Alliage | n°72 - Novembre 2013 Technobuzz 

Leny Patinaux et Sacha Loeve  : 

Cloud Computing : l’électronique dans les nuages

p. 59-73

Plan

Texte intégral

« L’industrie du cloud computing va occuper dans les prochaines années la position qu'occupait la production du charbon et de l’acier après la guerre : celle d’une industrie stratégique qui irrigue l’ensemble de notre économie. »1

1Aussi appelé « informatique en nuage », « informatique dans le(s) nuage(s) » ou encore « infonuagique », le cloud computing désigne l’externalisation des ressources informatiques sur l’internet : infrastructures, mais aussi logiciels et données. Comble du buzzword, pourrait-on dire, puisqu’avec lui, « contenu » (informatique en nuage) et pratique discursive (fonctionnement en nuage) du buzzword semblent se dissoudre l’un dans l’autre ! Si un buzzword se définit moins par les entités matérielles auxquelles il prête son nom que par ce qu’il fait et ce qu’il vend, alors le cloud computing pousse le bourdonnement du discours nuageux jusqu’à l’autoréférentialité, puisque précisément, ce qu’il vend, ce n’est rien d’autre qu’une informatique prétendant faire l’économie de la matérialité de ses objets.

Fig1. Nuage de mots-clés du nuage

2On pourrait dire de l’infonuagique qu’elle veut « sublimer2 l’informatique : virtualiser le plus possible sa part matérielle pour connecter les usagers et ce qui leur reste de matériel à une nébuleuse d’« énergie numérique » quasi illimitée. Puissance et légèreté ne feraient qu’un. L’ordinateur se réduirait à un simple terminal sans mémoire, une interface ultramince utilisant la puissance distribuée du nuage et son espace ubiquitaire, flottant, mouvant, aérien, diffus, léger, évanescent, propre, écologique, et quasi immatériel. Comme tous les buzzwords de la technoscience, le cloud computing est présenté simultanément comme futur et comme déjà là. Stratégique pour l’économie et nécessaire pour répondre aux besoins accrus en information,3 l’avènement de cette « cinquième génération de l’informatique »4 est réputé inéluctable.5 Cette nouvelle tendance est présentée simultanément comme l’aboutissement naturel de l’évolution des usages de l’informatique en réseau, puisque

« à son niveau le plus élémentaire, le « nuage » n’est autre que l’internet, ou plutôt les innombrables serveurs – des ordinateurs connectés en réseaux – qui l’hébergent un peu partout dans le monde. »6

3Le cloud computing ne procéderait donc d’aucun autre choix que celui d’une amélioration continue de l’efficacité, du confort d’usage et de la qualité des services offerts par le réseau – amélioration rimant incontestablement avec dématérialisation. Ainsi, tout en se présentant comme une nouveauté radicale, le cloud computing entérine le grand récit de l’informatique comme progrès de la dématérialisation.

Fig2. Connexion au nuage

4Si le discours du nuage nous enfume, on aurait toutefois tort de vouloir considérer le cloud computing comme un simple rideau de fumée. Loin de chercher à dissiper le nuage pour éclaircir ce qui relèverait d’une fumisterie marketing de plus, on cherchera ici à percer les logiques économiques, sociales et politiques qui sous-tendent le cloud computing et les alternatives qu’il obscurcit. On montrera en particulier que le discours du nuage fait écran à un enjeu majeur : celui de la tendance actuelle à la reterritorialisation de l’internet.

5Veuillez retrouver les illustrations sur la version imprimée.

Les nuages passent, mais rien de nouveau sous le soleil ?

6Sous l’appellation générique cloud computing, on trouve différents types de services sur le net :

7— Le logiciel en tant que service (SaaS : Software as a Service) désigne la location d'un logiciel, installé « dans le nuage », c'est-à-dire sur un serveur appartenant au fournisseur du service. Il permet d’utiliser, ou plutôt de louer, des programmes nécessitant une grande capacité de mémoire et de calcul à partir de machines de puissance et de capacité modeste. Le logiciel en SaaS n'étant pas installé sur le matériel propre de l'utilisateur, il ne nécessite pas d'équipement spécifique et permet de disposer à chaque utilisation de la dernière version du logiciel.

8— L’infrastructure en tant que service (IaaS : Infrastructure as a Service), désigne la location d’infrastructures matérielles de stockage et de calcul. Cela permet, par exemple, de disposer d’une grande puissance de calcul pour utilisation ponctuelle. Le matériel loué n'est pas physiquement en possession de l'utilisateur : il reste chez le prestataire de service et l'utilisateur y accède par l’internet.

9— La plateforme en tant que service (PaaS : Platform as a Service) désigne l’association de Saas et IaaS pour mettre à disposition un ensemble matériel (espace de stockage et puissance de calcul) et un ensemble de logiciels. Il s’agit d’externaliser ce que l’on appelait encore il y a peu le « progiciel de gestion intégrée » des entreprises. En délocalisant leur « environnement numérique de travail » dans le nuage, qui devient alors accessible partout par connexion à l’internet, les entreprises peuvent ainsi minimiser leurs investissements dans le matériel et le logiciel et forfaitiser leurs coûts informatiques sous forme de frais de fonctionnement – ce qui, en période de crise, est plutôt bien vu et peut expliquer en partie l’engouement actuel pour l’infonuagique.

