Cycnos | Volume 17 n°2 Herman Melville : Espaces d'écriture -
Michel Imbert :
Sur le papier : “The Paradise of Bachelors and The Tartarus of Maids”
Abstract
The two-stranded story unfolds the manifold implications of producing sheets of paper. Even as the bodies of working women at the paper-mill are erased in the process, they seem to be raised to the stature of a Christ-like icon. Though the gullible narrator who has embarked on a latter-day errand into the wilderness is only too willing to subscribe to the shimmering apparition that looms up “on paper”;, his twice-told tale undercuts correspondences between filth and faith underwritten by Puritan typology and foregrounds the blankness of bible-leaves at cross-purposes with Scriptures.
Plan
- Paradis indivis
- Contre-épreuve : “How the Other Half Lives”
- Le spectre du christianisme
- L’imitation du Christ à l’ère de la reproductibilité technique
- Copies doubles et partitions sur fond blanc
Texte intégral
Le chapitre 95 de Moby-Dick, intitulé “The Cassock”, relate les préparatifs en vue du dépeçage de la baleine et, notamment, la confection de la tenue du marin chargé de découper la graisse (“blubber”) en fines lamelles de l’épaisseur du papier bible. Sitôt le sexe du cachalot tranché, il suffit d’en détacher le prépuce, de le retourner comme un gant, de le perforer de deux orifices à l’emplacement des bras, pour en faire une espèce de soutane (“cassock”). Une fois paré de cette défroque, le marin est en mesure d’ officier : “The mincer now stands in the full canonicals of his calling” (vol. 2, 1242)1. La messe peut alors être célébrée :
That office consists in mincing the horse-pieces of blubber for the pots ; an operation which is conducted at a curious wooden horse, planted endwise against the bulwarks, and with a capacious tub beneath it, into which the minced pieces drop, fast as the sheets from a rapt orator’s desk. Arrayed in decent black ; occupying a conspicuous pulpit ; intent on bible leaves ; what a candidate for an archbishoprick, what a lad for a Pope were this mincer. (1243)
La liturgie ainsi travestie avait des relents d’hérésie et l’on sait que le chapitre, en raison notamment du jeu de mots peu canonique sur “archbishoprick”, fut retranché de l’édition anglaise par les censeurs victoriens. Cette mascarade de messe a cependant sa logique propre qui n’est pas sans évoquer, fût-ce sur le mode parodique, le credo transcendantaliste. En entamant le corps volumineux de la baleine pour en extraire des feuillets de graisse et du spermaceti, en sublimant la matière brute en sa quintessence séminale, c’est la réforme du Liber Mundi et sa retranscription en Verbe divin qui s’ébauche, en vue d’une révélation à livre ouvert de la Parole vive. La volte des baleines qui se retournent dans l’eau évoque un parchemin qui s’enroule sur lui-même et, de façon drolatique, Ismaël assimile les cétacés à des ouvrages qu’il tente de classer en fonction du format : “What then remains? nothing but to take hold of the whales bodily, in their entire liberal volume and boldly sort them that way” (940). La refonte du corps expressif de la baleine est censée livrer le Logos Spermatikos qu’elle recèle et les lambeaux de chair balbutiante (blubber) sont la promesse du jaillissement du Verbe, tel un flot de semence. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le rite du débitage de la graisse en “bible leaves” prélude à une péroraison inspirée (“the minced pieces drop, fast as the sheets from a rapt orator’s desk”). De même, dans “Nature” d’Emerson, la nature dépositaire du logos divin a pour vocation d’être élucidée et rendue éloquente. La quête du poète dans l’univers bruissant de hiéroglyphes à déchiffrer reste étalonnée in fine sur l’oraison jaculatoire : “Hence the necessity of speech and song ; hence these throbs and heart-beatings in the orator, at the door of the assembly, to the end, namely, that thought may be ejaculated as Logos, or Word” (466)2. L’expérience de la transparence émersonienne est une épiphanie qui implique la métamorphose de Mère nature en une manifestation du Dieu immanent qu’elle enveloppe, même si les noces mystiques qui s’accomplissent ainsi ont pour contrepartie le sacrifice concomitant de l’incarnation maternelle, comme l’a montré Eric Cheyfitz. Lors de cette fusion trans-parentale, la nature, porteuse de la puissance germinative du Verbe, s’efface providentiellement pour proférer Dieu le Père3.
La nostalgie d’une extase matérielle et d’une hiérogamie de ce type sous-tend une nouvelle de Melville de 1855 qui semble dépeindre au contraire la division insurmontable des sexes dans un monde déchu. Tout paraît opposer l’univers des célibataires d’âge mûr d’un club londonien et celui des jeunes femmes d’un moulin à papier de Nouvelle Angleterre dans “The Paradise of Bachelors and The Tartarus of Maids”. Revenu du paradis artificiel outre-Atlantique, le narrateur relate sa descente dans l’enfer industriel dans un coin perdu du Nouveau Monde. Il est le témoin désenchanté du processus de fabrication du papier à partir de vieux vêtements peut-être légués par les bourgeois londoniens. Le papier semble porter l’empreinte des corps souffrants des petites ouvrières aliénées à l’appareil de production. Pourtant, les traits des jeunes filles qu’il croit discerner dans la matière inerte évoquent pour lui le visage du Christ supplicié. Pour peu que le papier conserve malgré tout une physionomie humaine à l’image de Dieu, le processus de transfiguration messianique est à nouveau enclenché et un semblant d’épousailles entre le Christ et la condition humaine s’esquisse.
A-t‑on affaire à un authentique miracle parmi les misérables de l’Amérique ou à une simple vue de l’esprit projetée sur la page blanche ? Que subsiste-t-il de l’héritage chrétien dans les temps modernes, tant à Londres, parmi les vestiges de l’Ordre des Templiers qui perdure “sur le papier“ (“How can there be any survival of that famous order?”, 317) que dans l’arrière-pays puritain où l’usine est la version sécularisée des couvents du Vieux Continent ? Le périple transatlantique a des allures de pèlerinage et reste informé par les paraboles des vierges et du bon grain. Or, le narrateur qui voudrait croire malgré tout en une unité divine du genre humain, sème le doute à son insu. Son récit insinue conjointement l’éclipse du Dieu à visage anthropomorphique et l’extinction de l’espèce humaine. La forme bipartite de cette nouvelle est peut-être révélatrice d’un balancement constant entre la foi et l’incrédulité. De façon plus générale, les polarités apparemment simples sur lesquelles elle repose, l’opposition quasi manichéenne du paradis et de l’enfer et du masculin et du féminin, se trouvent compliquées par la diffraction et l’entrecroisement de chacun des termes qui brouillent les partages tranchés, à commencer par la différence des sexes qui sert de paradigme à toutes les différenciations. La forme même de ce récit double, d’un genre indéfinissable, est peut-être la matrice de sectionnements sans fin.
