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Sandrine Montin  : 

Autour d’une table de cuisine : la genèse du projet éditorial de Kitchen Table Women of Color Press et l’anthologie This Bridge Called My Back

Résumé

Deux initiatives éditoriales convergent autour de 1979-81. Les autrices latino-américaines Cherríe Moraga et Gloria Anzaldúa réunissent des autrices de couleur, africaines américaines, asiatiques américaines, amérindiennes et latino-américaines autour de la création de l’anthologie This Bridge Called My Back. Parallèlement, les autrices africaines américaines Barbara Smith et Audre Lorde ont l’idée de créer une maison d’édition dédiée au travail des femmes de couleur, The Kitchen Table : Women of Color Press. Cherríe Moraga se joint bientôt à leur groupe, de même que plusieurs des contributrices de This Bridge Called Muy Back, et Kitchen Table réédite d’ailleurs l’anthologie après son abandon par sa première maison d’édition. La métaphore de la table de cuisine et le motif de la nourriture infusent le livre comme la genèse du projet éditorial de Kitchen Table. Cet article souhaite examiner ce que l’on peut comprendre des objets, de la méthode de travail, et des stratégies de ces deux initiatives éditoriales, à travers la lecture de cette métaphore de la table de cuisine et du motif structurant de la nourriture dans l’anthologie This Bridge Called My Back comme dans les essais et entretiens des principales animatrices de Kitchen Table : Women of Color Press.

Abstract

Around 1979-81, Latin American writers Cherríe Moraga and Gloria Anzaldúa brought together women of color, African American, Asian American, Native American, and Latin American women writers in the anthology This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color. At the same time, African American writers Barbara Smith and Audre Lorde decided to create a publishing house dedicated to the work of women of color, The Kitchen Table: Women of Color Press. This paper wishes to examine this kitchen table metaphor in the anthology as well as essays and interviews of the leaders of Kitchen Table: what can be understood about the intentions, objects, strategies of these women of color through this metaphor?

Index

Mots-clés : Audre Lorde , Barbara Smith, Black feminism, Cherríe Moraga, cuisine, édition, féminisme, féminisme de couleur, Kitchen Table, nourriture

Géographique : États-Unis

Chronologique : XXe siècle

Plan

Texte intégral

En 1976, un poème d’Audre Lorde publié dans son recueil Charbon (Coal), « Livres d’histoires sur une table de cuisine » (« Story Books on a Kitchen Table ») réfléchit sur la transmission culturelle entre mère et fille, au cœur de la maison qu’est la table de cuisine. Après une première strophe sur les déceptions de la mère vis-à-vis de sa fille, la seconde strophe évoque la nourriture culturelle aliénante proposée au sujet poétique par la mère absente :

Livres d’histoires sur une table de cuisine

De son ventre de douleur ma mère m’a crachée
dans son carcan de désespoir mal ajusté
dans ses mensonges
où la colère m’a conçue à nouveau
et m’a percé les yeux comme des flèches
affûtées par ses cauchemars
sur celle que je ne
devenais pas.

Quand elle partait
elle laissait à sa place
des vierges de fer pour me protéger
et pour me nourrir
le lait ridé des légendes
où j’errais dans les pièces désertes de l’après-midi
enveloppée de cauchemars
venus des Livres de contes
orange et rouges et jaunes
violets et bleus et verts
où les sorcières blanches régnaient
sur la table de cuisine vide
sans jamais pleurer
ou offrir d’or
ni la douceur d’un enchantement
pour la mère disparue
d’une fillette noire1.

Ce qui fait défaut, note Lorde dans son poème, ce n’est pas seulement la présence physique de la mère, mais le type de représentation dans les histoires qu’elle lui laisse à lire sur la table de cuisine. Les contes de fées, n’offrant à la petite fille noire aucune représentation à laquelle elle peut s’identifier, nourrissent la douleur et l’impossibilité d’être soi. En lieu et place de l’enchantement attendu d’eux, ces contes deviennent une nourriture amère. Si dans ces histoires règnent les sorcières blanches, c’est aussi parce que la mère elle-même a intériorisé les images des petites filles modèles transmises par la culture blanche occidentale, et se montre constamment déçue par une petite fille trop grosse, trop noire, trop indignée, et qui ne leur ressemble en rien. La métaphore synthétique du « lait ridé des légendes » désigne une transmission culturelle stérile, dont la mère ne peut nourrir sa fille. Les livres nourrissants qui pourraient refonder le lien dysfonctionnel entre la petite fille noire et sa mère évanouie manquent.

La même année 1976, Audre Lorde rencontre Barbara Smith, elle-même autrice noire féministe et lesbienne. Cette dernière le raconte dans un entretien avec à Michelle Parkerson pour Off Our Backs. A Women’s Newsjournal en 1983 :

Audre (Lorde) est une des personnes sur lesquelles je compte depuis le milieu des années 70. Je la lisais bien avant de la rencontrer… Nous nous sommes rencontrées en 1976 et notre amitié s’est développée continuellement depuis lors. C’est précieux d’avoir une personne sur qui compter, qui a traversé pas mal de choses avant vous. Je pense que nous nous appuyons réciproquement l’une sur l’autre2. 

Ce sont justement ces deux femmes qui, quatre ans plus tard, sont à l’origine d’une initiative éditoriale destinée aux femmes de couleur. Barbara Smith fait le récit de la genèse de la maison d’édition Kitchen Table : Women of Color Press dans un article de 1989 pour Frontiers :

En octobre 1980, Audre Lorde m’a dit lors d’une conversation téléphonique : « Il faut vraiment qu’on fasse quelque chose pour l’édition ». J’ai approuvé avec enthousiasme et invité un groupe de femmes intéressées à se réunir à Boston, le week-end d’Halloween, où Audre et d’autres femmes venues de New York étaient en ville pour participer à une lecture de poésie de femmes Noires. C’est à cette réunion que Kitchen Table  : Women of Color Press est née3. 

Dans ce même article, Barbara Smith précise aussi le sens du nom donné à leur maison d’édition :

Un an plus tard notre maison était officiellement fondée. Nous avons choisi ce nom parce que la cuisine est le centre de la maison, l’endroit où les femmes en particulier travaillent et se parlent. Nous avons aussi voulu faire comprendre que notre édition est une table de cuisine, une action populaire, fondée et maintenue par des femmes qui ne peuvent compter sur aucun héritage ni bénéficier de privilèges de classes pour faire le travail que nous avons à faire4. 

À plusieurs reprises, Barbara Smith souligne l’empêchement dont sont victimes les femmes de couleur, d’autant plus si elles sont féministes et lesbiennes. « Privées de multiples droits », ce sont « les personnes les plus démunies » :

Si quelqu’un avait demandé en 1980 si les livres écrits par des femmes de couleur pouvaient se vendre ou si une maison d’édition qui ne publiait que des livres écrits par et sur les femmes de couleur pouvait survivre, la réponse logique aurait été « non », surtout si la personne qui répondait à la question faisait partie de l’establishment éditorial. Il y a moins de dix ans, les écrits de femmes amérindiennes, afro-américaines, latines ou asiatiques étaient à peine remarqués par le milieu académique, sans parler du grand public5.

