Alliage | n°50-51 - Décembre 2000 Le spectacle de la technique |  III. Une pluralité de modes d'exposition 

Rüdiger Lainer et Ina Wagner  : 

Images mobiles, souvenirs en évolution

les espaces d’exposition  et d’archivage virtuels
p. 178-188

Plan

Texte intégral

1Cet article compare les lieux traditionnels d’archivage et d’exposition à leur version électronique. Il analyse aussi bien leur référence métaphorique que leur utilisation concrète, en s’attachant spécialement au potentiel scénographique des mondes multimédias et à leurs particularités, quand ils servent d’espaces d’exposition et d’archivage.

2La Wunderkammer (littéralement, chambre des merveilles) est un élément de l’environnement électronique dans lequel travaillent architectes, paysagistes et autres professionnels du design. Elle est conçue comme un monde 3D multimédia permettant d’archiver, de collectionner, d’exposer et de retravailler des sources d’inspiration :  images, musique, vidéos, objets en 3D. La métaphore de la Wunderkammer est empruntée au nom du cabinet de curiosités de Rodolphe II, à la cour de Prague.

3La conception et l’élaboration de la Wunderkammer (sous forme d’un logiciel-prototype)1 s’appuient sur de nombreuses études ethnographiques consacrées à la conception de projets architecturaux : l’objectif était d’identifier des pratiques inhérentes au processus de création (collectionner, archiver, mobiliser des sources d’inspiration), mais aussi d’explorer les possibilités  supplémentaires  offertes par les mondes 3D. Les utilisateurs de la Wunderkammer nouvelle version peuvent y naviguer, visiter différents lieux. Ils peuvent placer où bon leur semble des images scannées et les manipuler   — les tourner, déplacer, agrandir, éclairer, rendre transparentes, etc. Ils peuvent en outre collecter des images déjà présentes et les transférer dans leur collection privée pour les y retravailler.

Conception et mise en scène de l’architecture

4Au commencement de tout projet, on trouve une image virtuelle de l’objet sous la forme d’une certaine organisation de qualités abstraites : espace, lumière, apparence (éventuellement matériaux), structures. Si l’on tente d’esquisser une méthodologie du projet (Lainer & Wagner, 1998a), il faut veiller à dépasser, d’une part, un simple travail à partir de données, d’autre part, une interprétation subjective-intuitive des impressions que suscite par un espace. De ce point de vue, l’élaboration d’un projet exige que l’on conceptualise des représentations qui sont de l’ordre de l’image, de la métaphore et de l’analogie, les confronte avec les données, et prenne en compte des divergences. C’est tout l’art du projet que de jongler avec une foule de paramètres, de les passer comme à travers un filtre, de façon non pas que leurs rapports se figent, mais qu’ils trouvent peu à peu leur place dans un concept. Celui-ci concept doit être maintenu dans une certaine indétermination, et sans cesse confronté à de nouvelles données.

5Les sources d’inspiration qui influencent ce processus sont multiples. Tout d’abord, les représentations mentales du lien et de l’environnement, étayées par des plans, des photos, des images de projets antérieurs on apparentés, des objets de différente nature. Dans ce processus, les associations d’images, métaphores et analogies jouent un rôle décisif. Il est important que ce matériel soit varié, mais également flou. Chacune de ces ressources stimule à sa façon le processus de création. Images et métaphores constituent un langage très riche, qui aide à formuler des idées et à exprimer des caractéristiques : qualité de l’espace (volume grand, hermétique, monolithique, peu de points de contact, empilement, enveloppe translucide), texture (rocheuse, caillouteuse, figée, brute), lumière (entrant à flots, surface irisée).2

6Il est important de pouvoir mobiliser les sources d’inspiration, et à plusieurs égards : pour rendre un projet plus compréhensible, l’externaliser, le décrire en images et en métaphores, filtrer, contextualiser et connecter les multiples paramètres et influences, et les rendre plus maniables, pour faciliter une perception et une interprétation nouvelles des contraintes données. Cela concerne non seulement l’équipe des styles au sens strict, mais aussi tout l’ensemble, complexe, des partenaires associés.

