Alliage | n°57-58 - Juillet 2006 Science et littérature 

Claude Calame  : 

Discours littéraires et biotechnologies : les  tekhnai de Prométhée et le génie génétique

p. 79-95

Plan

Texte intégral

1En guise de prélude, on postulera le principe de l’incomplétude de l’être humain. Il s’agit d’un inachèvement fondamental, inné, inscrit dans la nature même de l’homme ; il s’agit d’une incomplétude que l’être humain tente régulièrement de combler, en collaboration avec ses congénères, par différents moyens pratiques et symboliques. Dans le cas particulier, on se limitera à confronter deux représentations que se fait l’homme de sa propre incomplétude et des moyens qu’il se donne pour la surmonter : l’une provient de l’Antiquité grecque classique, centrée sur la culture athénienne et sa compréhension de la civilisation des hommes, l’autre relève de la modernité technologique et universalisante, propre à la société occidentale néo-libérale à partir des perspectives ouvertes par le génie génétique. Il s’agit de deux représentations des procédés par lesquels l’homme se transforme lui-même en interaction avec son environnement  pour combler socialement, par le travail de la technique et de la culture, son incomplétude constitutive ; il s’agit de deux manières de se représenter le processus très général de l’anthropopoiésis, de la fabrication (sociale et culturelle) de l’homme par lui-même.1

2Du côté de la Grèce classique, la contribution des tékhnai constitue un aspect essentiel de la construction de l’homme civilisé par lui-même et de l’élaboration de la culture. C’est, en particulier, le récit héroïque de Prométhée qui donne une représentation de la manière dont les dieux ont accordé aux hommes différents arts pratiques afin de leur permettre d’échapper à leur condition première de bêtes sauvages. Ces arts sont essentiellement centrés sur des savoirs sémiotiques faisant appel à une intelligence d’ordre herméneutique ; or, cet aspect technique de la civilisation des hommes (Grecs) est situé par la légende de Prométhée littéralement dans une marge, sur une frontière (du monde habité par les mortels). Et cette position marginale, aux confins de la terre habitée, reçoit son expression métaphorique dans la húbris, l’arrogance et la démesure que l’usage des techniques peut induire chez l’homme civilisé ; ce danger du dépassement des limites désormais symboliques assignées à l’homme est figuré en particulier dans la punition qu’inflige la légende à Prométhée lui-même, par la volonté de Zeus.

3Il y a donc une étrange correspondance entre cette conception hellène de la civilisation des hommes et le concept anthropologique de l’anthropopoiésis ; ce concept opératoire est issu de la conscience (post)moderne des différents modes de construction sociale et culturelle de l’homme par lui-même. Parce que l’être humain vient au monde inachevé, il ne peut se passer des différents processus de socialisation de son organisme et de son intellect par la culture. Mais en tant que symbolique et autotélique, la culture elle-même assigne à ce travail d’éducation sociale et de fabrication civilisée de l’homme certaines limites, qu’il convient de ne point dépasser. C’est dire qu’en devenant un homme civilisé par l’éducation et par l’invention de différentes pratiques à portée souvent symbolique, l’homme est contraint de limiter ses capacités naturelles, tout en ayant la tentation de les dépasser. Si l’homme mortel comble son inachèvement constitutif par le travail collectif de la culture, il se trouve aussi sous la constante menace d’enfreindre les limites qui lui sont assignées par sa mortalité même.

4Pour passer du modèle grec classique à l’un des paradigmes fondant la (post- ou hyper- ) modernité, les pratiques impliquées par le savoir récent sur le génome humain et les espoirs placés dans le génie génétique fournissent un excellent exemple du franchissement possible des limites apparemment assignées à l’homme en tant qu’être incomplet et mortel, mais civilisé. Ce que l’on mettra en question ici, à la suggestion d’une lecture du Prométhée enchaîné d’Eschyle, ce sont moins les implications morales des manipulations des gènes de l’homme et des transformations possibles de la nature de l’être humain, que le problème épistémologique posé par l’usage, dans la représentation de ces pratiques techniques, de métaphores ; celles-ci sont précisément empruntées au domaine de la linguistique et de la sémiotique. Les perspectives ouvertes par le travail technique et symbolique de l’homme sur le génome humain méritent d’être envisagées en termes anthropologiques et épistémologiques d’anthropopoiésis.

Les tékhnai de Prométhée chez Eschyle

5Prométhée, héros culturel, a retenu l’attention d’Eschyle, qui lui a consacré une trilogie entière. Dans un passage célèbre de la seconde de ces trois tragédies, le héros se vante devant le groupe choral formé par les filles d’Océan des biens nombreux qu’il a accordés aux hommes mortels.2

6Dans une première phase — se targue le héros, appartenant à la génération des fils de Titans, — les mortels vivaient comme non pas exactement des bêtes sauvages, mais des fourmis. Ils passaient leur vie souterraine dans des grottes, où ils végétaient comme des formes fantomatiques et des figures de rêve (oneiráton morphaí), à l’instar des pauvres âmes que rencontre Ulysse dans l’Hadès, à l’occasion de sa descente aux Enfers.3 Pour les hommes, cette obscurité signifie qu’ils ne peuvent faire usage ni de la vue, ni de l’ouïe. Mais incapacité sensorielle signifie aussi impossibilité de déchiffrement et d’interprétation : qui ne voit ni n’entend est incapable de percevoir les mouvements des astres; il est, par exemple, incapable de les interpréter comme des indicateurs pour les travaux des champs. Pour l’homme, exercer ses sens signifie aussi donner du sens. C’est pourquoi Prométhée apporte aux hommes deux types de savoirs. D’une part, les artifices que sont les sophísmata (v. 459 et 470). Ces inventions, requérant adresse et ingéniosité, appartiennent à l’art sémiotique, susceptible de développer l’entendement (gnóme) d’hommes mortels, à l’origine aveugles et sourds. Parmi ces savoirs relevant de l’artifice, ingénieux, on trouve la lecture des signes célestes et l’écriture conçue comme « artisane mère des Muses » (mousométor’ergáne, v. 461) et artifice de la mémoire,4 mais il y a aussi les expédients inventifs que sont les mekhanémata (v. 469) et qui fournissent aux mortels des moyens techniques tels que l’art de la voile.

