Alliage | n°73 - Mars 2014
Victor Depardieu :
Duchenne de Boulogne, un nouveau praxitèle ?
p. 71-80
Plan
- La mise en place d’une technique
- Essai clinique et anatomie du vivant
- De l’utilité dans les beaux-arts
- De Duchenne de Boulogne aux techniques modernes
- Bibliographie indicative
Texte intégral
Guillaume Duchenne de Boulogne Considérations générales sur la mécanique de la physionomie (Inédit de 1856-1857 à l’occasion du prix Volta. Édité dans La fabrique du visage, dirigé par F. Delaporte, E. Fournier et D. Devauchelle, édition Brepols.) Introduction Le visage de l’homme est destiné à reproduire les divers états de son âme, que les passions ou les affections font réagir sur telle ou telle fibre nerveuse centrale. L’excitation de ces fibres transmise à la périphérie par l’intermédiaire de conducteurs nerveux (les nerfs) met en jeu certains muscles de la face. De là naît l’expression. Tel est, chez tous les peuples et à tous les âges, le mécanisme physiologique de la physionomie en mouvement. Non seulement l’homme possède le don divin de révéler les passions qui l’agitent par cette sorte de transfiguration de l’âme, mais il est aussi doué au plus haut degré de la faculté de sentir et de comprendre les expressions extrêmement variées qui viennent se peindre successivement sur la face de ses semblables. Ce sont des facultés instinctives qu’il possède en naissant. Ainsi, l’enfant comme l’adulte, le sauvage comme l’homme civilisé comprennent le rire ou le pleurer aussi bien qu’ils les expriment ; il en est de même pour les autres passions ou affections qui sont seulement modérées par l’éducation ou la civilisation. Celle-ci va même jusqu’à les dissimuler et trouble ainsi l’œuvre admirable de la nature. Il ressort donc de ce qui précède que le jeu de la physionomie, dont le moteur unique est l’âme, constitue une sorte de langage universel. (…) Depuis une dizaine d’années, en effet, j’expérimente sur l’homme vivant, ou à l’état de cadavre dont l’irritabilité n’est pas encore éteinte, sur des sujets de tous les âges, provoquant la contraction des muscles de la face, soit isolément, soit par groupes combinés de mille manières, pour faire parler le langage de l’expression. Je désignerai ce genre de recherches auxquelles l’âme reste entièrement étrangère sous le titre de Mécanique de la physionomie pour indiquer que c’est seulement une force physique qui me sert à produire ce jeu musculaire périphérique, la force électrique que je puis maîtriser et localiser dans les organes. Dans l’espoir de faire mieux comprendre la nature et de saisir la portée de mes recherches électro-physiologiques sur la physionomie, je vais dans ces prolégomènes exposer quelques considérations : 1° sur l’origine de mes expériences ; 2° sur la manière de les pratiquer ; 3° sur leur exactitude ; 4° sur les faits généraux qui en ressortent ; 5° sur leur utilité du point de vue anatomique, physiologique et psychique ; 6° sur leur applications aux beaux-arts. * Mécanisme de la physionomie humaine ou analyse électro-physiologique de l’expression des passions (Ed. Baillière et fils, 1876.) Préface « Lorsque l’âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d’énergie, où chaque mouvement de l’âme est exprimé par un trait, chaque action par un caractère dont l’impression vive et prompte devant la volonté, nous décèle et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos plus secrètes agitations. » (Buffon, Histoire de l’homme) L’âme est donc la source de l’expression ; c’est elle qui met en jeu les muscles et qui leur fait peindre sur la face, en traits caractéristiques, l’image de nos passions. En conséquence, les lois qui régissent l’expression de la physionomie humaine peuvent être recherchées par l’étude de l’action musculaire. C’est un problème dont je cherche la solution depuis bien des années, provoquant, à l’aide de courants électriques, la contraction des muscles de la face, pour leur faire parler le langage des passions et des sentiments. « L’expérience, dit Bacon, est une sorte de question appliquée à la nature pour la faire parler. » Cette étude attentive de l’action musculaire partielle m’a révélé la raison d’être des lignes, des rides et des plis de la face en mouvement. Or, ces lignes et ces plis