7Une langue imagée, métaphorique, joue un rôle important dans le processus de concertation des différents acteurs du projet. Pour convaincre les autres d’une idée, d’une  option de construction, et les inciter à adopter la perspective voulue, il faut inventer des objets pouvant se prêter à des dialogues à plusieurs voix et émanant de différents lieux, comme l’explique Latour :

« dont la particularité est d’être mobiles, mais aussi immuables, présentables, lisibles, et combinables entre eux (1986, p. 7) ».

8Le travail préparatoire pour le projet Gasomètre (Rüdiger Lainer), une étude d’aménagement urbain, illustre l’importance des sources d’inspiration. Les bases de cette étude ont été développées dans des projets antérieurs, ayant déjà fourni une grande quantité de matériel iconographique. Le principe de base consiste à disposer, par rapports visuels, une armature intégrant des espaces vides pouvant se prêter à divers remplissages. Les perspectives optiques, les lignes et points d’ancrage existants forment une grille, un champ de relations particulières, par exemple dense et labyrinthique, vaste et vallonné. Les espaces créés par cette grille peuvent alors être emplis par une alternance de volumes de différentes hauteurs et d’espaces vides.

9Cette idée, traduite en croquis, images 3D, et en courts textes métaphoriques, a été concrétisée sur un plan détaillé, complété de photos prises sous différents angles. À partir de là, fut élaborée une série de plans visuels (voir reprod.). Les caractéristiques (volume, nature) des lieux créés dans ce secteur urbain — espace artistique, vitrine, transitorium, espace de jonction — ont été décrites par des textes et des associations d’images. Parmi celles-ci, figuraient, par exemple, la place située en face du centre Pompidou, une façade-écran d’Oskar Nitzschké, de 1934, et bien d’autres.

10Comme le montre cet exemple esquissé, on ne peut se passer d’objets-sources d’inspiration pour décrire des projets abstraits, tel celui d’un aménagement urbain fondé sur des effets de relations optiques. Cela confirme également la remarque de Mitchell concernant le rapport entre la peinture abstraite et la parole : « language, narrative, and discourse can never — should never — be excluded from it ». (1994, p. 226). En retour, métaphores et brèves descriptions étoffent ce qui est exprimé par l’image.

11Il est fondamental de bien comprendre le caractère de mise en scène de ces visualisations. Elles servent à informer activement ceux qui les regardent (Jameson, 1995) : sur la photographie ci-contre, les deux têtes d’appareil-photo n’incarnent pas uniquement l’autorité photographique. Au moyen de leurs lentilles, elles fixent la réalité d’une façon particulière, et content ainsi une histoire précise. De même, les objets d’inspiration servent à mettre en scène un projet destiné à différents auditoires. La description métaphorique des principes fondamentaux du projet est mise  en relation avec des images, dont la souplesse d’interprétation invite au dialogue, formant ainsi des objets de communication différents. Il en émerge des récits féconds, aptes à communiquer les diverses strates de sens d’un projet abstrait.

12Au cours de cette phase, l’un des problèmes centraux est celui de la disponibilité restreinte de toutes ces ressources, qui stimulent et étayent le processus de création. Dans un bureau d’architectes, sont exposées des traces de projets passés et en cours. Sur les étagères s’empilent livres d’art, magazines d’architecture, plans, catalogues, brochures et CD. Des documents gisent sur le sol, des maquettes de projet trônent sur les tables. Pourtant, ce réservoir est limité. Des voyages, promenades en ville, films, visites d’expositions, des conversations avec les collègues, ne restent souvent plus que de pâles souvenirs, difficiles à mobiliser, et les méthodes d’archivage existantes (classeurs, caisses et boîtes étiquetées) sont insuffisantes. Elles impliquent une conservation gelée d’objets dont la signification évolue sans cesse en fonction du contexte.

