Alliage | n°71 - Décembre 2012 Cinéma et science |  Cinéma scientifique et médical 

Thierry Lefebvre  : 

Les « films-leçons » du docteur Comandon

Plan

Texte intégral

Jean Comandon (1877-1970) est le grand pionnier du cinéma scientifique français. Son œuvre considérable (près de 400 films répertoriés à ce jour) a malheureusement été dispersée au gré des aléas et/ou des transformations de ses producteurs successifs : Pathé (1909-1924), l’Office national des recherches scientifiques, industrielles et des inventions (ONRSI, l’un des ancêtres du CNRS, à partir de 1920), Albert Kahn (1928-1932) et l’Institut Pasteur de Garches (où Comandon s’installe en 1932, pour y finir paisiblement sa carrière au milieu des années 1960).

Depuis 2007-2008, les Archives françaises du film du CNC se sont attelées à une énorme tâche de récolement : près de 280 films ont ainsi été identifiés, un grand nombre ont été restaurés et l’ensemble doit être à terme numérisé. Alors, l’ensemble de ces courts-métrages pourra être visionné dans des conditions satisfaisantes1.

Rappelons cependant un point important. À l’époque de leur édition, ces bandes étaient certes projetées de manière occasionnelle et isolée dans des salles de cinéma ou devant les cénacles des sociétés savantes ; mais une grande partie du travail de Comandon consistait également à les agencer dans le cadre d’amples conférences illustrées, pour lesquelles il rédigeait le plus souvent un texte ou un syllabus. C’est à cette activité de « communicant », pratiquement unique en son genre, que nous nous intéresserons dans cette étude.

Un art consommé de la conférence illustrée

Jean Comandon découvre les usages scientifiques du cinéma au cours de l’automne 1908, à l’occasion de son stage dans le laboratoire central de l’hôpital Saint-Louis. En collaboration avec son maître Paul Louis Gastou, le doctorant essaie d’enregistrer le mouvement des microorganismes, à commencer par celui du tréponème pâle, agent de la syphilis. Pour ce faire, il utilise une toute nouvelle méthode de visualisation de l’« infiniment petit » : la microscopie sur fond noir ou ultramicroscopie, qui consiste à éclairer latéralement les particules qui apparaissent en conséquence lumineuses sur fond noir.

Par l’entremise de Gastou, le jeune homme est mis en relation avec Louis Paul Bonvillain, directeur du service des voyages et de l’actualité des Cinématographes Pathé, qui l’introduit à son tour auprès de Charles Pathé. Visiblement séduit, le magnat l’autorise à monter un laboratoire expérimental de « prises de vues scientifiques » dans ses usines de Vincennes.

En mai 1909, un premier banc microcinématographique opérationnel est mis au point et plusieurs films sont obtenus, les uns représentant des trypanosomes, les autres diverses formes de spirochètes, des infusoires, des hématies, etc.

Comandon soutient sa thèse en août 1909. Son dispositif dit de « Perfectionnements aux dispositifs de prises de vues microcinématographiques » est breveté par Pathé le 22 octobre ; et, le 26 octobre, plusieurs de ses bandes sont projetées à l’Académie des sciences2. L’impact de cette présentation inédite est considérable et la carrière du jeune médecin cinéaste s’en trouve définitivement lancée. Dès ses débuts, Comandon ne se contente pas de filmer l’infiniment petit et de le diffuser auprès d’un large public coutumier des salles de projection Pathé. Ses interventions et conférences sont également très prisées. Pour la seule fin d’année 1909, ses carnets font état de pas moins de cinq interventions de ce type, réalisées dans la foulée de la fameuse première du 26 octobre. Le médecin intervient ainsi le 6 décembre à l’hôpital Broca, le 7 à l’hôpital Lariboisière, le 17 à la Société française de photographie, le 20 dans le salon parisien de la comtesse Élisabeth Greffulhe, le 29 dans celui d’Antoinette Le Grand. Le 6 décembre, le chroniqueur Régis Gignoux est présent parmi les spectateurs de l’hôpital Broca. Il consigne le lendemain ses impressions dans Le Figaro :

