Alliage | n°57-58 - Juillet 2006 Science et littérature 

Jean Chesneaux  : 

Qui es-tu, Zéphirin Xirdal ?

Texte intégral

Pour les fidèles lecteurs d’Alliage, n’es-tu qu’un pseudo aux amusantes sonorités, derrière lequel on n’a pas grand mal à repérer le ton alerte et l’esprit fureteur de notre directeur ? Mais dans ce patronyme baroque, quelques-uns ont bien dû identifier le physicien génial et farfelu qui anime l’un des romans de Jules Verne, La Chasse au Météore...

  Patronyme qui n’a pourtant rien de fortuit ! Si Zéphirin, aujourd’hui ridicule, était encore banal au XIX° siècle, Xirdal est l’anagramme d’une ancienne monnaie de l’Europe du Nord, la RiXdale. Ce qui nous introduit d’emblée au cœur même du roman, soit la fortune financière. Car le susdit Xirdal a inventé une machine anti-gravitationnelle surpuissante, qui fera tomber sur Terre un astre vagabond en tellurure d’or — et permettra ainsi à son parrain-banquier, Lecœur, de fructueuses spéculations. Dans La chasse au météore comme dans d’autres romans tardifs de Verne, L’île à Hélice, L’invasion  de la mer, la science est contrôlée par la finance, elle n’est plus que son auxiliaire docile. Question éthique, question politique aussi, dont les lecteurs d’Alliage savent toute l’actualité...

Mais l’affaire Xirdal ne s’arrête pas là. L’érudition vernologique — spécialité en plein essor — a récemmment établi que Zéphirin Xirdal n’existe tout bonnement pas dans le texte original écrit de la main même de Jules Verne... Son fils Michel, dépositaire de l’œuvre, a publié le roman comme « posthume », en 1908, trois ans après le décès de Verne. Pour faire bon poids, cet esprit aussi imaginatif qu’impécunieux y avait ajouté plusieurs nouveaux chapitres , dont ceux où entre en scène Xirdal. La « Société Jules Verne », gardienne du temple et très hostile à Michel, a récemment publié la version primitive du Météore, rédigée par le romancier de son vivant —, version où l’on chercherait en vain Xirdal.

Alliage se serait-il rendu complice d’une supercherie ? Pas forcément... Car le signataire de cette note est de ceux qui refusent de ne voir en Michel qu’un fils indigne et manipulateur.1 S’il est indiscutable que les deux versions sont bien différentes, le Zéphirin Xirdal imaginé par le seul Michel présente pourtant les traits mêmes, l’allure même des savants de Jules, à la fois si visionnaires, si distraits sinon asociaux, si capables d’exploits au service ou du bien ou du mal. Longtemps, le fils sensible et fragile avait eu des rapports difficiles avec son père ; il a fini par s’en rapprocher par-delà la tombe, en nous donnant ce Xirdal authentiquement « vernien ». Alliage, àtraversles notes humoristiques et pertinentes de l’autre Xirdal, se trouve ainsi participer aux fastes érudits de « l’Année Jules Verne » (soit le centenaire de la mort de l’écrivain).

Notes de bas de page numériques

1 . Point de vue développé dans mon Jules Verne, un regard sur le monde, Paris, 2001, éditions Bayard.

Pour citer cet article

Jean Chesneaux, « Qui es-tu, Zéphirin Xirdal ? », paru dans Alliage, n°57-58 - Juillet 2006, Qui es-tu, Zéphirin Xirdal ?, mis en ligne le 02 août 2012, URL : http://revel.unice.fr/alliage/index.html?id=3561.

Auteurs

Jean Chesneaux

Historien, spécialiste de l’Asie orientale, est professeur émérite de l’université Paris 7. Vernien éminent, il a publié Une lecture politique de Jules Verne (Maspero, 1972), et Jules Verne, un regard sur le monde, Bayard, 2001. Il est aussi président d’honneur de Greenpeace-France.