Du voyage réel au voyage des images

13La Wunderkammer, sous sa forme d’instrument technique, cherche à flexibiliser et à multiplier les façons de conserver, de rendre disponibles et d’utiliser les ressources d’inspiration mises en jeu dans le processus de création. Les paragraphes suivants analysent cet emploi de la technique comme lieu d’exposition et d’archivage.

Voyager, collectionner

14Les cabinets de curiosités d’autrefois devaient leur existence aux voyageurs qui rapportaient des objets de leurs expéditions dans la nature, les pays lointains et les cultures étrangères. Cette pratique était liée à une conception du monde comme musée, très répandue à l’époque coloniale notamment, et aujourd’hui caractéristique du tourisme culturel moderne. Comme un gouverneur de l’Inde l’écrivait en 1898 : When entering on the field of Indian picturesqueness I feel like one who looks on some vast collection of beautiful objects, say the National Gallery or Kew Gardens, and knows not where to begin his survey.3 Des objets de ces contrées lointaines étaient découverts, admirés, mesurés, photographiés ou dessinés, puis emportés, pour être ensuite exposés et mis en scène dans un autre cadre : collection particulière, musée, institut scientifique.

15Les grands voyageurs qui enrichirent la Wunderkammer de Rodolphe II de leurs objets exotiques avaient à leur disposition un cabinet —ensemble de pièces closes avec des étagères, tables et coffres pour entasser et exposer leurs trésors. Il en sortit une version comprimée, morcelée, du monde source d’inspiration. Leurs héritiers contemporains voyagent et collectionnent eux aussi, avec cette différence que leur Wunderkammer s’étend sur de longues distances : elle est elle-même l’espace qu’ils doivent explorer et étudier. Cette particularité découle des possibilités offertes par les médias électroniques, capables de simuler le monde lui-même.

16Le monde 3D de la Wunderkammer est donc organisé en un espace géographique, urbain on naturel. Il contient des paysages divers, du désert aux espaces côtiers en passant par la montagne, ainsi que des variétés archétypiques de villes ou d’habitations (gratte-ciel, centres-villes moyenâgeux, agoras, villages, pavillons individuels, quartiers haussmanniens, périphéries industrielles, barres des années 60, zones périurbaines désertiques). Des éléments de liaison — autoroute, fleuve — ainsi que des points de repères (amphithéâtre, musée, cathédrale, centre commercial, aéroport) permettent de s’orienter dans cet espace. Le cabinet de curiosités se transforme ainsi en un espace par principe infini, comme une invitation à reproduire le voyage sous toutes ses formes, y compris celle consistant à collectionner. Il est possible de voyager à plusieurs vitesses et de plusieurs façons, du simple survol au trajet en train ou à la marche à pied.

Catégoriser, placer

17La Wunderkammer du passé était un lieu d’archivage et d’exposition neutre. L’arrangement ou l’entassement des objets y était le fruit du hasard, d’où il résultait que le visiteur, ouvrant une armoire ou passant devant une étagère, découvrait, avec étonnement, un singulier mélange d’objets hétéroclites. Ceci rappelle les descriptions par Barbara Stafford des collections d’organismes microscopiques, que tentaient en vain d’ordonner les biologistes de l’époque : But the more outrageous and improbable they were, the greater the delight these denizens of an apparently impossible world provoked in a public hungry for recreative philosophy.4 Cependant, avec le temps, une présentation chronologique des objets collectionnés s’imposa, et aussi la création de catégories selon leur genre et leur nature, et des systèmes de classification élaborés.