Les empêchements faits aux autrices noires et autrices de couleur, qui plus est si elles sont féministes et lesbiennes, sont aussi soulignés par Lorde. En 1984, celle-ci s’exprime en ces termes dans un entretien avec Joseph Beam pour Blacklight Magazine :

Nous devons construire nos propres institutions. Lorsque nous créons à partir de nos expériences, en tant que femmes et féministes de couleur, nous devons développer les structures qui pourront représenter et diffuser notre culture. Nous devons être capables de publier ce qui autrement ne serait pas publié ni disponible dans les différentes communautés des femmes de couleur. […] Regardez combien il y a d’écrivaines lesbiennes noires dont les noms sont connus. Pourquoi Gloria Hunt n'est-elle pas connue de tous en raison des recherches qu’elle a menées sur les femmes dans la Renaissance de Harlem ? Et Pat Parker ? C’est une poète puissante. Norton est probablement l’un des meilleurs éditeurs de poésie de ce pays mais j’y suis la seule gouine noire et je veux plus. Je veux que bien plus d’entre nous soient lues et vues6.

Si les premières femmes qui se sont réunies autour de Barbara Smith et Audre Lorde sont d’abord des femmes noires, elles ont dès l’origine l’intention de former un groupe de femmes de couleur, ou de femmes du « tiers monde » selon un terme fréquent à l’époque, quelles que soient leurs origines et nuances de couleur. Cherríe Moraga est la première femme latino-américaine à les rejoindre. Elle est aussi, avec Gloria Anzaldúa, l’une des éditrices de l'anthologie This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color, conçue en 1979 et publiée une première fois en 1981 par Persephone Press. L’anthologie comprend des textes de nombreuses contributrices, femmes de couleur africaines américaines, latino-américaines, amérindiennes, asiatiques américaines, parmi lesquelles Barbara Smith, Audre Lorde, Chrystos, hattie gossett, Cheryl Clarke, Toni Cade Bambara qui en signe l’avant-propos… Ce livre est en ce sens exemplaire du mouvement à l’origine de la naissance de Kitchen Table, et de cette volonté des rassembler des femmes différentes mais affrontant toutes à divers titres des formes de domination, d’invisibilisation ou d’empêchement. Le double désengagement de Persephone Press, qui avait d’abord publié en 1981 This Bridge Called my Back. Writings by Radical Women of Color avant de refuser sa réédition une fois le livre épuisé, et qui après s’être engagée à publier Home Girls. A Black Feminist Anthology, renonça à cette publication, fut vécu comme un déchirement par Cherríe Moraga, Barbara Smith et leurs camarades. C’était bien le signe que « la liberté de la presse appartient à celleux qui possèdent une maison de presse ». Il fallait conquérir l’autonomie, être en capacité de déterminer les contenus, les conditions de travail, la diffusion des œuvres, cesser d’être à la merci d’une édition largement dominée par les blancs7. Et ce fut Kitchen Table qui reprit l’édition des deux anthologies, This Bridge Called My Back et Home Girls en 1983.

Tel qu’il est réédité par Kitchen Table : Women of Color Press en 1983, This Bridge Called My Back comprend les textes réunis pour la première édition en 1981, et de nouvelles préfaces des éditrices ajoutées en 1983. Or la métaphore de la table de cuisine et le motif de la nourriture infusent le livre, avant même sa reprise par Kitchen Table, donnant à voir la genèse d’un projet éditorial, et la convergence des intentions de Gloria Anzaldúa, Cherríe Moraga, Barbara Smith et Audre Lorde. Dans cet article, je souhaite examiner ce que l’on peut comprendre des intentions éditoriales, des objets, de la méthode de travail, de ces femmes de couleur et de la jeune Kitchen Table Press émergeante, à travers la lecture de cette métaphore de la table de cuisine dans les entretiens ou essais de Barbara Smith, Audre Lorde et Cherrie Moraga et du motif structurant de la nourriture dans l’anthologie This Bridge Called My Back.

Le personnel est politique : se nourrir de l’expérience

La survie, écrit Audre Lorde dans son essai « Les outils du maître jamais ne détruiront la maison du maître », n’est « pas une compétence académique ». En revanche, « nos visions personnelles contribuent à poser les bases de l’action politique8 ». Dans un long dialogue écrit avec les éditrices Cherríe Moraga et Gloria Anzaldúa, Barbara Smith et Beverly Smith affirment vouloir discuter à partir du savoir expérientiel, privilégier le récit d’expérience accompagné d’un regard réflexif, plutôt que le discours théorique : il s’agit de narrer et d’examiner « ce dont nous faisons l’expérience à un niveau basique, là où les hautes sphères de l’analyse et de la rhétorique ne parviennent pas9 ». Or cet entretien réalisé à distance en juin 1980 prend précisément pour titre « Across the Kitchen Table. A Sister-to-Sister Dialogue » : « Autour de la table de cuisine. Un dialogue de sœur à sœur ». Et l’on voit comment le dialogue scriptural, destiné à être publié, prolonge le dialogue sororal tenu « à la table de cuisine », et poursuit à distance l’échange familier et convivial avec des femmes de couleur venues d’autres origines et d’autres communautés, vivant dans d’autres villes, en l’occurrence les éditrices. Si ce « dialogue » revendique, dans le cadre de l’entretien et l’objet qui lui est propre, un matériau modeste mais vital, la matière même de l’expérience vécue par ces deux sœurs, s’il désigne comme sienne une méthode, le récit expérientiel et le retour réflexif sur l’expérience, ce matériau et cette méthode sont aussi, plus largement, ceux de la jeune maison d’édition dont l’idée et le nom sont en train d’émerger.

Il y a une urgence vitale à prendre la parole, à s’associer pour mettre en mots le matériau de la vie personnelle. La faim qui anime les autrices est aussi concrète que spirituelle, c’est « la faim de l’âme et de l’estomac » selon Cherríe Moraga, qui revendique le matérialisme du livre dans sa préface :

Le matérialisme de ce livre réside dans la chair des vies de ces femmes : dans l’épuisement que nous sentons dans nos os à la fin de la journée, dans le feu que nous sentons dans nos cœurs quand nous sommes insultées, dans le couteau que nous sentons dans notre dos quand nous sommes trahies, dans la nausée que nous sentons monter de nos ventres quand nous avons peur, dans la faim que nous sentons entre nos hanches quand nous aspirons à être touchées10.

« Kitchen Table est vraiment le sang de la vie pour moi à ce stade », affirme plus tard Barbara Smith dans son entretien avec Michelle Parkerson « Un Endroit à nous » (« Some Place of Our Own11 »). Et Gloria Anzaldúa écrit dans sa préface à la deuxième édition de This Bridge Called My Back :

Nous apprenons à dépendre de plus en plus de nos propres sources pour survivre, à ne pas laisser le poids de ce fardeau, le pont, nous briser le dos. N'avons-nous pas toujours porté des cruches d'eau, des enfants, et la pauvreté ? Pourquoi ne pas apprendre à porter des paniers remplis d'espoir, d'amour, d’alimentation produite par nous-mêmes et à marcher d'un pas léger12 ?

