, dégageant par là même toutes les implications du même ordre, mais que rien dans le discours flemingien ne permet de rendre manifestes au même degré de netteté en l’absence d’une démarche d’écriture visant à l’instauration d’une expression à sens multiple. Le processus de recréation cryptique agit comme un révélateur mettant au jour les potentialités inexploitées de l’œuvre sur laquelle il s’exerce, et permettant de ce fait de distinguer pleinement les convergences de positionnement – telles que peut les occulter provisoirement le profil diffus de la composante érotico-sexuelle, que rien ne vient réellement compenser chez Fleming au niveau sous-jacent à la différence de l’impact dominant qu’elle possède chez Thiéfaine du seul fait de sa localisation dans la strate implicite – de la distance prise à l’occasion par rapport au support de la réaccentuation énigmatique, et dont le vers qui nous occupe fournit à lui seul un exemple frappant. Ainsi que le souligne ici encore l’adjectif possessif de la première personne du pluriel, le maintien du « nous » ou tout au moins d’une perspective englobant les deux (ex)-partenaires – tel qu’il caractérise justement le vers dont on vient de détailler la polysémie – se révèle en effet comme la seule divergence de principe avec la position adoptée par le narrateur flemingien dans le paragraphe d’introspection où il se confond avec le protagoniste, partageant précisément l’incapacité foncière de James Bond à briser le cadre de la vision autocentrée.
Le manque évident d’une connaissance en profondeur du ou de la partenaire, telle qu’elle découle de façon logique du modèle des relations amoureuses expérimenté par Bond et se révèle avec une clarté remarquable dans un dialogue de Casino Royale, est l’occasion d’une nouvelle réécriture thiéfainienne qui commande à son tour une redéfinition implicite des priorités discursives, que la similitude apparente des séquences concernées contribue paradoxalement à rendre d’autant plus manifeste. Dans un mouvement inverse à celui qu’on a constaté à propos du processus de réaccentuation qui s’opère dans « camélia : huile sur toile », les deux répliques symétriques échangées par le héros de Fleming et Vesper Lynd – la femme censée faire fonction d’agent de liaison lors de sa mission à Royale-les-Eaux –, lors desquelles la remarque a priori banale émise par cette dernière « En réalité, vous ne savez pas grand-chose de moi76 » reçoit une réponse à l’identique dans le « Vous ne savez pas grand-chose de moi non plus, si vous allez par là77 » que lui oppose James Bond, réapparaissent dans « modèle dégriffé » sous la forme réduite de moitié d’une interrogation placée dans la bouche du protagoniste – le seul à prendre la parole tout au long de la chanson – s’adressant au personnage féminin pour lui faire part des doutes qui l’assaillent : « au fond que sais-je de toi / quand tu connais mes secrets ?78 » Tandis que l’ignorance réciproque dans laquelle sont – ou plus exactement prétendent être – les figures du roman vis-à-vis de leurs passés et de leurs intentions respectives autorise leur rapprochement précisément du fait qu’aucun des deux n’est apparemment en mesure de prendre l’ascendant sur l’autre, la question posée dans « modèle dégriffé » est complétée par le diagnostic d’une asymétrie radicale qui place ipso facto le protagoniste dans une position d’infériorité comme de vulnérabilité dont les vers suivants « est-ce que tu te sers de moi ? / est-ce que je suis ton jouet ?79 » exposent sans fard les éventuelles conséquences, avant que le quatrain « le reflet de ta beauté / dans l’ombre de ton mépris / trouble espiègle & sans pitié / le double jeu de tes nuits80 » ne vienne tirer une conclusion sans appel des éléments éveillant la suspicion dans le comportement de la partenaire. Bien que rien dans la constellation de la chanson ne se rattache de prime abord à l’univers des exploits de James Bond, le parallélisme manifeste entre les séquences évoquant un manque total de connaissances concernant l’autre – que l’ignorance soit supposée partagée ou qu’elle soit uniquement le fait du protagoniste – appelle un réexamen des séquences thiéfainiennes sous l’aspect d’une recréation bien plus approfondie ne se limitant pas à la réinterprétation modifiée de l’échange flemingien, mais englobant une déclinaison resserrée – et néanmoins remarquablement suggestive – de la problématique centrale du roman dans la mesure où celle-ci touche aux fondements non clarifiés de la relation qui se noue entre James Bond et Vesper Lynd. Loin d’être lancée au hasard ou de ne concerner que l’hypocrisie imputée à la partenaire dans le seul cadre de l’intimité des deux personnages, l’accusation de « double jeu » formulée dans la chanson à l’encontre de la figure féminine se lit en effet comme une allusion à peine voilée au statut d’agent double de Vesper, qui appartient à la section S du Secret Service mais travaille en réalité pour le SMERSH soviétique avant de prendre finalement fait et cause pour James Bond, sans pouvoir pour autant échapper autrement que par son suicide à la traque menée contre elle par le SMERSH. Si le protagoniste de « modèle dégriffé » ne va pas jusqu’à masquer sa déception d’avoir été joué sous le cynisme affiché dans lequel se réfugie Bond dans la célèbre réplique finale « La garce est morte81 », c’est à nouveau à travers le détournement raffiné d’une formulation de Fleming qu’il se libère de l’emprise qu’exerçait sur lui la figure féminine, et que résume la polysémie du « modèle dégriffé » évoquant aussi bien la dévalorisation-dégradation qui vient frapper l’homme dépossédé de sa liberté que la docilité à laquelle il se voit contraint dans la mesure où il est privé de ses griffes, ainsi que l’indiquent les vers « mais tu sais rendre si doux / les fauves aux crinières d’acier82 ». En écho à la tactique de James Bond qui masque le plus longtemps possible ses soupçons envers Vesper Lynd, le personnage de la chanson se réfugie dans un statu quo temporaire qu’exprime à la fin de chaque strophe la déclaration « & tu vois je prends le temps / patiemment je prends le temps83 » – qui reste en suspens sans que l’on sache de quoi au juste il s’agit de prendre le temps –, jusqu’au moment où l’irrévocabilité de sa décision se cristallise dans l’impératif final « le temps de te dire maintenant / maintenant va-t’en !84 », qui résonne de façon d’autant plus spectaculaire qu’il semblait définitivement hors de sa portée. Confirmant définitivement la correspondance étroite tant avec le contenu du roman qu’avec la structure même de son discours, c’est précisément la reprise littérale d’une phrase de Vesper Lynd – à savoir le « – Va-t’en, maintenant, dit-elle85 » prononcé après les moments de complicité fusionnelle passés avec James Bond – qui sert ici de support à la proclamation de l’assurance retrouvée du protagoniste, tout en maintenant l’ambiguïté du processus de réécriture qui se place à nouveau dans un rapport de tension voire de démenti avec le substrat ainsi réinterprété.
Pour éclairante – et carrément indispensable à la pleine appréhension des enjeux du texte de la chanson – que soit l’exégèse « flemingienne » de « modèle dégriffé » en tant qu’offre de lecture à la fois cohérente et fiable, et reposant de surcroît sur l’incorporation quasi-littérale au discours des deux personnages thiéfainiens des répliques décisives de la discussion entre James Bond et Vesper, la priorité herméneutique qui lui échoit logiquement ici compte tenu du fil directeur des présentes réflexions n’autorise cependant pas à passer sous silence l’apport référentiel tout aussi nettement profilé auquel on va s’intéresser maintenant dans la mesure où celui-ci porte à un degré exceptionnel l’intrication des constituants intertextuels et avec lui la complexité de l’agencement discursif, puisque certaines des formules que l’on vient de rattacher directement à la constellation de Casino Royale renvoient avec la même légitimité à celle à laquelle se voit confronté le lecteur de Mondscheingasse (La Ruelle au clair de lune) de Stefan Zweig. La mise en rapport des deux textes s’articule ici autour des vers « & tu joues dans les ruelles / où les perdants vont tricher86 » pour lesquels le premier dénominateur commun avec la nouvelle de Zweig est bien évidemment la mention des « ruelles », tandis que le caractère nocturne des scènes qui s’y déroulent – qu’elles soient ou non éclairées par la lune – ressort de la nature même des rencontres qui ont lieu « au milieu des étincelles / de tes fragrances enflammées87 » entre la figure féminine et les personnages caractérisés comme « les perdants », en cohérence directe avec le texte de Zweig où la « ruelle au clair de lune » apparaît comme le lieu de rencontres interlopes dans lesquelles la prostitution joue un rôle privilégié. Alors même que la situation ainsi esquissée reproduit sur le mode de l’abréviation symbolique celles que développe tout au long de ses cinq strophes le texte de « la môme kaléidoscope » dispensant son réconfort aux « paumés », « fantômes » et autres « gravos88 », les « perdants » se révèlent ici – outre leur parenté manifeste avec les types qu’on vient d’énumérer et dont ils résument à eux seuls les traits essentiels – comme une déclinaison plurielle du personnage de Zweig maltraité et humilié par la figure féminine, à laquelle il se soumet sans protester malgré les traitements qu’elle lui inflige en public, et auxquels renvoient dans le texte de la chanson – tout aussi directement qu’aux doutes de James Bond envers Vesper tels qu’on les a précédemment mis en rapport avec ces mêmes formulations – les interrogations du protagoniste de la chanson demandant « est-ce que tu te sers de moi / est-ce que je suis ton jouet ?89 » avant d’évoquer « le reflet de ta beauté / dans l’ombre de ton mépris90 ». Le double jeu référentiel reproduit au plan de l’organisation du discours celui mené dans chacun des textes par le personnage féminin, la virtuosité de la recréation combinée renforçant aussi bien l’impact suggestif propre à chaque offre exégétique que celui qui se dégage de leur réunion dans le halo à caractère prismatique, dont le lecteur est libre d’activer successivement ou simultanément les deux composantes associatives.
Alors que le potentiel suggestif évident qui s’attache au nom de « L’Auberge du Fruit Défendu – Crustacés – Fritures91 » où déjeunent Vesper Lynd et James Bond ne fait pas l’objet d’une exploitation ciblée dans le texte de Casino Royale – l’agencement discursif laissant au lecteur attentif le soin d’appliquer le cas échéant la désignation d’inspiration biblique à la scène qui se déroule ensuite entre les deux personnages –, la recréation sous-jacente du passage effectuée dans « guichet 102 » élimine toute référence à l’auberge ou à un lieu quelconque pour ne laisser subsister que la seule appellation de « fruit défendu » dont le lien avec le corps de la femme –– ou plus précisément la zone génitale de celle-ci – devient du coup parfaitement explicite, dans la mesure où l’évocation se focalise « sur son petit castor fendu / qui miaule à minuit pour la forme / au rayon des fruits défendus92 ». Si l’élucidation du « castor fendu » – combinant renvoi à la pilosité de l’endroit en question et rappel de la particularité la plus marquante de l’anatomie féminine – ne saurait poser problème, sa localisation « au rayon des fruits défendus » assimile directement le corps de la femme à un objet de jouissance tombant sous le coup d’un interdit théoriquement irrévocable, et qui demeure ici inatteignable pour le protagoniste puisque seule la femme transgresse le tabou à l’aide de « ses doigts de chloroforme93 ». La signification de l’épithète « défendu » se divise ainsi en deux acceptions concernant chacune un seul des deux personnages, tandis que l’accomplissement sexuel réalisé dans le roman reste au stade d’un fantasme inassouvi pour le protagoniste, tout en étant dérivé sur une modalité de satisfaction auto-érotique en ce qui concerne la figure féminine. La valorisation exclusive de l’évocation imagée de la sexualité dans le discours de la chanson va ainsi de pair avec une abstinence – ou tout au plus une activité de substitution dont rien n’indique de surcroît que l’arrière-plan fantasmatique soit concentré sur la personne du protagoniste – qui contraste de façon marquée avec le déroulement des scènes parallèles dans le roman de Fleming, telles qu’elles débouchent sur la consommation sans restriction du « fruit défendu » par les deux partenaires. Signalons par contre que si le choix de l’appellation « rayon » impose par définition le passage du « fruit défendu » au pluriel, la multiplicité des incarnations potentielles de ce dernier relativise ainsi quelque peu tant la priorité exclusive accordée selon toute apparence à « la nouvelle, la p’tite bleue94 » en tant que figure centrale du texte que l’insatisfaction sexuelle à laquelle semble voué le protagoniste, auquel d’autres « fruits défendus » peuvent se révéler plus accessibles. Le renvoi à la satisfaction physique passe en revanche au premier plan dans « éloge de la tristesse », où les « crustacés » et autres « fritures » également transformés en appellation substitutives du corps féminin inspirent le « sushi rayé des îles95 » que déguste le protagoniste – la recréation éclatée de la séquence s’accomplissant à nouveau dans le cadre d’un seul et même album – avant de succomber aux effets du post coitum animal triste qui donne son titre à la chanson en combinaison avec l’Éloge de la folie d’Érasme – « folie » qui est directement invoquée à la fin du texte dans les vers « p’t’être qu’en smurfant sur ta folie / tu d’viendras l’idole des bas-fonds96 ». On complétera ces indications en rappelant que le refrain « la tristesse est la seule promesse / que la vie tient toujours97 » laisse transparaître la formule « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est ensuite condamné à manger froid jusqu’à la fin de ses jours98 » placée par Romain Gary au début de La promesse de l’aube99, la cohérence de la réaccentuation conjointe opérée par Thiéfaine se traduisant par la substitution du « sushi » – mets cru qui se déguste froid – aux « crustacés » et surtout aux « fritures » proposées chez Fleming par « L’Auberge du Fruit Défendu ».
Parmi les paroles prononcées au cours de la conversation entre Vesper Lynd et James Bond qui viennent s’insérer dans la trame référentielle du discours thiéfainien, la remarque « – Les êtres sont des îles, dit-elle. Ils ne se touchent pas réellement. Si près qu’ils soient, ils sont encore séparés100 » retient particulièrement l’attention dans la mesure où elle imprime sa marque – par le biais d’une inversion de la perspective attribuant désormais la déclaration au protagoniste masculin – au discours de « photographie d’un rêveur » dont les vers « tu es mon île / dans mes amours insensées101 » réinterprètent l’équivalence individu-île établie dans le roman dans le sens d’une valorisation exclusive de la figure féminine, que sa nature d’« île » élève au rang unique d’un repère inébranlable et permanent au sein d’une vie tumultueuse. L’écho indirect apporté à l’affirmation de Vesper se complète ici d’une remise en question sous-jacente des vers de John Donne « nul n’est une île / à soi suffisante102 » – auquel Thomas Merton emprunte le titre de son traité Nul n’est une île103 –, la qualité d’île telle qu’elle est reconnue au personnage féminin s’inversant au plan symbolique pour devenir le signe non plus d’un isolement réel ou illusoire, mais bien du lien spécifique qui s’établit avec le protagoniste à travers la fonction d’orientation qu’il assigne à sa partenaire.
L’évidence – telle qu’on l’a déjà constatée lors de l’évocation des prouesses de Bond au volant de sa Bentley – de la transposition du plan technico-mécanique à celui de l’érotisme caractérise également la séquence d’Opération Tonnerre « Ses doigts jouaient avec les commandes aussi délicatement que s’il s’était agi des zones érogènes d'un corps féminin104 » où le glissement de la perspective dépeint la maîtrise hors pair du pilote d’avion Petacchi auquel échoit la difficile mission de transporter les bombes nucléaires volées. Si la déclinaison de la double accentuation s’accomplit de manière quasiment inchangée sur le plan des constituants verbaux dans le vers « & ses mitrailleurs albinos sur ses zones érogènes105 » rencontré dans « la ballade d’abdallah geronimo cohen » – les « mitrailleurs » substitués aux « commandes » relevant eux aussi de l’équipement d’un avion militaire –, elle se charge d’une signification radicalement différente du seul fait du changement de contexte, qui place au centre de l’évocation non plus l’incarnation de la virilité conquérante décrite par Fleming, mais la figure féminine de l’adolescente en proie aux bouleversements physico-affectifs de la puberté « avec l’insurrection de ses airbags sur sa poitrine / & ses juke-box hurlant dans le labyrinthe de son spleen106 ». Une telle redéfinition impose ipso facto une appréhension figurée des « mitrailleurs » dont la fonction de pilonnage s’exerce ici dans le cadre du processus de satisfaction auto-érotique, tel qu’il est évoqué à trois reprises et dans trois formulations différentes par le refrain « c’est juste une go / qui cache pas ses blêmes / & qui s’caresse le distinguo (le placebo / la libido) sur la dernière rengaine107 ». En perdant leur fonction militaro-guerrière pour devenir une désignation substitutive des doigts de l’adolescente, les « mitrailleurs albinos » ne conservent de leur signification première que la dimension d’indicateur du tempo à la fois rapide et intensif d’une activité dont la formulation énigmatique révèle implicitement la connotation (auto)-agressive, à laquelle se superpose aussi la visée tactico-stratégique qui lui échoit en tant que tentative d’auto-affirmation voire de défi face au contrôle exercé par sa mère, dont la description proposée dans l’incipit « avec les radars de sa reum surveillant ses draps mauves108 » intéresse à un double titre : du fait qu’elle recourt également au vocabulaire de la surveillance policière ou militaire, elle crée une forte cohérence discursive qui confirme au plan sous-jacent la présence du substrat flemingien, tandis que le choix du terme « reum » en tant qu’élément propre au vocabulaire de l’« ado109 » souligne indirectement la subjectivité de la présentation ainsi opérée. En dépit de la distance prise selon toute apparence avec le cadre guerrier qui est celui de la séquence d’Opération Tonnerre, la situation de conflit latent qui s’installe entre mère et fille et trouve sa traduction dans l’attitude de révolte permanente affichée par cette dernière – telle qu’elle imprègne jusqu’à l’évocation des processus de transformation physiologique, ainsi qu’on a déjà pu le remarquer à propos de « l’insurrection de ses airbags sur sa poitrine110 » – reproduit mutatis mutandis l’entreprise de défi planétaire dont Petacchi est le représentant dans le roman. Non contente d’éclairer l’arrière-plan intertextuel de la formulation énigmatique tant pour l’ensemble du vers que pour le détail de ses constituants verbaux, l’identification de l’apport flemingien commande celle de la mise en parallèle constante des deux textes dans leur entier du fait que l’ensemble de la dynamique discursive intègre des rappels à la constellation d’Opération Tonnerre, dont la transposition au contexte intrafamilial conserve de bout en bout le double marqueur du potentiel agressif et de l’exacerbation de la sexualité.