Dans le premier pan du récit, le narrateur nous convie à un pèlerinage touristique dans le Saint des Saints des derniers templiers en titre. Ce sanctuaire où l’étranger peut trouver refuge (“delectable pure faith amidst a thousand perfidies”, 316) n’a d’un cloître que l’apparence, car la religion n’a plus sa place dans la Cité, dans les parages de Fleet Street4. Par le biais d’une apostrophe oratoire, il feint de s’interroger sur la survivance des templiers dans le contexte actuel : “Do we understand you to insinuate that those famous Templars still survive in modern London?” (317). Il souligne le hiatus entre la tradition médiévale et la modernité et démythifie les détenteurs actuels du titre, en mettant en parallèle leurs agapes sur le mode héroïcomique et les prouesses des valeureux guerriers : “Like Anacreon, do these degenerate Templars now think it sweeter far to fall in banquet than in war ?” (317). Il met en relief l’anachronisme de l’appellation, insolite dans le contexte victorien et particulièrement usurpée puisqu’elle s’applique à de voluptueux sybarites qui se détournent des croyances religieuses qu’ils tiennent pour des superstitions obscurantistes :
The thing called pain, the bugbear styled trouble—those two legends seemed preposterous to their bachelor imaginations. How could men of liberal sense, ripe scholarship in the world, and capacious philosophical and convivial understandings—how could they suffer themselves to be imposed upon by such monkish fables? Pain! Trouble! As well talk of Catholic miracles. No such thing.—Pass the sherry, Sir.—Pooh, pooh! Can’t be!—The port, Sir, if you please. Nonsense ; don’t tell me so.—The decanter stops with you, Sir, I believe5. (322)
“Je crois” n’est plus le signe d’une vibrante déclaration de foi ; c’est seulement l’expression euphémisée d’une opinion personnelle au sujet d’une carafe de vin qui peut s’entendre comme l’antidote tout désigné aux simagrées religieuses (de/cant/er). Les célibataires jouisseurs d’aujourd’hui n’ont de Templiers que le nom. Le qualificatif ne perdure qu’en théorie : “Like the years before the flood, the bold Knights-Templars are no more. Nevertheless, the name remains, and the nominal society, and the ancient grounds, and some of the ancient edifices”6 (317).
La symbolique chrétienne est certes conservée, mais vide de sens. Le narrateur invoque comiquement Saint Paul (“just for thy stomach’s sake like Timothy”7, 321) pour glorifier des libations qui ont un arrière-goût de Bacchanales. La communion eucharistique grâce aux saintes espèces semble à la fois simulée et inversée lors de ces festivités un brin dionysiaques : “Meantime, as the wine ran apace, the spirits of the company grew more and more to perfect genialness and unconstraint” (321). L’alcool, spiritualisé, a beau se communiquer aux esprits par une sorte de métabolisme naturel, il n’empêche que le cérémonial n’est guère catholique. On fait bien tourner autour de la table une trompette de Jéricho, mais celle-ci, réduite à un bibelot, ne laisse planer aucune menace, même sourde. Bourrée de tabac à priser, elle ne risque pas d’ébranler la citadelle des mondains qui n’aspirent qu’à se claustrer à l’abri des murs du Temple. Il n’est pas fortuit que ces héritiers décadents de templiers qui furent eux aussi jugés déliquescents en leur temps8, soient des juristes patentés (“The Templar today is a lawyer”, 318). C’est bien le signe, pour un esprit imprégné de la typologie puritaine comme celui du narrateur, qu’au sein du temple, la loi a supplanté la foi et que l’Évangile est resté lettre morte. Le rite est préservé purement pour la forme : “By way of ceremony, simply only to keep up good old fashions” (320).
Néanmoins l’inadéquation de l’étiquette et de l’être, mise en relief au début du récit au point de disqualifier les soi-disant templiers, semble dépassée dans la formule finale qui consacre un titre douteux à l’issue d’un festin qui peut se lire comme un rite d’assimilation alimentaire et d’intégration sociale9, bref, comme un processus de résorption des différences : “« Sir », said I, with a burst of admiring candor — « Sir, this is the very Paradise of Bachelors! »”(323) L’intensificateur “very” ne fait toutefois que rehausser le caractère équivoque de ce paradis qui se donne pour une évidence. En dépit de la structure quasiment tautologique du récit, du titre à la dernière phrase (ledit “Paradis des célibataires” est bel et bien “the very Paradise of Bachelors”), le paradis échu aux fêtards, théoriquement chrétien, participe d’un syncrétisme hétéroclite d’un point de vue religieux ; par certains côtés, il ressemble à s’y méprendre à quelque Arcadie païenne.
La comparaison du majordome à Socrate incite à voir dans ce festin entre hommes une répétition du Banquet. La joyeuse bande de viveurs prennent congé deux par deux, bras dessus, bras dessous (323), comme si l’amitié masculine se suffisait à elle-même et se substituait aux couples hétérosexuels pour reconstituer l’unité primitive évoquée par Aristophane dans le dialogue platonicien (191, d-e)10. Les femmes sont exclues de cette plénitude sans faille, de même que la douleur en est bannie. Or, la confrérie des vieux garçons (“Brethren of the Order of Celibacy” 319) vise paradoxalement à recréer un foyer de substitution pur de toute présence féminine : “We were a band of brothers. Comfort–fraternal, household comfort was the grand trait of the affair” (322). Le paradis des célibataires qui recomposent des couples jouit intégralement de la félicité domestique sans les désagréments de la différence des sexes.
Les réjouissances ont bien un fond de saturnales dionysiaques, mais il est contenu par respect des convenances (“nothing loud, nothing unmannerly, nothing turbulent” 322). Le goût du luxe, corseté, n’y dégénère jamais en luxure. Pourtant, l’adjectif “genial” (“genial hospitalities”, 319 ; “a good genial dinner”, 321) et ses dérivés (“perfect genialness”, 321) trahissent peut-être le caractère latent de cette convivialité faite de réserve. “Genial” a étymologiquement la même racine latine (genialis) que “génital” : il garde dans l’expression “a genial climate” le sens de propice à la génération11. La vie de garçon parfaitement autarcique, est idyllique parce que soustraite à la nécessité biologique de la procréation. Ce savoir-vivre toute en retenue recouvre implicitement le refus de la filiation ; il permet de faire l’économie de la génération et de se passer absolument de la médiation des femmes. Mais il se borne à conjurer les turbulences du sexe qui n’en continuent pas moins à gronder en deçà.
Dans cette version moderne du Banquet, notons toutefois que le sosie de Socrate (“a head like Socrates”, 321), censé servir et se taire, n’a pas voix au chapitre alors que les convives ont de la répartie (“in gay discourse exercise at repartee”, 318). Le second volet du récit, le conte cruel d’Amérique, qui tranche sur l’ambiance feutrée du club très fermé, apporte une sorte de réplique dialectique au premier. Il constitue un démenti violent au déni de la douleur et au souci souverain des formes. La sauvagerie de la reproduction biologique dominée par l’observance du décorum va être révélée par une sorte de maïeutique littérale. L’envers oublié de ce paradis frelaté, censément indivis mais secrètement habité par l’altérité forclose — car il congédie la femme tout en intégrant son rôle au sein d’une domesticité artificiellement reconstituée — sera exhumé par une espèce de réminiscence platonicienne atroce12.