7Tous ces produits de l’invention de Prométhée dépendent de l’intelligence artisane, de la mêtis.5 Ils correspondent à des savoirs techniques (tékhnai) et à des voies pratiques (póroi) permettant aux hommes mortels d’échapper aux apories du non-civilisé. S’y ajoutent encore, probablement saisies aussi comme mekhanémata, les différents remèdes (pharmaká) susceptibles, par un juste mélange, de guérir les malades, ainsi que les différents arts oraculaires qui, en tant que sophísmata, permettent d’éclairer et d’interpréter des signes (sémata, v. 498) obscurs. Avec une seule allusion au sacrifice sanglant (v. 496-497), les rapports des humains avec les animaux ne sont pris en considération que dans la mesure où ils rendent plus faciles et plus transparentes les relations des hommes avec les dieux et avec leur volonté. La structure annulaire qui englobe ces différents arts techniques dans la catégorie des tékhnai (v. 477 et 506 ; voir aussi v. 497) les adresse à l’ensemble du genre humain (ánthropoi au v. 501) ; ils sont finalement présentés comme des sources de profit (phelémata, v. 501) pour tous les hommes.

8La contribution de Prométhée à la fabrication et à la civilisation de l’homme consiste donc en différentes techniques, facilitant, notamment, la communication des mortels avec les dieux. Pourquoi donc Zeus aurait-il dû prendre ombrage de ces dons du Titan aux humains ?

9Qui se considère comme sensible à la dimension énonciative de tout texte envisagé comme discours ne saurait mettre entre parenthèses le contexte de la longue tirade mise par Eschyle dans la bouche de Prométhée. À cet égard, on relèvera plusieurs phénomènes d’ordre intra-discursif. Tout d’abord, au nunc (intra-discursif) de l’éloge par Prométhée des dons qu’il a offerts aux hommes, correspond un hic dramatique précis. Au moment où il récite sa tirade, le héros se trouve aux confins de la terre habitée, sur l’une des frontières du monde connu par les Grecs. Il a été conduit en cette région liminale de la lointaine Scythie par Force et par Violence ; Kratos et Bia le contraignent donc à séjourner dans « un désert sans mortel » (ábroton eis eremían, v. 2). Dans la mise en scène imaginée par Eschyle, Prométhée parle donc dans une région totalement privée de civilisation.6

10Dans ce même prologue de tragédie, on apprend également qu’en se montrant un philánthropos, (v. 11 et v. 27), Prométhée a précisément dépassé les limites de la justice (díke, v. 30). Dans la mesure où il a accordé aux mortels des honneurs (timaí) d’origine divine, il n’a pas respecté le pouvoir souverain (turannís, v. 10) de Zeus. C’est pourquoi, il a suscité la colère des dieux en général. Ainsi, Prométhée, à nouveau de manière paradoxale, se révèle-t-il un hubristes, un être qui a franchi les limites assignées à l’homme mortel.7 Au moment où le héros est enchaîné à un rocher, aux confins du monde habité, Kratos peut lui adresser les mots suivants :

« Maintenant, fais ici l’arrogant (hùbrizeí) et dépouille les dieux
de leurs privilèges pour les donner aux éphémères mortels.
Quelle réponse les mortels seront-ils capables de donner à tes peines ? »8

11Comme c’est fréquemment le cas dans la tragédie, la leçon provisoire de l’histoire est formulée par le chœur. D’une part, précisément avant la longue rhêsis au cours de laquelle Prométhée énumère tous les savoirs techniques et les bienfaits qu’il a accordés à l’homme, les choreutes dénoncent le pouvoir violent (kratúnon, v. 402) de Zeus. Par son arrogance (huperéphanos, v. 404), le dieu a lui aussi dépassé les limites !D’autre part, les mêmes choreutes reconnaissent, juste après la tirade de Prométhée, que le héros n’a pas craint la puissance de Zeus (comme ces jeunes Océanides tendraient au contraire à le faire) ; elles estiment que le héros a manifesté trop de respect à l’égard des mortels (sébei, v. 543). Au pouvoir autoritaire (krátos,)de Zeus, le « tyran », est opposé l’entendement (gnóme) des choreutes elles-mêmes (v. 527), puis celui de Prométhée (v. 543).9

12Avec ce contraste, l’action n’a évidemment pas encore atteint son terme. Que le Prométhée enchaîné ait été réalisé ou non par Eschyle, le drame appartient à une trilogie.10 En probable position centrale dans le triptyque, le Prométhée enchaîné devait être représenté après le Prométhée porte-feu et avant le Prométhée libéré. Dans la troisième tragédie, Héraclès délivrait  finalement Prométhée de ses liens en échange d’indications sur le chemin pour atteindre le jardin des Hespérides. Libéré sur l’ordre de Zeus, Prométhée devait porter une couronne rappelant son enchaînement.11 Ainsi, en conclusion à la trilogie, un produit de l’activité artisanale de l’homme était-il donné comme le souvenir (mnêma) matériel du travail artisanal que représentent les liens forgés par Héphaïstos, par ailleurs eux-mêmes un symbole métaphorique du pouvoir de Zeus ; mais, dans un processus d’ordre étiologique, il est aussi la marque de la réconciliation entre Zeus, le tyran, et Prométhée, le philanthrope.

