Alliage | n°44 - Septembre 2000 Notes pour le musée 

Philippe Bouveret  : 

Curieux de nature

Plan

Texte intégral

La nature m’inspire depuis longtemps ; plutôt que de peindre ses arbres, ses montagnes, ses mers, je m’intéresse à ses forces souvent invisibles : gravité, phénomènes de capillarité, pression atmosphérique, température, etc. qui sont des sources d’énergie mais aussi des contraintes pour notre équilibre.

Je travaille par empirisme et ne fais donc aucun calcul, afin de ressentir physiquement le poids de ces forces. Cette approche sans calculs me procure une grande liberté d’exécution, je garde intact le plaisir de la découverte et la notion d’inventeur (celui qui découvre pour la première fois). Cet archaïsme me permet de garder un contact au corps à corps avec la nature et ses effets souvent incontrôlables

Une fois mes sculptures terminées je les abandonne, elle bougent toutes seules et deviennent ainsi des témoins plus visuels que nos instruments de mesure contemporains (montre, thermomètre, baromètre, fil à plomb) j’organise mes œuvres souvent comme des jeux, afin que le spectateur, devenu intervenant, prenne conscience des effets pervers et puissants de la nature, lui rappelant ainsi qu’il est celui qui s’adapte à elle et la subit continuellement.

Je travaille dans mon atelier-laboratoire ; provoquant d’accidents en accidents des petites découvertes qui excitent ma curiosité, j’ai découvert, par exemple, le principe de mes fontaines en renversant une bouteille d’eau : l’eau qui ruissela sur mon établi fit se rassembler deux filins d’acier posés là par hasard. Dernièrement, j’ai pris conscience que dans mon atelier, mes sculptures se font comme dans la vie de tous les jours, où le hasard amène à se rencontrer des gens entre eux, mais aussi avec des objets, des actions, des idées. Ce phénomène de rencontres et ses conséquences me fascinent. Mes sculptures actuelles sont donc des flèches (oui-non) qui symbolisent le hasard des décisions, ou alors des plafonds à risques, qui nous mettent en état d’alerte face à tout ce qui peut nous tomber sur la tête en vrai ou au figuré. Mon travail ne prétend pas démontrer, mais nous plonger dans un monde en mouvement permanent, où rien n’est acquis

Les tableaux secrets

Les tableaux secrets se présentent comme des aquariums plats encastrés dans des caissons métalliques, à l’intérieur desquels on introduit, par une fente prévue à cet effet, un caché d’aspirine effervescent. Après quelques instants, comme par magie, apparaissent différents objets (coquillages, textes, bougies, etc.). Le mouvement est engendré par le gaz que dégage l’aspirine lorsqu’elle se dissout. Le gaz crée une pression, qui provoque des apparitions, comme des ludions.

Les flèches

Philippe Bouveret réalise des flèches en métal creux enfermant un volume d’eau. Il les fixe face à des repères et les abandonne à leur propre vie. Elles se déplacent en fonction de la variation de température. Elles sont incontrôlables, bougent seules, pointant dans un jeu de hasard différents éléments. La flèche se trouve, par exemple, face à une graduation alternant les mots oui et non, ou encore désigne une série de chaussures d’enfants. À un degré près, tel élément est indexé plutôt que tel autre. Notre destin, nos rencontres, le jeu de la vie ne se jouent‑il pas de manière aussi hasardeuse ?
Ces œuvres peuvent également susciter la participation du public. Le spectateur doit placer en face des flèches des objets (œufs, livres, aimants). En quelques secondes elles peuvent varier, démontrant l’impossibilité de fixer les éléments de notre monde dans un équilibre parfait.
Utilisant le principe de la dilatation, Philippe Bouveret plonge dans des caissons remplis d’eau, un vélo ou une chaise, qui apparaissent ou disparaissent en fonction de la température. De même, un texte d’Alice Ferney, intitulé « Eros ou la Chaleur humaine », gravé sur une grande plaque dorée, s’offre à la lecture quand on pose les mains sur le caisson métallique qui l’abrite. Au contact de la chaleur humaine, lentement, la plaque sort hors de son cadre, dévoilant ses mystères.

Les apparitions

À l’intérieur de cylindres remplis d’eau se cachent des coquillages. Le spectateur est invité à tirer sur les tubes pour voir monter à l’intérieur des moules, par exemple. Lorsqu’il relâche la pression, elles retournent se cacher.

Les lampes

Philippe Bouveret a composé, en collaboration avec Niki de Saint-Phalle, une série de lampes qui s’ouvrent comme des fleurs dès que l’ampoule dégage de la chaleur. Aux céramiques colorées de Niki de Saint-Phalle, il a choisi d’associer la brutalité du métal rouillé.

Histoire de l’œuf

L’œuvre se présente sous forme d’un caisson métallique vitré, rempli d’eau, posé sur un pied. À l’intérieur, un œuf roule dans un mouvement imprévisible. Son déplacement est associé à celui d’un balancier qui va et vient de façon régulière et monotone. Cette relation entre deux mouvements combinés, sans pour autant avoir la même mesure — l’un est libre, l’autre est cadencé — interroge le spectateur. On se demande, entre autre, quel est le plus libre des deux : l’œuf dans son évolution aléatoire, mais soumis au balancier, ou bien le balancier qui répète un bercement pendulaire ? Cette opposition est renforcée par la fragilité de l’oeuf, la transparence de l’eau et du verre associées à la densité du métal.

Les fontaines

Elles fonctionnent sur le principe de la capillarité. Deux fils d’acier s’embrassent et se séparent au passage régulier d’une goutte d’eau. La goutte d’eau se forme, éclate et se recompose. Les fils d’acier sont généralement placés au centre d’un cadre composé de métal et de béton. Fragilité, légèreté, malléabilité sont opposées à la brutalité du ciment, matière figée, symbole de la dureté de notre monde, référence à notre urbanisme.
Les fontaines peuvent prendre des dimensions plus imposantes formant alors des rideaux de fils. Elles sont intitulées « Fontaines de vie ». Un côté très graphique et aérien caractérise ses œuvres. Le bruissement de l’eau compose une douce musique respectant la partition imposée par les cordes de piano sur lesquelles elle s’écoule.

Les balanciers

L’intention est d’animer une sculpture le plus longtemps possible, sans utiliser de moteur, dans un rêve de mouvement perpétuel. Un balancier doit posséder une autonomie de quatre heures au minimum. Ces sculptures hypnotisent par la répétition de leur cadence et incitent à la méditation. Elles interrogent sur le temps, nous invitent à prendre conscience de chaque seconde qui s’écoule.
Philippe Bouveret conçoit également des installations composées de séries de balanciers, suspendus au plafond, au bout desquels sont fixés des blocs de pierre, de marbre. Les balanciers vont et viennent à quelques centimètres au‑dessus des têtes des spectateurs provoquant un sentiment de menace mêlé de fascination.

Pour citer cet article

Philippe Bouveret, « Curieux de nature », paru dans Alliage, n°44 - Septembre 2000, Curieux de nature, mis en ligne le 04 septembre 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3870.

Auteurs

Philippe Bouveret

Né en 1960, études de mathématiques, puis entre aux Beaux-Arts, lauréat du prix Félix Fénéon pour la sculpture, vit et travaille à Dannemois.