Si la réécriture effectuée dans « la ballade d’abdallah geronimo cohen » se distingue tant par la précision du détail énonciatif que par l’empreinte en profondeur qu’elle appose sur l’ensemble de l’agencement du texte, la présence du substrat flemingien se fait plus furtive voire anecdotique dans « fièvre résurrectionnelle » où le vers « avec autour du cou des cordes de piano111 » trouve une possibilité d’élucidation dans le passage de Bons baisers de Paris où James Bond se livre à des suppositions peu flatteuses sur le physique des femmes qu’il pourrait lui être donné de rencontrer. En permettant de transposer au contexte de la chanson l’équation « cordes de piano » = « cheveux », la phrase « les cheveux blonds dépassant du coquin béret de velours seraient bruns à la racine et gros comme des cordes de piano112 » lève le voile sur au moins un aspect de la polysémie du vers de Thiéfaine, sans occulter pour autant l’accentuation meurtrière véhiculée par l’image de la corde de piano utilisée en tant que garrot notamment dans un contexte de répression dictatoriale, tel qu’il s’oppose sur le mode d’un écho inversé à la dimension « insurrectionnelle113 » dont l’auteur souligne explicitement l’importance dans le texte. Alors que cette dernière se déduit tant de la quintuple évocation des « banlieues » d’une série de villes réparties à travers l’ensemble du globe – dans un rappel direct de l’insurrection dont « quand la banlieue descendra sur la ville114 » prophétise l’inéluctable déchaînement – et de l’invitation sous-jacente à la permutation des préfixes – « ré- » s’effaçant au profit de « in- » – au début de l’adjectif épithète qui figure dans l’intitulé de la chanson. Remarquons en outre que l’utilisation détournée des « cordes de piano » transformées en instrument de mort est à la fois renforcée et invalidée par le vers « & aux poignets des clous pour taper le mambo115 » dans lequel le processus descriptif renouvelle l’équivoque entre musique et torture, la réminiscence d’une crucifixion se superposant ici au prélude à un déferlement extatique. À la différence des transpositions implicites dans lesquelles le discours de la chanson s’inscrit dans un rapport de parallélisme et/ou d’opposition constant avec le substrat issu de telle ou telle aventure de James Bond, l’amorce flemingienne reste ici cantonnée à la seule fonction de support de départ à une élaboration verbale hautement complexe à laquelle elle reste totalement étrangère sur le fond, ce qui ne saurait surprendre par ailleurs dans la mesure où la figure aux dimensions d’archétype du féminin transcendant toute réalité tangible – « mais toi tu viens d’ailleurs, d’une étrange spirale / d’un maelström unique dans la brèche spatiale116 » – ne présente aucun autre point commun avec la caricature à vocation de repoussoir imaginée par Bond dans un moment de découragement passager. La consistance intrinsèque de l’assimilation des « cordes de piano » à une chevelure est néanmoins renforcée par le fait que le rappel flemingien se superpose ici à la recréation abrégée d’une séquence de Corbière dans laquelle les dents de la figure féminine sont délibérément confondues avec les touches de son piano, ouvrant ainsi la voie à la remarque dépréciative qui les qualifie de « touches qui ne vont pas aux cordes des cheveux !117 ». La double possibilité d’étaiement de la lecture axée sur l’acception figurée des « cordes de piano » telle qu’elle donne naissance au motif des cheveux ne suffit pas ici à lui assurer la priorité sur l’offre herméneutique concurrente basée sur le sens premier de la formule et dont la suggestivité se nourrit de la confrontation des deux accentuations antagonistes, telles qu’elles renvoient respectivement à deux univers pris a priori dans un rapport d’exclusion réciproque. Un tel constat confirme le rôle marginal dévolu à la séquence flemingienne, qui constitue ici tout au plus – à égalité avec le vers de Corbière – une manière de déclencheur de l’association imagée qui vient dépouiller les « cordes de piano » de leur matérialité première, assurant ainsi un contrepoint fantasmatique à l’évocation dédoublée de leur réalité.
Le vers de « prière pour Ba’al Azabab » évoquant des « lèvres rouges & sensuelles brillant sous la voilette118 » est l’occasion de détailler un entrelacement intertextuel inédit dans lequel une séquence flemingienne fusionne avec un passage d’un roman de Joseph Conrad, chacun des deux constituants de la recréation combinée contribuant pour une part nettement identifiable à la mise en œuvre de la dynamique de réécriture. Le substrat énonciatif issu des aventures de James Bond est à chercher dans les lignes de Bons baisers de Russie consacrées à la rencontre secrète entre ce dernier et sa partenaire Tania : « Bond entendit une glace se baisser au-dessus de sa tête. Il leva la tête et trouva immédiatement un peu gros le truc du voile noir. Cette idée de dissimuler ainsi des lèvres sensuelles et des yeux pétillants !… Une idée d’“amateur”119 ». Si la mention des « lèvres sensuelles » réapparaît à l’identique dans le vers de Thiéfaine, on note ici que les autres indicateurs signalétiques contenus dans celui-ci – soit la couleur rouge et la voilette – sont soit absents de la description proposée chez Fleming, soit traités de façon très différente dans celle-ci puisque le « voile noir » – qui se différencie nettement du caractère aérien voire quasi-transparent de la « voilette » mentionnée chez Thiéfaine – frappe davantage par son opacité – celle-ci s’expliquant à son tour par la tentative maladroite de dissimulation telle qu’elle est reconnue et critiquée par Bond – que par sa faculté à laisser transparaître les lèvres de Tania. La conservation du renvoi à la luminosité émanant du visage féminin va par contre de pair avec sa transposition ciblée à une autre partie de ce dernier, puisque les « yeux pétillants » sont relayés dans la chanson par le caractère « brillant » des lèvres, sur lesquelles se focalise en totalité la perception de la femme qu’a le protagoniste. Complétant l’inventaire des correspondances référentielles mobilisées dans le vers de Thiéfaine, ce sont précisément les éléments dont on ne trouve pas trace dans le paragraphe de Fleming qui sont mis en exergue dans le passage de Fortune dans lequel Marlow relate sa rencontre avec Flora, la figure féminine dont le roman relate le difficile parcours de vie : « La bouche semblait très rouge dans le visage pâle à peine entrevu sous la voilette, la forme du petit menton pointu avait quelque chose d’agressif. Menue et même anguleuse dans sa modeste robe noire, elle offrait une petite silhouette émouvante et – ma foi – désirable120. » La mention conjointe de la bouche « rouge » et de la « voilette » offre la possibilité de mettre encore davantage en relief dans le discours de la chanson la qualité « sensuelle » qui reste à l’inverse étrangère au portrait de Flora et que le remplacement de la « bouche » par les « lèvres » permet de mettre encore davantage en valeur dans le texte de la chanson, faisant ainsi de la plus suggestive des « visions121 » qui assaillent le protagoniste une manière de quintessence des incarnations de la luxuria, telle qu’elle trouve logiquement une place privilégiée dans la prière adressée au diable – dont la teneur « ne me délivrez pas du mal122 » se situe en ce sens en plein accord avec l’approche de l’existence et de ses plaisirs pratiquée par Bond tout au long des récits dont il est le héros. La contamination-recomposition des matériaux énonciatifs contenus dans les deux évocations romanesques de la séduction féminine – réalisées dans les deux cas de la perspective d’un personnage masculin particulièrement sensible à cette attractivité immédiate, configuration renouvelée dans le cadre de la chanson – débouche ici sur un portrait au fort rayonnement suggestif et doté de son individualité propre, malgré sa remarquable brièveté et en dépit – ou plus précisément en raison compte tenu de la technique d’amalgame propre à l’écriture de Thiéfaine – du caractère morcelé voire composite des apports de double provenance intégrés dans le processus de réécriture. La dominance de la composante érotico-sexuelle – qui apparaît d’autant plus indéniable du fait de la concentration du discours thiéfainien sur le seul attribut physique des « lèvres rouges & sensuelles » – incite à accorder la prééminence au substrat flemingien en tant que facteur déclenchant de la démarche de réaccentuation par rapport à la mise en retrait de la dimension de séduction chez Conrad – aspect que Marlow ne s’avoue qu’in extremis en concordance avec l’émergence entravée de l’Éros chez Flora qui constitue le nœud de l’action du roman. Les deux amorces dont on vient de décrire la sollicitation conjointe sont toutefois symboliquement réunies dans le vers suivant « Botticelli s’égare sur mes figures abstraites123 » dans lequel l’adjectif épithète souligne indirectement le caractère délibérément construit des « figures » – le vocable étant pris lui-même dans sa double acception de schéma régissant l’organisation du discours et de représentation figurée, soit de personnage ou de forme (= figure) humaine telle qu’elle se révèle aux yeux du protagoniste et/ou du lecteur. Si la qualification d’« abstraites » semble au premier abord orienter l’exégèse dans le même sens d’une accentuation de la dimension « artificielle » – au sens originel du latin artificialis avec son renvoi direct à la pratique artistique –, le rétablissement du double sens propre au latin abstractus dévoile au plan sous-jacent la qualité d’« extrait » – extractus répondant en quelque sorte en symétrique latent à abstractus –, de passage « tiré » de telle ou telle œuvre qui est bien celle des deux séquences présentes à l’arrière-plan du discours du texte, la vision de l’attractivité érotico-sexuelle s’élargissant ainsi à une réflexion à caractère poétologique. Signalons enfin que le « petit tonneau » (botticello) qui se dissimule derrière le nom de Botticelli parachève la célébration de la sensualité diabolique – telle que la dicte le thème principal de la chanson – en y incluant la représentation d’un accouplement « contre nature » réunissant les « figures » incarnant la séduction féminine et un protagoniste au physique difforme – et comme tel relevant du cortège traditionnel du diable tel qu’il incorpore les silènes et satyres des bacchanales antiques124, que le texte de la chanson ressuscite à travers l’invocation au « seigneur fou des bacchanales125 ». De l’attitude tout en retenue qui est celle de Flora dans Fortune aux égarements dionysiaques du travestissement « botticellien » en passant par la sensualité à fleur de peau qui émane de la figure de Tania dans Bons baisers de Russie, les trois « figures » du féminin réunies au plan implicite et placées sous l’égide de « Ba’al Azabab » dans le distique de Thiéfaine illustrent tout le spectre des variations de l’Éros dans lequel une place de choix revient à l’évocation flemingienne en tant qu’affirmation explicite et sans détour du primat de la sensualité.
Un épisode déterminant de la biographie du héros de Fleming affleure de façon inattendue dans le discours de « autoroutes jeudi d’automne », dont l’incipit « elle m’envoie des cartes postales de son asile126 » reflète entre autres offres de lecture – dont on renonce à détailler la multiplicité dans la mesure où celle-ci laisse moins transparaître un entrelacement analogue à celui qu’on vient de décrire qu’elle n’offre la possibilité de permuter à volonté les options référentielles – la relation entre James Bond et Tracy (Teresa), qu’il finit par épouser et qui connaît une fin tragique le jour même de leur mariage. C’est dans Au service secret de Sa Majesté – dont on a déjà rappelé en ouverture de ces réflexions que l’intitulé est cité littéralement dans « sweet amanite phalloïde queen » à la seule exception de l’adjectif épithète – que sont relatées les étapes de leur histoire et notamment la phase décisive du séjour en clinique de la jeune femme dont l’évocation se profile à l’arrière-plan du texte dès les premiers mots de la chanson, comme invitant à compléter les indications lapidaires du premier vers par un renvoi au passage correspondant du roman de Fleming : « Mais maintenant il fallait songer à Tracy. Elle se trouvait toujours en Suisse. Il allait la rejoindre bientôt. Elle lui avait manqué, il s’inquiétait pour elle. Jusqu’à présent, il avait reçu trois cartes postales, peu compromettantes, mais tendres, envoyées de la clinique de l’Aube, à Davos.127 » Si le sens médico-psychiatrique du terme « asile » n’est pas explicitement mentionné dans les lignes citées, il est établi sans équivoque par la phrase suivante qui vient dissiper tout doute relatif à la nature de l’établissement qui accueille Tracy : « Bond s’était renseigné et on l’avait informé que Tracy était soignée par le Professeur Auguste Kommer, Président de la Société Psychiatrique et Psychologique Suisse128. » La lecture ainsi suggérée par le roman s’applique d’autant plus aisément au vers de Thiéfaine que le reste de la strophe apparaît focalisé sur l’état de la figure féminine, tel qu’il ressort de la teneur des « cartes postales » pour lesquelles la notation flemingienne « peu compromettantes, mais tendres » sert de base à une évocation nettement plus fournie du ressenti psychique de la jeune femme : les « cartes postales » de la chanson surprennent en effet d’entrée de jeu leur destinataire en « m’annonçant la nouvelle de son dernier combat129 », avant de se livrer à des confidences qui autorisent aussi bien la lecture médicale déjà validée par le contexte du roman que l’acception figurée faisant de l’« asile » un refuge indispensable au personnage dans la situation de découragement qui est la sienne : « elle me dit que la nuit l’a rendue trop fragile / & qu’elle veut plus ramer pour d’autres guernica130 ». Si les considérations développées par la figure féminine – et restituées ici sur le mode de la paraphrase par le protagoniste en tant que lecteur de celles-ci – semblent a priori très éloignées du contexte du roman, elles offrent en fait une exemplification sous-jacente non pas des indications anodines accompagnant chez Fleming la mention des « cartes postales », mais bien de l’ensemble des expériences vécues jusqu’ici par Tracy parmi lesquelles figure la tentation récurrente du suicide, à laquelle le séjour en clinique est précisément destiné à apporter un remède. Considérées comme un commentaire global des séquences du roman consacrées à Tracy, les vers de Thiéfaine s’intègrent à merveille dans le portrait de celle-ci dont ils soulignent au plan sous-jacent des traits de caractère mis en exergue dans le roman comme sa fragilité ou l’attraction exercée sur elle par le côté nocturne de l’existence, le « dernier combat » prenant à cette occasion le sens d’une « agonie » qu’il est loisible d’appréhender dans son sens littéral, tandis que la mention d’apparence cryptique des « autres guernica » restitue à la notion de combat l’acception guerrière qui s’accorde avec le souvenir de la guerre d’Espagne, le verbe « ramer » renvoyant alors aux efforts déployés en vain tant par Tracy que par les défenseurs de la ville. Au-delà de cette réminiscence historique et de son adéquation avec l’état mental de Tracy à propos duquel le protagoniste note ensuite « & je calcule en moi le poids de sa défaite131 », la sollicitation du terme « guernica » fait naître à cet endroit du texte de la chanson un halo polysémique dont chacune des accentuations implicites entre en résonance directe avec les difficultés existentielles de l’héroïne telles que les exposent divers chapitres du roman. Si le jeu de mots sexuel d’inspiration lacanienne « guernica »-« guère niqua » souligne ainsi à juste titre la rareté voire l’absence des contacts physiques intervenus entre Tracy et Bond, la pleine appréhension de la fonction signalétique qui s’attache ici au nom de « Guernica » passe par le rapprochement avec la valeur de leitmotiv cryptique qu’assigne Romain Gary à ce dernier dans toute une série de ses œuvres, où il illustre – toujours à travers le rappel historique dont il vient d’être question – le rapport complexe et paradoxal de la création artistique avec la souffrance. En témoigne – pour se limiter à quelques-uns des nombreux exemples qui parsèment les textes de l’auteur – l’affirmation « des cadavres de Guernica, Picasso a tiré Guernica132 » ou sa généralisation à une définition de l’artiste en tant que celui qui « fait naître la beauté de Guernica à partir des cadavres133 » ou a pour mission de « transformer Guernica en un Guernica, c’est-à-dire des cadavres en un jouir esthétique134 ». Considéré sous l’angle de la réappropriation de l’axiome garyen, le refus de la figure féminine de « ramer pour d’autres guernica » se lit ainsi comme une problématisation sous-jacente d’un rapport érotico-affectif qui ne lui rapporte qu’une aggravation de ses souffrances, alors que seul son partenaire y trouve une satisfaction qu’on peut aussi bien qualifier d’artistique – dans la mesure où le protagoniste peut être considéré comme un avatar du type du poète à la recherche d’inspiration – que d’empreinte de sadisme ou à tout le moins de besoin de « séduire pour mieux détruire135 », ainsi que le confirme notamment le distique à la polysémie complexe « je m’arrête pour mater mes corbeaux qui déjeunent / & mes fleurs qui se tordent sous les électrochocs136 ». Si la mention des « corbeaux » confirme l’appartenance du protagoniste à l’univers des poètes, tant à travers le rappel des divinités tutélaires de ces derniers que sont Apollon et Odin que par les nombreuses associations poétiques qu’elle suscite et dont la plus célèbre est celle qui renvoie au Corbeau d’Edgar Poe – qu’une affinité spécifique unit également avec le protagoniste du « jeu de la folie » ainsi que le souligne le distique « il est fini le temps des laudanums-framboise / & le temps des