D’Eschyle à Herder : l’incomplétude de l’homme

13Mais, au-delà de la logique paradoxale propre au mûthos grec dans son utilisation philosophique, on peut tirer trois conclusions relatives à la position marginale de la culture artisane et technique des hommes telle que figurée dans la version tragique du récit de Prométhée :

14 — Au moment de son apparition ou de sa création, l’être humain est nu et impotent. Il ne parvient pas à interagir avec un environnement qui lui est hostile. Le développement de ses sens requiert différents moyens techniques, lesquels par la vie sociale, lui permettront une communication d’ordre culturel avec les dieux et avec son entourage, le conduisant ainsi à la civilisation.

15 — L’exercice même des savoirs et des arts techniques situe la culture humaine qui en est le produit sur une limite que l’homme est toujours menacé de dépasser et d’enfreindre.

16 — Fondamentalement, l’homme est un animal incomplet. C’est un être d’inachèvement. À l’aide des différents arts pratiques et sémiotiques accordés par Prométhée, il est susceptible de surmonter, en partie tout au moins, cet inachèvement constitutif : c’est là le travail de la civilisation comprise comme un ensemble d’activités techniques et d’artefacts d’ordre en général symbolique. Mais paradoxalement, même transformée en politikè tekhné selon l’idée offerte par Platon dans le Protagoras,12 la culture humaine situe l’homme dans une position marginale, tout en en faisant de lui un animal constamment tenté d’enfreindre la frontière sur laquelle il se trouve, et constamment menacé de commettre par son arrogance un acte d’húbris vis-à-vis de l’ordre supérieur dont dépend son état de civilisé.

17En 1784 déjà, Johann Gottfried Herder écrivait, dans les Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit :

«So wenig ein Mensch seiner natürlichen Geburt nach aus sich entspringt: so wenig ist er im Gebrauch seiner geistigen Kräfte ein Selbstgeborner (...). Der Mensch ist also eine künstliche Maschine, zwar mit genetischer Disposition und einer Fülle vom Leben begabt; aber die Maschine spielet sich nicht selbst und auch der fähigste Mensch muss lernen, wie er spiele.»13

18La conclusion qui en est tirée est claire : « Es gibt also eine Erziehung des Menschengeschlechts », une éducation du genre humain considérée comme une collaboration interactive (Zusammenwirkung) des individus. Et cette künstliche Erziehung permet aux hommes de répondre à leurs besoins de base selon le plan de leur père et créateur. Ainsi, selon la métaphore réinventée en plein Moyen Âge, n’est-il plus uniquement de rigueur de lire le « Livre de la Nature » ; il n’est plus uniquement question, comme plus tard pour Galilée ou Descartes, de tenter d’écrire ce livre ; mais ce livre devient celui d’une nature humaine que l’on souhaite désormais modeler.14

19Ainsi, les capacités techniques accordées par Prométhée ont-elles été remplacées par des dispositions innées et génétiques. À l’idée d’une justice politique dans la création et la gestion de la vie sociale et culturelle s’est substituée l’idée romantique d’une éducation permettant l’interaction des hommes constitués en individus et la maîtrise culturelle des mécanismes fournis par une nature contrôlée par son créateur. L’intention de ce dernier donne donc à l’éducation sociale une dimension téléologique. Dans l’idéalisme de la pensée romantique, ce qui a disparu c’est la représentation hellène de la position marginale, à la fois littéralement et métaphoriquement, du processus d’anthropopoiésis, de fabrication de l’homme par les moyens que lui accorde un héros culturel tel Prométhée, un héros culturel devenu désormais une nature organisée par un Créateur. En Grèce classique, tout en faisant de l’homme un animal politique de société et de culture, la fabrication de l’humain par les arts techniques et symboliques inventés par Prométhée exposait le genre humain au danger permanent de l’arrogance que le héros culturel lui-même avait manifestée vis-à-vis des dieux, À l’issue du siècle des Lumières, l’homme se trouve au centre d’une nature avec laquelle il peut entrer en interaction afin de compléter ses insuffisances constitutives. Cette nature est désormais sa nature, une nature humaine sur laquelle l’homme est toujours intervenu par différents moyens de transformation, tels les blessures symboliques, le maquillage et les tatouages ou les interventions chirurgicales, mais sur laquelle la perspective de manipulations du patrimoine génétique lui donne d’avoir, du moins théoriquement, une influence définitive.

L’anthropopoiésis par le génie génétique

20Depuis le siècle des Lumières, l’homme n’a plus besoin ni de l’aide d’un héros culturel, ni des limites garanties par les dieux pour compléter ses capacités naturelles et faire de lui-même un homme dans une communauté sociale civilisée. Dans cette perspective de l’anthropopoiésis par le travail de la culture, désormais l’individu s’invente par la pratique de techniques raffinées, enseignées dans une éducation éventuellement supervisée par un créateur très abstrait. À cet égard, personne ne niera les espoirs gigantesques, mais aussi les fantasmes les plus fous que, dans la pensée de la société occidentale néo-capitaliste et postmoderne, vient alimenter le génie génétique.