Le terme de « self-nourishment » qu’utilise ici Gloria Anzaldúa revient fréquemment dans l’anthologie, ainsi que d’autres dérivés de la même racine : « nurture », « nurturing », « nurturance ». Ces mots au spectre large désignent à la fois la nourriture et l’alimentation mais aussi, de façon plus figurée, le fait d’éduquer, élever, encourager, cultiver, favoriser, soigner. L’image des paniers associe nettement le soutien mutuel, l’encouragement, l’émancipation sociale, à une activité concrète, première, le transport de nourriture. Prendre à bras le corps le matériau de la vie concrète, le comprendre et l’analyser et ainsi apprendre à se connaître, s’encourager et s’entraider relève de la survie. Il s’agit d’examiner, au cœur des existences, « les vérités qui peuvent être partagées et, en même temps [de développer] une vision du futur que ces vérités peuvent contribuer à modeler car telle est la fonction de l’art, faire davantage de nous celleux que nous souhaitons être13 ».

En ce sens, This Bridge Called My Back reprend le slogan « Le personnel est politique » promu par les mouvements de libération des femmes dès les années 1960 et par le manifeste du collectif de Combahee River, Combahee River Collective Statement de 1977 qui entend « explorer la nature culturelle et expérientielle » de l’oppression vécue par les femmes noires14. Il prend un sens aigu pour des femmes qui vivent non le manque d’une pièce à soi, mais l’absence même de chez soi. Pour des raisons historiques, la déportation, l’esclavage, des siècles d’exploitation et de domination raciste et sexiste, l’existence même d’une maison, d’un « chez soi » ne va pas de soi, et le mot de « home », lourd de sens, désigne l’objet d’une quête, d’une construction, à laquelle l’écriture contribue. « Aint got no home » chantait Nina Simone. Comme l’écrit dans l’anthologie hattie gossett, « il faut que je m’asseye et écrive moi-même la préface à mon livre et vous dise que je suis venue au monde fille de nègres domestiques et que j’ai lutté pour rentrer chez moi depuis lors15 ». Constatant à quel point le doute parfois s’insinue face aux souffrances du Tiers-Monde, aux États-Unis et ailleurs, Cherríe Moraga affirme pourtant la volonté de ces femmes de continuer à écrire :

L’écrivaine politique est ainsi l’optimiste ultime, elle croit que les gens peuvent changer et que les mots sont un moyen d’essayer de franchir les espaces privés dans lesquels se déroulent nos vies. Des espaces privés qui nous maintiennent loin les uns et les unes des autres, et qui nous rendent politiquement inefficaces16.

Envers et contre tout, l’espace privé représenté par la synecdoque de la table de cuisine est bien ce lieu destiné, grâce à travail du récit, de l’observation, du poème, du dialogue et de l’essai réflexif, à devenir public par le biais de l’édition, franchissant le pont qui sépare les solitudes. Cherríe Moraga, dans son introduction à la section « Between the Lines. On Culture, Class and Homophobia », insiste sur ce point : l’échange verbal, oral et écrit, est aussi une façon de se constituer un chez soi qui est refusé à celles qui veulent s’émanciper en tant que femmes. Ensemble elles se constituent en famille. La cuisine et la table de cuisine deviennent le lieu d’aspirations, de rêves, qui n’ont pas d’existence ailleurs :

Ce qui ressort de ces pages, c’est le sentiment authentique de perte et de douleur que nous éprouvons lorsqu’un chez-nous nous est refusé à cause de notre désir de nous libérer en tant que femmes. Alors, nous nous tournons les unes vers les autres pour trouver la force et la subsistance. Nous nous écrivons des lettres en permanence. Autour d’une table de cuisine, la stratégie des féministes du tiers monde s’élabore. Nous parlons de longues heures dans la nuit17.

Autrement dit, ici comme dans l’entretien des éditrices avec Barbara et Beverly Smith, la table de cuisine n’est pas seulement le symbole ou la synecdoque de l’espace privé qui fournit la matière de l’œuvre, le point de départ de la prise de conscience puis de l’action politique. C’est aussi l’espace convivial, mi-réel mi- métaphorique (scriptural, éditorial) qui réunit les femmes et les sort de leur isolement, permettant de passer du privé au public et au politique. La convivialité de la table de cuisine fonctionne bien sur deux registres : c’est à la fois concrètement le lieu de réunion et de longues discussions de femmes entre elles, et le lieu livresque et éditorial où s’écrivent les lettres, poèmes, témoignages et essais qui vont unir des femmes séparées, isolées, dominées, et leur permettre de créer une famille, de créer dans un espace social hostile un chez soi, un foyer pour celles qui en sont privées.

La métaphore de la table de cuisine, aussi bien dans l’anthologie This Bridge Called My Back que dans la genèse de la maison d’édition Kitchen Table qui lui est contemporaine et réunit en partie les mêmes femmes, indique ainsi un matériau, l’expérience vécue, une méthode, le regard réflexif sur la matière de l’expérience plus que le discours théorique, une ambition, la création d’une famille d’activistes. Le nom de la maison annonce aussi un registre, presque une esthétique. Dans l’anthologie, un texte donne à percevoir l’ensemble de ces dimensions. C’est un texte d’une poète asiatique américaine, inédite en français, Barbara Noda, qui invente son propre genre, entre l’essai et le poème en prose, « Lowriding Through the Women’s Movement ».

« La cuisine de Sharon » : Barbara Noda et l’invention esthétique de « Lowriding Through the Women’s Movement »

Dans l’essai, ou le poème en prose de Barbara Noda, « Lowriding Through the Women’s Movement », la « cuisine de Sharon », dans la petite ville de Watsonville, non loin de l’Université de Californie à Santa Cruz, est le lieu de réunion, le temps d’un été, de cinq femmes de couleur : l’hôtesse Sharon, sa sœur, une lesbienne noire du voisinage, une doctorante chicana de l’université, et l’autrice.

Nous étions probablement l’un des premiers groupes de ce style au début des années 70 : un groupe de femmes du tiers-monde. Là, dans le calme du quartier résidentiel de Watsonville, nous discutions des « colonisé-e-s » et du « colonisateur ». Sharon distribuait le thé vert, des pâtisseries chinoises, et le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire. Alors que la soirée s’achevait, nous prenions d’assaut la rue principale, y traînions avec la foule, buvions des bières et hurlions à la face innocente du ciel vide qui nous opprimait.

Que la Race fût notre réponse ou notre question, c’est elle qui nous a réunies à peine quelques mois de nos vies en un temps où rien d’autre dans le monde que nous voyions autour de nous n’avait d’identité solide ni de sens. C’était une saison brumeuse, un été perdu, et nous avions désespérément besoin de nous tenir les unes aux autres et de chanter quelques chansons tout droit venues des enfers18.

