Loxias | 80. Le "blackface" ou la représentation de l’identité raciale dans les arts de la scène | I. Le "blackface" ou la représentation de l’identité raciale dans les arts de la scène 

Nora Galland  : 

Editorial
le blackface ou la représentation de l’identité raciale dans les arts de la scène

Résumé

Cette introduction présente les actes d’un séminaire de recherche intitulé « Le blackface ou la représentation de l’identité raciale dans les arts de la scène » du CTEL UPR 6307 qui a eu lieu à l’Université Côte d’Azur à Nice le 16 juin 2022. Elle s’attache tout d’abord à définir la race et le racisme comme une question viscérale qui est trop souvent mal conceptualisée. Cet article se propose ensuite de contextualiser le « blackface », considéré comme le reflet d’une société qui tolère l’intolérable. Enfin, nous nous poserons la question du « blackface » dans les arts vivants en prenant les exemples de la scène contemporaine française et allemande ainsi que le monde du ballet classique en soulevant la problématique du théâtre de la suprématie blanche.

Abstract

This introduction features the proceedings of a research seminar entitled « Blackface or the representation of racial identity in the living arts » of the research center CTELA UPR 6307 that took place at University Côte d’Azur in Nice on 16 June 2022. It first focuses on the definition of race and racism as a visceral issue that is too often poorly conceptualized. Blackface on stage will then be contextualized and considered as the reflection of a society that tolerates the intolerable. Eventually, this article explores blackface in the living arts taking the examples of French and German contemporary stages as well as the world of ballet to raise the question of the theater of white supremacy.

Index

Mots-clés : arts de la scène , arts vivants, barbouillage, blackface, déguisement, grimage, race

Géographique : Allemagne , Angleterre, États-Unis, France

Chronologique : Moyen Âge , période classique, période contemporaine

Plan

Texte intégral

I. La question viscérale du racisme : conceptualisation d’une notion qui fait débat

1. Définition de la race et du racisme

1La race est un concept complexe qui identifie les individus par le prisme d’un système de pensée hiérarchisant et axiologique reposant sur une stigmatisation des corps selon différents marqueurs parmi lesquels on compte la religion, la nationalité ou l’origine géographique, la langue, les pratiques culturelles, ou encore la couleur de peau – comme le signale Margaret Hunter : « Race remains an ideology of the taxonomy of bodies built on structural inequality1 ». Le racisme renvoie avant tout à un rapport de forces qui se traduit dans le langage, par lequel la race se construit comme identité imposée par un groupe dominant à un ou plusieurs groupes dominés – race et oppression sont intrinsèquement liées : « le concept de race vient naturaliser un système d’oppression, même s’il ne comporte pas dans son dessein cette visée2 ».

2Il ne faut pas confondre le racisme avec la xénophobie qui fait référence à une peur de l’Autre et une hostilité à ce qui est étranger. La race émerge d’une classification qui appartient au domaine du « fantasme politique3 » qui ne repose pas forcément sur le sentiment de haine raciale. Il s’agit d’un concept historiquement construit pour justifier « des systèmes de distribution inégalitaires » à partir de la « sélection arbitraire de certains traits érigés en signes différentiels », comme le souligne Magali Bessone4.

3Il convient ensuite de ne pas avoir peur de parler de « race » car l’usage du terme n’entraîne pas une essentialisation mais permet au contraire de déconstruire l’essentialisation signifiée par le terme : « la substitution euphémistique » qui consiste à remplacer le mot « race » par « ethnie » notamment, crée l’illusion qu’il n’y a plus de racisme car il n’y a plus de race. Au contraire, il est impératif d’avoir recours à une terminologie transparente et critique pour désigner des processus de catégorisation de l’identité et de l’altérité : « Les mots et les concepts sont des outils d’analyse, ils ne créent pas la réalité sociale, ils permettent simplement (mais c’est fondamental) de tenir un discours sur cette réalité5 ». C’est en parlant de « race » que l’on peut analyser de façon critique la réalité du « racisme » – une approche de déconstruction adoptée dans le présent numéro.

2. La banalisation du racisme décomplexé : nationalisme, conservatisme et populisme

4Lors de la Conférence Mondiale contre le Racisme de 2001 qui a eu lieu à Durban, en Afrique du Sud, plusieurs centaines de responsables politiques se sont engagés à lutter contre le racisme systémique par la signature du DDPA (Durban Declaration and Programme of Action). Le 17 juin 2020, la Haute Commissaire pour les Droits Humains de l’ONU, Michelle Bachelet, a défini le racisme systémique en ces termes : « [R]acial discrimination extends beyond any expression of individual hatred. It results from bias in multiple systems and institutions of public policy, which separately and together perpetuate and reinforce barriers to equality6 ». Vingt ans après, on se rend vite compte que les objectifs fixés n’ont pas été atteints. Le racisme systémique est toujours en place et devient de plus en plus accepté, toléré et banalisé.

5Ce racisme structurel est ancré dans nos sociétés où cependant « explicit violence of a racist or xenophobic kind is on the decrease » selon Lipovetsky depuis les années 19907. Il faut se débarrasser de ce mythe populaire selon lequel le raciste-type est le nationaliste qui hurle, explicitement et avec violence, à la haine raciale en refusant, par exemple, de toucher une personne de couleur : « Today’s racial oppression is still much more than a matter of scattered bigots abandoning supposedly egalitarian institutions, but rather it is about major economic and political institutions systematically imbedding racial inequality8 ». Aujourd’hui, le raciste a (beaucoup !) d’amis noirs ou de couleur et est loin d’être agressif, il s’excuse même par le sempiternel « Je ne suis pas raciste mais… ». Le racisme de nos sociétés contemporaines est incroyablement insidieux, implicite et symbolique, ce qui le rend plus difficile à identifier et donc à combattre. Le racisme implique un discours mais aussi des institutions qui reposent sur un système hiérarchique : « Racism is not only cognitive but also systemic or institutional : it is the educational system that constructs and reproduces social stratification and inequality9 ».