10— D’autres variantes en ...aaS plus marginales existent également : Data, Computing, Communications, Security, etc. …as a Service.

11Le buzz du cloud computing suggère une innovation technologique majeure, digne de l’introduction de l’internet. Or les logiciels des SaaS et les serveurs de l’IaaS reposent sur des technologies qui ne diffèrent pas sensiblement de l’internet tel qu’on le connaît (protocoles d’interconnexion, commutation par paquets, architecture en couches, adressage, routeurs, transfert de données, bases de données décrites par métadonnées, etc.).

12Si le cloud computing ressemble à s’y méprendre au vieil internet, l’externalisation de l’informatique qu’il propose contribue toutefois à redessiner la structure du réseau et la distribution des capacités de calcul et de stockage : celles-ci ne sont plus concentrées dans les machines des utilisateurs, mais louées et situées dans des serveurs extérieurs.

13Il y a peu, chaque nouvelle génération d'ordinateurs était plus puissante et dotée de davantage de mémoire que la précédente. Le cloud computing infléchit ce modèle de développement hérité de la loi de Moore, puisque l’augmentation des performances des ordinateurs n’est plus endossée que par les prestataires de service d’infonuagique. Ainsi, le cloud computing est-il solidaire de la vogue actuelle pour ces équipements informatiques mobiles de puissance modeste dont la vocation première est d’accéder à l’internet (smartphones, mini-ordinateurs, tablettes...).

14Leurs «  applications » ne sont pas de simples logiciels, mais aussi et surtout des services commerciaux faisant émerger un internet parallèle semblable à un réseau de pipelines en circuit fermé. L’usage de ces équipements mobiles contribue ainsi à faire accepter la logique de « servicisation » de l’internet portée par le cloud.

15Ainsi, certains préfèrent-ils parler, tout simplement, d’« informatique distante ».7 Pour le National Institute of Standards and Technology des États-Unis (nist)

« le cloud computing est une nouvelle façon de délivrer les ressources informatiques, et non une nouvelle technologie. »8

16Pour Hewlet Packard, il est « Everything as a Service » :

« À travers le cloud, tout sera délivré en tant que service, de la puissance de calcul aux opérations de business, en passant par les interactions personnelles. »9

17L'attractivité de ce buzzword doit ainsi être comprise par son inscription dans l'engouement actuel pour l'économie de services, appelée à la rescousse alors que l'économie des biens matériels piétine.

18De plus, si le discours du nuage parle d’usages innombrables, ce sont fondamentalement les mêmes que ceux de l’informatique traditionnelle : la différence majeure réside dans la déportation des machines qui stockent et traitent l’information.10

Une nuée de multinationales

Fig4. The cloud

19Si le nuage fait tant parler de lui, alors qu'il ne représente pas une radicale nouveauté technologique, c'est parce que les services qu’il propose sont d’abord destinés aux entreprises et représentent un enjeu économique crucial. En effet, il n’a pas fallu attendre le cloud computing pour stocker des données sur l’internet – des photos de vacances, par exemple. En revanche, c’est lorsque les multinationales et les États ont envisagé de faire changer d’échelle cette pratique pour asseoir un nouveau modèle économique que le discours du nuage est venu embrumer la toile. Celui-ci permet de créer le buzz tout en atténuant les enjeux stratégiques dont il est porteur.

20Les ressources sont externalisées, « ailleurs ». Les machines, délocalisées, « dans le nuage »… Mais encore ? Avec le modèle de développement en cloud promu par les géants tels qu’Amazon, Microsoft, Google, Facebook ou Yahoo, « externalisation » signifie aussi « centralisation » des capacités de stockage et de calcul. Le cloud computing repose en fait sur la construction d’énormes « fermes de serveurs » (data farms, data centers ou data warehouses) qui abritent les machines lui permettant de fonctionner.11 La Chine serait même en train de construire une ville consacrée au cloud computing dans la province de Hebei, avec un mégacentre de données de six cent mille mètres carrés afin d’accroître son « indépendance numérique » et de « garder la main sur l’internet ».12 Le cloud computing a ainsi une réalité bien matérielle, qui requiert notamment d’énormes quantités d’électricité.

21Par l’utilisation des buzzwords « énergie numérique » pour qualifier la production de services de cloud ou encore « usine numérique » pour désigner les fermes de serveurs, l’analogie entre la production d’électricité et celle de « services numériques » est rendue évidente, mais en des sens différents pour les utilisateurs individuels, pour les producteurs et pour les entreprises utilisatrices. Sous prétexte que l’énergie et les usines en question sont « numériques », l’utilisateur est invité à ne pas se préoccuper de leur matérialité, celles-ci produisant et distribuant des services qui s’apparentent fortement aux applications disponibles dans les années 2000 sur un ordinateur personnel connecté à l’internet. Pour le fournisseur au contraire, ces expressions signifient que les problématiques de gestion des systèmes d’information rejoignent celles des systèmes de production et de distribution d’énergie. « Économie d’échelle », « gestion du réseau » ou « qualité du service » autant de préoccupations communes à ces deux industries. Au-delà de ces similarités, l’opposition entre un modèle centralisé de la production d'énergie et une délocalisation de la production à proximité des lieux d’utilisation est également commune à la production d’électricité et à l’informatique. Quant aux entreprises, elles sont censées comprendre qu’acheter de l’« énergie numérique » au lieu de gérer soi-même le dimensionnement, la sécurité et la maintenance de leurs infrastructures est aussi logique et rentable que d’acheter son électricité au lieu chercher à la produire soi-même.