18La Wunderkammer moderne rend possible un retour à des modes de catégorisation plus fluides et moins stricts. Les lieux qu’elle contient ne sont pas décrits de façon figée. La notion de ville gratte-ciels, par exemple, est chargée de connotations culturelles susceptibles d’être exprimées de façon verbale ou visuelle. Les utilisateurs de la Wunderkammer peuvent s’attendre à y trouver des images de tours de différentes époques, perspectives, structures de voirie et de places typiques, mais aussi des objets pouvant être associés aux attributs abrupt, dense, élevé, crevassé, nerveux, rythmique. Même si les lieux de la Wunderkammer sont identifiables, les relations entre images et espaces sont suffisamment ouvertes et variées pour permettre diverses associations et intégrations. Une image comme celle de Delaunay peut tout aussi bien être associée à la ville de gratte-ciel qu’à la proche montagne.

19Mais les potentialités de mises en scène du paysage urbain en 3D ne se réduisent pas seulement à ce mode fluide, intuitif, d’archivage et de rangement. Les banques de données et le mécanisme de recherche par mots-clés rendent mobiles les images elles-mêmes. Si je visite la Wunderkammer, je peux obtenir toutes les images associées à la couleur rouge ou à la caractéristique labyrinthique, étroit, clusterisé (ce terme pouvant être un attribut du centre-ville médiéval, tout comme d’une forêt). On peut ainsi, en une seconde, tirer des archives des confrontations, des successions ou des classifications particulières du matériel d’inspiration.

Retrouver, découvrir

20L’une des caractéristiques essentielles des objets d’inspiration est leur présence souvent périphérique. Ils sont perçus de façon superficielle, comme quand l’on roule en voiture ou feuillette un livre, ne laissent qu’un souvenir ténu, et pourtant ils peuvent générer des idées et des images intérieures très fortes. The mind’s landscape … is often apparently incoherent, and a strange mixture of the sensory and the verbal. It offers us the past in flashes and fragments, and in what seems a hodge-podge of mental media.5 Comme espace de mémoire, la Wunderkammer peut revêtir différentes formes.

21Un espace de mémoire peut être constitué d’emplacements identifiables ayant une finalité assez clairement définie. Il ressemble alors aux archives où s’alignent les classeurs, selon un système de classification plus ou moins perfectionné. Il permet de retrouver à coup sûr la précieuse collection de pierres dans la carrière, ou celle de treillis d’ornement au musée des Arts et Traditions populaires.

22À l’opposé, on trouve l’espace d’archives de Christian Boltanski, Registres (voir reprod.). On y découvre ici des souvenirs de personnes du passé, emmagasinés au fil des années, conservés dans des boîtes en fer quasiment identiques les unes aux autres : « Ici, ils sont tous présentés sur un pied d’égalité, dans le même format, et mélangés de façon arbitraire : l’officier SS se retrouve voisin d’un membre du Club Mickey, l’enfant du lycée Chases est à côté du criminel espagnol. » (Boltanski, 1998). Les boîtes et les personnes qu’elles représentent peuvent être combinées à volonté. Cet espace de mémoire de Christian Boltanski radicalise l’une des idées de la Wunderkammer, celle d’un espace permettant « d’établir des rapports entre des choses qui n’en ont pas. »

23Si la Wunderkammer est utilisée de façon collective, si elle est enrichie et parcourue par de nombreuses personnes ignorant tout les unes des autres (par exemple par le biais d’internet), cela accroît les possibilités de découvrir ça et là des associations surprenantes, voire irritantes, d’images sans rapport les unes avec les autres ou contradictoires. Ce n’est pas sans rappeler ce qu’Alison Landsberg appelle « prosthetic memory » : des souvenirs qui ne proviennent pas d’un vécu personnel, mais ont été artificiellement créés et implantés. Des films comme Blade Runner créent des mondes de souvenirs qui n’ont pu être vécus au sens strict : We might read these films which thematize prosthetic memories as an allegory for the power of mass media to create experiences and to implant memories, the experience of which we have never lived. 6

24Le médium électronique va encore plus loin que le film, car il utilise la participation des utilisateurs de la Wunderkammer pour construire des mondes et des formes de souvenirs hétéroclites. Tous les voyages à travers le monde 3D, tous les placements d’images, aux endroits les plus différents, toutes les démarches effectuées pour chercher et collectionner peuvent être enregistrées et former sans cesse de nouveaux horizons de souvenirs. Les souvenirs deviennent mobiles, déplaçables, combinables à l’envi : « La reproductibilité électronique ouvre un vaste champ, par principe incontrôlable, aux délocalisations et recontextualisations. Les relations qui existent entre les personnes et les lieux peuvent être abolies, pour laisser place à d’autres, nouvelles. » (Wagner, 1999).