sont justement les signes qui, par leurs combinaisons variées, servent à l’expression de la physionomie. Il m’a donc été possible, en remontant du muscle expressif à l’âme qui le met en action, d’étudier et de découvrir le mécanisme, les lois de la physionomie humaine. Je ne me bornerai pas à formuler ces lois ; je représenterai par la photographie les lignes expressives de la face pendant la contraction électrique de ses muscles. En résumé, je ferai connaître par l’analyse électro-physiologique et à l’aide de la photographie l’art de peindre correctement les lignes expressives de la face humaine, et que l’on pourrait appeler orthographe de la physionomie en mouvement. |
Fig.1: Guillaume Duchenne de Boulogne (1806-1875) "Contraction des frontaux avec la bouche ouverte; étonnement"
1Pionnier dans ses essais cliniques et ses expériences physiologiques, Duchenne de Boulogne l’est autant sur le plan de la technique. Son originalité, dans ce qu’il nomme « analyse électro-physiologique », est non seulement l’utilisation d’un courant électrique non continu et de faible tension pour agir directement sur les muscles du visage, mais surtout l’emploi de la photographie comme médium, comme moyen de « fixer » l’expérience scientifique.
2C’est à travers cette mise en place d’une technique doublement nouvelle, l’électricité et la photographie, que nous pourrons mettre en valeur l’originalité de sa démarche, la nouveauté de ses expériences et la rupture provoquée par ses travaux cliniques sur la physiologie, sur ce qu’il nomme « anatomie du vivant » et sur tout ce qu’il en conclue. Passé ce pan scientifique, c’est le souci artistique de Duchenne de Boulogne qui frappe, non seulement dans son utilisation de la photographie, mais aussi dans la récurrence de cette « utilité dans les beaux-arts » qu’il attribue à ses travaux et qu’il ne cesse d’expliciter.
3C’est à ce niveau que nous pourrons, avec toute la distance nécessaire et en s’appuyant sur ce médecin « artiste » qui cherche constamment à élargir l’application de ses recherches à l’art, avancer l’idée que Duchenne de Boulogne compose un nouveau canon de l’expression humaine, que c’est en véritable Praxitèle qu’il explore les émotions, invente leur « orthographe » et leur « grammaire » vraies, scientifiquement prouvées et directement effectives dans les « beaux-arts ». Pour conclure cet exposé, nous tenterons de faire un parallèle entre les travaux et les réflexions de Duchenne de Boulogne et les techniques d’imagerie médicale modernes, notamment à travers l’exemple de l’Imagerie par Résonance Magnétique.
La mise en place d’une technique
4La photographie, « aussi fidèle que le miroir », devient pour Duchenne le support clef pour montrer ses expériences, faire voir ses résultats, comme si on y assistait directement. Il donne à cette « vérité photographique », cette exactitude de miroir, une grande valeur en tant que « preuve ». L’introduction citée dans le corpus est issue d’un texte envoyé pour le Prix Volta de 1857, récompensant l’usage le plus utile de l’électricité dans les sciences ; plus qu’un nouveau mode de soin, Duchenne détourne l’usage de la stimulation électrique, la localise précisément dans certains muscles, provoque leur contraction, compose des expressions et les photographie. L’électricité remplace, pourrait-on dire, la volonté, elle provoque une vérité des expressions, une exactitude de la contraction musculaire, facilement modulée, qui pourra ensuite être montrée, donnée à voir ; l’artifice technique est donc double : sa pile Volta et ses « réophores » (tiges par lesquelles le courant passe) joints à l’usage de la photographie. Il ne faut pas non plus oublier l’« élément humain » : ces expériences n’étaient pas indolores, les réactions des « sujets » faussaient les résultats. Ce qui a permis à Duchenne de Boulogne de mener à bien ses travaux fut le sujet ci-dessus, un vieux cordonnier dont la sensibilité nerveuse au niveau du visage était quasi nulle. On trouve des rumeurs selon lesquelles il disparut ensuite ; Duchenne embarrassé se tourne alors vers d’autres sujets, notamment féminins, et essaie de leur donner des expressions qu’il juge « propre à leur sexe », ce qui donne lieu à de nouvelles mises en scènes, plus ou moins réussies.