22Les questions concernant la sécurité des données sur l’internet sont eux aussi bien antérieures au cloud computing. Cependant, elles se posent désormais sous un angle nouveau, comme un problème de stratégie bien plus que de privacy. En effet, le cloud computing étant avant tout destiné aux entreprises et aux administrations, la concentration de leurs données dans quelques fermes de serveurs en fait des lieux hautement sensibles. Les protéger d’attaques de hackers ou de dégâts matériels est ainsi capital. Aujourd’hui, le plus gros data center français en construction qui doit héberger deux cent vingt mille serveurs dans onze mille mètres carrés, est relié au réseau électrique par deux alimentations distinctes et équipé de six turbines à fioul sur son toit pour affronter à une éventuelle coupure d’électricité qui paralyserait cette usine numérique.13 D’autre part, la possibilité qu’offre le cloud computing de louer de grandes puissances de calcul inquiète également le monde de la sécurité informatique. En effet, les codes et les systèmes de cryptage qui protègent les données numériques datent d’un temps, pas si lointain, où la capacité de calcul dont pouvaient raisonnablement disposer des hackers était relativement limitée. Aujourd’hui, l'utilisation de services de cloud permet de cracker la plupart des connexions wifi en moins de dix minutes pour un coût d'environ un euro.14 En 2011, Playstation Network a été attaqué à l’aide des infrastructures d’Amazon et des dizaines de milliers de coordonnés bancaires ont été dérobées. Étant donné que les serveurs utilisés par les pirates soient situés dans des pays aux législations spécifiques et qu’une fois le service loué rendu, il est quasiment impossible d'en retrouver la trace, cela n’en augmente que davantage les inquiétudes autour de l’infonuagique.

23L’informatique dans les nuages est ainsi paradoxalement une concentration de l’informatique. Le matériel et les logiciels qui conditionnaient la possibilité d’usages autonomes se voient ainsi capitalisés par les fournisseurs de cloud. Cette concentration du contenu du web dans d’énormes fermes de serveurs vient placer dans quelques lieux un contenu jadis disséminé sur la toile dans des serveurs plus petits. Elle perturbe ainsi la répartition des besoins locaux en transfert de données et donc l’infrastructure du réseau. Cette modification de la géographie du réseau place également les prestataires de service de cloud computing et la localisation des data centers dans des positions stratégiques importantes. Par exemple, aux États-Unis, la justice est autorisée dans le cadre d’une enquête à consulter des données stockées dans des serveurs situés à l’intérieur de ses frontières. Le fait que les entreprises leaders dans le cloud computing soient états-uniennes et que leurs serveurs soient majoritairement implantés outre-Atlantique a suscité de nombreuses interrogations dans les pays européens. Pour leur faire face, la France a mis en place le projet Andromède, un investissement public de plusieurs dizaines de millions d’euros dans deux conglomérats d’entreprises, Orange et Thales d’une part et sfr et Bull, ensuite. Leur objectif est de développer un « cloud souverain » permettant d’éviter que les données sensibles soient potentiellement soumises aux contrôles d’institutions étrangères.

24Autre enjeu stratégique notable : la bande passante, véritable « goulot d’étranglement » du cloud computing.15 En effet, le cloud augmentant considérablement le volume de données qui transitent sur l’internet, il nécessite des investissements mirobolants dans le haut débit.16 Techniquement, l’accès à tout serveur est limité par le débit disponible ; économiquement, câbler le monde en haut débit implique — c’est un euphémisme — des coûts importants d’infrastructures. Pour pouvoir disposer de la plus large bande passante au prix le plus bas, les fournisseurs de cloud se livrent donc une guerre acharnée impliquant des alliances stratégiques avec les opérateurs de réseaux de télécommunication et les États. Par ailleurs, la compétition pour la bande passante n’a pas seulement comme enjeu son appropriation mais aussi son contrôle : il s’agit d’obtenir les moyens techniques et juridiques de moduler le débit en fonction des clients. Les géants qui contrôlent les tuyaux pourraient alors privilégier le transport des contenus qu’ils produisent eux-mêmes, ce qui entraînerait une stratification de l’internet en fonction de logiques propriétaires et/ou nationales.

25Veuillez retrouver les illustrations sur la version imprimée.

26Ainsi Google et l’opérateur télécom états-unien Verizon ont-ils proposé en 2010 un cadre législatif17 favorable à un internet à plusieurs vitesses.18 Les deux groupes proposent des pratiques de management de réseaux « raisonnables » (comprendre : ne nuisant pas à la libre concurrence) ouvrant la voie à des services différenciés selon les utilisateurs, sous couvert de garantir une qualité et une sécurité de service optimale et de pallier d’éventuelles congestions du trafic.19 Une telle proposition infléchirait le principe de « neutralité du net » (net neutrality) régissant tacitement l’internet depuis ses débuts : toutes les données transmises sur le réseau doivent être traitées de façon équivalente, sans

« discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information. »20

27Google et Verizon affirment vouloir préserver les règles d’égalité de traitement des flux de données… à l’exception des accès mobiles, plus facilement contrôlables par les opérateurs21 (Verizon Wireless est numéro un de la téléphonie mobile aux États-Unis), et à condition que les contenus soient « légaux » (comprendre : protégés par licence22). Une fois ces conditions remplies, Google et Verizon ne voient pas d’obstacle à la création de couches de services supplémentaires susceptibles d’inclure une priorisation du trafic. En France, le rapport gouvernemental sur la neutralité du net remis à l’Assemblée fin juillet va dans le même sens, puisqu’il affirme que

