Alliage | n°50-51 - Décembre 2000 Le spectacle de la technique |  I. Les arts de la mise en scène de la technique 

Jose Van Dijck  : 

La plastination : le corps anatomique comme art post-moderne

Plan

Texte intégral

Dans les années cinquante, alors que les matériaux synthétiques venaient de faire leur apparition, les gens étaient en admiration devant le réalisme des tulipes en plastique. Ces fausses fleurs qui ne se fanaient pas et dont chacune semblait l’air parfaite charmaient lesconsommateurs. Quand j’achète un bouquet de tulipes aujourd’hui, je suis frappé par leur ressemblance avec celles en plastique. Les fameuses tulipes hollandaises ne sont plus exclusivement un produit de la nature, leur culture dépend de traitements chimiques et de moyens biotechnologiques. Leurs qualités sont évidentes : elles restent fraîches plus longtemps et ont toutes une taille, une couleur et une forme standard. Alors qu’auparavant, on souhaitait à ce que l’objet ait l’air de la vraie tulipe, aujourd’hui, il doit ressembler à une perfection de la nature. L’imitation plastique d’un objet organique ne nous satisfait pas plus que des produits imparfaits de la nature. De sorte que nous  bricolons les fleurs et les traitons avec des produits chimiques et d’autres techniques pour qu’elles répondent à nos critères esthétiques. En d’autres termes, la tulipe d’aujourd’hui est devenue un objet composé, un amalgame de substances organiques, de normes culturelles et de manipulations technologiques.  

Cette nouvelle tendance à l’amélioration au lieu de l’imitation des substances naturelles concerne également le corps humain. Les dentistes qui, dans les années soixante, n’y regardaient pas à deux fois avant d’arracher une dent et de la remplacer par un dentier font aujourd’hui leur possible afin de la conserver. Ils ont à leur disposition une panoplie impressionnante d’instruments et de matériaux plastiques pour blanchir les dents et les rendre semblables à celles des top modèles de magazines, d’ailleurs retouchées par ordinateur. Dans un registre analogue, notre aspect physique peut être amélioré grâce à la chirurgie esthétique, aux stéroïdes anabolisants et, bientôt sans doute, à la thérapie génique. L’expression « seins naturels en silicone » n’est plus un oxymoron mais le signe d’une réalité où les corps féminins sont redessinés  en fonction de normes culturelles grâce à des technologies de pointe. La préférence pour un corps manipulable s’inscrit parfaitement bien dans une culture matérialiste et technologique remplaçant l’imitation par la modification. Tout comme la tulipe, le corps est devenu un mélange de matière organique et d’artifices.

Cela dit, rien de surprenant qu’il en aille de même pour les cadavres. Ces vingt dernières années, Gunther von Hagens, un anatomiste allemand d’Heidelberg, a développé une technique de conservation des corps qu’il appelle « plastination ». Il s’agit d’une série de traitements chimiques spécifiques du corps. Celui-ci est ensuite sculpté par la main et le scalpel de l’anatomiste.  L’objet qui en résulte évoque à la fois une momie ouverte, un corps écorché et une sculpture artistique. Von Hagens appelle sa collection de cadavres : « art anatomique », qu’il définit comme « la représentation esthétique et éducative de l’intérieur du corps ».1 À la suite de sa première présentation publique au Japon, cette collection Les mondes du corps (Körpenwelten), fut exposée en Allemagne à Mannheim en 1997-1998, et en Autriche à Vienne en 1999. L’exposition allemande dura quatre mois et accueillit plus d’un million de visiteurs, chiffre exorbitant pour une exposition qualifiée de scientifique. Celle de Vienne dut rester ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, afin de recevoir tous les visiteurs. Même les expositions de peintres célèbres dans les grands musées d’art n’en attirent pas autant.

Qu’est-ce qui rend la plastination aussi fascinante ? Pourquoi cet énorme succès ? Il semble normal que dans une société de plus en plus médicalisée, l’intérêt pour le corps humain croisse proportionnellement à la découverte de ses facettes cachées. Or certains musées anatomico-pathologiques européens ont rendu possible l’exploration de l’intérieur du corps humain sans remporter le même succès. L’un de ses facteurs fut sans doute le débat dans les médias allemands concernant l’éthique d’une telle exposition. Journaux et télévision s’interrogèrent sur la légitimité d’une exhibition de cadavres humains et sur ses objectifs. Ceux-ci étaient-ils scientifiques ou s’agissait-il de mettre en scène des objets d’art ? Certains journalistes allèrent même jusqu’à suggérer que cette exposition pouvait être acceptable dans d’autres pays, mais que l’Allemagne devait s’en abstenir à cause de son passé d'expériences médicales douteuses sur des corps vivants et défunts au cours de l’ère nazie. S’il est indéniable que cette attention médiatique augmente le nombre de visiteurs à Mannheim, cela n’explique que partiellement cet immense succès.

La tradition historique des corps et des mannequins en anatomie

Tout au long de l’histoire des pratiques de l’anatomie, les anatomistes ont essayé de réconcilier les exigences contradictoires d’authenticité et de didactique dans leur enseignement du savoir médical.2  D’une part, des corps anatomiques de chair réelle afin que leur dissection enseigne aux futurs médecins la complexité organique du corps vivant. De l’autre, travailler sur des cadavres présente certaines difficultés : difficile de montrer certains aspects physiologiques tels que la circulation sanguine ou le réseau complexe des tissus musculaires. En outre, pour que les étudiants conceptualisent les structures anatomiques, les cadavres humains devaient également être malléables. Depuis le début de la Renaissance, des mannequins, étaient destinés à montrer les différentes parties ou caractéristiques du corps humain et à servir d’outil d’enseignement. Ils permettent une accentuation disproportionnée de certains éléments physiologiques afin de souligner des connaissances anatomiques particulières. L’un de leurs invénients est de ne pas donner aux étudiants un sens de la texture organique. De Vésale à von Hagens, les anatomistes ont été tiraillés entre la volonté de conserver l’authenticité des corps et les avantages éducatifs des mannequins.3 Au début de la Renaissance, observer un anatomiste opérant une dissection était le seul moyen pour les futurs médecins et artistes d’acquérir le sens de l’intérieur du corps humain. Quand l’anatomiste belge Andrea Vésale à Bologne ou ses collègues Jacobus Sylvius de Paris, et plus tard, Nicolas Tulp à Amsterdam, faisaient des dissections publiques, ni leurs étudiants ni les spectateurs n’étaient autorisés à toucher les corps.4 Les cadavres étaient sujets à une décomposition rapide si bien que les dissections devaient être effectuées rapidement et par des experts. Ainsi que l’écrit avec pertinence Jonathan Sawday, Vésale (1514-1564) tout en démontrant la complexité du corps, mit en lumière les « profondeurs de la réalité  physiologique ».5 Le réalisme des cadavres étendus nus sur la table de dissection et la connaissance de leur passé criminel constituaient un spectacle fascinant pour un large public qui payait d’un substantiel droit d’entrée l’assistance à ces leçons d’anatomie.6

La nécessité de conserver les corps plusieurs jours durant, ainsi que le désir de mettre en valeur des caractéristiques physiologiques spécifiques stimula l’invention de meilleurs modes de conservation. Du début du XIIe au XVIe siècle, expérimentées de nombreuses techniques d’embaumement et de conservation furent.7 L’anatomiste hollandais Frederick Ruysch (1658-1731), successeur de l’illustre Tulp, développa des modes de conservation et de présentation des corps sans précédent. Il faisait une injection intraveineuse de talc, suif, cinabre, huile de lavande et pigments de couleur, dont la formule exacte demeura secrète. Le corps se conservait plus longtemps et le remplacement du sang par un conservateur rendait la dissection moins salissante. La technique de Ruysch non seulement améliora les conditions matérielles de la dissection, mais rendit possible  l’émergence d’un nouveau type d’artéfact anatomique : elle fit du cadavre une œuvre d’art plus qu’un objet scientifique.

