Alliage | n°40 - Septembre 1999 Nouvelles relations aux savoirs et aux pouvoirs 

Corrine Pieters  : 

Médecins, qu’attendre des philosophes ?

Texte intégral

« Je ne peins pas l’être, je peins le passage : non un passage d’âge en autre, ou, comme dit le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour et de minute en minute »,
Montaigne, Essais.

1Les facultés de médecines, forteresses pourtant bien imprenables, ont, depuis quelques années, et par décret ministériel,1 ré-ouvert leurs portes aux sciences humaines, permettant à des philosophes,2 contraints eux- mêmes à déserter leur mythique tour d’ivoire, de s’engouffrer dans la brèche de pratiques qui leur sont, ou non, étrangères.3 Comment, en dehors des choix personnels de parcours ou de formations, expliquer ce soudain et inattendu retour à une tradition, considérée comme humaniste, que la modernité semblait avoir définitivement écartée au profit d’un enseignement, d’une sélection, d’une formation quasi exclusivement scientifiques et techniques ? C’est à cette question initiale, dont les enjeux sont aussi nombreux que les usages qu’ils reflètent, que s’efforcera de répondre cet article, sous une forme qui relève tout autant de la profession de foi que du statut professionnel et institutionnel.   

2Enseigner la philosophie en faculté de médecine, c’est concilier l’inconciliable :

3 Le philosophe pose des questions parce qu’elles ne le quittent pas, tente de leur répondre en fabriquant des concepts, toujours à renouveler, mais qui doivent aussi intégrer les anciens, ceux de l’histoire de la pensée.

4Le médecin est un homme de la pratique. Compréhension des patients et appréhension du processus pathologique dans son actualité scientifique et dans sa continuité historique. Le philosophe est suffisamment étrange (suffisamment fou ?) pour préférer se retrouver seul, faisant, au fond, et quoi qu’il en dise, peu cas du monde. Le médecin est suffisamment curieux (suffisamment inquiet ?) pour choisir d’être toujours face à autrui, à un autre qui est par définition, un cas de ce monde. Invitation à la pensée, incitation à l’exercice. Deux modes de vie.

5Faire de sa vie une théorie, c’est reconnaître, au prix de l’abandon de bien des illusions, ce qui est, ce qui se donne à voir. Opter pour une vision du monde.

6Faire de sa vie une lutte incessante contre les forces morbides qui l’assaillent, c’est s’exposer à ces mêmes forces, dans la réussite comme dans l’échec. Opter pour un monde de risques. Dans sa philosophie, le philosophe essaie toujours de redescendre du monde des idées pour rejoindre la matière. Du ciel à la terre. Il en a même fait sa méthode de prédilection : la dialectique. Dans sa médecine, le médecin essaie toujours d’appréhender une matière objectivée, neutralisée, le corps, afin de la relier au monde de sa connaissance, le savoir médical. Il en a fait un mode d’appréhension : la clinique.  De la terre au ciel.

7Le philosophe est un intellectuel sans pratique, le médecin un praticien sans idées, au sens platonicien du terme : pas de valeurs en médecine, même s’il existe des normes. Pas d’en-soi (pas de pour-soi, peut-on espérer)  mais du pour-autrui.

8 Le philosophe est un homme de la distance, avec les mots comme seule réalité, le médecin un homme de la proximité, avec le contact pour seule actualité. Les mots ou les choses. L’idée ou la matière, l’esprit ou le corps, la transcendance ou l’immanence. Deux mondes aux regards croisés. Deux rapports à l’être. Deux relations aux êtres.

9Il n’y a pas de faux  en philosophie, car la philosophie énonce des thèses qui n’admettent aucune vérité, même si elle est reste toujours en quête .

10Il existe non seulement des erreurs mais des fautes en médecine, car la pratique médicale repose sur des  hypothèses qui n’acceptent aucun écart, puisqu’elle est construite sur la base de l’expérience, de la vérification et de l’illustration par l’exemple. Deux visions opposées ; d’un côté de la rive, le champ de l’incertitude et du doute, l’apologie d’une ignorance comme vertu de l’interrogation, la vraie beauté de la dissertation philosophique. De l’autre côté du fleuve, le terrain d’application d’un savoir opérationnel, glorification des connaissances mémorisées des nuits entières, dont le moindre oubli constituerait le vice, secret de la réussite aux examens ; la vérité des QCM. Deux modes d’avoir, deux façons d’apprendre, deux versants du comprendre.