Barbara Noda écrit dans une langue étonnante, foncièrement argotique et fondamentalement poétique. Virée féministe ? Traîner avec les féministes ? Faire un tour chez les féministes ? Le titre « Lowriding Through the Women’s Movement » est difficile à traduire. L’expression qu’elle choisit pour décrire la pratique collective d’un groupe informel de femmes désigne en général une activité particulièrement masculine et populaire. « Lowrider » est une voiture modifiée pour « rouler bas », lentement, de façon à voir et être vu, et « lowriding » la pratique de cette promenade en voiture, particulièrement développée dans la culture latino-américaine, au sud-ouest des États-Unis19. En adoptant l’expression dans son titre « Lowriding Through the Women’s Movement », Barbara Noda, qui est elle-même asiatique américaine, s’approprie un terme populaire chez les hommes latino-américains. À la fois en marge et en lien avec l’ensemble des classes populaires de couleur, la cuisine est à l’écart du « main drag » et de ses « lowriders », (« La cuisine de Sharon à Watsonville était le centre d’un type bien différent d’activité »), et néanmoins reliée à lui. Barbara Noda revendique la possibilité d’un féminisme de la base (Barbara Smith dirait « grass roots »), qui circule entre la cuisine privée et la rue principale, le « main drag », qui se mêle au tissu urbain (elle utilise la forme verbale « we dragged main ») et aux activités de la population non féministe ni lesbienne, partageant en partie ses distractions, probablement aussi sa désolation et la conscience d’oppressions conjointes. Et le féminisme de ces cinq femmes, loin des théories intellectuelles, s’enracine dans la vie pratique. Ce qui se joue dans la cuisine de Sharon est bien différent des « sommets éthérés » de la formation en « Histoire de la conscience » dispensée à l’Université de Californie à Santa Cruz. C’est pourquoi il lui faut une écriture sensible, argotique, réflexive, qui prend appui sur l’expérience quotidienne, de la même façon que la cuisine de Sharon est ce lieu où se partage une culture de l’émancipation, la lecture de Césaire, comme on partage le thé et les bières.

Rompre le silence les barrières et le pain

Le texte de Barbara Noda donne à voir comment se constitue autour d’une table de cuisine un groupe informel de féministes de couleur, et ses liens avec l’ensemble des classes populaires de couleur. Il indique aussi à quel point ce groupe ne va pas de soi, et ce qu’il a d’extraordinaire au milieu des années 70. Plusieurs des textes des contributrices mentionnent les difficultés à surmonter pour entrer en lien avec les autres femmes, le racisme qui sévit dans chaque communauté et les préjugés portés sur les autres communautés, qu’il faut apprendre à déconstruire. Rosario Morales, dans « L’autre héritage », examine les peurs racistes transmises et apprises : « Ma mère m’a appris mon instit m’a appris tout le monde m’a appris fais gaffe au sauvage noir qui sent écarte-toi de son chemin20 ». Son poème en prose, bilingue anglais et espagnol, dédié à « June Jordan et Teish et à toutes les autres femmes noires à l’atelier de poésie de San Francisco en janvier 1980 », fait se confronter deux temps de sa vie : dans le premier, marqué par la peur, le racisme et l’insécurité, elle s’efforce de « passer pour blanche », dissimulant son squelette indien, ses sonorités hispaniques, le poème accumulant les questions et les doutes, « ain’t I nice que hay de criticar will I do will I pass » (« suis-je pas comme il faut y a-t-il un problème vais-je faire l’affaire vais-je passer ») ; dans le second au contraire la convivialité partagée avec les sœurs noires, au sein d’un atelier d’écriture poétique, lui rend son authenticité :

en sécurité quand je vous vois vous toutes noires autour de la table derrière moi dans la grande salle et devant June Jordan cette façon de parler à tue-tête et ma façon d’accueillir ça en allant vers elle assise brune et dorée et quand elle et moi nous avons éclaté d’un grand rire hier soir je n’étais plus « trop » quoi que ce soit j’étais juste bien juste moi juste dorée et rose et pleine de percussions à l’intérieur battant la pulsation pour mes pieds ma langue mes yeux mes mains mes bras qui se balançaient et claquaient j’étais juste bien juste bien juste bien21

La fin du poème, qui retourne au bilinguisme, s’adresse à la fois à la poète noire June Jordan et aux sœurs hispaniques :

I was just right just right just right sepanlo niñas m’hijas trigueñas bellas sepalo June Jordan mujer feroz aqui me quedo y aqui estoy right ! » (« sachez-le les filles mes filles sachez-le belles brunes sache-le June Jordan femme forte ici je reste et ici je suis bien ! »)22

Le « right ! » final (« bien ! » mais aussi « tout juste ! » et « vous m’entendez ! ») résume le sentiment de bien-être ressenti par la poète rendue à elle-même grâce à la rencontre de ces femmes noires différentes d’elle-même comme des femmes blanches, la sensation de justesse éprouvée par sa présence au sein d’un groupe de poètes noires, et l’assurance de sa volonté d’y rester, affirmée ici avec force à la fois auprès des sœurs noires et hispaniques.

Cherríe Moraga le reconnaît : « ce n’est pas donné » de se percevoir comme des sœurs, entre femmes noires et chicanas. Évoquant sa visite à Barbara Smith en juillet 1980, elle raconte comment, après lui avoir préparé un lit en fin de journée, cette dernière l’a embrassée, saisie par les épaules, et affirmé avec fermeté « nous sommes sœurs » :

Je hoche la tête, me mets au lit et roule avec ce mot, sœurs, pendant deux heures avant de trouver le sommeil. J’ai gagné cela de Barbara. Ce n’est pas donné entre nous – chicanas et noires – de nous percevoir comme sœurs. Ce n’est pas donné. Je veux répéter encore et encore la douleur et le choc de la différence, la joie de ce qui nous est commun, l’exaltation de la rencontre malgré l’extraordinaire difficulté qui y fait obstacle23.

[…] la vérité c’est que je ne connaissais pas intimement les femmes noires (Barbara dit « il s’agit de savoir avec qui tu peux t’asseoir pour manger, avec qui tu peux pleurer, quel visage tu peux toucher »). J’avais « l’intuition de la couleur », le pressentiment de notre connexion potentielle, mais fondamentalement j’étais éloignée des vies de la plupart des femmes noires. L’ignorance. La douloureuse, douloureuse ignorance24.

Cherríe Moraga revient à plusieurs reprises sur cette « douloureuse ignorance » de la vie des autres au cours de sa préface. Elle estime qu’elle est produite par un système (« appelez-le racisme, domination de classe, hommes25 ») visant volontairement à séparer les femmes, les empêchant de reconnaître comme leur la douleur des autres, et elle réaffirme sa volonté tenace de construire le pont qui traversera les différences, s’appuyant sur la pensée et les mots d’Audre Lorde qu’elle cite largement.

Dans ses deux essais réunis dans l’anthologie, « Lettre ouverte à Mary Daly » et « Les outils du maître jamais ne détruiront la maison du maître », Audre Lorde pose des mots nets sur la difficulté à reconnaître la peur que provoque la différence :

J’incite instamment chacune d’entre nous à plonger profondément en soi-même pour atteindre cet endroit de connaissance profonde et toucher la terreur et le dégoût de toute différence qui y loge. Voyez quel visage ils portent26