Le deuxième volet du diptyque est simplement juxtaposé au premier, sans transition. La mémoire involontaire rapproche cependant les deux expériences fortement contrastées : “something latent, as well as something obvious in the time and scene, strangely brought back to my mind my first sight of dark and grimy Temple Bar” (326). Le lien de ressemblance entre les deux épisodes, passé et présent, qui se superposent en surimpression tient paradoxalement à leur caractère diamétralement antithétique : “The inverted similitude recurred” (327). Le second tableau, en contrepoint du premier, apparaît comme sa contrepartie, à la fois dissemblable et indissociable : “This is the very counterpart of the Paradise of Bachelors, but snowed upon, and frosted-painted to a sepulchre” (326–327). Il y a entre les deux volets non seulement des similitudes comme la répétition de certains motifs — les fronts marqués de rides semblent soumis à la même règle : “the Benedick tradesmen are hurrying by, with ledger-lines ruled against their brows” (316) ; “I looked upon the second girl’s brow, and saw it was ruled and wrinkled”, (328) — un jeu subtil d’assonances — ainsi “stuff” (331) dans la deuxième partie rime-t‑il avec “snuff” (323) dans la première, et “mill” (324) avec “mull” (323) — mais il existe entre eux un lien de symétrie fondé sur l’opposition terme à terme. Comme dans le tableau vivant de Reijlander intitulé “The Two Ways of Life”, les deux séquences sont complémentaires : l’hédonisme impénitent des vieux garçons miraculeusement à l’abri des soucis pécuniaires a pour soubassement obscur la misère dont ils nient jusqu’à l’existence. Contiguës, les deux parties s’enchaînent.
Revenu de son périple touristique, le narrateur se rend cette fois dans l’arrière-pays pour s’approvisionner en enveloppes pour l’expédition des semences dont il fait commerce. C’est une mission qu’il se fixe par souci d’économie, en se rendant directement à la source, sans passer par ses fournisseurs :
Of these small envelopes I used an incredible quantity — several hundreds of thousands in a year. For a time I had purchased my paper from the wholesale dealers in a neighbouring town. For economy’s sake, and partly for the adventure of the trip, I now resolved to cross the mountains, some sixty miles, and order my future paper at the Devil’s Dungeon paper-mill (325).
À cette occasion, l’intégralité du circuit économique va lui être révélée en raccourci. Un employé surnommé Cupidon lui fait visiter la fabrique où il assiste à la production de la pâte à papier à partir de chiffons ou de vieilles nippes parfois importés d’Angleterre : “« Tis not unlikely », then,”murmured I, « that among these heaps of rags there may be some old shirts, gathered from the dormitories of the Paradise of Bachelors »” (330). L’interdépendance de tout le personnel romanesque (les deux groupes de célibataires et le narrateur “homodiégétique”) est ainsi soulignée. Le beau linge des uns, une fois recyclé, fournit aux autres la matière première du papier, cependant que le récit oppose les lettrés, amateurs de livres rares (“costly books without a duplicate”, 321), et les travailleuses de la fabrique, grande pourvoyeuse de paperasse13. Réciproquement, les petites ouvrières insignifiantes sont aux hôtes de marque (“great men of mark”, 318 ) ce que la feuille vierge est à un trait de plume14.
Cet épilogue à l’épisode londonien révèle l’envers du commerce affable des célibataires endurcis, leur consentement tacite à l’exploitation brutale de la main d’œuvre féminine. Le marchand de graines découve avec effarement que les jeunes ouvrières au teint de papier mâché sont les vestales d’une machine monstrueuse qui semble déflorer et déchiqueter leurs corps livides pour les restituer, éviscérés, sous la forme d’une abjecte pulpe blanche, une membrane diaphane qui prend peu à peu forme et consistance15. La reproduction mécanisée s’est substituée à la gestation naturelle16. La machine accouche du papier en neuf minutes, dans une salle saturée de corpuscules où règne une moiteur étouffante de corps de femmes en gésine (“a strange blood-like abdominal heat”, 331). La dernière étape de la fabrication est confiée à une ancienne sage-femme (“a nurse formerly”, 333) inemployée dans une région frappée de stérilité ; c’est elle qui est chargée de recueillir le fruit de ce labeur qui requiert un travail d’enfantement contre nature. L’appariement femme-machine tyrannique, obscènement conjuguées, fait pendant aux compagnons inclassables (invertis ?) du premier volet. Sans doute y-a-t-il asymétrie en dépit du parallèle, puisque les jeunes filles qui sont la cheville ouvrière de la maison mère restent placées sous haute surveillance masculine. Robyn Wiegman a rappelé à quel point l’usine était représentative de la division sexuelle des tâches et, par extension, de toute l’économie domestique sous l’emprise des hommes : les femmes qui assurent la fabrication du papier demeurent assujetties à la discipline virile qui met leurs corps en coupe réglée (“ruled”, 328) et leur retire le fruit de leurs entrailles17.
Le marchand de graines assiste, révulsé, à la composition de la cellulose à partir de fibres fermentées semblables à un flux immonde de sécrétions émis sans discontinuer. La décharge sexuelle techniquement reproduite et traitée sur le mode industriel amorce une effroyable parturition. Mais la monstruosité de cet enfantement machinal tient à ce qu’il se double d’un ensevelissement. Les feuilles d’une blancheur cadavérique ont l’aspect d’un linceul (“sheet”18). Le papier, tel une peau de chagrin, est ce qu’il subsiste des corps écorchés vifs des jeunes ouvrières, saignées à blanc et comme vampirisées : “I looked from the rosy paper to the pallid cheek, but said nothing” (328). Les traits de leurs visages blêmes s’estompent dans la pâte à papier uniformément pâle, pareille à un drap mortuaire tiré de leur corps exténué et qui finirait par l’envelopper tout entier19. Le papier continu20 reflète à la fois les visages exsangues et le charnier que le narrateur croit déceler dans le cirque de montagnes environnantes (“the mountains stood pinned in shrouds”, 326), comme si, par l’intermédiaire du papier, le caractère macabre du cadre naturel (“a pass of Alpine corpses”, 326) se communiquait insensiblement aux corps livides. S’insinuant dans la fabrique, la mort endémique impressionne le papier qui semble la forme déployée des plis les plus intimes de ces chairs suppliciées. La phrase qui, à chaque répétition de “blank”, se replie sur elle-même, mime ce plissement en dedans de la mort qui s’invagine irrésistiblement et qui, par l’opération du pliage, pénètre du décor aux corps décharnés :
Immediately, I found myself standing in a spacious place, intolerably lighted by long rows of windows, focusing inward the snowy scene without.