11Est-il alors possible, est-il même seulement envisageable de trouver un chemin où l’un et l’autre pourraient se retrouver ? Une sorte de route, au tracé encore indéfini, où médecins et philosophes de la médecine se promèneraient, pour un moment ou pour longtemps, ensemble ?

12Cette zone de clair-obscur, si les contours s’en délimitent bien, peu à peu,  reste encore à dessiner :

13s’il est des portraits faciles à peindre, avec un peu d’observation et un minimum de technique, il est des tableaux dont le mystère ne cesse de renvoyer aux analyses. S’interroger sur les liens qui unissent le philosophe et le médecin, c’est tenter de déchiffrer l’énigme du lien, défaire le nœud de la discorde. S’il l’on veut bien s’arrêter un moment sur les textes et les images que nous ont légués l’histoire des hommes, alors, on s’apercevra vite de l’artifice des boucles. Théorie et pratique, vie et mort, santé et maladie forment bien de véritables couples, unis pour l’identique  comme pour le différent, que seule l’idéologie propre au savoir scientifiquement admis aujourd’hui a, vainement, tenté de séparer, au mépris de la seule éthique possible, celle de la mixité et de l’alliance, l’acceptation de l’altérité, la seule issue politique pourtant.   

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Le sentiment de vivre un tournant dans l’histoire de l’humanité redonne force et vigueur à la vieille question du sens : il ne s’agit pas là de spéculation, mais d’orientation : quelle direction suivre ? Comment habiter ce monde ? Quelle attitude adopter dans notre travail et dans notre vie ? Si nous espérons recevoir quelque chose de la philosophie, nous devons savoir ce qu’elle peut donner et pour cela, de qui elle dépend, comment elle est faite, comment elle fonctionne. Si nous voulons recevoir quelque chose de la médecine, nous devons mesurer ce qu’elle est en mesure d’offrir, qui sont ceux qui l’exercent, comment elle avance ou dérape.

15Voici donc apparaître le premier lien. Rien de bien théorique ici, mais la manifestation première, essentielle de la pratique : en philosophie comme en médecine, nous avançons pas à pas. De la même manière qu’un étudiant ou qu’un homme découvre la philosophie en la pratiquant, un étudiant ou un patient découvre la médecine par ce même exercice d’une pratique. La philosophie est donc tout aussi pratique que la médecine, même si leurs exercices diffèrent. Il n’y a pas d’autre voie ; on peut même affirmer aujourd’hui, sans exagération, qu’il n’y a pas d’autre issue. Il suffit d’un court extrait de La guerre du Péloponnèse pour nous y renvoyer directement :

« La maladie se déclara à Athènes ; nulle part on ne se rappelait pareil fléau et des victimes si nombreuses. Les médecins étaient impuissants, car ils ignoraient, au début, la nature de la maladie (…) toute science humaine était inefficace ; en vain on multipliait les supplications dans les temples, en vain avait-on recours aux oracles ou à de semblables pratiques ; tout était inutile ; finalement on y renonça, vaincus par le fléau ».4

16Cette guerre, entachée de violence et de maladie, mit fin à la toute-puissance athénienne. La peste fut le symbole et la réalité de la décadence. Mais point de destin ni de superstition chez le premier grand historien. Un simple (et pourtant si complexe !) constat de méthode : le mot nature employé ici renvoie au grec eïdos. L’eïdos, c’est, littéralement, le caractère propre à une personne ou à une chose, sa constitution physique. On sait aussi que c’est la forme, l’apparence, autrement dit l’image. C’est enfin l’idée, autrement dit le groupe présentant les mêmes caractères. Les médecins grecs ne sont pas venus à bout de la peste, car ils n’en comprenaient ni la nature,  ni la forme — les manifestations — ni lidée, c’est-à-dire son essence, la maladie en elle-même, unique alternative à sa domination sur les hommes, fussent-ils de robustes guerriers. La pratique médicale ne pouvait s’appuyer sur aucune théorie, ni s’en enrichir, le savoir n’était ancré dans aucune appréhension de l’expérience. Lorsque le mot ne recouvre pas la chose, pas de compréhension, et sans compréhension, vanité de l’action. C’est à un historien de génie, à la fois observateur, enquêteur et penseur de son temps que l’on doit la première transmission de ce mot, qui recouvre, à lui seul, tant de richesses ; si le médecin et le philosophe peuvent se rejoindre, c’est d’abord parce qu’une théorie sans pratique est à la fois non-sens et contre-sens. C’est dans le lien qui les unit, l’un comme l’autre, au corps de leur semblable que l’on peut, s’il l’on veut bien s’y arrêter un instant, trouver matière à entente. Enseigner la philosophie en faculté de médecine, c’est, pour le médecin, penser sa pratique, en dehors du cadre de l’urgence, mais c’est aussi, pour le philosophe, habiter un lieu, des pratiques, rencontrer des hommes dont le mode de vie, de fonctionnement, dont le regard sur le monde et ses habitants est bien différent.

