Alliage | n°73 - Mars 2014  

Zéphyrin Xirdal  : 

La Chronique du savant flou

Texte intégral

En août 1845, Friedrich-Wilhelm IV, roi de Prusse féru d’astronomie, rend visite à l’observatoire de Bonn, que dirigeait son vieil ami Friedrich Wilhelm (aussi) Argelander. Lui demandant avec jovialité : « Alors, Argelander, quoi de neuf dans le ciel ? », il s’attira cette réponse : » Pas mal de choses – mais votre Majesté connaît-elle déjà tout ce qu’on y trouve de vieux ? ».

Dans La Recherche n° 479, septembre 2013, p. 6, Alexandre Moatti rapporte une assertion de Thierry Magnin, recteur de l’université catholique de Lyon : « Jésus est Dieu et homme comme la lumière est onde et corpuscule. » L’ennui, avec cette métaphore, est que du point de vue moderne, la lumière n’est ni onde ni corpuscule…

La “Newsletter” de l’émission scientifique de France-Inter, La tête au carré, annonçait fin janvier que « Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, est convaincue que la biologie sera la science du XIXe siècle » (sic). On comprend que, devant la difficulté de prédire l’avenir, les responsables politiques préfèrent imaginer le passé.

Encore une preuve, s’il en fallait, qu’il est impossible de distinguer ce qui au cœur de la science, relève de connaissances utiles et d’applications néfastes. Sait-on que le projet de décryptage du génome humain a trouvé l’une de ses sources essentielles au cours des années 80 dans les études des effets génétiques dus à la radioactivité chez les survivants aux bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki et leurs descendants, études menées par le Department of Energy états-unien (voir R. Cook-Degan, The Gene Wars. Science, Politics and the Human Genome, Norton, 1994) ? Bertrand Jordan le rappelle dans l’une de ses passionnantes « Chroniques génomiques » pour la revue Médecine/Science, n° 30 : 211-213, 2014, portant sur « Les leçons inattendues de Hiroshima ». Ces leçons, à savoir la surprenante résistance de l’espèce humaine aux effets à long terme des radiations, valent réflexion et susciteront sans doute bien des débats.

Un bel hommage à l’astronomie dans un excellent film noir de R. Siodmak, d’après une nouvelle de E. Hemingway, « The Killers » (1946). En prison, un vieux détenu, Charleston (Vince Barnett), raconte à Ole Anderson, dit le Suédois (Burt Lancaster), en lui montrant Sirius à travers les barreaux, sa passion pour le ciel de nuit, les étoiles et les constellations, qui lui permet de garder au moins son esprit en liberté. Et, en prime, une étoile de Hollywood : la sublime Ava Gardner.

Du grand mathématicien indien Bhaskara (1114 - v.1185), auteur d’une démonstration visuelle célèbre du théorème de Pythagore (voir la figure ci-contre que Bhaskara accompagnait du seyul commentaire : « Contemplez ! »), cette citation :

« Une particule d’instruction apporte la science dans un esprit ouvert, et, l’ayant atteint, s’y développe par sa propre puissance. Comme une goutte d’huile déposée sur l’eau, comme un secret confié au vulgaire, comme une aumône accordée au méritant, aussi infimes soient-ils, ainsi la science infusée dans un esprit sage se répand-elle d’elle-même. »

Si, selon le Savant flou, « la science, c’est l’art de transformer les questions jusqu’à ce qu’elles aient une réponse », alors « la vulgarisation scientifique, c’est l’art de re-transformer les réponses jusqu’à re-trouver les questions ».

Voici exactement un siècle qu’en 1914, avant le début de la Première guerre mondiale, H. G. Wells publiait un très étrange ouvrage d’anticipation, The World Set Free. Sous-titré en toute simplicité A Story of Mankind, Wells y anticipait explicitement le développement des bombes atomiques. Wells connaissait les travaux de Rutherford, Soddy, Ramsay, mais qui, à cette époque étaient bien loin de permettre le développement de l’armement nucléaire. Il décrit ce qu’il annonce comme la « dernière guerre » de l’humanité, suivie d’une ère nouvelle de paix et de gouvernance mondiale. Si ce happy end reste pour le moins optimiste, les diagnostics de Wells sur la situation de son temps, qui reste le nôtre, valent la peine d’être lus : « (…) La structure politique du monde retardait extraordinairement sur l’intelligence collective. (…) Il n’y avait pas eu de grands changements dans les méthodes et règles politiques et juridiques. Tout au plus avait-on vu quelques déplacements de frontières et réajustements des procédures, alors que dans pratiquement tous les autres aspects de la vie, avaient eu lieu des révolutions fondamentales et d’énormes élargissements de perspectives. L’absurdité des tribunaux et la médiocrité des gouvernements élus, couplés à l’ouverture de vaste champs d’occasions offertes dans d’autres directions avaient écarté des affaires publiques les meilleures intelligences. Tout comme la religion, la politique ne recrutait plus que des esprits de second ordre. (…) L’autorité ne reposait plus que dans les mains que d’hommes communs et ambitieux, aveugles quant aux nouvelles possibilités et attachés aux traditions du passé. » Le livre est disponible gratuitement sur http://www.gutenberg.org/ebooks/1059

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Pour citer cet article

Zéphyrin Xirdal, « La Chronique du savant flou  », paru dans Alliage, n°73 - Mars 2014, La Chronique du savant flou , mis en ligne le 28 juillet 2015, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=4199.

Auteurs

Zéphyrin Xirdal

« tant au physique qu’au moral, un personnage peu ordinaire », Jules Verne, in La chasse au météore, Hetzel, 1908 (pp. 95-112).