Alliage | n°43 - Juillet 2000 Des maths 

Robert Vallée  : 

Edgar Poe et les mathématiques

p. 63

Texte intégral

1La lecture des œuvres d’Edgar Poe suggère qu’il portait un vif intérêt aux mathématiques. Dans Le scarabée d’or, on trouve un exposé des premiers principes du déchiffrement cryptographique. Dans Le joueur d’échecs de Maelzel, après avoir fait allusion à la machine à calculer de Babbage, Poe anticipe les réflexions contemporaines sur les différences de comportement entre un automate et un être humain. Eurêka est pour lui l’occasion de présenter une thèse, certes discutable, sur l’origine de la loi de gravitation newtonienne. Cette thèse implique une sorte d’explosion originelle : « …l’Univers sidéral existant est le résultat d’une irradiation partant d’un centre ».
Charles Baudelaire, dont nous utilisons d’ailleurs la, traduction pour toutes nos citations de Poe, donne, dans Edgar Allan Poe et ses ouvrages et dans Edgar Poe, sa vie et ses œuvres, quelques détails sur ses études : « Il était déjà un élève très recommandable et faisait d’incroyables progrès dans les mathématiques... » (à l’université de Charlottesville, Virginie, en 1825 ) et : « Il est bon de noter en passant que Poe avait déjà, à Charlottesville, manifesté une aptitude des plus remarquables pour les sciences physiques et mathématiques. Plus tard, il en fera un usage fréquent dans ses étranges contes, et en tirera des moyens très inattendus. »
Par la voix d’Auguste Dupin, dilettante en criminologie, Poe nous livre, dans Double assassinat dans la rue Morgue, quelques réflexions sur « les facultés de l’esprit qu’on définit par le terme “analytiques” » : « Cette faculté de résolution tire peut‑être une grande force de l’étude des mathématiques, et particulièrement de la très haute branche de cette science, qui, fort improprement et simplement en raison de ses opérations rétrogrades, a été nommée analyse, comme si elle était l’analyse par excellence ». Dans La lettre volée, le même Dupin vante les avantages d’une symbiose poésie-mathématiques, réalisée en la personne du ministre (qui a caché la lettre) et sur lequel enquête le préfet de police : « Comme poète et mathématicien, il a dû raisonner juste ; comme simple mathématicien, il n’aurait pas raisonné du tout, et se serait mis à la merci du préfet. » Plus loin : « Je conteste particulièrement le raisonnement tiré de l’étude des mathématiques (...) Le raisonnement mathématique n’est autre que la simple logique appliquée à la forme et à la quantité. » Dupin poursuit : « Bref, je n’ai jamais rencontré de pur mathématicien en qui on pût avoir confiance en dehors de ses racines et de ses équations », et conclut au sujet du ministre : « Je le connais pour un mathématicien et un poète, et j’avais pris mes mesures en raison de sa capacité, et en tenant compte des circonstances où il se trouvait placé. »

2Citons, pour terminer, le commentaire provocateur de Poe sur la genèse de son poème Le corbeau : « L’ouvrage a marché, pas à pas, vers sa solution, avec la précision et la rigoureuse logique d’un problème mathématique. »

Pour citer cet article

Robert Vallée, « Edgar Poe et les mathématiques », paru dans Alliage, n°43 - Juillet 2000, Edgar Poe et les mathématiques, mis en ligne le 04 septembre 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3895.


Auteurs

Robert Vallée

Professeur émérite de l’université Paris-Nord