17Habiter, c’est se sentir chez soi ; ça n’est pas connaître, encore moins savoir, mais se sentir dans un espace qui nous est familier, si familier que l’on s’y trouve accueilli parmi des choses et des êtres qui n’ont pas même à nous reconnaître. C’est savoir où s’asseoir, se poser, dire, répondre et correspondre. Habiter, c’est se figurer les choses pour mieux les transfigurer en mots et en images, c’est leur offrir un sens, leur donner vie. C’est précisément cette transfiguration qui permet au corps de se sentir chez lui, d’avoir ses habitudes, de n’exister que parce qu’il est la vérité, l’expérience de la vérité.

18Co-habitation que l’on retrouve chez les philosophes qui pensèrent le corps, les passions du corps. « L’esprit humain ne connaît le corps lui-même et ne sait qu’il existe que par les idées des affections dont le corps est affecté. »5 Cette adéquation spinoziste entre le corps et l’esprit, si nouvelle en son temps, à peine acceptée aujourd’hui par une pensée et une pratique qui lui préfère la commodité du dualisme, en lui-même répressif (lorsque l’on est dualiste, blesser un corps ou briser un esprit n’est pas un crime puisque l’on attente pas à un individu dans sa totalité de sa personne) rassemble pourtant, elle aussi, médecins et philosophes. L’individu c’est, littéralement, ce que l’on ne peut diviser. Lorsqu’il pense l’individu, a fortiori l’individu souffrant, malade, le philosophe agit. Sa pensée prend corps. En agissant sur un individu, le médecin fait une action spirituelle. Il pense le corps. Vision idéalement concrète de la philosophie ? Idéalisation de la médecine ? Pas si l’on considère que c’est dans le même temps, que l’esprit est restitué à son activité dynamique, qu’il est ouvert à un objet (ici un sujet, l’homme) qui lui-même offre un contenu à cette activité, qui est la visée de cette activité. C’est donc le plus naturellement du monde que l’esprit est en relation avec le corps. C’est de la nature même de l’esprit de faire porter son activité originaire sur son premier objet, qui ne peut être que le corps ; l’esprit est chevillé au corps, le lien qui les unit est interne et non externe. C’est ce lien-là, et non l’interaction du corps et de l’esprit qui intéresse davantage la psychanalyse, lien à la fois harmonieux, désordonné, instable, mais qui peut se donner à lire, entre les tissus et les organes, constitués comme des individus. Des êtres qu’on ne peut diviser. Le corps comme individu global : de Spinoza à Foucault, la revendication est la même. L’esprit comme corps, l’esprit comme conscience concernée du corps, réceptive aux modifications qui affectent ce corps. Conscience des choses, bonnes ou mauvaises, qui modifient le corps. Unité et dynamisme, lieu où se déploient les événements, théorie des correspondances entre le corps et l’esprit, en quoi la démarche médicale est-elle si différente de la démarche philosophique ? Quelle est donc l’ultime visée de ces démarches si ce n’est d’offrir au corps, donc à l’esprit, la persévérance dans son être, le conatus dont parle Spinoza, la possibilité d’être et d’exister pleinement en agissant par et sur ce qui nous entrave, corps et âme?

19C’est son aptitude à être affecté qui fait d’un homme ce qu’il est, c’est-à-dire, un être humain. Il est des affects créateurs et des affects destructeurs. La vie est emplissement, la maladie elle-même est emplissement. Dans la maladie, dans la douleur, nous ne sommes pas autres mais le même —  et c’est bien là le terrible du pathologique —, affecté dans sa puissance d’agir. La maladie entrave, elle décompose, elle modifie l’allure de notre vie. Le champ des activités de l’homme malade ou souffrant est rétréci, l’énergie diminue, la norme intime se modifie, mais c’est pourtant en elle que l’on puise la force de réaction, la génération qui repousse la force de corruption, pour reprendre l’expression d’Aristote. C’est en elle aussi que se trouvent la force de guérison, à défaut la capacité d’adaptation, cette « autre allure de la vie » dont parle si bien un philosophe-médecin, Georges Canguilhem.6