« la préservation d’un internet ouvert n’interdit pas la mise en place de mesures techniques, notamment de gestion de trafic » ou encore qu’« une augmentation du prix des forfaits ou un plafonnement de consommation dans les forfaits permettrait d’adapter la facturation à la consommation. »23

28Le cloud computing n’est donc pas une dissémination de l’informatique dans le nuage internet mais une déportation, une mutualisation et une concentration du matériel autrefois détenu par chacun dans de gigantesques data centers gérés par les nouveaux puissants de ce monde — multinationales et entreprises du web 2.0. — et jalousés par les autres, télécoms et puissances publique, qui essaient de se tailler une part du gâteau.

L’écologie dans les nuages

29L’infonuagique est souvent présentée comme une solution écologique : trois jours de visionnement ininterrompu de vidéo en ligne consomment moins d’énergie qu’il en faut pour créer un seul dvd, l’emballer et le livrer, proclame le directeur des programmes de Google David Jacobowitz.24 À en croire la circulaire diffusée par Google, « Google’s Green Computing : Efficiency at Scale », « les services de cloud de Google sont tous neutres en carbone depuis 2007 ».25

Fig.5. Le cloud vert et économe : schéma explicatif de Google

30Toujours selon le même document, l’utilisation par une entreprise de son webmail Gmail à la place d’un système interne représenterait une augmentation de l’efficacité énergétique de 80 %. Chaque utilisation d'un poste informatique classique pour réaliser une opération de base (comme envoyer un courriel) ne sollicite qu'une partie infime de la capacité et de la puissance utile de votre matériel alors que le cloud permet de mutualiser un nombre mirobolant d’opérations de même type sur des serveurs dédiés en utilisant leur capacité de manière optimale (voir schéma). Le discours du green cloud repose donc sur deux arguments : la dématérialisation (le cloud présenté comme substitut virtuel de technologies à support matériel plus anciennes) et l’allocation optimale des ressources énergétiques.

31Le cloud computing est ainsi promu comme un moyen pour les entreprises de diminuer leur impact direct sur l'environnement. De plus, depuis le Grenelle-2 de l’Environnement, les émissions indirectes de co2 des entreprises de moins de cinq mille employés ne sont pas comptabilisées. L’externalisation de l’informatique vers des prestataires de service allège donc inévitablement leur bilan carbone.

32Toutefois, les data centers qui hébergent les services de cloud sont d'importants consommateurs d’électricité. En France, en 2011, la consommation de ces énormes fermes de serveurs était estimée à 7 % de l’électricité produite !26 Par ailleurs, le fait que les fournisseurs de ressources laissent tourner leurs machines en permanence pourrait induire une augmentation globale de la consommation énergétique liée à l’usage d’internet.

33En 2010 et 2011, Greenpeace a produit deux rapports27 sur l’impact écologique du cloud computing. Leurs conclusions ne remettent en cause ni la dynamique de centralisation de l’informatique ni la perspective d’un développement important de ce secteur. Pour l’ong, une attention à construire des fermes de serveur de haute qualité environnementale et une production d’électricité propre devraient permettre de rendre le cloud computing respectueux de l’environnement. Greenpeace promeut notamment la mise en place de dispositifs de calcul de l’empreinte carbone générée par l’utilisation de différents sites de l’internet en fonction du poids énergétique de leurs serveurs et des sources primaires d’énergie qu’ils utilisent. Enfin, elle épingle les bons et les mauvais élèves. Yahoo, qui a choisi d’implanter son nouveau data center dans l’état de New-York en raison de son climat tempéré, des faibles coûts de refroidissement et de l’abondance de l’énergie hydroélectrique, fait figure d’exemple. Facebook, qui alimente sa ferme de données de l’Oregon à partir d’électricité produite au charbon, est pointé du doigt. Quant à Google, il a choisi de devenir producteur d’énergie en créant une filiale, Google Energy.28 Il s’agit dans un premier temps de mieux gérer le choix des fournisseurs d’électricité et des prestataires de compensation carbone. Mais l’objectif à terme est d’assurer son indépendance énergétique et de revendre le surplus d’énergie. Ainsi la prétendue dématérialisation des échanges correspond-elle à un réancrage matériel, territorial et énergétique des réseaux d’information.

34Veuillez retrouver les illustrations sur la version imprimée.

35Alors qu’aujourd’hui, tout développement industriel se doit d’être green friendly, il peut sembler anecdotique de se demander si la réalité matérielle est en adéquation avec les promesses que nous vend le capitalisme vert. À coup sûr, dissiper le nuage de la dématérialisation permet d’apercevoir des infrastructures gigantesques dont le camouflage verdâtre ne dupe personne. Plutôt que de céder à une logique managériale qui inciterait à jongler avec les indicateurs pour déterminer comment une telle infrastructure titanesque pourrait être réellement écologique, il serait peut-être plus pertinent de mettre en question ce choix du gigantisme et de la centralisation. Alors que le grand récit de la dématérialisation rend invisible l’enjeu de reterritorialisation de l’internet, il importe de se demander quelles formes de reterritorialisation d’internet sont les plus aptes à rendre sensible le problème de l’écologie des réseaux informatiques.