6Franz Fanon souligne que le racisme est aussi et surtout politique en mettant en avant le rôle joué par la colonisation et l’impérialisme dans la dissémination et le renforcement des idéologies racistes : « Après un siècle de domination coloniale, on trouve une culture rigidifiée à l’extrême, sédimentée, minéralisée10 ». Le blackface apparaît comme le produit de cette culture coloniale qui nourrit un discours raciste décomplexé et une idée de l’identité nationale : « La culture est d’abord expression d’une nation. Ses préférences, ses interdits, ses valeurs, ses modèles11 ». Le racisme décomplexé se donne une légitimité en niant toute intention raciste ou appel à la violence explicite : « The institutional racism can thus be seen as the acceptance and normalisation, not of racist intentions, but of the banality of racist actions12 ». La banalisation du racisme entraîne par la suite une indifférence qui paralyse la société et rend difficile un véritable travail de déconstruction antiraciste. La répétition du discours raciste banalisé dans nos sociétés et l’indifférence qui en découle font de la race une question qui se doit d’être posée et reposée, sans relâche.

3. Théorie critique de la race et théâtre : une recherche engagée

7Selon la théorie critique de la race (Critical Race Theory), la race est une construction socio-culturelle dont les effets sur les individus – le racisme – sont pourtant bien réels : « race and races are products of social thought and relations. Not objective, inherent, or fixed, they correspond to no biological or genetic reality, rather, races are categories that society invents, manipulates, or retires when convenient13 ». Cette théorie critique a permis depuis les années 1990 de théoriser la race et le racisme dans la recherche en sciences humaines, notamment dans les arts de la scène: « Blackface in theater was possibly one of the first examples of Black people being represented on the stage, although through a process of racial stereotype illusions14 ».

8Le spectacle vivant met en jeu une interaction des corps sur scène et se prête à la remise en question des idées reçues sur un plan à la fois politique et culturel : « [It] constitutes a privileged point of observation to consider issues of inclusion/exclusion in relation to race, gender and class15 ». Sur scène, le corps noir figuré par le blackface apparaît comme réifié – Alessandra Raengo parle de « commodification of blackness16 ». Le corps noir a subi une transformation qui le fait devenir objet et non plus sujet : « Blackface operated in part by asserting a dominance of white privilege through the performed disdain of Black creativity17 ». Cette perte d’individualité se fait par l’intermédiaire du corps blanc qui monopolise la scène laissant les personnes de couleur dans l’invisibilité – reproduisant sur scène le rapport de pouvoir en faveur des blancs qui existe dans la société.

9La déconstruction critique de ce rapport de pouvoir en faveur de la blanchité suscite des réactions viscérales – des exemples de « fragilité blanche » – cherchant à minimiser la portée du racisme, ou encore à le nier tout simplement. Poser la question de la représentation de l’identité raciste dans les arts de la scène est donc un acte politique qui traduit un engagement antiraciste fort et assumé, en particulier dans le climat politique actuel qui stigmatise la recherche sur la race en accusant les chercheurs d’« islamo-gauchisme », d’« indigénisme » ou de « wokisme » radical, entre autres18. Ce numéro sur le blackface dans les arts de la scène se positionne comme luttant contre une pensée d’extrême droite cherchant à caricaturer la recherche sur la race et agit ainsi comme une force progressiste et militante ayant pour objectif de construire la connaissance scientifique et d’ouvrir l’horizon intellectuel plutôt que de le fermer par ignorance, bêtise, ou simple déni.

II. Le blackface sur scène comme reflet d’une société qui tolère l’intolérable

1. Humour raciste et carnavalesque à Dunkerque

10Le blackface fait partie intégrante de la culture populaire à Dunkerque, par exemple. C’est un grand classique de son carnaval, qui date du XVIIe siècle et qui s’étend de janvier à mars : « [À] Dunkerque, la première mention d’une déambulation de personnes masquées n’apparaît qu’en janvier 1676, dans l’une des ordonnances de l’administration municipale19 ». Le cortège du carnaval, aussi appelé « visschersbende », parcourt les rues à la suite d’un tambour-major et de ses musiciens dont la musique accompagne les chansons des carnavaleux. Le carnaval de Dunkerque est intimement lié au registre de la farce – au comique grossier – que Pougin définit comme « petites pièces courtes, d’un comique bas, trivial, burlesque et la plupart du temps très licencieux, qui cherchaient surtout à exciter le gros rire de la foule » dans son Dictionnaire Historique du Théâtre20. Cette excitation, ou liesse populaire, repose sur une transgression des interdits socio-culturels et un renversement des normes, comme l’explique Michal Bakhtine : « [U]ne sorte d’affranchissement provisoire de la vérité dominante et du régime existant, d’abolition provisoire de tous les rapports hiérarchiques, privilèges, règles et tabous21 ». C’est ainsi que les hommes se déguisent en femmes et que les blancs se griment en noirs, notamment lors du bal de la « Nuit des Noirs » dont la première édition date de 1968.

11Le déguisement racial utilisé pendant le carnaval de Dunkerque semble ainsi reposer sur le registre de la farce raciale génératrice d’humour raciste. Dans ce renversement des normes raciales, le blanc devient noir grâce à du maquillage noir et à divers accessoires comme les os dans les cheveux, des robes de paille ou encore d’épaisses boucles d’oreille dorées. Le rire raciste paraît émerger du plaisir de la transgression raciale qui exorcise la peur de la contamination et de la dégénérescence raciale : « le rire suppose que la peur est surmontée22 ». Le grimage racial participe au maintien et à la dissémination de stéréotypes racistes rendus populaires par la culture coloniale de la suprématie blanche. Il repose à la fois sur une transgression et sur le maintien de la pensée négrophobe de l’hégémonie blanche. D’une part, cette pensée s’exprime notamment par l’affirmation de la liberté d’expression assurant un droit à la caricature. Patrick Vergriete, maire de Dunkerque en 2018, soutient même que le blackface est en parfaite adéquation avec les trois valeurs formant la devise de la République française :