5Cet usage de l’électricité est donc totalement nouveau : l’anatomie se fera sur le vivant, et non simplement sur un cadavre ; elle respecte la structure des muscles, permet des réactions et des observations impossibles sur un organisme mort. Il en va de même pour la photographie : Duchenne se montre très porté sur le matériel photographique, soucieux de ses capacités de reproduction. Il s’inquiète des flous, des déformations optiques, des temps de pose photographique, mais aussi de la lumière, des rendus, des « ambiances » de ses clichés. Il précise bien qu’aucune retouche n’a été effectuée, que ce qui est montré est ce qui a eu lieu. Véritable auto-didacte, parfois aidé d’Adrien Tournachon, frère de Félix Tournachon dit Nadar, il préfère apprendre le métier de photographe pour être sûr de « bien rendre » les émotions qu’il veut montrer. Il monte ainsi son propre atelier photographique (peut-être même à la Salpêtrière) et réunit tout le matériel nécessaire.
6Lier ses travaux avec l’histoire de la photographie éclaire étonnement ses problèmes : les temps de pose, à l’époque, étaientt en effet très longs (de vingt à trente secondes) et les contractions musculaires ne pouvaient être maintenues aussi longtemps sans provoquer une grande douleur ou un relâchement musculaire. Duchenne essaie alors des objectifs allemands, ou des nouveautés à « court foyer », c’est-à-dire pouvant réduire le temps de pose (qui devaient, à l’époque, coûter une fortune). De même ses photographies sont aussi rendues possibles par l’invention du collodion humide, en 1851, qui réduit encore la durée de la prise de vue et permet un tirage plus détaillé, plus nuancé. On imagine donc la complexité de la mise en œuvre de ce processus photographique, de sa difficulté à sa lenteur.
7L’étude de Duchenne de Boulogne comme photographe éclaire non seulement cette passion, assez rare à l’époque compte tenu du coût et de la difficulté des prises de vues, mais aussi ses travaux scientifiques. Sans photographies ses observations seraient ou difficiles ou impossibles, de même pour le partage, la publication de ses travaux : la photographie devient le meilleur moyen de faire connaître ses recherches, de les montrer dans leur plus simple vérité. Il revient ainsi à de nombreuses reprises sur son « avant-gardisme » et l’originalité, la nouveauté totales de ses médiums comme de ses recherches, ce qu’il ne manque pas de rappeler au long de ses ouvrages.
Essai clinique et anatomie du vivant
8La recherche picturale, l’art photographique devient inséparable de l’essai clinique. Dans ses « recherches électro-physiologiques et pathologiques », Duchenne cherche à saisir un visage, des émotions et par là analyser, comprendre et théoriser toute leur causalité, qu’il catégorise selon les muscles, les nerfs, l’« âme ». Par cette approche biologique, il cherche à élucider le mécanisme de la physionomie humaine, et c’est en abandonnant la physionomie et l’étude anatomique sur le cadavre qu’il révèle le visage comme un instrument d’une fonction d’expression, inhérente à un langage des passions, traduit sur la physionomie. C’est donc véritablement une science nouvelle qu’il cherche à fonder, ou, comme il le dit, une « grammaire et orthographe de la physionomie humaine ». François Delaporte parle d’un « déblocage épistémologique », grâce à ce nouveau mode d’expérimentation, de recherche et d’observation. En effet, la démarche du médecin prime dans ces travaux : Duchenne veut avant tout montrer, par cette « orthographe des émotions », que chaque muscle se fait signifiant d’une expression de l’« âme ». L’étude des causes physiques des expressions et de leurs mécanismes relève avant tout de l’anatomie, de la physiologie, elle doit aboutir comme véritable étude scientifique à un « langage », à ce que les expressions veulent dire, ce qui n’est pas séparable d’un « comment » elles le disent.