36De multiples formes de reterritorialisation du réseau existent. En alternative à la logique monopolistique et centralisée actuellement dominante, certaines initiatives29 mettent en relation des propriétaires de ressources informatiques (associations, cyberespaces, espaces publics numériques) avec des usagers pour favoriser une économie du cloud décentralisée, multilatérale et basée sur des contributions multiples. Mais il s’agit encore d’une logique d’économie de services. Un autre type de proposition intéressante consiste à installer des systèmes de cloud réalisés avec du matériel informatique mis au rebut.30 Ces machines sont mises à la disposition des usagers d’un collectif (entreprise, école, association, immeuble…) qui les utilisent comme terminaux : elles n’effectuent aucune opération de stockage et de calcul, mais sont reliées à des serveurs gérés et maintenus par le collectif et/ou par une entreprise.31 Les serveurs de logiciels et de systèmes d’exploitation consomment le moins de ressources possible (Linux, par exemple, limite les coûts réseaux), et de vieux modems dépassés sont réutilisés pour connecter serveurs et terminaux. Le raccourcissement de la durée d’utilisation des équipements électroniques due à la fréquence accrue de renouvellement est la racine du problème des déchets électroniques.32 Une certaine forme de cloud computing peut être mise au service de cet enjeu. Dès lors, il s’agit non seulement de limiter la consommation de matériel neuf, mais aussi de promouvoir une véritable économie de la fonctionnalité qui se démarque de l’économie de services en ce qu’elle ne vend pas de la dématérialisation mais un autre rapport au matériel, fondé sur la mise en commun et la réactualisation des fonctionnalités. Au lieu de « déporter » les infrastructures loin du regard de leurs utilisateurs, cette démarche consiste à associer les serveurs à la vie quotidienne d’un collectif d’usagers. S’il s’agit encore de renoncer à la détention individuelle d’une partie du matériel, il ne s’agit plus de l’« externaliser » pour « ne plus se soucier » des infrastructures, mais plutôt d’en faire un bien collectif, dont il faut prendre soin33.

Un nuage peut en cacher un autre

37La représentation de l’internet comme un nuage est bien antérieure au cloud computing. Ainsi, la matérialité du réseau a toujours été cachée aux yeux des internautes derrière un rideau de fumée masquant l’infrastructure, dont le modem n’est qu’une extrémité. La localisation du contenu du net est nimbée de mystères, mystères entretenus par l’image même du cloud computing.

Fig.6. Carte du web produite par le Opte Project

38http://www.opte.org/maps/

39Chaque ligne représente un lien, menant d'un site à un autre.

40Dans un internet totalement reterritorialisé, la carte virtuelle du web coïnciderait avec la carte géographique de l’organisation matérielle du réseau

41Cependant, l’image dense et mal définie de la toile n’est pas qu’un trompe-l’œil. L’internet est bien une toile, un rhizome, un espace partagé au contenu disséminé dans une multitude d’ordinateurs qui sont tout autant des nœuds que des terminaux — du moins jusqu’à aujourd’hui, car si cette représentation est loin d'être erronée, l’internet est toutefois un objet en évolution, façonné par les intérêts de ceux qui y agissent.

42Veuillez retrouver les illustrations sur la version imprimée.

43Le cloud n’est certes pas une rupture technologique, et la modification qu’il induit est d’abord de nature quantitative : elle réside dans le changement d’échelle de l’externalisation des ressources numériques des entreprises. Jusqu'alors pratiquée par les entreprises sur quelques dizaines de serveurs, elle pourra s’effectuer sur des millions de serveurs interconnectés dans les gigantesques data centers du cloud dit « public » qui se met en place actuellement.34 Cependant cette rupture d’échelle induit aussi un changement qualitatif des architectures. En effet, les data centers sont plus qu’une simple collection de serveurs rassemblés dans un même lieu. Certains les considèrent comme un nouveau type d’ordinateur, des « ordinateurs à l’échelle d’entrepôts » (Warehouse Scale Computers).35 Si l’alimentation énergétique et le refroidissement de ces usines posent des problèmes complexes, c’est bien la nécessité de coordonner les opérations des serveurs voire des data centers entre eux qui conduit les industriels à les considérer comme de nouveaux types d’ordinateur à grande échelle et à réfléchir au design de ces architectures géantes de traitement de données.36 Paradoxalement, c’est grâce à ces ordinateurs géants que les gros ordinateurs domestiques d’hier peuvent aujourd’hui tenir dans l’espace réduit d’un smartphone ou d'une tablette.

44L’introduction du cloud computing participe donc à transformer la structure du net, et l’évolution qu’elle propose tend davantage à condenser le nuage qu’à le rendre vaporeux. Cette tendance à la concentration concerne non seulement l’architecture du réseau internet, mais aussi l’objet logiciel. Comme l’explique Christian Fauré, le cloud est aussi envisagé comme une réponse à la crise du logiciel payant :37 la généralisation du schéma « logiciel en tant que service » permettrait en effet aux producteurs de software d’économiser les coûts d’investissement dans la maintenance et la distribution au client des versions actualisées et des patchs de mise à jour – opérations dont le coût était auparavant négligeable, mais qui devient significatif au fur et à mesure que le nombre d’utilisateurs du même produit logiciel s’accroît, et se compte aujourd’hui par millions. Sans compter le fait que les entreprises n’auront plus à investir dans la production des logiciels contre le piratage. L’objet logiciel ne sera plus alors un objet partagé, avec autant d’instances qu’il y a d’utilisateurs. L’entreprise productrice du logiciel en détiendra l’unique instance, accessible en ligne moyennant location.