L’égalité : dans nos rues se retrouvent riches et pauvres, ouvriers et patrons, jeunes et vieux, femmes et hommes, croyants et incroyants, sans distinction d’origine. Pendant quelques jours, les différences sont abolies et les discriminations abrogées. C’est le sens même du carnaval que de permettre à chacun d’oublier sa condition, fût-elle des plus modestes. La fraternité : le carnaval, c’est un temps de mélange joyeux qui symbolise une union, une fierté d’appartenance, l’identité partagée, la volonté de « faire cité commune ». Qu’il pleuve ou qu’il vente (ce qui arrive parfois), c’est un espace de chaleur partagée, de coude-à-coude, une démonstration de notre détermination à faire vivre l’espoir de jours meilleurs […] La liberté : pendant le carnaval, j’ose le dire, Dunkerque est une capitale de la liberté. Tout ou presque y est permis. Le déguisement est au cœur de la fête et il est le moteur de la transgression. Être soi-même en étant autre23.

12La liberté de se grimer en noir doit ainsi être protégée pour Vergriete qui défend le blackface comme un droit inaliénable d’expression de soi à travers le déguisement racial. Le grimage racial est ainsi présenté comme garant d’une liberté de penser et comme une pratique inoffensive bon enfant. On remarque ici l’universalisation du regard blanc qui impose son point de vue sur le monde niant ainsi celui des personnes de couleur. Cette affirmation de la suprématie blanche vient également d’une amnésie historique, comme le souligne le président du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France), Louis-Georges Tin qui avait déclaré à l’époque, en 2018 : « C’est une ville avec un passé de traite négrière et le travail de mémoire n’a pas été fait. C’est pour cela qu’on se permet de tourner en dérision l’esclavagisme, qui est un crime contre l’humanité24 ». Le devoir de mémoire et l’indignation face à la négrophobie ne font ainsi pas le poids devant la liberté de penser et le droit à la caricature. D’autre part, la pensée blanche dominante se traduit par la défense de la tradition culturelle du blackface présentée comme une institution qui fait partie intégrante du patrimoine culturel de la ville : « Le carnaval est à la fois une institution, un phénomène sociétal et, pour nombre de Dunkerquois, un devoir citoyen25 ». Le responsable de la Nuit des Noirs, Bernard Vandenbroucque, de 2018 insiste lui aussi sur l’importance du grimage racial comme faisant partie de l’héritage culturel de la ville : « On va faire un beau bal traditionnel, on va faire la fête, c’est tout. […] C’est vraiment un bal de carnaval traditionnel, plein de couleurs et sans artifices26 ». Mame-Fatou Niang précise que plusieurs raisons expliquent la pérennité du grimage racial au carnaval de Dunkerque : « Les défenseurs du bal et de son utilisation du blackface se trouvent une légitimé dans le temps (le carnaval existe depuis 50 ans) ; dans l’affection et l’intimité qu’il cultive entre les habitants de la ville ; dans la visée philanthropique d’un événement profitant à des œuvres caritatives ; et enfin dans l’aspect ludique et inoffensif du déguisement27 ». L’exemple du blackface lors de ce carnaval montre la persistance des pratiques négrophobes en France et surtout le fait que cette pratique est comme désamorcée de son potentiel raciste, présentée comme un simple jeu de rôle, neutre, traditionnel et inoffensif. La portée raciste du blackface est niée au nom d’un droit à l’humour raciste qui met de côté l’éthique.

2. Hommage et appropriation culturelle

13Le 17 décembre 2017, le joueur de football Antoine Griezmann poste une photo de lui grimé en noir sur Twitter : son visage, ses bras et ses jambes sont maquillés. Ce blackface permet alors à Griezmann de se déguiser en un joueur de basket de l’équipe des Harlem Globetrotters. Suite à une première vague de tweets dénonçant le recours au blackface, il justifie ce travestissement racial, dans la même journée, en le présentant comme un hommage rendu aux joueurs de basket afro-américains : « Calmos les amis, je suis fan des Harlem Globetrotters et de cette belle époque, c’est un hommage28 ».

14Dans son article phare « Eating the Other : Desire and Resistance » (1987), bell hooks conceptualise la notion d’appropriation culturelle qu’elle oppose à l’appréciation culturelle. L’hommage que souhaite rendre Griezmann aux joueurs afro-américains renforce le regard blanc dont le pouvoir s’affirme dans cette appropriation culturelle : « race and ethnicity become comodified as resources for pleasure […] [and] can be seen as constituting an alternative playground where members of dominating races, genders and sexual practices affirm their power29 ». La différence principale entre l’appropriation culturelle et l’appréciation culturelle vient du fait que la première pratique engage un rapport de pouvoir en faveur de la blanchité qui s’octroie le monopole du sujet faisant de l’autre racial son objet alors que la seconde reconnaît le statut de sujet de l’autre racial par un individu spectateur d’une action dont l’autre est acteur. Le blackface de Griezmann, comme tout blackface présenté comme hommage culturel, révèle un rapport de domination reposant sur la culture coloniale de la suprématie blanche – il s’agit d’un exemple de privilège blanc qui se renforce par une pratique culturelle à la dimension ludique perçue comme inoffensive et festive. Déjà en 1987, bell hooks précise qu’il faut craindre la maintien des stéréotypes racistes renforcés et légitimés par le blackface comme symptôme que le pouvoir de la suprématie blanche ne fléchit pas : « The over-riding fear is that cultural, ethnic, and racial differences will be continually commodified and offered up as new dishes to enhance the white palate – that the Other will be eaten, consumed, and forgotten30 ». Par son appropriation culturelle, Griezmann ingère l’autre racial et le digère par un effet de colonisation culturelle symbolique qui réifie l’autre racial pour en faire un objet de jeu – un jeu théâtral – pour le blanc.