visites au corbeau d’allan poe137 » –, le sens premier des « électrochocs » vient directement à l’appui de la lecture psychiatrique de l’« asile », renforçant du même coup le rôle déterminant pour l’agencement discursif de la chanson joué par le séjour en clinique de Tracy et par la thérapie suivie à cette occasion par celle-ci, même si le roman n’en détaille pas les modalités. Tout aussi décisive – tant du point de vue de l’exhaustivité exégétique que de celui de la mise en lumière de la fonction du substrat flemingien, telle qu’elle se laisse décrire sous un nouvel aspect à partir de la correspondance intertextuelle que le terme d’« électrochocs » fait à lui seul entrer en jeu, est l’offre de lecture véhiculée par la sollicitation implicite de la signification particulière conférée au vocable par Romain Gary chez lequel il devient purement et simplement une désignation abrégée du processus de rapprochement sexuel138, ainsi qu’il ressort de ses déclarations lors d’entretiens avec des journalistes dont on se contentera de citer les deux suivantes : « Je veux dire que la sexualité sans amour agit comme un stabilisant du système nerveux, un électrochoc. Pour moi ça a toujours été un interrupteur radical de tout “état”. C’est à la fois une interruption des intensités excessives et du clopin-clopant.139 », « L’orgasme, pour moi, c’est comme un électrochoc, cela me soulage de mes tensions et me met pour plusieurs heures dans un état d’euphorie140. » Dans un contexte où les « fleurs » sont présentes en tant qu’appellations substitutives des femmes141, les voir « se [tordre] sous les électrochocs » revêt ainsi une signification tout aussi évidente que diamétralement opposée à celle qui se dégage de la lecture littérale d’abord évocatrice d’une composante sadique (telle que Fleming la dépeint comme existant bel et bien dans une certaine mesure chez Bond ainsi que le souligne le bref portrait tracé dans Entourloupe dans l’azimut – « Mais il y avait quelque chose de cruel dans sa bouche, et son regard était froid.142 » –, alors que l’option herméneutique complémentaire évocatrice de rapports sexuels à dimension quasi thérapeutique rappelle plutôt tant l’importance de la sexualité dans la vie de l’agent 007 que sa pratique le plus souvent (sauf précisément en ce qui concerne Tracy) dénuée de toute implication affective et privilégiant les partenaires multiples, dont l’existence se déduit pour ce qui est du protagoniste de la chanson de l’emploi du pluriel « mes fleurs143 ». Si la précision de la réécriture thiéfainienne permet de relier pratiquement chaque formulation contenue dans les séquences concernées de la chanson à un élément précis et aisément identifiable du roman, elle débouche cependant en fin de compte sur une prise de distance avec la constellation de ce dernier – voire une redéfinition point par point de celle-ci dont on peut également retracer en détail les ressorts et les modalités de mise en œuvre. Le point de départ de la réorientation discursive est constitué par la remarque « Bond avait écrit à Tracy un mot affectueux et encourageant qu’il s’était débrouillé pour faire poster en Amérique. Il lui avait annoncé son prochain retour et promis de la voir au plus vite. Allait-il tenir sa promesse ?144 », dans laquelle l’ambiguïté de l’attitude de James Bond envers Tracy – oscillant entre la sincérité d’une préoccupation nourrie par la forte attirance éprouvée pour la jeune femme et un manque de fiabilité patent qui laisse dans l’incertitude toute perspective de stabilisation future – est expressément mise en lumière par le narrateur, orientant le processus de réécriture aussi bien vers deux options concurrentes et opposées – l’une accentuant le refus du protagoniste de la chanson de s’investir pleinement dans la relation, l’autre renforçant son désir de venir en aide à la figure féminine – que vers une possibilité de combinaison des deux approches reproduisant alors l’ambivalence du substrat flemingien. C’est vers la première des possibilités énumérées que s’oriente la toute fin du texte de Thiéfaine « mais je relève mon col, j’appuie sur le starter / & je vais voir ailleurs, encore plus loin ailleurs145 », qui acte une rupture définitive lors de laquelle le geste du protagoniste reflète paradoxalement celui qu’accomplit Bond à un moment crucial de l’action : « Bond releva son col et se mit à courir sur le sentier qui conduisait au club, et à sa douce et sympathique chaleur146. » La similarité que présentent tant la réaction d’autoprotection que sa double motivation – se prémunir non seulement contre le froid mais aussi contre un malaise diffus dû à une atmosphère porteuse de danger et/ou de tension – ne fait ici qu’accroître la distance qui sépare désormais les deux figures masculines, dans la mesure où l’action accomplie par le protagoniste de la chanson revêt également la signification d’un trait définitif tiré symboliquement sur la relation avec la figure féminine, alors même que Bond envisage de prolonger voire de consolider ses rapports avec Tracy. (Remarquons au passage que si l’on choisit d’activer plutôt la composante de l’intertextualité évocatrice des paradis artificiels, il est alors aisé de rapprocher le geste évoqué dans la chanson du passage de la préface au Festin nu dans lequel Burroughs décrit « les drogués remontant leur col, frissonnant dans l’aube malade de la drogue147 », l’entrelacement référentiel autorisant ainsi deux exégèses complémentaires et également légitimes de la même séquence du texte.) Si les deux vers précédant immédiatement celui qu’on vient de citer – « j’ai gardé mon turbo pour défoncer les portes / mais parfois il me reste que les violons pour pleurer148 » – invitent toutefois à nuancer l’impression d’indifférence affichée qui se dégage du distique final, il est tout aussi manifeste que le contraste entre la brutalité du renvoi au « turbo » dont on a détaillé plus haut la possibilité de redéfinition sexuelle et la mélancolie de la déploration à tonalité verlainienne ne s’inscrit nullement dans le cadre du portrait de James Bond que trace Au service secret de Sa Majesté, quand bien même le premier des deux vers correspondrait en effet au constat qu’on peut faire dans d’autres épisodes de la série des romans. Tout aussi déterminante en ce qui regarde la divergence de présentation entre le discours de la chanson et celui du roman apparaît l’occultation persistante de la figure féminine dans la strophe de Thiéfaine, alors que Tracy reste comme on l’a vu au centre des pensées de Bond pendant tout le déroulement de l’action. Si bien étayé qu’apparaisse ici le constat d’une mise à distance du personnage féminin au terme du processus discursif de la chanson et par là même d’une redistribution évidente des cartes par rapport au substrat flemingien, on ne saurait cependant passer sous silence la relativisation des conclusions énoncées ici qu’apporte lors de l’exécution de la chanson – que ce soit sur l’album studio ou lors des différentes versions live dont la dernière est celle du Vixi Tour 2015-2017 – la répétition textuelle et musicale – partie instrumentale comprise – du quatrain initial « elle m’envoie des cartes postales de son asile / m’annonçant la nouvelle de son dernier combat / elle me dit que la nuit l’a rendue trop fragile / & qu’elle veut plus ramer pour d’autres Guernica149 » : en ramenant sur le devant de la scène la figure féminine en dépit du congé implicite que vient de lui donner le protagoniste, la reprise finale renoue avec le schéma de la constellation du roman sans que l’on puisse pour autant tenir pour définitivement fixée l’issue du processus discursif, qui reste prise dans une oscillation indécidable entre conformité au modèle flemingien et remise en question de ce dernier au profit d’une mise en relief accrue de la position libre de toute attache revendiquée par le protagoniste – telle qu’elle est aussi celle de James Bond avant sa rencontre avec Tracy et le redevient tout naturellement après la mort de celle-ci ainsi qu’on peut s’en rendre compte dans les récits qui suivent Au service secret de Sa Majesté.
Après avoir ainsi refermé le chapitre des recréations implicites dont font l’objet les séquences axées sur la thématique de l’Éros et le rapport de James Bond au féminin, on se propose de compléter l’inventaire des réaccentuations par un regard sur le traitement réservé dans le corpus des chansons aux passages relatifs à l’exercice même de la profession d’agent secret jusque celle-ci. La phrase retraçant les sensations de Bond pendant la scène de torture de On ne vit que deux fois « À chaque coup sa tête éclatait en mille petits fragments de douleur.150 » connaît ainsi une déclinaison inattendue dans les « confessions d’un never been » avec les vers « où mes synapses explosent en millions d’étincelles151 », qui transposent l’exacerbation de la souffrance éprouvée par le héros de Fleming sur le plan d’une expérience de transcendement-éclatement de la conscience habituelle comparable aux symptômes de l’accession au satori : la révélation d’inspiration zen – elle aussi localisée dans le cerveau par la tradition bouddhiste152 et relatée ici par le biais du travestissement supplémentaire que constitue le recours au vocabulaire des neurosciences – fusionne avec le rappel d’une douleur insupportable amenant au bord de la perte de conscience celui auquel elle est infligée. La superposition des références débouche ici sur la confrontation de deux lectures antagonistes renvoyant d’un côté à l’accomplissement suprême tel qu’il résulte de la mise hors-jeu de la conscience et surtout de l’intellect, de l’autre à un paroxysme de douleur qui conduit par des voies opposées à un effacement similaire, le lecteur pouvant soit opter pour l’une ou l’autre des deux exégèses en fonction de ses propres préférences – ainsi que de sa faculté à appréhender le jeu complexe de l’intertextualité –, soit décider de maintenir le balancement irréductible entre les deux visages d’une même expérience tel que le suggère la création de l’entrelacement référentiel avec son invitation indirecte à approfondir l’intrication intime du plaisir et de la douleur. La dernière option se révèle d’autant plus fructueuse qu’elle témoigne de la profonde adéquation que présente le discours multivoque avec l’ambivalence propre à la façon dont le thème de la torture est abordé chez Fleming par l’intermédiaire de son personnage principal, qui se réfère en manière d’encouragement aux souvenirs de collègues forcés jadis d’affronter la situation qui est la sienne au moment où il se livre à la réflexion suivante : « vers la fin, survient une merveilleuse période de chaude langueur, conduisant à une sorte de crépuscule sexuel, où la douleur se mue en plaisir et où la haine et la crainte qu’inspirent les tortionnaires tournent à la fixation masochiste153. » C’est à la même assimilation explicite de la torture et du plaisir que souscrit le protagoniste de « sweet amanite phalloïde queen » anticipant sa rencontre avec « la reine aux désirs écarlates154 » qu’il se représente « dans son antichambre d’azur / avant la séance de torture155 », désignation dont la plausibilité est encore renforcée par l’identification sous-jacente de la figure féminine avec Jézabel telle qu’on l’a établie en ouverture de ces lignes. Nonobstant l’absence d’un renvoi direct aux scènes de torture flemingiennes, c’est dans les mêmes « eaux troubles & noires des amours-commando156 » que se situe le rapport qui unit le protagoniste de « garbo xw machine » à la figure éponyme, de la proclamation d’intention initiale « & maintenant je viens m’annuler / devant ton lapis-lazuli157 » à l’expression d’une soumission sans bornes telle qu’elle s’exprime dans les vers de la dernière strophe « je te laisserai me déchirer / m’arracher la chair & les os158 » : le modèle flemingien basé sur l’érotisation des scènes de torture s’inverse ici en une transposition de l’Éros dans un univers évocateur du Jardin des Supplices, la réciprocité de la dynamique d’assimilation nourrissant naturellement la similarité des processus discursifs. Un autre exemple significatif est fourni par la polysémie des « alligators 427 » que la restitution de leur qualité d’alligatores – soit « [anges] enchaîneurs » notamment au sens augustinien du terme159 – dévoile entre autres lectures qu’on laisse ici de côté160 comme les protagonistes d’un rituel sado-masochiste explicitement basé sur le bondage, et dont la relation s’inscrit dans le prolongement littéral d’une autre remarque de Fleming – émise cette fois de la perspective du narrateur – relative au déroulement de la séance de torture en tant qu’objet d’une scénarisation consciente élaborée par chacune des deux parties concernées. Le postulat de départ d’après lequel « la torture rapide et brutale est rarement efficace contre un professionnel » est ainsi explicité par le constat que « le professionnel, si c’est un homme coriace, peut faire durer le “jeu” pendant des heures par des aveux mineurs, de longs bavardages, des renseignements fantaisistes161 », auquel répond sur en écho inversé la remarque du protagoniste de la chanson « surtout qu’à ce qu’on dit vous aimez faire durer162 » qui substitue à la tactique de survie de la victime la volonté délibérée des tortionnaires de prolonger la séance, tout en incorporant au discours multivoque la dimension ludique véhiculée par l’euphémisme « le jeu » dans la séquence de Fleming : le lecteur a ici carte blanche pour localiser le désir de « faire durer » dans la sphère du jeu sexuel ou dans son corollaire sadique de la salle de torture, la conjonction des deux possibilités exégétiques restant toujours possible et s’avérant tout aussi appropriée à l’ambiguïté constante qui domine le discours de la chanson.
Les scènes des romans de Fleming où la représentation toujours aussi exhaustive de la torture apparaît dénuée de toute connotation érotico-sexuelle offrent également un terrain propice à la réécriture thiéfainienne, qui tire un parti remarquable des détails révélateurs du raffinement de perversité sadique avec lequel le colonel Rosa Klebb, la tortionnaire en chef de Bons baisers de Russie, extorque des aveux aux suspects lors des interrogatoires. En resurgissant inchangée – quoique légèrement abrégée – à la toute fin de « résilience zéro », la précision aussi banale qu’effrayante « Il y avait dans son bureau une blouse tachée de sang, un petit pliant163. » – que vient compléter ensuite la notation indicatrice du retour à la routine quotidienne « elle retirait sa blouse maculée de sang frais et reprenait son travail164. » – confère à « l’instituteur qui nous coursait / sa blouse tachée de sang165 » l’aura maléfique d’un persécuteur diabolique, tandis que les « violents tourments166 » évoqués précédemment se dévoilent comme des tortures analogues à celles infligées par Rosa et ses sbires. Au-delà de la pertinence intrinsèque de l’assimilation de « l’instituteur » à la tortionnaire soviétique, l’intégration de la séquence flemingienne dans l’élaboration du discours à strates multiples débouche sur la mise en opposition calculée des références intertextuelles, dans laquelle la reproduction de la phrase de Bons baisers de Russie entre dans un rapport d’antagonisme sous-jacent avec la citation du prologue de l’Évangile de Saint Jean « au commencement était le verbe167 » qui ouvre la seconde partie de la chanson. C’est précisément à la figure a priori connotée négativement de « l’instituteur » identifié en tant que substitut de Rosa qu’il revient alors de réunir en elle les deux aspects de l’opposition référentielle initiale, désormais transmutée en polarité métaphysico-théologique dans la mesure où le personnage diabolique endosse une dimension surhumaine qui transcende les contours du personnage flemingien pour faire de lui le « double pervers168 » de la version lumineuse de l’« instituteur », dans laquelle il est indiqué de reconnaître Jésus à travers le double indicateur exégétique fourni par l’activation du sens étymologique renvoyant à « celui qui institue », au « fondateur » – Jésus pouvant en effet être défini comme le maître spirituel dont l’enseignement dispensé à ses disciples débouche sur la fondation du christianisme –, ainsi que par la citation du texte de Saint Jean dans laquelle le Verbe désigne le Fils de Dieu, ce que vient confirmer la suite immédiate du prologue rappelant l’incarnation de Jésus à travers la formulation « et le Verbe s’est fait chair169 ». La minutie de la reconstitution thiéfainienne se révèle ici dans le fait que ce dernier élément se retrouve lui-même incorporé au discours de la chanson par le biais de la notation « venu des profondeurs acerbes / & noires des garderies d’enfants170 », derrière laquelle se profile l’évocation cryptique de l’utérus de la virgo acerba (soit la très jeune femme) qu’est Marie préservant l’enfant dans son corps pendant sa grossesse171. En contrepoint au rôle d’accessoire du tortionnaire qui lui revient dans la lecture inspirée par le roman de Fleming – et qui apparaît d’autant plus plausible dans le contexte scolaire que la blouse fait ou a longtemps fait partie de la panoplie traditionnelle des instituteurs –, la « blouse tachée de sang » représente alors la tunique sanglante de Jésus crucifié tandis que le verbe « courser » troque son acception usuelle de « poursuivre à la course » contre celle d’« instruire » renvoyant à l’action de donner des cours. La mise en concurrence des deux offres herméneutiques, telle qu’elle se met en place de façon automatique à partir de l’entrelacement référentiel opposant le roman de Fleming et le prologue de Saint Jean, oppose de fait deux versions également crédibles et documentées d’un personnage que son ancrage initial dans la normalité quotidienne semble au premier abord doter d’une évidence incontournable, dont la double remise en question résulte du puissant potentiel intégratif propre à la dynamique du discours multivoque.