45Sous une image voluptueuse, l’informatique en nuage est une histoire de gros sous et d’infrastructures gigantesques. Tout en proposant aux usagers une virtualisation des infrastructures, le cloud computing traduirait plutôt leur réorganisation sous l’égide de problématiques de la grande industrie : rationalisation, économies d’échelle, clientélisation des usagers, gestion des flux sur les autoroutes de l’information, découplage des serveurs et des terminaux, des clients et des prestataires, et redistribution centripète de l’architecture du réseau internet, qui jusque-là s’était développé comme un rhizome buissonnant, déterritorialisé et décentralisé, sans distinction entre centre et périphérie. Le cloud computing entend bien mettre de l’ordre dans le réseau. Sans céder au chant des sirènes qui y voient une révolution similaire à celle qu’a pu être l'introduction de l’internet, les bouleversements qu’il introduit dans l’organisation du réseau et les usages de l’informatique ne sont pas anodins. Assez paradoxalement, le cloud se propose d’en finir avec le nuage. Fini le foisonnement des serveurs disséminés sur la toile, le temps est à la concentration du net. La volonté d’améliorer les capacités de transfert d'information sur l’internet — sous couvert de le rendre plus verdoyant — par la concentration des contenus en quelques lieux peut se lire comme une tentative gestionnaire d’organiser un espace construit de manière décentralisée.

Un internet enfin régulé ?

Fig.7. Total information control

46Avec l’augmentation des besoins de transport d’information, et à l’heure où, en particulier, la vidéo en ligne, coûteuse à acheminer, se développe fortement, la sacro-sainte égalité de traitement des flux de données au nom de la neutralité du net commence à être perçue comme un sérieux manque à gagner.38 Certains affirment même que la net neutrality

« ignore les besoins du business » et doit pour cette raison, faire l’objet d’une « régulation. »39

47Dans cette perspective, le cloud computing risque fort d’évoluer vers des autoroutes de l’information à péage, voire à un internet diffracté en une multitude de nets parallèles obéissant chacun à des logiques propriétaires et/ou nationales.

48Curieusement, ce n’est jamais le cloud computing qui est controversé, mais la neutralité du net, qu’il convient soit de défendre ardemment, soit d’amender et de réguler pour permettre à l’objet du désir — le cloud — de se développer pleinement. Ainsi, les défenseurs de la net neutrality estiment-ils que

« l’absence de neutralité du net ne peut que faire obstacle aux progrès du cloud computing, et ne constitue en aucun cas un atout, ni pour les compagnies d’infrastructures, ni pour les fournisseurs d’applications, ni pour les consommateurs. L’entreprise qui construit la route ne peut exiger que seule ses propres voitures puissent l’emprunter. »40

49La tentative de Google et Verizon pour ajouter des couches supplémentaires de services incluant des priorités de trafic, affirment-ils, impliquerait un coût d’infrastructure bien trop élevé pour pouvoir se concrétiser.41 Les partisans de la net neutrality se situent donc dans un avenir où le cloud se sera nécessairement développé dans le sens d’une promotion accrue de ce principe. De manière symétriquement inverse, ceux qui souhaitent la remettre en question y voient un obstacle au développement mature du cloud computing comme internet privatisé, stratifié et policé. Les uns et les autres invoquent le cloud pour présentifier leur vision de l’internet du futur sur un mode essentialisant et déterministe. S’ils n’ont pas la même vision du cloud, le buzzword est précisément là pour empêcher les divergences de se manifester et les maintenir dans la brume.

50Or il y a nuage et nuage. Les aviateurs et météorologues savent bien les différencier. Seuls les nuages de mots-clés se ressemblent tous. Le cloud est peut-être l’avenir de l’internet, mais cet avenir n’est pas écrit. Il est donc temps de nous demander dans quels nuages nous voulons communiquer, travailler, socialiser, inventer, rêver...

51Veuillez retrouver les illustrations sur la version imprimée.

Notes de bas de page numériques

1 Éric Besson, ancien ministre de l’industrie, cité dans E. Colombié, « L'État investit dix-neuf millions d'euros dans le cloud computing », L’express, 16/12/2011.

2 Au sens chimique de « faire passer de l’état solide à l’état gazeux », comme au sens de purifier et de transcender.

3 Pour Pierre Barnabé, pdg de sfr Buisness Team, l’augmentation des besoins de stockage et de traitement de l’information, dont il prédit la multiplication par quatre tous les douze à dix-huit mois, rend nécessaire l’avènement du cloud computing. Marc Cherki, « Le cloud passe les cent milliards de dollars », Le figaro, 9/07/12.

4 Après l’ordinateur central, l’ordinateur personnel de taille réduite, le modèle client-serveur permettant aux ordinateurs d’échanger des requêtes, et le web, étendant et distribuant le modèle client-serveur sur le réseau internet. Rajan Sameer et A. Apurva Jairath, 2011, « Cloud Computing : The Fifth Generation of Computing », 2011 International Conference on Communication Systems and Network Technologies, ieee 15(4) pp. 665-667. Cloud computing : l’informatique du futur ?, L’économiste, n° 3456, 31/01/2011.