Ludmilla Jordanova insiste sur le fait que les exigences contradictoires d’authenticité et de didactique apparurent de façon répétée à travers l’histoire des artéfacts anatomiques.8 Après la Renaissance, la formation médicale entendit de plus en plus permettre aux étudiants de s’exercer concrètement sur des corps anatomiques. La demande croissante de cadavres, combinée à l’émergence de lois plus strictes sur leur obtention, força les anatomistes à leur chercher des substituts.9 Si aux XVIIe et XVIIIe siècles, le manque de cadavres conduisit à la création de faux corps, ils furent soumis aux mêmes normes d’exactitude, de durabilité et de flexibilité technique. Le développement de mannequins en cire, fabriqués pour répondre à ces exigences éducatives, fut une alternative non dénuée d’avantages.10 La cire d’abeille avait l'intérêt à la fois de ressembler à la texture organique et d’être malléable. Des morceaux pouvaient être ôtés du mannequin de cire afin que l’étudiant observe la complexité  organique ou s’exerce manuellement à en retirer certaines parties ou certains organes. Entre 1750 et la fin du siècle, certains sculpteurs de Bologne, comme Lelli et Morandi, et les maîtres florentins Caldani, Fontana et Piranèse élevèrent la sculpture de la cire au statut d’art, commencèrent à recevoir des commandes de mécènes royaux, tandis que leurs mannequins étaient achetés par des collectionneurs privés.11 Ces mannequins passèrent ainsi du cadre de la formation clinique aux collections privées et, par la suite, aux musées où l’on peut encore les admirer de nos jours.12 Après la cire, on utilisa plusieurs autres substances pour la fabrication des mannequins.13

L’invention de nouvelles techniques chimiques, et en particulier l’utilisation du formaldéhyde au XIXe siècle, permit aux anatomistes d’accroître la durée de conservation des cadavres et aux étudiants de prendre part à de véritables dissections. Elles n’étaient plus ouvertes au public, mais avaient lieu en huis clos dans les laboratoires des hôpitaux. On retrouve l’exigence hybride de la recherche de la pédagogie et de l’authenticité dans les différents modes de présentation des corps, en particulier avec les morceaux mis dans des bocaux avec du formaldéhyde. Contrairement à la présentation embellie, telle que la collection de Ruysch, l’exposition d’organes dans des bocaux de verre au XIXe siècle tend à indiquer une préférence pour une présentation brute, sans fioritures. Les organes génitaux atteints de maladies sexuelles ou les foies dégénérés par l’alcool avaient clairement une fonction pédagogique double. Ils familiarisaient les médecins avec l’aspect normal et anormal de l’anatomie humaine mais ils avaient aussi pour rôle essentiel d’enseigner à l’homme de la rue les lois de la conduite morale.14 Le XIXe siècle est caractérisé par un mélange de valeurs éducatives, d’authenticité et de moralisme qui subsiste dans les musées d’anatomie de nos jours.

De l’homme transparent aux plastinats

Au début du XXe siècle, s’opère une transition, les organes individuels  font place à des corps entiers, les organes en bocaux de verre à des spécimens traités avec des produits chimiques translucides comme le plastique. L’un des mannequins les plus célèbres en Allemagne, appelé « l’homme transparent », fut exposé pour la première fois en 1911, à l’exposition hygiénique de Dresde, puis transporté aux Expositions universelles de Paris, Chicago et Berlin, avant de finir au musée allemand de l’Hygiène.15 L’homme transparent, bientôt accompagné de son équivalent féminin, était fait d’un véritable squelette humain, empli de faux organes internes récupérés sur des mannequins de cire et protégés par une fine couche de celluloïd. Le plus frappant chez cet homme transparent n’était pas qu’il fût debout, mais sa posture : bras tendus, paumes ouvertes, regard tourné vers le ciel. Il offre au spectateur une image divine de super-humain, regardant seulement Dieu. En 1926, Frank Tschakert, conservateur du musée, appliqua par-dessus une couche de cellon, sorte d’ancêtre du plastique, ce qui lui donna son aspect translucide. Notons que l’homme transparent devint un symbole du mouvement eugéniste et fut envoyé aux États-Unis pour l’exposition intitulée « Les eugénistes de la nouvelle Allemagne ».16 Ce mannequin vitreux semblait avoir été créé pour en finir avec la corporalité et son association à la souillure. Après la seconde guerre mondiale, des copies du couple transparent firent leur apparition à Moscou, dont l’une en guise de cadeau d’anniversaire de l’Allemagne de l’Est à Staline. En Union soviétique, les mannequins furent perçus comme la victoire de la science sur l’imperfection de l’individualité — le corps devenu organisme bien ordonné dont la médecine avait parfaitement le contrôle. Rétrospectivement, l’homme transparent constitue plutôt qu’un objet anatomique, ayant pour fonction de vulgariser le savoir en anatomie, un vestige de l’histoire allemande teinté d’idéologie national-socialiste et par la suite, stalinien.

La tradition de la fabrication de mannequins anatomiques, héritée de la Renaissance, est  fondamentale pour la compréhension du succès obtenu par Les mondes du corps et de la controverse qui en résulta. La technique de la plastination est censée à la fois perpétuer et améliorer des traditions anciennes. Quand il déclare que « les corps plastinés ne sont parfaits que si l’authenticité de leur représentation va de pair avec leur fonction éducative », Von Hagens exprime, à nouveau, la tension entre désir d’authenticité et volonté d’instruire qui définit la fabrication des mannequins anatomiques depuis le début du XVIe siècle.17 La plastination, aux yeux de son inventeur, combine les qualités d’un corps réel aux avantages des mannequins. Pour lui, l’authenticité et la valeur didactique, la matérialité organique et la plasticité pédagogique ne sont pas des caractéristiques mutuellement exclusives des objets anatomiques. Sa technique de plastination consiste en un traitement chimique spécial, qui rend les cadavres malléables tout en prévenant leur décomposition, qui garde le corps d’origine intact tout en accentuant quelques détails physiologiques spécifiques. En dégageant certaines parties intéressantes et en enlevant les tissus qui les entourent, von Hagens met en valeur des traits spécifiques du corps tels que les muscles, les os, les fonctions respiratoire ou cardiaque. Par exemple, Les mondes du corps présentait des sculptures plastinées uniquement faites de structures osseuses, à côté d’hommes-muscles illustrant seulement les tissus musculaires. En d’autres termes, la plastination a pour objectif de permettre la conservation du corps organique, lequel sert en même temps de maquette.