« Dans un long corridor volontairement obscurci, le docteur Comandon faisait sa conférence. Il était debout devant un écran. On ne distinguait que ses grands yeux calmes et sa barbe noire. Il tenait dans sa main droite une longue baguette. Le professeur Pozzi, sanglé dans un sarrau, venait de le présenter à des dames très élégantes et à une foule d’internes et d’externes. Au fond du couloir, la lanterne borgne était braquée au-dessus des têtes attentives3. »

Cette image de Comandon en conférencier sera reprise, quelques semaines plus tard, dans Lectures pour tous. Un portrait photographique en pied représente le jeune médecin, vêtu d’une veste sombre, son bras gauche élégamment rejeté derrière le dos et son bras droit pointant, au moyen d’une baguette, la préparation microscopique projetée sur l’écran blanc. Ce photomontage est un témoignage unique sur l’attitude adoptée par Comandon au cours de ses conférences :

Régis Gignoux poursuit sa description :

« Le docteur Comandon parla lentement, comme s’il n’avait à nous raconter qu’une histoire très simple, très naturelle. Puis il fit un geste. La mitrailleuse à images crépita et lança devant nous ses projections : la cinématographie des microbes4. »

Le 17 décembre, Comandon s’exprime à nouveau, cette fois-ci devant les membres de la Société française de photographie. Présent dans la salle, Emmanuel Ventujol est subjugué. Pour la première fois, la durée de la prestation est précisée : « plus d’une heure », au terme de laquelle des « applaudissements nourris […] saluent la fin de la conférence du jeune savant5 ».

Les archives du l’Institut Pasteur, qui conservent une partie des papiers de Comandon, gardent la trace de ses nombreuses conférences, tant en France qu’à l’étranger. Programmes, cartons d’invitation, manuscrits et dactylogrammes témoignent de l’intense activité de communication d’un cinéaste que l’on a souvent considéré à tort comme un simple « technicien », certes passé maître dans l’art de cinématographier « l’invisible », mais peu enclin à s’exprimer devant le grand public. Il n’en est rien. La salle Gaveau, l’Institut des hautes études de Belgique, la Royal Society of Medicine, l’Alliance Française et des dizaines d’autres lieux et institutions lui ouvrirent leurs portes, les spectateurs se pressèrent à ses conférences. Jean Tédesco et Jean Painlevé firent également appel à lui, comme en témoignent deux autres documents issus des Archives de l’Institut Pasteur :

- Le 8 octobre 1925, François Berge lui adresse une lettre, sur papier à en-tête des Cahiers du mois :

« Monsieur, nous allons organiser, en collaboration avec M. Jean Tédesco, la série de conférences cinématographiques du samedi au Vieux-Colombier, pendant les mois de novembre à janvier. Nous serions très heureux que vous puissiez venir nous parler de vos merveilleuses découvertes de micro-, et radio-cinématographie. »

- Le 17 avril 1947, Georges Franju, secrétaire général de l’Institut de cinématographie scientifique, lui confirme sa récente lettre dans laquelle Jean Painlevé lui proposait de l’accompagner en Belgique pour y présenter des films dans le cadre du Festival cinématographique de Bruxelles. Painlevé et Comandon se fréquentent régulièrement depuis les années 1920.

Comandon était certes un cinéaste, mais aussi – et peut-être avant tout – un conférencier, comme l’avait été le chirurgien Eugène-Louis Doyen au début du siècle. Il le resta jusqu’à un âge avancé. En 1943, le jeune René Barjavel assiste ainsi à une de ses causeries donnée dans la grande salle de la Maison de la Chimie, à l’occasion du Premier Congrès du film documentaire. Le microbiologiste est alors âgé de 66 ans. Barjavel est ébloui :

« Le professeur [sic] Comandon est un charmant vieillard, aussi modeste, aussi aimable que savant. Il s’excusa de nous ennuyer alors qu’il nous passionnait, et nous mena à la découverte de l’invisible6. » Ses films, ajoute Barjavel, « sont à la production ordinaire ce que les poèmes de Ronsard […] sont au roman feuilleton ».