5 Les prédictions évoquent une multiplication par deux du marché mondial en 2016 par rapport à 2012, où ce secteur doit déjà connaître une augmentation de 2 0 % par rapport à 2011 et atteindre un poids économique de cent neuf milliards de dollars. Marc Cherki et Renault Enguérand, « Cloud computing : les Français rivalisent avec les Américains », Le figaro, 27/06/12.

6 Walter Mossberg, « Le b.a.-ba du cloud computing », The Wall Street Journal, traduit et publié dans Courrier international, 17/11/2011.

7 Frédéric Cavazza, « Définition et usages du cloud computing », Entreprise 2.0., 16/03/2011 http://www.entreprise20.fr/2011/03/16/definition-et-usages-du-cloud-computing

8 http://www.nist.gov/itl/cloud.cfm

9 http://www.hp.com/hpinfo/initiatives/eaas/index.html

10 Et encore, cette délocalisation du parc informatique était déjà connue et pratiquée par les entreprises sous les noms d’outsourcing (externalisation ou sous-traitance d’activités non stratégiques par rapport au core business) et de crowdsourcing (externalisation distribuée à un grand nombre d’acteurs travaillant en collaboration ou en parallèle). L’externalisation de la gestion du système informatique d’une entreprise à un prestataire tiers portait en France le nom d’« infogérance » depuis le milieu des années 1990. Selon une étude réalisée en 2005 par l’observatoire des technologies de l’information Documental, « 86 % des dsi [directions des systèmes d’information] français ont déjà externalisé tout ou partie de leur système ; 20 % ont déjà réinternalisé une fonction précédemment externalisée ; 100 % considèrent que le discours des fournisseurs, qui laisse entendre que l'informatique a vocation, tôt ou tard, à être entièrement externalisée, doit être abandonné. Et cela au profit d'une analyse plus approfondie, plus sélective et, à l’évidence, moins définitive ». Documental, « Après l’externalisation, le backsourcing ? », octobre 2005
http://www.documental.com/v2/article_3877.php?recherche=externalisation
L’observatoire a depuis multiplié les études critiquant les pratiques d’outsourcing offshore et s’inquiète de leur recrudescence à l’heure du cloud computing.

11 Google en a récemment publié des images http://www.google.com/about/ datacenters/gallery/#/].

12 Guy Doyen, « La Chine construit une ville dédiée au cloud computing », The Next Web, 09/02/2011 http://fr.thenextweb.com/2011/02/09/la-chine-construit-une-ville-dediee-au-cloud-computing/

13 Marc Cherki, « Les usines numériques se multiplient en France », Le figaro, 27/06/12.

14 Simson L. Garfinkel, « Une arme inespérée pour les hackers », Technology Review, traduit et publié dans le Courrier international du 17/11/2011. Voir aussi les alertes lancées par le co-fondateur d’Apple Steve Wozniak http://www.journaldugeek.com/2012/08/06/wozniak-cloud-computing

15 Bernard Golden, « The Skinny Straw : Cloud Computing’s Bottleneck and How to Address It », cio.com, 06/07/2009 http://www.cio.com/article/499137

16 Bernd Harzog, « Net Neutrality and the Cloud », Virtualization Practice.com, 04/01/2011 http://www.virtualizationpractice.com/net-neutrality-and-the-cloud-8794/

17 http://www.scribd.com/doc/35599242/Verizon-Google-Legislative-Framework-Proposal

18 Raphaële Karayan, « Neutralité du net : Google favorable à un internet à deux vitesses », L’expansion, 10/08/10.

19 Des arguments similaires avaient été avancés la même année par Vodafone, qui avait annoncé l’expérimentation en Espagne d’une offre premium : un forfait plus cher garantissant un accès internet sans ralentissement lors des pointes de trafic.

20 http://fr.wikipedia.org/wiki/Neutralité_du_réseau

21 Comme les équipements mobiles intègrent déjà des logiques propriétaires dans leurs applications et que les utilisateurs de téléphonie mobile sont déjà habitués à voir leur facture adaptée à leur communication, le marché de l’internet mobile constitue une plateforme idéale pour faire accepter des logiques de servicisation de l’internet.

22 Ce qui va dans le sens de la promotion des accords entre fournisseurs d’accès et détenteurs de droits promue par le projet acta (Anti-Counterfeiting Trade Agreement) qui fait l’objet de négociations internationales secrètes depuis 2007.

23 Rapport d’information présenté à l’Assemblée nationale sur la neutralité de l’internet et des réseaux http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i3336.asp

24 http://www.ditii.com/2011/09/08/gmail-80-more-energy-efficient-than-tradition-e-mail-system-now-powering-over-4m-businees/

25 http://static.googleusercontent.com/external_content/untrusted_dlcp/www.google.com/fr//green/pdfs/google-green-computing.pdf
http://www.google.com/green/bigpicture/#beyondzero-datacenters

26 Nathanaël Vittrant, « Centres de données numériques : l’ogre énergétique », Le monde, 08/07/2011.

27 Make It Green, Greenpeace, mars 2010 ; How Dirty is Your Data ?, Greenpeace, avril 2011.

28 Régis Soubrouillard, « Énergie : Google n’accepte qu’un fournisseur, Google », Marianne, 11/01/2010.

29 La journée sur l’« électronique ambiante » organisée par l’association VivAgora le 27 mai 2011 à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’initiative « Parlement du futur » en donne un aperçu.