Contrairement aux mannequins de cire ou de plastique, y compris « l’homme transparent », combinaison des deux, le réalisme des objets plastinés est un atout important du marketing de l’exposition. Von Hagens insiste sur l’intérêt de l’authenticité des corps plastinés, et les place, de ce fait, au-dessus des mannequins lesquels restent malgré tout des imitations de corps humains. Les textes accompagnant les Ganzkörper (corps entiers) à l’exposition de Mannheim expliquaient clairement que ces corps n’étaient pas des assemblages de différents cadavres ou des imitations partielles, mais authentiques et intacts. Or comment définir l’expression de corps authentique ? Les corps sont traités par des produits chimiques à un degré tel qu’il est difficile de les tenir encore pour d’authentiques corps humains. Comme pour les corps modifiés par la chirurgie esthétique ou les stéroïdes anabolisants, il devient presque impossible d’utiliser le terme authentique dans cette branche de l’anatomie. En soulignant en permanence l’authenticité des corps, von Hagens sous-évalue l’importance des modifications chimiques, alors que c’est précisément cet aspect de sa technique qu’il a fait breveter. La nouveauté de sa méthode n’est pas le choix des produits chimiques utilisés, mais leur mode d’administration. Le plastinat représente donc bien un artéfact organique puisqu’il résulte d’une intervention technologique. De même que les ingénieurs dénomment le maïs et le blé transgéniques des produits naturels, von Hagens minimise le processus de manipulation chimique. Cependant les sculptures plastinées sont autant des imitations de corps humains que les mannequins de cire du XVIIIe siècle et semblent quelquefois moins réels qu’eux (plus proches du plastique).

La fonction éducative et morale prédiminant dans les collections anatomiques au XIXe siècle se retrouve clairement avec les organes ou les morceaux de corps plastinés. Les visiteurs des Mondes du corps ont manifesté un intérêt particulier pour les malformations congénitales ou celles causées par des maladies post-natales. Tumeurs du foie, ulcères, gonflements de la rate et spécimens d’artériosclérose illustrent l’impitoyable destruction du corps. Des plastinats de poumons recouverts de goudron et des poumons blancs en parfaite santé, ou un foie sain et l’autre atteint par une consommation d’alcool excessive étaient exposés côte à côte. On peut donc voir dans Les mondes du corps le prolongement direct d’une tradition moralo-réaliste en art anatomique.

En même temps, cependant, l’exposition de Mannheim offrait un méta-commentaire sur la nature de la chair au XXe siècle. Alors qu’au XIXe siècle, les corps naturels sont présentés comme sujets à une dégénérescence causée par la main de Dieu ou par certains comportements immoraux, les cadavres plastinés célèbrent la capacité humaine à intervenir sur la vie et la mort. Von Hagens paraît se distancer d’une conception faisant du corps un simple objet organique sur lequel on peut avoir une influence négative, en fumant ou buvant, par exemple. Tout au long l’histoire de la médecine, on observe un nombre croissant d’inventions ayant pour objet de s’opposer — même de façon temporaire — à la dégénérescence physique. L’un des plastinats est un commentaire explicite sur l’influence de la technologie en médecine. Dit orthopédique, il est équipé de la tête aux pieds de toutes sortes de prothèses internes et externes, allant de genoux en métal, d'attelles pour fractures osseuses à un stimulateur cardiaque et au remplacement d’une mâchoire fracturée. Ce remarquable plastinat ne se contente pas d’illustrer les progrès technologiques de la science médicale, mais représente aussi un jugement sur les corps vivants contemporains. Les êtres humains sont devenus des constructions hybrides, des amalgames d’éléments organiques et technologiques, des cyborgs, selon la définition de Haraway.18 Le corps naturel n’est plus un objet donné, la durée et la qualité de la vie  pouvant, toutes deux, être manipulées.19 Les apports techniques et chimiques sont présentés comme des extensions naturelles du corps vivant, tout comme le processus de plastination prolonge la durabilité du corps défunt.

Les corps anatomiques comme représentations artistiques

Dans un de ses célèbres essais, l’historien de l’art Erwin Panofsky émet l’idée que l’émergence de l’anatomie au XVIe et XVIIe siècles ne peut être comprise séparément de la Renaissance dans le domaine de l’art. Car l’histoire de l’anatomie est profondément ancrée dans l’histoire de l’art.20 Afin de définir la valeur scientifique de l’art de l’anatomie, Panofsky va jusqu’à déclarer qu’elle devrait être envisagée dans une perspective d’historien de l’art. Au XVIe siècle, les connaissances acquises au sujet du corps étaient représentées visuellement par des dessins et des gravures dus à des anatomistes et à leurs artisans. Aujourd’hui encore, on admire les atlas anatomiques pour leur admirable description du savoir anatomique de l’époque et davantage encore leurs qualités artistiques reflètant les conventions de l’art du début de la Renaissance.21 Les dessins de De humani corporis fabrica (1543) de Vésale, par exemple, rappellent les sculptures de la Grèce antique, avec leurs paquets de muscles bien dessinés et leurs torses aux larges épaules.22 L’un des aspects caractéristiques des gravures de Vésale est que les organes disséqués sont encadrés de corps vivants et en pleine santé qui détournent l’attention de l’aspect plutôt repoussant de la mort. La réalité scientifique de l’image, embellie et esthétisée, devient plus agréable à l’œil. Les squelettes de Vésale et ses hommes muscles portent également la marque des principes de la tradition sculpturale : s’ils représentent des corps morts, ils posent debout, comme s’ils étaient vivants.23 Les conventions classiques de la sculpture et de la peinture de la Renaissance déterminaient bien les éléments constitutifs de ces représentations anatomiques.24

La conception de Panofsky, voulant que les techniques artistiques de représentation dominent et modèlent les savoirs scientifiques, est corroborée par Ludmilla Jordanova qui, dans une analyse détaillée des mannequins de cire du XVIIIe siècle, montre comment les idées néoclassiques ont déterminé la représentation du savoir scientifique de ce type d’objets anatomiques.25 Ces mannequins anatomiques sont de parfaits spécimens de corps partiellement ouverts, permettant donc de voir l’estomac, les intestins ou les organes de reproduction. Comme dans le cas des dessins de Vésale, ces mannequins semblent vivants et leur beauté physique tend à dévier l’attention des intestins ouverts. La plupart des corps de femmes, par exemple, ont des poses communément attribuées à Vénus. Alors que leur principal objectif est de montrer les fonctions de reproduction du corps féminin, les mannequins présentent l’image d’une séduisante déesse de l’amour. Les normes esthétiques de l’apparence extérieure éclipsent une représentation réaliste.