21Ce qu’il s’agit d’offrir ici à ce propos, ce n’est pas une comparaison entre une représentation prométhéenne de l’homme civilisé et la nouvelle conception de l’humain à imaginer et à dessiner à partir des perspectives qu’ouvrent par la génétique et la génomique appliquées à l’être humain. Mais ce que je vais tenter de proposer, en profane dans le domaine, ce sont quelques réflexions suscitées par quelques-uns des grands principes épistémologiques sous-jacents aux discours tenus autour des usages des savoir-faire génétiques sur l’organisme humain. On aimerait interroger ici essentiellement trois aspects de l’application à l’homme des connaissances et des pratiques du génie génétique dans ses conséquences culturelles :

22 — Premièrement, l’aspect technique du génie génétique comme un art appliqué, susceptible de transformer l’organisme de l’homme;

23 — Ensuite quelques-unes des conséquences possibles de la manipulation du génome humain sur l’environnement culturel de l’homme, quand on envisage ce processus d’anthropopoiésis en termes déterministes;

24 — Enfin, certaines des implications épistémologiques présentes dans l’usage métaphorique de notions linguistiques et sémiotiques pour rendre compte de ce supposé fonctionnement déterministe du génome et de la molécule d’adn avec ses séquences.

25En février 2001, les revues Science et Nature ont informé l’humanité que 95 % du génome de l’homme avait été déchiffré. Grâce à l’entreprise publique « Human Genome Project » (dépendant de hugo : Human Genome Project Organization), et grâce au projet privé « Celera Genomics », des scientifiques étaient désormais capables de «comprendre» la partie principale de la structure génétique de la grosse molécule d’adn.15 Pour certains, ce résultat signifiait une nouvelle découverte de l’Amérique; pour d’autres, il s’agissait de l’aboutissement d’un simple do it yourself (diy) de bricoleurs.16

26Une chose est certaine. Pendant que les Français s’enthousiasment pour le génie génétique, les Anglo-Saxons pratiquent le genetic engineering et les Allemands parlent simplement de Gentechnik ! La lecture et le travail de déchiffrement sur le génome humain s’appuient, à dire vrai, sur des méthodes expérimentales éprouvées : observation à l’aide d’instruments de haute technologie, fabrication de données et élaboration de modèles au moyen d’instruments informatiques particulièrement puissants. Le développement de l’instrumentation technique en physique, en collaboration avec la biologie quantitative et «invasive», qui permet d’introduire des perturbations faisant réagir le complexe observé, jouent à cet égard un rôle central. Essentiellement basées sur l’observation et sur la manipulation, ces méthodes empiriques et statistiques expliquent pourquoi les connaissances concernant le génome relèvent en général de la technique.

27Par anticipation sur le troisième problème à soulever, il convient de remarquer d’emblée que l’une des métaphores les plus fréquemment utilisées dans le domaine du génome est celle du patrimoine génétique. Désormais, le profane devrait avoir compris que le noyau de chaque cellule constitutive du corps humain est censé contenir le patrimoine qui est formé au moment même de la fécondation sexuée. Cet héritage serait composé des différents gènes reliés les uns aux autres dans la molécule d’adn et dans ses séquences constitutives, selon différentes formes et combinaisons.17 Il faut ajouter que les gènes ne représentent, à vrai dire, que 5 % de la substance de l’ adn et il convient de ne point oublier que nous ne savons rien des segments qui se trouvent entre les gènes. C’est ainsi que peut s’expliquer le fait que moins de 5 % de la molécule d’ adn sont transformés en protéines. Pour les biologistes, le reste de la molécule n’est pour l’instant que du junk...18 Si les média ont pu annoncer à grand fracas que désormais, les séquences du génome humain étaient entièrement déchiffrées, cela signifie, en fait, que les biologistes n’ont su faire apparaître qu’une partie minime de notre patrimoine génétique !

28En tant que savoir technique et artisanal, le génie génétique est fondé sur une conception de la production du savoir pas très éloignée en somme de celle sous-tendant les tékhnai dont Prométhée se vantait d’avoir gratifié les mortels malgré la colère de Zeus. Il n’y a donc aucune surprise à voir les partisans les plus chauds du génie génétique appliqué à l’homme faire l’éloge des futurs développements et usages de la nouvelle tékhne dans le domaine thérapeutique, en termes d’ophélema.

29Dans ce sens, les futurs usages thérapeutiques de la manipulation génétique peuvent donner au travail sur le génome humain une sorte de légitimité morale. Mais la perspective de manipulations génétiques d’ordre thérapeutique soulève d’emblée une question de limite, celle qu’il convient de tracer entre le pathologique et le normal ! Jusqu’où est-il possible d’intervenir dans la nature et le statut individuels et collectifs de l’être humain ? Dans quelle mesure est-il possible de modifier biologiquement l’organisme humain ? Quels sont les critères organiques de la normalité, et par conséquent, de la santé ? Comment peut-on décrire et fixer ce que pourrait être une condition humaine moyenne ? L’emploi d’une nouvelle technique susceptible de modifier la «nature» humaine dans la direction d’une certaine utilité sociale, ou selon les critères de pratiques médicales acceptées socialement, pose à nouveau la question des limites à assigner au développement d’une activité technique appliquée par l’homme à l’homme.