Combiner, animer

25L’une des caractéristiques essentielles de la Wunderkammer d’autrefois était que par l’agencement aléatoire ou neutre des objets, elle ne suggérait pas aux visiteurs de liens ou d’interprétations préconçus. Au contraire, elle invitait à découvrir des rapports entre des objets qui en étaient apparemment dépourvus, comme l’explique Barbara Stafford : The metaphor of traveling among beautiful strangers is apt, because the compartmentalized organization makes even the familiar appear unfamiliar. And, in spite of insistent borders, the beholder senses that such extravagantly disparate objects must somehow also be connected. Reminiscent of a vast and perplexing database, the sight of so many conflicting wonders arouses the desire to enter the labyrinth to try to navigate the elegant maze.7

26Les utilisateurs de la Wunderkammer moderne sont eux aussi invités à mettre en pratique leur propre esthétique combinatoire. Car justement, il arrive qu’un projet soit inspiré par un agencement aléatoire d’images et de données : les volumes d’un bâtiment « massif et rocheux », « enveloppé d’une peau translucide, irisée » ; un bâtiment rappelant de façon à la fois proche et distante des constructions anciennes ; formalisme et structuration versus fluidité et dynamisme dans la conception d’une place (Büscher et al., 1999). La rapidité du voyage amplifie l’effet de découverte. Le monde 3D permet de combiner le survol visuel à la possibilité de s’arrêter à un détail d’une image pour l’explorer.

27De multiples découvertes sont possibles grâce à la richesse du monde de la Wunderkammer, qui invite aux associations les plus diverses, mais aussi grâce au matériel que l’on y ajoute. Si cet espace 3D est utilisé collectivement, cette richesse est encore augmentée par les objets d’inspiration qu’y placent les différents acteurs, et la mémoire des traces qu’ils y laissent et qui sont enregistrées et stockées par l’ordinateur.

28Enfin, la technologie informatique offre de nombreuses possibilités pour animer les objets entreposés dans la Wunderkammer. L’utilisateur peut recourir à des techniques comme l’animation, le story-board, le film, le collage, qui permettent de tisser une trame narrative. Là encore, c’est un atout appréciable dans la pratique du projet, où les sources d’inspiration sont souvent étroitement imbriquées avec des éléments narratifs. Le projet lui-même a sa propre histoire, faite de concepts préparatoires et de liaisons transversales avec d’autres projets. On le discute, on le détaille par de nombreux croquis, on l’enrichit par de nouvelles sources d’inspiration, on le modifie.

29Ce que la photographie d’exposition vise, elle « qui ne s’attache pas à l’œuvre simple, mais aux successions et aux situations spatiales », devient, dans un monde 3D, réalisable avec les variantes les plus infinies et les techniques de représentation les plus diverses (Grasskamp, 1995, p. 25).

Conclusion

30L’analogie qui existe entre la Wunderkammer du passé et celle en 3D permet de mettre en évidence des caractéristiques essentielles de la technologie informatique. Toutes deux sont conçues comme des lieux d’archivage et d’exposition d’objets constituant autant de sources d’inspiration. Toutes deux peuvent être parcourues et explorées.

31La version moderne simule le voyage lui-même, bien que sous la forme singulière de la navigation. Les voyageurs peuvent atteindre des endroits très éloignés sans jamais être partis de chez eux. La distance culturelle perd ainsi sa dimension temporelle.