III. Le blackface dans les arts vivants ou le théâtre du suprémacisme blanc

1. La controverse des Suppliantes d’Eschyle en France : la confusion entre blackface et liberté artistique 

15Le lundi 25 mars 2019 s’est tenue une représentation des Suppliantes d’Eschyle mise en scène par Philippe Brunet, dans le cadre de son festival « Dionysies » organisé à la Sorbonne. Plusieurs dizaines de militants étaient présents pour dénoncer le recours au blackface – un maquillage noir ainsi que des masques sombres – pour jouer les Danaïdes venues des bords du Nil et « ayant la peau brunie par le soleil », comme cela est indiqué dans le texte grec. C’est alors que la polémique commence opposant des antiracistes dénonçant le blackface comme dégradant et humiliant et Philippe Brunet, soutenu par divers alliés de tous les bords politiques.

16Dans la majorité des journaux français, le fait de critiquer l’utilisation du blackface dans ce spectacle relève d’une véritable atteinte à la liberté de création et à la liberté d’expression. Un débat organisé par Le Monde le samedi 5 octobre 2019 au Théâtre des Bouffes du Nord, et intitulé « Blackface, appropriation culturelle, décolonialisme : la liberté d’expression est-elle menacée ? » élude la question centrale du racisme et de l’humiliation des personnes afro-descendantes en opérant un glissement rhétorique. Dénoncer une pratique négrophobe persistante dans le monde du théâtre, monopolisé par le suprémacisme blanc, reviendrait ainsi à être liberticide selon cette logique fallacieuse. Le caractère dégradant du visage blanc grimé en noir ne serait pas en cause, mais bien le fait de pousser un cri pour remettre en cause la banalisation d’un racisme décomplexé et la légitimité du théâtre de la suprématie blanche.

17Les gros titres parlant de censure et insistant sur l’« innocence » de Philippe Brunet se suivent tandis qu’aucun ne se fait le relais de l’indignation des étudiants de la Sorbonne, choqués par cet acte de racisme banalisé. La première représentation de la pièce ne s’est d’ailleurs pas tenue en mars 2019 mais plusieurs mois auparavant. Des groupes d’étudiants ont tenté alors d’alerter, en vain et pendant des mois, Philippe Brunet sur le recours au blackface dans son spectacle. Se targuant d’antiracisme, Philippe Brunet n’a pourtant eu d’autre réflexe que de nier le problème en faisant la sourde oreille, espérant sans doute que la voix de ces étudiants indignés ne porterait pas. Les articles se succèdent pour louer les qualités de Philippe Brunet qu’on ne peut qualifier de raciste car il a travaillé avec des acteurs nigériens et a déclaré : « Il n’y a pas de malveillance mais au contraire une volonté de mettre en valeur les influences africaines31 ». Son innocence blanche et ses bonnes intentions sont soulignées à satiété dans une presse biaisée, aveuglée dans le déni du caractère structurel et insidieux du racisme.

18La majorité des journaux français se noient dans l’inexactitude historique et la plus plate ignorance en disséminant le mythe populaire selon lequel le blackface ne serait qu’une pratique américaine étrangère au contexte français. N’en déplaise à cette presse, le blackface, appelé également « barbouillage » selon sa tradition résolument française, est une pratique théâtrale ancienne, datant du Moyen Âge et émergeant d’abord en Europe avant de se développer plusieurs centaines d’années après aux États-Unis. Ce n’est pas tant un problème d’impérialisme culturel qu’un manque de connaissances scientifiques qu’il faut souligner ici – le développement, en France en particulier, d’une mythologie infondée et historiquement inexacte selon laquelle le blackface est américain et cantonné au XIXe siècle.

2. Le blackface sur la scène contemporaine allemande : la remise en cause d’une tradition culturelle périmée

19C’est lors de la saison théâtrale 2011-2012 qu’un véritable sursaut antiraciste se fit sentir en Allemagne dans le cadre de la mise en scène de Je ne suis pas Rappaport (Ich bin nicht Rappaport) au Schlosspark Theater de Berlin. L’acteur blanc Joachim Bliese joue le personnage de Midge, grimé en noir. Dans cette pièce du dramaturge américain Herb Gardner (1985), Midge Carter, un vieux noir de Harlem, rencontre Nat Moyer, un vieux juif communiste, sur un banc, au Central Park de New-York. Depuis 1987, la pièce a été jouée plus d’une quarantaine de fois sur la scène allemande, mais le rôle de Midge n’a été joué que deux fois par un acteur noir. Dans cette pièce, le rôle du noir reste le monopole de la blanchité. Quelques jours avant la première représentation, la page du théâtre sur Facebook a reçu des milliers de commentaires sur le caractère offensant et dégradant du blackface. Pourtant, la représentation a bien lieu avec l’acteur blanc grimé en noir : le metteur en scène Thomas Schendel rejette les accusations de racisme, se présentant, comme Philipe Brunet, comme foncièrement antiraciste, et il explique qu’il n’a pas trouvé d’acteurs noirs pour le rôle. Suite à cette mise en scène, des militants noirs allemands se réunissent pour fonder « Bündnis Bühnenwatch » (que l’on peut traduire par Alliance de Vigilance des Arts de la Scène) afin de s’organiser pour militer contre la tradition du blackface sur la scène allemande contemporaine.

20En 2012 John von Düffel met en scène Innocence (Unschuld) au Deutsches Theater de Berlin, avec les acteurs blancs Andreas Dönler et Peter Moltzen jouant grimés en noir. Écrite par la dramaturge allemande Dea Loher (2003), la pièce raconte l’histoire de deux immigrés clandestins noirs, Elisis et Fadoul. Sur scène, les deux acteurs portent un maquillage noir et un rouge à lèvres rouge outrancier leur dessinant des lèvres disproportionnées. Pendant l’une des représentations, des membres de Bündnis Bühnenwatch attendaient à l’entrée du théâtre avec des tracts retraçant brièvement l’histoire de cette pratique théâtrale et expliquant en quoi elle est raciste et humiliante afin de mettre en lumière le racisme systémique du théâtre allemand contemporain. Après des discussions entre Bündnis Bühnenwatch et le théâtre, les acteurs Dönler et Moltzen ont arrêté de jouer grimés en noir pour arborer un maquillage blanc sur le visage, au lieu d’un noir. Pour Bündnis Bühnenwatch, l’objectif est simple: « a platform which has the aim of bringing racist traditions and practices on German stages to an end32 ».