30Mais la visée qui fonde désormais dans l’opinion publique la représentation que l’on se fait de la manipulation génétique appliqué à l’organisme humain est celle du clonage. Or, mis dans la perspective du récit de Prométhée, ce fantasme de la reproduction à l’identique apparaît comme une simple variation de l’aspiration à l’immortalité. Avec les formes extrêmement variées qu’il connaît d’une culture à l’autre, ce désir d’échapper à la mortalité, et par conséquent, à la condition humaine, nous entraîne vers l’autre constellation de métaphores qui expriment la base épistémologique implicite du génie génétique.

31Les chromosomes seraient alors composés notamment de molécules d’adn, dont les séquences chimiques incluraient, en particulier, les gènes. Les gènes eux-mêmes fonctionneraient à la manière d’un code. C’est dire qu’ils fourniraient l’information ou, mieux encore, le message contribuant à la production des protéines dans la cellule. De manière plus précise, les gènes seraient composés de quatre acides aminés, dont les différentes séquences seraient traduites en protéines selon la clé donnée par le code. Du recours aux notions empruntées à la théorie de l’information, l’explication passe alors aux analogies suggérées par le domaine des sciences du langage et de la communication. Le génome contenu dans chacune de nos cellules, et par conséquent l’information correspondante, avec sa grammaire, seraient à déchiffrer et à lire comme un livre, sinon comme un roman. De là, il ressortirait que le génome de l’homme pourrait apparaître et être lu comme une carte, voire une encyclopédie, sinon comme le livre de la vie.19 Il s’ensuit que les génomes des un million six cent mille espèces existantes seraient à considérer comme une vaste bibliothèque. En particulier, à propos du génome humain, n’est-on pas allé jusqu’à parler de la nécessité d’une genetic literacy ? 20

32Situé entre la théorie de l’information telle que développée selon le schéma proposé par Claude E. Shannon et Warren Weaver et la théorie de la linguistique fonctionnelle, le modèle épistémologique du code génétique a été proposé pour la première fois par Erwin Schrödinger. Le physicien allemand, réfugié en Grande-Bretagne imagine en effet que l’héritage génétique, notamment de l’être humain, est transmis par une substance d’ordre organique et physique. Même si l’on ne fait pas encore l’hypothèse de la nature chimique de cette substance, les relations entre le patrimoine matériel et physique et l’être vivant sont saisies en termes de code, avec le caractère de nécessité (déterministe) qu’implique cette notion.

« Moreover, we know that it is essentially determined by the structure of only a small part of that cell, its nucleus (...).
In calling the structure of the chromosome fibres a code-script, we mean that the all-penetrating mind, once conceived by Laplace, to which every causal connection lay immediately open, could tell from their structure whether the egg would develop, under suitable conditions, into a black cock or into a spleckled hen, into a fly or a maize plant, a rhododendron, a beetle, a mouse or a woman (sic!). (...) But the term code-script is, of course, too narrow. The chromosome structures are at the same time instrumental in bringing about the development they foreshadow. They are law-code and executive power – or, to use another simile, they are architect’s plan and builder’s craft – in one. …21.

33Par la métaphore du code, ce qui deviendra le génome semble devoir déterminer de manière nécessaire tout le développement de l’être vivant. En prime, le paradigme du déterminisme causal, sans doute attendu du physicien classique, est assorti de la dimension théologique impliquée par la métaphore complémentaire de l’architecte et de son art de la construction. On se situe ainsi entre créateur et main invisible.22

34Indépendamment de la nature attribuée au «pouvoir exécutif», qui serait le garant du fonctionnement déterministe des chromosomes dans le développement de l’être vivant, combiner l’image du code avec celle du texte et du livre, pour rendre compte du fonctionnement du génome, signifie ignorer des aspects essentiels de tout système linguistique, de tout langage verbal en acte. En résumé, les biologistes contemporains, en recourant, pour rendre compte du fonctionnement du génome aux métaphores du message codé et du livre à déchiffrer, semblent oublier les faits suivants :

35 - La langue ou, plus exactement, les différentes langues ne représentent que des système de signes parmi d’autres systèmes à fonctionnement sémiotique (tel le système, nettement plus fruste, des signaux du code de la route).

36 - Toute langue, tout système linguistique, sont fondés sur une double articulation.

37 - En conséquence, ce ne sont pas les unités phonétiques, que l’on appelle phonèmes, qui ont une signification, mais les différentes séquences formées par ces unités, qui d’ailleurs relèvent elles-mêmes de l’ordre de l’artefact et de l’opératoire.

38 - Dans tous systèmes d’expression verbale, la relation entre le signifiant, qui correspond aux différentes séquences de phonèmes, et le signifié, est de manière générale arbitraire.23

39 - Les unités de sens (mots), dont les limites sont en général l’objet d’une définition artificielle, sont fondamentalement polysémiques.

40 - En raison de la dimension syntaxique de chaque langue réalisée en paroles ou, mieux encore, en discours, l’unité de sens ne correspond, en fait, ni au mot, ni à la phrase, mais à ce qui se manifeste à nous en tant que texte.

41 - En grande partie à cause du phénomène de la polysémie, chaque langue possède une extraordinaire capacité fictionnelle ; cela signifie qu’au-delà de la capacité de référence, chaque usage du système linguistique en discours est suceptible de construire et de créer une nouvelle signification.