La parole envoûtante du conférencier sert d’écrin aux images.

Une conférence type de 1914

Un bel exemple de conférence est conservé dans les archives Comandon de l’Institut Pasteur. Il s’agit des épreuves corrigées d’un article de seize pages intitulé « La vie des infiniment petits », prévu pour paraître peu après le déclenchement de la Première Guerre mondiale dans une revue malheureusement non spécifiée, probablement le Bulletin de l’Institut général psychologique.

Cette conférence, donnée le 15 juin 1914 dans l’amphithéâtre de médecine du Collège de France, commence par un passage bien connu des Pensées de Pascal :

« [Car enfin] qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout7. »

La préoccupation métaphysique fut une constante chez Comandon, comme nous l’ont confirmé ses proches. Grand lecteur de Pascal, il conseille à ses auditeurs de ne pas se limiter « aux données de [leurs] sens » et de profiter des progrès de la science pour explorer les mondes parallèles des infiniment grand et petit.

« C’est dans un de ces mondes, dans celui des cellules et des microbes que je voudrais vous conduire un instant. »

Commence dès lors un fabuleux voyage dans l’univers des images de science, dont le point d’entrée est la « cinématographie d’un cœur isolé de tortue »8 :

« Comment se fait-il que ce cœur, que ces fragments, que ces organes de l’admirable machine qu’est le corps de l’animal, puissent être maintenus en vie ? », s’interroge Comandon.

Suit la projection de quelques microphotographies de tissus d’animaux ou de plantes : fragment de péritoine, paroi de poumon, sang dans les capillaires et feuille d’Élodée… Comandon suspend parfois le défilé des images pour se lancer dans des considérations plus philosophiques :

« Considérons un instant la projection de cette gracieuse petite feuille d’Élodée9. Ces cases polyédriques contiennent un liquide de la consistance du blanc d’œuf, c’est le protoplasme, au centre est une masse plus réfringente : le noyau. »

Nous voilà désormais au cœur de la cellule vivante que Comandon qualifie d’« administration modèle ».

« Nous-mêmes sommes une réunion de ces petits êtres microscopiques groupés en une sorte d’État admirablement administré où chacun a sa fonction, où chacun travaille pour la collectivité qui, en retour, pourvoit aux besoins de tous. »

La cinématographie de la circulation sanguine, également tirée de La Circulation sanguine (c. 1913), fournit l’occasion d’étudier de plus près quelques exemples de cellules spécialisées, en particulier les hématies et les leucocytes, dont Comandon souligne l’étonnante mobilité.

« Ils sont très semblables aux amibes, petits animalcules dont nous allons parler. »

On le voit, les enchaînements sont parfaitement logiques, l’articulation des images fait toujours sens. Aux courtes séquences de La Circulation du sang succède l’enregistrement cinématographique du mouvement d’une amibe (Amoeba, 1910) :

« Voyez, entre ses prolongements, ses pseudopodes, elle a saisi une algue microscopique, une diatomée, qu’elle s’apprête à dévorer. On dirait vraiment que cet être si simple possède déjà la faculté de raisonner ; en réalité, on peut montrer que les mouvements de l’amibe obéissent à des causes physico-chimiques bien déterminées, à des tactismes. La voilà qui fuit la lumière. »

« Voyez », « la voilà » : tout au long de sa conférence, Comandon ne cesse d’interpeller son auditoire, de guider le regard des spectateurs. On comprend d’autant mieux l’importance de la baguette, qui lui permet de pointer le détail significatif, de fixer l’attention des spectateurs sur tel événement inattendu ou tel phénomène significatif.