At rows of blank-looking counters sat rows of blank-looking girls, with blank, white folders in the blank hands, all blankly folding blank paper (328)21.
Du même coup, l’intimité douillette dans laquelle se calfeutraient les célibataires londoniens, retranchés au plus profond de l’espace gigogne de Temple Court (“a honeycomb of offices and domicils”, 319), se retrouve brusquement exposée au dehors. Inversant ce mouvement de repli, le papier cadavérique, qui est l’enveloppe des corps qui l’ont produit, les retourne à l’extérieur, les jette dans le monde et les livre à leur destination mortelle.
Pour le grainetier qui s’est lancé dans le commerce à grande échelle (“Having embarked on a large scale in the seedsman’s business”22, 319), le papier, tel un palimpseste, s’avère être l’archive de l’économie contemporaine. Il sert au négoce, mais, même blanchi (“washed white”, 329), il garde des traces de son origine cachée. Il porte l’empreinte du processus de production oblitéré par le fétichisme des valeurs marchandes. Il témoigne du trafic des chairs qui le sous-tend et du coût organique occulté par la valeur abstraite23. Le second volet du récit dévoile les sacrifices humains incorporés aux produits commercialisés, l’abject qui, via l’objet fini, transite en sous-main depuis le blanchiment du linge sale. Mais il exhibe davantage encore ; le papier destiné à servir d’enveloppe pour l’acheminement des semences transporte dès sa fabrication la mort dans son grain. D’emblée, l’usure des corps impliquée dans l’élaboration du papier dit vierge infirme la finalité du commerce florissant : “through the consumptive pallors of this blank raggy life go these white girls to death” (330). Les êtres de chair sont autant de lettres de chair courant à leur perte24. Par une sorte de raccourci fulgurant, l’acheminement des graines et des issues se révèle prédestiné à la mort. Le papier d’expédition renferme tout le cycle économique de la vie et de la mort ; il contient en miniature le court-circuit du germe et du terme. Même à l’état embryonnaire, la pulpe pâle a déja l’étoffe du suaire : “the pallid incipience of the pulp” (334). “Pall” crypté dans “pallid” perce dès l’origine dans “pulp”. Ces sourdes rimes intérieures sont les échos d’une économie de la dépense en pure perte, inéluctable.
Le papier blanc porte les traces résiduelles d’une humanité laborieuse en voie d’extinction. Le narrateur croit discerner dans la pâte grumeleuse les traits des visages exténués des jeunes filles en passe de s’effacer. Or, par un étrange renversement, ce processus de défiguration se retourne en Transfiguration comme par l’opération du Saint Esprit.
Before my eyes — there, passing in slow procession along the wheeling cylinders, I seemed to see, glued to the pallid incipience of the pulp, the yet more pallid faces of the pallid girls, I had eyed that heavy day. Slowly, mournfully, beseechingly, yet unresistingly, they gleamed along, their agony dimly outlined on the imperfect paper, like the print of the tormented face on the handkerchief of Saint Veronica (334).
Le papier grossier où s’impriment leurs visages tourmentés est comparé au voile de sainte Véronique et, du même coup, leurs traits décomposés sont assimilés à ceux du Crucifié. Par le biais de cette comparaison (“like the print of the tormented face on the handkerchief of Saint Veronica”), la ressemblance reprend ses droits : non seulement le papier sensible conserve un visage humain, mais il apporte la preuve que celui-ci est à l’image du Christ. Métamorphosée en icône, la trame vergée reflète l’humanité souffrante, qui à son tour réfléchit le Christ, lui-même image du Père, suivant un jeu de miroirs évoqué dans l’Évangile25. Corollairement, le procédé de production à la chaîne se métamorphose en une procession funéraire ou en un cortège de pénitents26. L’effeuillage funèbre, qui est simultanément mise au monde et mise à mort, est transmué en travail de deuil des veuves virginales en souvenir du Seigneur sacrifié sur la Croix et ressuscité.
Le papier d’une blancheur sépulcrale prend l’aspect de la Véronique, mais aussi du Saint Suaire où le corps du Christ laissa ses marques. Le papier qui défile sous les yeux du narrateur représente doublement le Christ, avant et après la Crucifixion ; il consigne le Calvaire et il est en même temps Déposition de Croix. Il déroule le Saint Suaire comme un pli de la Véronique. Aussi est-il tombeau du Christ, au propre comme au figuré.
Le recyclage de la matière première rebutante a des allures de rédemption christique. La nature morte, agitée d’un mouvement brownien (“it swims bubbling round and round”, 331) s’est spiritualisée et a pris le visage de Dieu. La pâte à papier, matière molle hominisée, a levé. L’expression “the incipient mass” (332) peut suggérer que la masse informe est en puissance matière à une messe. Mais si le papier blanc, vierge de toute trace, semble ainsi contenir potentiellement un enregistrement fidèle du Messie, c’est au prix d’une conversion qui tient d’un tour de passe-passe : l’absence de signe à même le papier a pris la valeur du signe même du Dieu absent. Ainsi, la raison pour laquelle les visages des jeunes filles, comme celui du Seigneur, s’effacent à mesure que le papier prend corps, est que les traits du Christ sont censés pointer vers le retrait du Deus absconditus. L’incarnation chrétienne est conjointement kénôse, autrement dit évidement, disparition de Dieu au moment même où il se manifeste physiquement, du fait qu’il s’incarne. Le vide de la page blanche pouvait apparaître comme le signe précurseur de l’oblitération des êtres de chair/lettres de chair voué(e)s à s’évanouir dans la nature comme dans “The Encantadas” ces messages de perdition restés en souffrance dans un coin perdu de la création et destinés à disparaître : “signs of vanishing humanity”27. En ce vendredi saint de janvier, le papier, média aux pouvoirs médiumniques, donne magiquement naissance à une épiphanie radieuse.
La comparaison qui fait se confondre le visage des jeunes filles et ceux du Christ opère l’Assomption des jeunes filles (“maids”) à la façon d’un performatif. Elle réactive la parabole des vierges attendant l’époux promis (Matthew, 25). La transfiguration transsexuelle qui se profile — celle de simples vierges en la personne sainte du Messie — réalise symboliquement les noces mystiques du Christ et de l’Église dont il est la tête (Éphésiens, 5). L’humanité atomisée en célibataires solitaires se découvre ainsi solidaire du corps du Christ grâce à l’anamnèse de la Passion. Par contrecoup, la remémoration provoquée par le papier mué en mémorial et rachète comme par magie la réminiscence involontaire crypto-platonicienne, l’ignoble maïeutique littérale qui s’étalait à longueur de page.