Comparée à la complexité des références croisées mobilisées dans le portrait de « l’instituteur », le passage d’Opération Tonnerre consacré aux aléas du métier d’agent secret et sa recréation dans « l’agence des amants de madame Müller » se répondent sur le mode d’une évidence immédiate qui n’interdit pas pour autant de tenter d’approfondir les implications véhiculées par le redoublement discursif, tel qu’il permet de fait d’appréhender sous un nouvel aspect la notion de « coup foireux » qui constitue le dénominateur commun entre les deux séquences. Alors que rapport de causalité défini par la phrase de Fleming « C’était exactement le genre de coup foireux que peut provoquer un excès de précaution172. » présente le retournement de situation qui menace de faire échouer le plan de Bond comme une conséquence imprévue et évidemment non souhaitée dans un processus d’organisation apparemment maîtrisé de bout en bout, les propos du protagoniste de la chanson inversent voire suppriment le lien de cause à effet en faisant de la qualification de « coup foireux » une manière de fait accompli a priori intangible, dont la reconnaissance par le personnage ne fait nullement obstacle à sa décision de se lancer dans l’entreprise en question : « Je n’ai absolument aucun alibi, ce soir-là justement j’étais sur un coup… sur un coup foireux.173 » La connotation délibérément absurde qui prend le dessus dans la réaccentuation du substrat flemingien s’inscrit dans un contexte général marqué par le déferlement de l’absurdité puis de la folie, soulignant a contrario la part déterminante prise par le hasard voire l’absurde dans l’exécution des projets les mieux préparés tandis que le discours de la chanson fait de l’anticipation du diagnostic d’échec un moyen de mettre paradoxalement hors-jeu tous les éléments relevant de l’impondérable.
La routine professionnelle basée sur le recours aux stratégies de mystification – qu’elles soient le fait du Secret Service ou des divers adversaires de son agent détenteur du « permis de tuer » auquel renvoie son matricule 007174 – est désignée chez Fleming par le terme aussi vague que suggestif de « bidon » dont le discours des chansons fait sienne tant l’accentuation dépréciative et démystificatrice que les possibilités de redéfinition implicite qu’elle comporte, alors même que Fleming alterne dans les séquences concernées d’Opération Tonnerre deux conceptions opposées du « bidon » tantôt conçu comme accessoire destiné à faciliter la tâche de James Bond et de Felix Leiter, son ami et complice de la C.I.A., tantôt dévoilé comme marque de la fourberie dissimulatrice déployée par le camp ennemi. Les explications fournies par Leiter à propos de la caméra qui va faciliter leur mission commune – « Mais à l’arrière de la caméra-bidon il y a une lampe, un circuit, des piles.175 » – contrastent ainsi avec l’exposition des soupçons nourris par Bond à l’égard des agissements apparemment insoupçonnables d’un adversaire qui semble étaler délibérément au grand jour son entreprise de chasse au trésor : « Mais si nous supposons précisément que tout soit du bidon – un bidon joliment réussi, mais il faut qu’il en soit ainsi avec ce qui est en jeu. Regarde la chose sous un autre angle.176 » C’est à cette double dimension du « bidon » que renvoie le vers « & nous sommes prisonniers / de nos regards bidon177 » qui fait suite dans « 71705 cherche futur » à la constatation « maintenant le vent s’engouffre dans les nirvânas178 » dont l’une des déclinaisons herméneutiques – à laquelle on s’abstient ici d’adjoindre les autres options exégétiques contenues dans le discours du vers – anticipe au plan sous-jacent la mise à bas d’une autre forme de « bidon », décelable dans l’effondrement des « nirvânas » rabaissés au rang d’offres illusoires de consolation et/ou d’accomplissement. Le caractère « bidon » des « regards » et davantage encore l’impossibilité de lui échapper – telle que la renouvelle sur un mode intensifié la conclusion du texte « mais dans les souterrains les rêveurs sont perdants / serions-nous condamnés à nous sentir trop lourds ?179 » – peut quant à lui être appréhendé entre autres orientations exégétiques au sens multiple d’un aveuglement – voulu ou imposé – portant aussi bien sur la défaillance de la faculté d’introspection que sur l’impossibilité ou le refus de se présenter de façon authentique aux yeux des autres, renouvelant ainsi l’attitude de « narcisse 81 » décrit comme « te maquillant le bout des yeux / d’un nouveau regard anonyme180 ». Le « regard » – « anonyme » ou « bidon » – destiné à faire illusion vers l’extérieur se confond alors avec sa variante destinée à percer les défenses d’autrui, réunissant dans un même verdict de dévalorisation les deux possibilités signalées par Fleming – et dont l’une est au contraire présentée comme légitime dans le cadre de la mission assumée par Bond et Leiter. La substitution des « regards » à la « caméra » flemingienne conserve à ces derniers la dimension intrusive propre à tout enregistrement réalisé à l’insu de la personne filmée – telle que la souligne avec une virulence appuyée la séquence de « lobotomie sporting club » dédiée aux « caméras & dentelles / dans l’œil des rats squattant les paradis virtuels181 » –, tout en autorisant l’activation de l’acception complémentaire du vocable en usage dans le bâtiment et les travaux publics, et qui voit dans le « regard » une « ouverture » ou un « puits » permettant d’accéder à une conduite souterraine telle qu’un égout par exemple – lecture qui se surimpose au sens littéral de la formulation pour ouvrir la voie à une réinterprétation sexuelle de cette dernière, telle qu’elle se rencontre également dans « le vieux bluesman & la bimbo » dont le protagoniste déclare « je m’écorche en dansant sous les regards / de tes crapauds crapuleux & blafards182 » (il est à noter que la « caméra » fait tout aussi régulièrement dans le discours thiéfainien l’objet d’une redéfinition implicite basée sur le sens latin de camera = chambre, option qui est en revanche totalement absente de la séquence d’Opération Tonnerre évoquant la « caméra-bidon ».)
La sollicitation particulièrement intensive du terme « bidon » chez Romain Gary constitue elle aussi un support adéquat à la réaccentuation des « regards bidon » de « 713705 cherche futur », et ce d’autant plus que le texte de la chanson mobilise de façon répétée la référence garyenne, du dernier vers de la première strophe « à filer mes temps morts à la mélancolie183 » qui décline une affirmation apodictique du protagoniste de La Danse de Gengis Cohn – au premier de la dernière « adieu gary cooper adieu che guevara184 » qui reproduit littéralement le titre de Adieu Gary Cooper tout en lui ajoutant un élargissement subtil à valeur de correction ou mieux de rééquilibrage sous-jacent de l’intitulé d’origine, puisque le renvoi au « héros américain » vénéré par le personnage masculin est désormais complété par la mention du personnage investi de la même fonction symbolique par la figure féminine. C’est à nouveau dans Adieu Gary Cooper que les mots prononcés par la même Jessica : « Paul, ta décadence, c’est une décadence bidon. Le fruit est peut-être mûr, mais le ver ne l’est pas185. » appliquent la qualification de « bidon » à un phénomène qui semble a priori abolir toute différenciation entre authenticité et dévoiement de celle-ci puisque c’est précisément une intention de délitement-dépréciation qui l’anime, avant que le diagnostic porté par Jessica ne soit explicitement invalidé dans la suite du roman avec la déclaration « On recommence. Cette fois, c’est pas bidon186. » prononcée par celui-là même à qui s’adresse le reproche initial. Bien que la disproportion manifeste entre le nombre restreint d’occurrences de « bidon » rencontrées chez Fleming – les exemples cités étant de fait les seuls figurant dans les récits consacrés à James Bond – et l’importance tant quantitative que qualitative accordée au même terme chez Gary (où il nourrit en outre la réflexion développée dans les essais et entretiens)187 puisse inciter à mettre en retrait la référence flemingienne au sein de l’entrelacement intertextuel, la nette amplification dynamique intervenue sous l’effet de cette dernière – telle qu’elle résulte pour une part du double potentiel de réaccentuation inhérent tant à la « caméra » qu’à son caractère « bidon » et pour l’autre de la mise en opposition des options stratégiques impliquées par le recours au « bidon » – suffit à garantir l’importance de celle-ci pour une analyse exhaustive des « regards bidon » thiéfainiens, à laquelle on ne saurait de toute évidence atteindre en privilégiant le seul renvoi implicite à Gary.
L’audace et la démesure qui sont nécessairement de rigueur pour mener à bien les périlleuses missions de l’agent secret trouvent une saisissante expression imagée dans les paroles adressées à Tracy dans Au service secret de Sa Majesté dans le but affiché de tourner en dérision son enthousiasme naïf : « Ça, c’est parler ! s’écria Bond avec enthousiasme. Qu’allons-nous faire ? Voler l’arc-en-ciel ?188 » La résonance que trouve une telle proposition dans « médiocratie » par le biais de la formule « on joue les chasseurs d’arcs-en-ciel / meublés chez stark & compagnie189 » – dans laquelle s’opère une extension implicite du « nous » réunissant les seuls Tracy et Bond à un « on » générique englobant la totalité du genus infelix humanum lucrétien190 apostrophé dans l’exergue du texte – s’accompagne d’une réorientation décisive – elle-même doublée d’une complexification d’autant plus déterminante qu’elle passe d’abord inaperçue – de la position de dérision telle que l’expose le texte de Fleming, qui se résume à une invalidation sans appel par Bond de la proposition informulée de Tracy, dont l’absurdité supposée ressort d’emblée du caractère délibérément disproportionné des termes choisis pour la décrire, tels qu’ils visent toute évidence moins à lui conférer un certain degré de plausibilité qu’à la dénigrer sans recours possible. Loin de récuser ou simplement d’interroger la possibilité pour les humains d’accéder au rang de « chasseurs d’arc-en-ciel », tant la forme affirmative venue remplacer la présentation interrogative initiale que l’élargissement au « on » générique qui caractérisent le processus de réécriture supposent par définition une adhésion sans réserve – dont aucun « je » porteur d’une voix critique ne peut s’exclure du fait même de la structure englobante de toute phrase ayant pour sujet « on » – à l’hubris générale, dont la nature démentielle se voit implicitement déniée et/ou ignorée sauf précisément à prendre en compte l’avertissement voire le démenti anticipé contenus dans la séquence flemingienne, tel qu’il invite à invalider la volonté exprimée par le « on ». La mise à distance supplémentaire induite par la formulation « on joue » – telle qu’elle fait ressortir sans y toucher le caractère ludique et/ou illusoire de la mise en scène collective – participe de la même dévaluation sous-jacente de la posture de toute-puissance, que vient alors parachever le distique suivant « mais on sort d’un vieux logiciel / made in néanderthal-city191 » par son renvoi à la permanence voire la prééminence indépassable de l'arsenal atavique192. En conclusion de cette, on ne saurait passer sous silence le fait que la notion de « chasseurs d’arc-en-ciel » est l’occasion d’un nouvel entrelacement intertextuel dans lequel l’apport flemingien voisine avec un autre éclairage tout aussi instructif de l’habitus à la fois conquérant et dérisoire revendiqué par l’humanité dans le texte de Thiéfaine. Le Napoléon enfant de Joseph Delteil qui « poursuivit un arc-en-ciel193 » au début de Il était une fois Napoléon préfigure au stade individuel et sur un mode particulièrement agressif l’ambition aveugle et sans limite que le texte de la chanson présente comme un attribut commun à tous les humains, donnant du coup une pertinence supplémentaire au renvoi aux « enfants de Napoléon194 » qui ouvre la série des évocations guerrières et destructrices de « 113e cigarette sans dormir ». L’assimilation à « une fille en mal d’amour195 » de l’arc-en-ciel se dérobant aux tentatives de le « saisir » – telle qu’elle fait également resurgir le souvenir du volume du Journal d’Anaïs Nin intitulé Comme un arc-en-ciel – contribue à infléchir significativement l’image des « chasseurs » qui prennent alors les traits de prédateurs sexuels, offre de lecture étayée par ailleurs dans le discours de la chanson à travers le participe « meublés » – dont le sens premier renvoie à la richesse ou à l’opulence – et le travestissement homophonique du nom du designer Philippe Starck, derrière lequel se profile l’adjectif allemand stark évocateur de force physique. Entre poursuite et vol de l’arc-en-ciel, le discours de « médiocratie… » réunit ainsi deux variations complémentaires d’un motif à la suggestivité évidente, qui invitent chacune à sa façon à un approfondissement des implications tant réelles que symboliques véhiculées par la comparaison des humains avec des « chasseurs d’arc-en-ciel ».
L’étonnante réhabilitation du diable entreprise sur le mode d’une feinte compassion par René Mathy, le collègue français de James Bond, à la fin de Casino Royale – « Je finis par m’apitoyer sur le sort du diable et de ses adeptes, comme le brave Le Chiffre. Le diable ne rit pas tous les jours, et j’aime toujours être du côté de la victime. Nous ne donnons pas sa chance au pauvre type196. » – se poursuit par un développement argumenté ciblant l’absence totale d’une tradition canonique centrée sur la figure de ce dernier, les causes d’une telle carence résidant d’abord dans le manque d’auteurs compétents – « Le diable n’a pas de prophètes pour écrire ses Dix Commandements et pas d’équipe d’écrivains pour rédiger sa biographie. Il est jugé par défaut197. » –, puis dans la conséquence naturelle qu’en constitue l’impossibilité de se référer à des ouvrages faisant autorité à la matière – « Il n’a pas de livre où nous pourrions apprendre la nature du mal sous toutes ses formes, avec des paraboles sur les méchants, des proverbes, un folklore sur les méchants198 ». C’est précisément à un tel état de choses que remédie pleinement le texte de « Prière pour Ba’al Azabab » avec sa triple invocation finale « seigneur fou des bacchanales / ne nous délivre pas du mal199 », qui prend le contre-pied absolu du « je te salue Seigneur200 » d’« angélus » tant par la substitution du diable à Dieu en tant que destinataire de la prière que par le contraste entre l’allégeance enthousiaste faite au diable et le défi nietzschéen qui s’exprime dans la déclaration « je suis ton assassin / je suis ton déicide201 ». Alors que les Litanies de Satan de Baudelaire conservent en dépit de leur caractère assumé de provocation scandaleuse le principe de la supplication à contenu positif telle que l’énonce le refrain « Ô Satan, prends pitié de ma longue misère !202 », le texte de Thiéfaine, qui opte avec une logique rigoureuse pour une formulation négative de la requête adressée à « Ba’al Azabab » et reflète ainsi jusque dans son agencement discursif la nature de « l’esprit qui toujours nie203 » – telle que l’attribue Goethe à Méphistophélès en tant que protagoniste diabolique du Faust –, se révèle par là même comme le prototype achevé des « Évangiles du diable » appelés de ses vœux par le personnage de Fleming.