Ce n’est qu’une fois reconnue que cette peur, produite d’après Lorde par le patriarcat, pourra être affrontée et transformée. Car le leitmotiv de ces essais dont on aimerait citer chaque phrase est de transformer « Diviser pour mieux régner » en « Expliquer pour mieux s’empuissanter ». Lorde réfléchit sur le rôle multiséculaire dévolu aux femmes : celui de nourrir et d’éduquer. Entendant le sortir de son usage patriarcal, elle affirme que le besoin et l’envie de s’entraider (littéralement de « se nourrir mutuellement », « nurture each other ») entre femmes, besoin ou envie craints par le patriarcat, est la source émancipatrice d’une puissance à redécouvrir. Elle invite Mary Daly, féministe blanche à qui elle exprime sa gratitude pour ses travaux, à reconnaître davantage ce qu’elle doit aux recherches des femmes noires, à refuser le jeu de la domination raciste propre au patriarcat, à entrer en contact avec « la fontaine de force et de puissance féminine non européenne qui nourrit chacune de nos visions » : « Mary, je te demande de te remémorer ce fond sombre, ancien et divin au fond de toi qui soutient ta parole. En tant qu’outsiders nous avons besoin les unes des autres, de ce soutien et de cette connexion entre nous27 ». Les mots « nurture » et « nurturance » reviennent comme des refrains au cours de ces quelques pages, désignant au sens propre l’acte de nourrir, mais aussi à la façon de synecdoques l’ensemble des liens qui unissent les femmes, l’entraide, le soin, l’encouragement... par exemple lorsqu’elle invite Mary Daly à se remémorer « les anciennes traditions de puissance, de force et d’encouragement mutuel [nurturance] qu’on trouve dans les liens entre femmes africaines28 ». Ses formules frappantes font mouche : « l’interdépendance entre femmes est la seule voie vers la liberté qui permet au “Je” d’“être”, non pour être utilisée, mais afin d’être créative. C’est toute la différence entre “exister passivement” et “être agissante” de façon active ». « Sans communauté, il n’y a pas de libération, à peine la plus vulnérable et la plus temporaire des armistices entre une individue et l’oppression qu’elle subit ». « Seule cette interdépendance des forces différentes, reconnues et égales, peut générer le pouvoir de chercher de nouvelles façons d’être activement au monde, de même que le courage et la subsistance nécessaires pour agir là où il n’existe aucune charte29 ». Oui, le patriarcat nous a appris à avoir peur de nos différences, et oui les reconnaître et tisser des liens entre ces différences est la seule voie possible vers l’émancipation et la liberté.

Dans son avant-propos, Toni Cade Bambara recourt volontairement à plusieurs langues pour décrire la diversité des femmes qui contribuent à l’anthologie. Choisir le multilinguisme, c’est sans doute une façon de faire face à ce que Barbara Smith appelle « les idiosyncrasies humaines30 ». Je donne ici le texte original pour en goûter la saveur, avant d’en proposer une tentative de traduction partielle dans l’analyse qui suit :

Blackfoot amiga Nisei hermana Down Home Up Souf Sistuh sister El Barrio suburbia Korean The Bronx Lakota Menominee Cubana Chinese Puertoriquena reservation Chicana campañera and letters testimonials poems interviews essays journal entries sharing Sisters of the yam Sisters of the rice Sisters of the corn Sisters of the plantain putting in telecalls to each other. And we're all on the line.

Now that we've begun to break the silence and begun to break through the diabolically erected barriers and can hear each other and see each other, we can sit down with trust and break bread together. Rise up and break our chains as well31

L’espagnol « amiga » (« amie »), « hermana » (« sœur »), le japonais « Nisei » (enfant de deuxième génération d’émigrés), la transcription de la prononciation africaine américaine « Souf Sistuh » (sœur du Sud), les termes désignant les peuples amérindiens « Menominee », « Blackfoot », « Lakota » entrecroisés ici forment en soi un manifeste, donnant à entendre le bruit des langues et des origines. D’autant que ces termes se mêlent dans des associations métissées (« Blackfoot amiga », « Nisei hermana » ou « Lakota Menominee Cubana Chinese Puertoriquena reservation »). Ce métissage dans le texte donne à voir celui du livre, « lettres témoignages poèmes entretiens essais entrées de journal rassemblant les Sœurs du yam les Sœurs du riz les Sœurs du maïs les Sœurs du plantain toutes en téléconférence. Et nous sommes toutes en ligne. » Il souligne à quel point ce partage est une victoire qui défait « les barrières diaboliquement érigées » entre ces femmes pour les diviser et les dominer :

Maintenant que nous avons commencé à rompre le silence et commencé à briser les barrières diaboliquement érigées et que nous pouvons nous entendre et nous voir, nous pouvons nous asseoir avec confiance et rompre le pain ensemble. Nous lever et briser nos chaînes aussi.

Le processus même de fabrique du livre, les appels téléphoniques, les entretiens écrits, les multiples lettres des unes aux autres, demandes de contribution, réponses etc. est explicitement comparé à un repas partagé. Les femmes de différentes origines sont aussi désignées selon la nourriture qu’elles produisent, préparent et consomment au sein de leurs différentes communautés et le livre est bel et bien un « copinage », l’acte de rompre le pain ensemble pour nourrir la confiance et transformer les étrangères en sœurs, quelles que soient les langues et les origines de chacune. Le projet éditorial est donc d’abord et avant tout un projet de convivialité, de nourriture préparée, partagée et consommée ensemble, indispensable à l’émancipation collective et individuelle. Et aux images incarnées de Toni Cade Bambara fait écho le discours réflexif de Cherríe Moraga décrivant les intentions du livre dans la préface de This Bridge Called My Back :

Nous formons une famille qui s’est d’abord connue en rêve, qui s’est rencontrée dans ces pages pour faire de la foi une réalité et pour que nous puissions toutes contribuer de tout notre être à cette réalité32.

La révolution commence à la maison : retour vers la table familiale

Cette « famille » des femmes de couleur tisse aussi des liens avec les hommes de leurs différentes communautés et avec les femmes blanches, camarades féministes. La question du séparatisme est discutée au long des contributions, préfaces, entretiens, poèmes, essais qui composent le livre. Il ne s’agit en aucun cas de taire le racisme expérimenté au sein du mouvement des femmes, de minimiser le « tokénisme33 » à l’œuvre dans des associations dominées par des femmes blanches où le rôle réservé aux femmes de couleur est souvent réduit à celui de caution et d’alibi. Les positions ne sont pas toutes alignées et certaines des autrices comme doris davenport dans « La pathologie raciste : une conversation avec les femmes du tiers monde », se demandent si ce n’est pas une perte de temps que de continuer à essayer de tisser en vain des liens avec des femmes qui méprisent ou simplement ignorent leur travail. Le sexisme, les violences conjugales et l’homophobie des communautés de couleur ne sont pas non plus passées sous silence. Mais de façon répétée, c’est le double refus du séparatisme, à la fois vis-à-vis des féministes blanches et des hommes de couleur, qui est affirmé. Comme l’écrivent Barbara et Beverly Smith, « La solution au tokénisme n’est pas le séparatisme » car aucun groupe dominé ne peut renverser le système à soi seul34. Et les deux sœurs disent aussi leur sollicitude pour les hommes noirs de Boston victimes de violences.

En fait, le séparatisme est selon les deux sœurs une pure théorie politique. Or ces femmes construisent une pensée, une littérature et une action politique fondées sur l’expérience de la réalité pratique. Concrètement, quelles femmes à part une poignée de privilégiées peuvent s’offrir le luxe de vivre entre elles, de façon complètement autonome ? Comme le dit ailleurs Barbara Smith, interrogée sur le public de Kitchen Table : Women of Color Press dans son entretien avec Michelle Parkerson pour Off Our Backs : « Je pense qu’on peut dire que notre public premier est composé de personnes de couleur. Et remarquez que je n’ai pas dit femmes de couleur, parce que nous voulons vraiment secouer l’ensemble des communautés dans lesquelles nous vivons35. » Dans son introduction à la section « Et quand tu pars, prends tes photos avec toi. Le racisme dans le mouvement des femmes », Cherríe Moraga cite Barbara Smith :

Le féminisme c’est la théorie et la pratique politique qui vise à libérer toutes les femmes : les femmes de couleur, les femmes des classes populaires, les femmes pauvres, les femmes en situation de handicap, les lesbiennes, les femmes âgées, aussi bien que les femmes hétérosexuelles économiquement privilégiées et blanches. En-deçà, il ne s’agit pas de féminisme, mais d’un simple geste d’auto-glorification féminine36. 