9L’approche biologique, anatomique de Duchenne de Boulogne, certes inséparable dans ses travaux de l’approche photographique, se veut avant tout scientifique : ce qui est à étudier reste le mécanisme de la physionomie humaine, la fonction d’expression du visage appréhendée à travers l’étude anatomique (« vivante ») des muscles et des nerfs. L’« électro-physiologie » est donc bien un « déblocage » : Duchenne rompt avec l’anatomie, la myologie classique, qui s’en tenaient à l’étude exhaustive du cadavre. Il rompt aussi avec les « conclusions classiques », à savoir la physiognomonie : l’étude des traits du visage n’a pas pour but de « dévisager », d’ergoter sur la personnalité d’un individu, de comprendre son caractère et d’en faire une science – mais, par l’observation anatomique stricte, elle ne peut que révéler les moyens d’expressions d’une émotion, causée physiquement et physiologiquement par les muscles, les nerfs et l’« âme ». Rien n’est donc lié à la « personnalité », au « caractère » de l’individu, que l’observation ne fait pas deviner. Duchenne de Boulogne limite donc l’interprétation de la physionomie, il la rend à ce qu’elle est vraiment ou à ce qu’il veut vraiment en faire, à savoir une science déjà plus « scientifique » que la physiognomonie : l’électricité remplace la volonté, la stricte observation remplace des conclusions jusque-là devinées.
De l’utilité dans les beaux-arts
10La « vérité » de cette étude et les conclusions sur les expressions pourront néanmoins être mise en cause. Duchenne nomme et différencie avec assurance les différentes expressions qu’il observe, mais, lorsqu’on regarde ses portraits, un sentiment d’ambiguïté naît fréquemment ; on pourrait voir que les expressions ne sont pas toujours claires, équivoques, que les émotions imprimées ne concordent pas toujours avec ce qui en est conclu.C’est le cas, par exemple, du « bonheur maternel mêlé de douleur », mise en scène photographique du Mécanisme de la physionomie humaine : le visage de la femme photographiée semble plutôt exprimer un mélange de douleur, de surprise et de gêne. La conclusion au « bonheur maternel » ne se fait que, dans la mise en scène, par la présence d’un landeau. Pourtant cette note discordante nous ramène à Duchenne de Boulogne comme portraitiste, soucieux d’accorder ce qu’il voit, ce qu’il met en scène. Rien n’est oublié dans la composition de la photographie, et principalement l’utilisation de la lumière : aux émotions fortes une lumière forte, à la méchanceté, la douleur, l’effroi, un clair-obscur, qui renforce le portrait, « rappelle la manière de Rembrandt »1, dont Duchenne essaie comme de moderniser sa Leçon d’anatomie. Son perfectionnisme et sa passion de la technique en font un portraitiste étonnant et le font frôler, pourrait-on dire, le détournement, la non-vérité de ce qu’il veut montrer, de ce qu’il croit voir et de la façon dont il le donne à voir. Peut-être trop soucieux de la valeur de ses portraits, c’est comme si, parfois, il se trompait quant à la signification des émotions, voire qu’il les détournait.