32La Wunderkammer s’élabore de façon interactive. Les utilisateurs y déposent leurs propres sources d’inspiration, et créent, au fil de leurs explorations, des mondes de souvenirs très différents les uns des autres, qui peuvent à leur tour être traversés et modifiés par d’autres.

33Les objets déposés dans la Wunderkammer en 3D peuvent être animés. Non seulement ils peuvent se trouver à plusieurs endroits à la fois — ils forment, entre eux et dans l’espace, des constellations dynamisées par les multiples combinaisons possibles —, mais en outre, ces objets peuvent être animés, manipulés de nombreuses façons, entrelacés pour former des fils narratifs.

34Enfin, la Wunderkammer moderne peut être installée dans l’environnement de travail de ses utilisateurs, ce qui leur permet d’utiliser directement son potentiel scénique dans le travail de conception, par exemple pour exprimer les éléments métaphoriques, narratifs ou imaginaires d’un projet architectural.

35Texte traduit de l’allemand  par Aurélie Duthoo

Notes de bas de page numériques

1 . Ce protype de Wunderkammer électronique, réellement utilisable par les architectes, a vu le jour dans le cadre du projet Esprit LTR 31870 DESARTE. Martin Kompast, Johannes Siglär et Walter Truscott ont principalement contribué à sa conception et à sa réalisation.

2 . Les exemples évoqués dans cet article sont tirés de l’agence d’architecture Rüdiger Lainer (Vienne-Autriche).

3 . « En pénétrant dans le domaine du pittoresque indien, j’ai l’impression de comtempler  une immense collection de splendides objets, la National  Gallery ou Kew Gardens, par exemple, sans savoir par où commencer ma visite. »  Cité d’après Pinney, 1994, p. 416.

4 . « Mais plus choquants et improbables étaient-ils, plus vif le plaisir suscité chez un public affamé de philosophie récréative par ces étrangers d’un monde apparemment impossible. » (1995, p. 149)

5 . « Le paysage mental présente souvent une apparente incohérence, avec  une étrange mixture du sensoriel et du verbal. Il nous rend le passé par éclairs et fragments, sous forme d’un pêle-mêle de médias mentaux. »(MacDougall, 1994, p. 261). 

6 . « Nous pourrions comprendre ces films qui thématisent les souvenirs prothétiques comme  une allégorie du pouvoir qu’ont les médias de créer des expériences et d’implanter  des souvenirs que nous n’avons jamais vécus. » (1996, p. 176)

7 . « La métaphore du voyage en un splendide pays étanger  est juste, car l’organisation  cloisonnée rend étrange même le familier. Et malgré les évidentes séparations, le visiteur sent que, par delà leur extravagant disparate, ces objets doivent être en quelque manière liés. Évoquant  une vaste et énigmatique base de données, la vue de tant de merveilles conflictuelles incite à entrer dans l’élégant labyrinthe pour y naviguer. » (1996, p. 28).

Bibliographie

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Pour citer cet article

Rüdiger Lainer et Ina Wagner , « Images mobiles, souvenirs en évolution », paru dans Alliage, n°50-51 - Décembre 2000, III. Une pluralité de modes d'exposition, Images mobiles, souvenirs en évolution, mis en ligne le 29 août 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3757.


Auteurs

Rüdiger Lainer

Professeur et directeur de l’une des Écoles d’architecture de l’université des Beaux-Arts de Vienne. Architecte lui-même, il a reçu de nombreux prix internationaux. Ses travaux vont de la planification urbaine à la construction d’écoles, de cinémas, de bureaux et de complexes industriels.

Ina Wagner

Professeur à l’Université technologique de Vienne, elle y dirige l’Institut d’évaluation et de conception. Auteur de nombreux travaux sur les enjeux de la technologie, en particulier dans une perspective féministe, elle s’intéresse actuellement à l’étude multidisciplinaire de systèmes informatiques pour la planification et la conception architecturales.

Traducteurs

Aurélie Duthoo