Définissant leurs intentions dans le texte commun à l’orée de This Bridge Called My Back, les deux éditrices Cherríe Moraga et Gloria Anzaldúa affirment qu’elles souhaitent voir le livre comme un outil révolutionnaire dans les mains des personnes de couleur, comme un éclaireur de conscience pour les femmes blanches, comme un outil d’éducation et d’agitation pour leurs sœurs de couleur. Elles souhaitent voir le livre diffusé dans l’ensemble du pays et à travers le monde.

« Finally tenemos la esperanza que This Bridge Called My Back will find its way back into our families’ lives. The revolution begins at home. »
(« Enfin nous espérons que Ce pont qu’on appelle mon dos trouvera son chemin vers nos familles. La révolution commence à la maison37. »)

Ce retour vers la maison, plusieurs textes y travaillent. L’écriture est alors envisagée comme un prolongement des discussions à la table familiale, lettre adressée à celleux qu’on aime, pour continuer de se parler, depuis un espace de réflexion apaisé par la distance. C’est le cas de la passionnante « Lettre à Ma » de la poète Merle Woo, fille américaine (née à San Francisco) d’une mère coréenne et d’un père chinois, tous deux immigrés de première génération. Sa « Lettre à Ma » tente de décrypter pourquoi les conversations entre mère et fille, lors du thé à la petite table ronde et blanche de Ma, ont toujours été vains dialogues de sourdes. Merle Woo revient sur des anecdotes familiales douloureuses de son enfance, comme l’humiliation de son père par des policiers blancs, dont elle a été témoin. Elle analyse le fossé qui sépare la mère et la fille, s’efforçant de comprendre leurs différences de réaction face à l’expérience combinée du racisme et du sexisme : la soumission à l’ordre social et racial, le mépris de soi, le silence, et l’isolement chez la mère, la colère, la frustration et l’activisme au sein d’une communauté féministe asiatique américaine chez la fille. Puis elle prend le temps d’exprimer sa gratitude à sa mère pour son courage, sa persévérance, sa faculté de survivre. Elle valorise les dons offerts par la mère à sa fille, en termes de confort matériel, de soutien affectif et d’éducation. Au-delà de l’incompréhension et de la volonté de censurer sa fille dont fait preuve la mère, l’expression de la gratitude lui permet de comprendre que tous ces dons sont précisément le socle qui lui permet aujourd’hui d’adopter une réaction différente de celle de sa mère, de conquérir une estime de soi, de revendiquer une culture et un héritage dévalorisés ou invisibilisés dans l’Amérique blanche et patriarcale. La lettre est le pont qui vient franchir le fossé entre les deux femmes, entre la première et la seconde génération d’immigrées. Elle répare les silences, les formes de censure et de colère et renoue à distance avec les conversations à la table familiale.

Alors que la lettre commençait sur la dépression de l’autrice, elle se clôt, après ce temps de récit autobiographique et familial, de regard réflexif sur le matériau expérientiel et de gratitude, sur l’espoir de voir émerger une communauté nouvelle, liée par l’amour et la volonté commune de libération intellectuelle, spirituelle, et affective. Les derniers paragraphes construisent un destinataire multiple : 

Je sens que je commence à inscrire nos vies dans un cadre plus large. Ma, un cadre plus large ! Les contours pour nous en sont le temps et le sang, mais aujourd’hui il y a une ampleur rendue possible par la connexion avec les autres personnes impliquées dans un combat collectif. En nous aimant pour ce que nous sommes – femmes de couleur américaines – nous pouvons envisager un futur où nous serons libres de réaliser notre potentiel humain. Ce nouveau cadre ne soutiendra pas la répression, la haine, l’exploitation et l’isolement, mais sera un cadre humain magnifique, créé collectivement, dans une communauté liée non par la couleur, le sexe ou la classe, mais par l’amour et la volonté commune de libération intellectuelle, affective et spirituelle.
Ma, aujourd’hui, tu es aussi belle à mes yeux et aussi pure que sur la photo de toi, enfant, que j’ai mise sous mon miroir.

L’autrice s’y adresse à sa mère, évoque les relations entre mère et fille, dessinées par le sang qui relie et le temps qui sépare deux générations de femmes. Mais le « nous » s’élargit dans les phrases suivantes à l’ensemble des femmes de couleur, et peut-être même à un collectif illimité, incluant toutes les personnes luttant pour leur émancipation. Elle invite ainsi la mère, sur la base de ce « nous » évolutif à rejoindre ce collectif, avant de se clore sur un témoignage et une déclaration d’amour de la fille à la mère. Dans le mouvement de cette fin de texte, qui mime celui de l’ensemble de la lettre, l’aller-retour entre l’expérience familiale, privée, l’analyse des faits sociaux, de l’exploitation, du racisme et du sexisme, et la description de l’activisme, on perçoit comment l’autrice tisse sans cesse des liens entre le personnel et le politique, élargit l’espace de la table familiale à l’espace public, dans un mouvement qui incarne exactement les intentions de la jeune Kitchen Table : Women of Color Press émergeante.

L’espérance portée par un tel projet éditorial est sensible dans les accents utopiques de Merle Woo, comme dans d’autres textes de l’anthologie, aspirant à la révolution politique et sociale, évoquant un avenir d’amour, de solidarité et de liberté. Elle exige authenticité à soi autant qu’ouverture à l’autre. Elle suppose surtout le difficile travail de discernement des héritages qu’on veut revendiquer ou non. La revendication est d’autant plus nécessaire que l’héritage de communautés dominées a souvent été effacé par l’histoire officielle, volé et détourné par les classes dominantes. Ainsi la poète menominee Chrystos évoque-t-elle les enfants arrachés à leur culture familiale, « matraqués dans les écoles d’État », ses « croyances sacrées transformées en crayons, en noms de villes, en stations essence38 ». Mais les filles ne sauraient pour autant reprendre l’ensemble de l’héritage culturel de leurs communautés. Il leur faut, comme l’écrit Cherríe Moraga, « séparer les fibres de l’expérience » éprouvée en tant que filles de peuples en lutte : il s’agit de discerner, dans l’héritage reçu des mères, ce que les autrices veulent « revendiquer et porter » et ce qui n’a servi qu’à « masquer » aux yeux des jeunes filles la connaissance qu’elles pouvaient avoir d’elles-mêmes39.

Conclusion

La table de cuisine qui se trouve en de multiples pages de l’anthologie This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color et donne son nom en 1981 à la jeune maison d’édition Kitchen Table donne à voir la convergence de pensée de leurs animatrices, les autrices latino-américaines Cherríe Moraga et Gloria Anzaldúa, les autrices noires Barbara Smith et Audre Lorde, et des femmes qu’elles réunissent. Elle témoigne d’abord de la conscience que « le personnel est politique ». C’est la réflexion sur la vie même, sur les expériences familiales et privées qui fonde la matière littéraire et les bases de l’action politique. Il s’agit de sentir, dire, comprendre ce qui est vécu au sein même des familles, et dans les interactions de ces familles avec les structures sociales, afin de le transformer en action.