Le deuxième volet du récit introduit un fabliau néo-médiéval28 qui contredit l’émerveillement païen du premier. Revenu du temple des plaisirs mondains, le marchand de graines semble enfin avoir retrouvé le chemin du Saint Sépulcre dont les templiers fictifs de Temple Bar barraient l’accès : “the vowed opener and clearer of all highways leading to the Holy Sepulchre, now has it in particular charge to check, clog, to hinder, and embarrass all the courts and avenues of Law” (317–318). Dans une région reculée de Nouvelle Angleterre (“Woedolor Mountain in New England”, 323), il accomplit à sa manière une mission, une nouvelle “errand into the wilderness”, au cours de laquelle l’humanité en proie à la dériliction renoue l’Alliance. Si le Sauveur est dans les petits papiers des jeunes filles, alors un destin commun s’esquisse à travers le Christ interfolié. Le diptyque est sous-tendu par des schèmes empruntés à la symbolique biblique, notamment l’idée de se dépouiller du vieil homme pour revêtir le corps du Christ (Colossiens, 3:9), celle d’ être baptisé dans la mort du Sauveur (Romains, 8:8) et la parabole du semeur (Matthieu, 13). Si le grain ne meurt… (Jean, 12:34, 1 Corinthiens, 15). Le récit en deux volets peut rappeler les deux phases d’une parabole qui appelle une élucidation — la fable à proprement parler, suivie de l’enseignement moral qui en est tiré. En dévoilant que la matière malaxée épouse la forme du visage du Seigneur, le narrateur laisse entendre que le Christ transite incognito dans le grain du papier que le marchand utilise pour sa correspondance commerciale, et dans cette relation de voyage que ce dernier adresse au lecteur, il transmet sous une forme anodine une lettre apostolique, faisant ainsi œuvre de facteur d’unification du genre humain disséminé. Le grainetier anonyme pourrait fort bien s’appeler Germe : “Behold the man whose name is The branch ; and he shall grow up out of his place, and he shall build the temple of the Lord” (Zechariah, 6:12)29. Dans un lieu particulièrement désolé où règne un silence oppressant (“the human voice was banished from the spot”, 328), il entrevoit sur le papier une icône grosse du Verbe fait chair. En s’approvisionnant à la source, il a ouvert une espèce d’enquête sur la généalogie des valeurs marchandes. Il semble mettre au jour une économie parallèle au sens très spécifique où la tradition patristique entendait le mot “économie” ; le sens séculier de production et de gestion des richesses a en effet raturé son sens archaïque selon lequel l’ikonomia était la manifestation de Dieu dans l’histoire, bref toute l’économie du Salut par la venue du Seigneur rendant le Père visible et l’humanité déchue enfin ressemblante à l’image de Dieu. Le dessein providentiel, comme l’a montré Marie-José Mondzain, repose sur le destin de l’icône, la sauvegarde de sa ressemblance au modèle divin, compromise par la Chute et restaurée par la Rédemption, autrement dit la gestion de l’Image tout au long de l’histoire30. L’icône du Christ, pleine du pouvoir fécondant du Verbe, est enchâssée dans le deuxième volet du diptyche ou plus exactement dans sa prédelle, puisque, tel un retable, chaque panneau se subdivise lui-même en deux parties.
À propos d’une simple provision de papier qui se révèle contenir en réserve bien davantage, une allégorie édifiante est mise en œuvre. Pourtant, l’exercice spirituel confine parfois à la parodie. Les jeunes filles qui travaillent à la chaîne sont comparées à des pouliches parquées le long d’un ratelier :
He took me up a wet and rickety stair to a great light room, furnished with no visible thing but rude, manger-like receptacles running all round its sides, and up to these mangers, like so many mares haltered to the rack, stood rows of girls (329).
Dans cette crêche (manger) pleine de chiffons réduits en charpie, les juments attelées à leur travail offrent une image cauchemardesque et méconnaissable de la Vierge Marie mettant bas. Cette Nativité New Age est une séance de torture inquisitoriale (la formule “haltered to the rack” connote la corde et le chevalet). Plus troublant encore, la fabrique, où règne une discipline digne de la règle de la vie monastique, fait penser à un couvent, mais aussi, curieusement, au sérail. Il était courant dans les écrits contemporains de donner une coloration chrétienne au travail à l’usine, comme l’atteste le titre même de la revue The Lowell Offering où les jeunes ouvrières faisaient le récit édifiant de leur existence quotidienne31. Conformément à l’évangile du travail érigé en catéchisme national, les sacrifices personnels avaient valeur d’offrande religieuse. Mais dans cette nouvelle, c’est le Pacha que les jeunes filles servent comme autant d’odalisques soumises (“as the slave serves the Sultan”, 328). Inexorablement, le Sultan tanne les damnées de la terre prostituées à l’appareil de production. “Machinery–that vaunted slave of humanity — here stood menially served by human beings, who served mutely and cringingly as the slave serves the Sultan”. L’organisation de la vie conventuelle a des relents d’orgie orientale, à l’instar des récits sulfereux d’une Maria Monk ou d’un Samuel Morse, cette pulp fiction de l’Amérique victorienne que David S. Reynolds décrit comme la pornographie des protestants (64–65) : service religieux et sévices sexuels tendent insensiblement à se confondre.
Si le miracle de la venue du Sauveur se reproduit malgré tout, c’est au prix de la célébration d’une besogne d’autant plus bestiale qu’elle est purement machinale : “Nothing was heard but the low, steady, overruling hum of the iron animals” (328). En assimilant la pellicule de papier à la Véronique, le narrateur provoque automatiquement l’apparition du Christ en filigrane. La machinerie perfectionnée, aux rouages si complexes, qui permet ainsi de rééditer à volonté le miracle du passage du Messie et qui en reproduit mécaniquement toutes les phases est décrite comme un dispositif “mystique” dont les voies sont impénétrables au profane : “a miracle of inscrutable intricacy” (334). La bête humaine qui semblait asservir les demoiselles à la loi d’airain de la reproduction biologique fait à présent des miracles et apporte la preuve par neuf de l’existence de Dieu. Le narrateur invente une étrange machine célibataire qui couple des rangées entières de jeunes femmes à un Surmâle, la machine à Papier despotique32, et conçoit cet assemblage forcené comme la divine matrice permettant de reproduire le Sauveur en série. À cet égard, le vœu pieux du narrateur peut être rapproché de l’illumination cardinale d’un Henry Adams, un demi-siècle plus tard, à propos de la Vierge et de la Dynamo. Dans The Education of Henry Adams, Adams, on le sait, ne se bornera pas à établir une homologie entre le Moyen-Âge et les Temps Modernes, du style : la dynamo est à la modernité ce que la Vierge était à l’époque des Cathédrales, à savoir, le mécanisme moteur qui entraîne invariablement toute l’histoire humaine dans ses révolutions ; il les reliera à la façon d’un circuit électrique. Pour galvaniser la foi déclinante à l’ère industrielle et pour la plus grande gloire du génie électrique, il n’hésitera pas à brancher la Sainte Vierge sur la dynamo afin que la lumière soit (“she was the animated dynamo”, 384). De la même manière, la fabrication du papier récapitule les épreuves du Christ et annonce tous les écrits à venir auxquels la page blanche servira de support, comme si, conformément à la typologie puritaine, le Christ était en sous-œuvre le signe précurseur de tout l’avenir déjà prescrit, la figure en filigrane éternellement coprésente qui informe l’histoire passée et future, jusqu’à la Révélation finale33.