21Pour Julia Lemmle, la persistance du blackface sur la scène allemande ne vient pas d’un problème de connaissances car elle explique que la littérature sur le sujet est aujourd’hui suffisamment importante pour ne pas être ignorée. Lemmle fait référence aux artistes défendant le caractère inoffensif et même antiraciste du blackface qui doit être protégé au nom de la liberté artistique : « Grundlegend für den gesamten Vorgang der Verleugnung von Beteiligung und Verantwortung innerhalb rassistischer Strukturen ist das Nicht-Benennen der eigenen weißen und privilegierten Perspektive. Ein Privileg weißer Menschen besteht genau darin, ihre eigene Position als “universal” und “allgemein menschlich” ausgeben zu können33 ». Cependant, peu de blancs sont conscients de leurs privilèges et beaucoup universalisent leur point de vue en le normalisant à toutes les échelles de la société, et en particulier dans les arts vivants. La blanchité s’octroie ainsi un monopole de définition raciale et de représentation assignant aux groupes opprimés des identités forcées. Ignorer l’indignation d’une partie de la population pour défendre le droit d’humilier est révélateur de la dynamique même de la suprématie blanche – la liberté artistique est intrinsèquement blanche et donc jouit du privilège de l’universalisme.

3. Le blackface dans le monde du ballet classique : entre persistance et réticence

22En France, dès le règne d’Henri IV, on trouve des ballets représentants des noirs, en particulier – mais pas seulement – des Turcs et des Maures34. Il y avait, par exemple, le Ballet pour une troupe de Tucs [sic] armez de Claude d’Expilly, dansé avant 1596, le Ballet des Turcs (1600), le Ballet des Maures Nègres (1600), le Ballet des Janissaires (1604), le Ballet des Maures (1609) ou encore le Ballet de Monseigneur le duc de Vandosme (1610) qui a eu lieu au Louvre, et dont Marcel Paquot cite un extrait du programme qui fait explicitement référence au blackface : « Leurs masques bazanez avoient le sourcil gros et la moustache relevée35 ». Ces personnages de noirs étaient joués par des danseurs blancs grimés en noir avec un maquillage plus ou moins foncé. L’historienne Olivia Bloechl précise que le jeune roi Louis XIV jouait grimé en noir dans le ballet Les Noces de Pélée et de Thétis en 165436. La noblesse française ainsi que la royauté se plaisait donc à danser en blackface dans le cadre de ballets de cour : « [T]his trend was replicated in ballet narratives and has remained a tradition that continues in some European ballet companies today37 ». Le répertoire de ballets datant du XIXe siècle, en particulier celui de la période romantique, était marqué par un certain nombre de personnages de couleur joués avec une grande récurrence en blackface. Les chorégraphes européens jouissaient alors de leur privilège blanc pour faire incarner par des danseurs blancs leurs stéréotypes raciaux, renforçant ainsi leur pouvoir sur les populations colonisées : « [C]olonial power produces the colonized as a fixed reality which is at once an ‘other’ and yet entirely knowable and visible38 ». Dans la plupart des spectacles de ballet, les noirs sont esclaves, ou/et des figures érotiques hypersexualisées : « negative Eurocentric representations of Black men39 ».

23Parmi les ballets qui représentaient les noirs comme des esclaves joués par des danseurs blancs grimés en noir, on trouve par exemple La Fille du Pharaon (1862) de Petipa. Pour l’historienne de la danse, Lynn Garafola, l’intrigue de La Fille du Pharaon (1862) viendrait de la nouvelle « Le Roman de la momie » (1857) de Théophile Gautier. Il s’agit d’une histoire d’amour entre un archéologue anglais Lord Wilson et la fille du pharaon, Aspicia. Lord Wilson et son serviteur John Bull étaient pris dans une tempête de sable et ont trouvé un abri dans une pyramide où ils se sont mis à fumer de l’opium et à halluciner, croyant voir les momies revenir à la vie40. C’est alors que Lord Wilson fit un voyage dans le passé, prenant l’identité d’un Égyptien nommé Taor, qui tomba amoureux de la fille du pharaon, Aspicia: « Ironically, the eroticism of the ballet is based on the fantasy of an elite White man who takes drugs and transforms himself into a ‘primitive and free’ African Egyptian man lusting after an African woman41 ». Dans ce ballet, une danseuse portait un brownface pour l’esclave nubienne d’Aspicia, Ramze, et les danseurs du corps de ballet un blackface. En 2000, le ballet du Bolchoï a dansé la version adaptée par Lacotte qui accentue l’exotisme des costumes et conserve le blackface des danseuses et des danseurs – une persistance du grimage racial que Bourne qualifie de « perturbante et raciste42 » et qui continue de légitimer des stéréotypes raciaux eurocentriques et coloniaux.

24En France, à l’automne 2020, Binkady-Emmanuel Hié (salarié de l’AROP, ou l’Association pour le Rayonnement de l’Opéra de Paris) et cinq danseurs noirs du Ballet de l’Opéra de Paris (Guillaume Diop, Letizia Galloni, Jack Gasztowtt, Awa Joannais et Isaac Lopes Gomes) rédigent un manifeste intitulé « De la question raciale à l’Opéra national de Paris » et le diffusent, obtenant en quelques semaines plus de 400 signatures auprès des autres danseurs. Ce texte dénonce le harcèlement raciste dont sont victimes les danseurs de couleur, demande l’abolition de la pratique du blackface ainsi que la mise à disposition de produits de maquillage et de coiffure ainsi que de tenues de danse adaptés à des danseurs de couleur. En réaction à ce manifeste, le directeur de l’Opéra de Paris, Alexander Neef, a chargé deux indépendants, Pap Ndiaye et Constance Rivière, de rédiger un rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris.