42 - En tant que réalisation d’un système linguistique, chaque discours possède une dimension pragmatique, dont les effets extra-linguistiques dépendent de conditions de communication repérées dans le temps et dans l’espace : ces effets d’ordre pragmatique ne dépendent donc pas uniquement de l’emploi de la langue entendue comme un code capable de transmettre des  messages (univoques).24

43Pour ces nombreuses raisons, une langue correspond à un système de signes verbaux qui n’existe que dans ses emplois ; une langue ne saurait par conséquent être tenue pour un simple code. Les produits de l’activité verbale qui se fonde sur un tel système sémiotique sont toujours polysémiques. Cette marge d’indétermination et de potentialité sémantique les soumet à différentes interprétations dans différentes situations spatiales et temporelles. En raison de leur caractère à la fois sémiotique et pragmatique, ces produits suscitent, en quelque sorte par nature, d’incessantes activités herméneutiques, qui se renouvellent dans le temps et dans l’espace.25

44Le déterminisme qu’impliquent, sur le plan épistémologique, la notion de code et celle du déchiffrement de messages codés ne correspond ni à la polysémie des manifestations linguistiques, ni à la séquence des interprétations engagées par tout usage d’un langage verbal articulé. À cause de cette contradiction d’ordre épistémologique, il est inexact, sinon dangereux, de procéder à des manipulations du génome humain envisagé comme un code.26 Si le concept même du génie génétique est sans doute pertinent et s’il peut conduire à des pratiques expérimentales efficaces, les manipulations qui en découlent ne peuvent être vues comme des actions mécaniques aux conséquences prévisibles ; elles ne sauraient être réduites à l’usage et à la reformulation d’un code et d’un message relevant de la théorie de l’information. Les conséquences de manipulations programmes en ces termes ne sauraient être soumises à la prévision mécaniste. Commettre une telle erreur épistémologique reviendrait à enfreindre les limites attachées à la nouvelle technique.

45Par ailleurs, en 1994 déjà, le spécialiste étatsunien en biologie moléculaire Richard Strohman, déclarait : « Les règles qui président à la régulation physiologique et aux différents degrés d’organisation des cellules ne se trouvent pas dans le génome, mais dans les réseaux épigénétiques interactifs qui organisent la réponse du génome aux signes de l’environnement. »27 Ainsi, non seulement l’influence organique des gènes ne saurait-elle être pensée dans les termes déterministes que présuppose la constellation de métaphores autour de l’idée de code, mais leurs effets dépendent largement de l’environnement de leur champ d’action. La conséquence en est que la transmission de gènes modifiés et que la reproduction du même ne sont que théoriquement possibles. La reproduction à l’identique par le clonage d’un animal, sinon d’un être humain, relève donc du pur fantasme.

Pour conclure : le rôle du hasard

46Le 26 juin 2000, au tournant même du millénaire, le président des États-Unis pouvait clamer : « Le déchiffrement du patrimoine génétique de l’homme est achevé. »28 Cette déclaration péremptoire et universalisante se fondait sur les résultats du travail de la collaboration concurrente entre le Human Genome Project, de statut public et l’entreprise privée de Celera Genomics, déjà mentionnés.

47Aussitôt, dans la logique du déterminisme causal que l’on vient de dénoncer, on a programmé de possibles manipulations du génome de l’être humain. Le modèle en était fourni par l’apparition sur le marché des organismes génétiquement modifiés. Et de même que pour les ogm, les représentants de l’industrie chimique ont immédiatement envisagé le brevetage des pratiques rendues possibles par l’expérimentation du génie génétique sur l’organisme humain. Par la transformation juridique de découvertes en inventions et sous prétexte de la rentabilisation des investissements dans la recherche, les profits à tirer des applications du savoir technique correspondant au déchiffrement du génome de l’homme, essentiellement dans des thérapies médicales, devaient être protégés.29 La nouvelle tékhne devenait donc une technologie, espoir et source d’importants profits financiers.

48Sans parler de la question de son utilité sociale, les fondements épistémologiques de la technologie du génie génétique appliqué à l’homme n’ont apparemment pas suscité d’interrogations très radicales. Si nous acceptons les conséquences pratiques de la métaphore fondamentale du patrimoine génétique, manipuler le génome humain signifierait que, pour la première fois, l’homme, non seulement serait capable d’intervenir en profondeur sur sa propre constitution, mais pourrait également transmettre à ses descendants les modifications introduites de manière déterministe dans son propre organisme. Si l’on tente de traduire cette véritable première dans les termes de la mise en scène par Eschyle de l’histoire de Prométhée, cela signifie que les mortels seraient désormais capables d’adopter vis-à-vis des techniques non seulement l’attitude du héros qui les a inventées et transmises, mais aussi la position de Zeus lui-même ! La question désormais n’est plus uniquement une affaire de tékhne, de savoir-faire artisanal, avec une fonction d’utilité ; mais il s’agit de fabrication et de (re)création. L’application à l’organisme et à l’être humains du savoir-faire génétique correspond non plus à une anthropopoiésis pratique et culturelle, mais à une véritable métapoiésis !

49Ce qui doit être remis fondamentalement en question dans les différentes techniques issues de manipulations génétiques conçues à travers les métaphores du patrimoine et du code, ce ne sont pas les éventuelles applications thérapeutiques, mais l’étrange silence relatif au rôle que joue l’indétermination, en général en interaction avec l’environnement organique, naturel et culturel. Du point de vue épistémologique, on pourrait sans doute admettre que l’homme prenne la place de Prométhée, voire celle de Zeus ; mais l’homme est-il en mesure de se substituer à la túkhe ? Sans parler de l’influence de l’environnement, ni des séquences qui, dans la structure de l’adn, n’ont pas encore été l’objet d’un déchiffrement, l’húbris induite par la manipulation génétique, envisagée dans une perspective de déterminisme causal, réside dans la croyance que l’homme serait capable de dominer la part de hasard dans les processus de production des protéines par le programme codé des gènes, et dans l’insistance à se fonder de ce fait sur une métaphore épistémologiquement inadaptée.30 Si effectivement, est franchie l’une des limites assignées à la condition de mortel, le problème pour l’homme serait moins de tenter de corriger les effets du hasard dans les pratiques issues du génie génétique que de proposer une technologie fondée sur des principes épistémologiques pertinents.