Le culte de la machine qui suscite la réapparition phénoménale du Christ n’est-il pas cependant un cache-misère ? Qu’en est-il de l’imitation du Christ à l’ère de la reproductibilité technique ? Le narrateur peut bien s’ingénier à reconnaître les traits de “l’absolu formateur de ce qui est” (Bossuet) en surimpression sur la matière amorphe et insinuer que le commerce agro-alimentaire colporte sous pli le Messie, passager clandestin. Il n’empêche que l’inscription de la Sainte Face sur le papier n’est peut-être qu’une figure de style, une métaphore idéalisatrice, un transfert douteux à l’instar du commerce qui transpose avantageusement la souffrance des corps en valeur abstraite, quasi immatérielle. En croyant reconnaître la Transfiguration dans la matière désenchantée, ne se leurre-t-il pas au Moulin du Malin (“Devil’s Dungeon”, 324) ? Le visage du Christ que le papier tel du papier-monnaie laisse transparaître en filigrane ne fait-il pas que recouvrir en surimpression le calvaire gratuit des corps ? Est-ce un miracle ou un mirage ? Une Véronique, autrement dit une icône véridique (vera icona) ou un faux billet dont la valeur faciale (face value) ne doit pas tromper ? Sainte relique ou simple réplique ? Le papier palimpseste ne recèle-t-il pas sous le sceau divin la souillure, à moins que par un retournement supplémentaire, l’abjection ne soit justement la signature de Dieu qui ne se manifeste qu’en assumant l’ignominie de l’incarnation et de la crucifixion, qui ne se dévoile qu’inversé sous de fausses espèces34 ?
La transformation de la pâte informe en support d’une icône du Dieu vivant pourrait bien être une vue de l’esprit qui fait suite à une série d’hallucinations comme l’illusion optique de retrouver le Temple londonien sous une apparence diamétralement antithétique35. Le narrateur ne s’entête-t-il pas à faire émerger un visage du vide désolant de la page blanche comme s’il lui fallait de toute nécessité identifier son semblable dans les moindres replis de la matière nauséeuse ? Son regard au lieu de s’abîmer dans dans la blancheur vacante ne peut qu’envisager un blanc (a blank) qui reflète en miroir la physionomie humaine pour se garder de plonger dans un vortex d’écume mate : “It puts on something of a real look, as if it might turn out to be something you might possibly handle in the end” (331–332). Ces manipulations optiques sont autant de manœuvres en vue d’une mainmise sur une horreur insaississable36 qui, périodiquement, fait retour de façon inquiétante, excédant l’explication rassérénante d’une apparition surnaturelle d’ordre mystique :
[…] more inscrutably mysterious than any mystic sight, human or machine, throughout the factory, was the strange innocence of cruel-heartedness in this usage-hardened boy (331).
or a moment a curious emotion filled me, not wholly unlike that which one might experience at the fulfillment of some mysterious prophecy. But how absurd, thought I again ; the thing is a a mere machine, the essence of which is unvarying punctuality and precision (332).
Again the strange emotion filled me (332).
Et si l’apparition de l’image pieuse sur l’écran vide préalablement à toute écriture était un effet optique aussi trompeur que l’aspect anthropomorphique du décor naturel ? Il est peut-être tout aussi chimérique d’entrevoir Dieu qu’il est illusoire de discerner dans les détails du paysage (pli montagne, pli vallée) un aperçu suggestif de l’anatomie féminine, “down to the invisible lowlands” (324), suivant les schémas de l’obstétrique37. La psychiatrie naissante ne considérait-t‑elle pas précisément comme un signe clinique de l’hystérie féminine le fait de s’imaginer représentée dans le plus simple appareil sur une feuille parfaitement blanche38 ? Les méprises du voyageur se succèdent en cascade dans ce qui est peut-être, comme Benito Cereno un récit d’aveuglement et de mauvaise foi :
At first I could not discover the paper-mill (326).
“Nay,” faltered I, “I mistook you. Go on ; I want nothing” (327).
“Nay, I mistake again. In God’s name shut the door” (327).
Dans cette nouvelle publiée un premier avril comme The Confidence Man (simple coïncidence ?), le narrateur ne s’abuse-t‑il pas à dessein pour éviter de reconnaître la vacuité aberrante du papier vierge ?
All sorts of writings would be writ on those now vacant things — sermons, lawyers’briefs, physicians’prescriptions, love-letters, marriage certificates, bills of divorce, registers of births, death warrants, and so on, without end. Then, recurring back to them as they here lay all blank, I could not but bethink me of that celebrated comparison of John Locke, who, in demonstration of his theory that man had no innate ideas, compared the human mind at birth to a sheet of blank paper ; something to be scribbled on, but what sort of characters no soul might tell (333).
En empruntant à John Locke la métaphore de la page blanche pour décrire la conscience inchoative39, le narrateur pose la question suivante sous-jacente à la tradition de l’empirisme : peut-on faire table rase de l’idée de Dieu ? Est-elle innée et préexiste t‑elle à toute expérience40 ? Si c’était le cas, la feuille vierge porterait le seing du Seigneur et serait dès l’origine remplie de signes et de prodiges41. C’est bien l’effigie du Christ que le narrateur croit percevoir sur le papier au nom du père parce qu’il méconnaît une expérience irréductible à toute affabulation mystique. Le désir fou de Dieu, le besoin absolu d’en retrouver la trace et de se reconnaître en sa personne, ne lui dicte-t‑il pas de projeter son icône sur du papier ministre dont le nom en anglais (“foolscap”) fait songer à une farce insensée ? Au moment où apparaît le spectre du Christ, la pâte blanche a presque effacé le nom “Cupidon” sur le morceau de papier que le narrateur avait glissé dans la cuve au tout début du processus de recyclage42, pour expérimenter la machine “mystique”. Greed et creed (“the greediness of Mardians to believe”, Mardi p. 1111), cupidité et Cupidon font bon ménage dans ces spéculations spéculaires sur le papier assignables au narcissisme possessif. Régulièrement, les sépulcres blanchis qui camouflent d’atroces charniers43, les suaires qui recouvrent des ossuaires impies, sont pris à tort pour le Saint Sépulcre constamment déplacé, du sanctuaire des templiers au fin fond de la Nouvelle Angleterre. Si le lieu saint des Écritures est insituable et, de proche en proche, s’excentre vers l’Extrême Occident, il faut persister à imaginer envers et contre tout une Passion de papier. Le narrateur ne peut s’empêcher de rêver de convertir ces “hosts of rags”(330) qu’il a en aversion en un semblant d’Esprit Saint (the holy Host)44. Toujours prêt à partir en croisade, il répète le rite théâtralement, jusqu’à la parodie dans l’attente d’une Parousie hypothétique, avec les derniers des templiers puis en compagnie d’ouvrières formant un ordre inédit, “the Order of Celibacy” (319).