La métaphore de la table de cuisine est aussi l’image et le nom d’un constat : les femmes qui écrivent dans ces pages, si elles n’ont pas toujours de chez soi, ont encore moins un lieu de réunion à elles, un espace de travail, les ressources financières et institutionnelles pour leur travail littéraire, intellectuel et politique. Elles sont les « outsiders ». Mais elles décident de transformer cette pauvreté de moyens en une revendication éditoriale : Kitchen Table, la table de cuisine, sera la maison d’édition des femmes de couleur, de celles qui s’appellent elles-mêmes à l’époque les féministes du tiers monde. L’encouragement, la nourriture, l’afflux de vie qu’elles trouvent dans le travail d’écriture et d’édition collective leur donnent la force de réunir les ressources financières, de jongler avec les « quelques pennies » dans leurs tirelires, « petit poulet » ou « cochonnet », de faire en sorte que leurs publications soient présentes aux conférences, foires aux livres, concerts, lectures, ateliers, concerts organisés par des femmes de couleur et ailleurs. Cette modestie de moyens et cette pratique expérientielle sont aussi à l’origine d’une esthétique : l’invention d’une écriture qui joue avec les rythmes de plusieurs langues, fait se rejoindre poésie et argot, récit, témoignage et réflexivité.

The Kitchen Table dit donc aussi cela : cette façon de concevoir l’écriture comme une nourriture partagée, une forme de « nurturance » disent les autrices, soin, éducation, nourriture, encouragement mutuel. Le travail d’écriture et d’édition apparaît comme une forme de conversation littéraire et de lien à distance qui supplée à l’absence ou à l’éloignement géographique des sœurs et camarades. L’adresse sous forme de lettre, à plusieurs reprises dans l’anthologie, en témoigne : ces lettres, essais et poèmes adressés sont aussi une façon de se constituer en famille, d’inventer un chez soi pour celles qui en sont privées. L’écriture et l’édition poursuivent ou créent l’occasion de repas partagés entre femmes, permettent ce qu’enseigne la convivialité : l’éducation collective aux enjeux politiques à la table de l’une ou l’autre, mais aussi l’effacement progressif de la peur de l’autre, cette autre qui quoique différente se trouve être elle aussi outsider, portant autre couleur, autres usages sociaux. L’apprentissage des différences, et la force qu’on tire de leur compréhension sont la condition de la survie de toutes.

Penser l’écriture et l’édition comme une table de cuisine est enfin une façon de nouer un lien apaisé avec d’autres femmes, mères ou féministes blanches par exemple, avec qui il s’agit de démêler les subtilités d’un lien complexe ou les contradictions d’un héritage qu’on veut en partie revendiquer, en partie abjurer : comprendre pour pouvoir mieux se relier et s’empuissanter.

Notes de bas de page numériques

1 Audre Lorde, « Story Books on a Kitchen Table », Coal (1976), in The Collected Poems of Audre Lorde, Norton & Company, 2000. Traduction française inédite du collectif Cételle, laboratoire CTEL, Université Côte d’Azur. À l’exception du poème « Story Books on a Kitchen Table », j’assume la responsabilité des autres traductions de cet article. La plupart du temps, j’ai pris le parti de ne pas citer le texte original afin de ne pas alourdir la lecture d’un article déjà long. J’ai exceptionnellement donné le texte original lorsqu’il s’agissait de poèmes ou d’essais qui jouaient avec le plurilinguisme, ou lors de certaines formules frappantes auxquelles ma traduction ne me semblait pas rendre justice. En ce qui concerne les autres citations, il est possible de se reporter au texte original grâce aux références de pages. This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color est consultable sous format pdf dans les différentes éditions. On le trouve par exemple dans l’édition de 1981 par Persephone Press sur https://archive.org/details/in.ernet.dli.2015.182997/page/n1/mode/2up. On peut également le consulter dans la version de 1983 (celle de Kitchen Table) rééditée par Third Woman Press en 2000, par exemple sur le site monoskop.org à l’adresse : https://monoskop.org/images/f/f5/Moraga_Cherrie_Anzaldua_Gloria_eds_This_Bridge_Called_My_Back_Writings_by_Radical_Women_of_Color_3rd_ed_2002.pdf. Ici je me réfère à l’édition de 1983 : This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color, Latham, New York, Kitchen Table, Women of Color Press, 1983.

2 « Some Place that’s Our Own: An Interview with Barbara Smith » (entretien avec Michelle Parkerson), Off Our Backs. A Women’s Newsjournal, April 1984, vol. 14, n°4, p. 26. L’entretien est consultable sur la plateforme jstor à l’adresse https://www.jstor.org/stable/25794356.

3 Barbara Smith, « A Press of Our Own. Kitchen Table : Women of Color Press », Frontiers: A Journal of Women Studies, 1989, Vol.10, N°3 Women and Words (1989), p. 11. L’article est consultable sur la plateforme jstor à l’adresse : https://www.jstor.org/stable/i366798 .

4 Barbara Smith, « A Press of Our Own. Kitchen Table: Women of Color Press », op. cit., p. 11.

5 Barbara Smith, « A Press of Our Own. Kitchen Table: Women of Color Press », op. cit., p. 11.

6 Joseph Beam, « An Interview with Audre Lorde. 1984 », in Joan Wylie Hall (ed.), Conversations with Audre Lorde, Jacksons, University Press of Mississippi, 2004, p. 130.

7 Voir Barbara Smith, « Some Place that’s Our Own: An Interview with Barbara Smith », op. cit., p. 12.

8 Audre Lorde, « The Master’s Tools Will Never Dismantle The Master’s House », This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color, Kitchen Table, Women of Color Press, 1983, p. 99 et 100.

9 Barbara Smith and Beverly Smith, « Across the Kitchen Table. A Sister-to-Sister Dialogue », This Bridge, op. cit., p. 113.

10 Cherrie Moraga, « Preface », This Bridge…, p. xviii.

11 Barbara Smith, « Some Place of Our Own », op. cit., p. 26.

12 Gloria Anzaldúa, « Foreword to the Second Edition », This Bridge…, p. iv.

13 Propos d’Audre Lorde transcrits par Joseph Beam, « An Interview with Audre Lorde, 1984 », in Joan Wylie Hall (éd.), Conversations with Audre Lorde, University Press of Mississippi, 2004, p. 131. La poète répond ici à la demande de conseil aux hommes gays noirs que lui adresse Joseph Beam.

14 Combahee River Collective Statement, consulté sur le site de la maison d’édition anglo-américaine Verso : https://www.versobooks.com/blogs/2866-the-combahee-river-collective-statement. Le slogan est aussi repris en titre d’une session de la Second Sex Conference du 29 octobre 1979, à laquelle Lorde participe avec sa conférence « Master’s Tools Will Never Dismantle Master’s House » (« Les outils du maître jamais ne détruiront la maison du maître »).

15 hattie gossett, « who told you anybody wants to hear from you? you aint nothing but a black woman! », This Bridge…, p. 176.