On ne s’étonnera pas non plus que la présentation sous l’aspect d’« une sorte de Disneyland de la mort204 » de l’univers des « méchants205 » opposés au héros flemingien donne lieu à une recomposition spectaculairement amplifiée dans le tableau apocalyptique « des Luna-Parks en ruines, chaotiques flamboyants / aux disneyeuses gargouilles d’un Mickey toxico206 » que dresse « est-ce ta première fin de millénaire ? ». L’alliance inattendue de la dimension ludique incarnée par le parc de loisirs et de sa refonctionnalisation sous l’égide de la mort se renouvelle dans le discours de la chanson à travers une triple redéfinition de l’appellation « Disneyland » associée dans chacune de ses variations à des indicateurs spécifiques de la dynamique de mort, dont chacun véhicule également une implication dépréciative latente qui s’exerce au détriment des conceptions positives que vise à susciter l’univers de Walt Disney. Une perte de substance décisive frappe à cette occasion le terme même de « Disneyland » qui se voit remplacé dans sa définition première de parc d’attractions par les « Luna-Parks », dont le nom apporte à lui seul une rectification latente de la formulation flemingienne tout en maintenant – voire renforçant – l’impression dérangeante qui en émane : si la référence à la lune apporte une tonalité nocturne évocatrice de l’obscurité (ou de l’obscurcissement) qui vient s’abattre sur le décor de la scène – entrant ainsi en harmonie avec la dimension eschatologique conférée tout au long du texte à la notion de « fin de millénaire » –, elle constitue tout autant un rappel du rythme cyclique de la transformation menant de la vie à la mort et inversement, ouvrant ainsi la voie à la possibilité d’un nouveau commencement que le « Disneyland de la mort » exclut par définition. L’état de « ruines » auquel sont réduits les « Luna-Parks » traduit de même tant l’extension tous azimuts de l’impulsion mortifère – telle qu’elle trouve sa source chez Fleming dans la redéfinition du « Disneyland » – que son retournement contre elle-même : le processus d’inversion s’attaque in fine au lieu même dans lequel le basculement vers la sphère de la mort atteint son intensité maximale, telle que la souligne de façon doublement significative l’épithète de « chaotiques flamboyants » dans laquelle le style gothique flamboyant – qui consiste précisément en une exacerbation du gothique qui porte en elle-même les germes de sa dégénérescence – fait l’objet d’une transformation dévastatrice qui s’accomplit au sein même du processus de verbalisation à travers la corruption du terme « gothiques » déformé en « chaotiques » – et dont le résultat renvoie au style architectural prédominant des Disneyland, tel qu’il s’exprime par exemple dans la reconstitution du château de Neuschwanstein devenant celui de la Belle au Bois dormant. Le sens premier de « flamboyants » avec ses implications incendiaires – qu’anticipe au début du texte la localisation « dans ces rues où s’allument les guérillas urbaines207 » – participe en outre d’une démarche d’anéantissement généralisé dont la portée dépasse largement les frontières exiguës du domaine japonais où le sinistre chef du SPECTRE Blofeld poursuit ses entreprises meurtrières sous le masque d’un botaniste suisse : la dynamique d’élargissement spatial va ici aussi de pair avec le renforcement de l’accentuation apocalyptique, telle qu’elle amène à un degré insoupçonné d’accomplissement dans le discours de la chanson les désirs de domination-destruction formulés à titre individuel par le personnage du roman. Complétant la technique de travestissement mise en œuvre autour des « Luna Parks », la transformation adjectivale du nom même de Disney se charge d’un impact dévalorisateur encore accru par l’association de l’épithète « disneyeuses » aux « gargouilles » dont l’apparence monstrueuse évoque celle des personnages des dessins animés208 tandis que le renvoi implicite à la « gueule » ou à la « gorge » vomissant un liquide bouillonnant – tel qu’il est déductible de l’étymologie du terme – laisse le choix à l’exégète entre l’impression de contenus dont la nullité donne la nausée et le renvoi critique au caractère proche de l’éructation que revêtent les dialogues des dessins animés et qui signe lui-même la vacuité de leurs contenus, sans oublier l’évidence de la transposition sexuelle évocatrice du processus d’éjaculation209. S’agissant enfin du « Mickey toxico » dont le nom résume à lui seul le monde de Walt Disney puisqu’il renvoie au personnage fétiche des dessins animés ainsi qu’à son omniprésence dans les Disneyland où il accueille les visiteurs, son rôle dans la version thiéfainienne du « Disneyland de la mort » se révèle pour le moins ambivalent tant de par sa présentation en tant que « toxico » que du fait des possibilités peu flatteuses de réaccentuation que présente le nom de Mickey quand il ne désigne pas le héros de Disney. La double lecture de l’épithète « toxico » renvoie en effet aussi bien à la consommation de drogue attribuée au personnage – telle qu’elle prend le contre-pied de l’image traditionnelle de Mickey Mouse en tant qu’incarnation du bon citoyen respectueux des lois et des valeurs de la société – qu’à sa propre nature toxique ou empoisonnée – telle que l’établit le retour au sens d’origine de l’adjectif grec τοξικος – et en ce sens susceptible de contaminer ceux des amateurs de l’univers de Disney qui succombent à son attraction néfaste. Le terme « mickey » se charge pour sa part d’un fort impact dévalorisateur à travers ses acceptions argotiques renvoyant à un faux dur ou un bouffon voire carrément au membre viril, et auxquelles viennent s’ajouter les équivalents phonétiques plus ou moins rapprochées que sont le « miché » ou le « mec/mac », telles qu’elles sont particulièrement sollicitées dans la disqualification du personnage central de « pogo sur la deadline » traité de « mickey des lupanars210 ». La triple métamorphose de « Disneyland » qui s’accomplit dans les vers de Thiéfaine transforme ainsi l’association oxymorique réalisée par Fleming dans la formulation « Disneyland de la mort » en une confirmation mutuelle des deux termes de l’équation dans laquelle c’est Disneyland lui-même – ou plus exactement le triple détournement de ce dernier dont on vient de détailler la structure – qui devient l’incarnation privilégiée de la dynamique mortifère indépendamment de toute concomitance ou de tout lien causal obligé avec le processus d’irruption du chaos et de la mort, qui n’apporte au contraire qu’une confirmation et/ou intensification du potentiel destructeur déjà mobilisé dans le projet disneyen ou plus précisément dans la version modifiée qu’en développe « est-ce ta première fin de millénaire ? ».
Poursuivant la série des notations relatives aux plans de destruction élaborés par les ennemis de James Bond, la description détaillée du laboratoire de recherche riche en funestes possibilités d’application rencontrée dans Au service secret de Sa Majesté se retrouve intégrée au corpus thiéfainien par l’intermédiaire d’une recréation éclatée qui éparpille les différents éléments du tableau flemingien sur toute une série de chansons que l’on peut à l’inverse réunir sous ce même dénominateur inattendu : « Des tubes au néon dispensaient une lumière rouge sombre, analogue à celle d’une chambre noire de photographe. La table était couverte de cornues et de tubes à essais. Il y avait aux murs des étagères chargées d’éprouvettes, de flacons et de bocaux, remplis de liquides variés et généralement troubles211. » Il est fascinant de repérer tour à tour au fil des différents textes les « lueurs & rayons / rouges-filtrés des néons212 » de « bruits de bulles », le distique au profil shakespearien « pendant que nos sorcières sanitaires & barbues / centrifugent nos clones au fond de leurs cornues213 », la transposition au décor des « bars d’altitude » de l’utilisation des tubes à essai que réalisent « les fastes de la solitude » où les vers « leurs druides au bec-benzène en livrée de valet / te préparent un cocktail dans leurs tubes à essai214 » trouvent de surcroît un prolongement d’inspiration également flemingienne avec le renvoi à la boisson favorite de James Bond – ainsi qu’à la consommation abondante qu’il en fait – contenu dans la remarque « tu reprends l’avantage au treizième Martini215 », et le « j’tombe amoureux des éprouvettes / avec lesquelles je dois flirter / pour l’usine de stupre en paillettes / qui garantit mon pedigree216 » dans lequel le motif des éprouvettes et sa mise en relation apparente avec les procédés de fécondation in vitro font l’objet d’une réaccentuation inversée calculée jusque dans le détail linguistique au plan sous-jacent du discours, qui restitue aux « éprouvettes » leur sens premier de « celles qui passent une épreuve, candidates » tandis que les « paillettes » perdent leur sens technique renvoyant au sperme congelé pour redevenir la parure clinquante revêtue par les figures féminines dans le cadre de la rencontre à visée érotico-sexuelle, le « pedigree » récupérant pour sa part sa forme initiale de « pied de grue » pour garantir au protagoniste de « prendre son pied avec une grue ». Malgré le fait que les « éprouvettes » flemingiennes ne soient dotées d’aucun redoublement implicite qui abolirait le sens purement technique qui est le leur, il est cependant révélateur que le tableau auquel aboutit la réécriture implicite puisse légitimement se revendiquer des scènes de séduction dont pratiquement chaque roman mettant en scène James Bond possède un prototype, que la figure féminine apparaissant à cette occasion joue le rôle d’une alliée ou d’une adversaire dans la mission qu’il doit accomplir.
L’accessoire technologique d’importance primordiale évoqué dans la séquence d’Opération Tonnerre « Petacchi se leva et jeta un coup d’œil à l’écran du radar217 » fait pour sa part une réapparition fréquente dans le corpus des chansons qui en sollicite alternativement chacune de ses deux composantes que sont l’« écran » et le « radar ». Si l’on peut citer d’un côté les vers « & les dieux du radar sont tous out & toussent218 », « m’invite à faire danser l’aiguille de mon radar219 », « je flye vers les radars au bar / qui me montrent la voie lactée220 », la déclinaison complémentaire réunit les formulations « en quête d’une orgie sur l’écran terminal221 », « sortir des écrans222 », « fragments de silence / dans la transparence / ouatée des écrans / de contrôle-assistance223 », « lassé de grimacer sur l’écran des vigiles224 », la connotation dépréciative et évocatrice de contrainte qui s’attache essentiellement aux « écrans » étant plus diffuse dans la cas du « radar » qui conserve d’abord sa fonction d’aide à l’orientation – y compris dans le cas des « dieux du radar » qui ont déjà abdiqué leur statut d’instance de contrôle. Si l’on se limite naturellement dans le cadre de ces lignes aux déclinaisons des « écrans » en rapport avec le modèle flemingien, on se propose d’aborder prochainement le thème de façon exhaustive dans une future conférence225. On se doit par ailleurs de signaler qu’il serait exagéré voire absurde de postuler pour les exemples cités un lien exclusif avec le traitement du double motif réalisé dans Opération Tonnerre, sans qu’il soit pour autant pertinent de passer ici en revue l’intégralité des autres options référentielles envisageables, qu’il sera par contre indiqué de passer en revue dans l’intervention en question.
Contrastant avec les deux cas de réaccentuation intensive et répartie sur plusieurs éléments du corpus des chansons sur lesquels on vient de se pencher, la dénomination imagée qui désigne les exécutants anonymes évoluant dans Bons baisers de Russie « Ils en ont toute une écurie, pour leurs petits hommes, ceux que j’appelle “les Sans-Visage”226 » se profile à l’arrière-plan d’une seule et unique séquence thiéfainienne ,qui contient par ailleurs l’unique occurrence à ce jour de la formulation concernée. Le texte de « Reykjavik » offre avec les vers « où des spectres obsolètes revisités par Beau Brummell / défilent dans un paraître inutile, morne & sans visage227 » un écho magnifié à la séquence de Fleming, dans lequel la dénomination de « sans visage » dépouille sa connotation dépréciative voire méprisante pour accentuer la dimension symbolique renvoyant à « ce qui exécute un destin aveugle ou représente une force aveugle », ou bien « dont le véritable caractère est inconnu », tandis que la substitution de l’abstraction du « paraître » à la description réaliste des « petits hommes » transcende tant le cadre référentiel défini par le texte de Fleming – ce qui va évidemment de soi dans toute réécriture implicite – que celui de « Reykjavik » auquel renvoie l’intitulé de la chanson, l’univers fictif et libéré de tout ancrage dans lequel évolue le protagoniste renforçant ainsi sa nature onirique, sur laquelle on reviendra dans ce qui suit à propos de la sollicitation d’un autre motif également lié substrat flemingien.
C’est à nouveau la déclinaison ad infinitum d’une formulation particulièrement suggestive issue d’un roman de Fleming que l’on rencontre avec les recréations du passage de Bons baisers de Russie : « Il lui semblait que cet endroit avait été, au cours des siècles, tellement noyé dans le sang et dans la violence que, dès la chute du jour, il n’était plus peuplé que de fantômes228. » Si le recours intensif au motif du fantôme dans le corpus des chansons interdit de nouveau de circonscrire le halo associatif qui se crée autour de celui-ci à la seule séquence qu’on vient de citer, il est cependant frappant de relever les formulations pour lesquelles elle joue le rôle d’un déclencheur potentiel, dont la réaccentuation s’adapte aux différents concepts d’évocation tout en maintenant le lien avec la matrice flemingienne, qui constitue un point de départ approprié pour le développement d’un véritable leitmotiv thiéfainien dans le mesure où elle transcende elle-même le cadre habituel du roman d’espionnage pour se hausser au niveau d’une réflexion d’ordre métaphysico-eschatologique, tout en restant pleinement ancrée dans la subjectivité du ressenti de James Bond telle qu’elle s’avère d’emblée particulièrement apte à une transposition sur le mode lyrique. C’est bien au « monde peuplé de fantômes » qui surgit dans la vision de Bond qu’a partout affaire l’auditeur des chansons dès la sentence inaugurale inspirée d’Isaïe (34,14)229 « le monde est aux fantômes, aux hyènes & aux vautours230 » qui clôt « alligators 427 », et que l’ensemble de la production de l’auteur renouvelle à profusion à travers une série impressionnante de déclinaisons alternant évocations onirico-fantastiques « y a toujours un taxi qui se perd dans la brume / avec une reine morte en pâture aux fantômes231 », « ils voient des rois fantômes sur des flippers en ruine232 », assimilation de telle ou telle figure ou même de l’humanité tout entière à des « fantômes » : « j’étais la sainte Vierge des paumés / la p’tite infirmière des fantômes233 », « pour mettre un peu de couleur sur ta gueule de fantôme234 », « dites-leur que l’fantôme d’Al Capone / cherche un taxi & des chauffeuses235 », « fantômes étoilés de verglas / qui se fissurent & se déchirent236 », « ils étaient sortis de l’enfance / comme des fantômes d’un vestibule237 », « six milliards de fantômes qui cherchent la sortie238 », « fantômes aux danses astrales, aux rhapsodiques pleurs239 » en passant par l’impression d’être soi-même réduit à ce statut voire carrément hanté : « nous étions les danseurs d’un monde à l’agonie / en même temps que fantômes conscients d’être morts-nés240 », « je serai ton joyeux fantôme / éméché du petit matin241 », « un fantôme est en moi242 », sans oublier l’extension du caractère fantomatique aux différents éléments du décor ou objets de la vie quotidienne : « j’suis dans un train fantôme bloqué sur une voie de garage243 », « vent d’hôpital-fantôme dans tes nuits guet-apens244 », « les bars sont silencieux & les capteurs fantômes n’indiquent / pas d’autre alternative, pas d’autre issue, pas d’autre voie245 », une place spéciale étant réservée aux variations sur le thème du Vaisseau – voire de l’avion – fantôme dans lesquels le rappel flemingien est quasiment occulté par la réminiscence wagnérienne : « tombé d’un D.C. 10 fantôme / sur un aéroport désert246 », « pour un cargo-fantôme géant / qui clignote au ras de l’écume247 », « sous le plumage poisseux des regards clandestins / rivés sur le cockpit de mon vaisseau-fantôme248 ». Qu’il soit possible de reconstituer la quasi-totalité du corpus thiéfainien sur la base des séquences faisant intervenir un ou des fantômes témoigne ainsi de l’importance déterminante qui revient à la séquence de Fleming en tant que matrice symbolique – à laquelle il reste évidemment possible et même indiqué d’adjoindre les divers compléments référentiels décelables dans les strates implicites de telle ou telle des formules qu’on vient de citer249 – à laquelle on a tout loisir de ramener l’intégralité des facettes du traitement réservé au motif en question.
La même fonction de dénominateur commun éminemment symbolique – tel qu’il permet de rattacher l’ensemble des variations réalisées autour d’un même motif à un substrat intertextuel aisément identifiable quand bien même il ne serait nullement le seul à pouvoir assumer une telle fonction – est imputable à l’injonction – également issue de Bons baisers de Russie – de « faire attention à un homme qui est possédé par la lune250 », telle qu’elle éveille des résonances remarquablement étendues dans le corpus thiéfainien où le protagoniste se réclame à plusieurs reprises de son appartenance ou de son allégeance à la lune, revendiquée de façon explicite dans les formulations visant à résumer son caractère « homo lunaticus t’es en pôle position251 » ou « rasta lunaire baisant la main d’oméga queen252 ». Il est tout aussi fréquent que son activité ou celle d’autres figures soit placée sous le signe de la lune, transformant le décor en « théâtre d’harmonie, panorama lunaire253 », ainsi qu’il ressort du vers « & me voilà jouant sous la pleine lune à Reykjavik254 » ou des localisations « sous la lune caustique & sanguine255 », « sous l’œil de la lune en épure256 », « dans les cercles succubes de la lune en faisceaux257 », dans un lieu « où la lune en scorpion / fait danser ses démons258 » voire dans la sphère déjà évoquée « des Luna Parks en ruine, chaotiques flamboyants259 ». La possession par la lune est au cœur des évocations-invocations adressées à la « lune noire », qu’il s’agisse du paroxysme émotionnel du « retour vers la lune noire260 » ou du récit axé sur le même thème « & les filles des banshees m’entraînaient dans la brume / & me faisaient ramper devant la lune noire261 » – le lien étroit de la lune avec l’expression de l’Éros subsistant dans les cas où la coloration noire disparaît ou cède la place à d’autres nuances chromatiques, ainsi dans les vers « la lune s’attarde au-dessus des collines / & je sens les lueurs des étoiles sous ta peau262 », « les hémisphères bleus de la lune / jouent avec ton regard troublant263 » ou le renvoi à « la vitesse de la lune autour de nos orbites264 ». L’absence de la lune n’obère ici en rien sa forte valeur d’indicateur atmosphérique telle qu’elle lui assure une dominance sans partage, ainsi qu’on peut le vérifier à travers les précisions négatives « les vagues mouraient blessées / à la marée sans lune265 », « les étoiles étaient nulles & la lune était vide266 » ou la préférence accordée à un lieu situé « loin des temples en marbre de lune267 ». C’est enfin en tant qu’indicateur temporel que la lune manifeste sa toute-puissance dans l’univers des chansons, de la datation inspirée des Amérindiens « 542 lunes & 7 jours environ268 » à l’abolition du temps « où les lunes s’estompent & s’effacent / en glissant sur un flux sans fin269 ». Semblable aux « lunatiques » et autres « amants » ou « courtisans270 » de la lune évoqués par Baudelaire, le « possédé par la lune » s’affirme comme une référence absolue dans le corpus des chansons quel que soit le repère intertextuel qu’on choisisse de mobiliser pour y rattacher « l’efflorescence abusive271 » de son traitement poétique, qui révèle de façon exemplaire l’organisation à la cohérence totalement maîtrisée qui est celle du discours de l’auteur.