30 En France, le cycle de renouvellement moyen des ordinateurs personnels est de trois ans et la plupart fonctionnent encore.

31 Voir, par exemple, la société DotRiver [http://www.vivagora.fr/images/stories/dwl/pdf/Alliod_ DotRiver.pdf].

32 Sacha Loeve, « L’insoutenable immatérialité des infrastructures numériques : les e-déchets », VivAgoveille, Newsletter de VivAgora sur le Débat Public Sciences et Sociétés, n° 15, septembre 2010, pp. 12-15.

33 Rappelons que le mot ware que l’on retrouve dans hardware, software, warehouse (entrepôt), warrant (garant), et white ware (faïence), bien que traduit en anglais moderne par marchandise, vient du vieil écossais qui signifie « objet de soin », fragile, à préserver et à entretenir contre l’érosion du temps.

34 Les logiciels, infrastructures et plateformes « en tant que service » sont regroupés sous l’appellation cloud « public » par opposition au cloud « privé » désignant l’utilisation de ces mêmes services avec des serveurs internes à l’entreprise. Or, l’appellation cloud « public » a quelque chose d’éminemment fallacieux, car elle qualifie de public un système où les infrastructures sont monopolisées par les entreprises. De plus, on fera observer que cette distinction entre cloud public et privé ne vaut que pour l’utilisateur : pour l’entreprise prestataire de cloud public, l’usage de ses propres serveurs s’apparente à celle d’un cloud privé !

35 Luiz André Barroso & Urs Hölzle, « The Datacenter as a Computer. An Introduction to the Design of Warehouse-Scale Machines », Synthesis Lectures on Computer Architectures, 6, 2009.

36 Cf. Christian Fauré, « L’un et le multiple comme défi technologique du cloud computing », Hypomnemata : supports de mémoire, 21/07/2008. Comme il l’explique, les data centers de Google doivent opérer en synchronie : chaque requête effectuée par un utilisateur sur le moteur de recherche est démultipliée, distribuée sur des grappes de serveurs traitant la requête en parallèle ; puis, les résultats sont agrégés et renvoyés à l’utilisateur, le tout en un quart de seconde. Il s’agit d’une logique de parallélisation : une multitude de machines font une grosse machine très rapide traitant la même opération en parallèle. À la différence de Google, Amazon, qui ne mise pas sur la vitesse, fonctionne selon une logique de virtualisation. L’entreprise dispose de la plus vaste puissance de calcul et de stockage au monde. Cela lui permet notamment de faire face à l’augmentation de l’activité commerciale lors de fêtes mais aussi de louer de la puissance de calcul. À cet effet, il lui faut « dé-corréler la vision physique de la vision logique de l’infrastructure » : une seule machine peut alors être considérée comme une multiplicité de machines destinées à des usagers différents — opération classique d’allocation des ressources informatiques, sauf qu’Amazon l’a automatisée, ce qui fait bien de ses serveurs de nouveaux types d’ordinateurs, et pas juste de gros disques durs.
http://www.christian-faure.net/2008/07/21/lun-et-le-multiple-comme-defi-technologique-du-cloud-computing/.

37 Voir l’instructive conférence de C. Fauré pour le Club des utilisateurs des systèmes, applications et produits de traitement de données (sap) francophones, « Dataware et infrastructure du cloud computing » http://www.usf.fr/usf/media/9_dataware_et_infrastructure_du_cloud_computing

38 Enguérant Relault, « La neutralité du net dans les nuages », Le figaro, 11/12/2010.

39 Nick White, « Net Neutrality Ignores Business Users », ZDnet.com, 07/01/2011.
http://www.zdnet.com/article/net-neutrality-ignores-business-users/

40 http://clean-clouds.com/2012/01/net-neutrality-and-cloud-computing/

41 Allan Leinwand, « The Hidden Cost of the Cloud : Bandwidth Charges », Gigaom.com, 17/07/2009. http :/ /gigaom.com/2009/07/17/the-hidden-cost-of-the-cloud-bandwidth-charges/

Pour citer cet article

Leny Patinaux et Sacha Loeve , « Cloud Computing : l’électronique dans les nuages », paru dans Alliage, n°72 - Novembre 2013, Cloud Computing : l’électronique dans les nuages, mis en ligne le 19 février 2015, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=4165.


Auteurs

Leny Patinaux

A obtenu le master en histoire des sciences et des techniques, après une maîtrise de physique. Il est actuellement doctorant à l'ehess, au sein du centre Alexandre-Koyré. Sa thèse, qu'il effectue sous la direction de Dominique Pestre, porte sur l'histoire de la production de savoirs sur l'évolution à long terme d'un dépôt de déchets radioactifs en géologie profonde.

Sacha Loeve

Agrégé de philosophie et docteur en épistémologie, histoire des sciences et des techniques. À partir d’études de terrain (nanotechnologies, biologie de synthèse, carbone), il pratique une philosophie des objets appréhendés comme nœuds d’intersection entre processus matériels et pratiques de mise en récit dans une « techno-logie » renouvelée, ressaisie comme logos narratif des techniques. Il est actuellement post-doc au Cetcopra/université Paris-1 et enseignant vacataire à l’école des Ponts et chaussées ParisTech.