Les extraits de films continuent à s’enchaîner. D’abord une paramécie :10 

« […] vous voyez qu’il s’agit encore d’une cellule, voilà le noyau, la vésicule contractile »,

ensuite des vorticelles11, puis le foisonnement microbien d’une muqueuse d’intestin de souris12 :

« … Voyez quelle vie, quelle variété d’organismes, ici sont des levures, là des cocci, là de grands bacilles mus par des cils vibratiles […] Celui-ci est un vibrion […], on voit le grand cil unique, le flagelle qui la fait avancer. »

L’inventaire se clôt sur l’image de trypanosomes, agents de la maladie du sommeil (Trypansoma brucei,1909).

Nous n’avons résumé ici que la première partie d’une conférence qui n’en compte pas moins de sept au total. Avec un art consommé de la transition, Comandon lance une deuxième série de projections à caractère nettement plus expérimental :

« Plutôt que de vous présenter d’autres microbes pathogènes, je crois plus intéressant de vous démontrer comment nous pouvons agir sur ces êtres microscopiques et de vous faire assister à quelques phénomènes remarquables de la vie des cellules, et de ces infiniment petits. »

Suivent les images d’une paramécie tuée par les ultraviolets, puis de microbes soumis à l’action de l’électricité13.

Les autres moments forts de la conférence sont la démonstration cinématographique de la phagocytose (Sang d’oiseau (padda) infecté par un hématozoaire et phagocytose de ce parasite, 1914, version définitive en 1917), la fécondation d’un grain de pollen (Germination du pollen, 1911) le développement d’un œuf d’oursin (Développement des œufs d’oursins, 1912), le phénomène de la mitose (Mitose d’hématies de triton,1913), et la « sauvagerie » des dytiques se disputant une proie (Le Dytique, 1911).

Au terme de sa longue présentation composée en tout d’une vingtaine d’extraits de ses films, Comandon conclut :

« Du monde des microbes et des cellules, je n’ai pu vous montrer que le bord de quelques chemins dernièrement tracés. Vastes sont les contrées qui sont encore à explorer et à conquérir. Ce sera l’œuvre des biologistes de l’avenir ; ils trouveront des merveilles et aussi des richesses qui augmenteront le patrimoine de la science et le bien-être de l’humanité. »

Dans une sorte de post-scriptum, Comandon n’oublie pas de rendre hommage à Pathé :

« En terminant, permettez-moi de remercier avec vous la maison Pathé, qui non seulement a bien voulu se charger de la projection des films que vous venez de voir, mais qui, en me donnant un laboratoire et l’outillage nécessaire, m’a permis de continuer des travaux pour lesquels vous avez bien voulu manifester un intérêt dont je vous suis grandement reconnaissant. »

Pour un « film-leçon »

Jean Comandon est coutumier de ces conférences fleuves, qu’il pratiquera durant plusieurs décennies en France comme à l’étranger. Le 30 avril 1923 par exemple, il intervient pour le compte de l’Alliance Française à l’Olympia-Theater de Leyde (Pays-Bas). Sa communication, intitulée « La Vie des êtres microscopiques révélée par le cinématographe », se compose de neuf temps forts :

« 1) La matière et la vie ; 2) Le protoplasme et la cellule vivante ; 3) Les tactismes ; 4) Les colonies animales et les métazoaires ; 5) L’œuf et la division cellulaire ; 6) Le cœur et la circulation du sang ; 7) La maladie, quelques microbes pathogènes ; 8) Les défenses de l’organisme ; 9) Développement d’un insecte14. »

Plus d’une vingtaine d’extraits de films sont mobilisés pour l’occasion.