À l’opposé des notations tendant à une amplification symbolique, les séquences d’introspection dans lesquelles James Bond se penche sur son passé et notamment son enfance frappent par la précision du détail, incitant par là même le lecteur à se réapproprier son propre passé de façon analogue à celle proposée dans Au service secret de Sa Majesté : « C’était tout cela, son enfance, étalée devant lui afin qu’il la contemple encore une fois. Qu’ils remontaient loin dans le temps ces souvenirs “de pelle et de seau” ! Quel chemin avait-il parcouru depuis l’âge des taches de rousseur, du chocolat au lait Cadbury et de la limonade pétillante272. » C’est dans le droit-fil d’une telle évocation que se place le discours de « la ruelle des morts », dont l’incipit « avec nos bidons en fer-blanc / on descendait chercher le lait273 » puis les vers « on avait l’âge des confitures / des billes & des îles au trésor274 » renouvellent les « souvenirs “de pelle et de seau” » remémorés par le personnage de Fleming, tout en dissociant de l’énumération initiale le renvoi à la boisson savourée par les protagonistes : les « confitures » qui sont dans la chanson l’équivalent du « chocolat au lait Cadbury » se voient tout d’abord privées de leur complément liquide qui n’apparaît qu’au début de la troisième strophe, où les vers « on arrosait toutes nos victoires / à grands coups de verres de kéfir275 » dévoilent enfin le substitut à la fois aisément identifiable et profondément modifié – tant par sa nature que par les possibilités d’élargissement associatif qu’il ouvre – à la « limonade pétillante » mentionnée dans le roman. Dans la mesure où la chanson vise aux dires mêmes de son auteur – entre autres finalités et caractéristiques qu’il n’est pas opportun de détailler ici – à préserver par la mention de son nom le souvenir du kéfir en tant que boisson aujourd’hui oubliée – ainsi que celui d’autres termes désignant des objets jadis familiers comme par exemple les Dinky Toys276 –, le lien organique avec le substrat flemingien se conjugue ici par le biais de l’approfondissement du rapport au langage avec la démarche de recensement-récapitulation inaugurée par James Joyce dans Portrait de l’artiste en jeune homme, dont le protagoniste évolue dans une « ruelle encombrée par les débris d’un langage mort277 ». Outre l’entrelacement intertextuel supplémentaire qui vient se greffer sur le processus de recréation de la séquence de Fleming, la complexification délibérée des données de celle-ci – telle qu’elle se traduit notamment par le redoublement implicite découlant du fait que le lait mentionné dès le premier vers entre également dans la composition du kéfir – est porteuse d’une nouvelle possibilité de réorientation herméneutique axée sur l’évocation de la féminité et de l’Éros, telle qu’elle est d’ailleurs suggérée voire imposée d’emblée par la citation de Catulle « jucundum cum aetas florida ver ageret278 » placée en exergue du texte : alors que la « limonade pétillante » ne véhicule chez Fleming aucune connotation renvoyant à la sexualité, l’attribut éminemment féminin qu’est le « lait » joint au processus de fermentation qui est à la base de la fabrication du kéfir ouvre la série des réinterprétations point par point de l’ensemble des constituants énonciatifs du texte, à commencer par la lecture « féminine » et sexuelle de la « ruelle » en tant que théâtre du rapprochement physique. S’il va de soi que l’on s’interdit à nouveau de passer en revue toutes les étapes de la redéfinition exégétique279, il est par contre impératif de souligner la fonction génératrice de la réminiscence flemingienne dans l’élaboration du spectre référentiel mis en place dans « la ruelle des morts », et dont chaque composante s’enracine dans un élément déterminé des souvenirs d’enfance récapitulés dans le roman.
Une autre évocation des « brumes du passé280 » offre aussi un terrain favorable à la recréation modifiée qui conserve tant la trame narrative que les notations de détail du substrat flemingien tout en en exacerbant le potentiel subversif latent. Le passage de Au service secret de Sa Majesté qui relate la visite du héros au club de golf s’ouvre sur la description à la tonalité dépréciative « L’agent secret prit son sac de voyage et se dirigea vers les vestiaires pour se changer. Il y retrouva la même odeur de vieille transpiration qui y avait toujours régné. Comment se faisait-il que, par une sorte de transpiration, les clubs de golf du Royaume-Uni n’eussent pas de vestiaires plus hygiéniques que ceux des vieilles écoles de l’autre siècle ?281 » La recomposition à la fois resserrée et modifiée que réalisent dans « fin de partie » les vers « vieille odeur de foutre moisi / dans les brumes du vestiaire / où t’échanges ta mélancolie / contre un canon scié Winchester282 » fait se télescoper les « brumes » évoquées à un autre endroit du roman et le « vestiaire » qui constitue le décor de la description de Fleming, créant ainsi un nouveau lieu dénué de toute possibilité de localisation spatio-temporelle – les précisions relatives au siècle précédent étant elles aussi éliminées de la recréation – et qui prend ainsi le caractère symbolique d’un entre-deux particulièrement adéquat à la « fin de partie » à laquelle renvoie le titre du texte, et que le « canon scié Winchester » est susceptible de déclencher à tout moment en tant que transformation paroxystique d’une « mélancolie » également mortelle, et qui radicalise en profondeur la sensation d’agacement qui s’empare de Bond dans le roman. La redéfinition de la fonction du « vestiaire » voué désormais non plus au changement de tenue avant ou après la partie de golf, mais à un échange aux allures de trafic clandestin dont le partenaire reste absent – à la différence « des trafiquants d’espoir aux sorties des vestiaires283 » évoqués dans « fièvre résurrectionnelle », où le caractère immatériel de la substance objet de la transaction en sous-main laisse subsister dans leur réalité tangible les organisateurs de celle-ci – s’accompagne d’une modification analogue concernant l’origine de la sensation olfactive, la « vieille odeur de foutre moisi » se substituant à « l’odeur de vieille transpiration » perçue avec dégoût par Bond. Soulignant le caractère immémorial de l’expérience d’agression des narines et du processus qui en est la cause, la permutation de l’adjectif épithète « vieille » va de pair avec l’introduction d’un nouvel adjectif – fait exceptionnel dans la mesure où la recréation du passage flemingien s’effectue sur le mode du resserrement énigmatique – qui résume à lui seul les développements critiques auxquels se livre Bond à propos de l’état des vestiaires sportifs, tandis que la notion d’humidité présente dans le sens originel de « moisi » renforce la densité de la composante sexuelle, que vient parachever l’apparition de l’arme dont le potentiel de violence correspond à celui déployé dans l’acte sexuel. C’est au moment où le texte semble s’affranchir entièrement des présupposés narratifs réunis dans la séquence flemingienne que l’univers de James Bond fait à nouveau irruption dans le discours de la chanson à travers la mention de l’arme à feu qui fait partie de celles utilisées par le personnage et/ou ses adversaires, tandis que la scène de l’échange d’armes fait partie de l’arsenal obligé des récits d’espionnage : si sa réinterprétation sous l’aspect d’une mélancolie suicidaire éloigne à nouveau le discours de la chanson du monde dans lequel évolue l’agent secret, elle ne fait pourtant que mettre en exergue une prédisposition à la mélancolie qui est bel et bien présente chez le héros de Fleming, qui reste en ce sens présent jusqu’au bout à l’arrière-plan du texte, jusques et y compris dans la recherche « des p’tites sœurs éphémères284 » mentionnées à la fin du texte.
C’est en toute logique à la composante mélancolique inhérente à la figure de James Bond et à son intégration dans le discours des chansons que l’on va s’intéresser à la fin de notre parcours, qui coïncidera ainsi avec un regard sur l’accentuation privilégiée voire la plus importante du discours thiéfainien, que l’on pourrait définir comme une « algèbre des mélancolies285 » d’après la formule des « confessions d’un never been ». La séquence contemplative de Bons baisers de Russie « Le délicat indigo du crépuscule ajoutait une note de mélancolie à la solitude du sable et de la mer286. » est ainsi déclinée en deux temps successifs dans « scandale mélancolique », où le quatrain « la beauté de l’ennui / dans la nuit qui bourdonne / a la galeuse féerie / des crépuscules d’automne287 » et l’exclamation « scandale mélancolique288 » répétée à la fin de chaque strophe restituent le cœur de l’évocation flemingienne, tout en en gommant la tonalité élégiaque à travers la substitution au « délicat indigo » d’une « galeuse féerie » dont l’ambiguïté rejoint celle de la Chanson d’automne d’Apollinaire en tant qu’autre élément de l’entrelacement intertextuel, qui inclut également un renvoi implicite à Paul Celan289. Une autre recréation de la même séquence est réalisée dans « combien de jours encore », où l’interrogation initiale qui donne également son titre à la chanson est notamment complétée par le vers « à vibrer en solo sous les pétales en flammes / des crépuscules marins déchirés sous nos voiles290 », renouvelant ainsi l’alliance du crépuscule et de la mélancolie telle que la suscite la contemplation du paysage marin. Il s’avère cependant capital ici de reconnaître que la présence sous-jacente du passage cité participe d’un double processus de recomposition qui superpose à celui-ci un dialogue issu du même roman et dont la prise en compte se révèle particulièrement fructueuse sur le plan exégétique, dans la mesure où elle enrichit de façon substantielle l’inventaire déjà abondant des possibilités de lecture de l’intitulé multivoque « combien de jours encore »291. Le bref échange entre Tania et Bond « – Duschka, nous en avons pour combien de temps, à rester ainsi ? – Longtemps, répondit Bond, encore voluptueusement engourdi par le sommeil. – Mais pour combien de temps ? – Duschka, répéta Tatiana, cette fois avec impatience, combien de temps ?292 » modifie par une inflexion empreinte d’angoisse de la séparation et/ou d’attente amoureuse la tonalité mélancolique et le pressentiment de la mort décelables en priorité tant dans l’incipit « combien de jours encore à contempler l’horloge / à regarder passer l’infini dans ma loge293 » que dans les vers « combien de jours encore à contempler l’automne / à surveiller l’orage dans le cri des guetteurs / à pleurer dans les bras de ceux qui abandonnent / qui s’envolent à jamais vers un nouvel ailleurs294 », sans parler de la conclusion « combien de jours encore & combien de tunnels / avant de chevaucher les années sans lumière / avant d’effeuiller l’ombre & le vide éternel / délivrés à jamais du poids de l’univers ?295 ».
Un aspect spécifique de la mélancolie, à savoir sa propension naturelle au basculement vers la violence et la folie, est enfin dépeint de façon magistrale dans le discours adressé à Bond par le Dr No exultant devant la perspective de l’accomplissement imminent de ses plans destructeurs : « – C’est vrai, monsieur Bond, dit doucement le Dr No, je suis un maniaque. Tous les grands hommes sont des maniaques. Les grands scientifiques, les artistes, les philosophes, les chefs religieux : tous des maniaques.296 » La concordance est ici totale avec le soulignement récurrent dans le discours des chansons de la dimension médicale et pathologique de la mélancolie, à laquelle se réfère explicitement Thiéfaine intégrant au livret de Suppléments de mensonge la citation canonique d’Aristote « περιττοι μεν εισιν παντες οι μελαγχολικοι ου δια νοσον αλλα δια φυσιν297. » (« tous les mélancoliques sont des êtres d’exception, et ce non de par leur maladie, mais par leur nature »). C’est en ce sens à autant de versions modifiées du Credo proclamé par le Dr No qu’est confronté le lecteur depuis le premier album de l’auteur, et plus généralement à un Éloge de la folie réunissant toutes les variantes imaginables du phénomène, de la revendication explicite – telle que l’exprime de façon quasi programmatique « le chant du fou298 » – d’une attitude visant « à tout mettre en danger / devant notre folie299 » dans un univers peuplé « de chiens à demi fous qu’on relègue à la mort300 », « dans les dédales obscurs où plane la folie301 » ou « de la folie des ombres / à l’alchimie des heures302 », où « nous n’sommes que les phantasmes fous d’un computer303 » et où évoluent « des rois-fantômes sur de flippers en ruines / crachant l’amour-folie de leurs nuits-métropoles304 » ainsi que « les amants fous, maudits, couchés sur le grésil305 », tandis qu’éclate l’« ivresse des tambours fous306 », que « quelque épave au regard usé par le délire / poursuit dans sa folie le chant d’un enfant-lyre307 » ou que « les grapheurs fous sixtinent la Zup308 ». Le triomphe de l’Éros tel qu’il est célébré dans ces vers de « joli mai mois de Marie » coïncide avec celui de la folie appelant « vers les flèches où les fleurs flashent avec la folie309 », tandis que se dessine « la folie dans les yeux / des monstres délicieux / qui traversaient ta porte310 », que les joies de l’amour « me laissent dans la bouche un goût de folie mauve311 », qu’on succombe à « la folie de tes 20 ans312 » ou que les femmes incarnent une variante spécifique du phénomène dans la mesure où « elles ont cette folie si tranquille313 ». Si « le jeu de la folie est un sport de l’extrême314 », qu’est invoqué le « seigneur fou des bacchanales315 » ou la folie elle-même à travers l’appel « toi la folie / réveille-moi316 » ou qu’est formulé le souhait « que ne demeurent les automnes / quand sonne l’heure de nos folies317 » ou attendu « juste le temps d’apprendre à redevenir fou318 », c’est aussi parce que « p’t’être qu’en smurfant sur ta folie / tu d’viendras l’idole des bas-fonds319 », la folie en tant que moteur d’un accomplissement inespéré rejoignant en fin de compte la véritable sagesse, telle que la définit la séquence « & quelque fol hurlant roulant des quatre feuilles / au terminal central des retours de cercueils / clairvoyance égarée dans les versets d’un drame / où l’on achète le vent, où l’on revend les âmes320 » ou l’aveu « la folie m’a toujours sauvé / & m’a empêché d’être fou321 ».
Notes de bas de page numériques
1 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen », in Meteo für nada, Paris, Sterne, 1986.
2 Signalons ici que l’auto-assimilation à la figure de l’agent secret britannique n’a nullement vocation à circonscrire de façon définitive les contours aussi complexes que mouvants du personnage masculin, qui endosse au fil du texte une série d’identités multiples parmi lesquelles on se contentera de mentionner la double voire triple incarnation qui se dissimule derrière l’appellation de « capt’ain M’Achab » – le protagoniste se réclamant à travers cette contamination dénominative aussi bien du capitaine Achab de Moby Dick que d’un « macchab’ » que son affinité de principe avec la sphère de la mort n’empêche pas d’être issu de la lignée héroïque des Macchabées bibliques, ou enfin du roi Achab rencontré lui aussi dans l’Ancien Testament, dont l’union funeste avec Jézabel resurgit dans l’association du personnage central avec « la reine aux désirs écarlates / des galaxies d’amour pirate » [« sweet amanite phalloïde queen »], le profil tout aussi tourmenté de la figure féminine lui conférant par ailleurs une aura symbolique diamétralement opposée à celle émanant de la « Majesté » servie par James Bond. Pour l’approfondissement de la référence biblique et du rôle du roman de Melville, cf. Françoise Salvan-Renucci, « “ne vous retournez pas la facture est salée” : la réécriture des textes sacrés (Bible, Coran) dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 8, Université d’Angers, 28 février 2016, https://www.youtube.com/watch?v=uiwLjFUbz4w ; Unplugged vs. Replugged : autour de la setlist de la tournée 2023, conférences n° 38, #H.F. Thiéfaine 11, CTELA (en Zoom), 13 mars 2023, https://www.youtube.com/watch?v=KQAhaA5keYA&t=5s et n° 38 (suite), #H.F. Thiéfaine 11bis, 20 mars 2023, https://www.youtube.com/watch?v=zXy1WC5WA9k.
3 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been », in Scandale mélancolique, Paris, Sony, 2005.
4 Une telle possibilité d’identification renforce l’ambiguïté inhérente au personnage central des « confessions d’un never been », dont on aura également l’occasion de constater qu’il partage ainsi l’habitus mental complexe non pas tant du héros de Ian Fleming que de nombre d’adversaires de ce dernier.