Lorraine Daston et Peter Galliston, spécialistes des représentations médicales du corps au XIXe siècle, reformulent la conception de Panofsky en terme de lutte continue entre objectivité scientifique et subjectivité artistique. Ils replacent le concept d’objectivité dans son développement historique et l’expliquent par ce qu’ils appellent l’objectivité mécanique ou non interventionniste.26 Avec l’arrivée au XIXe siècle de nouvelles techniques de représentation, les scientifiques espéraient éliminer toute contamination artistique. Les représentations obtenues par le biais de certains mécanismes étaient considérées comme bien distinctes des tentatives antérieures visant à produire une peinture réaliste de l’intérieur des corps. De nouveaux outils, comme la photographie, et plus tard, la radiographie, éliminaient la subjectivité de l’artiste, la remplaçant par des impressions réalistes et objectives.27 Cependant, comme le montrent Daston et Galliston, l’introduction de l’impression mécanique « ne créa pas, ni ne clôtura le débat sur comment représenter (les corps) ».28 Ils avancent que le remplacement du graveur par des instruments photomécaniques ne mit pas fin à l’interprétation ; la présence même du photographe signifiait que ces photos étaient réalisées par le biais d’une médiation. Les nouveaux outils atténuèrent l’illusion d’une transparence parfaite tout en avançant une nouvelle conception de l’objectivité : une objectivité atteinte par le biais d’une reproduction mécanique.29

Les artéfacts de Gunther von Hagens reflètent la tension historique entre exactitude scientifique et embellissement artistique, qui ne sont pas à ses yeux des exigences contradictoires. Chacun de ses plastinats illustre un trait physiologique particulier sculpté, avec une précision étonnante, tels le système musculo-squelettique, l’appareil digestif ou les systèmes cardiovasculaire et respiratoire. Mais le plus frappant demeure les poses artistiques dans lesquelles sont sculptés les corps. Tout comme les dessins dans les atlas d’anatomie de la Renaissance, notre attention est détournée de l’horreur de la mort et de la barbarie de la dissection par l’apparence vivante de chaque Ganzkörper. Dans la lignée des traditions artistiques des dessins d’anatomie, les plastinats de Von Hagens sont autant, si ce n’est davantage, définis par des conventions artistiques que par des connaissances scientifiques. Le plastinat intitulé « Le joueur d’échecs », par exemple, destiné à mettre en valeur la structure et les fonctions du système nerveux, ressemble au « Penseur » de Rodin. Un autre « Le coureur », cherchant à illustrer la cinétique humaine, est composé de petits bouts de peau et de tissus attachés à ses membres et qui volètent afin de suggérer la dynamique d’un homme qui court. La sculpture engendre des associations avec l’art futuriste et ses nouveaux modes de représentation du mouvement et de la vitesse.

Si cette exposition représentait uniquement le prolongement d’une tradition ancienne de l’art anatomique utilisant une esthétique artistique à des fins scientifiques, elle n’aurait pas provoqué un tel tollé. Mais faire de l’art anatomique post-moderne l’équivalent de traditions anciennes pose obligatoirement certains problèmes. Les sculptures de von Hagens ne sont pas des représentations de corps comme l’étaient les dessins de Vésale dans Fabrica ou les gravures en cuivre d’organes internes de Bidloo dans Anatomia humani corporis (1685).30 Les plastinats présentés dans Les mondes du corps sont des imitations de représentations produites dans de la matière organique modifiée. L’exemple le plus parlant de cette pratique est la copie réalisée par von Hagens de l’« homme muscle » de Vésale, imitation explicite d’un homme qui porte sa propre peau dans sa main et pose comme s’il venait d’enlever son manteau. À Mannheim, sur le mur derrière le modèle plastiné, figurait une reproduction grandeur nature de l’homme muscle de Vésale. Dans la mesure où le corps réel imite une œuvre d’art, dans le cas présent, le dessin de Vésale, l’objet et la représentation se confondent dans le corps sculpté. Au premier abord, le plastinat semble être la réanimation d’une représentation, un clin d’œil à la tradition de l’art anatomique de la Renaissance. L’art et la littérature postmodernes sont bien évidemment pleins de ce genre d’exercices qui jouent à imiter des styles existants, en d’autres termes pleins de pastiches.31 Mais une telle comparaison néglige une question essentielle : la vie, ou plutôt la mort, peut-elle imiter l’art ? La copie de l’homme muscle de Vésale est fabriquée à partir d’un authentique corps humain, qui ne peut plus être qualifié d’authentique, à cause des modifications chimiques qu’il a subies. Hillel Schwarz note que dans notre « culture de la copie », le vrai et le faux semblent interchangeables et que les distinguer devient obsolète.32 Le public a sans doute pu être choqué par la fusion entre la représentation artistique et la matérialité organique illustrée par les plastinats, cependant, le renversement effectué par von Hagens entre l’art de représenter les corps et les corps représentant l’art, est au moins aussi perturbant.

Exposer l’art anatomique

Les objets anatomiques, les corps et les mannequins suscitent l’intérêt et la curiosité du grand public depuis la fin du XVe siècle. Les anatomistes comprirent très tôt l’immense potentiel publicitaire pour leur profession de la dissection publique. À l’époque de Vésale, la leçon d’anatomie était un spectacle ouvert à tous. Il fallut attendre la fin du XVIIIe siècle pour qu’elle disparaisse derrière les murs des hôpitaux.33 Dans certaines régions d’Europe, exposer des organes de corps humain demeura une attraction de foire jusqu’au début du XXe siècle. Des théâtres anatomiques du XVIe siècle aux collections anatomiques d’aujourd’hui, les objets anatomiques ont progressivement été intégrés à un contexte médico-scientifique (celui du musée). Bien que la représentation du corps en tant qu’objet de divertissement et de spectacle n’eût jamais disparu, elle fit lentement place à un regard clinico-scientifique.34 La façon dont von Hagens réintroduit dans ses objets l’élément de spectacle, en stipulant une identification viscérale du public aux corps disséqués, est frappante. La configuration spatiale de l’exposition Les mondes du corps, l’image d’anatomiste-artiste créée par von Hagens et la provocation à l’égard du visiteur sont autant de facteurs ayant contribué à son succès.

Le choix des espaces d’exposition de Von Hagens se porta sur des lieux inhabituels. En Allemagne, Les mondes du corps eut lieu non dans un musée d’art ou de sciences mais au musée de la Technologie et du Travail de Mannheim. Cet énorme musée de l’industrie à l’image poussiéreuse prit littéralement vie avec l’arrivée d’environ dix mille visiteurs par jour, envahissant les couloirs, défilant entre les moteurs à vapeur et les outils de travail d’antan afin de voir les corps plastinés. À Vienne, les corps ne furent pas exposés en hauteur comme les autres objets du musée, de sorte que les gens fourraient leur nez dans les cadavres, téléphonaient en s’appuyant sur des vitrines où étaient exposés des organes, des étudiants en médecine en blouses d’hôpital se promenaient dans l’exposition pour répondre aux questions et la cafétéria était séparée des sculptures corporelles par une simple corde. À un moment donné, von Hagens autorisa deux acrobates du cirque du Soleil voisin à donner une représentation au milieu des cadavres plastinés afin de mettre en valeur « la remarquable similitude entre la structure musculaire des corps et celle des acrobates ».35 L’exposition effaça habilement la distance établie dans les musées anatomiques entre l’objet et le spectateur, atténuant la fascination et la peur ressenties vis-à-vis de la mort.