50Par ailleurs, encore en relation avec la version qu’offre Eschyle de la contribution prométhéenne à la civilisation des hommes, il est sans doute possible de trouver une légitimité à l’acte d’húbris commis par Prométhée à l’égard du pouvoir de Zeus. Les différents arts sémiotiques et symboliques que donne aux hommes le héros titan sont des ophelémata : ils trouvent leur utilité dans la production de la vie civilisée.31 Mais transférée dans l’économie capitaliste néo-libérale, et mondialisée sous-jacente à la post- ou à l’hypermodernité, l’utilité des nouvelles tékhnai se traduit en termes de bénéfice d’ordre financier. Ce transfert fait passer au second rang les aspects moraux, sociaux et culturels de l’emploi anthropopoiétique de la nouvelle technologie. Comme on l’a dit, dans le paradigme économiste et libéral ambiant, les enjeux de la génomique et du génie génétique humains sont devenus essentiellement financiers, même dans le champ de la thérapie médicale.

51Ce qui est désormais et finalement en jeu, c’est à nouveau l’incomplétude constitutive de l’être humain, avec ses tentatives de la surmonter par le travail social de la culture. Assurément, les neuro-biologistes ont été capables récemment de montrer que les capacités organiques du cerveau humain sont peu à peu limitées au cours du développement d’un individu par l’éducation et la vie en société. Mais ces restrictions progressives dans la compétence du cerveau signifient aussi que l’homme est fortement marqué et orienté, dans le déploiement de ses aptitudes innées, par le travail de la culture.32 La fabrication de l’homme civilisé par Prométhée dans la tragédie d’Eschyle ou, mieux encore, dans le Protagoras de Platon, fait du mortel un zôion politikón, un animal social. Pour empêcher l’anthropopoiésis contemporaine de placer la civilisation des hommes sur une limite et soustraire celle-ci au danger de franchir cette frontière, sans doute aurait-on avantage à considérer le génie génétique appliqué au génome humain non comme une pure technologie, source d’éventuels profits, mais comme un art pratique, ayant aussi des effets sociaux et symboliques. Au-delà des espoirs de réalisation des fantasmes de la reproduction à l’identique et de l’immortalité, cela pourrait nous conduire à une une nouvelle définition, plurielle désormais, de la civilisation!

52M. Vegetti, « Dans l’ombre de Toth. Dynamique de l’écriture chez Platon », in M. Detienne (ed.), Les savoirs de l’écriture. En Grèce ancienne, Lille (Presses Universitaires de Lille), 1988, 387-419

Notes de bas de page numériques

1 . Ce concept de l’anthropopoiésis est explicité et mis en pratique dans l’étude de Remotti, 1999, dans les contributions réunies par Remotti (ed.), 1999, et dans les analyses publiées dans Affergan (et al.), 2003.

2  Eschyle, Prométhée enchaîné 436-506. L’authenticité de la tragédie a souvent été mise en question: cf. Griffith, 1983: 31-35 et Saïd, 1985: 9-80.

3 . Homère, Odyssée 10, 495 et 11, 539-635 ; pour cette conception de la vie des âmes dans l’Hadès, voir Sourvinou-Inwood, 1995, 56-94.

4 . Cette représentation de l’écriture comme expédient artisanal a été développée par Platon dans le Phèdre (274c-275b), par l’intermédiaire du récit de Toth: cf. Vegetti, 1988. Saïd, 1985: 131-186, a bien montré l’ambivalence des techniques prométhéennes et leurs relations avec les savoirs dispensés par les sophistes.

5 . Voir notamment Detienne & Vernant, 1974, 84-103.

6 . Eschyle, Prométhée enchaîné 1-22 et 28-30. Kratos et Bia sont les puissances de la nouvelle souveraineté exercée par Zeus, cf. Griffith, 1983, 80-81. Quant à la position marginale de la Scythie en particulier dans la représentation du monde habité donnée par Hérodote, voir Hartog, 2001, 69-97.

7 . Sur le concept de húbris comme franchissement indu des limites assignées à l’homme notamment chez Eschyle, voir en particulier Lloyd-Jones, 1971, 28-54 et 85-99.

8 . Eschyle, Prométhée enchaîné 82-84 ; la signification du verbe hubrízein est explicitée par Griffith, 1983, 98-99.

9  Eschyle, Prométhée enchaîné 526-543 ; pour la première partie de ce bref stasimon, voir Griffith, 1983, 182-186, et, en général, Saïd, 1985, 302-310.

10 . La question de la trilogie est notamment traitée par Griffith, 1983, 281-305. On pourrait ajouter ici le chant choral de Sophocle, Antigone 332-375 : « Parce qu’il dispose des ingénieux moyens d’un savoir technique plein d’espoir, l’homme emprunte parfois le chemin du mal, parfois le chemin du bien » (v. 364-366).