Duplicité du narrateur qui s’acharne à donner sens à la gestation scabreuse du papier tout en mettant à nu à son insu les illusions perdues45. Dédoublement du récit, de part en part, du titre à la formule finale symétrique, “Oh! Paradise of Bachelors! and oh! Tartarus of Maids!” (335). “The Paradise of Bachelors and The Tartarus of Maids” se redivise et se met en abyme en dépeignant la fabrication du papier qui lui sert de support. À l’image du papier, il préfigure l’accomplissement des Écritures et, conjointement, il exhibe le substrat matériel de toute publication. Rendre compte de l’origine du papier, dans une sorte de généalogie de l’imprimé (“the first beginnings of the paper”, 331) revient simultanément à entamer l’exégèse de la Révélation tout en exhumant, sens dessus dessous, la surface qui sert de subjectile à tout écrit promis à l’entropie, des sermons à la duplication sans fin, des extraits de naissance à l’arrêt de mort, de la semence des sermons à la sentence funeste :
Looking at that blank paper continually dropping, dropping, dropping, my mind ran on in wonderings of those strange uses to which those thousand sheets eventually would be put. All sorts of writings would be writ on those now vacant things — sermons, lawyers’briefs, physicians’presciptions, love-letters, marriage certificates, bills of divorce, registers of births, death warrants, and so on.
Comme les faces de la feuille, le récit est un tableau à double entrée : d’un côté, il est orienté téléogiquement et théologiquement vers la révélation spirituelle, mais, dans le même mouvement, il ramène le lecteur, à rebours, vers l’obscure genèse matérielle oubliée. Il couple les deux sens opposés de l’histoire comme deux processus réversibles qui font que l’un n’advient qu’à condition de devenir l’autre de manière conjointe. Ce double parcours inverse et synchrone témoigne tout à la fois de l’efficace des Saintes Écritures conformément à la typologie puritaine, et de leur effacement graduel, en opérant un retour en amont, à la source du papier, à la préhistoire de tout écrit. Les séries duelles se disloquent, la nouvelle tourne à vide et se délite à mesure que la mystification s’échafaude à la façon d’une élaboration secondaire. Par delà la menace d’un non-alignement des observations et de la glose factice auxquelles elles donnent lieu, le risque d’une oblitération radicale des signes qui plane dès l’origine sur la page blanche reste en suspens et l’angoisse de l’abolition finale des impressions perce obliquement à travers la question apparemment absurde : “You make only blank paper ; no printing of any sort, I suppose? All blank paper, don’t you?” (329). Le marchand appréhende qu’en marge du commerce le vide subsiste et partout se propage.
La mise en page du Harper’s New Monthly Magazine qui distribuait chaque volet de la nouvelle sur deux colonnes séparées par un trait vertical ne pouvait qu’accentuer l’impression d’un pliage dans tous les sens, de haut en bas comme de gauche à droite. Au fond, le mouvement de repli à l’infini du texte pourrait bien être le principe formel de ces Twice-Told Tales46. Si chaque partie antithétique ne cesse de se rapporter à l’autre tout en se scindant par une sorte de déhiscence, si la fiction est par définition fission et miroitement, c’est en fonction d’un pli central, pour ainsi dire matérialisé dans la typographie du Harper’s New Monthly Magazine par un trait horizontal qui départage et unit les deux parties du texte.
Revenons sur l’hypothèse suivant laquelle le second pan du texte au sujet d’un approvisionnement en enveloppes se développerait à partir de cette pliure médiane qui constituerait l’axe de symétrie principal. Elle présuppose une image fondatrice, celle du texte-textile47, comme si le second volet n’avait fait que filer la métaphore du tissu, ou plus exactement, déployer la catachrèse primordiale, a sheet of paper, qui veut que le papier se plie implicitement au modèle du drapé. De fait, dans le récit, non seulement toute ligne est un linge, mais la pâte à papier, telle qu’elle est décrite, a aussitôt la texture fibreuse d’un voile (“I could not follow the thin, gauzy vail of pulp in the course of its more mysterious or entirely invisible advance”, 333) et la machine à papier n’est autre qu’un métier à tisser qui se doublerait d’une plieuse :
There ; see how it has become just a very little less pulpy now. One step more, and it grows still more to some slight consistence. Still another cylinder, and it is so knitted — though as yet mere dragon-fly wing — that it forms an air bridge here, like a suspended cobweb, between two more separated rollers ; and flowing over the last, and under again, and doubling about there out of sight for a minute among all those mixed cylinders you indistinctly see, it reappears here, looking now at last a little less like pulp and more like paper, but still quite delicate and defective yet awhile (331).
En un sens, la nouvelle en deux volets est effectivement prétexte à un tissu d’analogies entre des univers clos a priori dissemblables. Le narration se caractérise par la passion des rapprochements et le souci de mettre en correspondance en dépit des différences, à commencer par la différence des sexes. C’est virtuellement un hymne à l’hymen entre les célibataires des deux mondes en vertu d’une concordance universelle. Par extension, tout doit s’ajointer dans le cadre d’un bréviaire bilingue : l’image pieuse et le discours édifiant, le visible et le lisible, etc. L’un des traits de style les plus saillants n’est-il pas, symptomatiquement, la comparaison parfois assortie d’une double négation, “not wholly unlike” ?
Following him, I crossed a large, bespattered place, with two great round vats in it, full of a white, wet, wooly-looking stuff, not unlike the albuminous parts of an egg, soft-boiled (331).
I saw a sort of paperfall, not wholly unlike a water fall (332)
For a moment a curious emotion filled me, not wholly unlike that which one might experience at the fulfillment of some mysterious prophecy (332).
“Cupid here has led me a strange tour”(334). L’inquiétante étrangeté du dissemblable, qui ne se rapporte absolument à rien (“supernatural with unrelated misery”, 327), est neutralisée par l’artifice de la double négation (not unlike) qui suspend la différence radicale en lui substituant une comparaison sur le mode négatif : ce je-ne-sais-quoi inqualifiable n’est pas sans rappeler, en négatif, un ensemble de références préconcues. L’effroi de l’anéantissement, dénié, est conjuré à grand renfort d’analogies qui diffèrent la négativité de degré en degré. Imperturbablement, le narrateur tisse une trame allégorique à partir des choses vues qui le chiffonnent (330) :
Yes, murmured I to myself ; I see it now ; turned outward ; and each erected sword is so borne, edge-outward, before each girl. If my reading fails me not, just so, of old, condemned state-prisoners went from the hall of judgment to their doom: an officer before, bearing a sword, its edge turned outward, in significance of their fatal sentence.So through consumptive pallors of this blank, raggy life, go these white girls to death.