Un autre aspect provocateur des Mondes du corps est que von Hagens s’autoproclame artiste-anatomiste. Sous la Renaissance, l’art anatomique était en général l’œuvre d’un couple de deux experts. Von Hagens, lui, se pose comme un expert en matière à la fois scientifique et artistique. Il se dit professeur-médecin et semble vouloir établir son autorité d’anatomiste en rappelant inlassablement ses titres académiques. L’institut de plastination où il fabrique ses cadavres est censément lié à l’université de Heidelberg, en dépit de son financement par des fonds privés. Le statut académique de von Hagens et de son institut sont fermement ancrés dans un réseau scientifique préexistant. Néanmoins dans sa présentation et son apparence, von Hagens endosse la personnalité d’un artiste et notamment celle de Joseph Beuys. Ses amis, comme ses ennemis, l’ont comparé au célèbre artiste allemand, allant même jusqu’à le surnommer « die Leichen Beuys » (le Beuys-cadavre), ce qui n’est guère surprenant quand on voit les photos et les vidéos de cet homme affublé en permanence d’une blouse blanche de laboratoire et d’un Borsalino, l’une des marques distinctives de Beuys. Le professeur-docteur von Hagens se conçoit comme un artiste excentrique, marquant chacun de ses cadavres du sceau de ses petites manies. Sa personnalité peu commune a sans doute exaspéré certains visiteurs, mais c’est plutôt l’élément de spectacle qui les met mal à l’aise. Au lieu de le dissimuler, von Hagens donne une place centrale dans son exposition au processus de la plastination.36 À Mannheim, les visiteurs pouvaient voir sur écran géant un film le montrant dans son atelier, occupé à immerger des corps dans de larges cuves pleines de fluides roses.37 À l’aide de scalpels et de couteaux, il découpait la graisse et cisaillait le corps, lui donnant forme, à la manière d’un sculpteur. Von Hagens ne se contente pas de présenter aux visiteurs un objet fini, il les met face-à-face avec la violence de la dissection, pratique évocatrice des anciens théâtres d’anatomie.

Les théâtres d’anatomie de la Renaissance incitaient les visiteurs à s’identifier au corps étendu sur la table de dissection. Le corps disséqué, reflet du corps en vie du spectateur, laissait celui-ci entrevoir ce qui l’attendait. Dans une veine similaire, l’exposition en Allemagne jouait sur l’angoisse du public devant de la mort. Elle invitait les spectateurs à participer à un exercice de voyeurisme avec identification narcissique. Mais Les mondes du corps allait plus loin encore dans l’identification. Avant de s’en aller, les visiteurs pouvaient se procurer des formulaires leur permettant de devenir à leur tour des Körperspender — de futurs donneurs pour la plastination. La plastination offre à ceux qui souhaitent livrer leur corps à la science la possibilité de combiner l’altruisme posthume et, de façon plus égoïste, la vie éternelle. Depuis l’Antiquité, l’homme cherche à sauver son corps mortel de la décomposition totale grâce à des techniques comme la momification ou l’embaumement. Cependant, contrairement aux cadavres embaumés, les plastinats de von Hagens ne sont pas identifiables, dans la mesure où ils sont exposés de façon anonyme.38 Sous couvert d’aider la science, la plastination offre l’opportunité de conserver des restes humains normalement périssables des siècles durant, sinon plus, et de les exposer dans leur grandeur dépouillée à des millions de spectateurs curieux, abasourdis ou fascinés. Il n’est guère étonnant que les donneurs potentiels révélant leur motivation dans les formulaires de candidature, se disent incités par la perspective que leur corps sera transformé en statue ou en œuvre d’art.

Le débat autour de la plastination

Le débat médiatisé que suscita l’exposition tourna autour des notions d’art et de science. La discussion sur l’acceptabilité éthique des Mondes du corps se déroula quasi uniquement en termes binaires. La plupart des objections publiques vinrent de théologiens moraux, choqués par la désacralisation de cadavres humains opérée par von Hagens. S’ils déclarèrent ne pas être opposés à une utilisation scientifique des corps, ils rejetèrent les motifs artistiques dominant pour les plastinats de von Hagens. Le second groupe de critiques fut composé de médecins. Les anatomistes  et autres spécialistes, soumis à des protocoles contraignants en matière de don d’organes et de traitement des corps, s’opposèrent vivement à l’infraction aux normes éthiques dans l’art de von Hagens et à son usage des corps à des fins frivoles. Les directeurs de musées anatomiques européens réagirent pour la plupart négativement à l’exposition de Mannheim.39 Selon eux la plastination n’ajoutait aucune valeur scientifique ou éducative supplémentaire à celle des mannequins. De plus, ils stigmatisèrent le sensationnalisme de von Hagens et ses préoccupations artistiques : les expositions d’anatomie devaient être au service de la science et non de l’art. Les entretiens réalisés avec les visiteurs montrèrent des réactions allant de l’indifférence à de fortes réserves concernant le caractère éthique de l’emploi de cadavres à des fins autres que scientifiques. Pour certains de telles pratiques à tout le moins douteuses, allaient soulever des réticences partout, mais le sujet était particulièrement sensible dans le cas de l’Allemagne. La plastination s’inscrivant dans la tradition historique de l’anatomie subirait le poids des expériences scientifiques ténébreuses, effectuées par les nazis sur les morts et les vivants, et de l’idéologie eugéniste qui leur était associée.

En réponse à ces attaques, von Hagens élabora une surprenante ligne de défense. Il accentua la nature strictement scientifique de son travail et atténua sa valeur artistique. Par exemple, à Mannheim, il engagea des étudiants en médecine pour fournir des explications aux visiteurs et répondre à leurs questions. Les formulaires distribués au terme de la visite ressemblaient à des formulaires types de dons d’organes. Afin de répondre aux critiques du corps médical, il insista sur le statut académique de l’Institut d’Heidelberg ainsi que sur ses propres qualifications scientifiques. L’artiste-anatomiste entendait sortir la science de sa tour d’ivoire et, contrairement à ses pairs, considérait l’éducation du grand public comme un atout important pour la discipline. Selon lui, le succès de l’exposition prouvait également que les normes éthiques ne sont plus imposées à la masse par une élite, par exemple les autorités ecclésiastiques, mais que le peuple lui-même définit ce qu’il tient pour éthique. Bien qu’il soit compréhensible que, par pragmatisme, von Hagens ait opposé aux critiques ses références scientifiques, il semble étrange qu’il dût se réfugier dans une dichotomie hiérarchisée pour défendre des pratiques qui, au cours de l’histoire, ont rendu ces catégories perméables les unes aux autres.