20Conserver, augmenter, maintenir, favoriser, s’opposer à ce qui s’oppose, nier ce qui nie : la mécanique, la dynamique, la dialectique de la pratique médicale comme de l’activité philosophique sont des variations sur un même thème.  Consacrer sa vie à la philosophie ou à la médecine, c’est bien accorder crédit (le seul qui vaille) à cette puissance. Non au pouvoir ou à la maîtrise (puisque l’immaîtrisable de la mort demeure), mais à la dynamique qui entretient un corps en vie, celle du désir. Souci de soi ou désir de l’autre, c’est bien dans ce désir que l’on peut voir se réunir corps-objet et corps-sujet, l’individu indivisible. Lutter contre les fêlures du corps que sont la douleur et la maladie, mettre en question la mort, n’est-ce pas là activité commune au médecin et au philosophe ?  

21Donner la vue ou élargir le champ de vision, autant de marques concrètes d’action et de réflexion nécessaires à la pratique et la formation médicale à l’aube d’un siècle, qui s’annonce, comme tous les autres avant lui, menacé par le pathologique sous toutes ses formes. Ne va t-il pas alors du salut de tous d’envisager une autre économie de l’individu, autrement dit de son corps ? En vertu de sa nature ambivalente, l’homme est une inépuisable réserve de signes. Il se cache donc. Il ne se donne ni tout à fait à voir, ni tout à fait à connaître. Il n’y a pas de vérité de l’individu, pas plus de vérité de la philosophie que de la médecine. Contre l’illusion contemporaine scientifique, technique et ultra- médicalisée — sans oublier une répartition géo-politique des soins et des traitements d’une injustice pour le moins scandaleuse — l’individu refuse de se donner. Tout aussi bien à l’économie politique, exclusivement comme force de travail, à l’économie libidinale, comme source de plaisir, à l’économie médicale, comme source de maladie et de souffrance, à l’économie religieuse, comme chair corrompue. Reconquérir l’ambivalence de l’individu, plutôt que de prôner l’individualité ou entretenir l’individualisme, est bien un exercice sur soi. Le « risque de soi », dont a parlé Foucault dans ses derniers écrits, est bien la marque d’adoption d’une attitude critique qui défie tout phénomène de domination. Ainsi, ce qui se passe aujourd’hui en faculté de médecine, et ce qui s’y passera demain, sans retour en arrière envisageable (?)7 est-il un permanent exercice sur soi, dont peut légitimement se vanter la faculté de médecine. Ce permanent exercice sur soi est une éthique, de celle qui ne se résume pas à la casuistique, mais qui se donne, au nom d’une liberté pratique, comme forme de résistance et d’ouverture au monde. Une liberté, non des intentions ou des désirs, mais choix d’une manière d’être. L’œuvre de la liberté est toujours inachevée, c’est sans doute là qu’elle trouve son élan, le souffle de la vie, la dynamique de la transformation historique. Mettre la question sur l’éthique, en médecine comme en philosophie, c’est poser la question des pratiques formatrices de l’individu, dans son rapport au savoir, à la politique et au droit modernes.

Notes de bas de page numériques

1 . Sans entrer dans des considérations juridiques qui dépasseraient le cadre initial de notre propos, rappelons simplement à titre d’information que le législateur à réintroduit en 1992, par décret, un module de culture générale sélectionnant (vingt pour cent de la note du concours de première année de médecine, le PCEM1), qui englobe toutes les matières dites de sciences humaines dont l’enseignement est devenu obligatoire, à raison de soixante heures dans l’année universitaire. Le choix du contenu de cet enseignement est laissé à l’appréciation du doyen de la faculté et de son directeur pédagogique, et comprend des matières aussi variées que épistémologie, anthropologie, droit, sociologie… Cet enseignement s’ajoute à celui de psychologie réintroduit en faculté de médecine depuis 1968 (soixantes heures également). Obligatoires en première année, les sciences humaines sont également facultatives depuis 1995 tout au long du cursus médical, sous forme de module optionnel,  jusqu’au certificat de maîtrise. Libre aux étudiants qui l’entendent ensuite d’en faire l’objet d’étude d’un troisième cycle ( DEA, thèse de doctorat). Le contenu de cet enseignement est si varié qu’il est impossible d’en faire une synthèse rapide, mais il est vrai que l’enseignement optionnel entre, bien souvent, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « éthique médicale ».

2 . Cet article s’attachera exclusivement à la forme et aux enjeux de l’enseignement de la philosophie de manière générale, et à l’épistémologie, de manière particulière, en faculté de médecine. Il s’appuiera pour cela sur une expérience professionnelle et un cheminement personnels. L’enseignement des sciences humaines ne se réduit pas, en CHU, à l’épistémologie, mais comprend des matières aussi riches et diverses que la sociologie, la littérature, l’anthropologie, parmi d’autres.   