25Dans ce rapport, Rivière et Ndiaye rappellent la récurrence de la pratique du blackface dans les ballets du répertoire de l’Opéra de Paris. Il y a par exemple Raymonda (1877), chorégraphié par Petipa sur une musique de Glazounov, qui raconte comment le cheik arabe Abderam fait enlever Raymonda avant d’être tué par Jean de Brienne revenant de croisade et sauvant ainsi sa bien-aimée. Le danseur interprétant Abderam est « sombre et destiné à mourir, tout comme ses coreligionnaires combattant les valeureux croisés43 ». Le ballet Petrouchka créé par les Ballets russes de Michel Fokine au théâtre du Châtelet en 1911, sur une musique de Stravinski, pose lui aussi la question du blackface44. Parmi les poupées qui s’animent comme par magie au son de la flûte du mage, on trouve la ballerine Petrouchka et le Maure, grimé en noir, méchant et tellement bête qu’il en arrive à adorer une noix de coco. Ndiaye et Rivière en concluent que dans le cas du grimage racial : « c’est une différence […] ontologique qui se donne à voir, qui touche au corps lui-même45 ». Même si leur distinction du « blackface light » et du « blackface hard46 » paraît peu pertinente et bien trop complaisante, ils s’efforcent de dénoncer le blackface comme véhiculant des stéréotypes dégradants et racistes.

IV. Présentation des contributions du numéro

26Dans « Déjouer le blackface au théâtre pour mieux dé-penser la race », Sylvie Chalaye présente le barbouillage, ou blackface, comme une pratique théâtrale et culturelle à la portée politique. Elle retrace l’histoire de ce qu’elle appelle un « travestissement » en remontant jusqu’au Moyen Âge avant de se concentrer sur la « comédie du barbouillé à la française » dans le théâtre vaudeville des XVIIIe et XIXe siècles. Le barbouillage est alors utilisé comme un ressort comique sur la scène française pour faire rire le public. Elle adopte ensuite une approche comparatiste en dressant un parallèle avec la tradition américaine du blackface dans les spectacles de ménestrels. Jouer la race, c’est présenter un divertissement pour le plaisir du spectateur blanc. Chalaye soutient que jouer la race est précisément entretenir le racisme par un véritable dénigrement. Elle propose de s’émanciper de ce produit de l’histoire coloniale et impérialiste qu’elle dénonce comme une désappropriation culturelle.

27Pour David Yesaya, c’est la connaissance de l’histoire du blackface qui fait que cette pratique théâtrale n’est souvent pas prise au sérieux en Europe continentale, contrairement aux arts de la scène anglophone. Dans « Peau blanche, masque noir : que dit le phénomène du blackface de la société occidentale contemporaine ? », Yesaya présente le blackface comme le fruit d’un racisme négrophobe qui mobilise à la fois l’infantilisation du noir et sa stigmatisation comme figure menaçante. Il examine le blackface dans le cadre de carnavals français et belges par le prisme décolonial de Frantz Fanon. Il rappelle enfin que cette pratique est non seulement négrophobe mais qu’elle est aussi et surtout le reflet du privilège blanc représenté dans les arts de la scène.

28Nora Galland relie également le blackface à la suprématie blanche en se concentrant sur les mises en scène d’Othello de Shakespeare dans « Le blackface ou la saturation sémiotique du corps noir dans les mises en scène d’Othello de Shakespeare ». Elle s’attache à montrer dans quelle mesure le corps noir a été sémiotiquement saturé de connotations négatives sur la scène de théâtre en remontant à l’Angleterre médiévale. Elle rappelle que le personnage d’Othello est un rôle de noir qui a été écrit par un dramaturge blanc pour un acteur blanc en blackface. Se grimer en noir participe à la mise en place d’une esthétique raciale qui procure un plaisir chez le spectateur mais aussi chez l’acteur réalisant cette métamorphose raciale sur scène. Galland analyse l’innocence blanche des dramaturges ayant recours au blackface avant de définir cette pratique négrophobe comme une véritable injure visuelle dont l’impact reste indépendant de l’intention.

Notes de bas de page numériques

1 Margaret Hunter, « Rethinking Epistemology, Methodology, and Racism: Or, Is White Sociology Really Dead? », Race & Society, vol. 5, 2002, pp. 119-138, p. 120 : « La race reste une idéologie de la taxonomie des corps construite sur une inégalité structurelle ».

2 Hourya Bentouhami-Molino, Race, cultures, identités :une approche féministe et postcoloniale, Paris, Presses Universitaires de France, 2015, p. 77.

3 Hourya Bentouhami-Molino, Race, cultures, identités : une approche féministe et postcoloniale, p. 84.

4 Magali Bessone, Sans distinction de race ? : une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques, Paris, Vrin, 2013, p. 19.

5 Magali Bessone, Sans distinction de race ? : une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques, p. 16.

6 Michelle Bachelet, « 43rd session of the Human Rights Council : Urgent Debate on current racially inspired human rights violations, systemic racism, police brutality against people of African descent and violence against peaceful protests », 17 juin 2020, https://www.ohchr.org/en/news/2020/06/43rd-session-human-rights-councilurgent-debate-current-racially-inspired-human-rights# :~ :text =Systemic %20racial %20discrimination %20extends %20beyond,and %20reinforce %20barriers %20to %20equality, consulté le 24 juillet 2022 : « La discrimination raciale s’étend au-delà de toute expression de haine individuelle. Elle résulte d’un biais présent dans de multiples systèmes et institutions de politique publique, qui, séparément et ensemble, perpétuent et renforcent les barrières à l’égalité ».

7 Gilles Lipovetsky, Le Crépuscule du devoir, Paris, Gallimard, 1992, p. 157 : « la violence explicite de type raciste ou xénophobe est sur le déclin ».