5 Ian Fleming, James Bond contre Docteur No [Dr. No, 1958], in Ian Fleming, James Bond. Intégrale vol. 1, Paris, Robert Laffont 2003 [1960/1964 pour la première édition en français du roman], p. 811.
6 H.F. Thiéfaine, « l’agence des amants de madame müller », in De l’amour, de l’art ou du cochon ?, Paris, Masq, 1980.
7 H.F. Thiéfaine, « annihilation », in Séquelles édition collector, Paris, Sony, 2009. Le vers « je fais mes inventaires dans mon pandémonium » donne la première partie de son titre à notre projet de recherche, dont la seconde renvoie pour sa part au « labyrinthe aux couleurs d’arc-en-ciel » de « syndrome albatros » [in Eros über alles, Paris, Sterne, 1988].
8 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.
9 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab », in Géographie du vide, Paris, Sony/Columbia, 2021. (Nous nous permettons toutefois de récuser toute confusion entre notre activité et celle des « vampires » tels que les évoque le texte de la chanson à travers la fomulation « cartographie mentale tracée par des vampires ».)
10 H.F. Thiéfaine, « lubies sentimentales », in Stratégie de l’inespoir, Paris, Sony/Columbia, 2014.
11 Francis Lacassin, Préface, in James Bond. Intégrale vol. 1, p. 35.
12 Francis Lacassin, Préface, p. 40.
13 H.F. Thiéfaine, « première descente aux enfers par la face nord », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir, Paris, Masq, 1978.
14 Ian Fleming, Casino Royale [1953], in Intégrale vol. 1, p. 60.
15 Ian Fleming, Casino Royale, p. 60.
16 H.F. Thiéfaine, « exil sur planète-fantôme », in Dernières balises (avant mutation), Paris, Sterne, 1981 ; « ad orgasmum aeternum », in Soleil cherche futur, Paris, Sterne, 1982 ; « nyctalopus airline », in Alambic / sortie sud, Paris, Sterne, 1984 ; « zone chaude, môme », in Meteo für nada ; « syndrome albatros » ; « série de 7 rêves en crash position », in Fragments d’hébétude, Paris, Sony, 1993 ; « sentiments numériques revisités », in La tentation du bonheur, Paris, Sony, 1996 ; « lubies sentimentales », in Stratégie de l’inespoir.
17 H.F. Thiéfaine, « le chaos de la philosophie », in Le bonheur de la tentation, Paris, Sony, 1998.
18 Ian Fleming, Casino Royale, p. 59.
19 H.F. Thiéfaine, « le chaos de la philosophie ».
20 H.F. Thiéfaine, « ad orgasmum aeternum ».
21 H.F. Thiéfaine, « le chaos de la philosophie ».
22 H.F. Thiéfaine, « le chaos de la philosophie ».
23 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game », in Fragments d’hébétude.
24 Ian Fleming, Opération Tonnerre [Thunderball, 1961], in Intégrale vol. 2 [1962 pour la première édition en français du roman], p. 276.
25 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game ».
26 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game ».
27 H.F. Thiéfaine, « exit to chatagoune-goune », in Soleil cherche futur.
28 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game ».
29 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game ».
30 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game ».
31 Ian Fleming, Opération Tonnerre, p. 317.
32 H.F. Thiéfaine, « 22 mai », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
33 H.F. Thiéfaine, « 22 mai ».
34 H.F. Thiéfaine, « 22 mai ».
35 H.F. Thiéfaine, « affaire rimbaud », in Meteo für nada.
36 H.F. Thiéfaine, « un automne à tanger », in Chroniques bluesymentales, Paris, Sony, 1990.
37 H.F. Thiéfaine, « affaire rimbaud ».
38 H.F. Thiéfaine, « affaire rimbaud ».
39 H.F. Thiéfaine, « affaire rimbaud ».
40 H.F. Thiéfaine, « affaire rimbaud ».
41 H.F. Thiéfaine, « affaire rimbaud ». Le vers reprend bien évidemment le titre rimbaldien Une saison en enfer.
42 H.F. Thiéfaine, « affaire rimbaud ». Notons au passage le détournement significatif du slogan de campagne « la force tranquille » de François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1981.
43 H.F. Thiéfaine, « court-métrage », in Autorisation de délirer, Paris, Masq, 1979.
44 H.F. Thiéfaine, « redescente climatisée », in Dernières balises (avant mutation).
45 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur », in Soleil cherche futur.
46 Cf. Françoise Salvan-Renucci, Unplugged vs. Replugged : autour de la setlist de la tournée 2023, conférences n° 38, #H.F. Thiéfaine 11, et n° 38 (suite), #H.F. Thiéfaine 11bis ; « “elle dort au milieu des serpents” : métamorphoses du serpent dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », contribution à la journée d’étude Le Serpent, organisée par Françoise et Jeff Storey (CTELA), Nice, 26 mai 2023 (à paraître).
47 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne », in Soleil cherche futur.
48 C’est précisément par l’intermédiaire de la lecture latine du « turbo » que le vers devient le parallèle exact du « j’ai gardé pour la route ma rage, ma haine… & ma conn’rie / folie » de « redescente climatisée », illustrant ainsi la cohérence absolue qui préside à l’organisation du discours dans l’ensemble du corpus de l’auteur.
49 H.F. Thiéfaine, « fenêtre sur désert », in Stratégie de l’inespoir.
50 H.F. Thiéfaine, « émeute émotionnelle », in Amicalement blues, Paris, RCA/Sony, 2007.
51 H.F. Thiéfaine, « 27e heure : suite faunesque », in Le bonheur de la tentation.
52 H.F. Thiéfaine, « 27e heure : suite faunesque ».
53 H.F. Thiéfaine, « 22 mai ».
54 Tristan Corbière, Les amours jaunes suivis de Poèmes retrouvés et de Œuvres en prose., édition de Jean-Louis Lalanne, préface d’Henri Thomas, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1973, p. 160.
55 Georges Feydeau, Le Dindon, acte I, scène 15, cité d’après l’édition en ligne https://libretheatre.fr/wp-content/uploads/2016/01/le_dindon_feydeau_LT.pdf (consulté le 01.06.2023).
56 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “parfums de fièvre jaune” : présence de Tristan Corbière dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 37, #H.F. Thiéfaine 10, Zoom CTELA, 13.02.2023, https://www.youtube.com/watch?v=VDX8WVbM7QM&t=7s.
57 Ian Fleming, Opération Tonnerre, p. 318.
58 Ian Fleming, Casino Royale, p. 60.
59 Ian Fleming, Casino Royale, p. 98.
60 Ian Fleming, Casino Royale, p. 99.
61 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile », in Défloration 13, Paris, Sony, 2001.
62 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
63 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “vers ce vieux nord toujours frileux” : l’accentuation septentrionale dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 7, Maubeuge, médiathèque, 27.02.2016, https://www.youtube.com/watch?v=kRxO-XgbB9g.
64 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
65 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
66 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
67 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
68 Ian Fleming, Casino Royale, p. 99.
69 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ». Signalons le rappel du distique baudelairien de même thème dans lequel « le beau valet de cœur et la dame de pique / causent sinistrement de leurs amours défunts. » [Spleen, in Les Fleurs du mal, Œuvres poétiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, p. 345]. Si les deux protagonistes issus du jeu de cartes sont absents de « camélia : huile sur toile », ils font leur réapparition au sein du même album dans « roots & déroutes plus croisement » [in Défloration 13] à travers la disposition inversée qui les transforme en « valet de pique / & dame de cœur », brouillant ainsi tant la piste de leur identification en tant que supports de l’évocation finale du poème des Fleurs du mal que celle du lien sous-jacent entre les deux constituants de l’album de Thiéfaine.
70 H.F. Thiéfaine, « amour désaffecté », in Stratégie de l’inespoir.
71 H.F. Thiéfaine, « amour désaffecté ».
72 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
73 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile ».
74 Ian Fleming, Casino Royale, p. 99.
75 https://www.cnrtl.fr/definition/cambouis (consulté le 07.06.2023).
76 Ian Fleming, Casino Royale, p. 134.
77 Ian Fleming, Casino Royale, p. 134.
78 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé », in Suppléments de mensonge, Paris, Sony/Columbia, 2011.
79 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
80 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
81 Ian Fleming, Casino Royale, p. 150.
82 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
83 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
84 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
85 Ian Fleming, Casino Royale, p. 141.
86 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
87 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
88 H.F. Thiéfaine, « la môme kaléidoscope », in Autorisation de délirer.
89 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
90 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
91 Ian Fleming, Casino Royale, p. 129.
92 H.F. Thiéfaine, « guichet 102 », in Défloration 13.
93 H.F. Thiéfaine, « guichet 102 », in Défloration 13. Signalons au passage que la rime « chloroforme / forme » est un clin d’œil à l’Art poétique de Tristan Corbière (« La rime est pour la forme / Exemple : chloroforme »), cf. Françoise Salvan-Renucci, « “parfums de fièvre jaune” : présence de Tristan Corbière dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».
94 H.F. Thiéfaine, « guichet 102 ».
95 H.F. Thiéfaine, « éloge de la tristesse », in Défloration 13.
96 H.F. Thiéfaine, « éloge de la tristesse ».
97 H.F. Thiéfaine, « éloge de la tristesse ».
98 Romain Gary, La promesse de l'aube, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1960/1980, p. 38.
99 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “à filer mes temps morts à la mélancolie” : présence de Romain Gary dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 40, #H.F. Thiéfaine 13, Zoom CTELA, 15.05.2023, https://www.youtube.com/watch?v=0ZBYVgZlsIM&t=7s ; « “adieu gary cooper adieu che guevara” : quelques exemples de la référence à Romain Gary dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », in Loxias 44, Romain Gary. La littérature au pluriel, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=7743.
100 Ian Fleming, Casino Royale, p. 135.
101 H.F. Thiéfaine, « photographie d’un rêveur », in Amicalement blues.
102 John Donne, « no man is an iland, entire of it selfe », Devotions upon Emergent Occasions [1624], in Poésie, édition bilingue de Robert Ellrodt, Paris, Actes Sud, 2002, p. 43.
103 On se propose de revenir sous peu en détail sur le dialogue soutenu avec Thomas Merton qui se met en place dans le discours thiéfainien et dont quelques éléments ont été évoqués dans Françoise Salvan-Renucci, Unplugged vs. Replugged : autour de la setlist de la tournée 2023.
104 Ian Fleming, Opération Tonnerre, p. 335.
105 H.F. Thiéfaine, « la ballade d’abdallah geronimo cohen », in Le bonheur de la tentation.
106 H.F. Thiéfaine, « la ballade d’abdallah geronimo cohen ».
107 H.F. Thiéfaine, « la ballade d’abdallah geronimo cohen ». Signalons au passage que Thiéfaine introduit dans son lexique poétique le terme « go » bien avant que ce dernier fasse son entrée dans l’édition 2023 du Petit Robert, l’écriture de la chanson étant concomitante à l’apparition même du mot en langue bambara (Afrique de l’Ouest).
108 H.F. Thiéfaine, « la ballade d’abdallah geronimo cohen ».
109 H.F. Thiéfaine, « special ado sms blues », in Amicalement blues.
110 H.F. Thiéfaine, « la ballade d’abdallah geronimo cohen ».
111 H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle », in Suppléments de mensonge.
112 Ian Fleming, Bons baisers de Paris [From a View to a Kill, 1960], première traduction française en 1961, Intégrale vol. 2, p. 143.
113 https://mytaratata.com/taratata/387/interview-hf-thiefaine-2011.
114 H.F. Thiéfaine, « quand la banlieue descendra sur la ville », in Défloration 13.
115 H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle ».
116 H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle ».
117 Tristan Corbière, Les amours jaunes suivis de Poèmes retrouvés et de Œuvres en prose, p. 97.
118 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab », in Géographie du vide.
119 Ian Fleming, Bons baisers de Russie [From Russia, With Love, 1957], Intégrale vol. 1 [1960/1964 pour la première édition en français du roman], p. 723.
120 Joseph Conrad, Fortune [Chance, 1912], in Œuvres IV, édition publiée sous la direction de Sylvère Monod, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1989, p. 165.
121 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab ».
122 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab ».
123 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab ».
124 Cf. notamment (pour en rester aux sources régulièrement fréquentées par Thiéfaine) Heinrich Heine, Die Götter im Exil (Les dieux en exil), [1853, Blätter für literarische Unterhaltung / Revue des Deux Mondes], in Heinrich Heine, Historisch-kritische Gesamtausgabe der Werke, Band 9 : Elementargeister, Die Göttin Diana, Der Doktor Faust, Die Götter im Exil, Hamburg, Hoffmann und Campe, 1987. La version française est accessible en fac-similé à l’adresse https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Dieux_en_exil (consulté le 19 juin 2023).
125 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab ».
126 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne », in Soleil cherche futur.
127 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté [On Her Majesty’s Secret Service, 1963], Paris, Payot, 1964, pp. 95-96. Ce roman étant absent de l’édition intégrale, il est cité d’après sa première édition en français.
128 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 95.
129 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».
130 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».
131 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».
132 Romain Gary, La Danse de Gengis Cohn, Paris, Gallimard, 1972, p. 189.
133 Romain Gary, Pour Sganarelle, Paris, Gallimard, 1965, p. 100.
134 Romain Gary, Pour Sganarelle, p. 304.
135 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir », in Suppléments de mensonge.
136 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».
137 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie », in Scandale mélancolique.
138 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “à filer mes temps morts à la mélancolie” : présence de Romain Gary dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 40, #H.F. Thiéfaine 13, Zoom CTELA, 15.05.2023, https://www.youtube.com/watch?v=0ZBYVgZlsIM&t=8s .
139 Romain Gary, La nuit sera calme, Paris, Gallimard, 1974, p. 92.
140 Romain Gary, « Jusqu’au bout avec Romain Gary » [1978], in L’Affaire homme, Paris, Gallimard, 2005, p. 321.
141 Cf. « en ce temps-là nos fleurs vendaient leur viande aux chiens », in « exil sur planète-fantôme ».
142 Ian Fleming, Entourloupe dans l’azimut [Moonraker, 1955], Intégrale vol. 1 [1958 pour la première édition en français du roman], p. 347.
143 Cf. « en ce temps-là nos fleurs vendaient leur viande aux chiens », in « exil sur planète-fantôme ».
144 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 96.
145 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».
146 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 183.
147 William Burroughs, Le festin nu [Naked lunch, 1959], traduit de l’anglais (États-Unis) par Éric Kahane, préface de Gérard-Georges Lemaire, Paris, Gallimard, 1964, coll. « folio SF », p. 123.
148 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».
149 H.F. Thiéfaine, « autoroutes jeudi d’automne ».
150 Ian Fleming, On ne vit que deux fois [You only live twice, 1964], Intégrale volume 2 [la première édition en français du roman a paru en 1964], p. 661.
151 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been ».
152 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “heureux dans l’instant” : présence du Zen et du Tao dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 35, #H.F. Thiéfaine 8, Zoom CTEL, 5 décembre 2022, https://www.youtube.com/watch?v=3LO9jJPidec&t=8s.
153 Ian Fleming, Casino Royale, p. 108.
154 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ». Outre la connotation « sanglante » véhiculée par l’adjectif « écarlate », ce dernier renvoie également en sous-main à La lettre écarlate de Nathaniel Hawthorne, dont la présence au sein du texte apporte un contrepoint opportun à celle du Moby Dick de Herman Melville, tandis que la fonction dépréciative de la « lettre écarlate » fait directement écho aux notions des « galaxies d’amour pirate » de « satellite-usine » toutes deux évocatrices de la prostitution et des lieux où elle est pratiquée.
Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “Unplugged vs. Replugged” : autour de la setlist de la tournée 2023 », Conférences n°38 et 38 bis, #H.F. Thiéfaine 11, CTELA (en Zoom), 13 et 20 mars 2023, https://www.youtube.com/watch?v=KQAhaA5keYA&t=6s https://www.youtube.com/watch?v=zXy1WC5WA9k&t=7s.
155 H.F. Thiéfaine, « sweet amanite phalloïde queen ».
156 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
157 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine », in Suppléments de mensonge.
158 H.F. Thiéfaine, « garbo xw machine ». cf. Françoise Salvan-Renucci, « “ma sorcière a trempé / ses doigts dans le sang chaud” : “sirènes”, “stryges” et “prédatrices” dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », in Loxias 77, « Femmes et nourriture », http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=10050.
159 Aurelius Augustinus, De Civitate Dei, XII, 26. cf. Françoise Salvan-Renucci, « “ma sorcière a trempé / ses doigts dans le sang chaud” : “sirènes”, “stryges” et “prédatrices” dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine » ; « “la peste a rendez-vous avec le carnaval” : l’accentuation carnavalesque comme véhicule de la dynamique de dérision et d’inversion dans l’œuvre de Hubert-Félix Thiéfaine », in Babel aimée ou la choralité d’une performance à l’autre, du théâtre au carnaval, études réunies par Béatrice Bonhomme, Ghislaine Del Rey, Filomena Ioos et Jean-Pierre Triffaux, Paris, L’Harmattan, collection « Thyrse » n° 7, 2015.