11  Eschyle fr. 202 Radt ; cf. aussi p. 306 Radt. Il convient de ne point oublier que, précisément dans l’Athènes classique, Prométhée est l’objet d’un culte héroïque, cf. Pisi, 1990, 21-51.

12 . Platon, Protagoras 320c-323a ; voir Morgan, 2000, 132-154.

13 . Herder, 1784/1989: 336-338 (II, § 9.1). Voir à ce propos les remarques de Remotti, 1999, 21-23.

14 . Sur les différents avatars connus par le « Livre de la Nature » jusqu’au genomic book of life, cf. Kay, 2000, 30-37.

15 . Voir Science et Nature. Cf. Brown, 2000.

16 . Voir à ce propos le débat entre Dubochet et Pichot, 2001, 42-45.

17 . Les quatre molécules et composants de base sont — rappelons-le — l’adénosine, la thymidine, la cytosine et la guanine.

18 . Sur ces données, cf. Kupiec & Sonigo, 2000, 85-128.

19 . Voir notamment Brown, 2000, 40-43, ainsi que Kay, 2000, 34-37 et 310-325, notamment dans un chapitre intitulé « Between Ontologies and Analogies : the Chimera of the Book of Life ». Pour les acides aminés, cf. supra n°. 17.

20 . Cf. Turney, 1998, 131-138, qui explore à vrai dire le concept dans le sens de la formation en génie génétique nécessaire à l’exercice de différentes activités professionnelles et sociales.

21 . Schrödinger, 1944/1967: 22-23. À peu près au même moment le schéma de la communication, dans sa version la plus mécaniste, était proposé par Shannon & Weaver, 1942 ; voir à ce propos les remarques critiques essentielles de Grize, 1996, 57-71.

22 . Sur d’autres métaphores empruntées dès Schroedinger aux théories de l’information et du cyberspace, cf. Fox Keller, 1995, 108-118.

23 . En réintroduisant la réalité dans le processus de la référence linguistique, Benveniste, 1966, 49-55, a montré que l’arbitraire marquait non la relation entre le signifié et le signifiant (présentés par Ferdinand de Saussure comme le recto et le verso d’une même feuille de papier), mais la relation entre ce couple, formé par représentation mentale et image acoustique, et le monde des objets réels.

24 . La plupart de ces différents caractères de la langue en tant que système de signes, à fonctionnement sémiotique et pragmatique, sont bien évoqués par Eco, 1984 ; pour la question du code génétique, voir en particulier 288-292. Les abus de ces métaphores linguistiques ont été clairement énoncés par Adam, 2001.

25 . Voir les quelques suggestions et références que j’ai proposées à ce sujet en 2002, 67-77.

26 . De plus, les difficultés techniques soulevées par l’interprétation des séquences composant un génome sont bien expliquées par Rechenmann & Gautier, 2000.

27 . Strohman, 1994, 156, cité par Testart, 1999, 38.

28 . Le 14  mars de la même année, Tony Blair, Premier ministre d’une Grande Bretagne elle aussi acquise au capitalisme néo-libéral, devait ajouter, en accord avec Bill Clinton : « Les données fondamentales sur le génome humain, y compris le séquençage de l’ensemble du génome contenu dans l’adn de l’homme, avec ses variations, doivent être accessibles aux scientifiques du monde entier. »

29 . À peine Bill Clinton et Tony Blair (cf. supra n. 33) avaient-ils affirmé le caractère public des connaissances concernant le patrimoine génétique des êtres humains, le usPatent and Trademark Office répliqua (en date du 16 mars 2000) : « Les gènes et les inventions génétiques qui étaient brevetables la semaine dernière, le sont aussi cette semaine, dans les mêmes conditions juridiques. » Les conséquences sociales du brevetage des gènes, ne serait-ce que dans le domaine médical, sont envisagées par Casier & Gaudillère, 2001, tandis que Rabinow, 2000, 222-232 (en particulier), a jeté un regard anthropologique, d’ailleurs significativement partial, sur les enjeux économiques et les conséquences morales du travail de recherche dans un laboratoire en génomique (le Centre d’études sur le polymorphisme humain, à Paris, s’était vanté en 1993 d’avoir établi la première « carte physique du génome humain »: autre métaphore !) ; pour les conséquences techniques sur le Icelandic Biogenetic Project, voir Pálsson & Hardardóttir, 2002, 273-281.

30 . Lewontin, 2001, traite en termes d’hybris la peur provoquée par la perspective du clonage humain alors que le plus bel exemple de clonage nous est offert par le récit biblique de la création d’Ève! Il cite, par ailleurs, plusieurs intellectuels, juifs et chrétiens, qui entrevoient la possibilité pour l’homme d’être désormais co-créateur à côté de Dieu.

31 . Eschyle, Prométhée enchaîné 251 et 501; voir aussi 222.

32  Cf. Favole & Allovio, 1999: 181-189.

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Pour citer cet article

Claude Calame, « Discours littéraires et biotechnologies : les  tekhnai de Prométhée et le génie génétique », paru dans Alliage, n°57-58 - Juillet 2006, Discours littéraires et biotechnologies : les  tekhnai de Prométhée et le génie génétique, mis en ligne le 14 septembre 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=4021.


Auteurs

Claude Calame

Helléniste, est directeur d’études à l’ÉHESS (École des Hautes études en sciences sociales). Parmi ses derniers ouvrages : Poétique des mythes en Grèce antique, Hachette, 2000 ; Masks of Authority. Fiction and Pragmatics in Ancient Greek Poetics, Cornell University Press, 2005.