8 Joe Feagin, Systemic Racism : A Theory of Oppression, New-York, Routledge, 2006, p. 224 : « L’oppression raciale d’aujourd’hui représente encore beaucoup plus qu’un groupe de bigots éparpillés qui abandonnent des institutions prétendues égalitaires, mais elle renvoie plutôt à des institutions économiques et politiques de premier plan systématiquement imbriquées avec l’inégalité raciale ».

9 Jean-Jacques Weber, Language Racism, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2015, p. 106 : « Le racisme n’est pas seulement cognitif mais il est aussi systémique et institutionnel : c’est le système scolaire qui construit et reproduit la stratification sociale et l’inégalité ».

10 Frantz Fanon, « Fondement réciproque de la culture nationale et des luttes de libération », Présence Africaine, n 24/25, 1959, pp. 82-89, ici p. 83.

11 Franz Fanon, « Fondement réciproque de la culture nationale et des luttes de libération », p. 87.

12 Jane Freedman, Immigration and Insecurity in France, New-York, Routledge, 2994, p. 106 : « Le racisme institutionnel peut ainsi être vu comme l’acceptation et la normalisation, non pas d’intentions racistes, mais de la banalité des actions racistes ».

13 Richard Delgado et Jean Stefancic, Critical Race Theory : An Introduction, New-York, New-York University Press, 2017, p. 7 : « La race et les races sont des produits de la pensée et des relations sociales. Elles ne sont pas objectives, inhérentes, ou fixes, elles ne correspondent à aucune réalité biologique ou génétique ; les races sont plutôt des catégories que la société invente, manipule ou retire lorsque cela est opportun ».

14 Sandie Bourne, « Portrayals of Black people from the African Diaspora », in Adesola Akinleye (éd.), (Re-)Claiming Ballet, Bristol, Intellect, 2021, pp. 68-86, ici p. 74 : « Le blackface au théâtre était sans doute l’un des premiers exemples de personnes noires étant représentées sur scène, bien que cela se fasse à travers un processus qui repose sur des stéréotypes raciaux illusoires ».

15 Tiziana Morosetti et Osita Okagbue, « Introduction », in Tiziana Morosetti et Osita Okagbue (éds.), The Palgrave Handbook of Theatre and Race, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2021, pp. 1-18, ici p. 7 : « Cela constitue une perspective privilégiée que de considérer les problèmes d’inclusion/exclusion en lien avec la race, le genre et la classe ».

16 Alessandra Raengo, Critical Race Theory and Bamboozled, Londres, Bloomsbury, 2016, p. 20 : « réification de l’identité noire ».

17 Thomas F. Defrantz, « Chapter 33. The Race of Contemporary Ballet: Interpellations of Africanist Aesthetics », in Kathrina Farrugia-Kriel et Jill Nunes Jensen (éds.), The Oxford Handbook of Contemporary Ballet, Oxford, Oxford University Press, 2002, pp. 562-581, ici p. 573 : « Le blackface se faisait en partie en affirmant la domination du privilège blanc à travers la représentation du dédain de la créativité noire ».

18 Voir les articles suivants (non-exhaustifs) comme exemples de la critique réactionnaire d’extrême droite s’opposant à la recherche universitaire sur la race : Claire Conruyt, « Cette idéologie ‘woke’ qui infiltre les facs », Le Figaro, 17 juin 2021, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/cette-ideologie-woke-qui-infiltre-les-facs-20210617, consulté le 24 juillet 2022 ; Caroline Beyer, « Comment l’islamo-gauchisme gangrène les universités », Le Figaro, 11 février 2021, https://www.lefigaro.fr/actualite-france/comment-l-islamo-gauchisme-gangrene-les-universites-20210211, consulté le 24 juillet 2022 ; Kamel Bencheikh, « Le venin du wokisme », Causeur, 6 juillet 2022, https://www.causeur.fr/le-venin-du-wokisme-237203/, consulté le 24 juillet 2022 ; Anne-Marie Le Pourhiet, « Contre le wokisme, les outils de la reconquête », Causeur, 4 mars 2022, https://www.causeur.fr/universite-academies-wokisme-decolonialisme-deconstruction-anne-marie-le-pourhiet-225901, consulté le 24 juillet 2022.

19 Olivier Ryckebusch, « La construction d’une identité urbaine : le carnaval de Dunkerque », Société de Littérature du Nord, n° 61, 2013, pp. 47-56, ici p. 48.

20 Olivier Ryckebusch, « La construction d’une identité urbaine : le carnaval de Dunkerque », p. 56.

21 Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1970, p. 18.

22 Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, p. 98.

23 Jeanne Blanquart, « Carnaval : le maire de Dunkerque défend la ‘Nuit des Noirs’ et un ‘droit à la caricature’ » , France Info, 11 février 2018, https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/dunkerque/carnaval-maire-dunkerque-defend-nuit-noirs-droit-caricature-1421821.html, consulté le 24 juillet 2022.

24 Stéphanie Maurice, « Nuit des Noirs : les carnavaleux de Dunkerque défendent leur ‘clet’che’ », Libération, 9 mars 2018, https://www.liberation.fr/france/2018/03/09/nuit-des-noirs-les-carnavaleux-de-dunkerque-defendent-leur-clet-che_1635112/, consulté le 24 juillet 2022.

25 Olivier Ryckebusch, « La construction d’une identité urbaine : le carnaval de Dunkerque », p. 47.

26 Jeanne Blanquart, « Nuit des Noirs à Dunkerque : ‘Nous n’avons pas peur’, explique le chef des Noirs avant le bal », France Info, 9 mars 2018, https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/dunkerque/nuit-noirs-dunkerque-nous-n-avons-pas-peur-indique-chef-noirs-bal-1437389.html, consulté le 24 juillet 2022.

27 Mame-Fatou Niang, Identités françaises. Banlieues, féminités et universalisme, Paris, Brill, 2020, p. 296.

28 Marine Benoît, « Griezmann se ‘déguise en basketteur noir’ : mais Antoine, t’étais où ces dernières années ? », France 24, 18 décembre 2017, https://www.france24.com/fr/20171218-griezmann-deguise-basketteur-noir-mais-antoine-etais-ces-dernieres-annees, consulté le 24 juillet 2022.