160 On en trouvera un inventaire dans Françoise Salvan-Renucci, « “est-ce ta première fin de millénaire ?” : “fin de partie ” et “fin programmée” dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », in Loxias 61, « Autour de Hubert-Félix Thiéfaine », http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=8976.
161 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 195.
162 H.F. Thiéfaine, « alligators 427 », in Autorisation de délirer.
163 Ian Fleming, Bons baisers de Russie, p. 649.
164 Ian Fleming, Bons baisers de Russie, p. 650.
165 H.F. Thiéfaine, « résilience zéro », in Stratégie de l’inespoir.
166 H.F. Thiéfaine, « résilience zéro ».
167 H.F. Thiéfaine, « résilience zéro », d’après Jn. 1, 1.
168 H.F. Thiéfaine, « was ist das rock’n’roll ? », in Eros über alles.
169 Jn. 1, 2.
170 H.F. Thiéfaine, « résilience zéro ».
171 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « tissé dans la dentelle du puy sans fond où j’m’enfonçais », conférence n° 11, Le Puy-en-Velay, théâtre municipal, 16 novembre 2026, https://www.youtube.com/watch?v=Ajt4R-casYs.
172 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 179.
173 H.F. Thiéfaine, « l’agence des amants de madame Müller », in De l’amour, de l’art ou du cochon ?.
174 Notons au passage que le « double zéro » que se sert le protagoniste de « 24 heures dans la nuit d’un faune » [in La tentation du bonheur] en réponse au « Golden Cadillac » choisi par sa partenaire – « t’as pris un Golden Cadillac, moi un double zéro » – peut se lire outre l’acception argotico-technique renvoyant à un « haschich obtenu après deuxième passe » (cf. https://www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/double-zero, consulté le 30.06.2023) comme un rappel du matricule à double zéro de James Bond, et ce avec une plausibilité d’autant plus manifeste que le protagoniste se présente comme un détenteur d’armes de poing expert au maniement de celles-ci dans le vers « j’ai sorti mon browning & mon lüger de leur étui » (on passe ici sur la possibilité de réaccentuation sexuelle de la totalité de la strophe, qui ne dépare nullement le parallèle flemingien).
175 Ian Fleming, Opération Tonnerre, p. 361.
176 Ian Fleming, Opération Tonnerre, p. 368.
177 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur ».
178 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur ».
179 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur ».
180 H.F. Thiéfaine, « narcisse 81 », in Dernières balises (avant mutation).
181 H.F. Thiéfaine, « lobotomie sporting club », in Suppléments de mensonge.
182 H.F. Thiéfaine, « le vieux bluesman & la bimbo », in Amicalement blues.
183 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur ». cf. Françoise Salvan-Renucci, « “à filer mes temps morts à la mélancolie” : présence de Romain Gary dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».
184 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur ». cf. Françoise Salvan-Renucci, « “à filer mes temps morts à la mélancolie” : présence de Romain Gary dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine ».
185 Romain Gary, Adieu Gary Cooper, Paris, Gallimard, coll. « folio », 1965, pp. 139-140.
186 Romain Gary, Adieu Gary Cooper, p. 227.
187 En se limitant aux mentions du vocable pris dans le sens figuré qu’on vient de détailler, on aboutit au relevé suivant : « Voici quarante ans que les mots préférés de l’intellectuel aguerri sont bidon et frime. Le malheur, c'est que dans cette optique la vie elle-même ne tarde pas à paraître terriblement bidon, que l’alcoolisme, le sexe ou même le suicide apparaissent alors comme les seules façons d’y faire face. » [Romain Gary, « Crépuscule de la déesse ? » (1965), in L’Affaire homme, Paris, Gallimard, 2005, pp. 115-116], « Je regarde qui en est l’auteur et, souvent, c’est tendancieux, faux, bidon. » [Romain Gary, « Vingt questions à Romain Gary » (1978), in L’Affaire homme, p. 299], « –La pute est encore ce qu’il y a de plus authentique. C’est pourquoi tout ce qui est bidon est contre. » [Romain Gary (Émile Ajar), Pseudo, Paris, Mercure de France, 1976, p. 188].
188 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 105.
189 H.F. Thiéfaine, « médiocratie… », in Stratégie de l’inespoir.
190 Titus Carus Lucretius, De rerum natura, V, 1194.
191 H.F. Thiéfaine, « médiocratie… ».
192 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “on a vendu l’homo sapiens / pour racheter du néanderthal” : évolution et transformation du « logiciel » humain dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 26, Marseille, séminaire PEP, 5 octobre 2019, https://www.youtube.com/watch?v=h-TZvcGk9fU.
193 Joseph Delteil, Il était une fois Napoléon, Paris, Hachette, 1929, pp. 12-17.
194 H.F. Thiéfaine, « 113e cigarette sans dormir », in Dernières balises (avant mutation).
195 Joseph Delteil, Il était une fois Napoléon, p. 14.
196 Ian Fleming, Casino Royale, p. 120.
197 Ian Fleming, Casino Royale, p. 120.
198 Ian Fleming, Casino Royale, p. 120.
199 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab », in Géographie du vide.
200 H.F. Thiéfaine, « angélus », in Stratégie de l’inespoir.
201 H.F. Thiéfaine, « angélus ».
202 Charles Baudelaire, Les Litanies de Satan, in Œuvres complètes, éditées par Michel Jamet avec une préface de Claude Roy, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2011, p. 92.
203 La traduction usuelle de « Ich bin der Geist, der stets verneint » – que nous reprenons ici précisément parce qu’elle est devenue canonique – échoue à rendre pleinement le sens du verbe verneinen qui signifie avant tout « dire non, répondre par la négative », « nier » correspondant plutôt à leugnen ou verleugnen.
204 Ian Fleming, On ne vit que deux fois, p. 656.
205 Ian Fleming, Casino Royale, p. 120.
206 H.F. Thiéfaine, « est-ce ta première fin de millénaire ? », in Fragments d’hébétude.
207 H.F. Thiéfaine, « est-ce ta première fin de millénaire ? ».
208 Même si l’on est tenté de penser au Bossu de Notre-Dame avec ses trois gargouilles amies de Quasimodo, le rapprochement s’avère infructueux du fait que la date de sortie du dessin animé (1996) est postérieure à celle de l’album (1993).
209 La lecture érotico-sexuelle des vers cités est pour la plupart passée sous silence dans les présentes réflexions dans la mesure où elle reste extérieure à la réécriture de la séquence de Fleming, ce qui n’interdit pas d’en signaler la présence et la richesse remarquablement évocatrice.
210 H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline ».
211 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 163.
212 H.F. Thiéfaine, « bruits de bulles », in Fragments d’hébétude.
213 H.F. Thiéfaine, « demain les kids », in Chroniques bluesymentales.
214 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
215 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
216 H.F. Thiéfaine, « bipède à station verticale », in Meteo für nada.
217 Ian Fleming, Opération Tonnerre, pp. 332-333.
218 H.F. Thiéfaine, « mathématiques souterraines », in Dernières balises (avant mutation).
219 H.F. Thiéfaine, « les dingues & les paumés », in Soleil cherche futur.
220 H.F. Thiéfaine, « nyctalopus airline ».
221 H.F. Thiéfaine, « la nuit de la samain », in Scandale mélancolique.
222 H.F. Thiéfaine, « la fin du roman », in Géographie du vide.
223 H.F. Thiéfaine, « bruits de bulles ».
224 H.F. Thiéfaine, « annihilation », in Séquelles – édition collector.
225 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “sortir des écrans” : des « “écrans-secrets” aux “écrans-goulag” dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », conférence n° 42, #H.F. Thiéfaine 15, CTELA, en Zoom, 18 septembre 2023 (à retrouver sur la chaîne https://www.youtube.com/@FrancoiseSalvanRenucci/featured).
226 Ian Fleming, Bons baisers de Russie, p. 681.
227 H.F. Thiéfaine, « Reykjavik », in Géographie du vide.
228 Ian Fleming, Bons baisers de Russie, pp. 710-711.
229 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “nations mornes & fangeuses, esclaves anachroniques” : anachronismes et télescopages temporels dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », in Anachronismes créateurs, études réunies par Alain Montandon, Clermont-Ferrand, Presses de l’Université Blaise Pascal, 2017.
230 H.F. Thiéfaine, « alligators 427 ».
231 H.F. Thiéfaine, « cabaret sainte lilith », in Dernières balises (avant mutation).
232 H.F. Thiéfaine, « les dingues & les paumés ».
233 H.F. Thiéfaine, « la môme kaléidoscope ».
234 H.F. Thiéfaine, « pogo sur la deadline », in Chroniques bluesymentales.
235 H.F. Thiéfaine, « Québec November Hotel », in Suppléments de mensonge.
236 H.F. Thiéfaine, « villes natales & frenchitude », in Chroniques bluesymentales.
237 H.F. Thiéfaine, « when maurice meets alice », in Scandale mélancolique.
238 H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle ».
239 H.F. Thiéfaine, « Karaganda (Camp 99) », in Stratégie de l’inespoir.
240 H.F. Thiéfaine, « exil sur planète-fantôme ».
241 H.F. Thiéfaine, « last exit to paradise », in Scandale mélancolique.
242 H.F. Thiéfaine, « distance », in Amicalement blues.
243 H.F. Thiéfaine, « taxiphonant d’un pack de kro », in Dernières balises (avant mutation).
244 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire », in Le bonheur de la tentation.
245 H.F. Thiéfaine, « Reykjavik ».
246 H.F. Thiéfaine, « pulque, mescal y tequila », in Eros über alles.
247 H.F. Thiéfaine, « camélia : huile sur toile », in Défloration 13.
248 H.F. Thiéfaine, « la nuit de la samain ».
249 Il est tout aussi évident qu’il est exclu d’entrer dans le détail des différentes correspondances intertextuelles, pour la simple raison qu’un tel examen – outre qu’il est étranger à l’analyse du dialogue avec Fleming – excéderait de loin les dimensions acceptables pour un article de revue.
250 Ian Fleming, Bons baisers de Russie, p. 709.
251 H.F. Thiéfaine, « paranoïd game ».
252 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been ».
253 H.F. Thiéfaine, « les fastes de la solitude ».
254 H.F. Thiéfaine, « Reykjavik ».
255 H.F. Thiéfaine, « pulque, mescal y tequila ».
256 H.F. Thiéfaine, « mytilène island », in Stratégie de l’inespoir.
257 H.F. Thiéfaine, « sentiments numériques revisités ».
258 H.F. Thiéfaine, « caméra-terminus », in Chroniques bluesymentales.
259 H.F. Thiéfaine, « est-ce ta première fin de millénaire ? », in Fragments d’hébétude.
260 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire », in Le bonheur de la tentation.
261 H.F. Thiéfaine, « chambre 2023 (& des poussières…), in Alambic – sortie sud.
262 H.F. Thiéfaine, « trois poèmes pour annabel lee », in Suppléments de mensonge.
263 H.F. Thiéfaine, « last exit to paradise ».
264 H.F. Thiéfaine, « stratégie de l’inespoir », in Stratégie de l’inespoir.
265 H.F. Thiéfaine, « un automne à tanger ».
266 H.F. Thiéfaine, « 27e heure : suite faunesque ».
267 H.F. Thiéfaine, « loin des temples en marbre de lune », in Scandale mélancolique.
268 H.F. Thiéfaine, « 542 lunes & 7 jours environ », in Chroniques bluesymentales. La référence à la façon de « ranger le temps » propre aux Amérindiens est soulignée en prélude à la chanson dans les concerts de la tournée Unplugged de 2022.
269 H.F. Thiéfaine, « les ombres du soir ».
270 Charles Baudelaire, Les Bienfaits de la lune, in Œuvres complètes, p. 199.
271 H.F. Thiéfaine, « casino, sexe & tendritude », in Suppléments de mensonge.
272 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 6.
273 H.F. Thiéfaine, « la ruelle des morts », in Suppléments de mensonge.
274 H.F. Thiéfaine, « la ruelle des morts ».
275 H.F. Thiéfaine, « la ruelle des morts ».
276 Concernant le « kéfir » et autres « dinky », cf. l’interview https://www.youtube.com/watch?v=rmspNtz_HSg.
277 James Joyce, Portrait de l’artiste en jeune homme [A Portrait of the Artist as a young man, 1934], Paris, Gallimard, coll. « folio », 1992, p. 43.
278 Catulle, Carmina, 68,16.
279 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “je revisite l’enfer de Dante & de Virgile” : le dialogue avec l’Antiquité classique dans l’œuvre de H.F. Thiéfaine », conférence n° 6, Dijon, Université de Bourgogne, 17 novembre 2015, https://www.youtube.com/watch?v=_h4ABmpfA-o&t=3s.
280 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 133.
281 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 55.
282 H.F. Thiéfaine, « fin de partie », in Fragments d’hébétude.
283 H.F. Thiéfaine, « fièvre résurrectionnelle ».
284 H.F. Thiéfaine, « fin de partie ».
285 H.F. Thiéfaine, « confessions d’un never been ».
286 Ian Fleming, Au service secret de Sa Majesté, p. 10.
287 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique », in Scandale mélancolique.
288 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique ».
289 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “en remontant le fleuve vers cette éternité” : présence de Paul Celan dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », in Loxias 61, De seuil en seuil : Paul Celan entre les langues et les arts, http://revel.unice.fr/loxias/index.html?id=9258.
290 H.F. Thiéfaine, « combien de jours encore », in Géographie du vide.
291 Cf. Françoise Salvan-Renucci, « “le dieu mourant revient pour son vendredi saint” : la dialectique du Vivant et du Mourant dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine, in Béatrice Bonhomme, Françoise Salvan-Renucci, Jean Pierre Triffaux (éd.), Le Vivant – Le Mourant, Paris, Hermann, 2023, à paraître.
292 Ian Fleming, Bons baisers de Russie, pp. 735-736.
293 H.F. Thiéfaine, « combien de jours encore ».
294 H.F. Thiéfaine, « combien de jours encore ».
295 H.F. Thiéfaine, « combien de jours encore ».
296 Ian Fleming, James Bond contre Dr. No, p. 855.
297 Aristote, Problème XXX.
298 H.F. Thiéfaine, « le chant du fou », in Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir.
299 H.F. Thiéfaine, « première descente aux enfers par la face nord ».
300 H.F. Thiéfaine, « vendôme gardénal snack », in De l’amour, de l’art ou du cochon ?
301 H.F. Thiéfaine, « exil sur planète-fantôme ».
302 H.F. Thiéfaine, « scandale mélancolique ».
303 H.F. Thiéfaine, « une fille au rhésus négatif », in Dernières balises (avant mutation).
304 H.F. Thiéfaine, « les dingues & les paumés ».
305 H.F. Thiéfaine, « syndrome albatros ».
306 H.F. Thiéfaine, « retour vers la lune noire ».
307 H.F. Thiéfaine, « demain les kids ».
308 H.F. Thiéfaine, « joli mai mois de marie », in Défloration 13.
309 H.F. Thiéfaine, « 713705 cherche futur ».
310 H.F. Thiéfaine, « juste une valse noire », in Fragments d’hébétude.
311 H.F. Thiéfaine, « trois poèmes pour annabel lee ».
312 H.F. Thiéfaine, « modèle dégriffé ».
313 H.F. Thiéfaine, « gynécées », in Scandale mélancolique.
314 H.F. Thiéfaine, « le jeu de la folie », in Scandale mélancolique.
315 H.F. Thiéfaine, « prière pour Ba’al Azabab ».
316 H.F. Thiéfaine, « vers la folie », in Géographie du vide.
317 H.F. Thiéfaine, « la ruelle des morts ».
318 H.F. Thiéfaine, « nuits blanches », in Géographie du vide.
319 H.F. Thiéfaine, « éloge de la tristesse ».
320 H.F. Thiéfaine, « le temps des tachyons », in Grand Corps Malade, Il nous restera ça, Paris, Believe, 2015.
321 H.F. Thiéfaine, « petit matin 4.10. heure d’été », in Suppléments de mensonge.
Pour citer cet article
Françoise Salvan-Renucci, « « au service de sa majesté » : présence de Ian Fleming dans le discours poétique des chansons de H.F. Thiéfaine », paru dans Loxias, 81., mis en ligne le 16 septembre 2023, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=10261.
Auteurs
Françoise Salvan-Renucci (1963), ancienne élève de l’École Normale Supérieure, habilitée à diriger des recherches (1999), membre depuis 2013 du CTELA, Université Côte d’Azur, se consacre depuis 2012 à l’étude de l’œuvre de H.F. Thiéfaine. La publication papier de ses travaux débutera fin 2023 chez Scudo Édition, Ajaccio. Ses conférences (depuis 2015, en Zoom en partenariat avec le CTELA depuis 2022) et ses publications sont accessibles aux adresses
https://www.youtube.com/c/FrançoiseSalvanRenucci
https://www.fsalvanrenucci-projet-thiefaine.com
https://www.facebook.com/FrancoiseSalvanRenucci/
Université Côte d’Azur, CTELA