Le 10 avril 1934, Comandon prend la parole au cinéma Servandoni de Bordeaux pour y traiter du thème « Microbiologie et cinématographie ». Sa conférence se divise en cinq parties :

« 1) La circulation du sang ; 2) Division cellulaire ; 3) Parasites du sang ; 4) La phagocytose ; 5) Études des mouvements des végétaux15. »

De nombreux extraits de films (près d’une trentaine) sont projetés. Ces images ont été obtenues à diverses périodes et - chose remarquable ! - elles appartiennent à des producteurs différents. On y recense aussi bien des films édités par Pathé (Cœur d’embryon de truite, 1910 ; Cinématographie radioscopique, 1911 ; Développement des œufs d’oursins, 1912 ; Circulation du sang dans les branchies d’une larve de triton, 1913 ; Circulation du sang dans la langue d’une grenouille, 1913 ; etc.) que d’autres produits par l’ONRSII (Cinématographie radiographique du cœur de l’homme, 1924), Albert Kahn (Mouvements des végétaux, 1929 ; Destruction des globules rouges par une hémogrégarine de la grenouille, 1931 ; Micro-opérations sur des hématies de grenouille parasitées par une hémogrégarine, 1932) ou l’Institut Pasteur (Caryocinèse de cellules mères d’hématies de triton, 1934). Cette diversité d’origine doit être soulignée : bien qu’ayant travaillé successivement ou concomitamment pour le compte de plusieurs producteurs, Jean Comandon a toujours veillé à revendiquer la propriété morale de ses films, ce qui était alors rarement de mise dans les milieux du cinéma documentaire. Déjà, en 1924, menacé de licenciement par la société Pathé, il s’insurge contre le traitement qui lui est infligé :

« Dans ces conditions, je me vois dans l’obligation, pour sauvegarder mes droits, de vous prier de noter que je revendique un droit de propriété sur tous les films que j’ai créés et qu’en conséquence, j’entends que l’édition de ces films ne soit faite qu’avec mon concours et mon consentement, et que je mets, bien entendu, la même condition à la cession du droit d’édition16. »

En 1966, peu avant son départ définitif de l’Institut Pasteur de Garches, le cinéaste, âgé de près de 90 ans, veille encore à préserver l’intégrité de ce qu’il reste alors de sa précieuse collection. Les négatifs préservés, précise-t-il, ont tous été laissés aux bons soins du Laboratoire des tirages cinématographiques (LTC) de Saint-Cloud…

Une question se pose néanmoins : pourquoi Comandon n’a-t-il pas conçu de longs-métrages calqués sur le modèle si bien rôdé de ses conférences à succès ? Pourquoi a-t-il laissé ce soin à d’autres ? À Jacques Schiltz par exemple, habile cinéaste propriétaire des Films du Caducée, qui édite en 1961 un film intitulé La Lutte contre les microbes. Soixante mètres de pellicules de Comandon y sont intégrés, représentant « la phagocytose, les bacilles subtils, les spirochètes des oiseaux, le bacille du choléra »17. À Fanny Mauve également, qui utilise plusieurs séquences des films du médecin dans son documentaire La Biologie, diffusé sur la RTF en décembre 1958.

Comandon répond à cette question dès 1927, dans un court article paru dans le mensuel Le Cinéma chez soi. Il y évoque ces

« bandes pouvant atteindre plusieurs milliers de mètres et donnant, pour ainsi dire, une leçon complète sur un sujet donné ».

Ces films, dont il constate, non sans une certaine amertume, qu’ils sont patronnés et subventionnés de manière privilégiée par les pouvoirs publics, n’emportent visiblement pas son adhésion :

« [Ils] ont l’inconvénient d’enlever en grande partie l’initiative du conférencier. Les commentaires sont inutiles ; souvent, leur longueur empêche qu’on les passe intégralement partout. On se fatigue de leur plan rigide18. »

Comandon ne cache pas sa nette préférence pour les films courts, traitant « d’un sujet déterminé, souvent très limité […] » :

« Ils ne reproduisent que des sujets vraiment cinématographiques dont l’intérêt est dans le mouvement, l’évolution dans le temps et dans l’espace. »

À ce titre, ils participent d’un répertoire au sein duquel le professeur peut puiser pour préparer ses « films-leçons » :

« [Il] choisira parmi ces films, tout comme il a choisi les diapositives et les vues autochromes qui complèteront la projection ; enfin des sujets de collection peuvent être montrés, des expériences faciles seront exécutées, ce qui achève de capter l’attention et d’impressionner la mémoire des élèves. »

On le voit, Jean Comandon plaide pour une pédagogie active, modulaire et résolument multisupport. À l’instar de la cellule qui ne constitue que la partie d’un tout, le film doit s’intégrer dans un édifice plus complexe – conférence ou « film-leçon » – où va s’exprimer pleinement la créativité du pédagogue.