Par association d’idées, il s’ingénie à rassembler au nom de ressemblances : “Though the two objects did by no means completely correspond, yet this partial inadequacy but served to tinge the similitude not less with the vividness than the disorder of a dream” (326). Néanmoins, au revers de son récit proprement diabolique au sens où il ne cesse de se cliver constamment, les figures de référence, loin de se fondre, se fendent et l’unité symbolique de ces séries d’expériences qui doublonnent menace de voler en éclats. Un lapsus du narrateur qui bafouille un instant, une sorte de bégaiement momentané48 qui va à l’encontre de son penchant pour les répétitions formelles et les redites rassurantes, est le signe révélateur que la trame de son discours risque à tout moment de se rompre : “Oh, to be sure! said I, confused and stammering ; “it only struck me as so strange that red waters should turn out pale chee—paper, I mean” (329). L’amalgame entre cheek et paper suggère comme on l’a vu que la peau parcheminée des jeunes filles entre directement dans la composition du produit dont elles assurent la préparation. La dernière lettre du mot, mangée, mime le processus d’assimilation des organismes réifiés et l’alliance de cheek tronqué et de paper donne un curieux mot valise qui laisse entendre cheap paper et, en écho, cheap aper. Mais cette forme élidée de cheek qui altère son orthographe normale peut être reliée au motif du déchirement des joues par le gel dans le texte :
“Two white spots like the whites of your eyes,” he said; “man, your cheeks are frozen.”
“That may well be,” muttered I, “tis some wonder the frost of the Devil’s Dungeon strikes in no deeper. Rub away.”
Soon a horrible, tearing pain caught at my reviving cheeks. Two gaunt blood hounds, one on each side, seemed mumbling them. I seemed Acteon (328-329).
Le blanc du texte qui s’intercale entre paper et cheek et ronge la dernière lettre du mot déchiqueté est le rappel subreptice de cette défiguration littérale, de ces points blancs49 pareils au blanc des yeux qui sont le signe avant-coureur de la décomposition du visage et qui évoquent le point aveugle de la vision. La déchirure des joues qui entaille la face est comme le symptôme récurrent d’une désintégration qui compromet la visée visionnaire.
La passion des correspondances qui se tissent achoppe sur ces accrocs périodiques qui sont comme les marges effrangées du texte. On pourrait citer une formule de Bily Budd, Sailor en guise d’exergue à ce diptyche entièrement structuré par un principe de symétrie :
The symmetry of form attainable in pure fiction cannot so readily be achieved in a narration essentially having less to do with a fable than with fact. Truth uncompromisingly told will always have its ragged edges (1431).
Le récit ne se borne pas à articuler la réversibilité de la vision mystique et de la mystification fabuleuse comme le recto et le verso du papier ou les replis d’une même feuille dont il développerait toutes les implications. Le vacillement qu’il introduit entre la volonté de croire et le soupçon50 à l’endroit des superstitions projetées sur le papier ne se produit pas sur un plan lisse, simplement plissé en deux. Le récit double ne se contente pas de se plier continûment ; tel les sapins brisés net (“snapped in twain like pipe stems”, 325), il se déchire en son milieu et met en lumière à propos du papier qui est le média par excellence des disjonctions sans terme intermédiaire. Si le Christ, l’x virtuel capable de rassembler le genre humain divisé en autant de règnes distincts, vient à manquer à sa place, si toute liaison implique l’élision d’une lésion, comment pour autant faire l’économie d’une commune mesure qui totalise le monde en miettes ? Or le récit se développe peut-être moins à partir d’un pli central que d’une plaie béante entrouverte par l’épreuve de la défiguration : la blancheur aveugle, aphasique et, pour tout dire, acéphale où s’engouffre le regard désœuvré remonte du fond séminal et laiteux de la feuille et perce indéfectiblement dans les espaces épicènes du texte jusqu’au cœur du récit double, dans l’interstice des deux tableaux. L’écriture se retire de la page pour y laisser refluer l’écume du néant neutre. Un pareil ressac pourrait bien être la source du dérèglement éperdu de tous les sens au sein de la forme fixe.
Notes de bas de page numériques
“Thursday December 20. Last night dined in Elm Court, Temple, and had a glorious time till noon of night. A set of fine fellows indeed. It recalled poor Lamb’s “Old Benchers”. Cunningham the author of Murray’s London Guide was there and was very friendly.[…]. Up in the 5th story we dined. The Paradise of Batchelors”.
“Friday, Dec. 21. Last Night dined at the Erechtheum Club St James’s with Mr Cooke (he with the eye) - nine sat down - fine dinner - Rainbow and others were there. Mr Cleaves is a fine fellow. The “Mull” after dinner”.
“Sunday, Dec. 25. Last night dined at the Erechteneum Club — a party of eight — Charles Knight the author of London Illustrated & the Publisher of the Penny Cyclopedia & concerned in most of the great popular publications of the day; — Ford, the Spanish Traveller & Editor of the Guide Book — Leslie the painter — Cunningham the London Antiquarian & author of the London Guide published by Murray; — and Mr Murray the Albermarle Street man -— together with Cooke & and a youth whose name I forget. — We had a glorious time & parted at midnight” (Journals. Ed. by Howard C. Horford and Lynn Horth, Evanston and Chicago, Northwestern University Press and Newberry Libray, 1989, pp.44-46).
Si Melville joue symboliquement sur le chiffre neuf dans la nouvelle — les neuf convives correspondent aux neuf minutes mises pour fabriquer le papier dans l’équivalent moderne du neuvième cercle de l’enfer de glace de Dante — il n’est peut-être pas indifférent de noter que John Murray avait publié en 1829 un essai sur le papier (“Practical Remarks on Modern Paper”) et que la Penny Cyclepedia pourrait être une source non négligeable de la seconde partie.
“Leonato : […] and there will she sit in her smock till she have writ a sheet of paper.
Claudio : Now you talk of a sheet of paper. I remember a pretty jest your daughter told us of.
Leonato : O, when she had writ it and was reading it over, she found Benedick and Beatrice between the sheets.
Claudio : That.
Leonato : O, she tore the letter into a thousand halfpence, railed at herself that she should be so immodest to write to one that she knew would flout her”.
Voir aussi Twelth Night (III, 3, 38) : “as many lies as will lie in thy sheet of paper, although the sheet were big enough for the bed of Ware”.
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Pour citer cet article
Michel Imbert, « Sur le papier : “The Paradise of Bachelors and The Tartarus of Maids” », paru dans Cycnos, Volume 17 n°2, mis en ligne le 15 juillet 2008, URL : http://revel.unice.fr/cycnos/index.html?id=1652.
Auteurs
Université Paris VII.
Michel Imbert est maître de conférences à l’université Paris VII – Denis Diderot. Ses travaux portent essentiellement sur l’œuvre romanesque d’Herman Melville. Il a collaboré au premier volume des œuvres complètes publié sous la direction de Philippe Jaworski dans l’édition de la Pléiade.