11C’est ainsi que l’on pourrait mettre en valeur l’idée selon laquelle Duchenne de Boulogne compose son propre canon des expressions, des émotions humaines et de la façon dont elles sont données à voir, de leurs significations liées à leurs transcriptions. Tout comme Praxitèle a mesuré les dimensions des nus les plus beaux et a donné, par une moyenne, des dimensions idéales, « canoniques » – Duchenne, par la palette des émotions qu’il observe, décrit et photographie, compose à son tour un nouveau « canon » de l’expression (anatomique) humaine. En faisant connaître la « raison d’être » des expressions humaines par l’analyse anatomique et « électro-physiologique » des différents modes d’expressions, il veut en montrer la vérité, faire voir comment ces émotions s’expriment réellement. Ainsi il ne cesse de vouloir appliquer ses résultats scientifiques aux « beaux-arts », de montrer leur utilité directe dans la connaissance de l’expression des émotions. Ces portraits « pourront être d’une grande utilité »2 dans l’étude artistique de la physionomie, que les peintres ou les sculpteurs puissent « éviter » certaines aberrations ou faussetés.
12Contre le « défaut de connaissances suffisantes sur les lois du mécanisme de la physiologie en mouvement », la méthode de Duchenne se veut capable de
« formuler à coup sûr les règles qui doivent guider l’artiste dans la peinture fidèle et complète des mouvements de l’âme, les règles de l’orthographe de la physionomie en mouvement. »
13Cette connaissance scientifique qu’il dégage pourra ainsi « empêcher ou modérer les écarts de l’imagination », les erreurs des « maîtres de l’art », qui ne se contentent pas de la stricte observation de la physionomie (ou de l’étude trop approfondie d’une « mauvaise » anatomie). Duchenne montre alors les erreurs artistiques au niveau de la physionomie, avec, par exemple, l’étude du Laocoon, « faux » du point de vue anatomique, son front étant « impossible », ne concordant pas avec son expression globale. Par l’étude de ses portraits, les artistes pourront ainsi corriger les expressions qu’ils donnent à leurs personnages, les rendre plus véridiques. C’est dans ce sens que l’on parlera d’un « canon » des expressions, lié à un réalisme esthétique et anatomique fort – puisque l’on passe de la description des expressions à leur prescription. Déterminé par cet idéal esthétique plus que réaliste, il se donne comme un statut « canonique », « pontifiant » pour les professeurs d’art. Il se veut la meilleure référence possible pour les artistes, qui doivent pouvoir, par l’étude, échapper à leur sensibilité et à ses erreurs, à leurs « mauvaises observations » de la nature humaine.
Fig.2: Image IRM d'un cerveau. Tirage contact gélatino-argentique.
De Duchenne de Boulogne aux techniques modernes
14Nous pouvons alors essayer de faire comme parallèle entre les moyens techniques de Duchenne, de son usage de l’électricité et de la photographie, et des techniques modernes d’imagerie médicale, que ce soit par la scanographie ou tomodensitométrie ou par la résonance magnétique. Sans parler des dangers éventuels de l’un, ces moyens modernes possèdent en effet quelques points communs. L’idée est de voir que l’originalité et les finalités de Duchenne de Boulogne sont comme les mêmes que celles d’aujourd’hui, que sa modernité peut être retranscrite ici, tout comme ses buts scientifiques.
15La mise en place technique, par exemple, exige certes un niveau d’évolution et de compétence incroyablement plus élevé, mais comparable aux découvertes de l’électricité et de la photographie, grandes innovations techniques et scientifiques de l’époque. Duchenne a le premier l’idée d’utiliser la photographie dans la médecine, à son bénéfice, ce qui va jusqu’à l’utilisation actuelle des images médicales, des radiographies aux images IRM, qui facilitent grandement tout diagnostic, tout soin, toute recherche. La finalité de nos moyens modernes n’a pas changé depuis les expériences « électro-physiologiques » et leur fixage sur un support stable : le but est toujours d’obtenir une image qui puisse être montrée, étudiée, ne subissant aucun changement ou altération dans la durée. En cela on peut aussi reconnaître l’utilité limitée des portraits électrifiés face à la moindre radiographie, la finalité médicale et l’objet n’étant pas les mêmes : Duchenne reste comme à la surface du corps, analysant et étudiant les muscles et les nerfs. Il serait pourtant trop simple d’en conclure à sa désuétude, l’écart des moyens techniques étant trop élevé.