Par-là même, il nous lègue une clé pour comprendre et interpréter son œuvre sans équivalent : c’est à la lumière de ses prouesses de conférencier que doit être scrutée sa prodigieuse filmographie !

Notes de bas de page numériques

1 Ces films sont recensés dans : Béatrice de Pastre (dir.), Thierry Lefebvre (coll.), Filmer la science, comprendre la vie. Le cinéma de Jean Comandon (CNC Éditions, 2012). Dans cet ouvrage, Magalie Bathazard et Patrice Delavie retracent l’aventure de ce chantier exemplaire dans leur article « À la recherche d’une œuvre perdue » (p. 61-71). L’équipe documentaire, coordonnée par Béatrice de Pastre, était constituée de Magalie Balthazard, Jocelyne Cartier-Stérin et Patrice Delavie.

2 Le 26 octobre 1909, Albert Dastre présente les travaux de son élève Comandon devant les membres de l’Académie des sciences. Suit la projection, dans une salle annexe, d’une quinzaine de films (trypanosomes, spirochètes, infusoires, etc.). Émile Roux, directeur de l’Institut Pasteur, fait partie des spectateurs. La presse se fait l’écho de cette « première ».

3 Régis Gignoux, « Les microbes en liberté », Le Figaro, 7 décembre 1909.

4 Ibid.

5 Ventujol, « Société française de photographie », Ciné-Journal, n° 70, 20-26 décembre 1909, p. 5.

6 René Barjavel, coupure de presse non identifiée. Archives de l’Institut Pasteur.

7 Blaise Pascal, Les Pensées, 1re partie, article IV : « Connaissance générale de l’homme ».

8 Ces images font partie d’un montage apparemment édité par Pathé en 1913 : La Circulation du sang.

9 Probablement Mouvements du protoplasme dans les cellules d’Elodea canadensis (1910).

10 Film non identifié.

11 Vorticellidés (1914).

12 Microbes contenus dans l’intestin d’une souris (1909).

13 Deux extraits de films non identifiés. Voir à ce sujet : Jean Comandon, « Transport électrique des microbes », Archives d’électricité médicale expérimentales et cliniques, n° 362, 25 juillet 1913, p. 49-58, où sont reproduites les bandes en question.

14 Programme conservé par les archives de l’Institut Pasteur.

15 Ibid.

16 Brouillon d’une lettre de Jean Comandon au directeur de la société Pathé, 17 juillet 1924. Archives de l’Institut Pasteur.

17 Lettre de Jacques Schiltz à Jean Comandon, 14 juin 1961. Archives de l’Institut Pasteur.

18 Jean Comandon, « Les films d’enseignement », Le Cinéma chez soi, n° 11, mars 1927, p. 10. Sans doute fait-il allusion ici aux film de Jean Benoit-Lévy.

Pour citer cet article

Thierry Lefebvre, « Les « films-leçons » du docteur Comandon », paru dans Alliage, n°71 - Décembre 2012, Cinéma scientifique et médical, Les « films-leçons » du docteur Comandon, mis en ligne le 06 février 2015, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=4117.

Auteurs

Thierry Lefebvre

Maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-Diderot, équipe cerilac, groupe Sciences et Médias. Ses recherches portent sur l'histoire des sciences et des médias — radio, cinéma, etc. Parmi ses dernières publications : Filmer la science, comprendre la vie. Le cinéma de Jean Comandon (coll., avec Béatrice de Pastre, dir.), Paris, cnc, 2012 ; Carbone 14 : légende et histoire d’une radio pas comme les autres, Paris, ina Éditions, 2012 ; Les Solariums tournants du Dr Jean Saidman (avec Cécile Raynal), Paris, Glyphe, 2010.