L’opposition et la défense de Von Hagens renforcèrent toutes deux une fausse dichotomie entre l’art et la science, impliquant de ce fait que des normes ou des standards éthiques différents s’appliquent à l’un et à l’autre. Même si les visiteurs d’une exposition d’art contemporain sont, en principe, plus coutumiers du choquant que le visiteur moyen des musées scientifiques, l’emploi de membres découpés ou de parties de corps humains pour la réalisation d’œuvres d’art peut les mettre mal à l’aise et sans doute provoquer un débat éthique. Depuis plusieurs années, nous assistons à la remise en question, délibérée ou involontaire, par différents modes d’expression artistiques, du caractère sacré et de l’intégrité de la chair humaine. Certaines expositions à sensation, en utilisant des tissus organiques humains, redéfinissent la permissivité éthique dans le domaine de l’art.40 Il est évident qu’en se situant entre l’art et le jugement éthique, Von Hagens avançait en terrain dangereux. Interrogé au sujet du débat entre éthique et esthétique, il invoquait invariablement la légitimité que lui conférait la tradition historique pour justifier son mélange d’instruments scientifiques et de style artistique. Ses sculptures témoignent sans aucun doute de raffinement esthétique. Néanmoins, la sensation brute qu’elles génèrent attire tout autant l’attention que les œuvres de certains artistes contemporains voire de certains scientifiques. Le sensationnalisme, l’exploitation et la commercialisation caractérisant Les mondes du corps ont bel et bien donné de von Hagens l’image d’un homme d’affaire madré.

Néanmoins, ni la réaction morale, ni le dédain de la profession ne mirent au jour la plus profonde des sources de malaise. À mes yeux, l’aspect le plus troublant des plastinats de von Hagens n’est pas la transgression des limites entre l’art et la science, sur laquelle s’est axé le débat, ni la question de la réémergence du spectacle public, mais un élément pratiquement oublié par le débat public, à savoir que l’exposition de cadavres plastinés incite les visiteurs à réévaluer la nature et le statut du corps humain, vivant ou mort, à notre époque. Ce corps n’est plus ni naturel, ni artificiel, mais résulte d’une fabrication biochimique et mécanique : la prosthétique, la génétique et la fabrication de tissus organiques permettent aux scientifiques de modifier le vivant et de sculpter les corps selon des formes organiques dites parfaites, qu’il s’agisse de mannequins ou de représentations. Ce que fait von Hagens avec les corps défunts est très similaire à ce que les médecins font en chirurgie esthétique. Le problème de l’authentique et de la copie me semble bien plus pressant dans le domaine des expériences en génétique appliquée que dans celui de la plastination. Ce qui rend les corps plastinés si dérangeants est peut-être davantage qu’ils rendent inapplicables les catégories épistémologiques nous permettant de rendre des jugements éthiques. Les catégories telles que corps/maquette, organique/synthétique, objet/représentation, réel/faux, authentique/copie deviennent arbitraires ou obsolètes et ainsi, dans la mesure où elles représentent le fondement sur lequel reposent nos normes et nos valeurs, l’art anatomique de von Hagens élude tout jugement éthique.

La plastination est un symptôme représentatif de la culture post-moderne, exactement de la même façon que les objets anatomiques de Frederick Ruysch étaient un symptôme de l’art des Vanitas et de la culture de la Renaissance. Les cadavres sont devenus des amalgames de chair et de technologie, les corps sont malléables à volonté même une fois morts.41 Comme les tulipes, ils ne sont plus ni vrais ni faux, puisque ces catégories ont cessé d’être différenciables. Les tulipes modifiées, qui durent plus longtemps et ont l’air parfaites, soulèvent  les mêmes interrogations que les moutons créés par la génétique ou le maïs transgénique. De même, notre regard et notre vision du corps sont de plus en plus remis en question et influencés par la plasticité de la technologie. Les sculptures de von Hagens pourraient constituer une approche intéressante de l’influence omniprésente de la technologie sur la corporéité et du déclin de l’intégrité de la chair. Pourtant, la défense et l’explication par Von Hagens des cadavres plastinés ne témoignent aucunement d’une telle volonté critique ou blagueuse. Plutôt que d’élaborer un commentaire de la disparition des frontières, il réaffirme les catégories binaires, en qualifiant ses cadavres  de vrais, intacts et authentiques. Bien qu’il se situe indéniablement dans la continuité d’une tradition qui mélange savoir scientifique et stylisation artistique, il oppose rapidement aux critiques le solide bastion de la science. Paradoxalement, néanmoins, son rejet des catégories distinctes de la corporalité, et donc des normes éthiques dans lesquelles elles sont ancrées, ne l’empêche pas d’invoquer ces mêmes normes pour défendre la légitimité de ses pratiques. Les cadavres plastinés de l’artiste-anatomiste s’avèrent comme l’exemple type d’une culture « faite de post-humains qui considèrent leurs corps comme des accessoires de mode plutôt que comme le fondement de leur être ».42 Selon von Hagens, cette culture de post-humains se place dans la continuité de la tradition humaniste qui réduisait le corps au statut de simple réceptacle de la cognition et de la tradition religieuse laquelle conçoit ce corps comme vaisseau temporaire de l’âme. La technique de von Hagens tente de détacher les corps de leur signifié vivant mais demeure inexorablement marquée par l’histoire, le lieu et la culture. Le docteur von Hagens est peut-être plus aisé à comprendre si on se le représente comme une sorte de docteur Tulp post-moderne, quelqu’un qui utilise la technologie médicale pour commenter de façon potentiellement provocatrice, mais véritablement perturbante, notre culture technologique.

Notes de bas de page numériques

1 . Dans le catalogue de l’exposition Körperwelten. Ein Blicke in den menschlichen Körper, (Heidelberg. Institut für Plastination, 1997) Von Hagens définit l’art anatomique comme « ästhetisch instruktive Darstellung des Körperinneren », p. 217.

2 . Pour une introduction générale sur l’histoire de l’anatomie et des mannequins anatomiques, voir Roy Porter, The Greatest Benefit to Mankind. A Medical History of Humanity from Antiquity to the Present, Londres, Harper Collins, 1997.

3 . Christina Lammer dans Die Puppe. Eine Anatomie des Blicks, Vienne, Verlag Turia, 1999, offre une analyse philosophique pertinente de l’utilisation des mannequins ou des marionnettes, ainsi qu’elle appelle les différents objets anatomiques produits au début du XVIe et à la fin du XXe siècles.

4 . Andrea Carlino in Books of the Body. Anatomical Ritual and Renaissance Learning, Chicago University Press, 1999, décrit en détail les rituels de dissection au XVIe siècle. Voir en particulier le chapitre 2, « Practices : Norms and Behaviors at the Public Anatomy Lesson in the Studium Urbis ». Pour une introduction intéressante aux différentes écoles d’anatomie publique en Europe, voir A. M. Lassek, Human Dissection. Its Drama and Struggle, Springfiled, Thompson, 1958, en particulier, le chapitre VIII « Anatomy during the European Renaissance ».

5 . Jonathan Sawday, The Body Emblazoned. Dissection and the Human Body in Renaissance Culture, Londres, Routledge, 1995, p. 70.

6 . Cf. Ruth Richardson, Death, Dissection and the Destitute, Londres, Routledge, 1987. Voir en particulier le second chapitre : « The Corpse as an Anatomical Object ».