29 bell hooks, « Eating the Other : Desire and Resistance » in Black Looks : Race and Representation, Boston, South End Press, 1992, p. 367 : « la race et l’ethnicité deviennent réifiées comme sources de plaisir […] [et] peuvent être vues comme constituant un espace de jeu alternatif dans lequel les races, genres et pratiques sexuelles dominants affirment leur pouvoir ».

30 bell hooks, « Eating the Other : Desire and Resistance », p. 380 : « La peur principale est que les différences culturelles, ethniques et raciales soient continuellement réifiées et offertes comme de nouveaux plats pour ravir le palais blanc – que l’Autre soit mangé, consommé et oublié ».

31 Louis Nadau, « Pièce d’Eschyle bloquée pour ‘racisme’ : ‘Une pratique de terreur’, s’alarme son metteur en scène », Marianne, 27 mars 2019, https://www.marianne.net/societe/accusee-de-blackface-une-piece-d-eschyle-bloquee-par-des-militants-antiracistes-la-sorbonne, consulté le 24 juillet 2022.

32 Compte Facebook de « Bündnis Bühnenwatch », https://www.facebook.com/buehnenwatch, consulté le 24 juillet 2022 : « une plate-forme qui a pour but de mettre fin aux traditions et pratiques racistes sur les scènes allemandes ».

33  Julia Lemmle, « Weißsein, Theater & die Normalität rassistischer Darstellung », Heinrich Böll, Stiftung Heimatkunde Migrationspolitisches Portal, https://heimatkunde.boell.de/de/2012/07/18/weisssein-theater-die-normalitaet-rassistischer-darstellung, consulté le 24 juillet 2022 : « Ne pas nommer son propre privilège blanc et sa propre perspective est fondamental à l’ensemble du processus du déni de participation et de responsabilité au sein des structures racistes. Un privilège des blancs consiste à précisément être capable de présenter sa propre position comme ‘universelle’ et ‘communément humaine’ ».

34 Marcel Paquot, « Les étrangers dans le ballet de cour au temps de Henri IV », Revue du Seizième siècle, tome 16, 1929, pp. 21-39, ici p. 34.

35 Michel Paquot, « Les étrangers dans les ballets de cour au temps de Henri IV », p. 36.

36 Olivia Bloechl, « Race, empire and early music », in Olivia Bloechl, Melanie Lowe et Jeffrey Kallberg (éds.), Rethinking Difference in Music Scholarship, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, pp. 77-107, ici p. 89 : « Cette tendance fut reprise dans les récits de ballets et elle est restée une tradition qui perdure dans quelques compagnies de ballet européennes encore aujourd’hui ».

37 Sandie Bourne, « Portrayals of Black people from the African Diaspora », p. 73.

38 Homi K. Bhabha, « The other question », in Padmini Mongia (éd.), Contemporary Postcolonial Theory : A Reader, New-York, Routledge, 1996, p. 199 : « Le pouvoir colonial produit le colonisé comme une réalité fixée qui est d’abord un ‘autre’ et pourtant que l’on peut connaître et voir entièrement ».

39 Voir Sandie Bourne, « Tracing the evolution of Black representation in ballet and the impact on Black British dancers today », in Adesola Akinleye (éd.), Narratives in Black British Dance: Embodied Practices, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2018; Georgia J. Cowart. The Triumph of Pleasure: Louis XIV and the Politics of Spectacle, Chicago, University Press of Chicago, 2008, p. 33; Mica Nava, Visceral Cosmopolitanism: Gender, Culture and the Normalisation of Difference, Oxford, Berg, 2007, p. 28: « des représentations négatives eurocentrées des hommes noirs ».

40 Debra Craine et Judith Mackrell, The Oxford Dictionary of Dance, Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 350.

41 Sandie Bourne, « Portrayals of Black people from the African Diaspora », p. 76 : « De façon ironique, l’érotisme du ballet repose sur le fantasme d’un homme blanc de l’élite qui se drogue et se transforme en un homme africain et égyptien, ‘primitif et libre’, rempli de désir pour une femme africaine ».

42 Sandie Bourne, « Portrayals of Black people from the African Diaspora », p. 75.

43 Pap Ndiaye et Constance Rivière, « Rapport sur la diversité à l’Opéra National de Paris », janvier 2021, https://res.cloudinary.com/opera-national-de-paris/image/upload/v1612862089/pdf/q8admqhaczygb1jm2uls.pdf, consulté le 24 juillet 2022, p. 20.

44 Pour une étude de l’orientalisme des ballets russes ayant recours au blackface, voir l’excellent article d’Hanna Järvinen, « Ballets russes and Blackface », Dance Research Journal, vol. 52, n° 3, pp. 76-96.

45 Pap Ndiaye et Constance Rivière, « Rapport sur la diversité à l’Opéra National de Paris », p. 21.

46 Pap Ndiaye et Constance Rivière, « Rapport sur la diversité à l’Opéra National de Paris », p. 20.

Pour citer cet article

Nora Galland, « Editorial
le blackface ou la représentation de l’identité raciale dans les arts de la scène
 », paru dans Loxias, 80., mis en ligne le 15 mars 2023, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=10147.


Auteurs

Nora Galland

Agrégée d’anglais, Nora Galland est ATER à l’Université Côte d’Azur, Nice. Docteure en études du monde anglophone, elle est spécialiste du théâtre anglais des XVIe et XVIIe siècles. Ses champs d’investigation sont la race dans la culture et le théâtre de la première modernité anglaise, aux XVIe et XVIIe siècles, la dialectique de l’identité et de l’altérité, l’injure et la violence verbale ainsi que les adaptations et appropriations des pièces de William Shakespeare. Elle a publié ses recherches dans Cahiers Élisabéthains, Arrêt sur Scènes/Scene Focus, Les Cahiers Shakespeare en Devenir, Multicultural Shakespeare : Translation, Appropriation and Performance et L’Œil du spectateur.

Université Côte d'Azur, CTEL