16 Cherríe Moraga, « Refugees of a World on Fire », préface à la seconde édition de This Bridge.., pages non numérotées.

17 This Bridge…, p. 106. Les préfaces qui ouvrent chacune des sections de l’anthologie ne sont pas signées. D’après Jan Clausen, il s’agit bien de Cherríe Moraga. Voir Jan Clausen, « Un mouvement de poétesses : pensées sur la poésie et le féminisme » [« A Movement of Poets », The New York Times / Feminist Review, puis paru en livre en 1982], traduit de l’anglais par Oliv Zuretti dans Je transporte des explosifs on les appelle des mots. Poésie & féminismes aux États-Unis, éditions Cambourakis, 2019, p. 68.

18 Barbara Noda, « Lowriding Through the Women’s Movement », This Bridge…, p. 138.

19 Je remercie vivement Michael, le grand-père de mes petits voisins américains, ex-soixante-huitard et homme de cultures multiples, et Ellen et Jeff, membres du collectif Cételle, pour leur aide à déchiffrer des références culturelles qui m’auraient échappé sans elleux.

20 Rosario Morales, « The Other Heritage », This Bridge…, p. 107.

21 Rosario Morales, « The Other Heritage », This Bridge…, p. 108.

22 Rosario Morales, « The Other Heritage », This Bridge…, p. 108.

23 Cherríe Moraga, « Preface », This Bridge…, p. xiv.

24 Cherríe Moraga, « Preface », p. xvii.

25 Cherríe Moraga, p. xvi.

26 Audre Lorde, « Les outils du maître jamais ne détruiront la maison du maître », This Bridge…, p. 101.

27 Audre Lorde, « An Open Letter to Mary Daly », This Bridge…, p. 95-96.

28 Audre Lorde, « An Open Letter to Mary Daly », This Bridge…, p. 96.

29 Ces formules sonnent mieux dans l’original, la première notamment : « Interdependency between women is the only way to the freedom which allows the ‘I’ to ‘be’, not in order to be used, but in order to be creative. This is a difference between the passive ‘be’ and the active ‘being’. » Audre Lorde, « The Master’s Tools Will Never Dismantle the Master’s House », p. 99.

30 « dealing with human idiosyncrasies », Barbara Smith, « Some Place That’s Our Own », op. cit., p. 11.

31 Toni Cade Bambara, « Foreword », This Bridge, p. vi.

32 Cherríe Moraga, « Preface », This Bridge…, p. XIX.

33 Le terme de « tokénisme », récent en français, est en train de s’imposer dans les traductions françaises de textes en prose des féministes de couleur de la fin des années 60 et des années 70. Ainsi la traductrice Oliv Zuretti, dans Je transporte des explosifs on les appelle des mots (Cambourakis, 2019) en adoptant « tokénisme », cite Sam Boursier : « De l’anglais token : jeton. Faire jouer le rôle d’alibi à une personne minoritaire pour se dédouaner en matière de luttes contre les inégalités raciales, sexuelles, de genre etc. L’expression date de l’époque de la bataille pour les droits civiques aux États-Unis dans les années 60 où les quelques Noirs promus à des postes de responsabilité, comme maires par exemple, faisaient l’objet de ce type d’instrumentalisation homéopathique. Toujours d’actualité. » (Sam Boursier, Homo Inc.oporated. Le triangle et la licorne qui pète, Cambourakis, 2017, p.38, note 3, cité par Oliv Zuretti, Je transporte…, p. 31-32. Choisir « tokénisme » ici, plutôt que caution ou alibi, est une façon de contribuer à diffuser un concept politique précieux. En effet, le terme donne à voir un phénomène social qui, innomé, resterait invisible.

34 Barbara et Beverly Smith, « Across a Kitchen Table. A Sister-to-Sister Dialogue », This Bridge…, p. 126.

35 Barbara Smith, « Some Place of Our Own », Off Our Backs, op. cit., p. 10.

36 Barbara Smith, dans une conférence de mai 1979 à la session finale du congrès de la National Women’s Studies Association, ensuite publiée dans Frontiers, vol.V, n°1, 1980 et cité par Cherríe Moraga, This Bridge…, p. 61.

37 Cherríe Moraga et Gloria Anzaldúa, « Introduction » This Bridge…, p. xxvi.

38 Chrystos, « I Walk in the History of My People », This Bridge…, p. 57.

39 Cherríe Moraga, introduction à la section « Entering the Lives of Others. Theory in the Flesh », p. 23.

Bibliographie

Clausen Jan, « Un mouvement de poétesses : pensées sur la poésie et le féminisme » [« A Movement of Poets », The New York Times / Feminist Review, puis paru en livre en 1982], traduit de l’anglais par Oliv Zuretti dans Je transporte des explosifs on les appelle des mots. Poésie & féminismes aux États-Unis, éditions Cambourakis, 2019.

Combahee River Collective Statement [1977], consulté sur le site de la maison d’édition anglo-américaine Verso : https://www.versobooks.com/blogs/2866-the-combahee-river-collective-statement, consulté le 30 juin 2022.

Lorde Audre, Coal [1976], in The Collected Poems of Audre Lorde, New York, London, Norton & Company, 2000.

Lorde Audre et Beam Joseph, « An Interview with Audre Lorde. 1984 », in Joan Wylie Hall (ed.), Conversations with Audre Lorde, Jacksons, University Press of Mississippi, 2004, p. 128-131.

Moraga Cherríe et Anzaldúa Gloria (éd.), This Bridge Called My Back. Writings by Radical Women of Color, Latham, NY: Kitchen Table, Women of Color Press, 1983.

Smith Barbara et Parkerson Michelle, « Some Place that’s Our Own: An Interview with Barbara Smith », Off Our Backs. A Women’s Newsjournal, April 1984, vol. 14, N° 4, p. 11-12 et 26.

Smith Barbara, « A Press of Our Own. Kitchen Table: Women of Color Press », Frontiers: A Journal of Women Studies, 1989, vol. 10, N° 3 Women and Words, p.  11-13.

Pour citer cet article

Sandrine Montin, « Autour d’une table de cuisine : la genèse du projet éditorial de Kitchen Table Women of Color Press et l’anthologie This Bridge Called My Back », paru dans Loxias, 77., mis en ligne le 16 juin 2022, URL : http://revel.unice.fr/loxias/index.html/index.html?id=10043.

Auteurs

Sandrine Montin

Sandrine Montin est maîtresse de conférences en littérature générale et comparée à l’Université Côte d’Azur, laboratoire CTEL. Après une thèse intitulée Rentrer dans le monde : parcours d’une inquiétude idéologique chez les poètes Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, T.S. Eliot, Federico Garcia Lorca et Hart Crane, elle a travaillé sur les liens entre poésie et cinéma muet, dirigé un numéro de la revue Loxias intitulé Charlot, ce poète (2015), et co-dirigé un volume collectif, Cinéma opérateur poétique (2020). Elle consacre ses travaux actuels à la pédagogie de la création et à la traduction, au sein du collectif de traducteurices Cételle : le collectif a traduit la pièce d’Annie Baker, Les Antipodes, le recueil Charbon (Coal) d’Audre Lorde pour L’Arche, et est en train de traduire l’anthologie Contrechant (Undersong) de la même poète pour Les Prouesses.

Université Côte d'Azur, CTEL