7 . Katherine Park in « The Criminal and the Saintly Body : Autopsy and Dissection in Renaissance Italy », Renaissance Quarterly 1, 1994, pp. 1-33, avance que l’ouverture du corps et par la suite son embaumement, sa conservation en entier ou en morceaux étaient une pratique funèbre commune dès le XIIe siècle. En Italie, le corps des candidats à la sainteté était disséqué et examiné en détail afin d’y relever des marques miraculeuses. Ils étaient ensuite vidés de leurs viscères. Entre le XIIe et le début du XVIe, différentes techniques primitives avaient été utilisées pour conserver les corps, allant de simplement faire bouillir le corps et le sécher, à le tanner ou le tremper dans le miel et le vin. Des anatomistes tel Ambroise Paré firent des expériences sur l’efficacité de l’embaumement à l’alcool. Voir par exemple, F. Gonzales-Crussi, Suspended Animation. Six Essays on the Preservation of Bodily Parts, San Diego, Harcourt Brace, 1995, pp. 43-67.

8 . Voir Ludmilla Jordanova, « Medecine and Genres of Display », in Lyn Cookes and Peter Wollen, Visual Display. Culture beyond Appearances, Seattle, Bay Press, 1995, pp. 202-217.

9 .  Cf. Richardson, Death, Dissection and the Destitute, chapitre 2.

10 . Les mannequins en cire, par exemple, sont préférables aux véritables corps pour illustrer les maladies de peau ou d’autres pathologies spécifiques à la dermatologie. Voir Thomas Schnalke, Diseases in Wax : The History of Medical Moulage, Quintessence, 1995.

11 . Pour une description de l’école italienne de sculpture de cire au XVIIe et au XVIIe siècles, voir Barbara Stafford, Body Criticism. Imaging the Unseen in Enlightment Art and Medecine, Cambridge, MIT Press, 1993, chapitre 1, « Dissecting », pp. 62-66. On peut trouver un bref passage en revue des collections de Bologne dans Karen Newman, Fetal Positions. Individualism, Science, Visuality, Stanford University Press, 1996.

12 . Une vaste collection de mannequins de cire confectionnés en majeure partie par Clemente Sussini et Paolo Mascagni est encore exposée à  La Specola, à Florence. Pour parfaire les lectures sur l’histoire de ces mannequins, voir Rumy Hilloowala et al., The Anatomical Waxes of La Specola (Florence : Arnaud, 1995). Le Pathologisches-Anatomisches Museum Josephineum à Vienne possède également un certain nombre d’échantillons. Pour une histoire de l’exposition des mannequins de cire, voir Gabriela Schmidt, « Sammlung anatomischer un geburtshilflicher Wachsmodelle » in Catalogue Institut fur Geschichte der Medezin der Universität Wien, 1999, pp. 37-40.

13 . Les mannequins de cire présentent, en dépit de leur beauté et de leur exactitude, un défaut important : ils sont fragiles. De ce fait, le docteur Louis Thomas Auzoux (1797-1880) conduisait ses expériences sur du papier mâché et au fur et à mesure, développa des mannequins à la fois fidèles à la réalité et en même temps résistants au contact. Ils furent rapidement très appréciés et utilisés dans les cours des hôpitaux, des écoles, des académies d’art et des écoles vétérinaires.

14 . Cf. B. Sliggers et A. Wertheim (eds). De Tentoonsgestelde Mens. Reuzen, dewergen en andere wonderen der natuur, Zutphen : Walburg Pres, 1993.

15 . Pour une histoire détaillée de l’« homme transparent », voir Klaus Vogel, « The Transparent Man. Some Comments on the History of a Symbol », in Robert Bud, Bernard Fin et Helmut Trischler (eds). Manifesting Medecine. Bodies and Machines, Amsterdam, Harwood Academic Pbs., 1999, pp. 31-62. Le musée allemand de l’hygiène se trouve à Dresde.

16 . L’exposition  « les eugénistes et la nouvelle Allemagne », dont l’homme transparent fut l’une des attractions majeures, eut lieu de 1934 à 1935 et voyagea de Portland à Los Angeles, Buffalo et New York. La Société eugénique américaine réalisa sa promotion et son financement.

17 . Cf. le catalogue Körperwelten, pp. 195-207.

18 . Cf. Donna Haraway,  Simians, Cyborgs and Women. The Reinvention of Nature, New York, Routledge, 1991.

19 . Pour de multiples perspectives intéressantes sur cette question, voir, en particulier, la collection d’essais de George Robertson et al. (eds).  Future Natural. Nature, Science, Culture, Londres, Routledge, 1996. Voir aussi Nelly Oudshoorn, Beyond the Natural Body. An Archeology of Sex Hormones, Londres, Routledge, 1994.

20 . Voir Erwin Panofsky, « Artist, Scientist, Genius : Notes on the « Renaissance-Dämmerung », in Wallace K. Ferguson (ed)., The Renaissance : Six Essays, New York, 1962, pp. 123-182. Dans son article, « Andreas Vésale and the Anatomy of Antique Sculpture », Glenn Harcourt fait une interprétation très claire de la vision de Panofsky sur les conventions esthétiques en anatomie, in Representations, Hiver 1997, pp. 28-61.

21 . La relation de travail qui unissait les anatomistes et les artistes faisant équipe lors de la fabrication d’atlas anatomiques, pour allier précision scientifique et raffinement artistique, était souvent caractérisée par une tension hiérarchique. Ces unions professionnelles de disciplines opposées ne se passaient pas toujours sans heurts. Il est de notoriété publique, par exemple, que l’anatomiste hollandais Albinus et son assistant, un artiste nommé Jan Wandelaar, se disputaient constamment à propos de l’exactitude des illustrations de Wandelaar et qu’Albinus essayait de discipliner la créativité artistique de son assistant. Voir le catalogue du musée de Boerhaave, De Volmaakte Mens. De Anatomische Atlas van Albinus en Wandelaar, Leiden, musée de Boerhaave, 1991.

22 . Voir Harcourt, « Andreas Vésale », en particulier les pages 33-36.

23 .  Sur le sujet des caractéristiques symboliques et fonctionnelles des organes corporels, en particulier de la main, voir Katherine Rowe in « God’s Handy Work », in David Hillman et Carla Mazzio (eds.), The Body in Parts. Fantasies of Coporeality in Early Modern Europe, Londres, Routledge, 1997, pp. 285-312.

24 . Pour une revue des différentes perspectives historiques sur la relation entre les représentations anatomiques et les conventions artistiques, voir différents essais in Kathleen Adler et Marcia Pointon (eds.) The Body Imaged. The Human Form and Visual Culture since the Renaissance, Cambridge University Press, 1993.

25 . Ludmilla Jordanova,  Sexual Visions. Images of Gender in Science and Medecine between the Eighteenth and Twentieth Centuries, Madison, University of Wisconsin Press, 1989.

26 . Lorraine Daston et Peter Galliston, « The Image of Objectivity », in Representations 40, 1992, pp. 81-128.

27 . Erin O’Connor analyse la tension entre l’objet mécanique et la subjectivité artistique au sein de la photographie médicale au milieu du XIXe siècle. Il conclut : « Pour une fois, nous comprenons la distinction ancestrale entre les opérations de la photographie scientifique et les prétentions esthétiques de la photographie artistique comme une fiction cherchant à rationaliser plutôt que en tant que réalité… » Voir Erin O’Connor, « Camera Medica. Towards a Morbid History of Photography », in History of Photography, 23 : 3, Automne 1999, pp. 232-44. Barron H. Lerner a fait une analyse minutieuse de la question de « l’objectivité mécanique » des rayons X au XIXème et au début du  XXème siècles. Voir Barron H. Lerner, « The Perils of X-Ray Vision. How Radiographic Images Have Historically Influenced Perception », Perspectives in Biology and Medecine, 35 : 3, Printemps 1992, pp. 382-97.