16La seconde figure présentée est une image IRM d’un cerveau, obtenue par tirage contact (la planche d’images obtenues est placée sur une feuille de papier argentique exposée à la lumière, développée ensuite selon un processus classique). Pour obtenir cette coupe, on injecte d’abord un produit de contraste dans le système vasculaire du patient (ce qui, passé l’aiguille de la seringue, propage une sensation de froid dans tout le corps, le produit étant gardé à basse température) ; le patient est ensuite allongé et placé dans le tunnel de l’aimant de l’IRM, la tête bloquée (par l’« antenne volumique »), et il subira pendant un certain temps une grande perturbation acoustique, due justement au fonctionnement et au déplacement de l’aimant. L’image produite sera alors analysée numériquement, fixée sur un support physique et examinée par le médecin. Si on compare tout ce processus aux moyens de Duchenne de Boulogne pour maintenir ses sujets le temps de la pose, à ses « réophores » et au courant qu’ils diffusent puis à la photographie finale difficilement obtenue, on peut, à nouveau, conclure à une certaine proximité avec l’imagerie médicale moderne.
Bibliographie indicative
17De Duchenne de Boulogne :
18Considérations générales sur la mécanique de la physionomie
19Mécanisme de la physionomie humaine ou analyse électro-physiologique de l’expression des passions
20On trouve ces textes facilement en versions numérisées. Les introductions sont plus soignées et d’une portée souvent plus intéressantes que les descriptions des essais cliniques, Duchenne de Boulogne reste avant tout un médecin et un anatomiste et la lecture des parties médicales est aride pour qui ne possède pas ces connaissances. Nous avons privilégié l’étude des textes portants sur la mise en place d’une technique, d’une expérimentation clinique et des conclusions qui en sont tirées, ainsi que les ouvertures aux « beaux-arts », les applications possibles chères à Duchenne.
21Sur Duchenne de Boulogne :
22La fabrique du visage, de la physiognomonie antique à la première greffe, avec un inédit de Duchenne de Boulogne. Dirigé par François Delaporte, Emmanuel Fournier et Bernard Devauchelle, édition Brepols, 2010.
23Duchenne de Boulogne, catalogue d’exposition dirigé par Catherine Mathon, ENSBA, 1999.
24Un grand nombre d’ouvrages dont la réflexion porte sur l’expression, le visage, les émotions, etc., font référence aux travaux et aux photographies de Duchenne de Boulogne ; néanmoins il y en a peu qui l’étudient de façon détaillée, exhaustive. Pour cela, La fabrique du visage est une synthèse intéressante, qui place Duchenne dans une continuité historique et des problématiques actuelles. Les différents articles qui lui sont consacrés n’oublient pas le pan scientifique ni le cadre historique, la portée artistique éventuelle ou encore les problèmes toujours en vigueur que Duchenne soulève.
25Le catalogue d’exposition dirigé par Catherine Mathon reste la meilleure ressource iconographique. A côté d’articles consacrés à ses recherches, on trouve les « albums » des photographies de Duchenne de Boulogne dans leur intégralité, des « ovales » ou des portraits qui étaient reproduits en taille réelle, destinés aux artistes ou aux professeurs de morphologie.
26Veuillez retrouver les illustrations sur la version imprimée.
Notes de bas de page numériques
1 Avertissement du Mécanisme de la physionomie humaine.
2 Considérations générales sur la mécanique de la physionomie.
Pour citer cet article
Victor Depardieu, « Duchenne de Boulogne, un nouveau praxitèle ? », paru dans Alliage, n°73 - Mars 2014, Duchenne de Boulogne, un nouveau praxitèle ?, mis en ligne le 27 juillet 2015, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=4186.
Auteurs
Il a fait des études de philosophie politique (Paris-iv Sorbonne) en s'attachant principalement à Spinoza, et de littérature moderne (université de Rouen), sur la correspondance de Flaubert. Il travaille actuellement dans l'édition (Gallimard).