3 . Il existe en CHU, autant d’expériences variées qu’il y a d’hommes et de femmes qui les animent. Certains épistémologues sont aussi médecins, de pratique ou de formation, comme c’est le cas, à Lyon-Sud (Bernard-Marie Dupont) ou à Paris (Anne -Marie Moulin) ; certains philosophes ne sont pas médecins, comme c’est le cas à Bichat (Paris 7), à Créteil (Suzanne Rameix), à La Pitié-Salpêtrière (Paula la Marne, Paris 6), à Lyon-Nord (Jérôme Gofette). Certains docteurs en épistémologie possèdent une formation scientifique initiale (Pascal Nouvel, CHU Lariboisière) ; des doctorants en épistémologie ont des postes d’attachés temporaires d’enseignement (Paddi Ricard, CHU Xavier Bichat à Paris). Enfin, de nombreux médecins, dont la liste serait trop longue ici, sont très investis dans l’enseignement des sciences humaines. N’en citer que quelques uns, blesserait les autres, rappelons donc seulement, qu’à de rares initiatives personnelles près, ce sont les praticiens hospitaliers qui sont venus solliciter les philosophes.

4 . Thucydide : Histoire de la guerre du Péloponnèse, ch. XLVII, Livre II, Paris,  Garnier-Flammarion, 1966

5 . Spinoza, Ethique, II. 19.

6 . Georges Canguilhem fut, à n’en pas douter, à l’origine de ce va-et-vient si fécond entre médecine et philosophie. Tout d’abord, parce qu’il passa sa vie à penser le normal et le pathologique, ensuite parce qu’il fut le maître direct ou indirect de tous ceux qui mirent la médecine à distance, au sens la plus large du terme, au point de guider le choix même d’une vie parfois, d’une réflexion toujours. À titre d’exemple, la pensée épistémologique française est aujourd’hui dominée par certains de ses élèves, eux- mêmes philosophes et médecins, et de nombreux épistémologues dont le liste serait trop longue à établir ici. Rappelons-le ici, Le normal et le pathologique ouvrage de référence pour de nombreux philosophes, retravaillé par Canguilhem jusqu’à la fin de sa vie, fut l’objet d’une thèse de médecine, et non de philosophie. Il fut en tous les cas à l’origine d’une pensée riche et féconde et de très nombreuses initiatives personnelles et professionnelles de par son vœu de trans-disciplinarité, son exigence de pensée et de méthode, sans même évoquer ici la limpidité de ses propos.

7 . Il est clair à ce jour que la réforme de l’enseignement médical est bien engagée. Les étudiants la réclame, les enseignants, qu’ils soient médecins ou non, parlent et travaillent ensemble, il existe de très nombreuses passerelles entre l’hôpital et la faculté. Certains problèmes demeurent cependant. Ils concernent essentiellement : 1, le maintien d’un enseignement au-delà de la première année, faisant des sciences humaines tout autre chose qu’une nouvelle matière à sélectionner ; 2, la forme de cet enseignement en elle-même sous une forme autre que magistrale, envisageable seulement avec les reçus ( n’oublions pas que chaque CHU compte, en moyenne cinq à sept cents étudiants en PCEM1 et que seuls dix pour cent au maximum d’entre eux seront en deuxième année) ; 3, le nombre considérable de copies (de cinq cents à mille !) corrigées chaque année, en double aveugle, qui ne peuvent ici prendre la forme de QCM et enfin et surtout 4, le statut des enseignants de sciences humaines. Il n’existe à l’heure actuelle que de très rares (environ une dizaine en France) postes contractuels, renouvelables tous les uns, si tant est  qu’ils soient accordés par le président d’une université. Avec la réforme à venir, qui envisage la suppression du concours de première année au profit d’un Deug qui regroupera l’ensemble des professions de santé, on peut espérer, sans être nécessairement médecins, postuler à un poste fixe, de type maître de conférence, qui, à ce jour, n’existe pas en tant que tel.  

Pour citer cet article

Corrine Pieters, « Médecins, qu’attendre des philosophes ? », paru dans Alliage, n°40 - Septembre 1999, Médecins, qu’attendre des philosophes ?, mis en ligne le 06 septembre 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3943.


Auteurs

Corrine Pieters

Philosophe au département de sciences humaines du CHU Xavier Bichat, université Paris 7