28 . Daston et Galliston, « The Image of Objectivity », p. 98.

29 . Rachelle A. Derner, dans sa superbe analyse et sa description de la collaboration entre Joel-Peter Witkin, un photographe, et le docteur Stanley Burns, un ophtalmologue, collectionneur de photographies médicales historiques, aborde le sujet de l’idée reçue qui fait du corps « une vitrine d’une pathologie visible et de la photographie un mode d’enregistrement objectif » et qui oblige les spectateurs à interpréter le corps comme pathologique « s’ils interprétaient le corps et non la photographie », p. 246. Comme les sculptures plastinées de von Hagens, Witkin et Burns produisirent en collaboration des objets culturels qui combinaient la légitimité de la photographie et de la médecine afin de justifier le corps en tant qu’objet ayant un sens. Voir Rachelle A. Derner, Joe-Peter Witkin et Dr. Stanley Burns, « A Language of Body Parts », History of Photography, 23 : 3, automne 1999, pp. 245-53.

30 . Pour une revue instructive et merveilleusement illustrée de l’histoire des illustrations anatomiques, voir K.B. Roberts et J.D.W. Tomlinson, The Fabric of the Body : European Traditions of Anatomical Illustrations. Oxford, Clarendon Press, 1992 et K.B. Roberts, Maps of the Body : Anatomical Illustrations through Five Centuries, St. John’s, Newfoundland, Memorial University of Newfoundland Press, 1981.

31  La combinaison éclectique des modes de représentations artistiques et anatomiques montre qu’il existe un dialogue continu entre les différentes traditions de style et de techniques de conservation à travers les siècles.  L’art de la plastination légitime et à la fois parodie ces styles et ces traditions. Cette alternance constante entre l’imitation et la parodie est typique de la sensibilité post-moderne. Pour une introduction à l’utilisation des styles historiques, des pastiches et des parodies dans l’art et la littérature post-moderne, voir Linda Hutcheon, The Politics of Postmodernism, Londres, Routledge, 1989.

32 . Hillel Schwartz, dans The Culture of  Copy. Striking Likeness, Unreasonable Facsimiles, New York, Zone Books, 1996, aborde le dilemme entre l’authenticité, la duplication et l’originalité de manière plutôt éclectique, prenant en compte aussi bien la photocopie que les autoportraits ou les frères siamois. Son livre part de l’idée que le péché originel n’est pas moins originel dans ses multiples réitérations. Bien que Schwartz démontre de façon convaincante que la « culture de l’imitation » n’est pas du tout une caractéristique exclusive de l’ère postmoderne, le caractère éthique de la question de l’authenticité réapparaît avec force dans le contexte des genres postmodernes.

33 . Sur l’émergence et la disparition des théâtres anatomiques, en particulier en Italie, voir Giovanni Ferrari, « Public Anatomy Lessons and the Carnival : The Anatomy Theater of Bologna », Past and Present 117, 1987, pp. 50-106.

34 . Luke Wilson illustre comment, à l’origine, les spectateurs apercevaient l’intérieur du corps tout en étant mis nez à nez avec la violence et la douleur.

35 . La séance de cirque en juillet 1999 fut filmée par VPRO (télévision hollandaise) et présentée avec l’entretien de von Hagens cité ci-dessus, dans l’émission « Le corps éternel » sur VPRO, le 28 novembre 1999.

36 . Le peintre allemand Joseph Beuys célèbre non seulement pour ses œuvres d’art inanimées est plus particulièrement connu pour ses performances dans lesquelles il attirait l’attention sur la similitude entre les outils culturels et technologiques et les matériaux. Par exemple, dans les années 1970, il s’enferma dans un musée de New York dans une cage avec un coyote pendant sept jours. Après quelques jours, le coyote et l’artiste dormaient sur la même couverture, ce qui représentait le symbole de la fraternisation entre  humains et  animaux sauvages.

37 . Vidéo de Körperwelten. Institüt fur Plastination, Heidelberg, 1997.

38 . L’anonymat des cadavres rend leur provenance quelque peu obscure. Von Hagens déclare avoir obtenu tous ses cadavres par des dons privés, mais certains ont émis des doutes sur divers cadavres provenant d’Asie. Bien que l’anatomiste-artiste garantisse l’anonymat de chaque corps, il admet dans plusieurs entretiens qu’il peut identifier chacun d’entre eux et que certains étaient de leur vivant ses amis ou des membres de sa famille.

39 . Dans le documentaire « Die Leichenshow. Eine Ausstellung wird Sensation » de Walter Soechel (ARD, avril 1998) de nombreuses personnes émettent leur opinion. Les commentateurs incluent le directeur du « Anatomisch-Pathologisches Bundesmuseum » de Vienne et un anatomiste lié au célèbre musée Fragonard de Paris.

40 . Par exemple, le mannequin de Marc Quinn, tête humaine remplie de son propre sang, les performances chirurgicales d’Orlan (1991-1998), dans lesquelles elle remodèle son propre corps à la façon d’un collage organique de représentations artistiques (du front de la Joconde de Léonard de Vinci au menton de la Vénus de Botticelli)  et la tête coupée d’un guerrier maori mis en vente aux enchères à la Foire européenne des beaux-arts en 1997. L’exposition Sensation : Young British Artists from the Saatchi Collection (Londres 1997 et New York 1999) montrait quelques artistes faisant de l’art corporel comme Mona Hatoum, Marc Quinn et d’autres.  Pour une introduction au débat sur le caractère éthique de ces œuvres d’art, voir Norman Rosenthal « The Blood Must Continue to Flow » dans le catalogue de cette exposition (Royal Academy of Arts, Londres,1999).      

41 . Le débat suscité par les Mondes du corps s’inscrit dans la controverse permanente en philosophie contemporaine sur la plasticité et le caractère manipulable des corps, en particulier des corps féminins.  Voir par exemple, Elizabeth Grosz, Volatile Bodies : Towards a Corporeal Feminism  (New York, Routldge, 1994) et Anne Balsamo, Technologies of the Gendered Body : Reading Cyborg Women  (Durham, Duke University Press, 1996).  

42 . Cf. N. Katherine Hayles, How we became Post Human. Virtual Bodies in Cybernetics, Literature and Informatics  (Chicago, University of Chicago Press, 1999), p. 5.

Pour citer cet article

Jose Van Dijck, « La plastination : le corps anatomique comme art post-moderne », paru dans Alliage, n°50-51 - Décembre 2000, I. Les arts de la mise en scène de la technique, La plastination : le corps anatomique comme art post-moderne, mis en ligne le 29 août 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3733.

Auteurs

Jose Van Dijck

Professeur à l’université d’Amsterdam et directrice du Département de recherches sur les médias. Elle a reçu son doctorat à l’université de Californie (San Diego) et a publié de nombreux travaux sur les médias et leurs technologies.

Traducteurs

Chloé Baszanger